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Full text of "L'Afrique byzantine;"

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Vue  prise  sur  . 


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DESCRIPTION  DE  L'AFRIQUE  DU  NORD 

ENTREPRISE    PAR    ORDRE    DE 

M.   LE  MINISTRE    DE   L*INSTRUCTION   PUBLIQUE  ET   DES   BEAUX-ARfS. 


L'AFRIQUE  BYZANTINE 

ïlISXOIFtE: 

DE    LA 

DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

( 533-709  ) 


Par  décision  du  31  octobre  1895,  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  pu- 
blique et  des  Beaux-Arts  a  ordonné  la  publication  de  V Afrique  byzantine  : 
Histoire  de  la  domination  byzantine  en  Afrique,  par  M.  Cii.  E^iehl,  pro- 
fesseur d^histoire  à  TUnivcrsité  de  Nancy. 

M.  de  la  Blanchère  et  M.  Gagnât,  membres  du  Comité  des  Travaux 
Historiques,  ont  été  chargés  de  suivre  cette  publication  en  qualité  de 
Commissaires  responsables. 


ANOBKS,   IMPRIIIBBIB   UB   A.   BUKDIN,   BOB  GARNIBR,   4. 


. .  / 


L'AFRIQUE  BYZANTINE 


HISTOIRE 


DB  LA 


DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

(533-709) 


CHARLES   DIEHL 

ÂDden  membre  des  Écoles  françaises  de  Rome  et  d'Athènes, 
Professear  d'histoire  à  l'Unirersité  de  Nancy. 


OUVRAGE  COUROiNNÉ  PAR  L'ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES 


PARIS 

ERNEST  LEROUX,  ÉDITEUR 

28,  RUE  BONAPARTE,  28 
1896 


''Jj»iAZ  ljbrartI 
680755 


PRÉFACE 


1 


■  -c^ovc-o-  - 


L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  avait 
mis  au  concours  pour  1894  le  sujet  suivant:  «  Étudier, 
d'après  les  textes  historiques,  les  inscriptions  et  les  mo- 
numents, l'histoire  de  la  domination  byzantine  en  Afri- 
que. »  Le  présent  livre  reproduit,  à  peu  de  chose  près,  le 
mémoire  couronné  par  l'Institut.  Toutefois,  si  Ton  a  con- 
servé les  lignes  maîtresses  du  plan  et  l'ordonnance  gé- 
nérale de  l'ouvrage,  on  n'a  point  cru  devoir  s'interdire 
de  remanier,  parfois  profondément,  le  détail  de  tel  ou 
tel  chapitre  et  de  procéder  à  une  attentive  et  minutieuse 
révision  de  l'ensemble.  On  tenait  d'une  part  à  mettre  à 
t  '^-  profit  les  conseils  que  le  savant  rapporteur  du  concours, 
M.  G.  Schlumberger,  a  bien  voulu  donner  à  l'auteur  de 
de  ce  travail  ;  et  d'autre  part,  dans  l'Afrique  du  Nord, 
les  découvertes  vont  si  vite  que,  depuis  l'achèvement 
même  du  mémoire  original,  plus  d'un  fait  a  été  acquis, 
qui  méritait  d'être  mis  en  valeur.  Tel  qu'il  est,  ce  livre 
offre  donc,  je  n'ose  dire  l'histoire  définitive  de  l'Afrique 


v: 


II  mSTOJKE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

byzauUue,  du  moins  cette  histoire,  aussi  exacte,  aussi 
complète  qu'il  est  à  cette  heure  possible  de  l'écrire. 

Au  vrai,  l'histoire  de  la  domination  byzantine  en  Afri- 
que est  assez  malaisée  à  raconter.  A  côté  de  périodes 
largeraeût  éclairéns,  on  y  rencontre  de  grands  espaces 
sombres,  où  le  chercheur  risque  fort  de  perdre  pied.  On 
sait  admirablement,  par  exemple,  grâce  aux  renseigne- 
ments amplement  fournis  par  Procope  et  par  Corippus, 
grâce  aux  inscriptions  nombreuses,  grâce  aux  monuments 
qui  aujourd'hui  encore  couvrent  la  terre  africaine,  quel- 
les furent  rorganisation  et  les  destinées  de  ce  pays  durant 
le  lorjg  règne  de  J  ustinien.  Les  informations  ne  sont  guère 
moins  nombreuses  sur  les  derniers  jours  de  la  domina- 
tion grecque,  encore  qu'il  faille  ici  se  défier  des  fantai- 
sies des  écrivains  arabes  et  que  la  critique  ait  parfois 
quelque  peine  à  démêler,  parmi  les  exagérations  des 
chroniqueurs,  les  faits  authentiques  et  sûrement  établis. 
Mais  entre  ces  deux  périodes  lumineuses,  quelle  vaste 
zone  intermiHliaîre  rempUe  d'obscurité  !  Sans  doute  la 
correspondance  do  Grégoire  le  Grand  éclaire  d'un  jour 
inattendu  Tétat  politique  et  religieux  de  l'Afrique  vers 
la  fin  du  Yi'  siècle  :  mais  entre  la  mort  de  Justinien  et 
l'avènement  de  l'empereur  Maurice,  surtout  entre  l'a- 
vènement et  la  mort  d'Héraclius,  que  de  difficultés,  que 
d'incertitudes,  que  de  lacunes  !  C'est  à  grand'peine,  en 
recueillant  les  rai'es  témoignages  épai's  dans  l'aridité 
des  chroniques,  en  rassemblant  les  lambeaux  des  textes 
législatifs^  en  interprétant  les  débris  d'inscriptions  et 


■** 


*      •  "l  •  *j.i.' 


»   m  *      É  m  *     m  *■       * 


PREFACE  ne 

les  fragments  de  mouuments,  qu'on  arrive  à  reconstruire 
l'histoire  de  ces  obscures  et  difficiles  époques  :  encore 
faut-il  se  résigner  le  plus  souvent  à  n'entrevoir  que  les 
lignes  générales  des  choses,  sans  prétendre  reconstituer 
dans  le  détail  ce  que  fut,  sous  l'autorité  de  Byzance,  la 
vie  africaine. 

De  cet  état  des  sources  historiques,  il  résulte  forcé- 
ment quelque  disproportion  dans  la  composition  de  ce 
livre.  Juslinien  et  son  règne  y  tiennent  une  très  grande 
place  :  et  au  vrai,  si  l'on  songe  que  l'œuvre  conçue 
par  le  grand  empereur  a  longuement  influé  sur  les 
destinées  ultérieures  de  l'Afrique  et  y  a  laissé  jusqu'à 
nos  jours  des  traces  indestructibles,  peut-être  cette 
place,  si  considérable  soit-elle,  ne  semblera  point  im- 
méritée. Par  ailleurs,  il  a  fallu,  au  contraire,  se  con- 
tenter de  renseignements  très  rapides  et  très  sobres. 
Malgré  cet  inévitable  défaut,  ce  livre,  je  l'espère,  ne 
sera  point  inutile  ni  à  l'histoire  générale  de  Byzance, 
ni  à  l'histoire  particulière  de  l'Afrique  du  Nord.  On  y 
verra  quelle  activité  prodigieuse  les  empereurs  d'Orient 
déployèrent  pour  conserver  à  la  monarchie,  pendant 
près  de  deux  siècles,  cette  province  de  l'Occident  loin- 
tain, quel  soin  ils  prirent  d'y  organiser  une  sérieuse  dé- 
fense militaire,  quelle  sollicitude  ils  apportèrent  pour  en 
assurer  la  prospérité.  On  y  saisira  sur  le  vif  un  nouvel 
et  instructif  épisode,  assez  semblable  à  celui  que  jadis 
j  ai  étudié  en  Italie,  de  cette  lente  transformation  qui, 
entre  l'époque  de  Justinien  et  le  vnf  siècle,  modifia  si  pro- 


IV  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

fondement  Vemjiire  grec.  Surtout,  on  y  verra  comment, 
en  Afrique  comme  partout,  les  Byzantins  surent  se  mon- 
trer les  dignes  héritiers  de  Home,  avec  quelle  ténacité 
merveilleuse  ils  surent  reprendre  les  traditions  et  conti- 
nuer Tœuvre  militaire  des  empereurs  du  if  et  du  m®  siècle, 
et  comment  enfin,  par  leur  énergie  et  leur  souple  habi- 
lité, ces  basileis^  grands  constructeurs  de  forteresses  et 
grands  diplomates,  ont  bien  mérité  en  somme  Thom- 
mage  qu'aujourd'hui  encore  leur  rend  involontaire- 
ment rimagination  des  indigènes  d'Afrique,  lorsque,  à 
l'exemple  des  Arabes  do  moyen  âge,  elle  confond  sous 
le  nom  commun  de  Roiim  et  identifie  en  quelque  sorte  les 
Byzantius  du  vi""  et  du  vu"  siècles  et  les  Romains,  leurs 
grands  devanciers. 


Il  me  reste,  en  terminant  ce  livre,  à  remplir  un  agréa- 
ble devoir  :  celui  de  remercier  tous  ceux  qui  m'ont 
aidé  de  leurs  bons  offices  ou  de  leurs  conseils.  Je  dois 
en  particulier  exprimer  ma  reconnaissance  à  M.  G. 
Schlumberger,  membre  de  l'Institut,  qui  a  été  le  rappor- 
teur du  concours  où  ce  travail  a  été  couronné;  à 
M,  Xavier  Charmes,  directeur  du  Secrétariat  au  Minis- 
tère de  rinstruction  publique,  àMM.  Perrot,  président, 
et  Gagnât,  secrétaire  de  la  Commission  de  l'Afrique  du 
Nord,  qui  se  sont  obligeamment  employés  pour  hâter 
la  publication  de  cette  étude  ;  à  M.  Gsell,  professeur 
à  rÉcûle  des  lettres  d'Alger,  <{ui  m'a  communiqué  avec 


PRÉFACE  V 

une  bonne  grâce  inestimable  les  documents,  plans  et 
dessins  relatifs  à  plusieurs  monuments  que  je  n'avais 
pas  eu  Toccasion  d'étudier  directement;  à  M.  P.  Gau- 
ckler,  directeur  des  Antiquités  à  Tunis,  qui  a  libéralement 
mis  à  ma  disposition  quelques-uns  des  renseignements 
archéologiques  recueillis  par  le  service  dont  il  a  la  charge. 
Mais  il  y  a  un  nom  surtout  que  je  tiens  à  rappeler  ici  : 
c'est  celui  de  mon  ami  René  de  La  Blanchère.  Chargé 
comme  commissaire  responsable  de  suivre  cette  publi- 
cation, il  a  apporté  dans  cette  tâche  délicate  autant  de 
bonne  volonté  que  de  délicate  courtoisie,  jusqu'au  jour 
où  une  mort  prématurée  et  singulièrement  regrettable 
est  venue  subitement  priver  les  études  africaines  d'un 
de  leurs  plus  intelligents,  de  leurs  plus  actifs  initiateurs. 
Je  dois  remercier  aussi  M.  A.  Ballu,  architecte  en 
chef  des  monuments  historiques  de  l'Algérie,  qui  m'a 
obligeamment  fourni  de  précieuses  informations  sur 
Tébessa  et  Timgad;  M.  Saladin,  architecte,  qui  m'a 
autorisé  à  puiser  sans  compter  dans  la  riche  collection 
de  dessins  et  de  plans  exécutés  par  lui  en  Tunisie; 
M.  Salomon  Reinach,  qui  a  gracieusement  mis  à  mon 
service  la  carte  dressée  par  lui  pour  V Afrique  romaine 
de  Tissot;  MM.  Hachette  et  C*^qui  se  sont  empressés, 
ave^  une  libéralité  peu  commune,  à  me  prêter  plusieurs 
clichés  qui  me  faisaient  besoin  ;  enfin  et  surtout  M.  Ernest 
Leroux,  mon  éditeur,  qui  a  très  aimablement  fait  accueil 
à  toutes  les  demandes  que  j*ai  eu  à  lui  adresser,  et  m'a 
donné  sans  jamais  hésiter  les  planches,  les  cartes,  les 


n  Hli5TmRK  DELA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

fifi;iires  que  j'ai  jngées  nécessaires.  Pour  finir,  je  tiens 
encore  a  romt^rcior  M.  Port,  étudiant  d'histoire  à  la 
Faculté  des  lettres  de  Nancy,  qui  a  accepté  avec  beau- 
coup de  bonne  grâce  et  rempli  avec  infiniment  de  soin 
l'ingrate  et  utile  tâche  de  rédiger  Tindex  alphabétique 
des  noms  propres  qui  termine  ce  volume. 


Liste  par  ordre  alphabétique  des  principaux 
documents  cités  dans  ce  livre. 


Agathias.  Historia,  éd.  de  la  Byzantine  de  Bonn. 

Anonyme.  Traité  de  la  Tactique  (éd.  K5chly  et  Rûstow,  Griechisclie 

Kriegsschrifstellery  t.  H,  2  Abt.  Leipzig,  1855). 
Anonyme.  Ilspl  -coÇefaç  (éd.  KOchly  et  Rûstow^  /.  c). 
Beladori  (El-),  publié  dans  le  Journal  asiatique,  1844. 
Gaesarii  patricii  epistolae  [Mon.  Germ.  hist.,  Epistolae,  t.  III). 
Cassiodorus.  Variarum  libriXlJlUîgne,  Patrologie  latinCyi.  LXIX). 
Cassiodorus.  De  institutione  divinarum  litterarum  (Migne,  Patrolo- 
gie latine,  t.LXX). 
Chronicon  Paschale^  éd.  de  la  Byzantine  de  Bonn. 
Codex  JustinianuSy  éd.  KrOger. 
GoRippus.  Johannis  et  In  laudem  Justini^  éd.  Partsch  {Mon,  Germ. 

hist,,  Auct.  antiq.y  III,  2). 
Corpus  inscriptionum  latinarum^  t.  VIII  et  Supplément  au  t.  VIII. 
Ati47Y;jtç  <];u;((i)feX'^ç(GoMBEFis,  Bibl,  graecpatinim  auctarium  novis- 

simum,  t.  I,  p.  324). 
£l-Bekri,  trad.  de  Slane  {Journal  asiatique,  1858-1859). 
Epistola  clericorum  italoinim  {Mon,  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  III). 
Epistolae  Merowingici  et  Karolini  aevi  {Epistolae  aevi  Merowingici^ 

éd.  Gundlach.  Epistolae  Wisigoticae,  éd.  Gundiach  (Mon.  Germ. 

hist.,  Epist.,  t.  ni). 
EvAGRius.    historia     ecclesiastica    (Migne,    Patrologie    grecque, 

t.  LXXXVI). 
Facundus  Hermianensis.  Defensio,  Adversus  Mocinnum,  etc.  (Migne, 

Patrologie  latine^  t.  LXVII). 


Ym  ÎUSTftmE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Ferhanïius   CARtriAGiNiENSis.  ScTipta  (Migne,   Patrologie  latine, 

U  LXVIÏ). 
/"otoh  ifrîkîa,  trad.  Clierbonneau  [Revue  africaine,  1869). 
Fredegarius.  Ckronicon  (Historiens  de  France,  t.  IIj. 
FcLGENTii  Vita  (Migne,  Patrologie  latine,  t.  LXV). 
Georgu  GvpnTi  De.^crîptio  orbis  romani,  éd.  Gelzer. 
Gregobii  Agrigentini  Vita  (Migne,  Patrologie  grecque,  t.  XGVIII). 
Gregoru  MKGHipapaeepistolae.éd.  Ewald  et  Hartmann  (Mon,  Germ. 

hisL.^  Epist.^  t.  J  el  II,  et  Migne,  Patrologie  latine,  t.  LXXVII). 
HiÉnocLES,  Sfjnfcdf^mos,  éd.  Burckhardt. 

HiLDËFONSUS.  De  vtrh  illustribus  (Migne,  Patrologie  latine,i.  XCVI). 
HoNOR[ï  papaïf  Epistolae  (Migne,  Patrologie  latine,  t.  LXXX). 
Ibn  Ard-el  HAKEttf,  trad.  de  Slane  {Journal asiatique,  1844,  et  Hist, 

des  iierbèrps^  l-  J,  Appendice). 
Ibn  Abzari.  Batan  (extraits  dans  Fournel,  Les  Berbers). 
Ibn  Haukm.,  frad.  de  Slane  (Journal  asiatique,  1842). 
Ibn  Kiuldoum.  }Jin,  des  Berbères,  trad.  de  Siane. 
Ibn  Koteiha  (dans  Gavangos,  History  of  the  Mohammedian  dynas- 

lii^fi  fti  Spahi^  Londres,  1840,  t.  I,  Appendice  E). 
IsïDORUs  HisPALENSfs.  Chronicon;  De  regibus  G  othorum,kài,  Momm- 

sen  [Mon,  Germ.  hist..  Script,  antiquiss.,  XI,  2);  De  vins  illus- 

tnbm  (Mî^ne,  Patrologie  latine,  t.  LXXXIII). 
IsiDonus  Pacensis.  Chronicon  (Migne,  Patrologie  latine,  t.  XGVI). 
//  in  n  rar  in  m  An  ton  in  i . 

Johann  ES  Anteochenus  (Mûller,  Fragm.  hist,  graec,  t.  IV). 
JoHANNES  B[GLARENSis,  éd.  Mommsen  (Mon.  Germ,  hist,.  Script. 

anllq,,  XI,  1). 
JoiiANMEs  Ephesius,  éd.  Schônfelder. 
JoHANNES  EpiPiUNUE  (Mùller^  /.  c,  t.  IV). 
JonANNËs  Malalas,  éd.  delà  Byzantine  de  Bonn. 
Jean  de   NiKiOU,    éd.    Zotenberg   (Notices  et    extraits    des  mss., 

t.  XXIV,  1). 
JoRDANES.  Bomana,  éd.  Mommsen  (^on.  Germ.  hist,.  Script,  antiq,^ 

Ju^ihw^.DepartihuBdivinaelegis(}A\gne,Patrologielatine,l.LXVlïT}, 
JusTiANiANi  yovcllae^  éd.  Zachariae  de  Lingenthal. 
JusTiNiANi  iVoyt'///2e,  éd.  Schoell. 
KUab-d'Aghani  (Journal  asiatique,  1844). 


LISTE  DES  PRINCIPAUX  DOCUMENTS  CITES  ix 

Labbe,  Sacroftancta  concilia,  éd.  de  Paris,  1671,  t.  IV,  V,  VI. 
Leontius  Neapolitanus,  Vita  S,  Johannis  Elemosynarii,  éd.  Gelzer, 

Fribourg,  1893. 
Liber  pontificalis  Ecclesiae  romanae,  éd.  Duchesne. 
LiBERATUS,  Breviarium  (Migne,  Patrologie  latine,  t.  LXVIII). 
Lydus,  De  magistratibus,  éd.  de  la  Byzantine  de  Bonn. 
Marcellinusgomes,  éd.  Mommsen  {Mon.  Germ.  hist.y  Script,  antiq.y 

XI,  1). 
Marius  AvENTiCENSiSy éd. Mommsen (3/on.  Germ.  hist.^Script.  antiq., 

XI,  1). 
Martini  papae  commemoratio  {Mïgne.Patrologie  latine,  t.  LXXXVII) . 
Martini  papae  epitotae  {ibid.). 

Maximi  Vita  ac  certamen  (Migne,  Patrologie  grecque,  t.  XC). 
Maximi    Disputatio    cum   Pyrrko;   Epistolae  (Migne,    Patrologie 

grecque,  1.  XC,  XCI). 
Menanuer,  éd.  de  la  Byzantine  de  Bonn. 
Michel  ^^BXi^  [Jouirai  asiatique^  1848-1840). 

NiCEPHORUS  PATRIARCHA,  éd.    de  BoOF. 

Notitia  dignitatum,  éd.  Seeck. 

Notxtia  provinciarum  et  civitatum  Africae,  éd.  Halm  [Mon.  Germ. 

hist..  Script,  aniiq.,  III,  1). 
Notitia  episcoporum,  éd.  Geizer  [Byznntinische  Zeitschrift,  t.  II). 
NovEiRi  (En-),  trad.  de  Slane  [Jouirai  asiatique,  1841,  et  Hist.  des 

Berbères,  t.  I,  Appendice). 
Pelagii  I  papae  epistolae  [Mon.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  III). 
Primasius    Hadrumetinus.    Scripta   (Migne,    Patrologie    latine, 

t.  LXVIII). 
Procopius,  De  Bello  Vandalico,  éd.  de  la  Byzantine  de  Bonn. 

—  De  Bello  Gothico  [ibid  ). 

—  De  Bello  Persico  [ibid.). 

—  De  Aedificils  [ibid.). 

—  fiistoria  arcana  [ibid.). 

Ravennatis  anonymi  Cosmographia,  éd.  Pinder  et  Parthey. 

Sebeos.  Histoire  d'Héraclius  [Journal  asiatique,  1866). 

Strategika    (attribué  à  l'empereur  Maurice),  éd.  Scheffer,  Upsal, 

1664,  à  la  suite  des  Tactica  d'Arrien. 
Tabari,  éd.  NOldeke. 
Table  de  Peutinger,  éd.  Miller. 


X  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Théophane,  éd.  de  Boor. 

ThiÇophylâcte  Simocâtta,  éd.  de  Boor. 

Thomas  presbïter,  éd.  Land  [Anecdola  Syriacaj  1. 1). 

Vërecundds  Iuncensis.  5crip<a(Migne,  Patrologie  /a/me,  t.  LXIX). 

Victor  Tonnennensis,  éd.  Mommsen  (Mon,  Germ.  hist,.  Script,  an- 

tiq.,  XI,  1). 

Victor  ViTENSis,  éd.  Halm(;l/on,  Germ,  hist. y  Script,  antig.,  III,  1). 
ViGiLii  papae  t^pistolae  (Migne,  Patrologie  latine,  t.  LXIX)    . 
Vitae  pat}*um  Emeritensium  (Migne,  Patrologie  latine,  t.   LXXX). 
Zachahiae  von  Lingenthal.  Jus  graeco^romanum  (t.  III,  Novellae 

consiïtuliones), 
ZoNARAs,  éd.  Dindorf. 


Liste  par  ordre  alphabétique  des  principaux 
ouvrages  ou  articles  cités  dans  ce  volume. 


Amari.  Storia  dei  musulmani  di  Sicilia.  3  vol.,   Florence,   1856- 

1858. 
Archives  des  Missions  littéraires  et  scientifiques . 
Bâronius.  Annales  ecclesiastici.  12  vol.  Anvers,  1658. 
Benjamin.  De  Jmtiniani  aetate  quaestiones  militares.  Berlin^  1892. 
BETHMANN-HoLLvirEG.  Dcr  Civilproccss  des  gemeinen  Rechts.  3  vol. 

Bonn, 1866. 
La  Blanchërb.   Voyage  d^études  dans  la  Maurétanie  Césarienne 

{Arch.  des  Missions,  3*  série,  t.  K). 
La  Blanchère.  Musée  d'Oran.  Paris,  1892. 
La  Blanchère,  ^aménagement  de  Veau  et  l'installation  rurale  dans 

t Afrique  ancienne  [Nouv,  Arch,  des  Miss.,  t.  VII). 
De  Boor.  Zur  Chronographie  des  Theophanes  [Hermès,  1890). 
Bourde.  Rapport  sur  les  cultures  fruitières  dans  le  centre  de  la  Tu- 
nisie. Tunis,  1893. 
Bulletin  des  Antiquités  africaines. 
Bulletin  de  Correspondance  africaine. 
Bulletin  du  Comité  des  travaux  historiques, 
Bullettino  d^ Archeologia  cristiana, 

Bdry.  Uistory  of  the  later  Roman  empire,  2  vol.,  Londres,  1889. 
Gagnât.  L'armée  romaine  d'Afrique.  1  vol.,  Paris.  1893. 
Gagnât  et  Boeswillwald.  Timgad.  Livraisons  1-4,  Paris  1891,  et 

saiv. 
Gagnât.  Explorations  épigraphiques  et\  archéologiques  en  Tunisie 

[Arch.  des  Miss,,  S*»  série,  t.  XI,  XII,  XIV). 


tn  m  STOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Carton,    /h'courertes   archéologiques    et   épigraphiques  faites  en 

2'ttnisfe^  Paris,  1895. 
Cat*  £^smi  sur  la  province  romaine  de  Maurétanie  Césarienne.  Vdxis, 

CoSNEAU*  De  Romanis  viis  in  Numidia,  Paris,  1886. 

Comptes  rendiii  de  V Académie  des  inscriptions. 

Baîîn,  fJif*  Knnige  der  Germanen.  Berlin,  1861-1871. 

Daitn.  Prokojnus  von  Caesarea,  Beriin,  1865. 

Delahare,  Exploration  archéologique  de  V Afrique.  Paris,  1850. 

Bklattre.  /Hirnibs  byzantins  de  Carihage  {Missions  catholiques,  1887 

et  HullHin  (tHippone,  1893). 
DiEHL.  Etudes  sur  V administration  byzantine  dans  V exarchat  de 

iiavmnf>.  1  vol.,  Paris,  1888. 
DiEHL.  ff apport  sur  deux  missions  dans  C Afrique  du  Nord  [Mouv, 

ArcL  tiei>  }îfss.,  t.  IV). 
DozY.  Itei'hf^rckes  sur  l* histoire  et  la  littérature  de  l'Espagne,  Leyde 

18G0. 
DozY.  Ilhtoire  dfi.s  musulmans  d'Espagne.  Leyde,  1861. 
DftAPORON.  V empereur  H éraclius.  1  vol.,  Paris  1869. 
Ul'chesne.  Vigile  et  Pelage  {Revue  des  Quest.  hist.j  1884). 
lîuaEAU  DE  LA  Malle.  L Algérie.  Paris,  1852. 
FïNLAY.  Grepet'  under  the  Romans.  Londres,  1857. 
FouRNEL*  L\i^   Derbers.  Études  sur  la  conquête  de  l'Afrique  par 

tes  Arabex,  2  vol.  Paris,  1881. 
P.  Gauckler.  L'archéologie  de  la  Tunisie.  Paris,  1896. 
Gasquet.  t^tiîdes  byzantines.  Paris,  1888. 
Celzer.  Chalh*don  oder  Karchedon  (Rhein.  Muséum ^  1893). 
Gelzkr.   Uiufi^druckte  und  wenig  bekannte   Bistûmerverzeichnisse 

{Byzant,  Zeitschr.,  II) 
Groil  G*\^chirhte  des  ostrômischen  Kaisers  Justins  If.  Leipzig,  1889. 
GsELL.  Reckt'rrhes  archéologiques  enAdgérie.  Paris,  1893. 
GsELL  et  Graïllot.  Ruines  romaines  au  nord  de  CAurès  {Mélanges 

de  l Ecole  de  Rome,  1893  et  1894).  i 
GuÉRïN.  Vojfrifje  en  Tunisie.  2  vol.  Paris,  1862. 
Hanoteau  etLtrrouRNEUX.  La  Kabylie  et  les  coutumes  kabyles.  Paris, 

1872-1873. 
Hartmann.  Untersuchungen  zur  Geschichte  der  byzantinischen  Ver- 

waitung  in  Italien.  Leipzig,  1889. 


LISTE  DES  PRINCIPAUX  OUVRAGES  OU  ARTICLES  CITES  xiii 

Hefele.  Histoire  des  conciles,  trad.  DeJarc,  1. 111  et  IV.  Paris,  1870. 

HoDGKiN.  Italy  and  her  invadersj  t.  III  et  IV.  Oxford,  1885. 

IsAMBERT.  Histoire  de  Justinien,  Paris,  1856. 

Jaffé.  Regesta  pontificum.  2*  éd.  Leipzig,  1881. 

Jaehns.  Geschichte  der  Kriegswissenschaft.  Munich,  1889. 

Krûger.  Kritik  des  Justinianischen  Codex,  Berlin,  1867. 

Lampe.  Qui  fuerint  Gregorii  Magni  temporibus  in  imperii  Bgzan- 

tini  parte  occidentati  exarcài,  Berlin»  1892. 
Lenoir.  Architecture  monastique.  Paris,  1856. 
Mannert.  Geschichte  der  Vandalen.  Leipzig,  1881, 
Mas-Latrie.  Anciens  évêchés  de  t Afrique  septentrionale  {Bull,  de 

Corr.  afr.,  1886). 
Masqueray.  De  Aurasio  monte.  Paris,  1886. 
Masqueray.  formation  des  cités  chez  les  populations  sédentaires  de 

l'Algérie.  Paris,  1886. 
Masqueray.  Ruines  anciennes  de  Khenchela  à  Besseriani  [Revue  afri- 
caine, 1878-1879). 

ASQUERAY.  Traditions  de  VAouras  oriental. [Bull,  de  Corr.  afr.,  III). 
tfERCiER.  Histoire  deV  Afrique  septentrionale.  3vol.,  Paris,  1888-1891. 
Colonel  Mercier,  Notes  sur  les  ruines  et  voies  antiques  de  F  Algérie 

{Bull,  du  Comité,  1885,  1886,  1888). 
MoLL.  Tébessa  {Recueil  de  Constantine,  1859-1860). 
Mommsen.  Ostgothische  Studien  {Neues  Archiv,  t.  XIV  et  XV). 
MoMMSEN.   Das   rômische  Militàrwesen  seit   Diocletian   {Hermès j 

t.  XXIV). 
Mommsen.  Die    Bewirthschaftung  des  Kirchengutes  unter    Papst 

Gregor  J.{Zeitschr.  fur  Social- und  Wirthschaftsgesch.,  1893). 
MoRGELLi.  Africa  christiana.  Brixiae,  1817. 

A.  Mûller.  Der  Islam  im  Morgen  und  Abendland.  Berlin,  1885-1886. 
Papier.  Du  mont  Pappua  {Rec.  de  Constantine,  1879-1880). 
Papencordt.  Geschichte  der  Vandalischen  Herrschaft  in  Africa.  Ber- 
lin, 1837. 
Partsch.  Beitràge  zur  Erklàrung  und  Kritik  der  Johannis  {Hermès, 

IX). 
Pplugk-Harttung.  Belisar's  Vandalenkrieg{HistorischeZeitschrift, 


PomssoT.  Explorations  dans  la  Tunisie  centrale  {Bull,  des  Ant, 
afr.,  1883). 


XIV  UISTOIBE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Ragot.  Li^  Sahara  de  la  province  de  Constantine  {Recueil  de  Cons- 

tajifhte,lS73-UeiiSlb). 
Rambaud.  L*Emplre  grec  au  x»  siècle.  Paris,  1870. 
lUvoiâtÉ.  Exploration  scientifique  de  V Afrique.  Paris,  1853-1858. 
HechfTrhe  des  antiquités  dans  le  nord  de  l'Afrique.  Paris,  1890. 
Heçuf'il  dfj  la  Société  archéologique  de  Constantine. 
Reniée.  Rapport  de  mission  {Arch.  des  Missions,  1851). 
Revue  africaine. 
Revue  archêofogique. 

Rey.  Àrchileclure  militaire  des  Croisés.  Paris,  1871. 
Rinn.  Géographie  ancienne  de  V Afrique  {Revue  africaine,  1893). 
De  Rossi   La  capsella  argentea  africana.  Rome,  1889. 
RoTiî.  Oqba  dm  Nafi.  GOltingen,  1859. 
Sabàtier.  Monnaies  byzantines.  Paris,  1862. 
Saladin.  Rapport  sur  une  mission  en  Tunisie  {Arch.  des  Missions, 

3-  stirie,  t.  XIU,  1887). 
Sat.adin.  ^*^  Rapport  sur  une  mission  en  Tunisie  {Nouv.  Arch.  des 

Mmiom,  t.  L  1893). 
ScHLUMBERCER,  Sigillographie  byzantine.  Paris,  1884. 
De  Slane.  Lettre  à  M.  Hase  sur  les  premières  expéditions  des  mu- 

suîmam  en  Mauritanie  {Journal  asiatique^  1844). 
Tauxieb.  Le  palrice  Gregorius  {Rivue  africaine ^  1885). 
Texier,  Architecture  byzantine. 
TîssOT.  Géographie  comparée  de  la  province  romaine  d'Afrique. 

Paris,  1884-1888. 
ToULOTTE.  Géographie  de  l'Afnque  chrétienne.  4  vol.,  Paris,  1802- 

1894. 
ToDTAiN.  Les  cités  romaines  de  la  Tunisie.  Paris,  1896. 
De  ViGNERAL.  Ruines  romaines  du  cercle  de  Guelma.  Paris,  1867. 
De  Vïgsrral.  Kahylie  du  Djurdjura.  Paris,  1868. 
H.  i>K  Villefosse.  Tébessa  {Tour  du  monde,  t.  XL). 
De  Vogué.  Monammts  de  la  Syrie  centrale.  Paris,  1865-1877. 
Weil.  Geichichte  der  Khalifen.  Mannheim,  1846-1862. 
Zaciiariae  von  Lingentual     Geschichte  des  griechlsch-rômischen 

Rechts.  3^  éd.,  Berlin,  1892. 
Zacuabiae  von  Lingenthal,  Dievom  Kaiser  Anastasius  fur  die  Libya 

Pentapolis  eria.^senen  Formae  {Monatsber.  der  k.  Akademie  der 

Wissensch.  zu  lier  lin,  1879). 


Liste  des  principales  abréviations 
employées  dans  les  notes  du  volume. 


Pour  ne  point  répéter  à  rinfini  les  titres  complets  de  certains  ou- 
vrages constamment  cités  dans  les  notes,  nous  les  avons  remplacés 
par  un  certain  nombre  d'abréviations,  dont  voici  la  liste  : 

Aed.    =  Procopius,  ih  Aedificiis. 

Anom.  =.  Anonyme,  Traité  de  la  Tactique. 

Bell,  Vand.  :=z  Procopius,  De  Bello  Vandalico. 

Bell.  Gotk.    =        —  De  Bello  Gothico. 

Bell,  Pers.    z=.         —  De  Bello  Persico. 

BulL  Ant,  afr.  zz  Bulletin  des  Antiquités  africaines. 

Bull.  Com.        =  Bulletin  du  Comité  des  travaux  historiques. 

Bull.  Corr.  afr.  =:  Bulletin  de  Correspondance  africaine. 

C.   I.    L.  ■=.  Corpus  inscriptionum  latinarum. 

Cad,  Just.  HT  Codex  Justinianus. 

Georg.  Cypr.  =::  Georgii  Cyprii  Descriptio  orbis  romani. 

Greg.  Epist.  ou  Greg.  ^3  Gregoru  Magni  papae  tpistolae, 

Uist.arc.=L  Procopius,  Historia  arcana. 

Joh.  rz  CoRiPPUS,  Johannis. 

Marcell.  com.  =  Mârcellinus  comes. 

Ladbb  ==  Labbe,  Sacrosancta  Concilia. 

M.  G.  H.  ou  Mon.  Germ.  hist.  zr  Morumenta  Germaniae  histofica. 

P.  L.  ou  Patr.  lat.  =  Migne,  Patrologie  latine. 

P.  G.  =  Migne,  Patrologie  grecque 

Rec.  de  Const.  =  Recueil  de  la  Société  archéologique  de  Constantine. 

Saladin,  I  m  Saladin,  Rapport  sur  une  mission  en  Tunisie,  1887. 

Saladin,  II  zz  Saladin  ,  Deuxième  rapport  sur   une    mission   en 

Tunisie,  1893. 
Strateg.    zz  Strategika. 
VicT.  ToN.=:  Victor  Tonnennensis. 


LIVRE  PREMIER 

U  REPRISE  DE  L'AFRIQUE  PAR  L'EMPIRE  BYZANTIN 

(533-639) 


HISTOIRE 

OB    LA 

DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

(533-709) 


LIVRE    PREMIER 

LA  REPRISE  DE  I/AFRIQUE  PAR  L'EMPIRE  BYZANTIN 

(533-530) 


CHAPITRE  PREMIER 

LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE (533-534) 

I 

Depuis  le  jour  où  l'imprudence  du  comte  Booiface  avait 
livré  TAfrique  romaine  aux  Vandales  de  Genséric,  jamais  les 
empereurs  n'avaient  abandonné  l'espoir  de  reprendre  posses- 
sion de  la  province  perdue.  Plusieurs  fois  au  cours  du 
v«  siècle,  Rome  et  Constantinople  avaient  préparé  des  expé- 
ditions puissantes  contre  le  redoutable  royaume  barbare,  dont 
les  flottes  désolaient  sans  merci  toutes  les  côtes  méditerra- 
néennes :  tour  à  tour  Majorien,  un  des  derniers  princes  éner- 
giques qui  se  soient  assis  sur  le  trône  d'Occident,  et  quelques 
années  plus  tard  l'empereur  d'Orient  Léon  I"  avaient  tenté 
de  renverser  l'établissement  de  Genséric.  Sans  doute  le  succès 
n'avait  point  répondu  à  leurs  efforts.  En  460  les  armements 
-rassemblés  dans  les  ports  d'Espagne  n'avaient  pas  même  pu 


4  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

prendre  la  mer  *  :  la  grande  expédition  de  468,  commencée 
sous  d*heureux  auspices^  s'était  achevée  dans  les  eaux  de 
Carthage  par  un  désastre  mémorable,  qui  ruina  pour  de 
longues  années  la  flotte  et  les  finances  de  l'empire  d'Orient* 
et  sous  le  coup  de  ces  insuccès,  Zenon,  successeur  de  LéonP% 
avait  dû,  vers  476,  au  moment  même  où  Tempire  d'Occident 
s'écroulait  sous  les  coups  d'Odoacre,  signer  avec  Genséric 
une  paix  perpétuelle  ^  Mais  malgré  le  traité  conclu,  et  qui  fut 
respeclé  pendant  près  de  soixante  ans^  malgré  les  relations 
courtoises  qu'entretinrent  avec  les  souverains  de  Constanli- 
nople  plusieurs  des  successeurs  de  Genséric^,  la  patiente 
politique  byzantine  n'avait  abdiqué  aucune  de  ses  prétentions, 
elle  n'attendait,  pour  les  faire  valoir,  qu'une  occasion  favo- 
rable. Déjà  sous  le  règne  du  pacifique  Hildéric,  son  influence 
s'insinuait  lentement  en  Afrique  :  le  roi  vandale,  en  vrai  bar- 
bare ébloui  par  l'éclat  du  nom  impérial,  s'honorait  d'être 
l'ami  personnel  dubasileus  Justinien;  il  se  plaisait  à  échanger 
avec  lui  les  cadeaux  et  les.  ambassades,  il  faisait  sur  ses  mon- 
naies remplacer  sa  propre  image  par  celle  du  souverain 
byzantin  :  insensiblement  il  devenait  le  vassal  de  Tempire*. 
Mais  cette  dépendance,  d'ailleurs  assez  incertaine,  ne  pou- 
vait suffire  aux  vastes  ambitions  du  nouveau  prince  qui  régnait 
à  Gonstautinople.  Justinien  rêvait  à  l'empire  universel.  Ce 
monde  romain  disparu,  dont  les  débris  avaient  formé  les 
royaumes  germaniques,  il  s'en  proclamait  l'héritier  légitime 
et  songeait  à  le  reconstituer  dans  son  intégrité;  ces  droits 
impériaux,  que  tous  ses  prédécesseurs  avaient  soigneusement 
réservés,  il  aspirait  à  les  relever  dans  leur  pleine  étendue". 

1.  Procope,  BcW.  Kand.,  p.  340-342  (éd.  de  Bonn),  où  l'on  trouve  d'assez  cu- 
rieuses légendes  sur  Tentreprise  de  Majorien.  Cf.  Bury,  History  of  the  iater 
Roman  empire^  I,  240. 

2.  Procope,  BelL  Vand.,  p.  335-340;  Bury,/.  c,  I,  p.  244-246. 

3.  Bell.  Vand,,  p.  343-344. 

4.  /rf.,  p.  346,  350. 

5.  Id.f  p.  350-351;   Dahn,  Lne  Kônige  der  Germanen,  I,  p.  166. 

6.  Cod,  Ju8t.^  I,  27,  2,  praef,  :  Imperii  jura  suscepimos.  Cf.  Procope,  BelU 
Vand,,  p.  387. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  5 

Emperenr  romain,  il  voulait  faire  rentrer  au  sein  de  Tunité 
romaine  ces  provinces  depuis  tant  d'années  captives  des  bar- 
bares; prince  catholique,  il  souffrait  impatiemment  de  voiries 
chrétiens  orthodoxes  soumis  aux  héréliques  ariens,  «  persécu- 
teurs des  corps  et  des  âmes  »^  et  de  même  qu'au  dedans  il 
revendiquait  pour  la  couronne  tout  lepouvoitqnela  lex  Regia 
avait  conféré  jadis  aux  anciens  empereurs',  ainsi  il  prétendait 
au  dehors  dominer,  comme  autrefois  le  peuple  romain,  sur 
toutes  les  nations  humaines*.  Confiant  au  reste  dans  la  pro- 
tection divine,  se  considérant  tout  ensemble  comme  le  restau- 
rateur des  droits  de  l'empire  et  le  champion  de  Dieu^,  il 
n'attendait  qu^un  prétexte  pour  traduire  en  acte  ses  rêves 
ambitieux  :  et  parmi  tant  de  nations  barbares  dont  il  préparait 
la  perte,  ses  regards  se  tournaient  naturellement  vers  l'Afri- 
que, où  à  tant  d'autres  torts  les  Vandales  ajoutaient  cette 
injure,  insupportable  pour  Torgueil  de  Justinien,  de  conserver 
comme  un  trophée,  au  trésor  de  Carlhage,  les  ornements 
impériaux,  symbole  de  l'autorité  suprême,  jadis  ramassés 
dans  le  pillage  de  Rome  par  la  main  de  Genséric^ 

Pour  tenter  de  reconquérir  l'Afrique,  il  ne  manquait  donc 
que  l'occasion  :  l'usurpation  de  Gélimer  se  chargea  de  la  four- 
nir. On  sait  comment  les  maladresses  d'Hildéric  provoquèrent 
dans  le  royaume  vandale  une  révolution  intérieure  (531  )  ;  lassés 
de  la  faiblesse  d'un  roi  ennemi  des  batailles,  et  dont  les  trou- 
pes venaient  d'être  honteusement  défaites  par  les  indigènes  de 
la  Byzacène,  mécontents  de  la  tolérance  libéralement  accordée 
aux  Africains  catholiques,  inquiets  surtout  de  la  politique  d'un 
prince  qui,  rompant  brusquement  l'alliance  ostrogothique,  se 
jetait  aveuglément  aux  bras  de  l'empereur;  travaillés  d'ailleurs 
par  les  instigations  perfides  d'un  rival  ambitieux,  les  guerriers 
vandales  renversèrent  le  souverain  légitime  et  proclamèrent  à 

1.  Cod,Ju.H.,  I,  27,  1,  i. 

2.  De  concept.  Digestorum,  7. 

3.  De  Cod.  JusL  confirmandoj  1 . 

4.  De  concept.  Dige3torum,\,2. 

5.  Cod.  Just.y  1,21,  1,7. 


6  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

sa  place  un  autre  descendant  de  Genséric,  Gélimer*.  Tout 
aussitôt,  la  diplomatie  byzantine  entra  en  campagne,  récla- 
mant d*abord  le  rétablissement,  puis  tont  au  moins  la  mise  en 
liberté  du  roi  déchu  ;  et  en  véritable  suzerain  intervenant  pour 
trancher  les  débats  de  ses  vassaux,  Justinien  exigea  qu'on 
remit  entre  ses  mains  Hildéric  et  ses  fidèles":  c 'était  Thabi- 
tuelle  politique  des  empereurs  d'Orient  d'accueillir  à  Constan- 
tinople  tous  les  prétendants  aux  royautés  barbares,  afin  de  se 
ménager,  en  soutenant  leurs  querelles,  un  perpétuel  prétexte 
d'intrigues  et  de  revendications. 

Aussi  bien  de  l'Afrique  tout  entière,  on  regardait  vers  By- 
zance  :  les  partisans  du  roi  vaincu  intriguaient  à  Constanti- 
nople,  sollicitant  l'empereur  de  prendre  en  mains  la  cause  du 
vassal  dévoué  qui  comptait  sur  son  amitié'  ;  la  colonie  des 
marchands  orientaux,  fort  nombreuse  à  Carthage,  suppliait 
Justinien  d'intervenir  par  les  armes*  ;  l'aristocratie  catholique 
et  romaine,  que  la  faveur  du  roi  déchu  compromettait  auprès 
du  nouveau  prince  ^  souhaitait  ardemment  les  secours  de  Tem' 
pire;  et  peut-être  Hildéric  lui-même  et  les  parents  qui  parta- 
gaient  son  sort  songeaient-ils  à  chercher  un  refuge  à  Byzance", 
tant  le  nom  de  l'empire  romain  avait  gardé  de  gloire  et  de 
prestige  parmi  les  barbares  mêmes  qui  avaient  consommé  sa 
ruine.  Gélimer  ne  s'y  trompa  point;  il  comprit  que  les  conces- 
sions ne  feraient  que  retarder  de  quelques  mois  le  conflit  iné- 
vitable :  et  refusant  toute  satisfaction,  il  répondit  aux  deman- 
des de  l'empereur  par  des  confiscations,  des  exécutions,  et 
un  redoublement  de  rigueurs  contre  ses  adversaires  vaincus'. 
La  lutte  était  ouverte  :  Justinien  se  décida  à  porter  la  guerre 
en  Afrique. 


1.  Procope,  Bell.  Vand.,  p.  350-351. 

2.  Id,,  p.  351-352. 

3.  Id,,  p.  431,  352. 

4.  Id,,  p.  392. 

5.  !d,,  p.  3S3;  Victor  Tonnennenflis,  auQ.531  (éd.  MommseD,  p.  198). 

6.  BeU.  Vand.,  p.  351-332. 

1.  Id.,  p.  351-352;  Vict.  Todd.,  anu.  333  (p.  198). 


i 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  1 

Il  faut  voir  dans  Procope  Témoi,  on  pourrait  dire  la  cons- 
lernation,  que  cette  résolution  jeta  dans  le  conseil  impériaP. 
Le  souvenir  d  u  grand  désastre  de  468  était  encore  présent  à  tou- 
tes les  mémoires;  et  songeant  à  ce  qu'avait  coûté  en  argent  et 
en  hommes  cette  malheureuse  expédition,  les  ministres  des 
finances  impériales  supputaient  avec  inquiétude  les  dépenses 
qu'exigerait  la  campagne  nouvelle.  Les  généraux  s'eiïrayaient 
de  celte  guerre  qu'il  faudrait,  par  delà  les  mers,  loin  de  toute 
base  sérieuse  d'opérations,  conduire  contre  un  ennemi  jugé 
singulièrement  redoutable  ;  et,  résumant  les  anxiétés  de  tous, 
le  préfet  du  prétoire  Jean  de  Gappadoce  énumérait,  grossis- 
sait à  plaisir'  tous  les  dangers  de  cette  expédition  lointaine  : 
la  victoire  incertaine,  la  défaite  sûrement  désastreuse,  le  pro- 
fit nul  en  cas  de  succès,  puisque  l'Afrique  conquise  serait  im- 
possible à  conserver,  les  périls  formidables  en  cas  de  revers, 
puisque  la  rupture  avec  les  Vandales  attirerait  sur  l'empire  les 
ravages  tant  redoutés  des  corsaires  africains.  Ajoutez  que  la 
guerre  avec  les  Perses,  terminée  depuis  quelques  mois  à 
peine,  avait  presque  épuisé  le  trésor  impérial,  que  les  soldats, 
à  peine  revenus  d'une  pénible  campagne,  semblaient  mal  dis- 
posés à  aller,  sans  un  moment  de  répit,  combattre  à  l'autre 
bout  du  monde^  inquiets  surtout  à  la  pensée  des  batailles  na- 
vales qu'il  faudrait  livrer  sans  doute  avant  de  débarquer^.  Et 
devant  tant  d'oppositions  conjurées,  Justinien  lui-même  se 
prenait  à  douter  du  succès  de  l'entreprise.  Pourtant  les  motifs 
religieux  finirent  par  triompher  des  raisons  politiques.  II  y 
avait  à  ce  moment  à  Constantinople  un  grand  nombre  de  pros- 
crits africains  victimes  des  persécutions  vandales,  une  multi- 
tude d'évêques  martyrisés  pour  leur  foi,  qui  tous  réclamaient 
vengeance^  :  autour  d'eux,  toute  la  chrétienté  orthodoxe  sup- 

1.  Bell.  Vand.,  p.  353-356. 

2.  Ainsi  Torateur  affirmait  qu'il  faudrait  une  année  pour  recevoir  à  Cons- 
tantinople  des  nouvelles  d'Afrïque  (Bell,  Vand.,  p.  355). 

3.  Bell.  Vand,,  p.  354. 

4.  /d.,  p.  345;  Cod,  Juêt.,  1,  27, 1, 4,  où  l'on  observe  un  accord  remarquable 
avec  les  récits  de  Procope;  Vict.  Tonn.,  ann.  534  (p.  i98). 


8  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

pliait  Tempereur  de  faire  expier  aux  ariens  les  supplices  des 
serviteurs  du  Christ*.  Ces  fougueuses  instances,  les  mystiques 
promesses  de  victoire  apportées  au  nom  de  Dieu  même,  les 
miracles  dont  la  personne  des  martyrs  semblait  être  Tobjet*, 
étaient  bien  faits  pour  émouvoir  un  souverain  byzantin,  tou- 
jours prêt  à  croire  que  la  protection  divine  suffit  à  sauver  les 
causes  les  plus  désespérées.  Sansdoute^  les  informations  pré- 
cises que  les  évèques  d'Afrique  fournirent  sur  les  dispositions 
des  populations  africaines,  les  espérances  que  donnèrent  les 
fugitifs  échappés  du  royaume,  et  surtout  Tardent  désir  que  Jus- 
tinien  avait  formé  d'intervenir  ne  furent  pas  étrangers  non 
plus  à  la  décision  suprême  :  mais,  à  coup  sûr,  lorsque  l'empe- 
reur se  résolut  à  ordonner  les  préparatifs,  on  peut  assurer  que 
le  prince  avait  pleinement  raison  contre  ses  conseillers. 


II 


Les  circonstances  en  effet  étaient  singulièrement  favorables. 
Le  royaume  vandale  était  bien  déchu  depuis  les  temps  glo- 
rieux de  Genséric.  A  aucun  moment,  la  population  germanique 
cantonnée  dans  l'Afrique  du  Nord  ne  paraît  avoir  été  fort  con- 
sidérable ;  mais  au  commencement  du  vi^'  siècle,  le  nombre 
des  conquérants  semble  avoir  encore  diminué.  Sans  discuter 
ici  les  chiffres  donnés  par  Procope  et  dont  quelques-uns  sont^ 
visiblement  empreints  d'exagération*,  on  admettra  aisément, 
à  voir  l'importance  qu'attache  Gélimer  à  un  contingent  de 
5,000  hommes,  et  l'impossibilité  où  il  se  trouve  de  réprimer  à 
la  fois  le  soulèvement  de  la  Sardaigne  et  celui  de  la  Tripoli- 

i.  Bell.  Vand.,  p.   356. 

2.  W.,  p.  345.  Cf.  Cod,  Just,,  I,  27,  1,  4,  où  les  mâmes  miracles  sont  rap- 
portés. 

3.  Procope,  BelL  Vand,,  p.  334,  dit  80,000;  à  la  p.  418,  150,000;  dans  VEis- 
toire  secrète  (éd.  Bonn,  t.  111,  p.  106)  80,000  tués.  Cf.  Texceilente  discussion  de 
PDuffk-Harltung,  Belisar's  Vandalenkrieg  (UisL  ZeiUchrift,  t.  LXl  (1889), 
p.  10-72. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  9 

taîne,  que  Farmée  vandale  ne  devait  pas  être  fort  nombreuse, 
et  on  ne  se  trompera  guère  en  l*estimant  à  30  ou  40,000  guer- 
riers, ce  qui  représente  une  population  totale  de  200,000  per- 
sonnes à  peine  *.  Pourtant  c'eût  été  là  une  force  redoutable 
encore,  si  ces  barbares  avaient  conservé  intacles  les  qualités 
natives  qu'ils  apportaient  au  moment  de  Tinvasion;  mais  sur 
ces  Germains  sauvages  le  climat  débilitant  de  TAfrique,  la 
richesse  du  pays  conquis,  les  jouissances  trop  avidement  goû- 
tées d'une  civilisation  infiniment  raffinée  avaient  exercé  bien 
vite  une  influence  désastreuse.  «  De  toutes  les  nations  que  je 
connais,  dit  Procope,  celle  des  Vandales  est  la  plus  efféminée: 
du  jour  où  ils  ont  occupé  l'Afrique,  ils  ont  pris  l'habitude  des 
bains  journaliers  et  ont  fourni  leur  table  de  tout  ce  que  la 
terre  et  la  mer  offrent  de  plus  délicat.  Ils  se  sont  couverts  de 
bijoux  d'or  et  de  vêtements  de  soie;  ils  ont  fait  leurs  délices 
du  théâtre,  de  Thippodrome,  des  autres  plaisirs  de  même  sorte, 
et  surtout  de  la  chasse  ;  ils  se  sont  complus  aux  danseurs  et 
aux  mimes,  à  la  musique  et  aux  spectacles,  à  tout  ce  qui  peut 
charmer  les  yeux  et  les  oreilles.  Ils  habitaient  pour  la  plupart 
dans  de  magnifiques  villas,  toutes  environnées  d'arbres  et 
d'eaux  courantes;  ils  passaient  le  temps  en  grands  festins  et 
se  passionnaient  pour  les  plaisirs  de  l'amour  V  »  A  ce  régime, 
les  guerriers  vandales  avaient  perdu  bien  vite  leur  vigueur  et 
leur  courage  d'autrefois  :  on  le  verra  bien  dans  la  lutte  su- 
prême qu'ils  soutiendront  contre  l'armée  byzantine.  Enfin,  par 
surcroit  de  malheur^  dans  ce  peuple  déjà  diminué  et  affaibli, 
la  révolution  récente  avait  semé  des  divisions  profondes. 
Parmi  les  Vandales  mêmes,  Hildéric  gardait  ses  fidèles,  et 
plusieurs  d'entre  eux  aimèrent  mieux  passer  au  parti  de  l'em- 
pereur que  servir  un  prince  qu'ils  tenaient  pour  usurpateur  et 
tyran'. 

Une  autre  cause  de  faiblesse  de  la  domination  vandale  se 

i.  Pflugk-Harttung,  /.  c,  p.  72. 

2.  Procope,  Bell.   Vand.,  p.   434^435.  Cf.  Anthologie,  Ep.  Vï,  59;  UI,   33- 
37.  Luxorias,  AntiioL,  p.  591,  588. 

3.  BeU.  Vand.y  p.  357. 


!0  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

trouvait  dans  les  sentiments  qu'elle  inspirait  à  ses  sujets  afri- 
cains. Depuis  la  conquête,  la  population  catholique  avait  cruel- 
lement souffert  dans  ses  intérêts  et  dans  sa  foi,  et  la  répulsion 
naturelle  que  lui  inspirait  le  vainqueur  arien  s'était  accrue  de 
toute  la  rigueur  des  spoliations  et  des  persécutions'.  Le  règne 
de  Hunéric  (477-484)  avait  été  particulièrement  cruel  pour 
rÉglise*,  et  Tenipereur  Justinien  énumère  avec  une  secrète 
complaisance  les  vexations  et  les  supplices  de  toute  sorte,  les 
évêques  martyrisés,  les  églises  souillées,  les  orthodoxes  mal- 
traités, torturés  ou  proscrits*,  toutes  les  misères  qui  justi- 
fiaient rintervention  byzantine  et  d'avance  lui  assuraient  l'ap- 
pui des  populations.  Sans  doute  ravènément  d'Hildéric  avait 
rendu  aux  catholiques  quelque  tranquillité ^  mais  sa  chute 
les  livrait  de  nouveau  à  la  discrétion  des  ariens,  et  les  rigueurs 
qui,  dès  le  début  du  règne  de  Gélimer,  avaient  frappé  les  chefs 
de  la  noblesse  africaine  étaient  bien  faites  pour  inquiéter  les 
hautes  classes  de  la  société  catholique ^  Si  Ton  songe  en  ou- 
tre que  la  tolérance  du  dernier  règne  avait  permis  aux  évê- 
ques de  reconstituer  en  quelque  manière  les  cadres  de  TÉglise 
catholique*,  on  jugera  que  leur  appui  assuré  à  Byzance  n'était 
point  une  quantité  négligeable,  et  que,  sous  leur  influence,  les 
populations  prirent  à  Tégard  des  soldats  de  Bélisaire  une  atti- 
tude tout  autre  qu'indifférente  \  Dès  la  nouvelle  de  l'expédition 
projetée  par  Justinien,  la  Tripolitaine  se  souleva  à  la  voix 
d'un  des  chefs  de  l'aristocratie  locale,  et  se  donna  à  l'empe- 
reur, sans  que  Gélimer  pût  rien  tenter  pour  réprimer  la  ré- 
volte •.  Dans  le  reste  du  pays  une  sourde  agitation  régnait  :  on 

1.  Sur  l'ardeur  du  catholicisme  des  popalations  aAricaines,  cf.  un  texte 
curieux  de  la  Vita  Fulgeniii,  c.  56  et  57  (Migne.  Pair.  laL,  LXV,  p.  145-146). 

2.  Bell,  Vand.,  p.  344-346.  Cf.  Victor  Vitensis,  passim;  Dahn,  l,  c,  250-259. 

3.  Cod.  JusL,  I,  27,  1,  2-5.  Cf.  Bail,   Kanrf.,p.  347-348. 

4.  Vict.  ToDD.,  auD.  523  (p.  197). 

5   Vict.  Tonn.,  ann.  531,  533  (p.  198). 

6.  Cf.  les  Actes  du  concile  de  525(Labbe»  Saa-osancta  Concilia,  éd.  de  Paris, 
1671,  t.  IV). 
*    7.  Pflugk-Harttung,  p.  73-74. 

8.  Bell.  Vand.,  p.  357,361. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  11 

se  contait,  sous  le  manteau,  des  prophéties  et  des  visions  mys- 
térieuses, annonçant  que  les  temps  étaient  proches  oti  les 
grands  saints  de  TÉglise  africaine  viendraient  eux-mêmes  punir 
les  insultes  faites  à  leurs  sanctuaires;  et  tous^  dit  Procope, 
attendaient  impatiemment  Taccomplissemenl  de  la  vengeance 
promise*. 

A  côté  des  provinciaux,  nettement  ou  sourdement  hostiles, 
l'atlitude  des  tribus  berbères  n^était  pas  moins  inquiétante 
pour  la  domination  vandale.  Tenues  d*abord  en  respect  par  la 
forte  main  de  Genséric,  et  associées  par  lui  à  ses  expéditions 
militaires*,  elles  n'avaient  pas  tardé  à  s'affranchir  de  Tau tori té 
de  ses  successeurs.  Dès  le  règne  de  Hunéric,  les  montagnards 
de  TAurès  se  proclamaient  indépendants,  sans  que  les  Van- 
dales pussent  réussir  à  les  faire  rentrer  dans  le  devoir'  ;  peu 
après  les  indigènes  du  Hodna  et  des  Ziban,  les  grands  chefs 
des  Maurélanies  suivaient  cet  exemple,  rattachés  tout  au  plus 
au  royaume  vandale  par  un  lien  de  vassalité*.  Bientôt,  enhar- 
dis par  rimpunité  de  leur  révolte,  on  vit  les  tribus  maures 
descendre  dans  la  plaine,  et  franchissant  la  ligne  abandonnée 
des  forteresses  romaines^  jadis  chargées  de  les  contenir,  ra- 
vager cruellement  les  hauts  plateaux  de  la  Numidie,  sans 
que  Hunéric  put  rien  faire  pour  empêcher  leurs  désastreuses 
razzias^.  Sous  le  règne  de  Transamond  (496-522),  les  tribus 
de  la  Tripolitaine',  sous  le  règne  de  Hildéric,  celles  de  la 
Byzacène^,  révoltées  à  leur  tour,  mirent  deux  fois  en  pleine 
déroute  les  troupes  royales  qui  leur  furent  opposées.  Contre 
l'invasion  byzantine,  Gélimer  ne  pouvait  donc  guère  compter 
sur  leur  concours;  dans  une  neutralité  peu  sûre,  les  Maures 

1.  Bell.  Vand.,  p.  397-398. 

2.  Id.,  p.  334,  344. 
3   Id,,  p.  345. 

4.  W.,  p.  451.  Cf.  C.  /.  /..,  VIIÏ,  9286,  où  il  est  question,  à  la  date  de  495,  d'un 
bellum  Maurorum  dans  la  Maurétanie  Césarienne. 

5.  BelL  Vand.y  p.   466,   344;  Corippus,  Johannide  (éd.  Partsch),  III,  184- 
197,  267-276. 

6.  Id.,  p.  345-346. 

7.  !d.,  p.  349. 


12  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

surveilleraient  les  événements,  prêts  à  se  ranger  sans  scrupule 
du  côté  du  vainqueur. 

Cependant,  et  malgré  les  défaites  répétées  que  lui  avaient 
infligées  les  in(figënes,  la  puissance  vandale,  quoique  affaiblie 
par  ces  échecs,  passait  pour  singulièrement  redoutable.  Mais 
en  fait,  ni  l'armée,  ni  la  flotte  de  Gélimer  n'étaient  capables 
de  justifier  les  inquiétudes  qu'elles  inspiraient  aux  Byzantins. 
Les  troupes  de  terre  se  composaient  exclusivement  de  cava- 
lerie *  ;  et  cette  cavalerie  était  bien  peu  faite  pour  soutenir  le 
choc  des  lourds  escadrons  de  Bélisaire.  Sans  doute,  par  son 
extrême  mobilité,  par  la  fougue  impétueuse  de  ses  attaques, 
elle  aurait  pu,  comme  les  légers  cavaliers  arabes,  mettre  par- 
fois en  péril  les  bataillons  byzantins  :  l'insuffisance  de  son 
armement  lui  ôtait  en  grande  partie  cet  avantage.  Les  Van- 
dales en  effet  ne  portaient  ni  Tare  ni  le  javelot,  ou  du  moins 
ils  se  servaient  de  ces  armes  de  jet  d'une  façon  plus  que  mé- 
diocre; incapables  en  conséquence  de  harceler  Tennemi  à  dis- 
tance, habitués  à  combattre  seulement  avec  la  lance  et  avec 
Tépée,  ils  étaient  obligés  de  rechercher  le  combat  corps  à 
corps,  et  dans  cette  mêlée,  leur  infériorité  apparaissait  trop 
certaine^  En  face  d'eux,  ils  trouvaient  une  cavalerie  pesam- 
ment armée,  couverte  de  cuirasses  et  de  boucliers  d'acier,  sur 
lesquels  s'émoussait  le  tranchant  des  épées  vandales;  malgré 
tout  leur  courage,  ils  ne  pouvaient,  mal  armés  qu*ils  étaient 
pour  la  défense,  soutenir  longtemps  le  choc  massif  des  cata- 
phraclaires  byzantins;  ainsi,  brisés  dans  leur  élan,  s*ils  pre- 
naient l'offensive,  par  les  flèches  dont  les  harcelaient  les 
archers  montés  de  Bélisaire,  incapables  d'enfoncer  par  la  fou- 
gue de  leurs  charges  les  solides  escadrons  de  Justinien,  ils  se 
trouvaient  trop  souvent  réduits  à  une  attitude  défensive  qui 
leur  enlevait  le  meilleur  de  leurs  avantages.  Pour  compenser 
ces  faiblesses  et  tirer  quelque  parti  de  ces  brillants  cavaliers, 
il  eût  fallu  du  moins  une  stricte  et  rigoureuse  discipline  :  elle 

1.  Bell.  Vand  ,  p.  348-349. 

2.  Id.,  p.  348-349.  Cf.  Pflugk-Hartlung,  p.  75-76. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  13 

manquait  absolument  dans  Tarmée  vandale.  Il  suffit^  pour  s'en 
convaincre,  de  voir  comment  s'engagea  la  bataille  de  Deci- 
mum.  Le  capitaine  chargé  d'attaquer  Tavant-garde  byzantine 
ne  prend  nul  souci  des  ordres  reçus,  qui  lui  prescrivent  de 
concerter  ses  mouvemeuts  avec  ceux  des  troupes  royales,  il  ne 
s'inquiète  pas  davantage  de  tenir  en  main  les  cavaliers  dont  il 
dispose;  et  en  vrai  barbare,  friand  des  grands  coups  d'épée, 
il  se  jette  avec  quelques  hommes  sur  les  soldats  de  Bélisaire, 
pendant  que  le  reste  de  son  monde  s'égrène  sur  la  route  de 
Carthage,  chevauchant,  comme  en  promenade,  par  petits 
groupes  de  vingt  ou  trente  individus*.  Un  peu  plus  tard,  en 
face  même  du  gros  des  forces  byzantines^  les  troupes  de  Géli- 
mer  abandonnent  leur  ordre  de  bataille*,  et  il  en  va  ainsi  du- 
rant toute  la  campagne^  sans  qu'on  puisse  jamais,  même  à  la 
journée  suprême  de  Tricamarum,  obtenir  de  ses  chefs  ou  des 
soldats  autre  chose  qu'une  valeur  brillante  et  désordonnée. 

Quant  à  la  marine  vandale^  qui  jadis  avait  rempli  do  terreur 
la  Méditerranée,  dont  l'attaque  éventuelle  préoccupait  si  fort 
Bélisaire  et  remplissait  d'une  inquiétude  folle  les  soldats 
byzantins,  elle  ne  parait  avoir  joué  aucun  rôle  dans  la  lutte. 
Elle  n'apparut  ni  pour  couvrir  les  côtes  d'Afrique  et  empêcher 
le  débarquement,  ni  pour  défendre  les  approches  de  Carlhage. 
Sans  doute,  il  faut  remarquer  que  cent  vingt  vaisseaux  venaient 
d'être  détachés  pour  l'expédition  deSardaigne',  mais  si  c'était 
là  toute  la  flotte  vandale,  elle  aussi  était  bien  déchue  depuis  le 
temps  de  Genséric.  Et  en  fait,  on  ne  voit  point  que  Gélimer 
disposât  d'autres  navires*;  et  d'ailleurs,  même  après  le  retour 
de  l'escadre  de  Sardaigne,  il  ne  semble  en  avoir  tiré  nul  parti. 
Certes,  le  souvenir  des  victoires  navales  de  Genséric  hantait 
bien  mal  à  propos  l'esprit  des  conseillers  de  Justinien;  pour 
rendre  possible  le  retour  de  tels  désastres,  il  eût  fallu  au 
royaume  vandale  d'Afrique  d'autres  ressources  que  les  sien- 

1.  Bell.  Vand.y  p.  385. 

2.  74., p.  391. 

3.  /d.,  p.  361. 

4.  Id.y  p.  408  iTtoLTii  Tû  axSltù,  Cf.  Pflugk-Harttung,  /.  c,  p.  82-83. 


14  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

nés,  et  surtout  d'autres  hommes  que  ceux  qui  guidaient  ses 
destinées. 

Il  est  incontestable  en  effet  que  le  caractère  de  Gélimer, 
son  étrange  imprévoyance,  sa  rare  indécision,  contribuèrent 
singulièrement  à  l'heureux  succès  de  Texpédition  byzantine. 
Le  roi  barbare  se  laissa  pleinement  surprendre  par  le  débar- 
quement de  Bélisaîre,  et  cela  lorsqu*il  avait — on  l'a  démontré 
péremploirement  '  —  toutes  raisons  d'attendre  la  prochaine 
ouverture  des  hostilités.  Malgré  cela,  il  ne  prit  nulle  mesure, 
Di  pour  couvrira  l'aide  de  la  flotte  les  approches  de  l'Afrique, 
ni  pour  mettre  Garthage,  sa  capitale,  en  état  de  défense,  ni 
pour  protéger  à  l'aide  de  Tarmée  de  terre  la  côte  contre  un 
débarquement  :  il  comptait  que  bien  des  mois  passeraient 
encore  avant  l'arrivée  de  l'expédition  byzantine';  et  en  atten- 
dant, sa  belle  insouciance  laissait  aller  les  choses  au  hasard. 
A  la  veille  même  d'une  lutte  redoutable,  il  envoyait  en  Sar- 
daigne  5,000  hommes,  l'élite  de  ses  soldats,  et  cent  vingt  vais- 
seau3£,  toute  sa  flotte;  à  l'autre  bout  du  royaume,  il  laissait  les 
impériaux  prendre  pied  en  Tripolitaine,  et  d'avance,  jugeant  la 
partie  perdue,  s'inquiétait  peu  de  tenter  la  reprise  de  cette  pro- 
vince lointaine';  et,  tranquille  sur  l'avenir,  il  quittait  Car- 
Ihag^e  et  la  mer  pour  s'en  aller  passer  la  saison  chaude  dans  la 
viilo  d'Hermiane  en  Byzacène*,  à  quatre  jours  de  la  côte, 
loin  de  toute  nouvelle.  Le  débarquement  inattendu  de  Béli- 
sairc  réveilla  brusquement  Gélimer;  on  verra  plus  tard  qu'il 
ne  sut  pas  mieux  réparer  les  événements  qu'il  n'avait  su  les 
prévenir. 

En  lin  la  diplomatie  byzantine  avait  gagné  à  sa  cause  une 
alliance  aussi  précieuse  qu'imprévue  :  c'était  celle  d'Amala- 


\,  PÛugk.HarttuDg,  p.  80-82. 

2.  Procope,  Bell.  Vand.y  p.  371.  Il  faut  noter  la  valeur  du  terme  :  cv  toutu 

"3//^.," p.  361. 

4.  Procope,  Bell.  Vand.,  p.  311,  383,  dit  Mermiooe.  C'est  très  probablement 
Hermiane,  patrie  de  Facundus.  Dans  les  listes  épiscopales  on  trouve  Vepi- 
Mcopus  Uermianensis, 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  15 

sonthe  qui  gouvernait  au  nom  de  son  fils  Athalaric  le  royaume 
ostrogoth  d'Italie.  La  mort  du  roi  vandale  Transamond,  sui- 
vie bientôt  de  l'emprisonnement  de  sa  veuve  Amalafride, 
fille  du  grand  Théodoric,  et  du  massacre  des  Gotbs  qui  rac- 
compagnaient',  avaient  rompu  les  relations  amicales  jadis 
formées  entre  les  deux  grands  royaumes  germaniques  d'Occi- 
dent; depuis  lors,  la  mort  violente  d'Amalafride,  demeurée 
sans  vengeance,  avait  exaspéré  encore  les  ressentiments  du 
gouvernement  ostrogothique*  ;  il  fut  donc  tout  disposé  à  favo- 
riser l'expédition  byzantine  dirigée  contre  les  Vandales.  Les 
ports  de  la  Sicile  accueillirent  la  flotte  de  Justinien  ;  l'armée 
put  y  faire  des  vivres  et  y  acheter  en  abondance  les  chevaux 
nécessaires  à  la  cavalerie  ;  le  général  y  recueillit  des  informa- 
tions précieuses  sur  Tétat  du  pays  où  il  allait  combattre,  et  ce 
n'est  point  tout  à  fait  sans  raison  qu'Âmalasonthe,  quelques 
années  plus  tard,  s'attribuait  quelque  part  dans  le  succès  des 
Byzantins'.  Si  l'on  tient  compte  enfin  des  diversions  heureu- 
ses qui  avaient  permis  l'occupation  de  la  Tripolitaine  et  le 
soulèvement  de  la  Sardaigne%  on  avouera  que  jamais  les  cir- 
constances n'auraient  pu  se  rencontrer  plus  favorables. 


III 


Cependant  ce  fut  un  jour  solennel,  lorsque  le  22  juin  de 
l'année  533  l'expédition  mit  à  la  voile  pour  quitter  Constanti- 
nople.  L'empereur  lui-même,  des  fenêtres  du  palais,  présidait 
à  la  cérémonie;  le  patriarche  de  Byzance,  environné  de  son 
clergé,  était  descendu  sur  le  port  pour  appeler  la  bénédiction 
céleste  sur  les  combattants  de  la  pieuse  entreprise,  et  bénir  le 
chef  et  les  soldats  qui  partaient  pour  cette  sorte  de  croisade  ^ 

1.  Bell.  Vand.,  p.  349-350;  Vict.  Tonn.,  ann.  523 (p.  196-197). 

2.  Cassiodore,  Var.,  IX,  1. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  370,  371-372;  Bell.Goth.,  éd.  Bonn,  t.  II,  p.  19  20. 
S.  Bell.  Vand.,  p.  357-338. 

5.  /cf.,  p.  362. 


fti  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Anxieusement,  la  superstitieuse  population  de  la  capitale 
rointuontait  les  menus  incidents  qui  accompagnaient  le  départ 
vl  LHi  tirait  des  présages  sur  le  succès  futur  de  la  campagne.  Il 
faut  avouer  que,  malgré  la  pompe  déployée,  l'opinion  publi- 
i|uo  II  était  point  exempte  d'inquiétudes:  beaucoup  d'entre  les 
assistants  craignaient  que,  de  cette  flotte  magnifique,  per- 
sonui^  ne  revint  jamais  d'Afrique  à  Byzance*,  et  ceux  qui  par- 
taient n'étaient  guère  moins  terrifiés.  Si  quelques-uns  d'entre 
eux,  ot  parmi  les  plus  éclairés,  se  rassuraient  à  la  pensée  de 
qui'l^]ue  songe  favorablement  interprété',  la  masse  des  soldats 
sépouvanlait  de  ce  long  voyage  vers  une  terre  lointaine,  et 
beaucoup  déclaraient  tout  net  que,  si  la  flotte  vandale  atta- 
quait l'escadre  byzantine,  ils  ne  résisteraient  point,  incapables 
tic  combattre  à  la  fois  Tennemi  et  la  mer».  Pourtant  c'était 
uui'  iML'lle  armée  que  Justinien  embarquait  pour  l'Afrique.  Elle 
conjpîonait  10,000  hommes  d'infanterie  et  S, 000  à  6,000 
liuiinriGS  de  cavalerie  pris  en  partie  dans  les  rangs  des  légions, 
in  f^l  us  grand  nombre  dans  les  contingents  de  fédérés  \  La  ca- 
valt't  ie  en  particulier,  qui  allait  jouer  un  si  grand  rôle  dans  les 
coral*Lits  futurs,  avait  été  composée  avec  un  soin  extrême  :  on  y 
truuvail  400  soldats  hérules,  dont  le  courage  égalait  la  disci- 
plitu'  et  la  loyauté';  600  archers  à  cheval  de  race  ^hunnique, 
troupe  légère  destinée  à  éclairer  Tarmée  *  ;  on  y  remarquait  sur- 


U  îielL  Vand.,  p.  361-362. 

1.  liLt  p.  363,  où  Procope  raconte  le  rêve  qui  le  détermina  à  suirre 
iJt^Sifaire, 

a.  ifL,  p.  370,  375. 

t.  ^i.,  p.  338.  Le  chiffre  de  5,000  cavaliers,  indiqué  à  deux  reprises  par  Pro- 
eo^ie  ([I.  358  et  441)  ne  semble  point  pourtant  comprendre  certains  auxiliaires 
biirb.irid,  qui  accompagnèrent  l'expédition.  Dans  le  dénombrement  de  l'ar- 
\i\vii  A  Afrique  (p.  339-360)  l'historien,  en  effet,  après  avoir  énuméré  les  corps 
lie  i;avalerie  formés  de  <rrp arc cuTai  et  de  lédérés,  nomme  à  part,  et  sous  d'autres 
chefï^,  «00  Hérules  et  600  archers  buns,  servant  comme  Çu(&(&axoc.  11  est  donc 
pos.-^ibltî  qu'on  doive  ajouter  ce  millier  d'hommes  aux  5,000  cavaliers  mention- 
utis  i^  liL  p.  358  comme  recrutés  ex  ts  arpatTicoT  cov  xa\  çoiSspdTcov,  et  majorer 
un  iH-a  en  conséquence  l'effectif  de  la  cavalerie  byzantine. 

îi,  UL,  p.  360,427-428. 

B,  /^/.,p.  360. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  17 

tout  un  corps  d'élite  de  l,S00à  2,000  cavaliers  cuirassésS  for- 
mant la  garde  de  Bélisaire,  et  commandé  par  des  officiers  choi- 
sis appartenant  à  l'état-major  du  général».  A  la  tête  de  ces 
vieilles  troupes  aguerries  par  les  longues  années  de  la  guerre 
perse*,  se  trouvaient  des  chefs  éprouvés,  connus  pour  leur  bra-  * 
voure  et  leur  grande  expérience  des  choses  militaires,  et  dont 
la  plupart  avaient  déjà  servi  sous  les  ordres  directs  ou  dans 
la  maison  même  de  Bélisaire*.  Enfin  le  commandement  supé- 
rieur  était  confié  au  meilleur  général  de  Tempire,  au  vain- 
queur de  Dara,  à  Bélisaire,  qui  portait  le  titre  de  magisler  mi- 
liium   per  OrierUem';  pour  adjoint  —  nous  dirions  pour  chef 
d'état-major  —il  avait  le  domestique  Solomon,dont  le  nom  se 
rencontrera  fréquemment  dans  l'histoire  de  l'Afrique  byzan- 
tine, et  autour  de  lui  se  pressait  tout  un  état-major  civil  et 
militaire,  où  Ton  doit  une  mention  particulière  au  xipe^poç 
Procope%  l'exact  et  fidèle  historien  de  la  campagne  qui  allait 
s'ouvrir.  Cinq  cents  transports,  manœuvres  par  20,000  mate- 
lots, portaient  l'armée,  et  une  escadre,  formée  de  quatre-vingt 
douze  vaisseaux  de  guerre  ou  dromons  montés  par  2,000  ra- 
meurs, convoyait  l'expédition  \ 

De  Byzance  en  Afrique,  la  navigation  fut  longue  et  pénible, 
marquée  par  d'interminables  relâches  et  par  de  fréquents  in- 
cidents, où  se  révélèrent  tout  d'abord  quelques-  uns  des  défauts 
d'administration  ou  de  discipline  dont  les  armées  d'Afrique 
devaient  tant  de  fois  souffrir*.  Non  sans  peine  on  gagna  la 
Sicile  :  c'est  ici  que  les  dangers  sérieux  commençaient.  Béli- 

1.  Sur  l'armement  de  ces  troupes  d'élite,  Strategika  de  Maurice.  L  2  d  20 
(éd.  Scheffer,  Upsal,  1664).  »    »    i  F- 

2.  Bell.  Vand,,  p.  360.  On  obtient  ainsi  le  total  probable  de  cette  troupe  :  à  la 
journée  de  Decimum,  il  y  a  300  uuaaiïtaroci  à  l'avant-garde  (iîe«.  Fond.,  p.  381), 
800  en  arrière  (£d.,  p.  389),  d'autres  avec  Bélisaire  (id.,  p.  388).  Toute  cette 
garde  est  comprise  dans  le  total  de  5,000  cavalieri  (éd.,  p.  441). 

3.  liell.  Vand.,  p.  388. 

4.  /d.,  p.  359. 

5.  Cad.  Just.,  I,  27,  2. 

6.  BtU.  Vand.,  p.  363,  370. 

7.  Id  ,  p.  360. 

8.  /d.,  p.  367-369,  364. 

î. 


in  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

saire,  en  véritable  homme  de  guerre,  ne  doutait  point  que  la 
flotte  vandale  ne  croisât  dans  le  détroit,  et  sachant  combien 
peu  il  pouvait  compter  sur  ses  troupes  dans  une  telle  conjonc- 
ture, il  appréhendait  fort  une  bataille  navale  :.il  ne  s'inquié- 
tait guère  moins  des  difficultés  du  débarquement  sur  une  côte 
inconnue,  sous  les  yeux  d'une  armée  ennemie,  dont  il  igno- 
rait la  force  et  la  tactique*  :  singulière  ignorance,  pour  le 
dire  en  passant,  chez  un  général  qui  comptait  parmi  ses  offi- 
ciers des  hommes  qui  avaient  vécu  à  Carthage  et  à  la  cour 
dvs  l'ois  vandales*.  La  chance,  qui  tient  une  si  grande  place 
dans  celte  campagne  d'Afrique,  vint  fort  heureusement  tirer 
Bélisaire  d'embarras;  un  hasard  lui  apprit  que  le  passage 
était  libre,  que  l'imprévoyance  de  Gélimer  rendait  le  débar- 
quement facile  :  sans  tarder,  la  flotte  mit  à  la  voile,  et,  passant 
au  large  de  Malle,  elle  vint,  deux  jours  après,  mouiller  sur 
la  eùte  d'Afrique,  en  face  du  promontoire  désert  de  Caput 
Vada(auj.  Ras  Kaboudia)'.  Il  y  avait  trois  mois  que  Texpé- 
tion  avait  quitté  Constantinople  (mi-sept.  333)*. 

Ci  était  assurément  un  succès  d'avoir  atteint  sans  coup  férir 
les  rivages  du  royaume  vandale;  mais  sur  cette  plage  isolée 
où  le  hasard,  plus  que  le  choix,  avait  conduit  la  flotte  byzantine, 
on  so  trouvait  singulièrement  éloigné  du  but  essentiel  de  l'ex- 
pédilion,  plus  de  200  kilomètres  —  neuf  jours  de  route  —  sé- 
paraient Caput  Vada  de  Carthage*.  Aussi  la  plupart  des  géné- 
raux proposaient  de  reprendre  la  mer,  et  au  lieu  de  débarquer 
Tannée  sur  une  côte  inhospitalière,  où  aucune  place  forte  ne 
fournissait  un  soutien  aux  premières  opérations  de  guerre, 
où  les  vivres  semblaient  rares,  oùTeau  manquait  absolument, 
ils  conseillaient  d'aller  mouiller  dans  le  lac  de  Tunis  pour 
attaquer  directement  la  capitale  :  les  amiraux,  peu  soucieux 

USelL  ran(i.,p.  309-370. 

2.  îd,  p.  431. 

3,  IfL,  p.  372. 
\.  îiL,  p.  377. 

'i.  l*rocope,  Bell.  Vand.^  p.  372,   dit  cioq  jours    et,  p.   374,  uciif.  Les  itiné- 
raifâidonaeiiteavirou  l7omilleà(Tissot,^ieo.7r.  lic  l'Afrique  romaine,  II,  lOSsq.) 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  19 

d'exposer  longtemps  leur  flotte  sur  une  côte  dangereuse,  ou- 
verte à  tous  les  vents  et  dépourvue  d'abris,  opinaient  dans  le 
même  sens,  insistant  sur  le  danger  de  séparer  Tarmée  de  terre 
de  l'escadre  ^  Bélisaire  comprit  mieux  les  nécessités  de  la 
situation;  redoutant  toujours  Tapparition  de  la  flotte  vandale 
et  les  dangers  d'une  bataille  navale,  il  refusa  de  perdre  le  bé- 
néfice déjà  acquis  d*un  débarquement  sans  péril  :  d'ailleurs 
plus  sûr  de  ses  soldats  et  peut-être  de  lui-même  dans  une 
campagne  continentale,  il  comptait  en  outre  sur  le  désarroi 
où  l'arrivée  imprévue  des  Byzantins  jetterait  la  défense,  et 
sur  l'appui  que  lui  fourniraient  les  populations  africaines.  On 
se  rendit  aux  raisons  du  général  en  chef,  et  bientôt  les  événe- 
ments se  chargèrent  de  les  justifier. 

Aux  populations  romaines  d'Afrique,  Bélisaire  se  présenta 
comme  un  libérateur  :  dans  ses  proclamations,  il  déclara  hau- 
tement que  la  guerre  n'avait  d'autre  objet  que  Taffranchisse- 
ment  du  pays,  que  l'empereur  n'avait  pris  les  armes  que  pour 
délivrer  ses  fidèles  sujets,  opprimés  et  persécutés  par  les  Van- 
dales". Pour  se  concilier  plus  efficacement  encore  la  bienveil- 
lance des  habitants,  il  veilla  à  maintenir  dans  son  armée  la 
plus  stricte  discipline:  non  seulement  toute  violence  à  l'égard 
des  personnes  fut  sévèrement  interdite,  tout  pillage  des  pro- 
priétés privées  rigoureusement  défendu,  mais  la  maraude 
même,  si  fréquente  dans  les  guerres  africaines,  fut  punie  des 
peines  les  plus  dures  :  le  soldat  dut  payer  scrupuleusement 
toutes  les  fournitures  que  lui  firent  les  indigènes  *.  Une  si  rare 
modération  porta  bien  vite  ses  fruits.  Les  hautes  classes  de 
la  société  et  en  particulier  le  clergé  catholique  étaient  d'avance 
acquis  au  parti  byzantin  ^  :  la  masse,  agréablement  surprise 
par  la  douceur  des  procédés  de  l'armée  envahissante,  suivit 
sans  se  faire  prier  l'exemple  que  lui  donnaient  ses  chefs  spi- 

1.  Bell.  Vand.,  p.  373-375. 

2.  W.,  p.  380,  394. 

3.  W.,  p.  378-379,  382,  394.  Cf.  BelL  Goth.,  p.  281-282. 

4.  Vict.  Tonn.,  aua.  533  (p.  198);  Bell,  f7znrf.,p.  383.  On  le  voit  bien  àSuUec- 
um,  où  c'est  le  clergé  et  l'aristocratie  locale  qui  font  accueil  aux  Byzantins. 


20  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

rituels.  Aussi  la  marche  entre  Caput  Vada  et  Carthage  fut-elle 
la  plus  aisée  des  promenades  militaires.  «  Bélisaire,  dit  Pro- 
cope,  s'était  si  fort  concilié  les  Africains  par  sa  douceur  et  son 
honnêteté  qu'il  semblait,  durant  toute  la  route,  qu'on  marchât 
en  pays  ami;  les  habitants  ne  s'enfuyaient  point  à  l'approche 
des  troupes,  ils  ne  cachaient  point  ce  qu'ils  possédaient;  au 
contraire^  ils  apportaient  des  vivres  et  fournissaient  à  discré- 
tion aux  soldats  tout  ce  qu'ils  souhaitaient'.  »  Sans  doute  ces 
bonnes  dispositions  n'allaient  point  jusqu'à  provoquer  un  sou- 
lèvement général  en  faveur  de  Byzance;  les  Romains  d'Afri- 
que se  contentaient  d'ordinaire  d'ouvrir  les  portes  de  leurs 
villes  et  d'en  remettre  solennellement  les  clefs  à  Bélisaire, 
mais  c'était  beaucoup  déjà  d'avoir  assuré  le  ravitaillement 
des  troupes,  et  le  moindre  succès  devait  rendre  plus  efficace 
encore  la  sympathie  visible  des  populations.  En  fait,  à  mesure 
qu'on  avançait,  les  manifestations  devenaient  plus  auda- 
cieuses :  un  jour,  c'était  le  chef  du  service  des  postes  qui 
livrait  tous  ses  chevaux  au  général  byzantin,  ôtant  ainsi  à 
Gélimer  les  moyens  d'obtenir  aisément  des  informations  pré- 
cieuses*; à  l'approche  de  l'armée  byzantine,  Carlhage  s'agi- 
tait', malgré  les  nombreux  Vandales  résidant  dans  la  capitale; 
la  population  brisait,  à  la  vue  de  la  flotte  impériale^  les  chaînes 
de  fer  qui  fermaient  le  port*;  à  l'annonce  du  combat  de  Deci- 
mum,  la  grande  ville  illuminait,  et  pleine  de  joie  ouvrait  ses 
porles  à  l'armée  libératrice*.  Et  pendant  ce  temps  Gélimer, 
surpris  par  le  débarquement  inattendu  des  Byzantins,  privé 
de  l'élite  de  ses  troupes  détachée  en  Sardaigne,  éloigné  de  sa 
capitale  et  des  forces  qui  y  étaient  cantonnées,  sans  doute 
aussi  déconcerté  par  l'abandon  des  populations  romaines  et 
la  neutralité  ambiguë  des  tribus  indigènes,  ne  faisait  rien 
pour  entraver  la  marche  de  son  heureux  adversaire  :  et  au 

1.  Bell.  Vand,,  p.  382. 

2.  /d.,  p.  380. 

3.  /rf.,  p.  397-398, 

4.  ld,s  p.  a«2. 
0.  Id.y  p.  391. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  2 

lieu  d'employer  sa  brillante  et  mobile  cavalerie  à  harceler 
l'armée  byzantine,  à  entraver  ses  approvisionnements*,  à  la 
fatiguer  par  de  constantes  alertes,  sans  même  s'inquiéter  de 
faire  réparer  les  fortifications  de  sa  capitale',  il  préparait  le 
plan  d'une  grande  bataille  destinée  à  couvrir  et  à  sauver  Car- 
ihage',  et  sur  cette  carte  il  jouait  la  fortune  du  royaume  van- 
dale. 

Dans  ces  conditions  et  contre  un  tel  adversaire^  la  guerre 
ne  pouvait  être  fort  longue  :  trois  mois  suffirent  à  décider  les 
destinées  de  l'Afrique*.  Il  n'est  point  nécessaire  de  raconter 
ici  les  détails  de  cette  rapide  campagne,  et  de  résumer  à  nou- 
veau le  récit,  bien  des  fois  commenté,  de  Procope;  il  suffira 
d'en  noter  les  faits  essentiels  ou  particulièrement  significatifs. 
Bélisaire  était  encore  à  45  kilomètres  environ  de  Carlhage, 
lorsque  les  éclaireurs  vandales  prirent  le  contact  avec  l'ar- 
rière-garde  byzantine';  pendant  quatre  jours  les  deux  armées 
continuèrent  lentement  leur  marche,  s*avançant  parallèlement 
l'une  à  l'autre  vers  la  position  choisie  par  Gélimer  pour  ris- 
quer le  combat  décisif.  La  bataille  se  livra  à  Decimum,  la  veille 
de  la  fête  de  saint  Cyprien*  (13  septembre  533)  :  en  un  jour 
elle  mit  à  néant  toutes  les  savantes  combinaisons  du  roi  van- 
dale'. Au  lieu  de  l'action  commune  et  foudroyante  qui  devait 
broyer  dans  un  étau  les  soldats  de  Bélisaire,  le  combat  se  frac- 
tionna en  une  série  d'engagements  isolés,  oii  apparurent  à 
plein  les  faiblesses  de  Tarmée  vandale  et  l'incapacité  de  son 
chef:  tandis  que  l'un  des  lieutenants  de  Gélimer  s'engageait 
trop  tôt  et  sans  forces  suffisantes,  le  roi  lui-même,  réglant  mal 
sa  route,  attaquait  les  Byzantins^  de  front  au  lieu  de  tomber  à 

i.  Cf.  BtU.  Vand.y  p.  412,  où  l'on  toit  les  Vandales  craindre  de  rayager  le 
pays. 

2.  id.,  p.  391. 

3.  M.,  p.  383. 

4.  W.,  p.  423. 

5.  M.,  p,  382383. 

6.  Id.j  p.  398.  Sur  la  date,  cf.  Papencordl,  Gesch.  der  Vandale,  452,  DoltJ  1. 
1.  Sur  la  bataille,  cf.  BeH.  Vand.^p.  384-391  ;  POngk-Harlluiip,  /.  c,  84-89 

Tissot,  /.  c,  H,  115-121. 


22  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZAxNTINE  EN  AFRIQUE 

rimprovisle  sur  leurs  derrières;  par  surcroît,  Gélimer^  alors 
que  l'affaire  n'était  point  encore  totalement  compromise,  lais- 
sait passer  le  moment  de  forcer  la  victoire*,  et  parmi  ces  mou- 
vements décousus,  mal  concertés,  la  cavalerie  byzantine, 
malgré  les  imprudences  de  ses  chefs,  malgré  des  échecs  par- 
tiels, n'eut  point  de  peine  à  rompre  les  lignes  peu  solides  des 
escadrons  vandales. 

La  victoire  de  Decimum  ouvrait  la  route  de  Carthage  :  Géli- 
mer,  en  effet,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  s'était  peu  sou- 
cié de  tenir  en  état  les  fortifications  de  sa  capitale  et  n'y  pou- 
vait maintenant  trouver  un  asile;  incapable  d'ailleurs,  avec  ses 
cavaliers  en  déroute,  d'Opposer  derrière  des  murs  à  demi  rui- 
nés une  sérieuse  résistance,  il  s'était,  après  la  défaite,  enfui 
par  la  route  de  Numidie*.  Bélisaire  ne  Ty  poursuivit  point  et 
marchadroit  sur  Carthage  ;  en  même  temps,  la  flotte  byzantine, 
qui  avait  doublé  le  promontoire  d'Hermès,  apparaissait  dans 
le  golfe  de  Tunis*.  Attaquée  par  terre  et  par  mer,  n'ayant 
qu'une  faible  garnison,  affolée  par  la  nouvelle  du  désastre*  et 
complètement  perdue  au  milieu  d'une  population  soulevée  en 
faveur  des  Byzantins',  la  grande  ville  ouvrit  avec  enthou- 
siasme ses  portes  au  vainqueur.  L'occupation  s'en  fit  avec  un 
ordre  et  une  discipline  remarquables  :  «  Bélisaire,  dit  Pro- 
cope,  maintint  si  bien  ses  soldats  dans  le  devoir,  qu'on  ne 
constata  aucune  menace,  aucun  acte  de  violence,  et  que  la  vie 
habiluelle  de  la  cité  poursuivit  son  cours  sans  être  troublée: 
dans  cette  ville  prise,  qui  venait  de  changer  de  régime  et  de 
maître,  les  boutiques  restèrent  ouvertes  comme  d'ordinaire, 
et  les  soldats,  achetant  au  marché  les  vivres  dont  ils  avaient 
besoin,  demeurèrent  en  absolue  tranquillité\  »  Au  nom  de 
Tempère ur,  Bélisaire  prit  possession  du  palais  de  Gélimer 

1.  Bell.  Vand.,  p.  390. 
%  Id.,  p.  391. 

3.  W.,  p.  393-394. 

4.  Id.,  p.  391. 

Tr.  W.,  p.  391-392. 
6-  R,  p.  396. 


LA  CHUTE  DV  ROYAUME  VANDALE  23 

et  s'assit  sur  le  trône  du  roi  vandale*,  et  le  soir,  il  invita  à  sa 
table  l'état-major  de  Tarmée  victorieuse.  Détail  assez  piquant, 
le  dîner  était  celui-là  même  qu'on  avait  préparé  le  jour  précé- 
dent pour  fêter  le  retour  triomphant  de  Gélimer;  à  la  veille  de 
la  bataille  suprême,  au  lieu  de  réparer  les  brèches  des  mu- 
railles de  Carlhage,  les  Vandales,  dans  leur  orgueilleuse  im- 
prévoyance, escomptaient  le  succès  et  ordonnaient  un  somp- 
tueux festin  pour  leur  roi  sûrement  vainqueur*. 

La  chute  de  la  capitale  vandale  était  un  événement  de  la 
plus  haute  importance.  Elle  donnait  à  Tarmée  byzantine  le 
point  d'appui  qui  lui  avait  manqué  jusqu'alors,  une  excellente 
base  d'opérations  pour  les  mouvements  militaires  ultérieurs, 
une  solide  place  d  armes  en  cas  de  revers  momentanés.  Aussi 
le  premier  soin  de  Bélisaire  fut-il  de  remettre  la  forteresse 
en  état  de  défense.  Les  brèches  furent  réparées,  les  murs  con- 
solidés, un  large  fossé  bordé  d'une  palissade  vint  renforcer 
encore  les  moyens  de  résistance',  et,  assez  vite,  la  ville  reprît 
l'aspect  d'une  citadelle  imposante.  A  d'autres  égards  encore, 
l'occupation  de  Carthage  n'était  point  inutile  :  à  l'entrée  de  la 
mauvaise  saison*,  elle  fournissait  à  la  flotte  byzantine  un  port 
sûr  et  bien  abrité;  elle  assurait  les  communications  faciles  de 
l'armée  avec  Constantinople  ;  mais  surtout  elle  augmentait 
d'une  manière  incomparable  le  prestige  de  l'armée  impériale. 

Les  populations  romaines,  on  l'a  vu,  n'avaient  pas  attendu 
la  victoire  pour  se  déclarer;  le  succès  remporté  décida  de 
l'attitude  des  Maures.  A  la  nouvelle  de  la  bataille  de  Deci- 
mum  et  de  la  chute  de  la  capitale  vandale,  les  grands  chefs 
des  tribus  sortirent  de  leur  neutralité.  De  la  Byzacène,  de  la 
Numidie,  de  la  lointaine  Maurélanie  même,  ils  envoyèrent  des 
ambassades  au  général  byzantin,  chargées  d'apporter  leur 
hommage  et  de  promettre  leur  alliance  au  représentant  de 

1.  Beil.  Vand.,  p.  394. 

2.  W.,  p.  395-396. 

3.  id,,  p.  396,  403.  C'étnit  la  seule  place  que  u'eùt  point  rasée  GfDséric  ML. 
p.  333). 

4.  Id.,  p.  393. 


24  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Justinien;  ils  demandaient  en  échange  une  nouvelle  et  solen- 
nelle investiture  de  leurs  commandements*.  Bélisaire  ne  la 
refusa  point;  il  en  renforça  reflet  par  de  larges  distributions 
d'argent,  et  assuré  ainsi,  sinon  du  concours,  du  moins  de  la 
neutralité  des  indigènes,  il  revint  à  Gélimer. 

Le  roi  vandale,  réfugié  dans  les  grandes  plaines  de  Bulla 
Regia,  l'acluelle  Dakhla  des  Ouled  bou  Salem,  s^appliquait  à 
reformer  ses  forces.  Comprenant  un  peu  tard  son  imprudence 
de  Decimum,  il  s'efforçait  à  prix  d'or  de  soulever  les  campa- 
gnes contre  l'envahisseur  et  d'organiser  une  guerre  de  parti- 
sans*; il  tâchait,  pour  rendre  quelque  prestige  à  ses  armes  et 
quelque  confiance  à  ses  soldats,  de  surprendre  et  d'enlever  les 
détachements  byzantins  envoyés  en  reconnaissance*;  en  toute 
hâte,  il  rappelait  de  Sardaigne  Tarmée  dont  Tabsence  lui  avait 
été  si  fatale*,  et  avec  ses  troupes  reconstituées,  grossies  de 
qiitïlques  tribus  indigènes  déclarées  en  sa  faveur*,  il  marcha  sur 
Carthage.  Les  murailles,  incomplètement  réparées  encore*, 
semblaient  rendre  facile  une  attaque  de  vive  force;  mais,  pour 
la  tenter,  il  eût  fallu  à  Gélimer  autre  chose  qu'un  corps  de  ca- 
valerie. Aussi  dut-il  se  contenter  de  bloquer  la  ville,  coupant 
le  grand  aqueduc  qui  lui  fournissait  l'eau,  occupant  les  routes 
par  où  lui  arrivaient  les  vivres  ';  en  même  temps  il  entamait 
dans  la  cité  et  jusque  dans  l'armée  byzantine  des  négociations 
secrètes,  comptant  qu'à  défaut  des  armes,  la  trahison  lui  ren- 
drait son  royaume*.  L'énergique  habileté  de  Bélisaire  déjoua 
toutes  ses  tentatives  :  son  prudent  sang-froid  ne  demeura  pas 
moins  impassible  aux  bravades  par  lesquelles  Gélimer  tâchait 
de  Kattirer  hors  des  murs  en  une  décisive  bataille.  Patiem- 
ment, le  général  byzantin  attendait  son  heure;  enfin,  vers  le 

i.  Bell.  Vand.,  p.  406-407. 

ï.  /rf.,  p.  401. 

3./^.,  p.  401-403. 

4.  /d.,  p.  401-408. 

B   Id.,  p.  406. 

li.  Id.,  p.  412-413. 

1.  Id.,  p.  412. 

«.  /</.,  p.  412-il3. 


X 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  25 

milieu  de  décembre,  trois  mois  environ  après  la  journée  de 
Decimum,  il  se  décida  à  marcher  à  Tennemi. 

Gélimer  et  son  peuple,  car  les  Vandales  traînaient  à  leur 
suite  leurs  femmes,  leurs  enfants,  leurs  trésors ^  étaient  éta- 
blis à  Tricamarum,  à  30  kilomètres  environ  de  Carthage, 
dans  une  position  protégée  par  une  petite  rivière';  mais  avec 
leur  imprévoyance  ordinaire,  les  barbares  avaient  négligé  de 
fortifier  leur  camp',  comptant  que  leur  bravoure  et  leurs  vail- 
lantes épées  suffiraient  à  gagner  la  bataille.  Mais  cette  fois 
encore,  comme  à  Décimum,  ils  commirent  fautes  sur  fautes*. 
Au  lieu  de  profiter  de  leur  supériorité  numérique  et  de  la  mo- 
bilité de  leur  cavalerie  pour  harceler,  fatiguer,  envelopper  les 
escadrons  impériaux,  ils  restèrent  sur  la  défensive  derrière  le 
ruisseau  qui  les  protégeait  :  par  trois  fois,  ils  reçurent  sur  la 
pointe  de  leurs  glaives  et  brisèrent  la  charge  des  cataphrac- 
taires  byzantins  ;  mais  épuisés  par  cette  vigoureuse  résistance, 
privés  de  leurs  principaux  chefs,  ils  laissèrent  enfoncer  leur 
centre  à  une  dernière  attaque,  et  en  déroute  ils  se  rejetèrent 
sur  leur  camp.  Cette  fois  encore,  la  cavalerie  byzantine  avait, 
comme  à  Decimum,  été  seule  à  combattre'^;  Tinfanterie  parut 
vers  le  soir,  juste  à  point  pour  enlever  presque  sans  combat  le 
camp  vandale.  Ce  fut  le  signal  de  la  déroute  suprême.  Géli- 
mer, affolé,  sentant  que  tout  était  perdu,  sauta  à  cheval 
et  s'enfuit  avec  quelques  fidèles,  sans  laisser  un  ordre,  sans 
s'inquiéter  de  ce  que  deviendrait  son  peuple*,  et  pendant  que 
les  siens  tombaient  aux  mains  du  vainqueur,  pendant  que 
l'armée  grecque,  grisée  de  ses  succès,  ne  songeait  qu'à  mettre 
au  pillage  les  trésors  livrés  à  son  avidité '',  alors  que  le  mom- 
dre  retour  offensif  eût  suffi  à  balayer  ces  troupes  disloquées 


1.  Bell.  Vand.,  p.  416,  422-423. 

2.  /d.,  p.  416. 

3.  /d.,  p.  416. 

4.  Cf.  BelL  Vand.,  p.  420-422;  PQugk-Harltung,  l.  c,  92-95. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  391,  422. 

6.  Id.,  p.  422. 

7.  Id.,  p.  423,  424. 


26  HISTOIRE  DE  LA  DOMÏNATON  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

qui  n'écoutaient  plus  leurs  chefs',  Gélimer  galopait  dans  la 
nuit  sur  la  route  de  Numidie.  Le  royaume  vandale  n'existait 
plus. 

On  sait  la  suite  des  événements.  Pendant  que  le  roi  bar- 
bare, poursuivi  par  la  cavalerie  grecque,  allait  chercher  un 
asile  chez  les  Maures  du  mont  Pappua',  le  reste  de  ses  États, 
sa  forte  ville  d'Hippone,  ses  trésors,  tombaient  'successive- 
ment aux  mains  de  Bélisaire*.  Lui-même,  bloqué  dans  sa 
retraite  par  un  détachement  byzantin,  passa  trois  mois  à 
souffrir  le  froid,  la  faim,  la  misère,  sans  que  son  orgueil  royal 
put  se  résoudre  à  accepter  les  propositions  que  lui  faisait 
transmettre  le  général  de  Justinien*.  A  la  fin  deThiver,  pour- 
tant, craignant  de  voir  forcer  son  dernier  asile,  touché  sur- 
tout des  privations  sans  nombre  que  son  obstination  imposait 
à  son  entourage,  il  céda  à  sa  destinée  et  se  remit  aux  mains 
de  Bélisaire*,  moyennant  promesse  de  la  vie  sauve  et  d'un 
traitement  honorable  (mars  834).  Le  représentant  de  l'empe- 
reur promit  avec  empressement  tout  ce  qu'exigeait  le  roi  dé- 
chu :  assurément,  Gélimer  vaincu  n'était  plus  guère  redou- 
table; mais  sa  prise  était  le  symbole  vivant  de  la  ruine  de 
l'empire  vandale,  et  elle  semblait  le  gage  assuré  de  la  sou- 
mission totale  de  l'Afrique. 


IV 

Pourtant,  malgré  la  rapidité  et  les  triomphants  succès  de 
cette  campagne,  c'était  une  assez  médiocre  armée  que  celle 
de  Bélisaire,  et  bien  faite  pour  inquiéter  le  général  chargé  de 
la  conduire.  Sans  doute,  ces  vieilles  troupes  étaient  capables 
de  se  battre  avec  courage®,  encore  qu'on  les  voie  parfois, 

{.Bell.  Vand.,  p.  424. 

2.  Id.,  p.  427. 

3.  Id.,  p.  427,  428-429. 

4.  Id.,  p.  427-428,  433-438. 

5.  Id.,  p.  438-440. 

6.  Id.,  p.  401-402. 


LA  CHUTE  DV  ROYAUME  VANDALE  27 

prises  de  panique  subite,  se  débander  presque  sans  combat 
sous  une  charge  énergique  de  Tennemi  *  ;  mais,  à  coup  sûr, 
elles  étaient  animées  d'un  singulier  esprit  d'indiscipline. 
Constamment  Tarmée  et  la  flotte  discutaient  les  ordres  don- 
nés par  les  chefs;  les  troupes  de  terre  déclaraient  tout  net 
qu'elles  ne  combattraient  pas  dans  une  bataille  navale';  les 
équipages  de  l'escadre  refusaient  d'obéir  aux  instructions  lais- 
sées par  Bélisaire,  et  obligeaient  leurs  amiraux  à  contrevenir 
aux  volontés  formelles  du  général  en  chef*.  Les  fédérés  sur- 
tout se  faisaient  remarquer  par  leurs  exigences,  se  considérant 
comme  les  alliés  plutôt  que  comme  les  soldats  de  l'empereur; 
fiers  des  privilèges  particuliers  qui  leur  étaient  concédés*, 
ils  prétendaient  être  affranchis  des  règles  de  la  discipline 
commune  et  uniquement  traités  selon  les  usages  de  leur  pa- 
trie barbare';  et  à  leur  exemple,  le  reste  de  l'armée  réclamait 
le  bénéfice  d'une  absolue  impunité.  Habitués  d'ailleurs  à  pen- 
ser que  la  guerre  doit  nourrir  la  guerre,  tous  ces  hommes 
avaient  le  butin  pour  préoccupation  principale,  et  comptaient 
bien  en  Afrique  se  conduire  comme  en  pays  conquis.  A  peine 
débarqués»  ils  se  répandirent  dans  la  campagne  pour  marau- 
der*, et  Bélisaire  eut  tout  le  mal  du  monde  à  leur  imposer 
cette  modération  qu'admire  tant  Procope  :  encore  il  n'y  réus- 
sit qu'à  grand  renfort  de  précautions  prudentes  et  d'insistances 
répétées',  et  malgré  ses  efforts,  il  ne  pût  entièrement  préser- 
ver Garthage  du  pillage*.  Avec  ces  rudes  guerriers,  avides  de 
vin  %  d'or  et  de  femmes",  chaque  jour  il  fallait  craindre  une 
incartade  nouvelle;  et  jusque  sous  les  yeux  de  l'ennemi,  l'i- 

1.  Bell.  Vand,,  p.  389-390. 

2.  ii..p.  370,  375. 
3.7d.,  p.  393. 
4.i<i.,  p.  386. 

5.  M.,  p.  364. 

6.  W.,  p.  378. 

7.  Id.,  p.  391-392,  394. 
8. /d.,  p.  394. 

9.  Id.,  p.  364,  426-427. 
iO.  Id.,  p.  424. 


28  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

vresse  ou  Tamour  du  gain  leur  faisaient  sans  cesse  oublier  la 
discipline.  La  trahison  même  ne  les  trouvait  point  inaccessi- 
bles. Parmi  les  fédérés,  beaucoup  étaient  prêts  à  se  vendre 
au  plus  offrant*,  et  au  lieu  de  réprimer  ces  intrigues  par  un 
châtiment  exemplaire,  Bélisaire  était  obligé  de  négocier  et 
de  transiger  avec  les  rebelles*.  Parmi  les  officiers  mêmes, 
beaucoup  ne  valaient  pas  mieux  que  les  soldats;  les  uns  déso- 
béissaient ouvertement  et  sans  s'inquiéter  ni  des  instructions 
reçues  ni  du  reste  de  Tarmée,  s'engagaient  témérairement 
dans  les  entreprises  les  plus  imprudentes*;  d'autres  autori- 
sent le  pillage  et  y  participent  et  refusent  de  rendre  gorge 
malgré  les  ordres  formels  de  Bélisaire*;  ceux-ci  sont  ivres 
quand  il  faut  marcher  en  avant*;  ceux-là  discutent  quand  on 
devrait  combattre  •,  d'autres  prêtent  Toreille  aux  propositions 
de  Gélimer**;  tous  enfin  se  jalousent  les  uns  les  autres,  et 
jusque  dans  l'entourage  du  commandant  en  chef,  de  miséra- 
bles rivalités  apparaissent.  Après  la  victoire  de  Tricamarum 
il  se  trouva  des  officiers  pour  dénoncer  Bélisaire  à  Constan- 
tinople,  et,  afin  de  le  discréditer  aux  yeux  de  Justinien,  on 
lança  contre  lui  l'accusation  calomnieuse,  mais  si  souvent  fa- 
tale, d'aspirer  à  revêtir  la  pourpre  impériale*. 

Aussi  voyez  les  faits  :  à  la  journée  de  Decimum,  Ta  van  t- 
garde  byzantine,  après  un  premier  engagement,  se  lance  en 
une  poursuite  folle  sur  les  traces  des  Vandales,  et,  sans  se 
préoccuper  de  sa  faiblesse  numérique,  sans  s'inquiéter  de  l'ar- 
mée dont  elle  doit  éclairer  la  route,  sans  même  prévenir  Béli- 
saire, elle  poursuit  sa  course  durant  treize  kilomètres  jusque 
sous  les  murs  de  Carlhage*.  Le  même  jour,  sous  les  charges 

1.  Bell,  Vand.,  p.  412. 
S.  Id.,  p.  413. 

3.  Id.,  p.  393-394,  385-386. 

4.  /d.,  p.  395. 

5.  W.,  p.  426-427. 
C.  W.,  p.  389. 

7.  /d.,  p.  412. 

8.  /rf.,  p.  441. 

*».  /rf.,  p.  385-386. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  29 

des  Vandales,  les  fédérés  se  laissent  enfoncer  ;  pris  de  panique, 
ils  entraînent  dans  lear  déroule  un  corps  de  huit  cents  cata- 
phractaires  et  un  bon  tiers  de  la  cavalerie  byzantine,  bousculé 
presque  sans  avoir  combattu,  se  replie  en  désordre  et  manque 
de  compromettre  lajournée*.  Ala bataille  de Tricamarum,  les 
faits  sont  plus  graves  et  plus  significatifs  encore  :  pendant 
rengagement,  les  auxiliaires  huns  se  rangent  à  Técart  et 
s'abstiennent  de  combattre,  attendant  que  la  fortune  se  soit 
dessinée  pour  prendre  le  parti  du  vainqueur*;  après  le  com- 
bat, Tarmée  tout  entière  se  disperse  pour  piller,  et,  jusqu'au 
matin,  c'est  un  désordre  indescriptible,  où  la  voix  des  chefs 
n'est  plus  entendue,  où  la  discipline  n'est  plus  respectée,  où 
le  soldat  grisé  par  les  richesses  qui  s'offrent  à  ses  yeux  ne 
songe  qu'à  faire  du  butin  et  à  revenir  bien  vite  le  mettre 
en  sûreté  à  Carthage*.  Et  les  troupes  d'élite  mêmes,  et  la 
garde  personnelle  du  général  suivent  l'exemple  :  en  un  clin 
d'œil,  l'armée  victorieuse  s'évapore  et  durant  toute  la  nuit, 
Bélisaire,  demeuré  presque  seul,  ne  sait  comment  faire  pour 
rallier  ses  soldats*.  Pourtant  l'auteur  anonyme  du  traité  de  la 
Tactique  avait  pris  soin  d'apprendre  aux  officiers  byzantins, 
comment,  en  négligeant  la  poursuite  pour  le  butin,  on  s'ex- 
pose à  changer  une  victoire  en  défaite*,  et  Procope  lui-même 
est  obligé  d'avouer  que  par  deux  fois,  à  Decimum  comme  à 
Tricamarum,  quelque  décision  de  la  part  de  Gélimer  eût 
amené  sans  nul  doute  un  irréparable  désastre.  «  Pourquoi 
Gélimer,  dit-il,  ayant  la  victoire  en  main,  lalaissa  volontaire- 
ment échapper,  c'est  ceque  jene  puis  expliquer.  Assurément, 
s'il  avait  poursuivi  les  fuyards,  Bélisaire  lui-même  n'eût  pu 


1.  Bell.  Vand.,  p.  389-390. 

2.  /d.,  p.  416,  420-421. 

3.  Id.y  p.  423-424. 

4.  Id,,  p.  425.  Lft  même  chose  se  prodaira  plas  tard  k  la  journée  de  CcUas 
Vatari  (w?.,  p.  489-490.) 

5.  Traité  de  la  Tactique  (éd.  Kôchly  et  Rûstow,  Griech.  Kriegsschriftsteller, 
t.  n,  2  Abt.  Leipzig,  1855),  XL,  7.  Cf.  StraUgika  de  Maurice,  Vil,  15,  p.  146- 
147;  Vn,  17,  p.  171-172;  VIU,  2,  p,  197 


30  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

soutenir  le  choc,  et  nos  affaires  étaient  perdues*.  »  Voilà 
pour  Decimum  :  et,  après  avoir  raconté  la  journée  de  Trica- 
marum,  Thistorien  ajoute  :  «  Si  à  ce  moment  (durant  le  pil- 
lage) le  moindre  incident  s'était  produit,  pas  un  seul  des 
Romains  n'eût  échappé*.  »  Et  pour  rendre  compte  de  ces 
chances  inouïes,  Procope  ne  trouve  d'autre  explication  que  la 
volonté  de  Dieu,  qui  trouble  la  raison  de  ceux  qu'il  veut 
perdre  :  Quos  vult  perdere  Jupiter  dementat. 

Ce  fut  donc  moins  la  valeur  des  troupes  byzantines  que  l'é- 
trange impéri tie  de  leurs  adversaires  qui  fit  le  succès  de  la 
campagne.  La  stratégie  même  4e  Bélisaire  fut  loin  d'être  irré- 
prochable'. Sans  doute  il/ faut  louer  le  général  byzantin  de  la 
décision  avec  laquelle,  malgré  l'opposition  unanime  de  son 
conseil,  il  débarqua  à  Gaput  Yada,  de  Tintelligence  qui  lui  fit 
comprendre  l'importance  d'une  marche  immédiate  sur  Car- 
thage,  du  soin  qu'il  prit,  après  la  chute  de  la  capitale,  d'en 
faire  sans  tarder  une  imprenable  forteresse.  Il  n'est  pas  moins 
vrai  qu'il  commit  plus  d'une  dangereuse  imprudence.  Per- 
suadé qu'il  rencontrerait  l'ennemi  en  avant  de  Carthage,  il 
marcha  pendant  près  de  dix  jours,  sans  se  douter  que  la  prin- 
cipale armée  vandale  le  suivait  par  derrière*  ;  et  alors  même 
que,  bien  tardivement,  ses  éclaireurs  eurent  pris  le  contact 
avec  les  coureurs  de  Gélimer,  il  ne  semble  pas  un  seul  instant 
avoir  deviné  le  plan  du  roi  barbare.  A  la  journée  de  Deci- 
mum, il  laissa  en  arrière  son  infanterie,  l'exposant,  si  Gélimer 
avait  bien  calculé  sa  route,  à  recevoir  en  queue  et  toute  seule 
le  choc  des  escadrons  ennemis';  lui-même,  avec  sa  cavalerie, 
se  porta  à  plus  de  cinq  kilomètres  en  avant,  sans  réfléchir  qu'une 
attaque  un  peu  audacieuse  pouvait  le  couper  de  ses  troupes 
de  pied,  et  que  le  corps  qu'il  commandait,  rejeté  sur  le  défilé 
de  Decimum,  courait  risque  d'être  écrasé  entre  les  troupes 

1.  BelL  Vand,,  p.  390. 
î.  irf..p.  424. 

3.  Cf.  sur  rhomme,  Procope*  BelL  Goth,,  p.  280  sq. 

4.  UelL  Vand.,  p.  383. 
:».  /d.,  p.  387-3S8. 


L\  CHUTE  ÙV  ROYAUME  VANDALE  31 

royales  et  la  garnison  vandale  de  Carthage\  Dans  les  deux 
batailles  qu'il  livra,  les  deux  fois  il  se  laissa  à  peu  près  sur- 
prendre'; au  lieu  de  choisir  son  heure,  il  dut  accepter  un 
combat  qu'il  n'attendait  pas,  et  chaque  fois  il  avait  réglé  si 
singulièrement  sa  marche  que  jamais  son  infanterie  ne  put 
arriver  à  temps  sur  le  champ  de  bataille,  et  que  sa  seule  ca- 
valerie dut  supporter  tout  Teffort  de  la  lutte'.  De  même,  par 
les  instructions  qu'il  donna  à  sa  flotte,  il  risqua  d'exposer  ses 
navires  à  une  totale  destruction,  et  il  est  étrange,  lorsque 
chaque  matelot  prévoyait  les  périls  de  la  tempête  d'équinoxe 
prochaine^  que  seul  le  général  ait  ignoré  ou  oublié  un  aussi 
grave  danger*.  Mais  telle  fut  dans  cette  guerre  la  bonne  for- 
tune de  Bélisaire  que  ses  pires  imprudences  demeurèrent  sans 
conséquences,  que  tout  le  servit  à  souhait,  jusqu'aux  rébel- 
lions de  ses  soldats.  C'est  la  révolte  de  ses  matelots  qui  sauva 
sa  flotte  de  la  tempête  ^  ;  c'est  la  désobéissance  d'un  officier 
qui  assura  Toccupalion  du  port  deCarthage',  mais  surtout 
il  dut  sa  victoire  à  l'incapacité  et  à  la  molle  indécision  de 
Gélimer.  Le  roi  vandale,  que  son  peuple  regardait  comme 
le  plus  valeureux  guerrier  de  son  temps  \  s'abandonna  sans 
résistance  aux  coups  de  la  fortune.  A  Decimum  il  laissa  passer 
le  moment  décisif,  où  il  pouvait  écraser  sans  peine  la  cavalerie 
byzantine  à  demi  rompue';  à  Tricamarum,  à  l'instant  où  il 
crut  voir  la  partie  définitivement  perdue,  il  s'enfuit  sans  lais- 
ser un  ordre,  sans  tenter  de  rallier  ses  escadrons,  sans  essayer 
un  retour  offensif  qui  pouvaitlui  rendre  la  victoire  •. 

Avec  sa  nombreuse  et  légère  cavalerie,  il  aurait  pu,  comme 
le  firent  plus  tard  les  tribus  indigènes,  organiser  contre  les 

1.  Cf.  Pflugk-HarttuQg,  p.  46. 

2.  Bell.  Vand.,  p.  387  :  tcùv  yeYovâtcov  oùS'  ôtioOv  neicutfpiévoi.  Cf  420. 

3.  W.,  p.  388,  420. 
•4.  W.,  p.  393,  384. 
.5.  W.,  p.  393. 

6.  Id.,  p.  393-394. 

7.  /d.,  p.  3r)0. 

8.  W.,  p.  390. 

i).  W.,p.  422,  424. 


n  IKSTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Byzantins  uae  redoutable  guerre  de  partisans,  les  fatiguer  par 
uoG  massu  de  petits  combats,  couper  leurs  communications  et 
leurs  vivrt*s,  les  attirer  à  sa  suite  dans  Tintérieur  du  pays  et 
les  épuiser  im  détail  *  ;  au  lieu  de  cela,  il  aima  mieux  risquer 
deux  grandes  batailles,  où  d'ailleurs  il  ne  semble  guère  avoir 
bion  vaillamment  payé  de  sa  personne.  Le  dernier  roi  vandale 
apparaît  dans  Procope  comme  une  nature  indécise  et  molle, 
nerveuse  et  sentimentale,  sans  fermeté  et  sans  résistance  *  : 
à  Decimum,  il  perd  son  temps  à  pleurer  sur  le  cadavre  de  son 
frère  morl  et  à  lui  rendre  les  honneurs  funèbres,  en  face  de 
rt^nneini  ^  :  dans  les  plaines  de  BuUa,  lorsque  l'armée  de  Sar- 
daigae  vieol  rejoindre  les  troupes  du  roi  vaincu,  sans  un  mot, 
il  se  jctlo  en  pleurant  dans  les  bras  de  son  frère,  et  dans  une 
scène  d'ailleurs  singulièrement  dramatique,  il  épuise  jusqu'à 
la  lie  Famère  volupté  des  larmes*.  Lorsque,  après  la  défaite 
de  Tricamarum,  Tâpre  poursuite  des  Byzantins  Ta  contraint  à 
cbcrchcr  un  refuge  parmi  les  Maures  du  mont  Pappua,  au  lieu 
de  s'ouvrir,  Tépée  à  la  main,  un  passage  à  travers  les  soldats 
qui  bloi]UL*iit  sa  retraite,  il  reste  inactif,  souffrant  le  froid,  la 
faim  et  la  misère,  s'étudiant  lui-même  et  se  complaisant  à 
mettre  en  vers  ses  malheurs';  et  après  avoir  courageusement 
supporté  les  privations,  après  avoir  repoussé  non  sans  hauteur 
les  propositions  qui  lui  sont  faites,  tout  à  coup,  sur  un  inci- 
dent qui  louche  sa  sensibilité  et  son  cœur',  ses  nerfs  s'émeu- 
vent, son  ressort  s'abat  et  il  se  remet  aux  mains  de  Bélisaire. 
Devant  le  général  byzantin,  et  jusque  devant  l'empereur,  il 
gardera  une  attitude  étrange  et  un  peu  apprêtée  de  philosophe 
ironique  et  revenu  de  tout,  qui  sait  la  vanité  des  choses  hu- 
maines et  se  complaît  à  en  admirer  en  lui-même  un  exemple 
particulièrement  mémorable'. 

1.  Cf.  Pflugk-HarUung,  /.  c,  p.  95. 

2.  Cf,  Dahu,  /.  c,  p.  179-180. 

3.  Bdl.  Vand.,  p.  390-391. 

4.  /d..  p.  IOa-409. 

5.  td.,  p.  437-438. 
iL  IfL,  p,  438-439. 
7.  Id,.  p.  440,  446. 


LA  CHUTE  DU  ROYAUME  VANDALE  33 

En  terminant  le  récit  de  la  guerre  vandale^  Procope  n'essaie 
point  de  dissimuler  Tétonnement  que  lui  inspire  le  merveilleux 
succès  de  cette  campagne  :  «  En  tout  temps,  bien  des  entre- 
prises ont  réussi  au  delà  de  toute  espérance,  et  il  en  sera  ainsi, 
taut  que  les  conditions  de  Thumanité  demeureront  les  mêmes. 
Bien  des  choses  qui  semblaient  impossibles  se  sont  réalisées  : 
pourtant  je  ne  sais  point  s'il  y  eût  jamais  événement  plus  mer- 
veilleux que  de  voir  un  grand  empire,  puissant  en  richesses  et 
en  soldats,  renversé  en  si  peu  de  temps  par  une  armée  de  cinq 
mille  hommes,  qui  n'avaient  pas  même  un  port  pour  aborder'.  » 
Certes  peu  d'États  se  sont  écroulés  d'une  chute  plus  complète 
et  plus  prompte  :  en  trois  mois  quelques  régiments  de  cavale- 
rie avaient  détruit  le  royaume  de  Genséric. 

1.  BelL  Vand.,  p.  441. 


CHAPITRE  II 

l'afrioue  au  lendemain  de  la  conquête  byzantine 


Deux  batailles  et  une  campagne  de  quelques  mois  avaient 
suffi  à  décider  du  sort  du  royaume  vandale  :  du  coup,  on  crut 
l'Afrique  conquise  et  replacée  tout  entière  sous  la  domination 
romaine.  Dès  le  mois  de  décembre  533,  à  la  nouvelle  de  la 
prise  de  Carlhage,  Justinien  proclamait  en  termes  magnifiques 
que  (c  toute  la  Libye  était  réunie  à  Tempire  »  ';  en  avril  534, 
après  la  victoire  de  Tricamarum,  il  déclarait  pompeusement 
que  «  Dieu,  par  sa  miséricorde,  venait  de  remettre  entre  ses 
mains  l'Afrique  et  toutes  ses  provinces  »  *,  et^  presque  émer- 
veillé lui-même  de  la  rapidité  inattendue  de  la  conquête,  il  se 
répandait  en  actions  de  grâces  et  remerciait  la  Providence  de 
ravoir  choisi,  «  lui,  le  plus  humble  de  ses  serviteurs  »,  pour 
être  le  vengeur  de  TÉglise  et  le  libérateur  des  peuples  '.  Sans 
doute,  on  prévoyait  bien  que  pour  achever  la  soumission  de 
la  province,  pour  la  reconstituer  dans  son  intégrité,  telle  que 
Tavait  connue  et  possédée  l'empire  romain,  il  faudrait  soute- 
nir quelques  luttes  encore  et  vaincre  quelques  résistances; 
mais  Justinien  se  persuadait  que  quelques  courtes  semaines 
suffiraient  à  rétablir  en  Afrique  la  paix  et  la  sécurité  sous  son 
règne  très  glorieux  *.  Et  tout  heureux  de  montrer  à  ses  nou- 
veaux sujets  la  différence  qui  existait  entre  «  la  captivité  si 

1.  De  confecl.  Digest.,22;  Cod.  JusL,  1,  17,  2,  1  et  24. 

2.  Cod.  JusL,  1,  27,  1,  7. 

3.  /rf.,  1,27,  1,  1,  5. 
i.  /d  ,  I,  27,  2,  4  6. 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  35 

dure  et  le  joug  barbare  »  qu'ils  avaient  connus  et  cette  liberté 
toute  neuve  que  leur  apportait  la  domination  byzantine  \  dès 
le  mois  d'avril  534,  avant  même  que  la  soumission  de  Gélimer 
fût  connue  à  Byzance,  il  prenait  les  mesures  nécessaires  pour 
la  réorganisation  complète,  administrative,  financière,  mili- 
taire, de  ses  nouvelles  provinces.  Malheureusement,  entre  les 
séduisantes  illusions  de  Toptimisme  impérial  et  la  réalité  des 
choses,  il  y  avait  quelque  différence;  on  le  voit  bien  en  étu- 
diant Tétat  du  pays  au  lendemain  de  la  chute  du  royaume  vaTn- 
dale. 


I 

Tout  d'abord,  et  malgré  les  affirmations  impériales^  il  s'en 
fallait  de  tout  que  TAfrique  fût  pleinement  reconquise.  Assu- 
rément, la  campagne  de  Bélisaire  avait  soumis  aux  Byzantins 
la  Proconsulaire  tout  entière  et  une  grande  partie  de  la  Byza- 
cène;  assurément,  le  reste  de  cette  région  semble  avoir  été 
presque  immédiatement  occupé  jusqu'à  Thelepte  et  Capsa  et 
jusqu'aux  frontières  de  la  Tripolitaine  -  ;  dans  cette  dernière 
province  aussi^  l'autorité  impériale  paraît  avoir  été  restau- 
rée '.  Mais  à  mesure  qu'on  s'avançait  vers  l'ouest,  la  paci- 
fication devenait  plus  imparfaite.  Près  des  deux  tiers  de  la  Nu- 
midie  échappaient  à  la  domination  grecque  :  si,  du  côté  de 
l'occident,  elle  atteignait  la  région  de  Constantine  *,  vers  le 
sud,  elle  ne  dépassait  point  la  lisière  septentrionale  des  hauts 
plateaux  :  de  ce  côté,  la  ligne  des  places  fortes  qui,  entre  le 
Kef  et  la  vallée  du  Roummel,  protègent  la  grande  route  de 
Carlhage  à  Cirta  — je  veux  dire  les  citadelles  de  Tagoura,  de 
Madaure,  de  Tipasa,  de  Gadiaufala,  d'Âd  Centenarium,  de 
Tigîsis  —  détermine  assez  exactement  la  première  étape  de 

1.  Cod.  Just.,  I,  27,  1,  8. 

2.  Cela  ressort  de  Cod,  Just.^  I,  27,  2,1  a  et  de  Procope,  Bell,  Vand.,  p.  431. 

3.  Procope,  Bell.  Vand.,  p.  361,  431. 

4.  Cod.  Jusé.,h  27,  2,  1  a. 


36  HISrOlRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

roccupation  byzantine,  et  Ton  voit  pour  quelles  raisons  Jus- 
tinien,  malgré  ses  déclarations  magnifiques,  s*est  contenté  de 
fixer  à  Constantîne  la  résidence  du  duc  de  Numidie  ;  les  pro- 
grès de  la  conquête  étaient  encore  à  ce  moment  fort  limités 
dans  cette  partie  de  l'Afrique  *.  Quant  aux  trois  Maurétanies, 
Sitifienne,  Césarienne,  Tingitane,  elles  n'existaient  pour  ainsi 
dire  que  sur  le  papier  et  restaient  tout  entières  à  soumettre. 
A  la  vérité,  la  flotte  byzantine  avait  occupé  sans  peine  un  cer- 
tain nombre  de  places  de  la  côte,  probablement  Igilgilis  (Dji- 
djelli)  et  Saldae  (Bougie)'  dans  la  Maurétanie  Sitifienne,  et 
certainement  Caesarea  (Cherchel)  dans  la  Césarienne',  et 
poussant  même  jusqu'aux  colonnes  d'Hercule,  les  Grecs  avaient 
délogé  les  Wisigoths  de  la  ville  de  Septem  en  Tingitane  et 
Jeté  une  garnison  dans  cette  importante  forteresse*  ;  mais 
tous  ces  postes  étaient  comme  isolés  au  milieu  d'un  pays 
pleinement  insoumis  et  ne  communiquaient  que  par  mer  avec 
les  possessions  proprement  byzantines  *.  Sans  doute  encore,  la 
supériorité  de  la  marine  impériale  avait  permis  la  prompte 
occupation  de  la  Corse,  de  la  Sardaigne^  des  îles  Baléares  *  ; 
et,  en  fait,  au  mois  d'avril  534,  Bélisaire  pouvait  se  flatter 
d'avoir,  comme  il  le  souhaitait,  réoccupé  au  nom  de  Tempire 
tout  le  territoire  jadis  possédé  par  les  rois  vandales  '  :  mais 
depuis  longtemps  le  royaume  fondé  par  Genséric  ne  compre- 
nait plus  qu'une  portion  de  l'Afrique. 

II 

Du  moins,    le  gouvernement  byzantin   avait-il  quelques 

!.  Voir  la  démonstration  de  ce  fait,  tirée  de  la  date  de  ces  diverses  forteres- 
ses, dans  mou  Rapport  sur  deux  missions  en  Afrique,  p.  65-66. 

2.  Mommsen,  C.  i.  L.,  VlU,  p.  zvii. 

3.  Procope,  BelL  Vand.,  p.  430;  Cod.  Just,,  I,  27,  2,  1  a. 

4.  Procope,  Bell.    Vand,,  p.  430;  Isidore,  Hist.  Gothorum  (éd.  Mommsen), 
p.  28i. 

.  5.  Bell.  Vand.,  p.  501. 

6.  Id.,  p.  430-431. 

7.  Id.,  p.  429-430. 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  37 

chaDces  de  dominer  paisiblement  le  pays  déjà  reconquis,  d'oc- 
cuper rapidement  et  aisément  le  reste?  Pour  assurer  dans  la 
nouvelle  province  Tautori té  impériale,  Bélisaire,  en  vertu  des 
pouvoirs  absolus  que  lui  avait  délégués  Justinien^  prit  une 
série  de  prudentes  mesures,  bientôt  ratifiées  et  complétées 
par  les  ordres  venus  de  Constantinople.  Tout  d'abord,  il  im- 
portait de  régler  le  sort  des  vaincus  :  pendant  la  guerre,  le 
général  byzantin  avait  traité  avec  douceur  les  Vandales  qui 
avaient  consenti  à  faire  leur  soumission  ;  il  leur  avait  promis 
la  vie  sauve,  et,  se  contentant  de  les  désarmer,  il  les  avait, 
sous  bonne  garde,  internés  à  Carthage  '.  Mais  une  fois  la  cam- 
pagne finie,  il  sembla  impossible  de  laisser  dans  le  pays  ce 
dangereux  ferment  de  révoltes  futures  :  Bélisaire  se  décida, 
à  la  fois  pour  débarrasser  la  province  et  pour  parer  de  leur 
présence  son  cortège  triomphal,  à  faire  transporter  en  Orient 
Télite  des  chefs  et  de  l'armée  vandales*.  Ces  émigrés  furent 
incorporés  dans  les  troupes  impériales;  quelques-uns  restèrent 
à  Constantinople  et  servirent  dans  la  garde  de  Bélisaire  '  ;  les 
autres  formèrent  cinq  régiments  de  cavalerie  qu'on  cantonna 
sur  la  frontière  de  Perse,  et  auxquels  Tempereur  accorda, 
pour  flatter  leur  orgueil,  le  surnom  de  Vandali  Ju$iiniam* . 
Toutefois  il  est  évident  que  ces  mesures  ne  s'appliquèrent 
qu'à  l'aristocratie  de  la  nation  vaincue  ;  les  gens  de  moindre 
importance  demeurèrent  en  Afrique  ',  et  leur  condition  paraît 
avoir  été  réglée  d'une  manière  assez  dure.  Sur  le  champ  de 
bataille  de  Tricamarum,  beaucoup  d'entre  eux  étaient  tombés 
au  pouvoir  des  soldats  :  ceux-là  restèrent  les  esclaves  de  leurs 
nouveaux  maîtres.  En  vertu  du  même  droit  de  la  guerre,  les 
femmes  et  les  filles  prises  dans  la  lutte  suprême  furent  attri- 
buées au  vainqueur  et  la  plupart  d'entre  elles  épousèrent  des 


1.  Procope,  BelL  Vand.,  p.  396,  425,  428. 

2.  M,  p.  42Î).  Cf.  428  :  lïoXXoi  t*  xa\  ôtpiaToi. 

3.  Bell.  Golh.,  p.  281. 

4.  BelL  Vand,,  p.  474  ;  BelL  Pers.,  p.  244. 

5.  BelL  Vand.,  p.  475,  471. 


38  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

soldats  byzantins*.  Les  propriétés  ne  furent  pas  mieux  traitées 
que  les  personnes  ;  non  seulement  les  terres  qui  avaient  formé 
le  domaine  royal  furent  confisquées  au  profit  de  Fempereur', 
mais  les  biens  particuliers  mêmes  ne  demeurèrent  point  à 
l'abri  des  revendications.  On  fit  rendre  gorge  à  tous  les  déten- 
teurs illégitimes  de  terres;  les  anciens  propriétaires  furent 
autorisés  à  faire  valoir  leurs  droits  ',  les  églises  catholiques 
furent  remises  en  possession  de  leurs  domaines  \  Sans  doute, 
pour  éviter  un  bouleversement  total  dans  l'état  de  la  propriété, 
on  couvrit  bientôt  de  la  prescription  toutes  les  usurpations 
remontant  au  delà  de  la  troisième  génération  •;  néanmoins 
la  mesure  eut  sans  doute  pour  effet  de  dépouiller  la  plupart 
des  propriétaires  de  race  germanique.  Enfin,  persécutés  dans 
leur  religion,  chassés  de  leurs  églises,  exclus  de  toute  partici- 
pation aux  charges  publiques,  «  attendu,  dit  cruellement  une 
novelle  impériale,  que  c'est  bien  assez  pour  eux  de  vivre  »  •, 
les  Vandales  semblent  avoir  peu  à  peu  disparu  sans  laisser  de 
trace.  Quelques-uns  d'entre  eux  —  un  millier  à  peine  —  es- 
saieront quelques  années  plus  tard  de  venger  dans  une  révolte 
suprême,  les  humiliations  de  S34  ^  :  la  masse,  désarmée,  sou- 
mise à  une  sévère  surveillance,  évincée  peu  h  peu  de  TAfrique 
byzantine  ^  probablement  diminua  vite,  ou  se  fondit  dans  la 
population  indigène  ;  en  tout  cas  elle  ne  fut  plus  jamais  une 
cause  d'embarras  pour  le  gouvernement  impérial. 

Aussi  bien,  dans  l'Afrique  reconquise,  les  Vandales  ne  for- 


1.  Procope,  Bell.  Vand.,  p.  470. 

2.  Id.,  p.  470. 

3.  Nov.  36. 

4.  Nov,  37. 

5.  Nov,  36,  1. 

6.  Nov.  37,  6. 

7.  Bell.  Vand.,  p.  475. 

8.  D'autres  traoBportatioos  forent  faites  par  ordre  de  Solomon  {Bell.  Vand., 
p.  493)  :  même  les  femmes  fareat  chassées.  L*Anonyme  de  Ravenne  (éd.  Pin- 
der-Parthey,  p.  162)  montre  les  restes  des  Vandales  réfugiés  en  Tingitane. 
Pourtant  on  tronye  encore  des  Vandales  en  Afrique  en  546  {BelL  Vand.,  p.  523, 
527). 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  39 

maient  qu'une  faible  minorité.  Il  était  tout  autrement  impor- 
tant de  se  concilier  les  bonnes  dispositions  de  Télément 
romain.  On  a  vu  avec  quelle  faveur,  dès  le  début  de  l'expédi- 
tion, les  populations  des  villes  et  des  campagnes  avaient  ac- 
cueilli Tarmée  byzantine  ;  elles  saluèrent  avec  une  joie  sans 
mélange  le  triomphe  définitif  de  Justinien,  et  pour  elles,  le 
rétablissement  de  Tautorité  impériale  fut  considéré  —  et  non 
pas  seulement  par  métaphore  —  comme  le  point  de  départ 
d'une  ère  nouvelle  ^  Le  clergé  catholique  surtout,  qui  avait 
tant  souiTert  des  persécutions  vandales  durant  ce  la  violente 
captivité  de  cent  années  »  *,  exultait  d'allégresse,  et  les  évêques 
réunis  en  534  au  concile  de  Carthage  exprimaient  en  termes 
enthousiastes  leur  bonheur  d'être  de  nouveau  soumis  à  l'em- 
pire orthodoxe  '.  Il  était  facile  d'entretenir  ces  sentiments  de 
dévouement  :  pour  le  faire,  la  piété  de  Justinien  se  trouvait 
d'accord  avec  son  intérêt.  Aussi  combla-t-il  de  ses  libéralités 
rÉglise  africaine*  :  dès  534  ^,  un  édit  ordonna  de  restituer  aux 
établissements  religieux  de  tout  le  diocèse  d'Afrique  les  do- 
maines qui  leur  avaient  été  injustement  enlevés,  de  les 
remettre  en  possession  des  édifices  du  culte,  de  leur  faire 
rendre  les  vases  et  les  ornements  sacrés  dont  ils  avaient  été 
dépouillés,  et  les  autorisa  à  revendiquer  en  justice  tous  les 
biens  usurpés  sur  eux  par  des  particuliers  *.  En  même  temps, 
tous  les  privilèges  accordés  par  le  Code  aux  églises  métropo- 
litaines étaient  conférés  à  l'évèque  de  Carthage^:  toutes  les 
églises  de  son  diocèse  devaient  jouir  du  droit  d'asile,  toutes 
légitimement  recevoir  des  legs  et  des  donations  ^  Mais 
surtout  l'empereur  s'appliqua  à  satisfaire  les  longues  ran- 
cunes et  les  haines  profondes  que  le  clergé  catholique  nour- 

1.  C.  /.  L.j  VUI,  5262.  Cf.  Sabatier,  Monnaies  byzantines,  I,  190. 

2.  Labbe,  Concilia,  IV,  1755. 

3.  Ibid,  IV,  1755. 

4.  Nov.  37,  praef, 

3.  Nov,  31,praef,  La  novelle  de  535  vise  et  conflrme  une  noavelle  précédente. 

6.  Nov.  37,  1,  3,  4. 

7.  Nov.  37,  9. 

8.  Nov.  37,  10,  11. 


40  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

rissait  contre  ses  persécuteurs  :  tous  les  dissidents^  ariens, 
juifs,  donatistes  et  païens,  furent  traités  avec  la  dernière 
rigueur.    Non  seulement   leurs  prêtres   furent   chassés   des 
églises,  et  interdiction  leur  fut  faite  d'administrer  les  sacre- 
ments, mais  encore  leurs  adhérents  furent  exclus  de  toutes 
les  charges  publiques,  et  la  conversion  même  ne  leur  ouvrit 
point  Taccès  des  magistratures  '.  L'exercice  de  tout  culte  héré- 
tique fut  soigneusement  proscrit;  les  temples  ariens,  les  syna- 
gogues furent  transformés  en  églises  catholiques  ;  les  conci- 
liabules secrets  même  furent  interdits,  a  attendu  qu'il  est 
absurde  de  permettre  à  des  impies  Taccomplissement  de  céré- 
monies sacrées*.  »  Ainsi  Justinien  prouvait  à  Dieu  sa  recon- 
naissance et  montrait  qu'il   savait  «  venger  les  injures  de 
rÉglise.  »  Aussi,  lorsque  reprenant  les  pieuses  traditions  d'au- 
trefois, les  évèques  de  la  Proconsulaire,  de  la  Byzacène  et  de 
la  Numidie  se  réunirent  en  534,  au  nombre  de  deux  cent 
vingt,  en  un  concile  solennel  à  Garthage',  ils  purent  exprimer 
au  pape  Agapet  la  joie  presque  sans  mélange  que  leur  causait 
le  rétablissement  de  l'autorité  impériale*  ;  et  en  leur  nom  le 
Souverain  Pontife  félicita  Tempereur  du  zèle  qu'il  déployait 
«  pour  l'accroissement  du  peuple  catholique  »  et  de  la  piété  qui 
faisait,  partout  où  s'étendait  Tempire,  prospérer  tout  aussitôt 
le  royaume  de  Dieu  *. 

Les  populations  romaines  ne  furent  pas  traitées  avec  moins 
de  faveur.  Non  seulement  Justinien  voulut  que  la  capitale  de 
l'Afrique  reconquise,  dotée  de  «  privilèges  impériaux%  »  prît 
en  son  honneur  le  nom  de  Carthago  Justiniana;  mais  il  ac- 
corda à  ces  victimes  de  la  tyrannie  vandale  de  plus  efficaces 
satisfactions.  Une  pragmatique  sanction  de  534  autorisa  les 
Africains  à  revendiquer^  pendant  une  durée  de  cinq  années, 

t.  Nov.  37,3,  6,  7;  Procope,  Bell.  Vand.,  p.  471. 

2.  Nov.  37,  8. 

3.  Labbe,  Concilia,  IV,  1755, 1784-1785. 

4.  Ibid.,  IV,  1755-1756. 
5./6trf.,lV,  1793. 

6.  Nov.  37,  9. 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  41 

toutes  les  terres  qui  leur  avaient  été  injustement  enlevées, 
réparant  de  cette  sorte  les  spoliations  jadis  ordonnées  par 
Genséric  *.  A  la  vérité,  en  même  temps  qu'il  annulait  les  effets 
de  la  conquête  vandale,  Tempereur  prétendait  aussr  remettre 
les  impôts  sur  le  pied  où  ils  étaient  jadis  établis  dans  TAfrique 
romaine  :  c'est  sous  cette  réserve  expresse  qu'il  fit  restituer, 
même  aux  églises,  les  biens  indûment  usurpés';  par  ses 
ordres,  des  agents  de  finances  furent  chargés  par  toute  la 
province  de  dresser  le  rôle  des  contributions  :  «  et  ces  ctiarges, 
dit  Procope,  parurent  aux  Africains  fort  pesantes  et  intolé- 
rables »  '. 

Pourtant,  au  moins  au  début,  les  Romains  d'Afrique  avaient 
trop  à  se  louer  du  rétablissement  de  l'autorité  impériale,  pour 
ne  lui  être  pas  pleinement  dévoués.  Il  n'en  était  pas  de  même 
des  tribus  berbères,  qui  formaient  le  fond  de  la  population. 
Sans  doute^  la  plupart  d'entre  elles  avaient  fait  avec  empres- 
sement une  soumission  apparente;  troublés  parles  oracles  de 
leurs  prophétesses,  et  plus  encore  par  les  foudroyants  succès 
de  Bélisaire,  les  grands  chefs  de  la  Byzacène,  de  la  Numidie, 
de  la  Maurétanie  même  avaient  accepté  la  suzeraineté  impé* 
riale,  prêté  hommage  au  représentant  du  basileus,  donné 
leurs  fils  ou  leurs  frères  en  otages  comme  gages  de  leur  fidé- 
lité \  Mais,  malgré  ces  manifestations,  d'ailleurs  assez  inté- 
ressées, les  Maures  s'étaient  bien  gardés  de  se  compromettre 
entre  les  deux  partis,  et  la  plupart  avaient  conservé  une  neu- 
tralité prudente,  attendant  Tissue  delà  lutte  et  réservant  leurs 
forces*.  Maintenant  que  les  Vandales  avaient  succombé,  ils 
commençaient  —  un  peu  tard  —  à  sMnquiéter  pour  eux-  mêmes, 
et  pour  des  raisons  peut-être  plus  solides  que  les  motifs  indi- 
qués par  Procope  %  ils  songeaient,  non  point  seulement  par 

i.  Nov.  36,  pfaef.  et  5.  On  y  trouve  la  preuve  qu'une  première  constitution 
fut  promulguée  dès  534. 

2.  ^ov,  37, 1.  2;  Evagrius,  HisL  eccL,  IV,  18. 

3.  Procope,  Bc/Z.  Vand.,p.  444-445. 

4.  Id.,  p.  443,  406. 

5.  Id.y  p.  407,  443. 

6.  id.,  p.  442-443. 


42  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

perfidie  naturelle,  à  prendre  les  armes  contre  les  nouveaux 
maîtres  de  TAfrique.  Une  seule  chose  les  retenait  encore  dans 
le  devoir^  la  crainte  que  leur  inspirait  le  prestige  de  Bélisaire^; 
mais  déjà*  de  divers  côtés,  l'insurrection  se  préparait.  Dès  le 
début  de  534,  les  Maures  de  la  Tripolitaine  s'étaient  soulevés, 
et  il  avait  fallu,  pour  repousser  leurs  attaques,  renforcer  la 
garnison  byzantine  *  ;  dans  le  sud  de  la  Numidie,  dans  la  Byza- 
cëne^  les  grands  chefs  se  concertaient,  et  dans  l'intérieur 
même  du  pays  byzantin^  les  tribus  qui  avaient  soutenu  la 
cause  de  Gélimer  et  fidèlement  combattu  pour  lui  jusqu'au 
bout  ',  étaient  trop  récemment  et  trop  mal  soumises  pour  ne 
point  reprendre  les  armes  au  premier  signal. 

Or,  ce  n'étaient  point  là  des  adversaires  méprisables,  et 
ces  YujjLvol  Maupouffici,  comme  les  appelait  dédaigneusement  Bé- 
lisaire  \  devaient  donner  plus  de  mal  aux  Byzantins  que 
n'avaient  fait  toutes  les  forces  du  royaume  vandale.  Ils  for- 
maient à  ce  moment  quatre  groupes  principaux.  C'étaient 
d'abord  les  tribus  de  la  Tripolitaine,  dont  la  plus  importante 
et  la  plus  redoutable  était  celle  des  Levathes  ou  Louata,  can- 
tonnée sur  les  frontières  occidentales  de  la  province  *•  Dans 
le  sud  de  la  Byzacène,  aux  alentours  des  Chotts  et  jusqu'aux 
environs  de  Gapsa  et  de  Thelepte,  une  grande  confédération 
se  groupait  autour  de  la  tribu  des  Frexes,  et  reconnaissait 
l'autorité  suprême  d'Antalas,  fils  de  Guenfan  •  ;  d'autres  tri- 
bus de  la  même  région  obéissaient  à  des  chefs  indépendants, 
tels  qu'Esdilasa,  Medesinissa  et  surtout  le  plus  considérable 
de  tous,  Coutsina,  dont  le  nom  reviendra  souvent  dans  l'his- 
toire des  guerres  africaines'.  Dans  le  sud  de  la  Numidie, 

1.  Procope,  Beil.  Vand.,  p.  444-445. 

2.  W.,  p.  431. 

3.  Id.,  p.  406,  427. 
4. /d.,  p.  388. 

5.  W.,  p.  502,  533  ;  Corippus,  Joh„  VI,  224  ;  Partsch,  Préface  à  Véd,  de  CoHp- 
pus^  p.  xu-xin. 

6.  Bell.    Vand.,  p.   349,  462,  503-504;  Joh.,  III,  66-67,  etc.;  Partsch,  /.  c, 

p.  XI-XII. 

7.  Bell.  Vand.,  p.  448. 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  43 

toute  une  série  de  grands  États  indigènes  s'étaient  constitués 
à  la  faveur  de  Tanarchie  vandale.  Après  avoir^  vers  la  fin  du 
v'  siècle,  secoué  l'autorité  des  successeurs  de  Genséric,  les 
montagnards  de  l'Âurès  n'avaient  pas  tardé  à  descendre  dans 
les  plaines  fertiles  qui  bordent  le  massif  à  l'est  et  à  l'ouest  S 
et  chassant  devant  eux  les  colons  romains  épouvantés  par 
leurs  razzias  incessantes,  ils  avaient  pillé  et  détruit  toutes  ces 
villes  florissantes,  Lambèse,  Diana  Veteranorum,  Thamu- 
gadi,  Bagai,  qui  jadis  avaient  porté  la  civilisation  sur  les  hauts 
plateaux  de  Numidie  ^  :  maintenant,  leurs  ravages  s'étendaient 
impunément  presque  jusqu'à  la  lisière  du  TelP.  Parmi  les 
chefs  indigènes  de  cette  région^  le  plus  puissant  était  le  roi  de 
FAurès,  labdas,  capable,  suivant  Procope,  de  mettre  en  ligne 
30,000  cavaliers  *  :  à  côté  de  lui,  Orthaias  était  probablement 
le  chef  des  tribus  du  Hodna*.  Enfin  toute  la  Maurétanie,  depuis 
Gadès  jusqu'au  delà  de  Gaesarea,  formait  le  domaine  de  quel- 
ques grands  princes  indigènes  :  la  plus  forte  partie  de  la  Césa- 
rienne^ toute  la  côte,  à  l'exception  de  la  capitale,  appartenait 
àMastigas^;  au  sud-ouest,  depuis  Tiaret  et  Frenda  jusqu'à 
Lamoricière  (Altava)  et  Aïn-Temouchent  (Safar),  un  autre  roi, 
Masuna,  avait  fondé  un  vaste  empire^  Tous  ces  chefs,  fiers 
des  succès  tant  de  fois  remportés  sur  les  Vandales  ^  encoura- 
gés par  les  faciles  ravages  dont  ils  avaient  couvert  le  pays 
romain,  étaient  capables  d'opposer  aux  Byzantins  une  résis- 
tance redoutable  et  d'ébranler,  même  dans  les  provinces  déjà 
soumises^  une  domination  encore  mal  assurée.  Les  régions 
montagneuses  de  la  Byzacène  et  de  la  Proconsulaire  renfer- 

1.  BelL  Vand,,  p.  466. 

2.  /d.,  p.  466  (Timgad)  ;  494  (Bagai).  Diana,  Lambèse  n*ont  plug  d'éyèquea  en  484 
(Ragot,  Recueil  de  Constantine.Wl,  226,  190-191). 

3.  BelL  Vand.,  p.  463;  Corippu»,  JoA.,  HI,  184-197,  267-276. 

4.  BelL  Vand.,  p.  462,  463,  465. 

5.  W.,  p.  466. 

6.  /d.,  p.  451,465,  501. 

7.  Id.,  p.  461;  C.  /.  £.,  VIII,  9835.  Cf.  La  Blanchère,  Voyage  d'étude  dans  la 
Maurétanie  Césarienne  (Arck,  des  missions^  X,  p.  92,  96-99). 

8.  BelL  Vand.,  p.  456. 


a  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

maient  en  effet,  en  pif  in  territoire  byzantin,  bien  des  tribus 
imparfaitement  pacifiées  :  dans  le  vaste  promontoire  du  cap 
Bon,  dans  la  vallée  difficile  et  tourmentée  du  haut  Bagradas, 
dans  les  ravins  du  mont  Pappua^  subsistaient  des  ferments 
de  révolte,  que  le  moindre  incident  suffirait  à  réveiller  *.  Enfin, 
au  delà  des  tribus  qui  se  trouvaient  en  contact  immédiat  avec 
les  Byzantins,  au  delà  de  TAurës,  le  désert  nourrissait  une 
réserve  inépuisable  de  nomades,  toujours  prêts  à  venir  faire 
du  butin  dans  les  riches  plaines  de  l'Afrique '.  La  situation 
était  donc  grave,  et,  malgré  la  bonne  volonté  assurée  des 
populations  romaines^  Tinsurrection  menaçante  des  indigènes 
risquait  d'ajourner,  peut-être  pour  toujours,  la  réalisation  des 
vastes  espoirs  de  Justinien. 


m 

Du  moins,  le  gouvernement  byzantin  possédait-il  des  moyens 
suffisants  pour  défendre  les  conquêtes  déjà  faites,  pour  assurer, 
fût-ce  par  la  force,  la  pacification  du  reste  du  pays?  On  a  vu 
précédemment  quel  était,  même  sous  les  ordres  d'un  Bélisaire, 
Tétat  de  l'armée  byzantine;  lorsque,  vers  le  milieu  de  Tannée 
534,  le  général  quitta  l'Afrique  pour  retourner  à  Constanti- 
nople,  les  choses  prirent  bien  vite  une  tournure  plus  fâcheuse 
encore.  II  faut  voir,  dans  Tun  des  rescrits  impériaux  d'avril 
534,  les  multiples  recommandations  que  fait  Justinien  aux 
soldats  et  aux  officiers  de  Tarmée  d'Afrique  :  elles  montrent 
au  vif  quelques-uns  des  défauts  dont  souffraient  les  troupes 
byzantines.  Avec  une  insistance  bien  significative,  l'empereur 
prescrit  aux  soldats  d'être  «  doux  et  bienveillants  à  l'égard 
des  habitants,  de  ne  leur  faire  tort  ni  injure  »  '.  Aux  officiers 
il  ordonne  de  ne  point  chercher  à  gagner  sur  la  solde  ou  sur 
la  nourriture  de  leurs  hommes  et  de  se  contenter,  sous  peine 

i.  BelL  Vand,,  p.  427;  Joh,,  II,  56-61,  65-68;  Partch,  Z.  c,  VIII-X. 

2.  BelL  YaîMf.,  p.  493. 

3.  Cod.  Ju8t.,  1,27,  2,  11. 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  45 

de  destitution,  du  traitement,  d'ailleurs  fort  suffisant^  qui 
leur  est  alloué*.  Surtout,  l'empereur  exige  que  les  chefs  mi- 
litaires fassent  avant  tout  leur  métier  de  soldats  :  ils  devront 
constamment  tenir  leurs  effectifs  au  complet  et  leurs  troupes 
en  haleine';  surtout  ils  devront  concerter  leurs  efforts,  et  au 
lieu  de  se  diviser  par  de  jalouses  intrigues,  s'entendre  pour 
la  défense  commune  des  provinces  confiées  à  leur  vigilance  ». 
Tout  cela  est  excellent  sans  doute;  malheureusement,  officiers 
et  soldats  devaient  en  tenir  peu  de  compte  :  et  dans  ces  ins- 
tructions impériales^  déjà  l'on  voit  apparaître  le  germe  de 
quelques-uns  des  pires  maux  qui  ruineront  l'Afrique  byzantine. 
On  avait  fait  dans  la  conquête  la  part  belle  à  l'armée  victo- 
rieuse :  les  esclaves,  l'argent,  les  femmes  lui  avaient  été  libé- 
ralement abandonnés^;  malgré  cela,  les  soldats  se  jugeaient 
mal  récompensés  de  leurs  fatigues  '  et  se  déclaraient  lésés 
dans  le  partage  du  butin.  Ils  réclamaient,  eux  aussi,  leur  part 
des  terres  vandales,  et  se  plaignaient  violemment  de  voir 
attribuer  au  trésor  public  ou  au  domaine  impérial  les  proprié- 
tés reprises  sur  les  vaincus  •  :  ils  soupçonnaient  leurs  généraux 
de  vouloir  s'enrichir  à  leurs  dépens^  et  annonçaient  l'intention 
de  réparer  par  eux-mêmes  les  injustices  dont  ils  se  croyaient 
victimes.  D'autre  part,  après  une  campagne  de  six  mois,  cette 
armée  de  mercenaires  aspirait  à  jouir  en  repos  des  richesses 
qu'elle  avait  gagnées  ;  la  plupart  des  soldats  s'étaient  ma- 
riés, épousant  leurs  prisonnières  vandales^  :  ils  prétendaient 
vivre  tranquilles  avec  leurs  femmes  et  le  service  commençait 
à  leur  paraître  le  plus  lourd  des  esclavages  *.  D'ailleurs,  enor- 
gueillis de  leurs  succès,  pleins  de  mépris  pour  les  populations 
africaines,  ils  espéraient  bien  prendre  leur  revanche  de  la 

1.  Cod.  JusL,  I,  27,  2,  9  a  et  9  6. 

2.  Ibid.,  9. 

3.  Ibid.,  10. 

4.  Bell.  Vand.,  p.  470. 

5.  W.,  479,  482. 

6.  /d.,  p.  470. 

7.  Id.,  p.  470. 

8.  Id„  p.  478. 


46  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

modération  relative  que  leur  avait  imposée  Bélisaire  :  les 
riches  villes  d'Afrique  leur  semblaient  une  admirable  matière 
à  pillage,  leurs  habitants,  des  vaincus  qu'on  pouvait  molester, 
dépouiller  et  tuer  sans  scrupules  ^  Pour  ramener  au  devoir  et 
employer  utilement  cette  armée  indisciplinée  et  avide,  il  eût 
fallu  des  chefs  énergiques  et  loyaux;  or,  du  haut  en  bas  de  la 
hiérarchie,  les  officiers,  sauf  quelques  rares  exceptions,  se 
jalousaient  àTenvi.  Les  uns  songeaient  à  profiter  des  rancunes 
du  soldat  pour  chercher  la  satisfaction  de  leurs  ambitions 
personnelles  '  ;  les  autres  n'étaient  point  fâchés  d'entretenir, 
ou  tout  au  moins  de  laisser  croître  une  indiscipline  qui  para- 
lysait les  plans  du  général  en  chef  »  :  et  en  face  de  l'ennemi 
menaçant,  les  camps  byzantins  étaient  pleins  d'intrigues,  de 
conspirations,  de  menaces  de  révolte  *.  Cette  armée  en  décom- 
position était  prête  pour  toutes  les  paniques  et  pour  toutes 
les  séditions. 

D'autre  part,  la  défense  de  la  frontière  était  encore,  malgré 
les  instructions  expresses  de  l'empereur,  fort  insuffisamment 
organisée.  Depuis  que  Genséric  avait  ordonné  de  raser  les 
murailles  de  toutes  lesjvilles  africaines  *,  il  n'existait  plus,  sauf 
à  Carthage  et  àHippone  •,  aucune  forteresse  dans  la  province, 
et  cet  admirable  système,  par  lequel  les  Romains  avaient 
assuré  la  sécurité  du  pays,  était  pleinement  tombé  en  abandon. 
A  la  vérité,  la  nécessité  de  se  protéger  contre  les  incursions 
des  Maures  avait  amené  les  populations  à  construire  sur  quel- 
ques points  des  fortifications  improvisées '.  Mais  ce  n'étaient 
pas  là  de  bien  sérieux  moyens  de  défense  ;  en  fait,  la  frontière 
était  ouverte  à  toutes  les  invasions.  Pour  parer  à  ces  insuffi- 
sances, Bélisaire  avait  installé  un  certain  nombre  de  postes 

1.  Bell.  Vand.,  p.  473,  474,  477. 

2.  /cf.,  p.  475,  490. 

3.  /cf.,  p.  473. 

4.  /d.,  p.  472.  Sur  les  précautions  à  preodre  cootre  les  aTaaet;  des  troupes, 
cL  Sirateg.,  ï.  9,  p.  40. 

*î.  Bell.   Vand.,  p.  333. 

*i,  Id.,  p.  333.  427. 

7,  /d.,p.  3-l9;Aedif.,  p.  340. 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DtE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  47 

sur  les  confins  de  la  Byzacène  et  de  la  Numidie  *,  commencé 
Torganisalion  de  ces  milites  limilanei  dont  Justinien  lui  re- 
commandait la  création,  et  sans  doute  même  construit  quel- 
ques redoutes  '.  Pour  surveiller  les  indigènes,  des  corps  de 
cavalerie  avaient  été  cantonnés  dans  la  Byzacène  ';  pour  dé- 
fendre le  nord  de  la  Numidie,  une  sorte  de  marche  frontière 
avait  été  constituée  sur  la  lisière  septentrionale  du  haut  pla- 
teau. Mais  cette  organisation  était  encore  imparfaite.  Les 
troupes  installées  dans  les  divers  postes  étaient  peu  nom- 
breuses^ mal  préparées  au  rôle  qu'elles  devaient  remplir*; 
les  places  fortes  étaient  rares  ou  inachevées.  Par  surcroît, 
fiélisaire  ne  parait  pas  un  seul  instant  avoir  pressenti  la  gra- 
vité du  péril;  comme  Justinien,  il  croyait  que  la  chute  du 
royaume  vandale  et  la  prise  de  Géiimer  aASuraient  la  sou- 
mission de  l'Afrique,  et  fort  imprudemment  il  décidait  de 
ramener  avec  lui  à  fiyzance  une  partie  du  corps  expédition- 
naire, précisément  ces  troupes  d'élite  qui  avaient  assuré  le 
succès  de  la  campagne  *.  Aussi  le  résultat  ne  pouvait-il  être 
douteux  :  dès  la  première  prise  d'armes,  les  postes  de  la  fron- 
tière furent  enfoncés  et  le  pays  byzantin  livré  sans  défense  aux 
ravages  et  aux  cruautés  des  indigènes. 

En  outre,  les  mesures  mêmes  par  lesquelles  Justinien  s'était 
efforcé  de  faire  agréer  la  domination  byzantine,  semaient  dans 
la  province  des  causes  de  divisions  et  de  troubles.  L'autorisa- 
tion de  revendiquer  les  terres  injustement  usurpées  avait 
réveillé  une  multitude  de  questions  litigieuses  et  produit  une 
véritable  «  guerre  intestine  »  '.  On  remontait  jusqu'à  cinq  ou 
six  générations  en  arrière  pour  prouver  des  droits  manifeste- 
ment prescrits  ;  on  produisait  devant  les  tribunaux  des  pièces 
fausses,  des  témoins  subornés',  de  sorte  que,  «  en  souhai- 

!.  Bell,  Vand.,  p.  447. 

2.  /d.,  p.  463. 

3.  Id.,  p.  448. 

4.  Id.,  p.  444. 

5.  W.,  p.  444. 

6.  Sov,  36,  praef. 
1.  Nov.  36,  2,  4. 


48  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tant  restituer  à  chacun  ce  qui  lui  appartenait,  Tempereur  per- 
mettait à  beaucoup  de  gens  de  s'emparer  traîtreusement  du 
bien  d'autrui  »  *.  Il  y  avait  là  un  état  de  choses  assez  grave 
pour  que,  en  835,  Justinien  jugeât  nécessaire  d'intervenir,  et 
de  limiter  à  la  troisième  génération  les  droits  qu'on  pourrait 
utilement  faire  valoir  •;  mais  le  mal  était  commis  et  il  devait 
avoir  d'assez  graves  conséquences.  D'autre  part,  Tintolérance 
religieuse  portait  ses  fruits  :  malgré  l'ardeur  de  sa  piété, 
l'empereur  avait  compris  que  quelques  concessions  étaient 
nécessaires  et  que  l'intérêt  commandait  de  traiter  avec  ména- 
gement les  prêtres  ariens,  dont  l'influence  était  grande.  Jus- 
tinien inclinait  donc  h  conserver  dans  leurs  charges  et  di- 
gnités les  membres  du  clergé  hérétique  qui  reviendraient  à 
l'orthodoxie  '.  Mais  cette  indulgence  politique  sembla  into- 
lérable aux  évêques  africains  :  le  concile  de  Carthage  protesta, 
le  pape  blâma  l'empereur  d'admettre  un  compromis  aussi 
condamnable  \  et  il  fallut  en  passer  par  sa  volonté.  Le  résultat 
fut  plus  grave  qu'on  ne  pensait  :  les  prêtres  ariens  excom- 
muniés firent  à  l'autorité  byzantine  une  opposition  irré- 
conciliable, et  comme  ils  comptaient  encore,  dans  le  pays  et 
jusque  dans  rarmée* ,  un  assez  grand  nombre  d'adhérents, 
ce  fut  une  nouvelle  cause  de  trouble  et  de  désorganisation 
ajoutée  à  toutes  celles  qui  paralysaient  la  défense. 

Une  chance  favorable  pourtant  restait  à  la  cause  impériale  : 
c'était  l'heureux  choix  qu'avait  fait  l'empereur  pour  donner 
un  successeur  à  Bélisaire.  Parmi  les  officiers  qui  avaient  fait 
la  campagne  d'Afrique^  iiul  n'était  plus  apte  à  achever  la  con- 
quête que  l'ex-consulSolomon.  Arménien  d'origine,  il  était  né 
au  bourg  de  Solachon,  près  de  Dara*  ;  il  avait  suivi  l'expédition 
d'Afrique  en  qualité  d'adjoint  du  général  en  chef,  avec  le  titre 


1.  Nov.  36,  5. 

2.  Nov.  36,  1. 

3.  Labbe,  IV,  1793-1794;  MorcelH,  Africa  christiana,  III,  284. 

4.  Labbe,  IV,  1756,  1791-1792,  1793-1794. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  471-472. 

«.  Théophylacte  Simocatta,  II,  3,  13;  II,  4,12;  Procope,  BelL  Vawd.,  359. 


i 


L'AFRIQUE  AU  LENDEMAIN  DE  LA  CONQUÊTE  BYZANTINE  49 

de  domesticus  ;  véritable  chef  d'état-major  de  Bélisaire,  il 
avait  assez  complètement  gagné  la  confiance  du  patrice  pour 
être  chargé  par  lui,  après  la  victoire  de  Decimum  et  la  prise 
de  Carthage,  d'aller  porter  à  l'empereur  la  nouvelle  des  évé- 
nements accomplis  '.  On  peut  croire  que  ses  rapports  ne  furent 
point  sans  influence  sur  les  mesures  que  Justinien  arrèlapour 
la  réorganisation  de  l'Afrique  ;  en  tout  cas  il  revint  à  Car- 
thage, investi  d'une  mission  de  confiance',  -et  c'est  à  lui  que 
Bélisaire  transmit  en  s'embarquant  le  commandement  de  Tar- 
mée  '.  Bientôt,  au  titre  de  magister  milittim,  Solomon  allait 
ajouter  celui  de  préfet  du  prétoire  d'Afrique,  et  réunir  entre 
ses  mains  les  pouvoirs  civils  et  militaires*.  Or  il  se  trouva 
que^  dans  le  corps  de  ce  général  eunuque  ',  se  rencontraient 
une  âme  énergique,  un  courage  à  toute  épreuve,  de  remar- 
quables talents  de  diplomate  et  d'administrateur  :  c'était  beau- 
coup pour  résoudre  heureusement  lacrise  qui,  en  534,  mena- 
çait l'Afrique  ;  ce  n  était  pas  assez  pour  la  conjurer  entièrement. 
Pourtant,  ert  contre  toute  espérance,  on  le  croyait  à  Cons- 
tantinople.  En  toute  sincérité^  Justinien  pensait  qu'un  ordre 
impérial  suffirait  à  «  étendre  les  provinces  africaines  jusqu'aux 
limites  qu'avait  atteintes  la  république  romaine  avant  l'inva- 
sion des  Vandales  et  des  Maures  »  %  à  reconstituer  cet  «  antique 
limes» ^  tout  hérissé  de  villes  fortes  et  de  citadelles,  qui  garan- 
tissait autrefois  l'intégrité  de  l'Afrique  \  Il  se  persuadait  que 
«  les  veilles  et  les  travaux  de  ses  soldats  dévoués  ^  »  triom- 
pheraient sans  peine  des  ennemis  qui  occupaient  encore  des 
portions  de  son  impérial  héritage;  avec  une^emarquable  et 
un  peu  naïve  insistance,  il  parlait  du  moment  prochain  où 


K  Beil.  Vand.,  p.  406. 

2.  id.,  p.  441-442. 

3.  Id.,  p.  444,  447. 

4.  C.  /.  /..,  Vm,  4677;  Nov.  36,  37  (a.  535). 

5.  Bell.  Vand.,  p.  359. 

6.  Cod.  Just.,  I,  27,  2,  4. 

7.  M.,  4  a,  7,  13. 
S. /rf.,  4  6. 

I. 


50  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Tancienne fronlière  serait  réoccupée  dans  son  intégrité*,  et  il 
était  si  sûr  du  succès,  que  d'avance,  en  deux  rescrits  fameux, 
il  organisait  sa  conquête.  Il  était  décidé,  décrété,  qu'à  partir 
du  mois  de  septembre  534  %  entrerait  en  vigueur  la  nouvelle 
administration  civile,  militaire  et  financière  ;  à  cette  date  même 
les  événements  allaient  se  charger  de  montrer  toute  la  vanité 
dtîs  illusions  nourries  par  Tétat-major  byzantin  et  partagées 
par  Tempereur.  Pendant  que  Bélisaire  triomphait  à  Constan- 
linople,  et  étalait  aux  yeux  éblouis  de  la  populace  de  la  capitale 
Jes  sièges  d'or,  les  pierreries,  les  vases  précieux,  la  vaisselle 
fleprix,  les  vêtements  magnifiques,  les  voitures  somptueuses, 
tous  les  trésors  que  cent  ans  de  pillage  avaient  accumulés  à 
Cartilage*,  pendant  que  la  piété  et  l'orgueil  de  Justinien  se 
glorifiaient  de  voir  reconquis  tout  ensemble  les  vases  de  Salo- 
mon  et  les  ornements  de  l'empire  S  pendant  que  dans  le  pa- 
lais impérial,  sur  les  murs  du  vestibule  de  la  Chaicé,  on  faisait 
représenter,  en  d'éclatants  tableaux  de  mosaïques,  les  épisodes 
de  la  conquête  de  l'Afrique,  les  villes  soumises  et  Gélimer 
rendant  humblement  hommage  à  Justinien  et  à  Théodora', 
pendant  ce  temps  même,  le  successeur  de  Bélisaire,  avec  son 
armëe  à  demi  désorganisée,  luttait,  au  milieu  d'un  pays  mal 
soumis  et  plus  mal  défendu  encore,  contre  une  formidable 
insurrection. 

1.  Cad,  JusL,  I,  27,  2,  4  6,  7,  13. 

2.  W.,  I,  27,  1,  43. 

3.  Util.  Vand.,  p.  445-447. 

4.  îd.,  p.  445,  446;  Cod.  Just.,  I,  27,  1,  7. 

hi.  Procope,  Aed.f  p.  204;  Corippus,  In  laudem  Juslini^  I,  285-287. 


CHAPITRE    III 


LA    PACIFICATION    DE    l' AFRIQUE    PAR    SOLOMON    (534-539) 


En  racontant  les  origines  du  soulèvement  berbère  de  534, 
Procope  rapporte  un  curieux  épisode  *.  Au  moment  où  la  rup- 
ture éclatait  entre  Gélimer  et  Tempire  byzantin,  les  chefs  des 
tribus  avaient  consulté  leurs  prophétesses  pour  savoir  quelle 
attitude  ils  devraient  observer  entre  les  deux  partis.  L'oracle 
avait  répondu  qu'une  armée  sortie  de  la  mer  ruinerait  le 
royaume  vandale  et  que  les  Maures  à  leur  tour  seraient  vain- 
cus et  détruits,  le  jour  où  les  Romains  auraient  à  leur  tête  un 
général  imberbe.  Le  débarquement  imprévu  de  Bélisaire,  en 
jusiifiaut  la  première  partie  de  la  prophétie,  avait  décidé  les 
tribus  à  garder  la  neutralité,  et  àlaisser,  sans  intervenir,  écraser 
les  Vandales  :  mais  quand  la  lutte  touchant  à  sa  fin  sembla 
présager  le  moment  prochain  de  leur  propre  défaite,  ils  cher- 
chèrent à  reconnaître  parmi  les  officiers  byzantins  le  vainqueur 
annoncé  par  les  destins.  Ils  n'en  purent  découvrir  aucun  qui 
répondît  au  signalement  donné  —  Solomon  était  en  ce  mo- 
ment en  mission  à  Constantinople  —  et  reprenant  courage, 
se  croyant  en  conséquence  à  Tabri  de  tout  danger,  ils  n'hési- 
tèrent plus  à  engager  les  hostilités. 

Au  vrai,  d'autres  motifs  encore  semblent  avoir  provoqué 
l'insurrection.  Pendant  la  guerre  vandale,  les  indigènes,  sui- 
vant une  tactique  dont  ils  semblent  coutumiers,  paraissent 
avoir  jugé  fort  habile  de  laisser  les  deux  adversaires  user  leurs 

1.  Procope,  Bell.  Vand.,  p.  443-444. 


52  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

forces  et  s'épuiser  l'un  par  l'autre  :  maintenant  ils  croyaient  le 
moment  venu  de  mettre  à  profit  la  désorganisation  profonde 
qui  suivait  la  défaite  de  Gélimer.  D'autre  part,  les  prestigieux 
succès  de  Bélisaire,  sans  doute  aussi  les  promesses  magnifi- 
ques dont  il  avait  acheté  l'inaction  des  grands  chefs,  avaient 
imposé  aux  indigènes  une  prudente  et  politique  réserve;  mais 
les  engagements  pris  par  le  général  byzantin  étaient  demeurés 
lettre  morte,  et  les  tribus  se  plaignaient  de  n'avoir  obtenu 
aucun  des  avantages  qu'on  avait  fait  miroiter  à  leurs  yeux  ^  11 
semble  en  outre  qu'une  mauvaise  récolte,  et  la  famine  qui  en 
était  la  conséquence  *,  avaient  exaspéré  chez  les  Maures  le 
désir,  toujours  éveillé,  d'aller  piller  les  plaines  fertiles  et  les 
riches  villages  de  l'Afrique  romaine.  Enfin  Bélisaire  parlait, 
et  l'état  où  il  laissait  la  province  semblait  merveilleusement 
favoriser  une  prise  d'armes. 


I 

La  guerre  nouvelle  qui  commençait  était  d'une  gravité 
extrême.  Jusque-là,  les  troupes  byzantines  avaient  eu  à  com- 
battre une  armée  à  peu  près  régulière;  elles  en  avaient  triom- 
phé sans  trop  de  peine  par  la  supériorité  de  leur  armement  et 
les  règles  plus  savantes  de  leur  tactique.  Contre  le  nouvel 
adversaire  qu'elles  rencontraient,  ces  avantages  ne  leur  ser- 
vaient plus  guère  :  en  face  des  légers  cavaliers  berbères,  la 
solide  armée  impériale  risquait  de  paraître  un  peu  lourde  et 
insuffisamment  mobile;  devant  la  tactique,  peu  scientifique 
peut-être,  mais  si  merveilleusement  appropriée  au  pays,  de 
leurs  insaisissables  ennemis,  les  correctes  méthodes  de  com- 
bat des  généraux  byzantins  risquaient  de  demeurer  inefficaces; 
et  les  impériaux  tout  d'abord  s'en  trouvèrent  assez  déconcer- 
tés, pour  qu'il  ne  soit  pas  inutile  d'insister  un  peu  sur  les  dif- 
férences qui  séparaient  les  deux  adversaires. 

1.  Proc,  Bell,  Vand,,  p.  452. 

2.  W.,  p    452. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  53 

Los  troupes  byzantines  étaient  en  général  fort  lourdement 
armées*.  Le  fantassin  portait  la  cuirasse  et  les  jambières  de 
métal,  ou  tout  au  moins  de  cuir,  et  par  dessous,  une  cotte  de 
maille  d'environ  deux  centimètres  d'épaisseur;  sur  la  tète^  il 
mettait  un  casque  de  métal^  surmonté  d'une  longue  pointe; 
pour  se  couvrir,  il  avait  un  grand  bouclier  mesurant  1",62  de 
diamètre,  au  centre  duquel  était  fichée  une  pointe  de  fer  de 
huit  centimètres  de  longueur.  Tous  les  hommes  portaient  Té- 
pée,  l'arc  et  le  carquois*;  une  moitié  d'entre  eux  étaient  par 
surcroît  armés  de  la  pique';  enfin  le  soldat  était  parfois  en- 
core muni  d'une  forte  hache  à  double  tranchant,  qui  lui  ser- 
vait, dans  les  pays  boisés,  à  se  frayer  un  passage*.  La  ca- 
valerie était  plus  pesamment  équipée  encore  :  homme  et  cheval 
étaient  complètement  bardés  de  fer;  sur  la  tête,  le  cheval  por- 
tait un  frontal  de  métal  et  tout  son  avant-train  était  soigneu- 
sement cuirassé;  on  poussait  la  précaution  jusqu'à  lui  ferrer 
les  pieds  pour  l'empêcher  de  se  blesser  aux  pointes  des  che- 
vaux de  frise  ^  Le  cavalier  n^était  pas  moins  bien  protégé  :  il 
avait  l'armure  de  fer,  le  bouclier,  le  haut  casque  empanaché, 
et  comme  armes  Tépée,  la  lance,  Tare  elle  carquois*.  Assu- 
rément, à  côté  de  ces  troupes  de  ligne,  les  forces  byzan- 
tines comprenaient  aussi  quelque  infanterie  légère  et  des 
cavaliers  moins  pesamment  armés  que  les  cataphractaires  ^  ; 
mais  ces  régiments  paraissent  avoir  été  surtout  employés  au 
service  d'éclaireurs  :  ils  jouent  dans  les  batailles  un  rôle  assez 

i.  Anonyme  sur  la  Tactique  (Kôchly  et  Rûstow,  /.  c),  XVI  ;  Bell.  Vand. 
p.  456. 

2.  Anonyme,  XXVII,  4;  XXXVI,  1. 

3.  W.,  XVL 

4.  /d.,  XVIII,  10;  Joh.y  l\,  560,  et  d'une  manière  générale,  sur  Tarmement 
de  l'infanterie,  les  Strategika  attribués  à  l'empereur  Maurice  (éd.  Scheffcr;, 
Xïl,  8,p.  303-305. 

5.  Anonyme,  XVIÏ. 

6.  Joh.  IV,  489-501  (curieuse  description  du  cavalier  byzantin)  ;  Bell.  Vand., 
p.  448,  et  Strategika,  I,  2,  p.  20-23. 

7.  Anon.,  XXXII,  6,  7  ;  XXXV,  4.  Les  Strategika,  Xll,  8,  p.  303-305,  distinguent 
la  grosse  infanterie  des  (jxouxaxot  et  Tinfantcrie  légère.  Sur  la  cavalerie  légère 

(  cursores,  anlecessores),cf,  ibid.,  I,  3,  p.  28-29. 


&%  HTSTOIRE  DE  L\  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

secondaire,  et  d'ailleurs  ils  ne  semblent  point  avoir  constitué 
un  effertif  fort  important. 

On  conçoit  qu'une  armée  ainsi  équipée  ne  fût  point  très 
mobile  et  que  Tinfanterie  en  particulier  se  déplaçât  avec  quel- 
que lenteur:  aussi  s'accommodait-elle  mieux  de  la  défensive 
que  de  Toffensive;  et,  par  un  trait  assez  significatif,  les  livres 
de  tactique  de  l'époque  se  préoccupent  beaucoup  moins  de 
Tattaque  à  fournir  que  des  moyens  de  se  protéger  contre  les 
assauts  deTennemi.  D'autre  part,  les  changements  introduits 
dans  Tarmement  des  troupes  avaient  fait  perdre  aux  armées 
byzantines  du  vie  siècle  quelque  chose  de  leur  solidité.  Depuis 
qnvi  fantassins  et  cavaliers  étaient  tous  pourvus  de  l'arc,  l'ar- 
cher était  devenu  le  roi  des  batailles  *  :  et,  malgré  les  critiques 
sévères  de  certains  écrivains  militaires  du  temps  *,  c'est  de  ce 
coté  qu'était  dirigée  toute  l'instruction  des  hommes.  On  leur 
apprenait  à  manier  l'arc,  indifféremment  à  pied  et  à  cheval, 
à  se  servir  de  leurs  armes  de  manière  à  tirer  tout  à  la  fois 
juste*  fort  et  vite;  on  se  flattait  d'obtenir  des  flèches  une  puis- 
sance de  pénétration  suffisante  pour  percer  facilement  boucliers 
et  cuirasses*;  mais,  malgré  ces  perfectionnements  ingénieux, 
ceux-là  peut-être  n'avaient  pas  tort,  qui  craignaient  de  voir 
aitéror  par  là  les  anciennes  qualités  militaires  du  soldat  ro- 
main. Habituées  en  effet  à  combattre  surtout  à  distance,  les 
troupes  commençaient  à  redouter  le  contact  direct  de  l'ad- 
versaire; pour  tirer  bon  parti  de  Tinfanteri»  byzantine,  il 
était  devenu  essentiel  de  la  couvrir  contre  les  charges  de  la 
cavalerie  ennemie*;  il  fallait  devant  son  front  disposer  des 
pieux  et  des  chevaux  de  frise,  renforcer  par  des  machines  les 
an  "-les  de  ses  carrés,  surtout  Tabriter  le  plus  possible  der- 


'6* 


1,  BeiL  Pers,,  1, 14;  I,  18;  Bell,  Goth.,  1,22. Surtout  Bell.  Pevs.,  1,  1,  p.  11-13. 
a    BelL  Pers.,  I,  p.  U,  12-13. 

3.  M,  p.  12-13.  11  existe  un  traité  dpécial  du  vi«  siècle  Tispi  xo^îa;  (Kôchly 
et  Rtlatow,  /.  c,  p.  198-209)  et  Jâhns,  Gesch.  der  Kriegwissenschaft,  Munich. 
ISSy,  p.  151;  cf.  Strategika,  I,  1,  p.  18-19. 

4.  Voir  le  traité  d'Urbicius  qui  date  du  vi«  siècle;  Stralegika,  Xll,  8,  p.  366- 
368*  CrJAhns,  /.  c,  p.  141-142. 


LA  PACIFICATION  DE  LAFRÏQUE  PAR  SOLOMON  r,5 

rière  des  fortifications,  où  elle  pouvait  avec  sang-froid  faire 
usage  de  ses  armes.  On  voit  en  quel  étal  d'infériorité  des 
troupes  de  cette  sorte,  peu  mobiles  à  la  fois  et  peu  solides,  se 
trouvaient  devant  les  charges  furieuses  des  légers  escadrons 
berbères.  Fort  heureusement  la  cavalerie  byzantine  valait 
beaucoup  mieux  que  l'infanterie  :  en  fait,  c'est  elle  qui  assu- 
rera le  succès  des  guerres  africaines,  comme  elle  avait  déjà 
fait  celui  de  l'expédition  vandale. 

L'écrivain  anonyme  du  vi*  siècle,  auquel  j'emprunte  ces  dé- 
tails, ne  nous  renseigne  pas  moins  curieusement  sur  la  tactique  * 
de  son  temps.  Dans  ce  traité,  où  sont  résumées  avec  un  tour 
assez  personnel  les  traditions  militaires  de  l'époque',  rien 
absolument  n'est  laissé  à  Timprévu*  :  en  toute  circonstance  le 
général,  nourri  de  ces  préceptes,  sait  avec  une  précision  méticu- 
leuse quel  parti  il  devra  prendre.  Il  apprend  comment  il  réglera 
la  marche  de  ses  troupes,  selon  qu'elles  s'avancent  en  plaine 
ou  dans  un  terrain  escarpé  ou  boisé  ^;  comment  il  traversera 
un  défilé  ou  franchira  un  fleuve  *;  suivant  quels  principes  il  or- 
ganisera sonservice  d'éclaireursetdegrand'garde*;  comment 
il  fera  manœuvrer  ses  troupes  ou  disposera  son  camp**.  Il 
apprend  d'après  quelles  règles  immuables  —  ce  que  le  traité 
appelle  rot7.ovoi;.{a  xoXsjjlsj''  —  il  devra  engager  et  conduire  la 
bataille  :  et  ici  surtout,  l'auteur  anonyme  guide  son  général 
comme  par  la  main.  Il  prescrit  le  terrain  qu'il  faudra  choisir 
pour  combattre,  il  dit  les  mouvements  tactiques  qu'on  devra 
opérer,  il  indique  comment  on  rangera  les  lignes  si  l'ennemi 


1.  Il  est  publié  et  traduit  dans  Kôchly  et  RQstow,  /.  c.  Cf.  J&hos,  /.  c, 
p.  146  seq. 

2.  «  Ce  n*est  point,  dit  l*auteur  des  Slraiegika,  cooiine  le  croient  des  gens 
iLiexpédmentés,  parTaudace  et  la  masse  des  soldats  que  les  guerres  réussis- 
sent, mais  par  la  protection  de  Dieu,  Vordre  et  la  tactique»  {Strateg.,  VU,  1, 
p.  135). 

3.Anon.,  XVUI. 
4.  W.,  XMII,  7  ;  XIX. 
•     5   Id.,  XX. 

6.  W.,  XXI-XXV;  XXVI-XXX.  Cf.  Slrateg.,  IX,  3,  p.  218.219. 

7.  Adoq  ,  XXXI  seq. 


5fl  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

prend  l'offensive  de  telle  ou  telle  manière,  où  Ton  placera  les 
houpes  de  cheval  s'il  se  produit  une  attaque  de  flanc,  quel 
parti  on  prendra  si  l'adversaire  est  en  nombre,  quelle  attitude 
si  ses  forces  se  composent  surtout  de  cavalerie,  où  l'on  ran- 
gera les  cataphractaires,  où  Tinfanterie  légère  :  rien  ne  man- 
que, pas  même  Ténumération  des  mesures  à  prendre  en  cas 
de  retraite  ou  de  défaite  *.  A  la  vérité,  on  objectera  peut-être 
que  ces  règles,  si  sensées  qu'elles  puissent  être,  sont  parfois 
singulièrement  minutieuses,  qu'elles  laissent  une  place  bien 
"restreinte  à  l'initiative  personnelle,  et  qu'en  face  d'une  tac- 
tique nouvelle  comme  était  celle  des  Berbères,  ces  principes 
trop  stricts  devaient  être  plus  d'une  fois  déconcertés  :  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  qu'en  pratique,  les  Byzantins  appliquèrent  ces 
i  ('gles  dans  toutes  leurs  guerres  africaines  :  c'est  ce  qui  oblige 
à  étudier  d'un  peu  près  le  curieux  traité  que  nous  analysons. 
Aussitôt  que  les  espions  font  savoir  qu'une  incursion  en- 
ucmie  est  prochaine,  le  général,  après  avoir  pris  les  mesures 
nécessaires  pour  assurer  la  sécurité  des  villes  et  des  habitants 
du  plat  pays,  doit  en  toute  hâte  se  rapprocher  de  la  frontière  ". 
Des  partis  de  cavalerie^  commandés  par  des  officiers  choisis 
parmi  les  pluâ  intelligents  et  les  plus  «débrouillards  »  de  l'ar- 
mée', éclairent  sa  route  et  battent  l'estrade  en  avant  et  sur 
les  flancs  de  la  colonne  :  ils  ont  charge  de  reconnaître  les  pas- 
sages dangereux,  d'occuper,  s'il  faut  traverser  un  défilé,  les 
hauteurs  qui  le  dominent,  de  déjouer  les  surprises,  d'enlever 
les  convois  de  l'ennemi,  surtout  d'étudier  avec  soin  le  terrain 
et  de  rechercher  les  endroits  qui  se  prêtent  aux  embuscades  *. 
Il  n'y  a  nul  intérêt  en  effet  à  risquer  de  grandes  batailles  : 
c'est  par  des  attaques  de  nuit,  par  des  pièges  habilement  ten- 
dus qu'il  faut  tâcher  de  détruire  l'adversaire  *  ;  tout  au  moins, 

1.  Anon.,  XXXVII-XXXVIII. 

2.  Id.,  XLH,  3. 

3.  Id.,  XX,  6  :  «povtpiouç  rrjv  çucxiv  xai  l|jiirtipou;  OopuScbv  ts  xa\  xaTa9x6trr,c. 
i.  Id.,  XX,  5-8  :  XVIII,  9.  Cf.  Joh.,  I,  571-578  et  Strateg,,  VII,  4,  p.  139. 

5.  Jd.,  XXXIX-XL  et  Slrateg.,  VII,  4,  p.  139;  et  sur  les  attaques  de  Duit,  ibid., 
tX.  2,  p.  2or3-211. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  57 

si  cela  est  impossible,  faul-il  s'efforcer  de  tomber  sur  lui  à 
rimprovîste,  soit  lorsqu'il  est  faligué  d'une  marche  longue  et 
difficile^  soit  au  moment  où  ses  troupes  en  désordre  s'occupent 
à  établir  ou  à  lever  le  camp,  soit  lorsqu'une  partie  de  sou 
monde  s'est  dispersée  à  la  recherche  des  vivres  ;  il  est  préfé- 
rable encore  de  l'assaillir  au  point  du  jour,  après  Tavoir  tenu 
en  éveil  toute  la  nuit  par  des  escarmouches  d^avant-garde, 
alors  qu'épuisé  de  fatigue,  il  est  incapable  de  se  défendre*. 
Faut-il  risquer  une  action  décisive,  autant  que  possible  on 
choisira  une  plaine,  où  la  cavalerie  pourra  se  déployer  à  l'aise*: 
rinfanlerie  s'y  formera  en  carrés,  couvrant  ses  lignes,  comme 
d'un  mur,  de  la  masse  de  ses  grands  boucliers  d'acier,  et  pro- 
tégée par  des  chausse-trapes  et  des  chevaux  de  frise  contre 
les  charges  de  l'adversaire'  ;  en  avant,  se  portent  les  troupes 
légères  qui,  par  leurs  flèches,  mettront  le  désordre  parmi  les 
chevaux  de  l'ennemi,  et  surtout  les  corps  de  cataphractaircs, 
afin  d'attirer  à  un  engagement  de  cavalerie  les  escadrons  hos- 
tiles*; si,  contre  tout  espoir,  ces  manœuvres  ne  décident 
point  la  victoire,  si  les  troupes  ainsi  exposées  sont  ramenées 
en  arrière,  l'infanterie  légère  se  réfugie  dans  l'intérieur  des 
carrés,  la  cavalerie  se  replie  sur  les  ailes  et  démasque  le  corps 
de  bataille  \  Alors,  pour  repousser  la  charge,  les  fantassins 
mettent  la  pique  à  terre  :  ils  couvrent  de  leurs  flèches  les 
escadrons  qui  s'élancent,  les  deux  premiers  rangs  visant  aux 
jambes  des  chevaux,  les  autres  tirant  en  l'air  pour  faire  retom- 
ber les  traits  de  haut  en  bas  sur  les  hommes  que  leur  bouclier 
ne  protège  plus*.  Et  cette  défense  semble  si  sûrement  efficace 
qu'on  prévoit  à  peine  le  cas  où  la  charge  atteindrait  les  lignes 


1.  AaoQ.,  XXXIII,  7.  Oq  rematquera  que  TAnonyme  invoque  précisément 
l'exemple  et  Tautorité  de  Bélisaire  (XXXIII,  8),  pour  déterminer  les  moyens 
de  diviser  un  ennemi  trop  nombreux  et  de  le  battre  eu  détail. 

2.  JoA.,  VIII,  23-24. 

3.  Anon.,  XVI;  Joh.  IV,  555-563;  Anon.,  XXXII,  15-17,  14. 

4.  Anon.,  XXXV,  1,  XXXVI,  2. 

5.  /d.,  XXXU,  17;  XXXVI,  2. 

6.  Id  ,  XXXVI,  1. 


■fcf^-j 


58  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

byzantines;  il  est  comme  entendu  d'avance  que  ce  tir  régulier 
et  sûr  brisera  l'élan  des  escadrons  ennemis.  Alors,  sur  ces 
troupes  en  désordre  la  cavalerie  se  rabat  et  par  une  attaque 
furieuse  —  le  seul  corps-à-corps  de  la  journée  —  achève  la 
déroute  ;  en  même  temps,  Tinfanterie  s'avance,  piques  en  avant, 
balayant  de  sa  masse  tout  ce  qui  oppose  une  résistance  *.  Mais 
il  faut  bien  se  garder  d'abuser  de  la  victoire  :  aussi  on  évitera 
de  pousser  trop  la  poursuite,  de  crainte  de  tomber  dans  quelque 
embuscade  ';  surtout  —  et  la  prescription  ne  laisse  pas  d'être 
curieuse  —  on  ne  cherchera  jamais  à  envelopper  complète- 
ment l'ennemi,  de  peur  qu'ayant  perdu  loute  possibilité  de 
fuir,  il  ne  se  décide  par  nécessité  à  fournir  une  résistance 
désespérée'.  Inversement,  si  l'adversaire  est  en  force,  on 
n'ht^silera  point  à  battre  en  retraite,  et  de  nouveau  la  tactique 
explique  comment  elle  se  fera  sans  désavantage  :  ici  encore 
c'est  lîi  cavalerie  qui  soutiendra  tout  Teffort,  et  par  ses  savantes 
manœuvres  retardera  la  poursuite  de  l'ennemi*.  Ainsi  rien 
n'est  laissé  au  hasard,  rien  non  plus  à  l'initiative  du  général, 
et  plus  d'une  fois  la  tactique  désordonnée  des  Maures  devait 
déjou*!r  ces  principes  de  combat  si  méthodiquement  établis. 

Par  l'armement,  les  Berbères  étaient  assurément  fort  infé- 
rieurs aux  Byzantins,  et  Ton  conçoit  que  les  généraux  impé- 
riaux les  traitent  dédaigneusement  d'adversaires  sans  défense*. 
Les  pieds  et  les  bras  nus,  le  corps  et  la  tête  enveloppés  d'un 
grand  burnous  de  toile,  ils  n'ont,  fantassins  et  cavaliers, 
d*aulro  arme  défensive  qu'un  petit  bouclier  de  cuir;  pour  l'at- 
taque ils  sont  armés  d'une  courte  et  large  épée,  et  chacun 
d'eux  porte  en  outre  deux  longs  et  solides  javelots*  :  mais  ce 
léger  équipement  leur  assure  une  mobilité  extrême,  et  ils  se 
fienl  à  cet  avantage  pour  harceler,  envelopper  et  rompre  la 

i.  Alîûu.,  XXXVI,  4. 

2,  M..  XL,  9. 

a    id.,  XXXIV,  4;  XXXIX,  i2]  StraUg.,  VIII,  2,  p.  198-199. 

i.  Auou.,  XXX VU,  1-2;  XXXVllI,  1-3. 

n.  Beti.  Vand,,  p.  388,  454. 

G    J-jA,  II,  114-115,  126-137,  150-155;  VIII,   189-192;  /?tî//.    Vand.y   p.    453- 

m- 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  59 

lourde  infanterie  byzantine  ^  Suivant  Tusage  de  tous  les  no- 
mades, ils  emmènent  à  leur  suite  dans  leurs  courses  les 
femmes,  les  enfants,  les  troupeaux  de  la  tribu  ';  mais  ce  n'est 
point  là,  comme  on  pourrait  croire,  un  obstacle  à  leur  marche  : 
les  bêtes,  on  le  verra  tout  à  l'heure,  ont  leur  rôle  dans  la  ba- 
taille; les  femmes,  en  élevant  les  retranchements  du  camp, 
en  soignant  les  chevaux,  en  fourbissant  les  armes,  laissent 
les  guerriers  plus  frais  pour  la  lutte,  et  d'ailleurs  plus  d'une 
fois  elles  prennent  furieusement  leur  part  du  combat.  Quant 
à  la  tactique  des  indigènes,  elle  est  déterminée  par  leur  par- 
faite connaissance  du  pays  et  la  supériorité  numérique  de 
leur  innombrable  cavalerie.  Ils  se  plaisent  à  faire  une  guerre 
d'escarmouches  et  d'embuscades,  occupant  les  passages  dif- 
ficiles des  montagnes,  se  dissimulant  sous  l'abri  des  bois  ou 
dans  le  lit  desséché  des  rivières  ;  ils  aiment  à  surprendre  l'en- 
nemi en  route  et  à  faire  tourbillonner  autour  de  ses  rangs 
demi-rompus  la  galopade  furieuse  de  leurs  escadrons';  ils 
s'entendent  aux  fuites  savantes  qui  entraînent  l'adversaire  en 
une  imprudente  poursuite  et  l'amènent,  épuisé  et  sans  ordre, 
dans  le  piège  soigneusement  préparé;  ils  le  harcèlent  par  cent 
attaques  de  détail  et  toujours  se  dérobent  devant  lui,  sans 
jamais  risquer  un  combat  régulier,  sans  vouloir  surtout  ac- 
cepter en  plaine  une  grande  bataille  rangée  ;  ils  se  tiennent 
sur  les  hauteurs,  occupant  les  sommets,  se  défendant  derrière 
des  abatis  d'arbres  *,  épiant  la  marche  de  l'ennemi  pour  profi- 
ter du  moindre  désarroi,  assaillir  son  camp  mal  fortifié,  le 
surprendre  au  moment  de  la  sieste  *  ;  ils  simulent  la  retraite, 
parfois  la  déroute,  pour  tromper  l'adversaire  et  l'attirera  leur 
suite  dans  les  régions  désertes,  où  la  faim,  la  soif,  la  chaleur 
briseront  son  courage;  même,  pour  mieux  l'épuiser,  ils  font 

1.  Bell,  Vand.y  p.  436. 

2.  Joti.,  IV,  1074-1076.  112j-1126;  Bell.  Vand..   p.  4o3,   457-458,   :;03  ;  Joh. 
VII,  68-69. 

3.  Joh,,  I,  52S,  578. 

4.  W.,  Il,  16-17. 

5.  /d.,  VUI,  258-239. 


60  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

le  dégât  devant  lui  *.  Parvient-on  à  rejoindre  ces  insaisissables 
cavaliers,  à  les  forcer  à  une  action  décisive,  leur  manière  de 
combattre  trouble  toutes  les  prévisions.  Avec  leurs  chameaux 
rangés  sur  plusieurs  lignes  d'épaisseur,  ils  forment  au  milieu 
de  la  plaine  un  vaste  retranchement  circulaire  *  :  derrière  cette 
première  défense,  ils  placent  le  reste  de  leurs  troupeaux,  bœufs, 
moulons  et  chèvres,  solidement  attachés  les  uns  aux  autres*; 
à  l'intérieur  de  ce  rempart  vivant,  des  cordes  tendues,  des 
fourches,  des  pieux  fichés  enterre,  des  chausse-trapes  semées 
sur  le  sol,  renforcent  les  moyens  de  résistance'.  Dans  cette 
citadelle,  les  femmes,  les  enfants,  les  vieillards  sont  laissés  à 
la  garde  du  camp;  les  fantassins,  qu'on  sait  incapables  de 
soutenir  le  choc  de  la  cavalerie  byzantine,  s'abritent  sur  la 
lisière  du  retranchement,  entre  les  jambes  des  chameaux  et 
repoussent  de  leurs  flèches  les  assauts  de  l'adversaire*;  la 
cavalerie  prend  position  sur  les  hauteurs  voisines,  prête  à 
charger  en  queue  ou  en  flanc  les  escadrons  ennemis  en  dé- 
sordre* :  les  indigènes  comptent  bien  en  eff'et  que  la  vue  et 
les  beuglements  des  chameaux  épouvanteront  les  chevaux 
byzantins  et  rompront  sans  peine  Télan  de  la  première  atta- 
que \  Et  pour  mieux  décider  les  Grecs  à  prendre  l'offensive, 
quelques  cavaliers  choisis  viennent  parader  devant  les  rangs 
byzantins';  des  détachements  de  cavalerie  berbère  prennent 
même  Toffensive  et,  poussant  des  clameurs  féroces,  se  préci- 
pitent au  combat':  mais  lorsque  leur  déroute  ou  leur  fuite 
simulée  ont  amené  sur  la  lisière  du  camp  les  escadrons  grecs, 
alors  la  tactique  des  indigènes  se  révèle  avec  un  plein  succès  : 

f.  Joh.,  vu,  300-309. 

2.  Bell,  Vand  ,  p.  348-349,  453;  JoA..  Il,  92-96. 

:i.  Corippus  fait  sur  ceUe  tactique  d'intolérable»  jeux  d'esprit  (Jo/i.,  Il,  397- 

A.  jQh.,  IV,  598-605,  613-618. 

5.  W.,  IV,  623-626;  Bell.  Vand.,  p.  4n3. 

6.  Btll,  Vand,,  p.  453;  Joh.,  IV,  808  seq. 

7.  BHL  Vand.,  p.  456. 

8.  Joh.,  IV,  655-637. 

9.  ld„  IV ,1680-683. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  61 

en  face  des  chameaux  furieux,  les  chevaux  se  dérobent  ou  se 
cabrent  \  elles  fantassins,  sortant  de  leur  abri,  s'élancent  sur 
les  cataphractaires  démontés  ou  rompus,  tandis  que  les  Ber- 
bères, descendant  des  hauteurs,  viennent  par  leurs  charges 
achever  la  déroute. 

Pour  compléter  ces  indications,  il  ne  sera  point  superflu 
peut-être  de  résumer  le  tableau  de  quelqu'une  de  ces  grandes 
batailles  africaines,  tel  que  Corippus  Ta  tracé  dans  son  poème. 
Sans  doute  il  y  aurait  quelque  témérité  à  chercher  dans  les 
vers  de  la  Johannide  un  rapport  pleinement  fidèle  et  parfaite- 
ment exact,  tel  qu'au  lendemain  du  combat  le  peut  faire  un 
général  victorieux.  Assurément,  les  grands  coups  d'épée  des 
héros  byzantins,  les  duels  magnifiques  où  les  injures  alternent 
avec  les  passes  d'armes  appartiennent  à  l'arsenal  de  procédés 
ordinaire  aux  faiseurs  d'épopée.  Mais  si  les  détails  sont  de 
pure  invention  poétique,  la  physionomie  générale  de  la  ba- 
taille est  bien  rendue  et  rigoureusement  vraie  :  la  plupart  des 
traits  s'en  pourraient  découvrir  isolés  dans  Procope;  dans 
Corippus  ils  se  trouvent  rassemblés  et  groupés  le  plus  heu- 
reusement du  monde  pour  nous  faire  saisir  au  vif  ce  qu'était 
la  tactique  indigène. 

Voici  par  exemple  une  surprise  de  cavalerie  '.  A  l'approche 
de  Tarmée  byzantine,  les  Maures  ont  gagné  le  sommet  des 
collines,  dissimulés  derrière  un  rideau  de  forêts  où  flambent 
de  larges  incendies.  L'avant-garde  grecque,  chargée  d'explo- 
rer le  terrain  et  de  reconnaître  les  positions  de  l'ennemi,  s'en- 
gage dans  la  plaine  :  alors  quelques  cavaliers  indigènes 
descendent  des  hauteurs,  et,  poussant  de  grands  cris,  lancent 
leurs  chevaux  au  galop  vers  les  lignes  de  l'adversaire  ;  et  peu 
à  peu  des  masses  de  cavalerie  plus  profondes  débouchent  sur 
le  terrain,  sans  paraître  pourtant  rechercher  la  bataille.  A  cette 
vue,  les  troupes  byzantines  s'arrêtent,  prêtes  à  se  replier  sur 
le  principal  corps  d'armée  :  mais  alors  de  toutes  parts  les  esca- 


1.  Bell.  Vand  ,  p.  457. 

2.  Jo/t,  11,  162  26.;. 


62  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

drotis  berbères  se  précipitent  dans  la  plaine,  faisant  tourbil- 
lonner autour  des  lignes  romaines  leurs  légers  chevaux  nu- 
mides, s'efforçant  d'envelopper  le  détachement  ennemi  et  de 
lui  couper  la  retraite.  Une  terrible  mêlée  s'engage,  où  Ton 
ne  combat  plus  qu'avec  Tépée  :  et  sous  la  masse  toujours  crois- 
sante (le  leurs  adversaires,  les  cavaliers  byzantins  écrasés  se 
replient  tant  bien  que  mal  vers  une  hauteur  voisine,  et  s'ap- 
prêtent à  vendre  chèrement  leur  vie,  quand  fort  heureusement 
le  gros  de  l'armée  accourt  pour  dégager  son  avant-garde. 
L'affaire  est  manquée,  et  sans  plus  attendre,  les  Berbères 
•prennent  la  fuite  et  regagnent  le  sommet  des  collines. 

La  grande  bataille  du  livre  IV  de  la  Johannide  est  peut  être 
plus  instructive  encore.  En  face  des  lignes  byzantines,  les 
Berbères  ont  construit  un  énorme  camp  circulaire,  formant 
avec  leurs  chameaux  et  leurs  troupeaux  de  bêtes  un  rempart 
que  défend  Tinfanterie  :  une  partie  de  la  cavalerie  se  tient  en 
réserve  fiur  les  collines  ;  le  reste- commence  l'action  en  cou- 
vrant de  javelots  les  lignes  byzantines,  et,  suivant  l'usage,  le 
combat  s'engage  à. distance  entre  les  deux  cavaleries  *.  Bien- 
tôt, en  une  charge  furieuse,  les  Berbères  se  jettent  sur  les 
escadrons  grecs  :  repoussés  en  désordre,  ils  tournent  bride  et 
se  replient  au  galop  sur  leur  infanterie,  entraînant  en  une 
poursuite  folle  les  Romains  à  leur  suite  jusqu'à  la  lisière 
même  du  camp;  mais  là,  ils  se  reforment,  de  nouveau  ils 
recommencent  la  charge ,  et  une  vaste  mêlée  de  cavalerie 
s'engage  dans  la  plaine.  Enfin  les  Maures  en  déroute  sont  ra- 
menés jusque  dans  leurs  retranchements,  et  la  bataille  semble 
perdue^  quand  des  hauteurs,  d'où  elle  observait  la  lutte,  la 
réserve  se  porte  d'un  élan  furieux  sur  le  flanc  des  troupes  by- 
zatHines,  qui,  surprises,  affolées,  s'enfuient  en  désordre, 
abandonnant  leurs  chefs  au  milieu  du  combat.  Pourtant,  grâce 
aux  efforts  des  officiers  grecs,  la  bataille  se  rétablit,  et  re- 
prend plus  ardente  devant  le  camp  berbère.  Retranchés  dans 
leur  citadelle  vivante,  les  indigènes  font  une  défense  désespé- 

t  Joh,.  W,  619-1171 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  03 

rée  :  les  femmes,  les  enfants,  les  vieillards,  toul  le  monde 
prend  pari  à  la  lutte  ;  on  repousse  les  assaillants  à  coups  de 
pierre,  on  les  écrase  sous  d'énormes  meules,  on  leur  jette  des 
masses  de  plomb  et  des  torches  enflammées,  tandis  que  l'infati- 
gable cavalerie  maure  prodigue  les  sorties  et  déploie,  à  la  voix 
de  ses  chefs,  un  courage  auquel  ses  adversaires  mêmes  ren- 
dent hommage  ^  Mais  enfin  on  les  refoule;  et  à  grands  coups 
d'épée  les  Byzantins  s*ouvrent  un  passage  à  travers  les  vivants 
remparts  *.  Les  chameaux,  le  jarret  coupé,  s'abattent  sur  le 
sol,  les  bêles  se  dispersent  et  s'enfuient  :  alors  de  toutes  parts, 
les  troupes  pénètrent  dans  le  camp  forcé,  massacrant  tout  ce 
qu'elles  rencontrent,  pillant  tout  ce  qu'elles  trouvent,  cepen- 
dant qu'à  travers  la  plaine  s'enfuient  les  débris  de  l'armée  ber- 
bère, poursuivis  jusqu'à  la  tombée  de  la  nuit  par  les  escadrons 
byzantins. 

J'ai  insisté  —  un  peu  longuement  peut-êlre  —  sur  ces  dé- 
tails si  curieux  et  si  pittoresques.  C'est  qu'en  effet,  dans  ces 
indigènes  si  différents  d'eux-mêmes,  les  Grecs  ont  rencontré, 
jusqu'à  la  conquête  arabe,  les  seuls,  mais  constants,  adversaires 
de  leur  domination,  ils  ont  pu  réussir  à  les  vaincre,  ils  ont 
pu  parvenir  à  paralyser  leurs  attaques  par  une  solide  chaîne 
de  forteresses,  ils  ont  pu  même  les  réduire  momentanément  à 
une  vassalité  transitoire  :  toujours  ils  ont  dû  reprendre  contre 
eux  les  armes,  toujours  ils  ont  trouvé  en  eux  l'obstacle  irré- 
ductible à  l'occupation  totale  de  l'Afrique.   C'est  pourquoi, 
dès  celte  première  guerre,  qui  est  en  quelque  manière  le  pro- 
totype de  tant  d'autres,  il  n'était  point  inutile  de  marquer  en 
quelques  traits  les  habitudes  militaires  des  deux  adversaires, 
d'expliquer  leurs  méthodes  de  combat,  de  faire  comprendre 
le  caractère  de  leurs  luttes  :  dans  ce  tableau  général  on  trouve 
en  effet,  avec  Texplication  de  plus  d'une  défaite  subie  par  les 
impériaux,  comme  une  image  réduite  de  ces  guerres  inces- 
santes qui  ont  ensanglanté  l'Afrique  byzantine. 

l.Joh.,  IV,  30-33.  • 

2.  Cf.  Bell.  Vand.,  p    457. 


64  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Ou  conçoit  qu'avec  do  tels  ennemis,  d'un  courage  éprouvé, 
d'uno  obstination  sans  égale,  la  lutte  qui  commençait  mena- 
çûL  d'être  interminable.  D'ailleurs,  avec  ces  populations  no- 
mades, qu'on  ne  savait  où  frapper  sûrement,  les  actions  les 
plus  décisives  en  apparence  demeuraient  sans  résultat  :  après 
chaque  bataille  gagnée,  tout  était  à  recommencer;  et  Ton 
avait  à  peine  eu  le  temps  de  célébrer  la  victoire,  que  du  désert, 
où  les  vaincus  s'étaient  dérobés  à  la  poursuite,  une  nouvelle 
invasion  s'abattait  sur  la  Byzacène  ou  la  Numidie*,  Enfin, 
pour  commencer  leurs  < attaques,  les  indigènes  choisissaient 
d'oi  dioaire  la  saison  la  plus  chaude  *,  et  lorsque,  pendant  plu- 
sieurs jours  de  suite,  le  sirocco  soufflait  en  brûlantes  tempêtes', 
on  jutre  si  la  marche  devenait  dure  et  la  bataille  pénible  pour 
les  cataphraclaires  impériaux  tout  couverts  de  fer,  pour  la 
lourde  infanterie  succombant  sous  le  poids  de  ses  armes. 

Fort  heureusement,  Téternel  manque  d'union  qui  a,  en  tout 
temps,  fait  avorter  tous  les  soulèvements  berbères,  devait, 
comme  il  avait  jadis  servi  les  affaires  de  Rome,  profiter  aussi 
aux  Byzantins*.  Au  vi*'  siècle,  comme  autrefois,  d'incessantes 
rivalités  armaient  les  tribus  l'une  contre  l'autre;  des  haines 
farouches  divisaient  les  grands  chefs,  et  jusque  dans  la  même 
famille  existaient  des  inimitiés  irréconciliables,  conséquence 
des  tragédies  domestiques  qui  plus  d'une  fois  y  avaient  fait 
couler  le  sang.  Grâce  à  ces  divisions  constantes,  pas  une  fois 
les  indigènes  ne  surent  réunir  leurs  forces  dans  un  soulève- 
ment général  :  au  contraire,  il  suffit  de  l'insurrection  d'un 
chef,  pour  que  l'autre  demeure  neutre  ou  vienne  offrir  ses  ser- 
vices à  l'empereur;  souvent  même  les  indigènes  provoquent 
et  sollicitent  Tintervention  byzantine.  Le  roi  de  l'Aurès,  lab- 
das,  n'a  pas  de  plus  cruel  adversaire  que  son  beau-frère  Mas- 
sonas"  ;  le  chef  du  Hodna,  Orthaias,  est  l'ennemi  juré  de  soa 

1.  ffeil.  Vand.,  p.  458;  Joh  ,  VI,  58-127. 

2.  Deil.  Vand.,  p.  464;  Joh.,  VI,  247,  256-257. 

3.  Joh.,  VII,  370-373. 

4.  Sur  ce  manque  d*auioQ,  cf.  llanoteau  et  Letourneuz,  La  iiTafty^te, t.  H,  1>4. 
6.  SeU,  Vand.,  p.  465. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  65 

paissant  voisin  *  :  et  pourquoi?  C'est  que  l'un  a  un  meurtre  à 
venger,  l'autre  une  longue  suite  de  razzias  heureuses  à  faire 
expier  à  son  rival.  En  Byzacène,  Antalas  et  Coutsina  se  dé- 
testent au  point  de  ne  pouvoir  servir  sous  les  mêmes  drapeaux, 
et  pendant  quinze  ans  on  les  voit  constamment  changer  de 
parti  et  d'attitude,  suivant  que  l'un  d'entre  eux  abanduaueou 
sert  les  Byzantins*.  Que  Tinsurrection  essayée  avorte,  que  les 
révoltés  se  fassent  écraser,  que  l'autorité  byzantine  s'accroisse, 
peu  leur  importe,  s'ils  peuvent  satisfaire  à  ce  prix  leur  ven- 
geance et  leur  haine  :  pendant  qu'en  534,  Coutsina  et  ses 
confédérés  se  soulèvent,  les  tribus  d'Antalas  ne  font  pas  un 
mouvement*.  Enfin,  parmi  les  insurgés  mêmes,  nulle  entente, 
nulle  action  commune.  labdas  fait  des  razzias  en  Numidie, 
sans  s'inquiéter  si  les  Byzantins  taillent  en  pièces  les  Berbères 
de  la  Byzacène  *;  de  leur  côté  les  gens  de  la  Tripolilaine  com- 
battent séparément  sans  prendre  souci  de  leurs  alliés.  C'est 
à  cette  absence  d'union,  à  ces  divisions  éternelles  que  la  do- 
mination byzantine  dut  ses  succès  principaux  et  sa  longue  du- 
rée :  toujours  en  effet,  la  bravoure  des  soldats  impériaux  put 
vaincre  en  détail  ces  adversaires  incapables  de  concert;  tou- 
jours la  diplomatie  de  leurs  généraux  sut  trouver  des  partisans 
parmi  ces  grands  chefs,  plus  soucieux  de  leurs  ambitions  ou 
de  leurs  haines  que  de  l'indépendance  de  leur  pays  ^ 


II 

L'insurrection  de  834  commença,  suivant  l'usage,  par  d'au- 
dacieuses razzias  dans  le  pays  ouvert  ^  Les  postes  byzantins 

!.  Bell.  Vand.,  p.  463. 

2.  Partsch,  l.  c,  XXVU-XXVIU. 

3.  BelL  y  and.,  p.  462. 

4.  Id.,  p.  462,  464-465. 

5.  Les  traités  de  tactique  recommandent,  au  reste,  comme  un  moyen  sûr  de 
victoire,  d'entretenir,  à  force  de  cadeaux  et  de  promesses,  des  divisions  parmi 
les  ennemis  [Slrateg.,  VU,  I,  p.  136). 

6.  Bell,  Vand.,  p.  444,  448,  463. 

1.  5 


66  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  la  frontière  se  laissèrent  enlever  ou  surprendre;  la  popu- 
lation des  campagnes,  ne  trouvant  nulle  forteresse  où  chercher 
un  refuge,  fut  massacrée  ou  réduite  en  esclavage  :  et  bientôt 
plus  de  50,000^  Berbères  coururent  la  Byzacène^  sous  les 
ordres  de  quatre  chefs,  Coutsina,  Esdilasa,  loupbrout  et  He- 
desinissa*.  C'étaient  là  d'inquiétantes  nouvelles  :  bientôt  un 
incident  plus  grave  acheva  d'alarmer  les  esprits.  Un  corps  de 
cavalerie  de  plus  de  500  hommes,  troupe  d'élite  commandée 
par  deux  officiers  solides,  jadis  attachés  à  la  personne  de 
Bélisaire,  était  cantonné  en  Byzacènes:  ce  détachement  es- 
saya de  faire  tète  à  l'ennemi,  et  un  moment  il  sembla  y  réus- 
sir; mais  bientôt,  attaqués  par  des  forces  supérieures,  cernés 
de  toutes  parts  dans  un  étroit  défilé,  les  cavaliers  byzantins, 
après  une  résistance  héroïque,  succombèrent  sous  le  nom- 
bre; la  plupart  d^entre  eux  restèrent  sur  le  champ  de  bataille  ; 
quelques-uns,  moins  heureux,  tombèrent  au  pouvoir  des  in- 
digènes, et  parmi  eux  Tun  des  commandants  du  détachement. 
C'était  un  prisonnier  de  marque  :  tout  aussitôt  il  fut  massacré, 
et  sa  tète  promenée,  comme  un  trophée  de  victoire,  à  travers 
les  camps  berbères.  La  nouvelle  de  ce  désastre  jeta  la  panique 
à  Carthage  :  et  on  le  comprend  sans  peine,  si  Ton  songe  à  l'é- 
moi que  produirait,  dans  notre  Algérie  française,  au  début 
d'un  soulèvement,  l'annonce  de  la  destruction  totale  d'un 
de  nos  régiments  de  cavalerie  \  En  même  temps  on  appre- 
nait que  la  Numidie  était  envahie,  et  que  30,000  hommes 
d'Iabdas,  descendus  de  l'Âurès,'  parcouraient  sans  trouver 
d'obstacle  toute  l'étendue  des  hauts  plateaux*.  Du  coup,  l'ar- 
mée byzantine,  déjà  si  ébranlée,  acheva  de  perdre  toute  con- 
fiance*, et  son  nouveau  chef  lui-môme,  placé  dès  sa  prise  de 
commandement  en  d'aussi  difficiles  conjonctures,  s'effrayait 

1.  Bell,  Vand.,  p.  454. 

2.  /d.,  p.  448. 

3.  Id.,  p.  447,  449.  Sur  le  chiffre  des  troupes  byzantines,  id.,  p.  454. 
4  W.,  p.  447. 

5.  W.,  p.  447,  463. 

6.  W.,  p.  454. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  CI 

non  sans  raison  de  la  lourde  responsabilité  qui  lai  incombait  ^ 
Solomon  disposait  pourtant  de  forces  assez  importantes.  Il 
conservait  avec  lui  la  presque  totalité  du  corps  expéditionnaire, 
Bélisaire  s'étant  décidé,  au  moment  de  partir,  à  lui  laisser  la 
plus  grande  partie  de  la  cavalerie  d'élite  qu'il  comptait  d'abord 
emmener  à  Constantinople  '  ;  de  plus,  l'empereur  avait  senti 
la  nécessité  de  renforcer  l'armée  d'occupation,  et  des  troupes 
fraîches  étaient  en  route  et  sur  le  point  d'arriver  '.  Le  général 
byzantin  allait  donc  avoir  à  ses  ordres  tout  près  de  18,000 
hommes^  :  toutefois  la  nécessité  de  faire  un  détachement  en 
Numidie,  l'obligation  de  laisser  des  garnisons  dans  un  certain 
nombre  de  villes  diminuaient  assez  sérieusement  l'effectif  de 
l'armée  combattante.  Cependant  Solomon  n'hésita  point  :  rap- 
pelant à  lui  toutes  les  unités  disponibles,  se  contentant  d'as- 
surer sérieusement  la  défense  de  Carthage,  il  marcha  à  Tennemi 
avec  le  reste  de  ses  forces. 

Il  trouva  les  Berbères  en  Byzacène,  campés,  sous  les  ordres 
de  leurs  quatre  chefs,  dans  la  grande  plaine  de  Mamma^  A 
la  vue  de  la  petite  armée  byzantine,  qu'ils  jugeaient  —  non 


1.  BelL  Vand.,  p.  447. 

2.  Id.,  p.  444. 

3.  Id.,  p.  444. 

4.  On  obtient  ce  total  de  la  façon  suivante.  Au  moment  du  soulèvement 
militaire  de  536,  c^est-à-dire  après  les  pertes  de  la  campagne  de  534-535,  les 
forces  byzantines  se  décomposent  ainsi  :  8,000  hommes  insurgés  avec  Stotzas 
(fîeZ/.Fand.,p.475),2,000  en  garnison  à  Carthage  (»d.,p.  475-476),  plus  les  trou- 
pes détachées  enNumidie  (id.,p.  474-475, 481)«  formant  environ  3,000  hommes, 
plus  les  garnisons  des  autres  villes  {id.,  p.  4S3),  dont  on  peut  déterminer  à 
peu  près  le  chiffre.  En  537,  en  effet,  Germanos  constate  que  les  insurgés,  gros- 
sis des  troupes  de  Numidie,  comprennent  les  deux  tiers  de  Tancienne  armée 
d* Afrique  :  on  obtient  ainsi,  pour  les  garnisons  demeurées  fidèles,  en  y  com- 
prenant celle  de  Carthage,  environ  5,500  hommes.  Cela  fait  un  total  de 
16,500  hommes,  qaon  peut  pousser  à  18,000  pour  le  début  de  la  campagne  de 
534. 

5.  L'emplacement  est  inconnu.  Pourtant  la  même  plaine  est  mentionnée  dans 
Corippus  (/o^.,  VU,  283),  et  la  ville  de  MaiipLtjç  est  nommée  parmi  celles  que 
Jttstinien  fortifia  (Proc,  Aed.,  342).  Elle  était  au  milieu  d'une  plaine  entourée 
de  hantes  montagnes  (Bell.  Vand.,  p.  453).  On  verra  plus  bas  qu'il  faut  la  cher- 
cher sans  doute  entre  Sbiba  et  Kairouan. 


68  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

sans  raison  —  assez  démoralisée  par  les  premiers  succès  de 
l'insurrection  *,  les  indigènes  se  crurent  de  force  à  accepter 
la  bataille  ;  et  formant  avec  leurs  chameaux  un  vaste  camp 
circulaire,  confié  à  la  défense  de  Tinfanterie,  plaçant  en  réserve 
sur  les  hauteurs  une  bonne  part  de  leur  cavalerie,  ils  atten- 
dirent Tattaque.  Solomon  avait  trop  peu  de  troupes  pour 
assaillir  sur  toutes  ses  faces  Ténorme  retranchement;  de  plus 
il  ne  voulait  point  s'engager  entre  Tennemi  et  le  pied  de  la 
montagne,  craignant  —  et  à  juste  titre  —  d'exposer  son  flanc 
ou  ses  derrières  à  la  charge  des  escadrons  berbères.  Il  jugea 
donc  préférable  d'essayer^  par  un  assaut  vigoureux,  de  rompre 
sur  un  point  les  lignes  de  ses  adversaires,  espérant  bien  qu'un 
premier  succès  suffirait  à  déterminer  la  déroute  ;  et  avec  toute 
sa  cavalerie  il  se  porta  en  avant.  Mais  à  la  vue  des  chameaux, 
les  chevaux  de  l'armée  byzantine  s'affolèrent,  le  désordre  se 
mit  dans  les  rangs,  et  l'infanterie  maure,  sortant  de  ses  abris, 
commençait  le  massacre,  lorsque  Solomon,  sautant  à  bas  de 
cheval,  ordonna  à  son  monde  de  mettras  pied  à  terre.  Â  Tabri 
de  leurs  grands  boucliers,  les  lignes  grecques  se  reformèrent, 
tandis  que  le  général,  à  la  tête  de  cinq  cents  hommes  d'élite, 
s'élançait  l'épée  à  la  main  sur  les  chameaux  qui  formaient 
l'obstacle  ;  plus  de  deux  cents  de  ces  bêtes  tombèrent^  le  camp 
était  forcé.  Alors,  abandonnant  leurs  femmes,  leurs  enfants, 
leurs  troupeaux,  les  Berbères  épouvantés  prirent  la  fuite  sans 
résister  davantage,  poursuivis  jusqu'au  pied  des  montagnes 
par  la  cavalerie  byzantine.  Ils  laissaient,  s'il  en  faut  croire 
Procope  ',  dix  mille  morts  sur  le  terrain  :  quoi  qu'il  faille 
penser  de  ce  chiffre,  probablement  fort  exagéré,  tout  au 
moins  un  énorme  butin  tomba  aux  mains  du  vainqueur. 

Après  un  succès  aussi  complet  qu'inespéré,  on  devait  s'at- 
tendre à  voir  l'armée  byzantine  pousser  ses  avantages  :  au  lieu 
de  cela,  Solomon  rentra  tout  droitàCarthage».  Croyait-il  que 


1.  Sur  la  bataUle,  Bell,  Vand.,  p.  453-458. 

2.  Bell.  Fand.,  p.  458. 

3.  Id,  y  p.  458. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  80L0M0N  [69 

la  sévère  leçon  qu'ils  venaient  de  recevoir  suffirait  'à  faire 
tomber  les  armes  des  mains  des  indigènes?  la  chose  semble 
assez  peu  vraisemblable,  et  l'on  verra  Tannée  suivante  le  gé- 
néral byzantin  prendre,  après  la  victoire,  de  bien  autres  me- 
sures de  pacification  *.  Il  est  donc  probable  que  d'autres  rai- 
sons déterminèrent  ce  rapide  retour  :  d'une  part  la  mauvaise 
saison  commençante  —  on  était  à  la  fin  de  l'année  534  —  ne 
se  prêtait  guère  à  une  longue  campagne';  d'autre  part  les 
nouvelles  de  Numidie  étaient  inquiétantes  et  il  fallait  de  ce 
côté  aussi  prévoir  de  graves  événements;  enfin  l'armée,  déjà 
sourdement  mécontente,  prétendait  sans  doute,  suivant  l'u- 
sage'.mettre  tout  d'abord  en  sûreté  le  butin  qu'elle  avait  fait. 
Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  conjectures,  on  avait  en  somme  paré 
au  danger  le  plus  pressant  ;  la  victoire  de  Mamma  avait  mo- 
mentanément dégagé  la  Byzacène  tout  entière^  :  Solomon  se 
contenta  de  ce  résultat. 

Les  effets  ne  s'en  firent  pas  longtemps  sentir.  A  peine  le 
gouverneur  était-il  rentré  à  Garthage,  que  les  indigènes^  plus 
exaspérés  qu'assagis  par  leur  défaite,  recommencèrent  en  plus 
grand  nombre  qu'auparavant  des  razzias  en  Byzacène  ^  Il 
fallut,  sans  tarder,  reprendre  la  campagne  :  c'était  dans  les 
premiers  mois  de  535.  Mais  cette  fois  les  indigènes  avaient 
profité  de  leur  précédent  échec  :  quand  Solomon  les  rejoignit 
aux  environs  dumontBurgaon",  il  eut  beau  pendant  plusieurs 
jours  leur  offrir  la  bataille,  les  Maures  refusaient  de  des- 
cendre dans  la  plaine''.  Ils  occupaient  au  flanc  de  la  mon- 


i.  Bell.   Vand.,  p.  462. 

2.  Cf.  id.,  p.  468,  où  cette  raison  met  fin  à  la  campagne. 

3.  Cf.  id.,  p.  424. 
4.0e//.  Fam/.,  p.  458. 
5.  Id.,  p.  458. 

*  6.  Sur  la  bataille,  Beli.  Vand.,^,  458-462.  Sur  l'emplacement,  Tissot,  I,p.  34. 
On  veut  voir  dans  cette  montagne  le  Djebel  Bou  Ghanem  ;  mais  Procope, 
p.  459,  dit  qu'elle  se  trouve  êv  x<^P^<p  ^piq(i(d  :  cette  indication  convient-elle  à 
l'emplacement  signalé?  En  tout  cas,  il  faut  chercher  le  lieu  du  combat  assez 
an  sud  et  non  loin  des  frontières  de  Numidie. 
7.  Bell.  Vand.,  p.  458.  Cf.  p.  465. 


70  HISTOIRE  DE  L\  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

lagne  une  formidable  position  :  couverts  du  côté  du  sommet 
par  la  difficulté  du  terrain,  qui  rendait  les  crêtes  presque 
inaccessibles,  commandant  toutes  les  pentes  qui  s'abaissaient 
vers  la  vallée,  ils  se  croyaient  inexpugnables.  Le  général  by- 
zantin ne  laissait  pas  d*être  embarrassé  :  son  armée,  mal  ravi- 
taillée, commençait  à  murmurer*;  et  d'autre  part  l'effectif 
très  considérable  des  forces  berbères  rendait  fort  périlleuse 
une  attaque  de  front  '.  Solomon  s'en  tira  par  un  coup  d'audace  : 
pendant  la  nuit,  il  réussit  à  faire  escalader,  par  un  millier 
d'hommes  choisis,  les  sommets  abrupts  qui  dominaient  le 
camp  indigène;  et  au  matin,  au  moment  où  les  tribus  voyaient^ 
avec  une  stupeur  joyeuse,  les  troupes  byzantines  s'élever, 
comme  pour  Tassant,  sur  les  premières  pentes  de  la  montagne, 
tout  à  coup  elles  s'aperçurent  qu'elles  étaient  prises  entre 
deux  adversaires.  Alors  ce  fut  une  folle  déroute  à  travers  les 
escarpements  du  Burgaon';  cavaliers  et  fantassins  mêlés  se 
renversaient,  s'écrasaient,  se  tuaient  les  uns  les  autres,  com- 
blant de  leurs  cadavres  les  ravins  de  la  montagne,  au  point 
qu'on  parla  de  50,000  Maures  disparus  dans  le  désastre^;  cette 
fois  encore,  le  butin  fut  énorme,  et  la  masse  des  captifs  si  con- 
sidérable, qu'un  enfant  maure,  dit  Procope,  se  vendait  au 
même  prix  qu'un  agneau  ^  Mais  cette  fois  du  moins,  des  me- 
sures sérieuses  furent  prises  pour  achever  la  victoire.  L'un 
des  chefs  insurgés,  Esdilasa,  tombé  au  pouvoir  du  vainqueur, 
fit  sa  soumission  et  fut  interné  à  Carthage;  ses  confédérés 
furent  refoulés  hors  des  limites  de  la  Byzacëne  ;  d'ailleurs, 
complètement  décimés  par  le  désastre  et  craignant  les  ven- 
geances des  populations  qu'ils  avaient  tant  de  fois  pillées,  ils 
abandonnèrent  sans  peine  leurs  terrains  de  parcours  et  s'en- 
fuirent en  Numidie^.  labdas  les  accueillit,  leur  donna  des 


i.  BelL  Vand  ,  p.  439. 

2.  Id  ,  p.  459. 

3.  Id.,  p.  461-462. 

4.  M,  p.  462. 

5.  Id.,  p.  462. 

6.  M.,  p.  462. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  71 

terres,  peut-être  du  côté  de  Timgadou  de  Lambëse',  et  nous 
les  retrouverons  plus  tard  au  cours  de  cette  histoire  :  quant 
aux  tribus  demeurées  dans  le  pays,  elles  furent  placées  sous 
la  haute  autorité  d'Antalas,  un  grand  chef  dont  le  dévouement 
et  la  fidélité  ne  s'étaient  point  démentis  pendant  le  soulève- 
ment*. La  Byzacène  était  pacifiée. 

Le  moment  était  venu  d'agir  en  Numidie.  Pendant  Tété  de 
535,  labdas,  roi  de  TAurès,  avait  profité  des  embarras  des 
Byzantins  ^  pour  razzier  les  hauts  plateaux  :  avec  sa  nom- 
breuse cavalerie,  il  avait  poussé  jusqu'aux  limites  du  Tell, 
sans  que  les  faibles  garnisons  grecques  qui  occupaient  quel- 
ques postes  sur  cette  frontière  pussent  sérieusement  songer  à 
arrêter  ses  ravages  *.  Il  était  grand  temps  de  punir  ces  inso- 
lences. Les  circonstances  d  ailleurs  semblaient  favorables  : 
plusieurs  grands  chefs  indigènes,  Orthaias,  qui  commandait 
dans  le  Hodna,  Massonas,  qui  occupait  une  partie  de  la  Mau- 
rétanie,  sollicitaient  les  secours  de  Solomon  contre  leur  puis- 
sant voisin,  et  promettaient  d'unir  leurs  contingents  aux 
troupes  du  général  byzantin  ^  Aussi,  dans  les  derniers  mois 
de  Tannée  535,  Solomon  se  décida  à  entreprendre  Texpédition. 
Il  aborda  TAurès  par  Test,  par  la  région  de  Khenchela,  comp- 
tant^ selon  toute  vraisemblance,  pénétrer  dans  la  montagne 
par  la  grande  vallée  de  TOued  el  Arab*.  Mais,  peu  familiarisé 
encore  avec  la  tactique  des  indigènes,  persuadé  qu'Iabdas 
s'empresserait  d'offrir  la  bataille  pour  empêcher  l'invasion  de 
son  territoire,  convaincu  au  reste  qu'un  seul  engagement  suf- 


i.  Pantch,  /.  c,  XVIII.  Sur  cet  usage  d^acc.ueillir  les  vaincus,  Haooteau  et 
Letourneux,  l.  c,  II,  14-15. 

2.  Befl.  Vand.,  p.  462. 

3.  /d.,  p.  465. 

4.  Il  faut  noter  pourtant  l'exploit  d'Althias  àTigisis  {Bell.  Vand.,  p.  463464); 
Tîssot,  U,  p.  422-423,  suivant  Poulie  (Rec.  de  Const.,  1878,  p.  375-376),  place  à 
tort  cet  épisode  en  539. 

5.  Bell.  Vand,,  p.  465. 

6.  7d.,  p.  465.  L'Abigas  est  en  effet  l'Oued  Bou  Rougal  qui  coule  dans  la  plaine 
de  Bagai. 


72  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

lirait  à  terminer  la  guerre*,  il  se  mit  en  route  avec  une  colonne 
de  cavalerie  assez  nombreuse,  mais  approvisionnée  pour  quel- 
ques jours  seulement  ^  On  s'aperçut  bientôt  de  l'erreur  com- 
mise :  pendant  toute  une  semaine,  par  des  chemins  difficiles, 
la  colonne  marcha  sans  pouvoir  joindre  l'ennemi  ;  à  mesure 
que  les  Byzantins  avançaient,  les  montagnards  se  dérobaient 
devant  eux,  se  contentant  de  multiplier  sur  leur  route  les 
difficultés,  mais  sans  consentir  jamais  à  accepter  le  combat*. 
Par  les  auxiliaires  indigènes  qui  servaient  dans  l'armée  grec- 
que, labdas  était  d'ailleurs  fort  exactement  informé  de  la  si- 
tuation de  ses  adversaires;  il  savait  que  leurs  vivres  dimi- 
nuaient, que  la  famine  allait  les  obliger  aune  prompte  retraite^: 
aussi  les  laissa-t-il,  sans  bouger,  se  déployer  trois  jours  de  suite 
en  ordre  de  bataille  ;  il  n'avait  garde  de  renouveler  l'impru- 
dence qui  avait  coûté  si  cher  aux  tribus  de  la  Byzacène.  Abso- 
lument déconcertés  par  cette  méthode  nouvelle  pour  eux,  les 
Byzantins  commencèrent  à  se  décourager,  bientôt  à  s'inquié- 
ter :  dans  ce  pays  malaisé,  ils  avaient  pour  seuls  guides  leurs 
alliés  berbères  ;  ne  risquaient-ils  point  d*ètre  trahis  par  eux 
et  jetés  en  quelque  embuscade?  Pour  encourager  le  zèle  de 
ces  auxiliaires,  Solomon  ne  leur  avait  pas  ménagé  l'argent*; 
mais,  au  vrai,  ces  gens  ne  rendaient  aucun  bon  service,  n*ap- 
portant,  lorsqu'on  les  envoyait  en  éclaireurs,  nul  renseigne- 
ment précis,  retardant  la  marche  des  troupes  plus  qu'ils  ne  la 
guidaient,  peut-être  même  s'entendant  avec  labdas  et  lui  fai- 
sant chaque  jour  passer  de  précieux  renseignements.  £t  les 
soldats,  pleins  de  défiance  à  l'égard  de  ces  alliés  qu'ils  ne 
connaissaient  pas,  se  répétaient  que  les  Maures  étaient  une 
race  perfide,  qu'il  fallait  de  leur  part  s'attendre  à  tout  dans 
une  expédition  dirigée  contre  leurs  frères^;  d'ailleurs,  les 


1. 

Bell.  Vand.,  p. 

466. 

2. 

M., 

p. 

466-467. 

3. 

/d., 

P- 

465,  467. 

4. 

Id„ 

P 

467. 

5. 

là., 

P- 

466. 

6. 

Id., 

P- 

467-468. 

LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  74 

vivres  manquaient,  la  mauvaise  saison  était  venue  ^  Solomon 
lui-même,  inquiet,  découragé,  comprit  qu'il  fallait  battre  en 
retraite  ;  en  toute  hâte  on  regagna  la  plaine.  L'expédition 
avait  échoué*. 

Ce  n'était  là,  dans  la  pensée  de  Solomon,  qu'un  échec  pas- 
sager, qu'il  comptait  bien  réparer  dès  le  prochain  printemps^ 
Aussi,  à  peine  rentré  à  Carthage,  s'occupa-t-il  à  préparer  une 
nouvelle  expédition  :  mais  la  campagne  précédente  lui  avait 
servi  de  leçon  :  il  sentait  que^  pour  soumettre  l'Aurès,  il  fallait 
autre  chose  qu'une  simple  colonne  volante;  surtout,  il  com- 
prenait quel  danger  il  y  avait  à  employer  des  auxiliaires  ber- 
bères, et  en  conséquence,  il  organisait  ses  armements,  de  ma- 
nière à  se  passer  de  ce  périlleux  concours*.  Tout  à  la  fois,  il 
déployait  une  activité  prodigieuse  pour  assurer  la  sécurité  du 
vaste  gouvernement  qui  lui  était  confié.  En  même  temps  qu'il 
envoyait  une  escadre  et  un  corps  de  troupes  rétablir  la  paix 
en  Sardaigne\  il  se  préoccupait  d'organiser  solidement  la  dé- 
fense de  la  Numidie  byzantine.  Dès  la  fin  de  535,  au  retour  de 
l'expédition  de  l'Aurès,  il  avait  laissé  un  important  détachement 
en  garnison  dans  la  province*;  mais,  malgré  cette  augmenta- 
lion  du  corps  d'occupation,  la  frontière  demeurait  ouverte  aux 
razzias  des  Berbères.  Solomon  la  ferma  par  la  construction 
d'une  série  de  citadelles.  Sur  toute  la  lisière  méridionale  de 
cette  région,  parallèlement  au  tracé  de  la  grande  route  de 
Carthage  à  Constantine,  s'éleva  une  barrière  de  places  fortes 
redoutables,  destinées  à  renforcer  et  à  relier  entre  eux  les 
quelques  postes  déjà  construits  par  les  ordres  de  Bélisaire.  De 
cette  époque  datent  incontestablement,  pour  citer  les  prin- 
cipaux seulement,  la  redoute  de  ïagoura^  le  curieux  château 


1.  BeM,  Vand,,  p.  468. 

2.  W.,  p.  468. 
.3.  /d.,  p.  4Ô8. 

4.  Id.,  p.  468. 

5.  Id.,  p.  468-469. 

6.  Id,,  p.  468. 

1.  C.  /.  L.,  Vl[i,  16851;  Tissot,  H,  383. 


74  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  Madaure*,  rimportante  forteresse  de  Tipasa,  dominant  la 
grande  et  fertile  plaine  de  Dréa  ;  avec  le  poste  d'Ad  Centena- 
rium  (KevToupiat)  *  et  la  ville  forte  de  Tigisîs  •,  ces  places  fer- 
maient absolument  l'accès  du  Tell  aux  nomades  du  sud  et 
constituaient  contre  les  montagnards  de  l'Aurès  une  solide 
hase  d'opérations.  Enfin  Solomon  ne  s'inquiétait  pas  moins 
de  protéger  la  Byzacène  pacifiée  et  soumise  ;  la  construction 
de  la  citadelle  de  Théveste,  qui  date  de  cette  époque*,  atteste 
dès  ce  moment  ses  efforts  pour  empêcher  toute  attaque  des 
trihus  numides  sur  le  pays  byzantin. 

Dans  son  ardent  désir  de  reconquérir  sans  tarder  les  pro- 
vinces qui  jadis  avaient  formé  l'Afrique  romaine,  Solomon, 
comme  l'empereur  son  maître,  se  flattait  de  quelques  illusions. 
A  tous  deux  le  souvenir  des  succès  triomphants  remportés  en 
Byzacène  avait  bien  vite  fait  oublier  le  léger  insuccès  de  l'Aurès. 
Élevé,  en  récompense  de  ses  victoires  à  la  haute  dignité  de 
patrice^,  le  général  byzantin  voyait  déjà  toute  l'Afrique  à  ses 
pieds,  et  fièrement  il  rappelait  sur  les  murs  de  Théveste  «  la 
nation  maure  tout  entière  détruite  par  le  bras  de  Solomon  »\ 
A  Constantinople,  on  s'exaltait  bien  davantage  encore.  Dès  le 
mois  de  janvier  538,  après  la  victoire  de  Mamma^  Justinien 
déclarait  que  Vandales  et  Maures  étaient  soumis  à  l'autorité 
impériale  \  et  se  félicitait  de  la  grande  paix  qui  régnait  en 
Afrique*.  Quoiqu'il  eût  fallu  par  la  suite  rabattre  un  peu  de 

l."  C.  /.  L.,  VIII,  4677. 

2.  Cf.  Tissot,  II,  424. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  463. 

4.  C.  /.  L,,  VllI,  1863.  Ck)mme  à  Madaore,  nnscription  iotitule  Solomon  ma- 
gister  mililum  et  praefettus  Libyae,  Les  inscriptioDS  du  second  gouveme- 
ment  portent  toutes  :  bis  praefeclus. 

5.  Le  fût  résulte  delà  comparaison  de  C.  /.  L.,  VIII,  4677  et  1863.  Les  deux 
textes  datent  du  premier  gouYernement  ;  mais  dans  l'un  (Madaure)  on  ne 
trouTe  point  le  mot  palricius^  qui  figure  à  Théveste.  Solomon  obtint  donc  ce 
titre  au  cours  de  son  premier  gouvernement,  probablement  après  les  snccës 
de  535. 

6.  C.  /.  I.,  Vin,  1863. 

7.  Nov.  1,  praef. 

8.  Nov.  36,  praef.  Solomon  dit  la  m^me  chose  ft  ses  soldats.  Bell.  Vand.<, 
p    460. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  75 

ces  assertions  pompeuses',  pourtant  la  confiance  était  rapide- 
ment revenue.  Au  mois  d'avril  536,  Tempereur  remerciait  le 
cielqui  lui  avait  permis  de  «  soumettre  les  Vandales,les  Alains  et 
les  Maures,  et  de  recouvrerrAfrique  tout  entière», et  il  ajoutait: 
«  Nous  avons  bon  espoir  que  Dieu  nous  accordera  également 
de  conquérir  les  autres  pays  que  les  anciens  Romains  ont  pos- 
sédés jusqu'aux  limites  des  deux  océans,  et  que  leur  négligence 
a  plus  tard  laissé  perdre;  et  avec  l'appui  céleste,  nous  nous 
efforcerons  d'en  améliorer  la  condition*.  »  Or,  au  moment 
même  où  Justinien  signait  ce  rescrit  tout  rempli  de  belles  es- 
pérances, de  graves  événements  éclataient  à  Garthage  et  une 
formidable  insurrection  militaire,  qui  mettait  en  question 
l'existence  même  de  la  domination  impériale,  retardait  de 
trois  ans  la  pacification  de  TAfrique. 


III 


Malgré  ses  éminontes  qualités  de  général  et  d'administra- 
teur, ou  plutôt  peut-être  à  cause  d'elles,  Solomon  n'avait 
point  réussi  à  se  faire  aimer  des  soldats.  Exigeant  beaucoup 
des  troupes,  très  dur  dans  le  service,  plus  préoccupé  de  veil- 
ler aux  intérêts  généraux  de  l'État  que  de  donner  satisfaction 
à  Tavidîté  ou  à  la  mollesse  de  l'armée  %  il  était  incontestable- 
ment fort  peu  populaire.  Même  son  entourage  immédiat,  pour 
lequel  il  n'avait  pas  plus  de  complaisance  que  pour  le  reste  des 
troupes,  semble  lui  avoir  été  assez  médiocrement  attaché  :  les 
gens  de  sa  maison,  les  soldats  choisis  de  sa  garde,  les  officiers 
de  son  état-major  lui  sont  pour  la  plupart  fort  peu  dévoués^  ; 

1.  Nov.  8,  10,  2  (mai  535),  où  Tempereur  se  borne  à  dire  :  Vandalos  in  servi- 
iuUm  redegimus. 
2.N0V,  30,  11,2. 

3.  BelL  Vand.,  p.  470.  II  est  probable  que  les  plaintes  au  sujet  du  butin  se 
rapportent  à  des  faits  du  même  ordre  (cf.  Bell,  Vand.,  p.  482),  Solomon  voulant 
sans  doute,  comme  il  fit  en  539,  l'employer  à  bâtir  des  forteresses  (0e/Z.  Vand.^ 
p.  501). 

4.  BelL  Vand.,  p.  472. 


76  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

le  principal  de  ses  lieutenants  est  en  hostilité  ouverte  avec 
lui*;  et  un  complot  formidable  pourra  se  nouer  contre  sa  vie, 
sans  que,  parmi  les  nombreux  affiliés,  il  se  rencontre  —  chose 
significative  —  une  seule  personne  pour  l'avertir*.  Sous  un 
tel  chef,  toutes  les  causes  de  mécontentement  qui  germaient 
sourdement  devaient  bien  vite  grandir  :  et  en  effet,  pendant 
rhiver  de  535-536,  Tesprit  d'indiscipline,  qui  depuis  long- 
temps déjà  travaillait  Tarmée  byzantine,  s'accrut,  dans  Tinac- 
tion  des  camps,  d'une  manière  inquiétante^  Les  fatigues  mul- 
tipliées des  précédentes  campagnes,  la  perspective  prochaine 
d'une  nouvelle  et  pénible  expédition  donnaient  au  soldat  le  dé- 
goût du  service  militaire*;  les  retards  infinis  apportés  au 
paiement  de  la  solde  ^  augmentnient  sa  mauvaise  volonté. 
Assurément  ces  retards  n'étaient  guère  imputables  à  Solomon. 
Dans  l'enthousiasme  des  premiers  succès,  Justinien  avait 
décidé  que  les  frais  d'entretien  des  troupes  et  de  l'administra- 
tion impériale  seraient  pris  sur  les  impôts  de  la  province 
d'Afrique*  :  or  ces  impôts,  rentraient  fort  mal  et  le  trésor  était 
à  peu  près  vide  ;  mais  le  soldat  ne  s*en  inquiétait  guère  et  ré- 
clamait son  dû.  Enfin  le  butin  considérable  fait  dans  la  cam- 
pagne de  535  ne  semble  pas  avoir  été  partagé  d'une  façon 
absolument  équitable  :  du  moins  les  hommes  se  plaignaient 
d*ètre  lésés  dans  leurs  droits,  et  d'avoir  été  spoliés  de  ces  dé- 
pouilles, «  dont  la  loi  de  la  guerre,  disaient-ils,  afait  la  récom- 
pense des  dangers  courus  dans  les  combats\  »  D'autre  part, 
les  efforts  mêmes  de  Solomon  pour  réorganiser  la  province 
conformément  aux  instructions  impériales  tournaient  contre 
lui  :  la  reprise  des  terres  vandales  par  l'État  ou  par  les  anciens 


1.  Bell.  Vand.,  p.  473. 

2.  /d.,  p.  472. 

3.  C'est  pour  éviter  des  daDgers  de  cette  sorte  que  les  traités  de  tactique 
rpcommaDdent  de  disperser  les  troupes  [Straleg,,  I,  9,  p.  40). 

4.  RelL  Vand.,  p.  478,  482. 

5.  /d.,  p.  4S2. 

6.  Cad.  Just.,  I,  27,  2,  18. 

7.  Bell.  Vand.,  p.  482. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  77 

détenteurs  soulevait  de  grosses  difficultés';  les  soldais  pré- 
tendaient avoir  leur  part,  et  ils  étaient  excités  dans  ces  reven- 
dications par  les  femmes  vandales  qu'ils  avaient  épousées, 
furieuses  de  se  voir  évincer  des  domaines  qu'elles  possé- 
daient avant  la  conquête*.  L'application  des  lois  contre  les 
dissidents  soulevait  d'autres  colères  :  il  y  avait  dans  l'armée 
byzantine  un  assez  grand  nombre  d'hommes  de  confession 
arienne;  ces  gens  s'inquiétaient  pour  eux-mêmes  des  édits 
intolérants  de  l'empereur;  ils  compatissaient  aux  misères  de 
leurs  coreligionnaires  africains,  ils  prêtaient  l'oreille  à  leurs 
plaintes  et  aux  suggestions  de  leurs  prêtres'.  L'approche  des 
grandes  solennités  de  Pâques  exaspérait  encore  ces  senti- 
ments, en  faisant  plus  vivement  sentir  aux  non-conformistes 
Texclusion  dont  ils  étaient  frappés \  Aussi  on  s'agitait  dans 
les  camps,  et  avec  d'autant  plus  de  liberté  qu'entre  les  grands 
chefs  de  l'armée  régnait,  au  su  de  tous,  une  mésintelligence 
profonde,  et  que  les  soldats  se  vantaient  de  trouver,  dans 
Tétat-major  même,  des  appuis  contre  Solomon.  De  la  coali- 
tion de  tant  de  mécontentements,  d'ailleurs  habilement  exploi- 
tés par  quelques  ambitieux,  naquit  sans  peine  une  formidable 
conspiration  :  on  devait  profiler  des  fêles  de  Pâques  pour* 
assassiner,  dansune  des  églises  de  Carthage,  le  général  en  chef, 
etlesuccès  semblait  d'autant  plus  assuré  que,  dans  l'entourage 
même  du  patrice,  la  plupart  des  gardes  et  des  officiers  étaient 
gagnés  au  complot*.  Le  secret  —  chose  prodigieuse  —  avait 
été  scrupuleusement  gardé;  mais  au  dernier  moment  les  con- 
jurés hésitèrent,  soit  qu'ils  fussent  effrayés  par  la  sainteté  du 
lieu  où  il  s'agissait  de  commettre  le  meurtre,  soit  plutôt  qu'un 
dernier  reste  de  respect  les  empêchât  d'attenter  à  la  personne 
de  leur  glorieux  chef;  deux  jours  de  suite  ils  reculèrent  au 
moment  décisif,  puis  craignant  de  s'être  trahis  par  ces  allées 

1.  Cf.  Nov.  36  et  les  modifications  qu'elle  apportait  à  i*<'!dit  de  534. 

2.  Beii.  Vand.,  p.  470. 

3.  /d.,  p.  470-471. 

4.  W.,  p.  471-472. 

5.  W.,  p.  472. 


78  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

et  venues  suspectes,  et  plus  encore  par  les  reproches  véhé- 
ments qu'ils  s'étaient  faits  publiquement  de  leur  lâcheté,  ils 
quittèrent  Garthage  en  grand  nombre,  et,  jugeant  qu'ils 
n'avaient  plus  rien  à  ménager,  ils  se  mirent  à  vivre  sur  le 
pays^  On  étaitau  mois  de  mars  S36'.  Solomon,  tout  surpris 
d'un  événement  si  grave  et  si  inattendu,  tenta  du  moins  de 
retenir  dans  le  devoir  les  troupes  demeurées  dans  la  ville  : 
et  d'abord  il  crut  y  réussir.  Mais  bienlôt^  voyant  qu'aucune 
mesure  n'était  prise  contre  les  révoltés,  ces  régiments,  tous 
affiliés  d*ailleurs  à  la  conspiration',  se  soulevèrent  à  leur 
tour.  En  vain,  pour  essayer  de  les  apaiser,  Solomon  leur  fit 
porter  de  bonnes  paroles  par  Théodore  de  Cappadoce,  l'un  de 
ses  lieutenants  :  les  soldats,  qui,  à  tort  ou  à  raison,  croyaient 
cet  officier  en  mauvais  termes  avec  le  patrice,  ne  s'en  laissèrent 
pas  imposer  ;  à  grands  cris  ils  le  proclamèrent  leur  chef,  et  se 
ruant  hors  de  l'hippodrome,  ils  marchèrent  en  masse  sur  le 
palais*.  Inutilement  quelques  officiers  dévoués  se  firent  tuer 
en  essayant  d'arrêter  ces  furieux  :  le  premier  sang  versé  exci- 
tant davantage  leur  rage,  le  palais  fut  pris  d*assaut.  Bientôt 
le  désordre  et  le  massacre  s'étendirent  dans  la  ville  entière  : 
tous  ceux  qu'on  rencontrait,  Byzantins  ou  Africains,  pour  peu 
qu'on  les  sût  amis  du  patrice,  pour  peu  surtout  qu'on  les  sût 
riches,  tombèrent  sous  les  coups  des  soldats  ;  les  maisons  par- 
ticulières furent  envahies,  les  propriétés  saccagées,  et  le  pillage 
ne  cessa  qu'au  soir,  lorsqu'enfin  la  fatigue  et  l'ivresse  eurent 
triomphé  de  la  fureur  des  troupes*.  Les  officiers,  et  ceux-là 
mêmes  qui  avaient  gardé  quelque  popularité  dans  l'armée, 
avaient  dû  assister  impuissants  à  ces  scènes  de  carnage  ; 
quant  à  Solomon,  il  n'avait  échappé  à  la  mort  qu'en  se  cachant 
dans  l'église  du  palais.  A  la  faveur  de  la  nuit,  il  put  sortir  de 
celte  retraite,  et  avec  un  de  ses  lieutenants  qui  s'associa  à  sa 

1.  BelL  Fand.,p.  472,  473. 

2.  En  536  Pâques  tombait  le  23  mars  (Mas- Latrie,  Trésor  de  chronologie), 

3.  BelL  Vand,y  p.  473. 

4.  /d.,  p.  473-474. 

5.  W.,  p.  474. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  79 

fortune,  avec  Procope  son  conseiller  et  cinq  personnes  de  sa 
suite,  il  s'embarqua  furlivement,  et  traversant  le  golfe,  gagna 
la  petite  ville  de  Missua^ 

L'insurrection  triomphait  :  pourtant  les  soldats  craignirent 
de  rester  à  Carthage,  où  quelques  troupes,  revenues  de  leur 
stupeur  de  la  veille,  semblaient  vouloir  demeurer  fidèles  à 
l'empereur',  et  quittant  la  ville,  ils  allèrent  rejoindre,  dans  les 
plaines  de  Bulla  Regia,  le  reste  des  révoltés  *.  Là  ils  mirent  à 
leur  tète  un  officier  subalterne,  Stotzas,  jadis  attaché  à  la  per- 
sonne d'un  des  lieutenants  de  Bélisaire  %  et  appelant  à  eux 
tous  les  mécontents,  ils  formèrent  bien  vite  une  redoutable 
armée.  A  leur  voix,  en  effet,  tout  ce  qui  restait  encore  de  la 
nation  vandale  se  jeta  dans  l'insurrection'  ;  les  esclaves, 
comptant  bien  profiter  du  grand  bouleversement  qui  se  pré- 
parait, accoururent  en  masse  au  camp  des  séditieux*;  les 
grands  chefs  numides  —  et  parmi  eux  labdas  et  Orthaias, 
maintenant  réconciliés  —  promirent  l'appui  de  leurs  troupes, 
ravis  d'une  aventure  qui  ruinait  les  projets  de  Solomon  et 
semblait  présager  la  chute  prochaine  de  la  domination  impé- 
riale mème\  Stotzas,  en  effet,  ne  cachait  pas  son  intention  de 
chasser  de  l'Afrique  tous  ceux  qui  restaient  fidèles  à  Justinien 
et  de  constituera  son  profit  une  souveraineté  indépendante*. 
Et  dans  ce  but,  avec  ses  huit  mille  hommes  de  troupes  régu- 
lières et  ses  innombrables  alliés,  il  marchait  sur  Carthage, 
persuadé  qu'il  occuperait  sans  coup  férir  la  capitale  de  son 
futur  royaume. 

Mais  Solomon,  tout  eu  fuyant,  n'avait  point  perdu  son  sang- 
froid.  Avant  de  s'embarquer,  il  avait  eu  le  temps  de  s'enten- 
dre avec  Théodore  de  Cappadoce^  auquel  il  laissa  pleins  pou- 

i.  BeU.  Vand.,  p.  474. 

2.  W.,  p.  475-476. 

3.  id.,  p.  475. 

4.  Id.,  p.  475,  362. 

5.  W.,  p.  475,  471,  47t. 

6.  Id,,  p.  475. 

7.  Id.,  p.  487,  490. 

8.  W.,  p.  475. 


80  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

voirs  pour  combattre  Tinsurectioii,  lui  recommandant  de  tenir 
ferme  à  Carthage  aussi  longtemps  qu'il  pourrait  \  A  peine 
arrivé  à  Missua,  il  envoya  un  émissaire  au  général  qui  com- 
mandait le  détachement  de  Numidie,  afin  qu'averti  des  événe- 
ments, il  tâchât  à  n'importe  quel  prix  de  maintenir  ses  troupes 
dans  le  devoir.  Lui-même,  avec  Procope,  s'embarquait  en  hâte 
pour  la  Sicile'.  Bélisaire  l'occupait  avec  l'armée  chargée  de 
reconquérir  ritalie,  etlepatrice  comptait  bien  qu'il  trouverait 
chez  son  ancien  général  l'appui  matériel  et  moral  nécessaire 
pour  réprimer  l'insurrection. 

Bélisaire  n'hésita  pas  un  instant  :  sans  perdre  temps  à  mo- 
biliser une  partie  de  ses  troupes,  il  se  jeta  dans  un  vaisseau 
avec  une  centaine  de  soldats  d'élite,  et  emmenant  Solomon, 
il  cingla  vers  Carthage  '.  Il  arriva  juste  à  temps  pour  la  sauver. 
Déjà  Théodore  de  Cappadoce  et  les  quelques  troupes  restées 
fidèles,  serrés  de  près  par  les  révoltés,  épouvantés  par  les 
menaces  et  les  cruautés  de  Stotzas,  étaient  entrés  en  négocia- 
tion avec  les  rebelles  ^  et  la  capitulation  semblait  imminente, 
quand  tout  à  coup  l'arrivée  de  Bélisaire  changea  la  face  des 
événements.  Tel  était,  sur  ses  anciens  soldats,  le  prestige  du 
général  en  chef,  qu'à  la  seule  nouvelle  de  sa  présence,  l'armée 
insurgée  leva  le  siège  et  se  replia  en  désordre  par  la  route  de 
Numidie,  tandis  que  les  forces  impériales,  pleines  de  confiance 
dans  le  vainqueur  de  Decimum  et  de  Tricamarum,  deman- 
daient à  grands  cris  à  marchera  l'ennemi^.  Bien  que  Bélisaire 
pût  disposer  de  deux  mille  hommes  à  peine,  il  ne  douta  point 
de  sa  fortune  :  après  avoir,  par  d'abondantes  distributions 
d'argent,  réchauffé  le  zèle  des  soldats  S  il  se  mit  à  la  poursuite 
de  Stotzas  et  l'atteignit  au  passage  de  la  Medjerda,  auprès  de 
la  ville  de  Membressa  (auj.  Medjez-el-Bab).  La  lutte  ne  fut  pas 

1.  BelL  Vand.,  p.  474-475, 

2.  /d.,  p.  474,  475. 

3.  Id.,  p.  476. 

4.  Id.,  p.  475,  476. 

5.  /d.,  p.  476,  477. 

6.  W.,  p.  476. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  81 

loDgue'  :  surpris  au  milieu  dun  mouvement  dangereux  et 
difficile  par  une  vigoureuse  charge  des  impériaux,  les  rebelles 
s'enfuirent  sans  faire  résistance  du  c6té  de  Touest. 

Bélisaire,  avec  la  faible  armée  qui  l'accompagnait,  ne  crut 
point  possible  de  les  poursuivre  :  persuadé  d'ailleurs  que  l'effet 
moral  de  cette  prompte  victoire  suffirait  à  ruiner  l'insurrec- 
tion', jugeant  qu'avant  toute  chose  il  fallait  réorganiser  l'ad- 
ministration des  provinces  africaines,  il  rentra  à  Garthage  : 
il  comptait  au  reste  que,  s'il  en  était  besoin,  les  troupes  de 
Numidie  sauraient  à  elles  seules  écraser  les  débris  des  rebel- 
les. Il  s'attacha  donc,  mêlant  habilement  à  quelques  exécu- 
tions nécessaires  les  gratifications  et  les  faveurs',  à  restaurer 
la  discipline  tant  ébranlée  dans  l'armée  byzantine  ;  peut-être 
même  crut-il  nécessaire,  pour  rendre  plus  aisé  le  rétablisse- 
ment de  Tordre,  d'éloigner  de  son  commandement  le  patrice 
Solomon*  ;  et  en  attendant  que  l'empereur  eût  pourvu  à  son 
remplacement,  il  restait  à  Garthage,  lorsque  de  mauvaises 
nouvelles  de  Sicile  l'obligèrent  en  toute  hâte  à  rejoindre  son 
armée'.  Au  moment  même  où  ce  contre-temps  éloignait  Béli- 
saire  de  l'Afrique,  un  nouveau  désastre  frappait  la  cause  im- 
périale. Les  officiers  qui  commandaient  les  troupes  byzantines 
en  Numidie  avaient  essayé  de  tirer  parti  de  la  victoire  de 

1.  Cf.  Bell.  Vand,,  476-481;  Joh,,  III,  311-313;  Tissot,  U,  p.  326-328. 

2.  Bell.  Vand.,  p.  480. 

3.  Marcellinus  cornes  (ann.  535,  éd.  Mommsen,  p.  104)  :  partim  hlandiendo, 
partvm  ulciscendo. 

4.  Le  continuatear  du  comte  Marceliia  affirme  que  Solomou  resta  eu  Afrique 
après  le  départ  de  Bélisaire,  quMl  eut  avec  l'armée  de  nouvelles  difficultés  et 
qu'à  la  suite  de  cela  il  fut  remplacé  par  Germanos,  qui  le  renvoya  à  Constan- 
tinople  à  la  disposition  de  l'empereur  (ann.  536,  p.  104).  La  chose  parait  bien 
douteuse.  En  effet,  Bélisaire  partant  laisse  le  commandement  des  troupes  à 
Théodore  de  Cappadoce  et  à  lldiger  (Bell,  Vand.t  P*  481).  Procope  le  dit  formel- 
lement et,  comme  il  accompagnait  Bélisaire  ou  tout  au  moins  le  vit  à  Syracuse 
dès  son  retour,  on  peut  l'en  croire.  Il  semble  bien  qu'on  chercha  à  satisfaire 
les  troupes.  Valérien,  très  attaché  à  Solomon,  fut  rappelé  de  Numidie  {Bell* 
Vand.,  p.  414,  481).  Théodore  de  Cappadoce  reçut  de  l'avancement^  malgré 
le  rôle  qu'il  avait  joué  dans  la  révolte.  11  est  donc  probable  que  Solomon  fut 
momentanément  écarté. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  481. 

1.  6 


82  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Membressa  :  voyant  les  rebelles  rejetés  en  déroute  sur  la  pro- 
vince, ils  avaient  marché  à  leur  rencontre  pour  les  empêcher 
de  se  reformer;  ils  espéraient,  par  surcroît,  pouvoir  enlever 
Stotzas,  qu'on  savait  réfugié  avec  quelques  hommes  seulement 
dans  la  petite  ville  de  Gadiaufala'.  Mais  l'indiscipline  qui  tra- 
vaillait toute  Tarmée  byzantine  n'avait  point  épargné  le  déta- 
chement de  Numidie;  à  peine  les  soldats  se  trouvèrent-ils  en 
présence  du  chef  de  la  révolte,  qu'oubliant  tous  leurs  devoirs, 
ils  passèrent  en  masse  au  parti  de  l'insurrection  ;  bien  plus,  ils 
laissèrent,  sans  rien  faire  pour  les  sauver,  massacrer  traîtreu- 
sement leurs  officiers  auxquels  on  avait  d'abord  promis  la  vie 
sauve  :  par  cette  sanglante  et  inutile  exécution,  Stotzas  comp- 
tait bien  compromettre  ses  nouveaux  amis  d'une  manière 
irréparable*. 

C'étaient  près  de  trois  mille  hommes  qui  venaient  grossir  les 
forces  de  l'insurrection  ;  maintenant  les  deux  tiers  au  moins 
de  l'armée  byzantine  d'Afrique  étaient  soulevés  contre  l'em- 
pereur»; sous  les  ordres  dlldiger  et  de  Théodore  de  Cap- 
padoce,  chargés  par  intérim  du  commandement,  restaient 
cinq  mille  hommes  à  peine,  concentrés  à  Carthage  et  dans 
quelques  autres  villes,  troupes  mécontentes,  mal  sûres,  d'une 
fidélité  plus  que  douteuse,  profondément  travaillées  par  les 
intrigues  des  rebelles,  dans  les  rangs  desquels  beaucoup  de 
soldats  comptaient  des  parents  ou  des  amis*.  Pour  rétablir 
l'autorité  impériale,  pour  sauver  l'Afrique  si  récemment  con- 
quise et  déjà  presque  perdue  pour  l'empire,  un  vigoureux 
effort  était  indispensable  :  mais  à  ce  moment  même,  l'expédi- 
tion d'Italie  absorbait  toutes  les  ressources  de  la  monarchie 
et  immobilisait  ses  armées  :  au  lieu  des  soldats  qu'il  fallait, 
Justinien  dut  se  contenter  d'envoyer  un  général  (fin  536). 
Ainsi,  moins  de  trois  ans  après  la  glorieuse  expédition  de  Béli- 
saire,  tous  les  rêves  de  l'empereur,  toutes  ses  ambitions  de 

1.  Bell.  Vand.,  p.  481.  Cf.  Tissot,  II,  p.  418. 

2.  Beil.  Vand.,  p.  481-482. 

3.  Id.,  p.  483. 

4.  Id.,  p.  483. 


LA  PAaFICATlON  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  83 

domination  aniverselle  dépendaient  à  peu  près  entièrement  de 
rhabiieté  diplomatique  plus  ou  moins  grande  du  nouveau 
commandant  en  chef. 

Du  moins,  pour  cette  mission  difficile,  le  basileus  avait  fait 
un  choix  excellent.  Lepatrice  Germanos  s'était  déjà,  comme 
magister  militum  per  Ihraciam,  distingué  sur  la  frontière 
du  Danube  en  repoussant  une  incursion  de  Slaves*;  il  était 
de  plus  le  propre  neveu  du  souverain',  et  l'on  espérait  que 
cette  haute  origine,  rappelant  d'une  manière  visible  aux  sol- 
dats la  fidélité  qu'ils  devaient  au  prince,  donnerait  au  nou- 
veau gouverneur  plus  de  prestige  et  d'autorité;  enfin»  en  lui 
conférant  des  pouvoirs  extraordinaire^',  on   le  mettait  en 
mesure  de  prendre,  sans  contrôle  et  selon  les  circonstances, 
toutes  les  dispositions  nécessaires  au  salut  de  l'Afrique.  Aus- 
sitôt arrivé  à  Carthage,  le  patrice  comprit  la  gravité  de  la  si- 
tuation: pour  venir  à  bout  de  l'insurrection  menaçante,  avant 
tout  il  fallait  reconstituer  l'armée  ;  mais  on  ne  pouvait  songer, 
au  moins  pour  le  moment,  à  rétablir  par  des  rigueurs  salu- 
taires la  discipline  ébranlée  :  c'eût  été,  avec  des  troupes  d'une 
fidélité  chancelante,  achever  sûrement  la  débâcle  ^.  Germanos 
agit  en  diplomate*.  Tout  d'abord,  par  une  proclamation,  il  fit 
connaître  qu'il  était  envoyé  par  l'empereur  tout  exprès  pour 
écouter  les  doléances  des  soldats,  leur  rendre  bonne  justice 
et  punir  leurs  oppresseurs^;  et  comme  gage  de  ses  bonnes  in- 
tentions, il  sacrifia  à  la  rancune  des  troupes  et  renvoya  à  Cons- 
tantinople  quelques  officiers  trop  impopulaires  ou  trop  com- 
promis par  teur  attachement  à  Solomon^  En  même  temps  il 

1.  Bell.  Golh.,  p.  450. 
â.  Bell.  Vand.,  p.  482. 

3.  Id.<,p.  482. 

4.  /d.,  p.  483. 

5.  Marcellinus  cornes,  p.  105  (ann.  536). 

6.  Bell.  Vand.y  p.  483. 

7.  U  s'agit  ici  en  particulier  de  Martin  et  de  Valérien.  Procope  dit  {Bell. 
Vànd.j  p.  493)  qnlU  furent  renvoyés  à  Byzance  sous  le  gouvernement  de 
Germanos.  Or  on  voit  qn'ils  se  trouvaient  à  Constantinople  en  décembre  536 
{BelL  Goth.,  p.  116),  et  qu*à  cette  date  ils  repartirent  pour  Htalie  (Bell,  Goth,, 
p.  125  ;  Marcellinus  comes,  ann.  537,  p.  105).  Ils  quittèrent  donc  l'Afrique  au 


84  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATON  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tâchait  de  prendre  les  hommes  par  la  douceur,  leur  manifes- 
tant en  toute  occasion  une  constante  hienveillance,  affectant 
à  leur  égard  une  confiance  absolue  ',  s'appliquant  à  les  séduire 
par  ses  bons  procédés  et  ses  largesses  ;  enfin  il  faisait  annon- 
cer que  tous  ceux  qui  feraient  leur  soumission  trouveraient 
auprès  de  lui  un  accueil  honorable;  bien  plus,  il  promettait  -^ 
et  celte  concession  montre  à  quel  point  de  faiblesse  en  était 
réduite  l'autorité  impériale  —  de  payer  intégralement  la  solde 
arriérée  des  troupes,  même  pour  le  temps  passé  dans  les  rangs 
de  rinsurrection*.  Et  tandis  que,  par  cette  large  tolérance,  il 
provoquait  dans  l'armée  de  Stotzas  de  nombreuses  défections, 
il  diminuait,  d'autre  part,  les  forces  des  rebelles  en  traitant 
sous  main  avec  les  grands  chefs  indigènes  :  et,  en  effet,  lab- 
das^  Orthaias,  d'autres  encore,  promettaient  au  représentant 
de  l'empereur  de  se  trouver  de  son  côté  au  jour  de  la  bataille  '. 
L'hiver  se  passa  dans  ces  négociations  :  dès  le  printemps  de 
537^  avec  son  armée  reconstituée  et  presque  égale  en  nombre 
à  celle  des  rebelles  \  Germanos  se  prépara  à  commencer  les 
hostilités.  Vainement  Stotzas,  reprenant  la  tactique  qui  lui 
avait  tant  de  fois  réussi,  vint  à  quelques  kilomètres  de  Car- 
thage  présenter  la  bataille,  comptant  bien  qu'à  sa  seule  vue 
les  troupes  du  patrice  abandonneraient  leur  chef  :  cette  fois, 
pas  une  défection  ne  se  produisit  dans  les  rangs  des  impé- 
riaux', et  après  quelques  jours  d'une  inutile  attente,  Stotzas 
crut  prudent  de  se  rapprocher  de  ses  alliés  indigènes,  et  il  se 
replia  en  hâte  vers  la  Numidie®.  Germanos  Vy  suivit  et  l'at- 
teignit à  Gellas  Vatari^.  Le  patrice  n'était  point  9ans  inquié- 

plus  tard  dans  la  seconde  moitié  de  536.  Or,  tous  deux  étaient  fort  attachés 
à  Solomon  et  mal  tus  des  troupes  (Bell.  Vand.,  p.  474). 

1.  Bell.  Vand.,  p.  483-485. 

2.  /d.,p.  483. 

3.  Id.,  p.  487 
4.id.,  p.  483, 

5.  Id.,  p.  483-486. 

6.  /d.,  p.  486. 

7.  Sur  l'endroit,  cf.  Tissot,  H,  p.  416,  qui  ne  donne  point  des  informations 
très  sûres.  Le  comte  Marceliin  (ann.  537,  p.  105),  dit  :  «  inter  Maurorum  dé- 
serta. »  Sur  le  nom  de  rendrait,  cf.  Joh,,  111, 318. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  85 

tude  :  Tannée  rebelle,  en  effet,  malgré  le  désordre  apparent 
de  ses  lignes,  se  composait  de  vieilles  troupes  romaines  aguer- 
ries par  vingt  combats  ;  derrière  elle,  se  pressait  une  masse 
épaisse  de  cavaliers  berbères,  et  malgré  les  assurances  de 
défection  données  par  les  grands  chefs,  le  général  impérial  se 
rendait  bien  compte  que,  si  ses  soldats  pliaient,  les  indigènes 
prendraient  sans  hésiter  le  parti  du  vainqueur*  ;  enfin  il  n'avait 
dans  son  infanterie  qu'une  médiocre  confiance  et  craignait 
qu'à  la  moindre  panique,  elle  ne  se  laissât  emporter'.  Et,  au 
vrai,  la  bataille  fut  tout  autrement  sérieuse  que  toutes  celles 
qui  jusque-là  s'étaient  livrées  en  Afrique'.  Dès  le  premier 
choCy  la  cavalerie  impériale  qui  formait  l'aile  droite  fut  bous- 
culée par  une  vigoureuse  charge  de  Stotzas,  et  déjà  Tinfante- 
rie  à  son  tour  était  entamée,  lorsque  Germanos,  à  la  tète  de 
quelques  escadrons  d'élite,  se  jeta  dans  le  combat  Tépée  à  la 
main.  Alors,  dans  une  lutte  furieuse,  les  deux  cavaleries 
s'entremêlèrent;  ordre  avait  été  donné  de  ne  faire  nul  quar- 
tier aux  rebelles;  aussi  ils  se  battirent  en  désespérés.  Germa- 
nos,  tombé  à  bas  de  cheval,  ne  dut  la  vie  qu'au  courage  de 
ses  gardes  :  Stotzas  se  défendit  tant  qu*il  lui  resta  des  forces 
et  quand,  avec  quelques  hommes,  il  dut  prendre  la  fuite,  il 
ne  jugeait  pas  encore  la  partie  perdue.  Pendant  qu'en  avant 
du  camp,  ses  troupes  opposaient  une  résistance  obstinée,  et 
manquaient  de  repousser  les  attaques  des  impériaux,  lui- 
même  galopait  vers  les  Berbères  pour  les  entraîner  à  la  charge 
et  rétablir  la  bataille  \  Mais  à  ce  moment  même  Germanos, 
par  un  mouvement  tournant,  forçait  les  retranchements  des 
rebelles  et  la  déroute  commençait.  A  cette  vue,  les  Maures 
crurent  le  moment  venu  de  participer  à  la  victoire  et  au  pillage 
et  ils  se  jetèrent  à  la  poursuite  des  insurgés.  Pendant  ce  temps, 
suivant  ses  habitudes,  la  détestable  armée  byzantine,  oubliant 
Tennemi,  n'écoutant  plus  son  chef,  ne  songeait  qu'à  faire 

f .  BelL  Vand.,  p.  487. 

2.  Id.,  p.  486. 

3.  Cf.  id.,  p.  486-490. 

4.  Bell.  Vand,,  p.  490. 


86  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dn  butia*;  elle  manqua  le  payer  assez  cher.  Plus  résolu 
que  ne  Tavait  été  Gélimer  à  Tricamarum,  connaissant  mieux 
aussi  rindiscipline  du  soldat  victorieux,  Stotzas  rallia  une 
partie  des  siens  et  tenta  une  suprême  attaque'  :  elle  échoua 
devant  le  courage  de  Germanos.  La  bataille  était  définitive- 
ment perdue.  Le  chef  rebelle,  demeuré  presque  seul,  s'enfuit 
avec  quelques  Vandales  jusqu'en  Maurétanie;  il  y  trouva 
accueil  chez  un  chef  indigène  dont  il  épousa  la  fille  ;  ceux  des 
siens  qui  avaient  survécu  à  la  lutte  firent  leur  soumission. 
L'insurrection  était  terminée. 

U  s'agissait  maintenant  de  remettre  de  Tordre  en  Afrique  '. 
Germanos  sut  montrer  alors  que  sa  douceur  n'était  point 
exempte  de  fermeté.  A  peine  en  effet  rentrée  à  Carthage,  Tar- 
mée  recommençait  à  s'agiter  :  le  long  succès  de  Stotzas  éveil- 
lait les  ambitions;  on  se  mit  à  conspirer  contre  le  patrice, 
comme  jadis  on  avait  fait  contre  Solomon*  ;  de  nouveau  d'ail- 
leurs la  solde  était  en  retard,  et  le  mécontentement  augmentait 
d'autant*;  mais  cette  fois  les  ménagements  n'étaient  plus 
nécessaires.  Averti  du  complot,  Germanos  prit  des  mesures 
énergiques  ;  lorsque  les  mutins  vinrent  au  palais  présenter 
des  réclamations  menaçantes,  lorsqu'ensuite,  rassemblés  à 
rhippodrome,  ils  semblèrent  vouloir  recommencer  les  désor- 
dres de  536,  le  général  sans  hésiter  les  fit  disperser  par  la 
force  et  tailler  en  pièces';  en  même  temps  il  faisait  arrêter  et 
pendre  le  principal  chef  de  la  conspiration  \  Grâce  à  ces  salu- 
taires rigueurs,  l'armée  comprit  qu'il  fallait  obéir  :  et  pendant 
près  de  deux  ans,  l'Afrique,  sous  le  gouvernement  de  Germa- 
nos, connut  quelque  tranquillité  •. 

1.  Bell.  Fand.,  p.  489-490. 

2.  /d.,p.  490. 

3.  W.,  p.  490. 

4.  Id.,  p.  490. 

5.  /d.,  p.  491. 

6.  Id.,  p.  491-492. 

7.  /d.,  p.  492-493. 

8.  Ces  faits  se  placent  sans  doute  dans  Tbi  ver  de  537-538,  puisque  Germanos, 
dit  Procope  {Bell.  Vand.,  p.  491),  commença  par  recourir  à  la  ruse,  n^osant 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  87 


IV 

A  la  journée  de  Cellas  Yaiari,  les  Berbères  avaient  laissé 
échapper  l'occasion  favorable  d'en  finir,  peut-être  pour  tou- 
jours, avec  la  domination  byzantine.  Mais  s'ils  avaient  fait  la 
sottise  d'assister  impassibles  à  la  bataille,  au  lieu  de  se  jeter 
sur  les  Grecs  divisés  et  épuisés,  ils  n'en  demeuraient  pas  moins 
très  redoutables  dans  leur  indépendance.  Los  grands  chefs  de 
la  Numidîe,  oubliant  leurs  inimitiés,  s'étaient  rapprochés  et 
réconciliés*  ;  leurs  forces,  demeurées  intactes  pendant  le  sou- 
lèvement de  Slotzas,  paisiblement  accrues  et  reconstituées 
durant  trois  années,  étaient  considérables.  Au  contraire,  les 
sanglants  combats  de  la  guerre  civile  —  celui  de  Cellas 
Vatarî  semble  avoir  été  particulièrement  meurtrier  —  avaient 
fort  affaibli  l'armée  byzantine  ;  et  par  surcroît,  pour  fournir 
des  renforts  àBélisaire  assiégé  dans  Rome,  on  avait  été  obligé 
de  dégarnir  la  province  *.  Si  donc  l'on  voulait  reprendre  les 
vastes  projets  de  conquête  jadis  conçus  par  Justinien  et  si 
tristement  interrompus  en  536,  il  importait  avant  tout  de 
remettre  sur  un  pied  solide  l'effectif  du  corps  d'occupation. 
On  s'y  résolut  en  l'année  539.  A  cette  date,  la  soumission 
de  l'Italie  semblait  presque  achevée;  le  moment  parut  venu 
de  réaliser  le  rêve,  tant  caressé  jadis,  de  la  reprise  totale  de 
TAfrique  romaine.  Une  armée  nouvelle  fut  donc  équipée  et 
embarquée  pour  Carthage'  ;  et  à  sa  tête,  la  confiance  de  l'em- 
pereur appela  le  personnage  qui  jadis  en  Libye  avait  si  fidèle- 
ment exécuté  les  instructions  du  prince  et  si  énergiquement 
pris  en  main  l'œuvre  de  la  conquête  et  de  la  réorganisation 
administrative.  A  la  place  de  Germanos  rappelé  à  Byzance, 

immédiatement  sévir,  de  crainte  de  tout  compromettre.  En  538,  se  place  sans 
doute  le  combat  d*Âutenti  {Joh.,  HI,  319),  à  Test  de  SufetnlA  ^Tissot,  U, 
p.  443-445),  liyré  probablement  à  une  tribu  de  la  Byzacëne. 

1.  Bell.   Vand.,  p.  487. 

2.  Bell.  Goth.,  p.  475.  Cela  eut  lieO  au  début  de  Tannée  538. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  493. 


88  HISTOIRE  D£  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

le  patrice  Solomon,  rentré  en  faveur,  fut  nommé  tout  à  la  fois 
préfet  du  prétoire  et  magister  niUitum^.  La  pacification  de 
l'Afrique  allait  enfin  s'achever. 

Dès  Tabord,  l'énergie  du  nouveau  gouverneur  apparut  en 
des  mesures  décisives.  Résolument  il  débarrassa  les  troupes 
des  éléments  de  trouble  et  de  désordre  qu'elles  renfermaient, 
renvoyant  à  Byzance  ou  à  l'armée  dltalie  tous  ceux  qui  lui 
parurent  mal  sûrs';  et  à  la  place  de  ces  vétérans  gâtés  jus- 
qu'aux moelles  partant  d'intrigues,  de  complots,  d'insurrec- 
tions, il  forma  des  régiments  nouveaux  qu'il  soumit  à  une  sé- 
vère discipline.  II  expulsa  non  moins  rigoureusement  les 
Vandales  qui  avaient  fourni  des  armes  au  soulèvement  de 
Stotzas,  et  surtout  ce  ramassis  de  femmes  dont  les  criailleries 
avaient  allumé  jadis  le  mécontement  des  soldats  contre  lui  ^ 
Et  s'étant  ainsi  vengé  de  ceux  qui  avaient  causé  sa  chute,  sûr 
maintenant  de  son  pouvoir  et  de  ses  soldats,  il  recommença  la 
guerre  contre  les  Berbères,  négligée  depuis  trois  années,  par 
une  grande  expédition  dans  l'Aurès. 

De  nouveau,  comme  en  335,  Solomon  aborda  par  l'est  le 
vaste  massif  montagneux,  et  son  avant-garde,  sous  les  ordres 
de  Guntarith,  l'un  de  ses  officiers,  vint  prendre  position  dans 
la  plaine  de  Bagai\  Mais,  depuis  la  précédente  campagne,  les 
indigènes  avaient  eu  le  temps  d'oublier  les  sévères  leçons  de 
prudence  que  leur  avaient  données  les  Byzantins  :  au  lieu 
d'attendre,  comme  autrefois',  l'ennemi  dans  leurs  redoutables 
montagnes,  ils  descendirent  hardiment  dans  la  plaine  et  at- 
taquèrent le  détachement  grec.  Guntarith,  vaincu  par  des 
forces  très  supérieures,  dut  se  replier  sur  son  camp;  il  s'y 
trouva  bientôt  bloqué  par  les  Berbères,  et  pour  venir  à  bout 


1.  C.  ;.  L.,  4799.  Victor  Tonn.,  ann.  543,  p.  201. 

2.  Bell.  Vand,,  p.  493. 

3.  M.,  p.  493. 

4.  /d.,  p.  493-494.  Sur  eette  campagne,  cf.  Rinn,  Géographie  ancienne  de 
r  Afrique  (Revue  a  fric,  1893,  p.  297  et  sniv.,  avec  une  carte),  qui  essaie  d'i- 
dentifier les  localités  désignées  par  Procope. 

5.  Cf.  Beli.  Vand.,  p.  465. 


LA  PACIFICATION  DE  LAFRIQUE  PAR  80L0M0N  89 

de  sa  résistance,  ceux-ci  n'imaginèrent  rien  de  mieux  que  de 
détourner  vers  les  retranchements  romains  les  eaux  de  TAbi- 
gas  (OuedBou  Rougal),  transformant  ainsi  toute  la  plaine  en 
un  marais  impraticable'.  Fort  heureusement,  Solomon  vint  à 
temps  dégager  son  avant-garde,  assez  empêchée  de  la  posi- 
tion où  elle  était  placée,  et  poursuivant  les  indigènes  qui 
n'avaient  eu  garde  de  l'attendre,  il  leur  infligea  au  pied 
même  de  FÂurès  une  sérieuse  défaite*.  labdas  comprit  alors 
qu'il  fallait  en  revenir  à  son  ancienne  tactique,  et  se  retirant 
vers  les  régions  les  plus  hautes  et  les  plus  difficiles  de  la  mon- 
tagne, il  s*efforca  d'attirer  à  sa  suite  Tarmée  byzantine*.  Mais 
Solomon,  instruit  par  Texpérience,  refusa  de  prêter  à  cette 
manœuvre;  au  lieu  de  chercher  péniblement  à  joindre  le  roi 
berbère,  il  se  mit  à  ravager  méthodiquement  les  riches  plaines 
qui  s'étendent  au  nord  de  TÂurès,  brûlant  les  moissons,  dé- 
vastant les  campagnes  :  il  comptait  bien,  en  les  frappant  ainsi 
au  point  sensible,  inspirer  aux  tribus  une  salutaire  terreur\ 
Puis  avec  une  colonne  bien  équipée,  il  se  lança  à  la  poursuite 
dlabdas.  Rapidement  il  enleva  la  forteresse  deZerbula%puis 
il  se  porta  au  cœur  même  de  la  montagne^  et  trouva  l'ennemi 
établi  dans  une  position  presque  inaccessible,  «  défendue  de 
toutes  parts  par  des  précipices  et  couverte  par  des  rochers 
taillés  à  pic  »*.  On  vit  bien  dans  cette  circonstance  combien 
avait  changé  l'esprit  de  l'armée  byzantine  :  malgré  les  lenteurs 
et  les  difficultés  du  siège,  malgré  la  pénurie  des  vivres,  mal- 
gré la  nécessité  où  Ton  était  réduit  de  rationner  l'eau  aux 


4.  BelLVand,,  p.  494-495.  Cf.  Masqueray,  Bull.Corr,  afr,,  I,  p.  278-279;  III, 
p.  103-105,  où  Ton  trouve  de  curieuses  légendes  berbères  gardant  le  sou- 
venir de  cet  épisode. 

2.  Id.,  p.  495. 

3.  Id„  p.  495-496. 
4    Id.,  p.  495-496. 

5.  /d.,  p.  496-497.  Sur  les  noms  géographiques  de  cette  campagne,  cf.  Ragot, 
Rec.  de  CoHst.,  1873-74,  p.  220-221;  Masqueray,  «/)e  Aurtisio  monte,  p.  1-20, 
47-48;  surtout  Rinn,  /.  c,  p.  309-310.  Cf.  aussi  Joh,,  II,  145.  Sur  TAbigas, 
Tissol,  I,  p.  52-53. 

6.  Bell,  Vand.,  p.  496. 


90  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

troupes*,  les  soldats,  tout  fiers  des  exploits  prodigieux  qu*ils 
avaient  accomplis*,  réclamaient  impatiemment  l'assaut  : 
Solomon  hésitait  à  le  permettre,  lorsque  quelques  hommes 
réussirent  à  surprendre  une  des  portes  de  la  place  :  à  la  vue 
de  ce  coup  d'audace,  sans  même  attendre  les  ordres,  Tarmée 
entière,  pleine  d'enthousiasme,  s'élance  àTattaque';  les  Mau- 
res surpris  n'opposent  qu'une  faible  résistance;  labdas  lui- 
même,  blessé  dans  la  lutte,  est  obligé  de  prendre  la  fuite. 
Comme  Stotzas,  le  chef  vaincu  alla  chercher  un  asile  en  Mau- 
rélanie*.  C'était  la  fin  de  la  campagne.  Peu  de  jours  après,  les 
femmes  et  les  trésors  du  roi  berbère  tombaient  aux  mains 
d  une  des  colonnes  volantes  qui  battaient  en  tout  sens  la 
montagne*;  et  bien  vite  la  pacification  du  pays  s'acheva,  au 
moins  en  apparence.  D'ailleurs,  pour  assurer  les  résultats  de 
l'expédition,  pour  empêcher  toutretour  offensif  du  redoutable 
adversaire  qu'on  venait  de  vaincre,  Solomon  comprit  qu'il 
fallait  occuper  le  pays  conquis.  Par  ses  ordres,  des  redoutes 
s'élevèrent  dans  l'intérieur  et  au  pied  del'Aurès  :  elles  devaient 
tenir  en  respect  les  indigènes  et  garantir  à  l'empire  la  posses- 
sion définitive  de  la  région*. 

Ainsi  tout  le  haut  plateau  de  Numidie  renti*ait  sous  la  do- 
mination byzantine  :  le  patrice  profita  de  ces  succès  pour 
pousser  encore  plus  loin  ses  avantages.  Il  est  probable  qu'Or- 
thaias  avait  pris  les  armes  pour  soutenir  son  allié  :  en  tout 
cas  il  avait  favorablement  accueilli  les  tribus  expulsées  de 
TAurès^  Solomon  se  résolut  à  l'attaquer.  Malheureusement 
sur  cette  expédition  si  grosse  de  conséquences,  Procope  ne 
fournit  que  des  renseignements  fort  sommaires;  nous  appre- 
nons seulement  que  le  Zab,  le  Hodna,  toute  la  Maurétanie 


1.  Bell.  Fand.,p.  497. 

2.  Id.,  p.  497-498. 

3.  Id.,  p.  498-499. 

4.  /d.,p.  500. 

5.  /d.,  p.  500-501. 

6.  W.,  p.  500;  De  Aedif.,  p.  343 

7.  Beil,  Vand.,  p.  495. 


LA  PACIFICATION  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLO  MON  91 

Sitifienne  furent  soumis  par  le  patriceS  et  les  inscriptions 
nous  montrent  que,  pour  assurer  sa  conquête,  il  s'attacha, 
comme  il  avait  fait  dans  TAurès,  à  occuper  solidement  le 
pays.  Des  citadelles  importantes  s'élevèrent  à  Tubunae* 
(Tobna)  et  à  Zabi  Justiniana'  (près  de  Msila),  couvrant  contre 
les  attaques  des  nomades  du  sud  la  nouvelle  province  byzan- 
tine; au  nord,  Sitifis  (Sétif)  protégea  la  frontière  du  côté  de 
l'ouest  et  tint  en  respect  les  Berbères  de  la  Césarienne  \ 
C'étaient  là,  après  les  tristesses  des  précédentes  années,  de 
grands  et  glorieux  résultats  :  depuis  la  Tripolitaine  jusqu'aux 
confins  de  la  Maurétanie  Césarienne,  depuis  la  mer  jusqu'à  la 
région  des  Chotts,  aux  montagnes  de  TAurès  et  aux  steppes 
du  Hodna,  l'antique  province  romaine  d'Afrique  reconnaissait 
la  domination  du  très  pieux  empereur  Justinien;  au  delà 
même,  vers  l'Occident,  des  places  éparses  sur  la  côte  semblaient 
un  point  de  départ  pour  de  futures  conquêtes,  et  grâce  à  l'é- 
nergique valeur  du  patrice  Solomon,  les  rêves  de  l'ambition 
impériale  semblaient  &  la  veille  de  se  réaliser.  Grâce  à  lui 
aussi,  après  la  pacification  terminée,  l'œuvre  de  la  réorgani- 
sation administrative  allait  s'achever  non  moins  heureuse- 
ment :  «  Solomon,  dit  Procope,  gouverna  avec  modération  et 
assura  en  Afrique  une  entière  sécurité  ;  il  entoura  chaque  ville 
de  remparts,  il  fit  observer  les  lois  avec  exactitude,  il  fut  vrai- 
ment le  défenseur  de  l'ordre  :  sous  son  autorité,  la  Libye, 
comblée  de  richesses,  fut  puissante  et  parfaitement  heu- 
reuse'. »  Après  les  grandes  victoires  de  539,  dit  encore  l'his- 
torien, <c  tous  les  Africains  soumis  à  l'autorité  impériale  goû- 
tèrent une  paix  durable  ;  et  sous  le  gouvernement  sage  et 
modéré  de  Solomon,  n'ayant  pour  l'avenir  plus  aucune  crainte 
de  guerre,  ils  se  considérèrent  justement  comme  les  plus 


1.  Bell.  Fand.,p.  501. 

2.  Cf.  mon  Rapport^  p.  24-25. 

3.  C.  /.  L.,  VIII,  8805. 

4.  Id.,  VIII,  8483. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  493. 


92  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

heureuse  de  tous  les  hommes*.  »  Et  plus  tard,  quand  revinrent 
pour  l'Afrique  les  mauvais  jours  de  troubles  et  d'invasion, 
c'est  vers  cette  période  de  paix  et  de  prospérité  que  se  repor- 
tèrent naturellement  tous  les  regards  :  ce  Alors,  dit  le  poète 
Corippus,  la  tranquillité  la  plus  profonde  régnait  dans  notre 
pays;  ni  la  guerre,  ni  les  ravages  des  pillards,  ni  Tavidité 
des  soldats  ne  venaient  s'abattre  sur  le  toit  du  paysan;  les 
propriétés  étaient  respectées,  la  Libye  regorgeait  de  richesses, 
la  paix  était  assurée  dans  le  monde.  Alors  Cérès  prodiguait 
ses  dons*,  alors  les  pampres  étaient  chargés  de  grappes  et  les 
arbres  verts  s'émaillaient  d'olives  brillantes  comme  des  pier- 
reries. Le  soldat  vivait  heureux  et  paisible  sur  ses  terres; 
partout  le  cultivateur  avait  commencé  à  planter  ses  vignes, 
et,  liant  sous  le  joug  ses  taureaux  dociles,  il  jetait  gaiement 
la  semence,  en  faisant  sur  la  montagne  résonner  son  joyeux 
refrain.  La  paix  était,  féconde  et  prospère  ;  sur  la  terre  apaisée 
s'élevaient  les  douces  chansons  et  les  voix  légères;  partout 
le  marchand  chantait,  le  laboureur  était  plein  de  joie,  le  voya- 
geur était  tranquille,  et  les  Muses  venaient  adoucir  et  charmer 
les  travaux  des  hommes.  La  liberté  était  entière*.  »  Sous  ce 
gouvernement  réparateur,  l'Afrique  retrouvait  ses  forces 
épuisées*;  les  chefs  berbères,  tremblant  au  souvenir  de  leurs 
défaites,  venaient  d'eux-mêmes  se  soumettre  à  l'autorité  de 
l'empereur  %  et  les  populations  délivrées  de  leurs  misères 
passées',  se  répandaient  en  accents  de  reconnaissance.  «  C'est 
votre  main,  dit  énorgiquement  Corippus,  qui  a  arraché  les  mi- 
sérables Africains  aux  griffes  de  la  mort.  L'Afrique  a  res- 
suscité au  bruit  de  vos  triomphes;  après  ses  longs  deuils,  vous 
lui  avez  rendu  la  joie\  »  Sans  doute,  il  ne  faut  point  prendre 

1.  Bell.  Vand.,p.  501. 

2.  Cf.  sur  cette  fertilité,  JoA.,  III,  28-34;  surtout  31-32:  ofecuoda,  redundans 
—  Prugibus.  » 

3.  JoA.,  III.  320-336 

4.  /d.,  III,  342. 

5.  /d.,  III,  287-289. 

6.  /cf.,  m,  278-279  :  «c  Afris  solacia  fessis  —  Summa  rereos.  n 

7.  W.,  III,  281-283. 


LA  PAaFICATlON  DE  L'AFRIQUE  PAR  SOLOMON  93 

à  la  lettre  ces  hyperboles  de  poète  :  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  pendant  ces  quelques  années  les  gouverneurs  byzantins 
d'Afrique  ont  accompli  dans  la  province  une  œuvre  prodi- 
gieuse, dont  les  désordres  mêmes  des  époques  ultérieures 
n'ont  pu  faire  disparaître  tout  TefTet.  «  Notre  pays,  dit  encore 
Gorippus^  florissant  et  prospère,  a  goûté  ces  joies  pendant 
dix  pleines  années  \  »  C'est  à  cette  date  qu'il  faut  donc  se 
placer  pour  étudier  Torganisation  civile  et  militaire  que  Jus- 
tinien  a  donnée  à  l'Afrique,  et  apprécier  équitablement  les  ré- 
sultats merveilleux  de  l'œuvre  entreprise  et  réalisée  par  le 
grand  empereur. 

i.Joh.,  HI,  289-290 


LIVRE  II 


L4  HÉORGANISATION  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE 


LIVRE    II 

LA  RÉORGANISATION  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE 


PREMIÈRE    PARTIE 
L'ADMINISTRATION  CIVILE 


Dès  la  fin  de  la  guerre  vandale,  avant  même  qu'on  sût  à 
Gonstantinople  la  soumission  de  Gélimer,  Justinien  s'était 
hâté  d'organiser  sa  conquête.  Il  voulait  sans  tarder  faire  sen- 
tir à  ses  nouveaux  sujets  tout  ce  qu^ils  gagnaient  à  passer  du 
dur  joug  des  Barbares  à  la  pleine  liberté  du  «  très  pros- 
père empire  romain'  »,  et  pour  cela  il  tenait  à  rétablir  tout  de 
suite  en  Afrique  cet  «  ordre  parfait  »',  qui  lui  semblait  la 
marque  de  tout  état  vraiment  civilisé.  Désireux  de  montrer 
une  faveur  particulière  à  ces  provinces  dont  il  saluait  avec 
tant  de  joie  le  retour  à  l'empire,  non  seulement  il  voulait  leur 
rendre  cette  administration  qu'elles  avaient  connue  jadis  et 
dont  le  rétablissement  devait  effacer  jusqu'au  souvenir  de  la 
«  captivité  vandale  »  ';  mais  pour  leur  mieux  témoigner  en- 
core sa  bienveillance,  pour  mieux  marquer  l'importance  qu'il 
attachait  à  leur  affranchissement,  il  voulut  que,  comme  l'O- 
rient, comme  l'IUyricum,  l'Afrique  fût  administrée,  non  point 
par  un  simple  proconsul  \  mais  par  un  préfet  du  prétoire^  et 

1.  Cod.  JusL,  I,  27, 1,  8. 

2.  W.,  10. 

3.  /d.,  8. 

♦.  Nov.  30,  5,  où  d'aillears  l'empereur  se  trompe  eo  croyant  que  le  pro- 
consul administrait  l'ensemble  des  six  provinces. 

I.  1 


98  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

qu'elle  formât  un  diocèse  spécial,  dont  Carlhage  serait  la  ca- 
pitale*. Un  rescrit  d'avril  534  fit  connaître  la  volonté  impé* 
•rialeetplaçaàlatète  du  nouveau  gouvernement  le  patrice  Ar- 
chélaos,  qui  avait  déjà  exercé  ces  hautes  fonctions  à  Byzance 
et  dansllllyricum,  et  qui  en  ce  moment  même  se  trouvait  en 
Afrique,  en  qualité  de  trésorier  général  du  corps  expédition- 
naire*. 


I 


Par  la  pompe  qui  l'environnait,  par  le  prestige  de  ses  litres, 
par  rétendue  de  ses  attributions,  un  préfet  du  prétoire,  on 
le  sait^  était  un  fort  grand  personnage  :  et  les  écrivains  con- 
temporains ne  trouvent  point  d'expressions  assez  ambitieuses 
pour  vanter  ce  pouvoir  sans  limites,  cette  magistrature  sans 
rivales  ',  «  où  toutes  les  grandes  affaires  viennent  aboutir, 
comme  les  fleuves  dans  FOcéan  »  ^.  Justinien  la  rétablit  en 
Afrique  dans  toute  l'étendue  de  ses  privilèges  et  de  son  au- 
torité. Le  titulaire  du  nouvel  emploi  fut  salué  des  noms  d'Ex- 
cellence, de  Magnificence  et  de  Sublimité';  comme  signe 
extérieur  de  la  haute  dignité  dont  il  était  revêtu,  il  eut  droit 
de  se  servir  de  la  voiture  de  gala,  du  carpentum^  sur  laquelle  il 
prenait  place  parmi  les  acclamations  des  hérauts*;  mieux  en- 
core, ses  appointements  attestèrent  l'importance  de  sa  charge  ; 
il  reçut  cent  livres  d'or  de  traitement,  c'est-à-dire  près  de 
113,000  francs  de  notre  monnaie  \  Quant  à  ses  attributions, 
elles  s'étendaient  à  tout  l'ensemble  de  l'administration  civile, 
et  suivant  l'usage,  elles  se  partageaient  entre  quatre  objets 

1.  Cod,  JvsL,  I,  27,  1,  10-11;  I,  2*7, 2, 13. 

2.  ife/Z.  Vand.,p.  360. 

3.  Casfliodore,  Var.,  VI,  3. 

4.  Lydu«,  De  magislr..  Il,  7. 

5.  Cod.  Just.,  I,  27,  1,  11,  13,  14,  43;  Nov.  36,  3. 

6.  Nov.  70, 1. 

7.  Cod.  JusL,  I,  27,  1,  21. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  99 

principaux  :  la  législation,  Tadministration,  la  justice  et  les 
finances  ^ 

C'était  en  effet  le  préfet  du  prétoire  qui  recevait  communi- 
cation de  toutes  les  lois  et  décisions  impériales  et  qui,  par 
des  edicta  publiquement  affichés,  en  assurait  la  promulga- 
tion'. En  conséquence,  il  devait  non  seulement  faire  con- 
naître aux  populations  les  mesures  spéciales  prises  par  le 
prince  pour  la  réorganisation  de  la  province,  et  donner  les 
instructions  nécessaires  (praeceptiones)  »  pour  Taccomplisse- 
ment  des  volontés  souveraines;  mais  en  outre,  lorsque  les 
lois  générales  de  Tempire,  le  Digeste  et  le  Gode  déjà  publiés, 
et  bientôt  toute  la  série  des  Novelles,  furent  appliquées  dans 
TÂfrique  reconquise  \  ce  fut  encore  par  l'intermédiaire  du 
préfet  qu'on  les  communiqua  aux  provinciaux.  Chef  suprême 
de  Tadministration  civile,  c'est  lui  qui  propose  au  choix  du 
prince  les  gouverneurs,  consular es  ou  praesides^  placés  à  la  tète 
des  différentes  provinces,  et  sur  leurs  brevets  de  nomination  il 
perçoit  une  taxe  déterminée';  quand  ils  sont  en  charge,  c'est 
lui  qui  leur  transmet  les  décisions  impériales,  qui  correspond 
avec  eux  et  leur  donne  les  instructions  nécessaires  au  bon 
gouvernement  du  pays.  U  nomme  même  directement  certains 
fonctionnaires,  tels  que  les  professeurs  de  TUniversité  de 
Carthage  *.  Sa  compétence  judiciaire  est  également  fort  con- 
sidérable :  les  Novelles  parlent  fréquemment  du  tribunal  pré- 
torien, du  trône  de  juge  (îtxaaTwwt  6p4vot)',  dont  l'occupation 
constitue  un  des  signes  essentiels  de  la  magistrature  préto- 
rienne; et  en  effet,  les  textes  montrent  le  préfet  Solomon 
chargé  d'examiner  les  procès  relatifs  aux  revendications  de 
terres  usurpées  sur  les  anciens  possesseurs  ',    recevant  les 

\.  Cf.  Belhmann-Hollweg,  Der^Civilprocess  des  gemeinen  Rechts,  III,  p.  48-49. 

2.  Nov.  36,  6  ;  37,  12  ;  Cod.  Just,  1,  27,  1,  43  ;  Nov.  169  (édit.  Zachariae). 

3.  iVoo.  37,  2. 

4.  Cod,  JusL,  1, 17,  2,  24;;  Nov.  36,  6;  7,  1  ;  79,  2. 

5.  Cod,  JusL,  I,  27,  1,  19. 
€.  Id.,  42-43. 

7.  Nov.  70,  1;  i2%,  praef, 

8.  Nov,  36,  3. 


100         HISTOIRE  DE  L\  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

plaintes  ',  dirigeant  Tenquête  et  prononçant  sans  appel  la  sen- 
tence*. En  matière  de  finances,  Tautorité  du  préfet  est  plus 
étendue  encore  :  c'est  lui  qui  surveille  la  répartition  de  l'impôt, 
qui  fait  dresser  les  registres  d'après  lesquels  il  sera  établi  *, 
qui  veille  à  ce  qu'il* ne  se  produise  nulle  exemption  illégale  *, 
qui  chaque  année  fait  afficher  les  tableaux  déterminant  la 
quotité  des  contributions  '.  C'est  lui  qui  assure  la  perception 
de  l'impôt  et  en  centralise  le  montant  dans  les  caisses  de  la 
préfecture.  C'est  lui  encore  qui  s'occupe  de  Tadministration 
des  biens  du  trésor  et  de  ceux  de  la  famille  impériale  %  et  il 
tient  la  main  à  ce  qu'on  respecte  les  intérêts  de  Vaerarium 
aussi  bien  que  ceux  de  la  domus  divina  \  Il  est  également  l'or- 
donnateur de  toutes  les  dépenses  de  la  province  ',  et  prélève 
sur  les  recettes  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la  bonne  adminis- 
tration du  pays;  il  paie  les  appointements  des  gouverneurs 
civils  et  du  personnel  qui  les  seconde;  il  fait  les  fonds  pour 
les  travaux  publics  et  les  constructions  que  réclame  l'état  de 
la  province;   et  par  ces  attributions  financières,  il  dépasse 
même  parfois  le  cercle  de  la  pure  administration  civile.  C'est 
le  préfet  du  prétoire,  en  effet,  qui  est  chargé  de  payer  la  solde 
des  troupes  et  d'assurer  les  subsistances  de  l'armée  •  ;  c'est 
lui  qui,  comme  directeur  des  travaux  publics,  prend  les  me- 
sures nécessaires  pour  la  mise  en  défense  des  villes  et  l'éta- 
blissement des  citadelles  "  ;  par  là  il  se  trouve  en  relations 
constantes  avec  les  chefs  militaires,  et  exerce  un  contrôle  par- 
tiel sur  leur  administration.  Pour  toutes  les  questions  qui 
touchent  à  l'occupation  du  territoire,  c'est  à  lui  que  les  ducs 

1.  Nov.  36,  5. 

2.  mv.  119,  5. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  444-443. 

4.  Nov.  31,  1-2. 

5.  Now.  128,  1. 

6.  Bell.  Vand.,  p.  410. 

7.  Cf.  C.  /.  /-«.,  VIII,  14399,  où  l'on  trouve  un  fonctionnaire  de  la  domus  di- 
vina. 

8.  XopYjybç  Trie  ÔaicàvYi;  (Bell.  Vand.,  p.  360,  482J. 
%.  Cod.  Jxist.,  1,27,  2,  15. 

10.  W.,  15. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  101 

font  parvenir  leurs  rapports;  d'ailleurs,  c'est  lui  qui,  sur  les 
impôts  levés  dans  la  province,  paie  les  appointements  de  ces 
officiers  et  de  leurs  bureaux  S  et  quoiqu'il  n'intervienne  point 
dans  leur  nomination,  c'est  lui  qui,  par  sa  chancellerie,  leur 
fait  expédier  leurs  brevets,  et  il  perçoit  sur  ces  actes  une  taxe 
assez  forte*.  Enfin,  dans  un  état  chrétien  tel  qu'est  Tempire 
byzantin,  les  questions  qui  touchent  TÉglise  ne  sauraient  de- 
meurer indifTérentes  à  Tadministration  civile  :  «  Il  y  a  étroite 
union,  dit  quelque  part  Justinien,  entre  le  sacerdoce  et  l'em- 
pire, et  les  affaires  religieuses  sont  étroitement  mêlées  aux 
affaires  publiques;  caries  très  saintes  églises  tiennent  des  li- 
béralités constamment  accrues  du  prince  toute  leur  richesse 
et  leur  situation  *.  »  Déjà,  par  ses  attributions  judiciaires,  le 
préfet  d'Afrique  se  trouvait  en  relations  avec  les  évoques, 
ayant  à  juger  les  revendications  de  terres  qu'ils  présentaient 
à  son  tribunal  *  ;  en  matière  financière,  il  se  trouvait  égale- 
ment en  rapport  avec  eux,  puisque  l'impôt  d'état  n'épargnait 
point  les  biens  d'église;  il  avait  en  outre  dans  ses  attributions 
le  règlement  de  toutes  les  questions  relatives  à  la  police  des 
cultes*;  représentant  de  l'empereur,  exécuteur  de  toutes  les 
décisions  souveraines,  il  n'avait  pas  pour  moindre  devoir  de 
protéger  en  toute  circonstance  l'Église  orthodoxe,  et  de  mettre 
à  son  service  contre  les  hérétiques,  les  dissidents,  les  juifs^  les 
païens,  toutes  les  ressources  de  l'autorité  séculière^. 

Telles  étaient  les  attributions,  fort  importantes,  du  préfet 
du  prétoire  d'Afrique.  Pour  l'assister  dans  ses  multiples  de- 
voirs et  assurer  le  bon  fonctionnement  des  nombreux  services 
confiés  à  ses  soins,  le  chef  du  diocèse  africain  avait  auprès  de 
lui  un  personnel  assez  considérable  d'adjoints,  d'attachés  et 
d'employés.  Le  rescrit  de  834  énumère  fort  longuement  ces 


!.  Cod.  JusL,  I,  27,  2,  18. 

2.  Id.r  il,  35. 

3.  Nov.  7,  2. 

4.  NOD,  37,  2. 

5.  Nov,  37,  5. 

6.  Nov,  37,  11. 


102  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

différentes  catégories  de  personnes,  avec  le  nombre  d'auxi- 
liaires affectés  à  chaque  service  et  les  appointements  attri- 
bués à  chaque  employé;  et  cette  liste,  si  aride  et  fastidieuse 
qu'elle  paraisse  à  première  vue,  est  fort  utile  pour  faire  ap- 
précier toute  l'étendue  des  pouvoirs  accordés  à  la  préfecture, 
toute  la  variété  des  affaires  qui  passaient  par  sa  chancel- 
lerie. 

Tout  d'abord,  et  en  dehors  des  bureaux  proprement  dits,  le 
préfet  était  assisté  d'un  certain  nombre  de  conseillers  [consi^ 
liant)^y  personnages  d'un  rang  assez  élevé,  comme  l'attestent 
le  titre  de  comités  primi  ordinis  qui  leur  est  attribué  dans  la 
hiérarchie'  et  les  appointements  assez  considérables  qui  sem- 
blent leur  avoir  été  accordés.  Ils  aidaient  le  préfet  dans  l'ad- 
ministration de  la  justice  et  siégeaient  avec  lui  àson  tribunal  '. 
C'étaient  d'ordinaire  de  jeunes  jurisconsultes,  qui  se  prépa- 
raient dans  ces  fonctions  à  la  pratique  des  affaires,  et  il  n'était 
point  rare  en  effet  qu'on  choisit  parmi  eux  les  gouverneurs  de 
province\  Grâce  à  leurs  connaissances  juridiques,  ils  exer- 
çaient sur  le  magistrat  auquel  ils  étaient  attachés  une  fort 
grande  influence  :  souvent  môme,  quand  celui-ci  était  absent, 
le  conseiller  prenait  sa  place  au  tribunal  et  administrait  la  jus- 
tice*. A  l'époque  de  Justinien,  tous  les  fonctionnaires  civils  et 
militaires  avaient  auprès  d'eux  un  conseil  de  cette  sorte  *  ;  en 
général  pourtant,  ils  étaient  assistés  d'un  seul  consiltarius  ^  ; 
mais  dans  une  préfecture  du  prétoire,  c'eût  été  là  un  chiffre 
bien  insuffisant;  et  quoique  nous  ignorions  le  nombre  exact 
de  ceux  qui  servaient  à  Garthage^  en  tout  cas  nous  voyons  par 


1.  Cod,  JusL,  I,  27,  1,  21.  Cf.  Nov.  24,  25. 

2.  Cassiod.,  Var.,  VI,  12.  Cf.  Bethmana-HoUvreg,  2.  c.,III,  p.  129.  Mommsen, 
Ostgolhische  Sludien  {Weues  Arch.,  XIV,  p.  477-478)  suppose  que  le  consilia- 
rius  remplace  dans  les  bureaux  le  princeps,  disparu  au  vi'  siècle . 

3.  Cod.Just,  I,  51, 14;  Nov.  119,  5. 

4.  Cassiod..  Var.,  VI,  12. 

5.  Nov.  82,  praef, 

6.  Cod.  Juat.,  I,  51,  11.  C'est  eu  cette  qualité  que  Procope  fut  attaché  à  la 
personne  de  Bélisaire  \fielL  Fond.,  p.  370). 

7.  Nov,  8,  8;  7,  5,  2;  29,  6. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  103 

les  termes  du  rescrit  qu*il  y  avait  plusieurs  consiliarii  près  du 
préfet  d'Afrique  * . 

Le  préfet  était  secondé  en  outre  dans  Tadministralion  de  la 
justice  par  un  certain  nombre  decancellarii^.  Ces  personnages 
étaient  primitivement  de  simples  huissiers  chargés  de  garder 
l'accès  du  tribunal  et  d'introduire  devant  le  juge  les  accusés 
ou  les  suppliants*.  Leur  importance  semble  s'être  quelque  peu 
accrue  au  vi*  siècle  ;  ils  sont  classés  en  effet  en  dehors  de  Voffi- 
ciurriy  immédiatement  après  les  consiliarii^  et  leurs  appointe- 
ments, bien  que  moins  forts  que  ceux  de  ces  personnages,  pa- 
raissent pourtant  assez  élevés^.  Quelques  années  plus  tard,  on 
trouve,  dans  d'autres  provinces  de  l'empire,  le  cancellarius 
devenu  secrétaire  du  gouverneur  et  représentant  en  justice  le 
magistrat  auquel  il  est  attaché  ^  ;  on  ne  saurait  dire  si,  dès  534^ 
il  avait  en  Afrique  un  rôle  aussi  considérable  ;  en  tout  cas,  ses 
fonctions  étaient  d'ordre  judiciaire^. 

A  côté  de  cette  cour  de  justice,  qui  sans  doute  servait  aussi 
de  conseil  de  gouvernement,  venait  Xofficium  proprement 
dit,  comprenant  un  total  de  396  personnes,  qui  se  partageaient 
en  deux  catégories  :  d'une  part  des  employés  répartis  en  un 
certain  nombre  de  bureaux  ou  scrinia,  de  l'autre  des  auxiliaires 


1.  KrQger,  Kritik  des  Juslinianischen  Codex,  p.  161-162,  pense  que  le  pré- 
fet d'Afrique  était  assisté  d*uD  seul  consiliarius  et  qu'il  y  a  une  faute  dans  le 
texte  du  rescrit.  Momrasen  (/.  c,  p.  477,  n.  5),  est  du  même  avis.  On  remar- 
quera pourtant  que,  dans  cette  hypothèse,  le  traitement  attribué  à  ce  fonction- 
naire parait  bien  élevé. 

2.  Cod.  JusL,  I,  27, 1,  21. 

3.  Agathias,  I,  19,  p.  55;  Cassiod.,  Kar.,  XI,  6;  Cod.  JusL,  I,  51,  3.  Cf. 
Mommsen,  /.  c,  p.  478. 

4.  Sur  le  cancellaritu,  cf.Rrdger,  l,  c,  p.  164-165,  qui  croit  que  le  préfet  d'A- 
frique avait  auprès  de  lui  un  seul  cancellarius^  aux  appointements  de  sept  livres 
d'or.  Mommsen  (/.  c,  p.  480)  est  du  même  sentiment.  Sur  l'importance  du 
personnage,  Mommsen,  ibid.,  p.  479-480. 

5.  Cassiodore,  Var.^  XI,  6,  dit  que,  par  l'attitude  du  cancellarius^  on  peut 
préjuger  celle  dn  magistrat  auquel  il  est  attaché.  Cf.  Diehl,  hxarchat  de  Ra- 
venne^  p.  151,  182. 

6.  Cassiod.,  Va»*.,  XI,  6.  KrOger  pense  qne  lecancellatnus  réunissait  en  outre 
à  ses  attributions  celles  du  princeps  et  du  comicularius.  qui  ont  disparu  au 
Vf  siècle  (Krûger,  /.  c,  p.  166). 


/ 


104  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BÏZANTINE  EN  AFRIQUE 

groupés  en  diverses  corporations  onscholae.  On  les  distinguait 
parles  termes  généraux  de  scriniarii  et  de  cohortales^.  Les 
divers  services  de  Tadministration  civile  se  partageaient  entre 
dix  bureaux.  Quatre  d'entre  eux  étaient  chargés  de  l'adminis- 
tration générale  des  finances,  et  avaient  à  leur  tête  un  ntime" 
rarius;  c'étaient,  à  en  juger  par  les  appointements  de  leurs 
chefs,  les  plus  importants  ;  tandis  que  les  chefs  des  autres  bu- 
reaux touchaient  un  traitement  annuel  de  vingt-trois  sous  d*or 
(360  fr.  30),  le  numerarius  recevait  le  <jouble,  quarante-six 
sous  d'or  (720  fr.  60)*. 

Le  bureau  du  primiscrinius  avait  pour  mission  de  surveiller 
l'exécution  des  ordres  émanant  de  la  préfecture  et  d'investir 
les  exécuteurs  des  pouvoirs  nécessaires'.  Les  deux  bureaux  du 
commentariensisei  de  Vab  actis  étaient  préposés  à  la  rédaction 
des  actes  et  à  la  garde  des  archives,  et  s'occupaient  en  parti- 
culier des  pièces  qui  avaient  trait  à  l'administration  de  la  jus- 
tice criminelle  et  civile*.  Le  bureau  des  libelli  recevait  les  re- 
quêtes adressées  au  préfet  et  spécialement  les  plaintes  qui 
devaient  être  jugées  devant  son  tribunal;  il  était  chargé  en 
outre  de  la  correspondance  générale  et  de  l'expédition  des 
actes  officiels  V  Enfin,  deux  bureaux  fort  importants  étaient 
le  scrinium  operum  et  le  scrinium  arcae  :  tandis  que  les  autres 
bureaux  comptaient  en  général  dix  employés  et  celui  des 
libelli  sïK  seulement,  ici  au  contraire  vingt  personnes  étaient 
attachées  à  chaque  service  :  l'un  en  effet  était  chargé  des  tra- 
vaux publics*,  et  la  masse  des  constructions  élevées  par  Justi- 
nien  dans  l'Afrique  byzantine  atteste  suffisamment  son  rôle  et 


1.  Cod.  Jus:.,  I,  27,  1,43. 

2.  Sur  [es  numerarii,  cf.  Cod.  JtisL,  XU,  49,  4.  Au-dessous  du  numerarius 
prenaient  place  Vadjutor  et  le  chartularius,  qui  étaient  dans  chaque  bureau 
les  premiers  des  scriniarii  (KrOger,  /.  c,  p.  166-161). 

3.  Gagnât,  Varmée  romaine  d'Afrique,  p.  719;  Bethmann-Hollweg,  l.  c,  111, 
p.  146-147. 

4.  Bethmann-HoUweg,  111,  p.  147-150. 

5.  Cf.  KrQger,  /.  c,  p.  168-169,  qui  attribne  également  à  ce  bureau  le  soin 
du  cursus  publicus  et  la  rédaction  des  décrets  officiels  {cura  epistularum), 

6.  et.  Nov,  128,  16,  18. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  105 

son  activité;  Tautre  étaitpréposé  à  l'administration  des  caisses 
de  la  préfecture,  et  faisait  sans  doute  les  ordonnances  néces- 
saires pour  les  dépenses  de  la  province'. 

A  côté  des  bureaux,  qui  comprenaient  un  effectif  de  cent  dix- 
huit  personnes,  des  auxiliaires  assez  nombreux  étaient  attachés 
à  la  préfecture,  quelques-uns  comme  employés  aux  écritures, 
la  plupart  comme  agents  d'exécution  des  ordres  du  préfet.  Ils 
étaient  groupés  en  neuf  corporations  ou  scholae^  dont  les  mem- 
bres étaient  inégalement  appointés,  selon  l'importance  du 
service  confié  à  leurs  soins  ;  ainsi  les  deux  chefs  de  la  schola 
des  exceptores  et  celui  de  la  schola  des  chartularii  touchaient 
môme  traitement  —  vingt-trois  sous  d'or  —  que  plusieurs  des 
chefs  des  bureaux  de  la  chancellerie  ;  dans  les  autres  scholae, 
les  chefs  recevaient  seize  seulement  ou  quatorze  sous  d'or 
(250  fr.  65  et  219  fr.  30).  Parmi  ces  auxiliaires,  les  plus  nom- 
breux étaientceux  que  réclamait  l'administration  des  finances  : 
il  y  avait  soixante  exceptores^ ^  greffiers  et  commis  rédacteurs 
employés  aux  écritures  administratives,  et  cinquante  chartU" 
fem,  chargés  de  la  tenue  des  comptes'.  Pour  recueillir  les  im- 
pôts, le  service  des  finances  employait  encore  cinquante  mit- 
tendarii^.  Les  besoins  de  la  correspondance  administrative 
étaient  assurés  par  trente  cursores  ou  courriers  ;  l'administra- 
tion de  la  justice  avait  douze  nomenclatores  ou  huissiers  *  ;  dix 
hérauts  ou  praecones  étaient  chargés  delà  promulgation  des 
édits  et  ordonnances.  Enfin,  pour  rehausser  le  prestige  du 
gouverneur,  cinquante  sitigularii  lui  formaient  une  sorte  de 
garde  du  corps,  et  étaient  employés  par  lui  à  des  missions 
de  confiance^;  dix  draconarii  on  porte-bannières''  accompa- 

\ 

\.  RrQger,  /.  c,  p.  174. 

2.  Cf.  Cod.Jusi,,  XII,  23,  7;  Cod.  Theod.,\m,  1, 17;  Bethmann-IIollweg,  HI, 
p.  153-155. 

3.  Cf.  Cod.  Just.,  XII,  50, 10;  Bethmann-HoUweg,  111,  p.  155-156. 

4.  Cf.  Cod.  JusU,  Xn,  23,  7;  Cod.  Theod.,  VI,  30,  2. 

5.  Lydus,  De  magistr.y  III,  8. 

6.  Cf.  Gagnai,  /.  c,  p.  128  et  le  texte  de  Lydus,  De  mag.,  III,  7.  Ils  ressem- 
bleat  aux  scribones  (Diehl,  Exarchat  de  Ravenne^  p.  152). 

7.  Slrateg.,  XII,  8,  p.  308. 


106  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

gnaient  son  cortège;  ûx  stratores  enfin  veillaient  à  ses  che- 
vaux, et  peut-être  s'occupaient  aussi,  pour  Tarmée,  du  service 
de  la  remonte  ^  Ces  auxiliaires  formaient  au  total  un  chiffre 
de  278  personnes. 

Enfin,  dans  l'entourage  du  préfet,  on  rencontrait  cinq  mé- 
decins, assez  fortement  rétribués  à  raison  de  quatre-vingt-dix- 
neuf  sous  d'or  (1,S50  fr.  88)  pour  le  chef  de  service,  soixante- 
dix  (1,096  fr.  55)  pour  son  second,  et  cinquante  (783  fr.  25) 
pour  les  trois  autres  :  on  y  trouvait  aussi  deux  grammatici  et 
deux  sophistae  oratores,  payés  chacun  à  raison  de  trente-cinq 
sous  d'or  (548  fr.  30)*.  C'était  là,  selon  toute  vraisemblance,  un 
personnel  chargé  de  donner  dans  la  capitale  de  l'Afrique  by- 
zantine une  sorte  d'enseignement  supérieur*. 

Tous  ces  personnages,  depuis  les  comtViam  jusqu'au  der- 
nier auxiliaire,  étaient  nommés  par  le  préfet  lui-même^  et  ne 
relevaient  que  de  lui.  Il  devait  exercer  sur  leurs  actes  une 
scrupuleuse  surveillance';  mais,  même  en  cas  de  faute  com- 
mise, l'empereur  semble  s'interdire  le  droit  de  les  punir'.  Le 
rescrit  de  834  leur  garantit  à  titre  perpétuel  la  possession  de 
leur  charge  ;  seul  le  préfet  était  leur  juge  et  avait  pouvoir  pour 
les  destituer\  Néanmoins  tous  recevaient  leurs  appointements 
de  l'Etat.  Au  total,  le  personnel  de  la  préfecture  du  prétoire  d'A- 
frique touchait  une  somme  de  6,575  sous  d'or  (102,997  fr.  40) 
se  décomposant  ainsi  : 

ConsUiarii  ....  1,440        =  22,557,60 

CaDcellarii.    ...  504        ==  7,895,46 

Scrinia  .    .    .    •    .  1,4781/2=  23,160,70 

Scholae 2,6931/2  =  42,193,68 

Professeurs.    ...  459        =  7,190,23 


6,575        =      102,997,37 

1.  Cod,  Jusi.,  Xll,  25  ;  Cod.  Theod.,  VI,  31  ;  Gagnât,  /.  c,  p.  128-130.  Krflger,  ' 
p.  171-173,  leur  attribue  au  coutraire  la  cuslodia  reorum  et  les  considère  comme 
des  employés  du  commenlariensis, 

2.  Cod.  JusL,  I,  27,  1,  41-42. 

3.  Cf.  Marquardt,  Manuel  desant,  rom.,t.  X  :  Oryanwfl/t07i/Çnancière,p.l33-134. 

4.  Cod.  JusL,  l,  27,  1,  43. 

5.  W.,  17. 

6.  Id.,  43. 

7.  Bethmann-Rollweg,  III,  p.  139-140. 


I 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  107 

Si  Ton  joint  à  cette  somme  le  traitement  du  préfet  qui,  à  lui 
seul,  recevait  davantage  que  ses  414  ou  416  auxiliaires*,  on 
obtient  pour  les  dépenses  totales  de  la  préfecture  du  prétoire 
d'Afrique  le  chiffre  de  13,775  sous  d'or,  ou  215,785 fr.  40  de 
notre  monnaie. 


II 

Au-dessous  du  préfet  du  prétoire,  sept  gouverneurs,  con* 
sulares  ou  praesides^  se  partageaient  l'administration  civile  des 
provinces  du  diocèse.  Malheureusement  le  passage  du  rescrit 
de  534,  où  sont  énumérées  les  nouvelles  divisions  de  l'Afrique 
byzantine,  est  assez  altéré  pour  qu'on  n'y  puisse  point  recon- 
naître en  pleine  certitude  la  nouvelle  organisation  du  pays; 
il  est  donc  indispensable,  avant  toute  chose,  de  discuter  en 
quelques  mots  ce  texte  controversé. 

Dans  l'édition  que  Krûger  a  donnée  en  1884  du  Code  Jus- 
tinien,  on  lit  ceci  :  Et  auxiliante  Deo^  septem  provinciae  cum 
suùjudicihusdisponantur^  quantm  Tingi,  et  quae  Proconsula- 
ris  antea  vocabatur,  Carthago,  et  Byzacium  ac  Tripolis  recto- 
res  habeant  considares;  reliquae  veroj  id  est  Numidia  et 
Mauritania  et  Sardinia,  a  praesidibus  gubernentur*.  Si  l'on 
accepte  cette  leçon,  les  sept  provinces  créées  par  Justinien 
dans  le  diocèse  d'Afrique  seraient  : 

1*  Quatre  gouvernements  confiés  à  des  consulaires,  savoir  : 

La  Tingitane. 

La  Proconsulaire. 

La  Byzacène. 

La  Tripoli taine. 

2**  Trois  gouvernements  administrés  par  des  praesides  : 

La  Numidie. 

1.  Il  y  a,  en  effet,  396  employés  -f-  9  professeurs  -j- les  consiliarîi  (deux  ou 
quatre?)  et  les  cancellarii  (sept?).  Si,  avec  M.  Krdger,  on  admet  un  consilia- 
rius  et  un  canceliarius  seulement,  on  u  un  total  de  407  personnes. 

2.  Cad.  Just,,  I,  27, 1,  12. 


108  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

La  Maure tanie. 

La  Sardaigne. 

Mais  on  a  justement  fait  remarquer  que  la  province  nommée 
en  tête  de  cette  liste  est  bien  faite  pour  surprendre^  :  non 
point  pourtant,  comme  le  déclarent  Partsch^  et  à  sa  suite 
Mommsen  lui-même  et  Gelzer,  parce  que  l'occupation  de  la 
seule  place  de  Septem  ne  suffit  pas  à  justifier  la  création  d*une 
Tingitane;  la  même  objection  vaudrait  contre  la  constitution 
d'une  province  de  Césarienne  ou  de  Sitifienne,  puisqu'à  la 
date  de  534,  les  Byzantins  ne  possédaient  dans  Tune  que  Cae- 
sarea,  dans  l'autre  que  Saldae  et  Igilgilis.  Au  moment  où,  par 
son  rescrit,  Justinien  organisait  rAfrique,  il  se  préoccupait 
peu  de  Tétat  réel  de  la  conquête;  mais,  plein  des  plus  belles 
espérances,  sur  que  ses  troupes  allaient  sans  coup  férir  re- 
conquérir dans  toute  son  étendue  Tantique  province  romaine, 
il  partageait  sur  le  papier  en  circonscriptions  administratives 
TAfrique  telle  qu'elle  devait  être,  telle  qu'elle  allait  être  avant 
peu.  Heureusement  de  meilleures  raisons  permettent  de  rayer 
la  Tingitane  :  il  y  aurait  en  effet  quelque  chose  d'étrange  à 
ce  que  celte  province  à  conquérir  fût  inscrite  avant  celle  où 
se  trouvait  la  capitale  reconquise  de  l'Afrique;  il  est  invrai- 
semblable surtout  qu'on  ait  mis  à  sa  tête  un  consulaire^  alors 
que  dans  Torganisalion  militaire  l'empereur  établit  à  Septem 
un  simple  tribun  dépendant  du  duc  de  Maurétanie'.  D'ailleurs 
les  manuscrits  permettent  une  autre  et  meilleure  lecture  :  il 
faut  remplacer  Tifigi  par  Zengi^  la  Tingitane  par  la  Zeugitane. 

Mais  est-il  possible  alors  de  distinguer  en  deux  provinces 
séparées  la  Zeugitane  et  Garthage?  Partsch  et  à  sa  suite  Tis- 
sot  l'ont  cru  ',  et  ont  modifié  en  conséquence  la  liste  des  pro- 
vinces africaines.  Pourtant,  ainsi  que  Tobserve  Mommsen, 
on  ne  saurait  accepter  cette  singulière  correction.  Le  témoi- 
gnage de  Procope  atteste  d'une  manière  formelle  qu'il  n'exista 

1.  Partscb,  /.  c,  vu;  MommseD  (C. /.  I.,  VIII,  p.  xvii);  Gelzer,  éd.  de 
Georges  de  Chypre,  p.  xxviu. 

2.  Cod.  Just.,  1,  27,  2,  2. 

3.  Partsch,  xii  ;  Tissot,  II,  p.  49. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  109 

jamais  de  division  de  cette  sorte,  et  nettement  Thistorien 
énumëre,  dans  la  partie  orientale  de  l'Afrique  byzantine,  la 
Tripolitaine,  la  Proconsulaire,  où  est  située  Carthage,  la 
Byzacëne,  la  Numidie'.  Aussi  bien  est-ce  à  tort  que,  entre  les 
deux  mots  proconsularis  et  Carthago,  les  éditions  du  Code 
intercalent  une  virgule;  dans  la  notice  géographique  de 
Georges  de  Chypre,  on  voit  que  c'est  là  une  expression  toute 
faite,  — KapÔ3tY£vva  TCpoxouvffouXapéa — pour  désigner  la  province*, 
et  il  en  résulte  que,  dans  notre  rescrit,  les  termes  de  Zeugi  et  de 
Carthago  proconsularis  s'appliquent  à  une  seule  et  même  cir- 
conscription administrative. 

Mais  alors  une  difficulté  se  présente  :  au  lieu  des  sept  pro- 
vinces annoncées,  il  n'en  reste  plus  que  six.  Heureusement  le 
manuscrit  du  Mont-Cassin  donne  la  leçon  Mauritam'ae  au  lieu 
de  Mauritania.  Avec  une  grande  vraisemblance,  Mommsen 
admet  que  c'est  là  le  véritable  texte  du  rescrit,  et  que  revenant 
aux  vieilles  divisions  administratives  du  v*  siècle,  Justinien 
reconstitua  dans  l'Afrique  reconquise  une  Maurétanie  Siti- 
fienne  et  une  Maurétanie  Césarienne  ^  On  se  demandera  alors 
ce  que  devient  la  Tingitaue  et  pourquoi  elle  n'est  point  com- 
prise dans  cetteénumération.  Il  n'est  pas  impossible,  je  pense, 
d'en  fournir  l'explication.  Au  v*  siècle,  cette  province  ne  fai- 
sait plus  partie  du  diocèse  d'Afrique,  mais  bien  de  celui 
d'Espagne^  :  or,  dès  534,  l'ambition  de  Justinien  rêvait  la  con- 
quête de  cette  portion  de  l'ancien  monde  romain  ;  dans  son 
désir  de  reconstituer,  sons  son  exacte  image,  l'organisation 
administrative  ruinée  par  les  Barbares,  n'a-t-il  pu  songer  à 
réserver  la  Tingitane,  pour  la  comprendre  quelque  jour  dans 
le  futur  diocèse  d'Espagne?  La  chose  est  d'autant  moins  in- 
vraisemblable qu'à  la  fin  du  vi«  siècle,  Septem  et  les  places 
byzantines  d'Espagne  se  trouveront  effectivement*  réunies 


i.  Ùe  Aedi/.,  335,  339,  340,  342. 

2.  Georg.' Cypr.,  33;  Gelzer,  p.  xzvii. 

3.  Cf.  NotUia  dignUatum{éd.  Seek,  p.  162,  165-166);  Gaguat,  /.  c,  p.  709. 

4.  Cagoat,  /.  c,  p.  704. 


110  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dans  un  même  gouvernement^  Mais  enaltendant  les  conquê- 
tes à  venir,  il  fallait  faire  place  à  la  province  reprise  dans  les 
cadres  administratifs.  Au  point  de  vue  militaire,  on  le  verra 
plus  loin,  Septem  dépendit  donc  du  duc  de  Maurétanie;  au 
point  de  vue  civil,  elle  fut  sans  doute  rattachée  à  la  Mauréta- 
nie Césarienne*.  Procope  dit  expressément  que  le  pays  appelé 
de  son  temps  la  Maurétanie  —  Maupitavfov  te  tyjv  vOv  xaAoupiévr^v 
—  s'étendait  depuis  Gadës  jusqu'aux  environs  de  Césarée^. 
Ailleurs,  il  distingue  la  Maurétanie  première,  qui  est  la  Siti- 
fienne  et  la  Maurétanie  seconde*  ;  et  c'est  cette  nomenclature 
même  que  nous  retrouverons  à  la  fin  du  vr*  siècle  dans  la 
notice  de  Georges  de  Chypre*. 

De  cette  sorte  on  obtient  la  liste  suivante  des  provinces  de 
TAfrique  byzantine  au  temps  de  Justinien  : 

i^  Troi^  gouvernements  confiés  à  des  consulares  : 

Proconsulaire  ; 

Byzacène  ; 

Tripolitaine. 

2* Quatre  gouvernements  administrés  par  des praesides  : 

Numidie  ; 

Maurétanie  première  ou  Sitifienne  ; 

Maurétanie  seconde  (Césarienne  et  Tingitane)  ; 

Sardaigne. 

Si  l'on  écarte  la  Sardaigne  qui,  ainsi  que  la  Corse  et  les 
Baléares,  faisait  partie  du  diocèse  d'Afrique,  mais  n'entre 
point  dans  le  cadre  de  cette  étude,  on  remarquera  qu'au  point 
de  vue  administratif^  la  répartition  des  provinces  entre  les  dif- 
férentes catégories  de  gouverneurs  est  exactement  la  même 
qu'au  temps  de  la  Notitia.  Au  v»  siècle,  il  y  avait  à  la  tête  des 
gouvernements  d'Afrique  trois  consulares  et  trois  praesides*  ; 

1.  Georg.  Cypr.,  34. 

2.  MommBen,  /.  c,  p.  xviii. 

3.  BelL  Vand.y  p.  -451. 
A.  Id,,  p.  501. 

5.  Georg.  Cypr.,  34. 

6.  Notitia  {éd.  Seek,  162,  165,166). 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  Ui 

c'est  exactement  ce  que  Ton  trouve  à  Tépoque  byzantine  ;  seu- 
lement, rancien  consulaire  de  Numidie  a  passé  en  Tripoli- 
laine  et  le  praeses  de  cette  province  a  été  transporté  en  Numi- 
die. Le  changement  s'explique  d'ailleurs  sans  peine,  si  l'on 
considère  cette  fois  les  circonstances  dans  lesquelles  fut  pro- 
mulgué le  rescrit  impérial.  En  534,  la  Tripolitaine,  la  Procon- 
sulaire, la  Byzacëne  pouvaient  être  considérées  comme  entiè- 
rement reconquises  ;  il  n'en  était  pas  ainsi,  on  Ta  vu,  de  la 
Numidie  et  des  Maurétanies.  A  ces  provinces  de  moindre 
étendue,  il  était  assez  naturel  de  donner,  au  moins  provisoire- 
ment, des  gouverneurs  civils  d'un  rang  moins  considérable. 
C'est  pour  cela  sans  doute  que  Justinien,  si  respectueux  qu'il 
voulût  être  des  anciennes  traditions  romaines,  jugea  sur  ce 
point  utile  d'y  déroger. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  six  gouverneurs  chargés  de  l'adminis- 
tration civile  des  provinces  africaines  y  exercèrent  toutes  les 
attributions  des  antiques  gouverneurs  romains.  Sous  le  con- 
trôle suprême  du  préfet  du  prétoire,  ils  furent,  comme  lui, 
chargés^  dans  leur  circonscription,  de  la  promulgation  deslois  ^ 
de  ladministration  et  de  la  police  du  territoire,  du  soin  de  la 
justice',  du  gouvernement  des  finances'.  Pour  les  aider  dans 
leur  tâche,  ils  furent  assistés  d'un  officium  de  cinquante  per- 
sonnes *  ;  et  quoique  le  rescrit  de  534  ne  nous  ait  point  conservé 
rénumération  détaillée  de  ces  auxiliaires,  on  peut,  d'après  les 
indications  éparses  dans  quelques  Novelles^  et  d'après  la  liste 
des  officiâtes  attachés  au  préfet,  en  retrouver  à  peu  près  la 
composition.  A  côté  du  consularis  ou  du  praeses,  il  y  avait 
toujours  un  conseiller  juridique,  consiliarius  ou  assessor\  en 
outre  les  bureaux  comprenaient  sans  doute  un  cancellarius, 
un  adjutor,  des  employés  aux  écritures  chargés  de  la  compta- 
bilité financière  {rmmerariij  chartularit),  des  affaires  judiciaires 

1.  Cod.  Just.,  I,  n,  2,  24. 

2.  Nov.  36,  3,  5;  Cod.  JusL,  l,  27,  1,  17. 

3.  fiov.  128,  1. 

4.  Cod,  JuaL,  I,  27,  1,  13. 

5.  2foo.  24,  25,  26,  27. 


112  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

[commentarienses)j  de  la  g^arde  des  archives  {ab  actis),  et 
d'autres  employés  inférieurs  {exceptores).  Ces  auxiliaires  rece- 
vaient un  traitement  total  de  160  sous  d'or  *  (2,506  fr.  40),  chiffre 
qui  parait  assez  faible,  lorsqu'on  voit,  dans  les  bureaux  de  la 
préfecture,  les  cinquante  chariularii^  les  cinquante  mittenda- 
rii  ou  les  cinquante  singu/arii  toucher  des  appointements 
dont  le  total  s'élève  à  500  ou  à  462  sous  d'or*,  et  les  qua- 
rante employés  du  gouverneur  militaire  rétribués,  en  Afrique 
même,  à  raison  de  674  1/2  sous  d'or  (10,566  fr.  25)'.  Pour- 
tant, dans  plusieurs  des  provinces  orientales  de  l'empire,  les 
appointements  des  bureaux  étaient  moins  élevés  encore  :  en 
Pisidie,  en  Lycaonie,  en  Thrace,  en  Isaurie,  en  Arabie,  To/"- 
ficium  touche  une  somme  totale  de  144  sous  d'or,  et  cepen- 
dant cet  officium,  à  la  fois  chargé  dos  affaires  civiles  et  mi- 
litaires, comprend  un  personnel,  non  de  cinquante,  mais  de 
cent  employés*;  en  Paphlagonie  le  chiffre  est  plus  impor- 
tant, et  un  officium  de  cent  personnes  reçoit  447  sous  d  or'. 
On  voit  que  les  appointements  fixés  pour  les  provinces  afri- 
caines sont  intermédiaires  entre  ces  deux  chiffres  :  toutefois, 
si,  comme  il  est  possible,  du  total  de  160  sous  il  faut  déduire 
les  appointements  du  consiliariuSy  d'ordinaire  fixés  à  72  sous^, 
il  resterait  ipouv  Vofficium  88  sous  seulement,  chiffre  d'ailleurs 
supérieur  encore  à  la  moyenne  des  traitements  d'Orient.  Il 
faut  se  rendre  compte  au  reste  qu'à  ces  appointements  s'ajou- 
taient divers  revenus  accessoires  assez  considérables,  et  qu'en 
particulier  les  frais  de  justice  [sportulae)  étaient  pour  les  em- 
ployés deVof/icium  une  source  assurée  et  légitime  de  bénéfices 
supplémentaires  \ 

Legouverneurprovincialrecevait448sousd'or(7,017fr.90), 
traitement  assez  élevé  en  comparaison   des  appointements 

1.  Cod.  JusL,  1,27,  1,40. 

2.  Id,,  38,  30,  29. 

3.  /d.,  i,  27,  2,  21. 

;    4.  Nùv,  24,  25,  26,  27,  102. 

5.  Nov,  29. 

6.  Nov.  24,  25,  26,  27,  29. 

7.  Cod.  JusL,  1,  27,  1, 17. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  U3 

attribués  à  beaucoup  d'administrateurs  dans  les  provinces 
orientales.  Sans  doute  le  proconsul  de  Cappadoce  touchait  jus- 
qu'à vingt  livres  d*or*;  mais  c'était  un  très  grand  personnage, 
bien  supérieur  en  dignité  aux  consulares  et  praesides  africains. 
Au  contraire,  les  préteurs  de  Pisidie,  de  Lycaonie,  de  Thrace, 
et  le  comte  dlsaurie  étaient  payés  à  raison  de  300  sous  seu- 
lement*; et  si  celui  de  Paphlagonie  arrivait  à  725  sous,  c'est  * 
que  —  le  rescrit  qui  le  concerne  l'indique  expressément,  — il 
cumulaitdeuxtraitements'.Lacondition  faite  aux  gouverneurs 
civils  d'Afrique,  quoique  ici  encore  bien  inférieure  à  celle  des 
chefs  militaires  de  la  province,  était  donc  relativement  assez 
favorable  :  et  bien  qu'au  total  ce  service  civil  ne  coûtât  point 
fort  cher  —  la  Sardaigne  mise  à  part,  il  revenait  à  3,648  sous 
d'or  ou  57,i46  francs  —  néanmoins  l'importance  relative  de 
ces  appointements  prouve  le  désir,  d'ailleurs  nettement  ex- 
primé par  Tempereur,  d'assurer  à  la  nouvelle  province  les 
bienfaits  d'une  honnête  et  scrupuleuse  administration. 

On  sait  par  les  Novelles  les  misères  de  tout  genre  que  les 
agents  impériaux  faisaient  souffrir  aux  sujets  confiés  à  leurs 
soins,  et  l'insistance  même  que  Justinien  apporta  à  combattre 
ces  désastreuses  pratiques  montre  combien  le  mal  était  profon- 
dément enraciné.  Les  gouverneurs  provinciaux  rançonnaient 
les  populations  sans  miséricorde  ;  sous  cent  prétextes  divers, 
ils  accablaient  les  habitants  d'exactions  toujours  renouvelées; 
sans  pudeur  ils  vendaient  la  justice  au  plus  offrant;  àprement 
ils  exigeaient  la  rentrée  deTimpôt,  et  par  leur  avidité  et  leurs 
rigueurs  ils  provoquaient  de  constantes  séditions*.  Autour 
d'eux  ils  laissaient  leurs  employés,  leurs  soldats  vivre  comme 
eux  sur  le  pays  ^  ;  et,  à  leur  exemple,  les  grands  seigneurs  de 
la  contrée,  entretenant  à  leurs  gages  des  bandes  armées,  rava- 


1.  iVo».  30,  6. 

2.  Nou.  24, 25,  26,  27. 

3.  No».  29,  2. 

4.  JVov.  %,praef.  ;  24,  1,  3  ;  28,  4  ;  30,  9. 

5.  hov,  28,  4,  6  ;  29,  5. 

1. 


lU         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

geaientle  pays  et  molestaient  les  sujets*.  De  là  résultaient 
une  misère  et  une  insécurité  générales;  les  provinces  rendues 
inhabitables  se  dépeuplaient,  les  paysans  fuyaient  leurs  terres, 
et  le  brigandage  devenu  endémique  achevait  de  ruiner  la 
contrée*.  Justinien  connaissait  toutes  ces  misères,  et  s'effor- 
çait, à  ce  moment  même,  dans  les  provinces  orientales  de  la 
monarchie,  d'y  porter  un  énergique  remède;  il  semble  avoir 
voulu,  autant  que  possible,  en  épargner  les  souffrances  à  l'A- 
frique reconquise,  et  prouver  à  ses  nouveaux  sujets  tout  ce 
qu'ils  avaient  gagné  à  rentrer  au  sein  de  l'unité  impériale». 

L'empereur  parait  avoir  compris  combien,  au  lendemain  de 
la  tyrannie  vandale,  la  province  avait  besoin  de  sécurité  et  de 
repos*  :  aussi  recommande-l-il  à  ses  gouverneurs  d'avoir  pour 
les  populations  du  diocèse  d'Afrique  des  égards  tout  particu- 
liers. Il  veut  que  ses  agents  gouvernent  «  conformément  aux 
ordonnances  et  dans  la  crainte  de  Dieu  »  ^,  qu'ils  traitent  les 
habitants  avec  douceur,  avec  bienveillance,  avec  justice*.  Il 
défend  de  porter  une  main  violente  sur  leurs  personnes  ou 
leurs  propriétés  ;  dans  l'administration  de  la  justice,  il  inter- 
dit qu'on  exige  d'eux,  pour  les  frais,  plus  que  les  tarifs  pres- 
crits ''i  pour  le  recouvrement  de  l'impôt,  il  met  les  administra- 
teurs en  garde  contre  les  tentations  de  leur  avidité,  et  il 
s'efforce  de  leur  ôter  tout  prétexte  à  charger  injustement  le 
contribuable*.  Gomme  il  sait  que  ses  agents  ont  assez  l'habi- 
tude de  s'indemniser  sur  le  pays  des  sommes  que  la  chancel- 
lerie impériale  a  exigées  d'eux  pour  leur  nomination®,  il  di- 
minue dans  des  proportions  considérables  le  tarif  des  brevets 
pour  l'Afrique;  et  tandis  qu'en  général  le  nouveau  fonction- 

1.  Nov.  24,  2  ;  28,  5;  29,  4;  30,  5,  7. 

2.  Nov,  145,  praef.i  24,  3;  25  4,;  24,  1;  30,  5. 

3.  Cod,  JusL,  1,  27,  1,  8. 

4.  Id.,  16. 

5.  W.,  15. 

6.  Id  ,  15;  1,27,2,  11. 

7.  Id  ,  15-16. 

8.  Id.y  18. 

9.  Nov.  8,  praef. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  115 

naire  paie  aux  divers  bureaux  jusqu'à  soixante-seize  sous 
d'or  *,  les  gouverneurs  du  nouveau  diocèse  acquittèrent  un 
droit  de  dix-huit  sous  seulement'.  C^est  pour  ce  motif  aussi 
qu'il  releva  sans  doute  les  traitements  des  agents  africains,  en 
même  temps  qu'il  diminuait  un  peu  le  nombre  des  fonction- 
naires '  :  de  cette  sorte  il  espérait  diminuer  leur  avidité,  et 
ne  les  point  mettre  dans  «  la  nécessité  d'écraser  les  contribua- 
bles de  notre  Afrique  »  *. 

Toutefois  ces  bonnes  intentions  de  l'empereur  n'étaient  pas 
entièrement  désintéressées.  S'il  avait  si  fort  à  cœur  de  voir 
bientôt  «  restaurée  et  florissante  »  sa  nouvelle  province,  ce 
n'était  point  uniquement  par  bienveillance  pour  les  sujets;  s'il 
voulait  que  ses  fonctionnaires  eussent  «  les  mains  pures  »  % 
c*est  qu'il  savait  que,  «  si  les  populations  sont  ménagées  par 
l'administration,  l'empire  et  le  trésor  y  trouveront  toujours 
bénéfice  »  *.  Or  l'empire  avait  besoin  d'argent  ;  la  guerre  d'A- 
frique avait  coûté  cher  ;  les  entreprises  futures  seraient  assu- 
rément plus  dispendieuses  encore^;  il  fallait  que  les  contri- 
buables fussent  de  force  à  porter  le  poids  des  impôts.  Si 
l'empereur  recommandait  tant  d'intégrité  à  ses  gouverneurs, 
c'était  pour  pouvoir  faire  rentrer  sans  peine  «  le  cens  public  et 
les  impositions  justes  et  légitimes  »  *.  Et  pour  cela^  il  se  hâ- 
tait de  faire  remettre  à  jour  les  registres  qui  serviraient  à  éta- 
blir en  Afrique  l'assiette  des  impôts  %  et,  s'adressant  aux  po- 
pulations de  l'empire,  il  leur  dictait  nettement  leurs  devoirs, 
a  Que  tous  nos  sujets  sachent  que,  soucieux  de  leurs  intérêts  et 
pour  qu'ils  soientà  l'abri  de  toute  injustice  et  qu'ils  vivent  en 
pleine  tranquillité,  nous  avons  promulgué  cette  loi.  Mais  il  faut 

i .  Nov.  8  (Notitia  placée  à  la  fia  de  la  Novelle). 

2.  Cod.  Just  ,  I,  27,  1,  19. 

3.  Lydus,  De  magistr.^  III,  66. 

4.  Cod.  JmL,  I,  27,  1,  18. 

5.  Nov,  8,  8. 

6.  Nov,  8,  praef, 

7.  Nov.  8,  10. 

8.  Nov.  8,  prcxf. 

9.  BeU.  Vand.,  p.  444-445.  ^ 


116         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

que  vous  aussi,  mes  sujets,  sachant  quelle  sollicitude  nous 
avons  pour  vous,  vous  payiez  avec  un  absolu  dévouement  les 
impôts  publics  dans  leur  intégrité,  sans  avoir  besoin  de  la  coer- 
cition administrative,  et  que  vous  montriez  une  obéissance  qui 
nous  prouve  par  les  faits  toute  la  reconnaissance  que  vous 
inspire  notre  extrême  clémence  *.  »  Si  Tempereur  recomman- 
dait si  énergiquement  à  ses  gouverneurs  de  ménager  les 
contribuables,  c'est  qu'il  se  réservait  à  lui-même  le  monopole 
de  les  exploiter. 


III 

La  nouvelle  administration  civile  de  TAfrique  devait  entrer 
en  vigueur  à  partir  du  1"  septembre  534  *.  Pourtant,  si  Ton 
considère  les  tendances  générales  de  la  politique  administra- 
tive de  Justinien,  c'était  à  quelques  égards  une  mesure  assez 
surprenante  que  ce  rétablissement  absolu  du  gouvernement 
civil  en  Afrique  V  Alors  que,  dans  un  grand  nombre  de  pro- 
vinces, le  prince  s'attachait,  à  ce  moment  même,  à  réunir  dans 
une  même  main  les  attributions  civiles  et  militaires,  on  s'é- 
tonne que,  dans  les  pays  récemment  reconquis,  il  ait,  au  con- 
traire, tenu  à  rétablir  Tancienne  séparation  des  pouvoirs  :  et 
cela  lorsque  dans  ces  contrées  Tétat  de  guerre  cessait  à  peine, 
lorsque  le  prince  lui-même  prévoyait  pour  elles  de  prochains 
dangers  et  de  nouvelles  luttes,  lorsque  tout  eût  justifié  une 
énergique  concentration  de  Tautorité.  11  est  probable  que,  de 
même  qu'en  Italie,  un  peu  plus  tard,  il  voulut,  selon  l'expres- 
sion d'un  contemporain,  «  restituer  à  Rome  tous  les  privilège» 
de  Rome  »  \  ainsi  il  tint  à  rendre  aux  populations,  si  long- 
temps soumises  aux  Vandales,  l'exacte  image  de  l'empire 
romain  telqu'ellesl'avaientautrefois  connu.  Mais  dans  laprati- 

1.  Nov,  8,  10. 

2.  Corf.  JusL.l,  27,  1,  43. 

3.  Cf.  Diehl,  Exarchat  de  Ravenne^  p.  81-82. 

4.  Lydiis,  De  magUtr.,  III,  55. 


L'ADMINISTRATION  CIVILE  H7 

que^  les  circonstances  devaient  être  souvent  plus  fortes  que 
la  volonté  impériale  :  en  fait,  les  nécessités  de  la  situation^ 
les  périls  de  la  province  modifièrent  bien  vite  l'organisation 
administrative  restaurée  par  Justinien. 

Dès  le  l**"  janvier  535,  la  préfecture  du  prétoire  d'Afrique 
se  trouve  entre  les  mains  de  Solomon  ^  ;  or,  ce  personnage 
était  en  même  temps  le  commandant  en  chef  de  Tarmée  :  trois 
mois  après  la  date  où  l'administration  civile  devait  entrer  en 
vigueur,  elle  avait,  à  sa  tête,  un  magister  militum  réunissant 
entre  ses  mains  tous  les  pouvoirs*.  Lorsque,  en  536,  à  Solo- 
mon succéda  dans  le  gouvernement  général  le  patrice  Ger- 
manos,  sans  doute  il  amena  avec  lui  un  préfet  ;  mais  ce  per- 
sonnage,   qui  parait  avoir  été  particulièrement  chargé  de 
l'administration  des  finances,  fut  hiérarchiquement  soumis  au 
prince,  neveu  de  l'empereur,  investi  de  pouvoirs  extraor- 
dinaires pour  pacifier  TAfrique*.  Quand,  en  539,  Solomon  re- 
vint dans  la  province,  de  nouveau  il  réunit  les  fonctions  de 
préfet  du  prétoire  à  celles  de  commandant  suprême  de  Tar- 
mée  ^  :  et  ainsi,  pendant  dix  ans  de  suite,  bien  que  les  Novelles 
continuent  à  parler  gravement  du  «  très  glorieux  préfet  d'A- 
frique »',  et  bien  qu'en  théorie  cette  haute  dignité   civile 
continuât  d'exister^  en  fait  elle  fut  parfois  subordonnée,  plus 
souvent  encore  unie  à  l'autorité  militaire.  II  en  alla  à  peu  près 
de  même  durant  tout  le  règne  de  Justinien  :  le  patrice  Ser- 
gius,  qui  remplaça  Solomon,  est  nommé  tout  à  la  fois  dux 
belli  et  moderaior  provinciae  ^ ;  le  préfet  Athanase,  qui  en  546 
accompagna  en  Afrique  le  magister  militum  Aréobinde,  semble 
bien  être  hiérarchiquement  inférieur  à  ce  haut  personnage, 
parent  de  l'empereur  \  Ce  sont  là  des  faits  significatifs  ;  et  il 


i.Nov,  36-37. 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  4677,  1863,  1864. 

3.  BelL  Vand,y  p.  482. 

4.  C.  /.  L.  Vm,  4799.  Cf.  Vict.  Tonn.,  ann.  543,  p.  20i. 

5.  Nov,  69,  2  et  epil.  ;  70,1  (ann.  538)  ;  73,  epil.\  79,  2  (ann.  539). 

6.  Marcell.  corn.,  ann.  541,  p.  106. 

7.  BelL  Vand.,  p.  513.  Cf.  p.  532. 


118         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

est  remarquable  qu'au  lendemain  même  du  jour  où  Justinien 
rétablissait  en  Afrique  l'administration  civile,  on  y  constate 
tout  aussitôt  les  premiers  symptômes  de  la  grande  réforme, 
qui,  bientôt,  réunissant  entre  les  mêmes  mains  les  pouvoirs 
civils  et  militaires,  tranformera  tout  entière  Torganisation  de 
l'empire  byzantin. 


i 


DEUXIÈME    PARTIE 
LA  RÉORGANISATION  MILITAIRE  DE     L'AFRIQUE  BTZANTINE 


CHAPITRE  PREMIER 

l'armée  d'occupation  et  l'âdmimstration  militaire 


En  même  temps  que  Justinien  rétablissait  Tadministration 
civile  dans  l'Afrique  reconquise,  il  s'occupait  —  et  avec  un 
soin  plus  attentif  encore  —  de  régler  l'organisation  militaire 
du  pays.  Deux  questions  s'imposaient  à  la  sollicitude  du 
prince  :  il  fallait  défendre  efficacement  contre  les  incursions 
des  Berbères  les  portions  déjà  soumises  de  la  province  ;  il 
fallait  d*autre  part  achever  la  conquête  et  rendre  à  l'Afrique 
les  limites  qu'elle  avait  atteintes  sous  la  domination  de  Rome  ^ 
L^empereur  confia  cette  double  tâche  au  général  qui«  en 
quelques  semaines,  venait  de  renverser  le  royaume  vandale. 
Bélisaire  fut  chargé  de  prendre  toutes  les  mesures  néces- 
saires pour  la  protection  de  la  frontière,  de  fixer  remplace- 
ment des  garnisons  et  le  nombre  des  troupes  qui  les  occupe- 
raient, de  créer  les  corps  spéciaux  particulièrement  affectés  à 
la  garde  des  confins  militaires,  de  construire  ou  de  remettre 
en  état  les  places  fortes  indispensables  pour  défendre  le  limes 
africain  ;  il  dut  en  outre  n'épargner  aucun  effort  pour  réoccuper 


1.  Cod.  Jusl,,  I,  27,  2,  4,  4  a.  Cf,  praef.  :  a  ut  recte  gubernetur  et  firme 
custodiatur.  *> 


120  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

au  plus  tôt  dans  son  intégrité  Tancienne  province  romaine'. 
Mais  quelque  confiance  qu'eût  Justinien  en  son  victorieux 
lieutenant,  il  sentait  trop  vivement  Pimportance  de  l'œuvre 
entreprise  pour  n'en  point  vouloir  par  lui-même  contrôler 
l'exécution  :  et,  avec  une  remarquable  sollicitude,  avec  un 
soin  du  détail  presque  excessif,  il  surveilla  et  dirigea  à  dis- 
tance toutes  les  dispositions  adoptées  par  le  magislermilittim. 
Il  voulut  qu'on  lui  rendît  compte  du  choix  des  garnisons,  du 
chiffre  et  de  la  qualité  des  troupes  qui  y  seraient  cantonnées, 
se  réservant,  s'il  était  besoin,  d'en  augmenter  le  nombre;  lui- 
même,  il  traça  et  fit  tenir  à  Bélisaire  un  pian  déterminant  le 
système  d'occupation  des  confins  militaires;  sur  toutes  les 
questions  relatives  à  la  défense,  il  voulut  recevoir  directement 
les  rapports  des  officiers'  ;  bref,  rien  ne  se  fit  en  Afrique  sans 
l'approbation  expresse  du  prince,  et  si  l'œuvre  réalisée  a  eu 
quelques  résultats,  il  faut  en  reporter  l'honneur  autant  à 
Justinien  qu'à  son  général.  D'ailleurs  la  mission  confiée  à 
Bélisaire  ne  devait  être  que  transitoire  :  le  patrice  ne  fut 
point  officiellement  nommé  au  commandement  militaire  de  la 
province  ;  il  garda  le  titre  de  magister  militum  per  Orientem^ 
sous  lequel  il  avait  dirigé  l'expédition;  bien  plus,  aussitôt  la 
réorganisation  achevée,  il  devait  revenir  à  Constantinople  *  ; 
pour  l'avenir,  le  prince  se  réservait  de  prendre  lui-même,  sur 
le  rapport  du  préfet  et  des  gouverneurs  militaires,  les  mesures 
que  pourrait  réclamer  la  situation  *.  Est-ce  que  l'esprit  soup- 
çonneux de  l'empereur  prenait  ombrage  des  succès  de  son 
lieutenant"?  est-ce  qu'il  songeait  déjà  à  employer  ses  talents 
à  la  conquête  de  l'Italie?  On  ne  sait  :  mais  en  tout  cas  il  im- 
portait, avant  d'exposer  les  principes  qui  présidèrent  à  la 
réorganisation  militaire  de  l'Afrique,  de  noter  la  part  prépon- 
dérante que  Justinien  prit  à  cette  grande  œuvre. 

1.  Cod.  JusL,  I,  27,  2,  5, 13. 

2.  ld„  5,  13,  8,  16. 

3.  W.,  1,27,2,13,15. 

4.  W.,  16. 

5.  BelL  Vand.,  p.  441-442. 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  KT  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE        12i 

On  sait  comment,  depuis  le  commencement  duiv^siècle,  de 
graves  changements  s'étaient  introduits  dans  la  composition 
des  armées  romaines,  a  Dorénavant,  dit  M.  Gagnât,  dans 
toutes  les  provinces,  les  troupes  d'occupation  se  composèrent 
de  deux  groupes  tout  à  fait  distincts  :  d'un  côté,  l'armée  séden- 
taire des  confins,  armée  territoriale  qui  a  la  garde  du  limes  en 
temps  ordinaire,  et  qui  fournit  les  contingents  nécessaires  à 
la  garnison  des  forteresses  ou  des  camps  établis  contre  les 
ennemis  du  dehors  ;  de  l'autre  côté,  Tarmée  mobile  disséminée 
dans  l'intérieur  du  pays.  Celle-ci  comprend  les  milites  pala^ 
tint  et  les  milites  comiiatertses:  celle-là  renferme  les  milites 
ripenses  et  les  milites  limitanei.  Toutes  deux  sont  employées 
d'ailleurs  différemment  à  la  défense  de  la  frontière;  l'armée 
sédentaire  d'une  façon  permanente  ;  Tarmée  mobile  par  inter- 
valles et  dans  les  cas  pressants...  La  victoire  une  fois  rem- 
portée, l'armée  mobile  se  replie,  abandonnant  de  nouveau 
aux  garnisons  du  limes  le  soin  de  couvrir  le  pays  qu'elle  les  a 
aidées  à  reconquérir  ou  à  conserver.  M.  Mommsen  considère 
très  justement  l'armée  mobile  et  surtout  les  comitatenses  qui 
tiennent  garnison  dans  chaque  province,  comme  la  réserve  de 
l'armée  sédentaire  de  la  frontière  *.  » 

C'est  d'après  ces  règles  nouvelles  que  le  corps  d'occupation 
d'Afrique  avait  été,  comme  partout,  organisé  durant  le  iv*  et  le 
V®  siècle,  «  les  troupes  de  la  frontière  étant  réparties  entre  dif- 
férentes marches  militaires,  les  autres  étant  disséminées  dans 
le  pays*.  »  C'est  d'après  les  mêmes  principes  qu'au  vi*  siècle 
Justinien  reconstitua  l'armée  africaine  :  le  rescrit  de  534 
nomme  en  termes  exprès,  d'une  part,  les  comitatenses^  souvent 
désignés  aussi  par  le  terme  de  milites^,  et,  d'autre  part,  les  li- 
mitanety  cantonnés  dans  les  castra  et  les  villes  du  limes.  Il  reste 
avoir  commentées  deux  groupes  bien  distincts  étaient  com- 


1.  Gagnât,  U armée  éC Afrique,  p.  713-714. 

2.  Gagnât,  L  c,  p.  714. 

3.  Cod.  Just.y  I,  27,  2,  8,  13.  Cf.  Mommsen,  Das  rômische  Militœrwesen  aeit 
Diocletian  (Hermet,  t.  XXIV),  p.  199. 


122  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

mandés  et  organisés,  de  quels  éléments  divers  ils  se  compo- 
saient, quel  rôle  enfin  leur  était  assigné  dans  la  défense  de 
la  province. 


Le  commandement  en  chef  de  l'armée  d'Afrique  —  et  par 
là  il  faut  eniendreles  comitatenses  aussibien  que  leslimùanei — 
appartenait  à  un  officier  général  qui,  de  bonne  heure,  parait 
avoir  reçu  le  titre  de  magister  militum  Africae^ .  C'était  un  per- 
sonnage fort  considérable^  généralement  revêtu  de  la  haute 
dignité  de  patrice,  décoré  de  Tépithëte  de  gloriosissimtis,  et 
qui  tenait  dans  la  hiérarchie  militaire  la  même  place  que  le 
préfet  occupait  dans  l'administration  civile*.  Sa  résidence  était 
à  Carthage.  Il  avait  la  direction  suprême  de  toutes  les  opéra- 
tions de  guerre,  et  tout  ce  qui  concernait  la  défense  de  la  pro- 
vince rentrait  dans  ses  attributions'.  Il  était  le  chef  de  l'armée 
mobile,  et  le  supérieur  hiérarchique  des  ducs  chargés  de  la 
garde  du  limes  :  et  son  autorité  fut  d'autant  plus  grande  que, 
dans  les  premières  années  de  l'Afrique  byzantine,  plusieurs 
fois  cette  haute  charge  fut  confiée  à  des  personnages  apparen- 
tés à  la  famille  impériale.  Souvent  aussi,  on  l'a  vu,  le  magister 
mt/i/wm  joignit  à  ses  fonctions  militaires  le  litre  de  préfet  du 
prétoire  ;  on  conçoit  dès  lors  quelle  fut  Timportance  d'un  So- 
lomon,  d'un  Germanos,d'un  Aréobinde  :  en  fait,  ils  furent  en 
Afrique  de  véritables  vice-rois. 

La  situation  du  magister  militumAfricae  était  d'autant  plus 
considérable  qu'il  entretenait  autour  de  lui  une  nombreuse 
maison  militaire.  Dans  les  armées  byzantines  du  vi*  siècle, 


1.  Cod.  JusL,  1,  27,  2,  17,  35  ;  C.  /.  L.,  VIU,  101,  102,  4799,  1863,  4677;  Vict. 
ToDD.,  p.  201  (ann.  543).  Le  terme  grec  est  orpaTQyic  (Bell  Vand,<t  p.  507, 
513,  518,  533). 

2.  C.  y.  L.,  VIII,  1863,  4799,  5352;  Vict.  Tona.,  p.  201  (aDD.  543),  205  (anD. 
560),  201  (ann.  546). 

3.  Dus  belli  (MarceU.  com.,  p.  106);  princeps  Romanae  militiae  (Vict 
Tonn.,  p.  201);  Afticanae  dax  mUitiae  (tV^,,  p.  205). 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE        123 

c'était  un  usage  constant  que  tout  officier  général  eût  à  son 
service  un  certain  nombre  d'hommes  d'armes,  liés  à  sa  per- 
sonne par  un  serment  de  fidélité^  combattant  à  ses  côtés  dans 
la  bataille,  et  qui  recevaient  de  lui^  à  ce  qu'il  semble^  leur  sub- 
sistance et  leurs  appointements*.  Le  chiffre  de  ces  gardes  va- 
riait selon  l'importance  du  personnage  auquel  ils  étaient 
attachés;  mais  il  n'était  point  rare  que,  pour  les  grands  chefs, 
il  atteignît  plusieurs  milliers  d'hommes.  Naturellement  les 
gouverneurs  militaires  de  l'Afrique  byzantine  entretenaient 
auprès  d'eux  des  troupes  de  cette  sorte  :  les  textes  signalent 
près  de  Solomon,  de  Germanos^  de  JeanTroglita,  des  Sopu(p6pdt 
et  des  oiraoïuioraC  formant  la  maison  (o!x(a)  de  ces  généraux  *. 
Mais  ce  n'étaient  point  là,  comme  on  pourrait  le  croire  tout 
d'abord,  de  simples  gardes  du  corps  :  si  les  hypaspistes,  qui  for- 
maient la  partie  la  plus  nombreuse,  n'étaient  en  réalité  guère 
autre  chose,  les  doryphores,  souvent  de  naissance  assez  haute, 
jouaient  près  du  magister  militum  un  rôle  beaucoup  plus  im- 
portant '.  Fréquemment  ils  faisaient  fonction  d'ofiiciers^,  et 
étaient  mis  à  la  tète  d'un  détachement  plus  ou  moins  consi- 
dérable ;  souvent  le  général  leur  donnait  des  missions  de  con- 
fiance, telle  qu'une  reconnaissance  importante,  une  poursuite 
de  conséquence,  un  dangereux  service  d'avant-garde;  d'autres 
tenaient  auprès  de  lui  la  place  d'officiers  d'ordonnance,  trans- 
mettant ses  ordres,  portant  son  fanion  de  commandement'  : 
bref,  ils  formaient  près  du  général  une  sorte  d'état-major, 
d'ordinaire  très  dévoué,  et  qui  permettait  de  faire  efficace- 
ment sentir  à  travers  toute  l'armée  la  volonté  du  chef.  C'est 
pour  cela  sans  doute,  et  à  raison  des  services  publics  qu'ils 


1.  Cf.  MommBen,  L  c,  236-238;  Benjamin,  De  Jusliniani  aetate  quaestianes 
miiitaresj  p.  25-27,  30-31;  LécrÎTain,  Les  soldais  privés  au  Bas  Empire  (Mél.  de 
Rome,  t.  X,  p.  267-283).  Sur  le  serment,  Bell.  Vand.,  p.  491. 

2.  Bell,  Vand.,  p.  472,  491,  494,  505,  527,  532,  489;  JoA.,  IV,  923-924  (où  on 
trouTe  réqnivalent  latin  armigeri), 

3.  Sur  la  différence  des  deux  catégories,  Benjamin,  /.  c,  p.  31-36, 

4.  Bell.  Vand,y  p.  359,  448,  494,  etc. 

5.  id.,  p.  415,  448  (PavSo<p6po(;). 


124  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

étaient  appelés  à  rendre,  que  ces  gardes  du  corps  devaient 
également  prêter  serment  de  fidélité  à  Tempereur*. 

En  outre  le  commandant  en  chef  parait  avoir  eu  auprès 
de  lui,  pour  l'aider  dans  les  charges  de  Tautorité  suprême,  un 
adjoint,  portant  souvent  le  titre  de  domesticus  *,  et  qui  rem- 
plissait à  peu  près  les  fonctions  d'un  chef  d'état-major.  C'est 
ce  rôle  que  Solomon  semble  avoir  eu  près  de  Bélisaire';  c'est 
celui  que  joua  Recinarius  auprès  du  patrice  Jean  Troglita^ 
C'est  sans  doute  le  même  personnage  que  les  textes  de  l'épo- 
que  ultérieure  désignent  par  le  terme  de  ùxocrpaTYîYcç. 

Telle  fut,  autant  qu'on  en  peut  juger,  l'organisation  du 
commandement  suprême.  En  outre,  les  différentes  armes 
avaient  des  chefs  particuliers.  Un  magister  peditum  commanda 
Tensemble  des  troupes  d'infanterie  '  ;  il  est  probable  que  les 
contingents  de  cavalerie  eurent  également  un  officier  général  à 
leur  tête  ;  enfin  les  ducs  provinciaux,  dont  nous  parlerons  plus 
loin,  avaient  sous  leurs  ordres  les  régiments  de  toute  arme  can- 
tonnés dans  leur  circonscription  administrative.  A  un  degré 
inférieur  de  la  hiérarchie  venaient  les  commandants  des  divers 
numeri\  ils  portent  le  titre,  parfois  de  magistri  militum,  plus 
souvent  de  tribuni^  ou  de  comités'^.  Au-dessous  d'eux,  on  trouve 
différents  officiers  et  sous-officiers  encore,  dont  les  fonctions 
malheureusement  sont  assez  difficiles  à  déterminer  ^  On  ren- 
contre en  particulier  les  grades  de  ducenarius,  de  centenarius  et 
de  biarchus,  le  premier  commandant  deux  centuries,  le  second 

1.  Bell.  Vand.j  p.  491. 

2.  Sur  le  sens  de  ce  mot,  cf.  Bell.  Vand,^  p.  326,  359.  Les  dacs  aussi  étaient 
parfois  assistés  d'un  domesticus  (Édilde  V empereur  Anastase  sur  l'organisation 
militaire  de  la  Libye,  n^  14,  1.  4-5,  de  l'édition  donnée  par  Zachariae  de  Lin- 
genthal,  Monatsberichte  de  V Académie  de  Berlin,  1879,  p.  134-158). 

3.  Bell.  Vand.,  p.  359. 

4.  Joh.  II,  312-319;  IV,  583-595  ;  VI,  411-413,  420-424;  VU,  23-38. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  359,  482.  Peut-être  Jean,  fiU  de  Sisinniolus,  remplissait 
ces  fonctions  {Bell.  Vand.,  p.  493,  506,  509). 

6.  Joh.,  JII,  42.;  Vict.  Tonn.,  ann.  546  (p.  201);  Cod.  Just.,  I,  27,  2,  2,  9; 
C.I.L.,  Vni,  9248;  Joh.,  m,  47;  IV,  18,  108,  504;  5^a^e^.,  1,3,  p.  27-28. 

7.  Nov.,  130,  1. 

8.  Cf.  Gagnât,  /.  c,  p.  737-738. 


L'AHMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE        125 

correspondant  sans  doule  à  l'ancien  centurion,  le  troisième 
étant,  à  ce  que  Ton  prétend,  chargé  du  soin  des  vivres \  Enfin 
on  mentionne  dans  chaque  numerus  des  chartularii*  qui  tien- 
nent la  comptabilité  des  corps,  et  des  optiones,  auxquels  sont 
confiées  les  fonctions  d'officiers  payeurs  *. 

Quant  aux  troupes  qui  composent  Tarmée  mobile,  elles 
comprenaient^  indépendamment  de  la  maison  militaire  du 
fnagister^  les  éléments  suivants  :  1®  des  excubiteurs,  soldats 
de  la  garde  détachés  en  Afrique  auprès  du  général  en  chef, 
et  sans  doute  en  petit  nombre*  ;  —  2"  des  milites  comitatenses, 
organisés  en  numcri  ou  xaTaXoyoi,  comprenant  des  troupes 
d'infanterie  et  des  régiments  plus  nombreux  encore  de  cava- 
lerie •.  —  3"  des  foederati^  généralement  montés,  mercenaires 
recrutés  parmi  les  nations  barbares  voisines  de  l'empire  *,  et 
commandés  par  des  chefs  de  leur  nation;  —  4^  des  contingents 
indigènes  [gentiles)  \  levés  parmi  les  tribus  africaines  et  dont 
nous  déterminerons  plus  tard  les  relations  avec  Tautorité 
byzantine. 

On  a  dit  précédemment  quel  était  larmement  de  cette 
armée,  quelle  était  sa  force  et  aussi  ses  faiblesses  :  nous  ne 
reviendrons  point  sur  ces  détails.  Il  importe  seulement  de 
déterminer  ici  avec  précision  le  rôle  assigné  par  Justinien  à 
cette  portion  du  corps  d'occupation.  D'une  façon  générale,  les 
comitatenseséibAdïii  destinés  à  faire  en  rase  campagne  la  grande 
guerre,  et  à  achever  par  leurs  victoires  la  conquête  de  la  con- 
trée '.  En  temps  ordinaire,  ils  étaient  répartis  dans  l'intérieur 
du  pays,  et  cantonnés  dans  un  certain  nombre  de  garnisons 


1.  Cod,  JusL.  1,27,  2,  22. 

2.  Nov.y  117,  11. 

3.  Bell.  Vand,,  p.  381,  499;;  Nov.,  130,  1. 

4.  Id.,  p.  460,  474. 

5.  Cod.  JuaLy  I,  27,  2,  8,  13,  5;  Mommsen,  /.  c,  p.  196-197.  Sar  l'impor^ 
tance  numérique  que  doit  avoir  la  cavalerie  dans  une  armée  byzantine,  Slra- 
te^.,  Vin,2.  p.  196. 

6.  Cf.  BeDJamin,  l,  c,  p.  4-6,  8-13;  Mommaen,  /.  c,  p.  234-235. 

7.  Joh.,  m,  40,  5;  Mommsen,  p.  215-221  ;  Gagnât,  p.  744-746. 

8.  Ck>d,  Ju8l.,  I,  27,  2,  4. 


126  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

importantes,  généralement  dans  les  villes*;  enfin,  au  début 
tout  au  moins  de  Tœuvre  de  réorganisation,  et  en  attendant 
que  fussent  prises  toutes  les  mesures  prescrites  par  l'empe- 
reur, une  partie  d'entre  eux  furent  établis  sur  la  frontière 
même  et  mis  aux  ordres  des  ducs  chargés  de  garder  le 
limes*.  La  défense  du  territoire  était  en  effet  la  préoccupation 
principale  de  l'empereur  :  tandis  que,  pour  l'armée  mobile,  il 
n'y  avait,  en  somme,  rien  à  changer  dans  des  institutions  déjà 
existantes,  ici  au  contraire  il  fallait  de  toutes  pièces  créer  une 
organisation  nouvelle  ou  du  moins  reconstituer  un  système 
disparu.  Pour  donner  à  l'Afrique  la  paix  et  la  sécurité,  pour 
empêcher  les  tribus  encore  insoumises  de  ravager  la  province  ', 
l'empereur  constitua,  tout  le  long  du  limes  africain,  de  véri- 
tables confins  militaires. 


II 

Au  point  de  vue  de  la  défense,  l'Afrique  fut  partagée  en 
quatre  circonscriptions  :  Tripolilaine,  Byzacène,  Numidie, 
Maure tanie  *.  A  la  tête  de  chaque  subdivision,  un  gouverneur 
militaire  fut  placé,  et  en  attendant  que  la  reprise  du  pays  tout 
entier  permit  de  donner  pour  résidence  à  ces  officiers  les  divers 
postes  jadis  occupés  par  Rome  »,  et  qu'énumère  la  Notitia  Di- 
gnitatum  *,  l'empereur  leur  assigna  des  sièges  provisoires  de 
commandement.  Ce  fut  Leptis  Magna,  pour  la  Tripolitaine, 
Capsa  et  Thélepte  pour  la  Byzacène  \  Constantine  pour  la  Nu- 
midie,  Caesareapour  la  Maurétanie  ;  en  outre,  un  officier  de 
grade  inférieur  fut  détaché  dans  l'importante  place  de  Septem, 

1.  Cod.  JuêL,  I,  21,  2,  13.  ;  Joh.,  VI,  54-55, 265.  Cf.  Édit  d^Anastase,  n«  3,  et 
le  commentaire  de  Zachariae,  p.  148-149. 

2.  Cod.  Just.,  I,  27,  2,  5,  7. 

3.  Id.,  4,  4  6. 

4.  Id.,  4  a. 

5.  W.,  7. 

6.  Cf.  Cagnat,  p.  748-763. 

7.  On  lit  quelquefois  Leptis  Minor  au  lieu  de  Thélepte. 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE       127 

OÙ  une  flottille  de  guerre  renforça  la  garnison  ;  ce  personnage 
dépendit  du  gouverneur  militaire  de  Maurétanie  ^  Chacun  des 
territoires  militaires  ainsi  organisés  porta  le  nom  de  limes*  et, 
sauf  à  Septem  où  le  commandement  fut  exercé  par  un  tribun, 
chacun  d'eux  fut  administré  par  un  duc  ayant  rang  de  vir 
spectabilù  ». 

Pour  fonction  essentielle,  le  duc  était  chargé  d'assurer  la 
défense  de  la  province  confiée  à  ses  soins  :  aussi  devait-il, 
avant  toute  chose,  occuper  sur  la  frontière  les  castra,  castella 
et  villes  fortes  situés  sur  son  territoire  de  commandement*,  y 
distribuer  les  garnisons  suffisantes  pour  les  protéger  et  y  faire 
exécuter  les  travaux  de  fortifications  nécessaires  •.  Pour  être 
toujours  prêt  à  repousser  les  attaques,  le  duc  devait  le  plus  ra- 
rement possible  quitter  sa  circonscription  administrative  •  ;  et 
pour  qu'il  eût  toujours  sous  la  main  les  moyens  de  faire  résis- 
tance, il  commandait  en  chef  à  toutes  les  troupes,  comitatenses 
ou  autres,  cantonnées  sur  son  territoire  ^  :  de  plus,  il  était  chargé 
de  toutes  les  relationsaveclestribusétabliesprësdelafrontière; 
en  temps  de  guerre,  il  commandait  leurs  contingents*;  en 
temps  de  paix,  il  surveillait  leurs  mouvements,  s'attachait  à 
prévenir  leurs  desseins  hostiles,  autorisait  ou  interdisait  les 
relations  commerciales  entre  elles  et  le  pays  romain  ^  Outre 
ses  fonctions  militaires  et  diplomatiques,  le  duc  avait  certaines 
attributions  judiciaires;  il  était,  suivant  l'usage,  le  juge  natu- 
rel de  ses  hommes  ;  mais  par  surcroit,  il  paraît  avoir  admi- 
nistré la  justice,  même  pour  les  populations  civiles  établies 


!.  Cod,  Just,,  I,  27,  2,  2. 

2.  W.,  5,  17. 

3.  Id„  2,  4  b. 

4.  /d.,  8.  Cf.  CagDat,  p.  767. 

5.  /rf.,  15. 

6.  Id.,  8. 

7.  Nov,,  103,  3,  où  il  est  dit  que  le  duc  de  Palestine  commaudera  militibtu^ 
iimitaneis  et  foederalis.  Cf.  Édit  dAnasltise,  û«  5,  12,  où  le  duc  a  sons  ses 
ordres  les  YsvvatÔTaxoi  orpaTiûTai  et  11,  14,  les  xaaTpT)9tavo:. 

8.  Bell.  Vand,,  p.  502;  Jok.,  m,  405. 

9.  Édii  d^Anastasey  n*  11. 


128  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dans  sa  circonscription ^  Aussi,  nommé  par  l'empereur,  ayant 
même  le  droit  de  correspondre  directement  avec  Tadministra- 
tion  centrale  *,  le  duc  dépendait  à  la  fois  du  préfet  du  prétoire 
et  du  magister  militum  :  la  chancellerie  de  la  préfecture  perce- 
vait une  taxe  sur  son  brevet  de  nomination,  et  pour  tout  ce 
qui  concernait  les  constructions  militaires,  la  solde  des 
troupes,  la  fourniture  des  vivres  et  le  paiement  de  ses  propres 
appointements,  le  duc  s'adressait  au  préfet  '.  Mais  d'autre  part 
il  payait  aussi  une  redevance  dans  les  bureaux  du  magister 
militum  *  et  pour  tout  ce  qui  regardait  les  opérations  mili- 
taires, rétablissement  des  garnisons,  l'organisation  de  la  dé- 
fense, il  prenait  les  ordres  du  commandant  en  chef.  Il  arrivait 
même  fréquemment  que  le  duc  du  limes  prît  part  avec  l'ar- 
mée mobile  à  quelque  grande  opération  de  guerre  et  fût  mis 
à  la  tête  d'un  corps  de  comitatenses. 

Les  ducs,  et  ceci  encore  atteste  Timportanco  qu'attachait 
Justinien  à  la  réorganisation  militaire  de  l'Afrique,  reçurent 
des  traitements  beaucoup  plus  élevés  que  les  fonctionnaires 
civils.  Chacun  d'eux  dut  toucher  une  somme  de  1,582  sous 
d'or*  (24,782  fr.)  :  il  est  vrai  que  dans  ce  chiffre  étaient  compris 
les  appointements  des  homines  du  gouverneur;  par  là  il  faut 
entendre  non  point  les  troupes  régulières  placées  sous  son 
commandement,  mais  les  hommes  d'armes,  doryphores,  hypas- 
pistes,  attachés  à  sa  personne  comme  à  celle  du  commandant 
en  chef*,  et  parmi  lesquels  TÉdit  d'Anastase  désigne  nommé- 
ment l'écuyer  [spatharius)  et  le  clairon  {buccinatory .  Quoi 


1.  Cod,  JusL,  l,  21,  2, 12.  Cf.  Édit  d'Anastase,  2,  oCl  Voffieium  du  duc  sert 
Tat;  ScxaoTtxaic  xai  lr,\t.ouiaxç  6iiT)peataic. 

2.  Cod,Just.,  I,  27,  2,  16. 

3.  /d.,  15,  17,  35. 

4.  W.,  35. 

5.  Id.,  20,  23,  26,  29. 

6.  Bell.  Vand,,  p.  503. 

7.  Édit  d^Anaslasey  n»  14,  1.  8-9.  Zachariae  se  trompe  évidemment  quand  il 
range  ces  personnages  parmiles  quarante  employés  de  Voffieium  (l,  c,  p.  145). 
Le  Code  Justinien  distingue  nettement  (I,  27,  2,  20-21,  23>24,  26-27,  29-30)  les 
homines  du  duc  et  les  employés  de  son  bureau. 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE        129 

qu'il  en  soit,  Tempereur  paraît  avoir  tenu  essentiellement  à 
rétribuer  largement  les  gouverneurs  militaires*:  par  là  il 
pensait  à  la  fois  stimuler  leur  zèle  et  leur  ôter  toute  tentation 
de  faire  des  bénéfices  sur  leurs  soldats;  il  savait  que  les  offi- 
ciers byzantins  n'avaient  que  trop  de  tendances  à  prélever  pour 
eux  une  portion  de  la  solde  des  troupes,  à  diminuer  les  effec- 
tifs réels  pour  s'attribuer  le  surplus  des  fournitures  faites,  à 
gagner  même  sur  la  subsistance  des  hommes  présents  au 
corps'  :  en  les  payant  bien,  et  plus  largement  même  que  les 
autres  officiers  de  même  rang',  Justinien  espérait  porter  re- 
mède àces  pratiques  si  dangereuses  pour  la  bonne  organisation 
et  la  discipline  de  l'armée.  En  même  temps,  il  diminuait  pour 
les  ducs,  comme  pour  les  fonctionnaires  civils,  les  taxes  pré- 
levées par  la  chancellerie  sur  les  brevets  de  nomination  :  les 
gouverneurs  militaires  acquittèrent  une  redevance  totale  de 
trente  sous  d'or*.  Enfin  le  prince  annonçait  qu'il  exercerait 
directement  sur  leur  administration  un  sévère  contrôle  :  et 
tandis  que  des  peines  pécuniaires  et  la  destitution  même  du- 
rent punir  toute  infraction  commise,  en  revanche  Justinien 
promit  de  récompenser  tout  bon  service  par  des  avancements 
en  grade  et  en  dignité^. 

Pour  les  assister  dans  leurs  fonctions,  les  ducs  avaient  un 
certain  nombre  d'auxiliaires.  C'étaient  d'abord;  comme  dans 
Tarmée  mobile,  des  officiers  placés  à  la  tête  des  différents  corps 
de  troupes  cantonnés  dans  le  territoire;  ils  avaient  le  grade  de 
tribuns^  et  en  général  on  leur  confiait  le  commandement  des 
places  importantes  da  limes'.  En  outre,  le  duc  avait  sa  maison 

1.  Cod.  JusL,  1,  27,  2,  9  b. 

2.  ld,y  8,  9,9  a.  Cf.^sar  ces  pratiques,  Édit  (VAnastcLse,  n»  4,  12,  6,  et  le 
commentaire  de  Zachariae,  p.  149-150. 

3.  Le  duc  de  Libye,  par  exemple,  touchait,  sous  Justinien,  seulement  1,330 
sons  d*or  {Ed.  13,  18),  ou  tout  au  plus,  d'après  la  lecture  de  Zachariae, 
1,435  sous. 

4.  Cod.  JusL,  I,  21,  2,  35. 

5.  7(2.,  9  a,  9  6. 

6.  Id.,  9,  9  a,  11. 

7.  Id.,  2;  CL  L.,Vni,  9248.  Inscription  de  Khenchela  (0u//.  des  Anliquairts 
de  France,  p.  171). 

I.  9 


130  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE] 

militaire,  ses  homines  dont  le  rescrit  ne  nous  donne  point  Té- 
numération  détaillée*,  mais  que  le  gouverneur  employait  sans 
doute  de  la  même  manière  que  le  commandant  en  chef  faisait 
de  ses  doryphores  et  hypaspistes.  Enfin  pour  l'administration, 
le  duc  avait  auprès  de  lui  un  bureau  dont  la  composition  nous 
permet,  comme  pour  la  préfecture,  d'apprécier  Tétendue  de 
ses  attributions*.  Comme  le  préfet,  le  duc  était  assisté  par  un 
conseiller  juridique  analogue  au  consiliarius  :  c'était  Vassessor 
(auvxaSsSpoç)  %  dont  la  présence  suffit  à  attester  la  compétence 
judiciaire  du  gouverneur;  il  est  probable,  quoique  le  texte 
ne  mentionne  point  ce  fonctionnaire,  qu'il  était  également 
pourvu  d'un  cancellarim^ .  BsiXïsVof/îcium  proprement  dit,  le 
soin  de  la  comptabilité  était  confié  à  un  numerarius^ ,  à  côté 
duquel  se  trouvaient  un  certain  nombre  d'employés  d'origine 
militaire,  officiers  ou  sous-officiers.  Le  plus  élevé  en  grade 
était  \e primicerius,  qui  était  le  chef  du  bureau'  ;  au-dessous 
de  lui  se  trouvaient  quatre  ducenarit  on  commandants  de  deux 
ceilturies,  six  centenarii  ou  centurions,  huit  biarchi  ou  com- 
missaires aux  vivres,  neuf  circiiores,  ou  sous-officiers  de 
cavalerie,  onze  semissales^  ou  bas  officiers  d'infanterie  "^  ;  bref, 
en  laissant  à  part  VassessoTy  qui  est  un  civil,  et  le  cancellarius, 
Vofficium,  composé  de  quarante  personnes  *,  formait  autour 
du  gouverneur  un  bureau  militaire  avec  ses  plantons,  ses 
scribes,  ses  officiers  chargés  de  l'administration  des  corps  et 
des  différents  services  d'état-major.  De  même  que  le  duc 

1.  Cf.  les  iadications  de  VÉditiTAnastase,  n»  14,  1.  1-10. 

2.  Cod.  JusL,  l  2T,  2,  22,  24,  25.  28,   31. 

3.  Édit  d'Anastase,  n*  14,  1.  3. 

4.  Mommsea,  Oslgolh.  Studien,  p.  479,  n.  3.  Oa  trouve  an  cancellarius  à 
côté  da  duc  de  Libye  (Édit  d'Anastase^  n»  14, 1.  5-6). 

5.  Cf.  Édild'Anastase,  n»  5  et  14. 

6.  MocDmeen,  Ostgoth.  Studieitj  p.  474-475.  C'est  sans  doute  le  même  per- 
sonnage que  le  primiscrinius  de  VÉdit  d'Anaslase  (n^s  5,  14). 

7.  Cf.  Cagnat,  p.  719,  738.  Sur  les  circitores,  dont  la  schola  fournissait  au 
duc  les  soldats  détachés  pour  le  service  de  la  correspondance,  etc.,  cf.  Édit 
d'Anastase,  n»  8. 

8.  Ce  chiffre  de  quarante  employés  parait  avoir  été  fixé  par  l'empereur  Ànu- 
tase,  comme  suffisant  pour  les  bureaux  du  duc  (Édit  dAnastase,  n»»  1-2). 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE        131 

et  pour  les  mêmes  raisons,  les  employés  de  ce  bureau  étaient 
beaucoup  mieux  rétribués  que  ceux  des  officia  civils,  et  plus 
largement  même  que  ceux  des  autres  officia  ducaux*  :  leurs 
traitements  s'élevaient  à  une  somme  totale  de  674  1/2  sous 
d'or  (10,366  fr.  25).  De  cette  sorte,  les  frais  généraux  de  Tad- 
ministration  militaire  de  TAfrique  montaient  —  en  laissant 
toujours  la  Sardaigne  en  dehors  du  calcul  —  à  un  chiffre  de 
9,026  sous  d'or  ou  141 ,393  francs  :  cette  dépense  était  imputée 
sur  les  recettes  produites  par  les  impôts  de  la  province*,  et  elle 
était  ordonnancée  par  les  soins  du  préfet  du  prétoire'. 

Les  textes  nous  font  connaître  un  certain  nombre  de  ducs 
provinciaux,  et  en  même  temps  qu'ils  nous  prouvent  avec 
quelle  promptitude  furent  exécutées  les  instructions  impé- 
riales, ils  nous  fournissent  quelques  indications  utiles  sur  les 
attributions  et  le  rôle  de  ces  personnages.  En  Tripolitaine, 
nous  rencontrons,  dès  le  premier  gouvernement  de  Solomon 
(334-536),  ce  Jean  Troglita,  qui  plus  tard  commandera  en  chef 
l'armée  d'Afrique  ;  et  la  Johannide  le  montre  défendant  la  fron- 
tière, d'ailleurs  en  cette  région  fort  voisine  du  littoral,  assu- 
rant au  pays  une  pleine  sécurité  et  terrifiant  par  ses  constants 
succès  les  tribus  insoumises  des  Levathes\  Plus  tard  on  y 
trouve  le  duc  Sergius,  qui,  par  sa  mauvaise  administration  à 
l'égard  des  indigènes  de  son  territoire,  provoqua  la  grande 
insurrection  de  543*;  en  547,  la  province  paraît  avoir  été  gou- 
vernée par  le  duc  Rufinus,  dont  les  messages  firent  connaître 
au  patrice  la  nouvelle  du  soulèvement  des  tribus'.  Les  mêmes 
textes  nous  apprennent  que»  conformément  aux  ordres  du 
prince,  la  résidence  du  duc  se  trouvait  à  Leptis  Magna.  —  En 

1.  Vof/icium  du  duc  de  Pentapole  recevait,  au  temps  d'Anastase,  360  sous 
d'or;  celai  du  duc  de  Libye,  au  temps  de  Justinien,  187  1/2  sous  d*or  seule* 
ment(i^d.  d'Ânaaiase,  u9  2;  Éd.  JusL  13,  18). 

2.  Cod.  Just.,l,  27,2,18. 

3.  ïd.,  15. 

4.  JoA.,  m,  294-295;  I,  470. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  502.  Cf.  Jok.,  III,  405  (où  se  trouve  mentionné  Pelagius, 
suppléant  de  Sergius). 

6.  Joh.,  VI,  221. 


132  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Byzacène,  le  premier  duc  que  les  textes  nous  fassent  connaître 
apparaît  h  la  date  de  545,  ce  qui,  d'ailleurs,  ne  prouve  nulle- 
ment qu'avant  cette  époque,  il  n'y  eût  point  de  duc  dans  cette 
région.  Procope  dit  expressément  qu'il  était  le  chef  de  toutes 
les  troupes  cantonnées  en  Byzacène*,  et  qu'il  avait  sous  ses 
ordres  un  certain  nombre  de  niimeri  d'infanterie  et  de  cava- 
lerie ayant  leurs  officiers  particuliers*;  on  voit  qu'outre  le 
commandement  des  corps  spécialement  chargés  de  la  garde 
du  limes^  ce  personnage  était  à  la  tête  de  toutes  les  forces  de 
la  province,  même  de  celles  qui  appartenaient  à  l'armée  mo- 
bile. A  la  date  indiquée,  la  résidence  du  duc  était  Hadrumëte  ', 
changement  qui  paraît  tenir  à  un  dédoublement  —  que  nous 
étudierons  plus  tard  —  apporté  dans  l'organisation  .défensive 
de  la  région.  L'année  suivante,  le  successeur  d'Himerius, 
Marcentius,  se  trouve  dans  une  condition  absolument  sem- 
blable* :  lui  aussi  est  représenté  comme  commandant  toutes 
les  troupes  régulières  cantonnées  en  Byzacène,  et  nous  le  ver- 
rons même,  avec  son  corps  d'armée,  prendre  part  aux  grandes 
batailles  de  la  campagne  de  546*.  — Enfin,  en  Numidie,  nous 
rencontrons  un  duc  dès  536;  il  est  gouverneur  militaire  de  la 
province,  et  en  cette  qualité,  il  a  sous  ses  ordres  les  officiers 
de  tous  les  corps  qui  y  sont  cantonnés.  Or  Procope  en  a  donné 
une  fort  intéressante  énumération  :  il  y  a  des  numeri  d'in- 
fanterie, un  niimerus  de  cavalerie,  des  troupes  de  foederati, 
toutes  par  conséquent  appartenant  à  l'armée  mobile  \  La  ré- 
sidence du  duc  est  établie  à  Constantine.  De  môme  en  546, 
le  duc  de  Numidie,  Guntarith,  a  à  ses  ordres  tous  les  numeri 
de  la  province  ^  On  voit  que,  conformément  aux  instructions 
du  rescrit  de  534,  les  milites  comilatenses  qui  tenaient  garni - 


1.  Bell,   Fand.,  p.  510. 

2.  Id,  p.  509. 

3.  Joh,,  IV,  8-9. 

4.  Bell,  Vand,,  p.  523. 

5.  Joh.,  IV,  532. 

6.  Bell.  Vand,,  p.  481. 

7.  Id,,  p.  515. 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE       133 

son  dans  les  différents  territoires  militaires  prenaient  les 
ordres  des  ducs  provinciaux. 

II  n'est  point  sans  intérêt  de  voir  dans  quelle  catégorie  de 
personnes  étaient  choisis  ces  gouverneurs  militaires.  En  gé- 
néral, la  plupart  d'entre  eux  sont  pris  parmi  les  officiers  de 
Tarmée  mobile.  Quelques-uns  pourtant  ont  une  autre  origine  : 
certains,  tels  que  les  ducs  Valérien  et  Marcellus  de  Numidie', 
sont  d'anciens  chefs  defoederati;  d'autres  ont  une  provenance 
plus  intéressante  encore  :  le  duc  de  Numidie^  Guntarith,  qui 
joua  un  si  grand  rôle  dans  les  troubles  de  546,  avait  com- 
mencé par  être  doryphore  du  patrice  Solomon  *.  On  voit  par 
cet  exemple,  ajouté  à  tant  d'autres,  à  quelle  haute  fortune  pou- 
vtient  arriver  ces  hommes  d'armes  du  général  en  chef. 

Il  reste  à  faire  connaître  les  troupes  placées  sous  les  ordres 
des  ducs.  On  a  déjà  vu  qu'ils  commandaient  aux  régiments  de 
l'armée  mobile  stationnés  dans  les  places  de  leur  province  :  en 
outre  ces  milites  comitatenses  participèrent  même  directement 
à  la  défense  immédiate  du  pays.  Dans  chaque  limes ^  un  cer- 
tain nombre  de  nwmm  d'infanterie  et  de  cavalerie  occupèrent, 
au  moins  au  début,  les  postes  principaux',  et  surtout  les 
villes  fortes  de  la  frontière;  mais  comme, en  principe,  l'armée 
mobile  à  laquelle  ils  appartenaient  était  destinée  à  un  autre 
usage,  Justinien  voulut  que  la  protection  du  territoire  fût, 
autant  que  possible,  assurée  sans  leur  concours*.  A  cet  effet, 
il  organisa  des  corps  spéciaux,  dont  il  nous  reste  à  déterminer 
la  condition  :  ce  furent  les  Izmitanei,  ou  troupes  de  frontière 
proprement  dites,  établis  dans  des  sortes  de  confins  militaires 
tout  le  long  du  limes  africain. 

Depuis  le  milieu  du  m**  siècle,  on  rencontre  dans  les  armées 
romaines  «  ces  soldats  d'une  espèce  spéciale,  ces  soldats  co- 
lons »'  à  qui  des  terrains  étaient  concédés  dans  le  voisinage 

1.  Be/Ï.  Vand,,  p.  350,  474,  481. 

2.  Id,,  p.  494. 

3.  Cad.  JusL,  I,  27,  2,  5,  4  a,  4  6,  7. 

4.  Id.,  8. 

5.  Cagnat,  /.  c,  p.  742. 


134  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  la  frontière,  à  charge  pour  eux  de  les  mettre  eu  culture  et 
de  les  proléger  par  les  armées.  On  espérait,  dit  un  historien, 
«  qu'ils  serviraient  l'empire  avec  plus  de  cœur,  s'ils  défendaient 
en  même  temps  et  par  là  même  leur  propriété  \  »  Justinien 
s'empressa  de  réorganiser  cette  sorte  d'armée  territoriale,  et 
lui-même  traça  le  plan  d'après  lequel  ces  corps  spéciaux  de- 
vraient être  constitués  et  répartis  entre  les  cités,  les  castra 
et  les  postes  du /2m^5*.  Parmi  ^es  populations  provinciales, 
principalement  parmi  celles  de  la  frontière^,  on  recruta  les 
éléments  nécessaires  ;  à  ces  hommes  on  accorda  des  conces- 
sions de  terres,  qui  probablement  furent  exemptées  d'impôt; 
en  outre,  une  solde  leur  fut  allouée  *.  En  échange  de  ces  avan- 
tages, ils  durent,  en  temps  de  paix,  mettre  en  culture  le  terri- 
toire qu'ils  occupaient  et  surveiller  exactement  toutes  les 
routes  qui  franchissent  le  limes,  pour  empêcher  toutes  re- 
lations de  commerce  non  autorisées  entre  les  tribus  berbères 
et  le  pays  romain*.  Se  produisait-il  quelque  mouvement 
sur  la  frontière,  aussitôt  ils  s'armaient,  soit  pour  défendre  le 
poste  particulier  confié  à  leur  garde,  soit  pour  concourir  avec 
d'autres  troupes  de  même  formation  à  repousser  l'envahisseur^. 
En  aucun  cas,  ils  ne  devaient  quitter  le  iimes  où  ils  étaient 
établis,  la  perpétuité  du  service  militaire  étant  la  condition 
formelle  de  leur  droit  de  propriété.  Ils  étaient  autorisés  à  se 
marier,  et  en  général  leurs  femmes  et  leurs  enfants  vivaient 
avec  eux  dans  les  castella  où  ils  étaient  cantonnés''  ;  toutefois, 
si  le  poste  était  peu  solide  ou  d'un  ravitaillement  un  peu  dif- 
ficile, la  famille  des  soldats  ne  demeurait  point  avec  eux;  on 

1.  Vita  Alex.  Sev.^  58. 

2.  Cod,  Just.,  h  27,  2,  8.  Cf.  CagDat,  p.  741-744;  Mommsea,  p.  i98-200. 
Dans  VÉdit  dAnastase^  ces  soldats,  exclusivement  caDtonnés  dans  les  castra, 
portent  le  nom  de  xaorpvidtavoi  =  castriciani  (n*«  11,  14). 

3.  Cod,  Just.,  I,  27,  2,  8.  Cf.  Joh.,  lU,  47-30,  où  Ton  trouve  un  tribau  d'o- 
rigine africaine. 

4.  Cod.  Just.,  I,  27,  2,  8,  15. 

5.  Édit  d'Anastasej  n^  11. 

6.  Cod.  Just  ,  1,27,2,8. 

7.  Joh.,  ni,  326;  IV,  72;  Anonyme,  IX,  6. 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE       135 

crai^ait  qu'elle  ne  devint  dans  ce  cas  une  cause  d'embarras, 
de  lâcheté  OU  de  trahison'.  Soumis  à  Tant  or  i  té  du  duc  pro- 
vincial, et  groupés  en  régiments  commandés  par  des  tribuns^ 
ces  soldats  cultivateurs  étaient  répartis,  en  garnisons  plus  ou 
moins  nombreuses  dans  les  villes  fortes  et  châteaux  de  la 
frontière  ;  et  pour  qu'ils  fussent  en  tout  temps  capables  de 
rendre  de  bons  services*,  leurs  officiers  devaient  les  tenir  en 
haleine  par  de  fréquents  exercices  militaires'. 
Par  ces  mesures,  Justinien  espérait  assurer,  sans  le  concours 

1.  Anon.,  IX,  4. 

2.  Cod,  Just.y  I,  21,  2,  9. 

3.  Il  est  intéressaot  de  remarquer  combien,  en  ce  pays  d'Afrique,  des  néces- 
sités semblables  ont,  en  tout  temps,  produit  des  résultats  identiques.  Le 
général  du  Barail.  dans  un  curieux  passage  de  ses  Souvenirs,  expose  un  plan 
de  défense  de  la  frontière  algérienne  qui  rappelle  trait  pour  trait  les  mesures 
ordonnées  par  Justinien.  Voici  en  quoi  consiste  ce  plan  :  «  pousser  tous  les 
escadrons  (de  spahis)  à  la  frontière,  les  établir,  à  l'ouest,  le  long  de  la  fron- 
tière du  Maroc,  à  Test,  le  long  de  la  frontière  de  la  Tunisie,  et  dans  le  sud, 
anx  postes  les  plus  avancés;  imiter  l'Autriche  dans  l'organisation  de  ses 
troupes  de  frontière,  de  ses  confins  militaires,  et  constituer,  sur  toutes  les 
limites  de  nos  possessions,  de  véritables  smalas.  Nous  avions  assez  de  terres 
domaniales  pour  accomplir  cette  opération  sans  grands  frais. 

«  Dans  ces  smalas,  les  spahis  vivraient  sous  la  tente,  avec  leur  famille.  Par 
l'exemption  de  certains  impôts,  parla  culture  de  lots  de  terre  temporairement 
concédés,  et  même  par  l'élevage,  ils  y  trouveraient  assez  d'avantages  pour 
attirer  dans  leurs  rangs  bien  des  cavaliers  avides  d*y  participer...  Contre  les 
agressions,  je  proposais  de  les  appuyer  sur  quelque  chose  de  stable  :  une 
enceinte  carrée,  construite  sur  un  terrain  choisi,  facile  à  défendre  et  entourée 
d'nn  mnr  crénelé,  flanqué  aux  quatre  coins  d*une  sorte  de  bastion...  Elle 
devait  être  assez  vaste  pour  recevoir,  en  cas  de  danger  pressant,  les  spahis  et 
leurs  familles.  Là  ils  pourraient  braver  une  insurrection  que^  la  plupart  du 
temps,  ils  auraient  pu  prévoir  :  car,  établis  au  milieu  d'un  pays  pour  le  sur- 
veiller et  le  garder,  ils  noueraient  fatalement  des  relations  et  posséderaient 
des  intelligences  avec  les  populations  et  les  tribus  voisines... 

«  Ce  n'était  pas  le  seul  avantage  que  je  trouvais  à  mes  smalas.,.  Je  me  figurais 
que  derrière  la,  smala,  la.  colonisation  marcherait,  et  viendrait  la  rejoindre» 
(Général  du  Baraîl,  Mes  Souvenirs,  t.  I,  p.  417-418). 

Rien  ne  manque  à  ces  pages  pour  en  faire  le  véritable  et  pittoresque  com- 
mentaire du  re3critde534:  c'est  le  même  système,  servant  tout  ensemble  à 
la  défense  et  à  la  colonisation,  c'est  le  même  mode  de  recrutement  local, 
assuré  par  les  mômes  privilèges,  c'est  la  même  vie  enfin;  et  jnsque  dans  le 
type  de  construction  proposé  pour  appuyer  les  smalas,  on  retrouve,  à  s'y 
méprendre,  les  dispositions  des  castra  byzantins. 


136  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  Tarmée  mobile,  la  défense  de  la  frontière;  il  se  flattait  en 
outre,  par  l'exemple  des  limitanei,  d'attirer  des  cultivateurs 
dans  les  régions  du  sud,  et  d'accroître,  par  le  développement 
de  la  colonisation  agricole,  la  prospérité  de  TAfrique  pacifiée*. 
Aussi  recommandait-il  avec  insistance  à  ses  officiers,  d'ap- 
porter tout  leur  zèle  à  l'exécution  de  ses  instructions  :  non 
seulement  ils  devaient  attentivement  remplir  leurs  devoirs 
militaires,  veillera  ce  que,  dans  l'armée  mobile  comme  dans 
l'armée  territoriale,  les  effectifs  fussent  toujours  au  complet, 
la  discipline  sévère,  les  exercices  fréquents';  non  seulement 
ils  devaient  soigneusement  concerter  leurs  efforts  pour  la 
défense  commune  de  la  province';  mais  par  dessus  tout,  ils 
devaient  s'appliquera  faire  aimer  leur  autorité  par  les  troupes 
et  les  populations.  Il  importait  essentiellement,  si  Tœuvre 
entreprise  devait  avoir  des  résultats  efficaces,  que  le  soldat, 
n'ayant  à  se  plaindre  de  rien,  fût  prêt  à  rendre  de  bons  ser* 
vices,  que  l'habitant  ne  vît  point  dans  la  réorganisation  mi- 
litaire un  accroissement  de  misères  et  de  charges.  Aussi 
Justinien  recommandait  avec  insistance  aux  ducs,  aux  tribuns, 
aux  employés  des  officia,  de  ne  point  céder  aux  tentations  de 
leur  avidité  :  il  leur  prescrivait  de  ne  point  chercher  à  s'enrichir 
aux  dépens  des  hommes,  soit  en  détournant  une  part  de  la 
solde,  soit  en  faisant  des  bénéfices  sur  les  fournitures  \  Il  leur 
ordonnait  d'être  doux  et  bienveillants  pour  les  sujets,  de  les 
protéger  contre  les  violences  des  soldats  et  les  exactions  des 
tribunaux*^,  et  il  rendait  le  duc  et  ses  officiers  responsables, 
sous  peine  d'amende  et  de  destitution,  de  tout  excès  commis 
par  eux  ou  leurs  troupes,  de  toute  infraction  aux  instructions 
impériales  ^ 

1.  Cod.  Just,,  I,  27,  2,  8.  Il  est  question  de  môme  àBnhVÉdit  (fAnastase 
(n^  iO)  de  particuliers  (IdtôTai),  établis  sous  la  protection  des  castra, 

2.  Cod.  Just,  I,  27,  2,  8,  9,  9  a, 

3.  W.,  10. 

4.  Id.,  8,  9,  9  a.  Cf.  Édit  d'Anastase,  n«"  4,  5,  6,  12. 

5.  W.,  11,  12. 

6.  Id.,  9  a,  11. 


L'ARMÉE  D'OCCUPATION  ET  L'ADMINISTRATION  MILITAIRE         137 

Les  événements  ne  devaient  que  trop  donner  raison  aux 
craintes  du  prince,  et  prouver  combien  il  avait  justement  prévu 
les  dangers  qui  menaçaient  son  œuvre.  Néanmoins  l'orga- 
nisation militaire  qu'il  donna  à  l'Afrique  demeure  un  des  plus 
sûrs  titres  de  gloire  de  l'administration  byzantine  dans  la  pro- 
vince :  par  les  efforts  de  l'armée  impériale,  les  frontières 
furent,  sinon  reconstituées  dans  leur  intégrité,  du  moins  pous- 
sées assez  avant  vers  le  sud;  par  les  soins  des  officiers  impé- 
riaux, une  sécurité  relative  fut  assurée  à  la  contrée;  enfin  un 
réseau  de  forteresses  couvrant  toute  la  surface  du  pays  vint, 
conformément  aux  instructions  du  prince  ' ,  fournir  un  soutien 
aux  opérations  de  l'armée  mobile,  donner  un  point  d'appui  aux 
garnisons  de  l'armée  territoriale  et  compléter  le  système  de 
défense  organisé  par  Justinien. 

i.  Cod.  Just.,  h  21,  2,  14.  15. 


CHAPITRE  II 

LES  PRINCIPES  DU  STSTÈHE  DÉFENSIF  DANS    L  AFRIQUE  BYZANTINE 

Dans  son  livre  des  Édifices^  Procope  a  longuement  énuméré 
les  nombreuses  constructions  militaires  par  lesquelles  Justinien 
couvrit,  du  fond  de  l'Orient  jusqu'à  l'extrémité  de  l'Occident, 
les  frontières  de  l'empire,  et  par  lesquelles  il  a  véritablement 
«  sauvé  la  monarchie  »  \  Et  en  face  de  cette  œuvre  gigan- 
tesque, de  cette  masse  de  villes  fortes  et  de  citadelles,  l'historien 
ne  peut  retenir  un  sentiment  d'admiration  qui  confine  à  l'éton- 
nement:  «  Si  nous  dressions,  dit-il,  la  liste  des  forteresses 
élevées  par  Justinien  devant  des  hommes  habitant  un  pays 
éloigné,  et  incapables  de  faire  de  leurs  yeux  la  preuve  de  nos 
assertions,  assurément  la  multitude  de  ces  constructions  ferait 
paraître  notre  récit  fabuleux  et  incroyable  »  '  ;  et  il  se  demande 
si  la  postérité,  considérant  le  nombre  et  la  grandeur  de  ces 
édifices,  pourra  vraiment  admettre  «  qu'ils  soient  tous  l'œuvre 
d'un  seul  homme  »  '.  Au  vrai,  c'est  l'impression  que  produit, 
aujourd'hui  encore,  la  vue  des  innombrables  forteresses  byzan- 
tines dont  les  ruines  couvrent  le  sol  de  l'Afrique  :  partout,  sur 
les  rivages  de  la  mer  comme  au  pied  des  montagnes,  dans  les 
solitudes  du  Hodna,  au  milieu  des  plaines  désertes  du  haut 
plateau  numide,  dans  les  steppes  de  la  Tunisie,  les  restes  de 
puissantes  citatelles  attestent  la  merveilleuse  activité  que  dé- 
ploya le  grand  empereur  ;  et  en  face  des  rescrits  qui  organi- 
sèrent la  défense  des  frontières  africaines,  les  monuments 
viennent,  par  un  vivant  commentaire,  prouver  le  soin  qu'on 

1.  Aed,,  p.  209.  Cf.  p.  171-172  et  343-344. 

2.  M.,  p.  277. 

3.  Id.y  p.  172. 


LES  PWNCIPES  DU  SYSTÈME  DÊFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZAiNTINE  139 

apporta  à  exécuter  les  instructions  de  Justinien.  Ici  comme  sur 
l'Euphrate,  comme  aux  monts  d'Arménie,  comme  aux  rives 
du  Danube,  quelques  années  ont  suffi  à  réaliser  une  œuvre 
prodigieuse,  à  reconstituer  en  le  fortifiant  l'admirable  système 
défensif  jadis  créé  par  Rome,  à  couvrir  la  province  entière 
d'un  réseau  de  places  fortes,  dont  les  savantes  dispositions  et 
la  construction  rapide  font  également  honneur  aux  talents 
stratégiques  et  à  l'énergique  volonté  des  généraux  byzantins. 
Sans  doute,  et  nous  n'essaierons  point  de  le  dissimuler,  le  gou- 
vernement grec  a  donné  en  Afrique  bien  despreuves  de  faiblesse 
et  d'incapacité  :  par  un  côté  pourtant,  il  ne  s'est  pas  montré 
trop  indigne  de  cette  grande  administralion  romaine  dont  il 
revendiquait  l'héritage  :  on  s'en  rendra  compte  aisément  en 
étudiant  les  principes  généraux  dont  il  s'inspira  pour  assurer 
la  sécurité  des  provinces  africaines,  en  montrant  surtout  avec 
quel  zèle,  quelle  entente  des  nécessités  particulières,  quelle 
incroyable  variété  des  dispositions  il  a  édifié  cette  multitude 
de  ch&teaux  forts,  dont  le  seul  aspect  suffirait  à  rendre  équi- 
table pour  ces  Byzantins  si  injustement  décriés. 


Les  principes  généraux  du  système  défensif  byzantin. 

Pour  protéger  efficacement  leur  province  d'Afrique,  les 
Romains  s'étaient  en  général  contentés  «  de  prendre  en  main 
la  défense  immédiate  des  confins,  de  mettre  des  garnisons  aux 
endroits  les  plus  menacés,  le  long  des  routes  les  plus  suivies 
des  indigènes  et  aux  passages  où  ils  avaient  coutume  de  fran- 
chir la  frontière,  de  relier  ces  postes  par  des  voies  grandes  et 
solides,  pour  faciliter  le  mouvement  des  troupes  et  le  trans- 
port des  vivres  de  l'un  à  l'autre,  en  même  temps,  d'établir  en 
arrière  des  camps  permanents  servant  de  soutiens  et  de  points 
de  ralliement  à  tous  ces  postes  disséminés,  centres  de  comman- 


140  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dément  et  de  ravitaillement*.  »  Quelques  grandes  places 
fortes,  comme  Théveste  et  plus  tard  Lambëse,  une  série  de 
redoutes  et  de  citadelles  échelonnées  uniquement  le  long  du 
limeSy  suffisaient  à  donner  une  parfaite  sécurité  à  Timmense 
territoire  occupé  par  Rome.  C'est  que  d'une  part,  une  armée 
nombreuse  et  solide,  qu'une  puissante  organisation  militaire 
avait  faite  tout  à  la  fois  très  forte  et  très  mobile,  occupait  les 
postes  disposés  sur  la  frontière  ;  c'est  que,  d'autre  part,  l'in- 
térieur du  pays  était  assez  sérieusement  pacifié  pour  que  les 
troupes  chargées  de  la  défense  du  territoire  n'eussent  à  penser 
qu'aux  attaques  venues  du  dehors  :  c'est  qu'en  un  mot  les 
Romains,  «  loin  d'avoir  à  se  préoccuper  de  ce  qui  se  passait 
dans  la  province  qu'ils  couvraient,  trouvaient,  sur  le  territoire 
occupé,  avec  une  population  généralement  paisible,  des  se- 
cours contre  les  pillards  du  sud  '.  » 

Ces  conditions  avaient  fort  changé  à  l'époque  byzantine. 
On  a  déjà  vu,  par  les  détails  empruntés  à  Procope,  ce  que  va- 
laient les  armées  grecques  du  vi®  siècle  ;  peu  nombreuses, 
surtout  peu  solides,  elles  étaient  assez  peu  propres  à  tenir 
longtemps  et  heureusement  la  campagne;  et  les  traités  de 
tactique  du  temps  recommandent  unanimement  d'aventurer 
le  plus  rarement  possible  ces  troupes  dans  de  grandes  batailles, 
de  les  abriter  le  plus  souvent  qu'il  se  pourra  derrière  des  re- 
tranchements ou  des  remparts*.  D'autre  part,  le  lent  relâche- 
ment du  système  défensif  romain^  la  faiblesse  trop  visible  des 
forces  byzantines  avaient  rendu  aux  adversaires  de  l'empire 
une  audace  depuis  longtemps  oubliée  ;  et  des  tribus  indigènes, 
devenues  à  peu  près  indépendantes  au  temps  du  royaume 
vandale,  avaient  pris  l'habitude  d'oser,  sans  cesse  ni  trêve,  des 
courses  rarement  réprimées.  Enfin,  dans  le  pays  jadis  pacifié, 
s'étaient  réveillés  des  éléments  de  troubles  :  jusque  dans  l'in- 
térieur de  la  province  s'agitaient  des  populations  berbères  mal 

1.  Gagnât,  /.  c,  p.  496. 

2.  W.,  l.  c,  p.  598-599. 

3.  Anonyme,  passim;  Siraiegika,  X,  2,  p.  241.  Cf.  Jfthna,  Gesch,  d,  Kriegs- 
wissensckaft,  p.  146,  15^. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  141 

soumises  ;  parmi  les  habitants  même  de  nationalité  romaine, 
des  divisions  profondes  régnaient.  Pour  toutes  ces  raisons, 
l'organisation  défensive  imaginée  par  Rome  ne  pouvait  plus 
suffire  ;  pour  assurer  la  sécurité  des  frontières  et  des  provinces 
africaines,  un  autre  système  était  nécessaire. 

Bien  avant  le  vi*  siècle,  dans  une  partie  du  moins  de  TAfrique, 
Rome  avait  dû  appliquer  des  principes  d'occupation  tout  parti- 
culiers. Dans  les  Maurélanics,  hérissées  de  massifs  monta- 
gneux, où  les  populations  mal  soumises  trouvaient  une  ten- 
tation constante  et  un  asile  pour  la  révolte,  il  avait  fallu  mul- 
tiplier les  postes  militaires  et  cerner  en  quelque  manière 
chaque  massif  d'une  chaîne  serrée  de  forteresses  ^  Aussi,  à 
cftté  des  troupes  cantonnées  sur  la  frontière,  les  soldats  du 
corps  d'armée  de  Maurétanie  «  occupaient  toutes  les  lignes 
stratégiques,  toutes  les  grandes  voies  militaires  qui  coupaient 
le  pays  »'.  De  plus,  dans  cette  région  accidentée,  difficile  à 
surveiller,  toujours  menacée  de  quelque  nouveau  danger,  il 
avait  fallu  «  donner  aux  habitants  la  possibilité  de  se  sous- 
traire à  une  attaque  imprévue  »';  et  pour  cela,  à  côté  des 
points  occupés  par  des  garnisons  permanentes^  on  avait  vu 
apparaître  des  types  nouveaux  de  fortifications,  absolument 
inconnus  dans  la  Numidie  romaine.  Ce  sont  des  villes  forti- 
fiées, des  maisons  de  commandement  offrant  un  refuge  aux 
populations  en  cas  d'insurrection,  des  fermes  isolées  transfor- 
mées en  citadelles,  nous  dirions  enbordjs,  des  tours  destinées 
à  assurer  par  des  signaux  les  communications  rapides  entre  les 
différents  postes,  et  à  prévenir  en  temps  utile  les  habitants  des 
campagnes  de  l'invasion  menaçante  ou  du  soulèvement  prêt  à 
éclater^.  Des  conditions  analogues  devaient  nécessairement 
produire  des  résultats  presque  identiques  :  par  bien  des  côtéB 
le  système  de  défense  de  l'Afrique  byzantine  rappelle  celui 
que  les  Romains  appliquèrent  dans  les  Maurétanies. 

1.  Gagnât,  /.  c,  p.  601. 

2.  /d.,  p.  682. 

3.  Id.,  p.  677. 

4.  id.,  p.  677-683. 


142  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Aussi  bien  ces  principes  nouveauxne  sont  point  particuliers 
à  l'Afrique  :  sur  toutes  les  frontières  de  Tempire,  la  stratégie 
du  vi«  siècle  employa  les  mêmes  mesures  ;  et  la  comparaison 
en  est  fort  instruclive  pour  rendre  compte  des  dispositions 
adoptées  dans  les  citadelles  africaines.  C'est  d'abord,  tout  le 
long  du  limeSy  une  série  de  villes  fortifiées,  reliées  par  une 
succession  de  postes  {castella,  çpoùpia)*,  assez  rapprochés  les 
uns  des  autres,  solidement  construits,  bien  pourvus  d'eau  et 
de  vivres,  et  généralement  occupés  par  de  petites  garnisons*. 
Leur  but  est  double  :  ils  doivent  barrer  la- frontière  et  surveil- 
ler l'approche  de  l'ennemi,  et  d'autre  part  servir  de  base  d'opé- 
rations aux  colonnes  expéditionnaires  chargées  de  piller  le 
territoire  hostile*.  Mais,  pour  les  raisons  qu'on  a  dites,  cette 
première  ligne,  quoique  plus  serrée  qu'autrefois  et  plus  dif- 
ficile à  franchir,  ne  parait  plus  oiïrir  une  barrière  suffisante. 
Aussi,  à  quelque  distance  en  arrière,  se  développe  une  seconde 
ligne  de  citadelles,  plus  importantes  celles-là  et  aussi  plus 
espacées  ^  :  ce  sont  d'ordinaire  d'assez  grandes  villes^  défen- 
dues par  des  garnisons  plus  nombreuses  %  et  qui  offrent  tout 
à  la  fois  un  soutien  aux  places  de  la  frontière,  une  nouvelle 
barrière  à  Tinvasion,  un  asile  aux  populations  du  plat  pays. 
C'est  là  en  effet  la  grande  préoccupation  des  tacticiens  et  des 
généraux  byzantins,  assurer  la  sécurité  des  habitants  de  la 
province,  faire  en  sorte  que  la  région  souffre  le  moins  pos- 
sible de  l'invasion  ennemie*.  Dans  ce  but,  partout  où  un  péril 

1.  Sur  la  frontière  de  Mésopotainie,  outre  les  grandes  places  de  Daraet  d'A- 
mida,  Procope  énumère  une  série  de  çpoupta  reliant  les  deux  Tilles  fortifiées 
(Atd,,  p.  222).  Cf.  p.  227-228.  Sur  ridenlité  des  mots  çpo^piov  et  caHellum, 
Aed.j  p.  225. 

2.  Anon.,  IX,  3,  8.  U  doit  y  avoir  de  petites  garnisons,  pour  que  Tennemi 
n*ait  pas  la  tentation  d'assiéger  longuement  la  place. 

3.  Anon.,  IX,  1. 

4.  Aed.,  p.  228.  Cf.  la  seconde  ligne  en  Arménie,  tcf., p.  252-253  (Satala,  Go* 
loneia,  plusieurs  castella,  Nicopolis,  Sébastôe). 

5.  Anon.,  XI,  7,  qui  ?eut  gae  les  grandes  viUes  soient  en  général  asseï  éloi- 
gnées de  la  frontière,  surtout  si  elles  sont  en  plaine. 

6.  Voir,  dans  l'Anonyme,  V,  1-3,  Fimportance  des  règles  relatives  an 
çuXaxTtxbv  Tôbv  otxeicov. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSiF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  U3 

semble  à  craindre,  on  élëve  une  redoute  ou  une  citadelle. 
«  Voulant,  dit  Procope,  couvrir  la  frontière  du  Danube, 
Justinien  borda  le  fleuve  de  nombreuses  forteresses,  et  ins- 
talla tout  le  long  du  rivage  des  postes,  pour  empêcher  les 
Barbares  de  tenter  le  passage.  Mais,  après  la  construction  de 
ces  ouvrages,  sachant  toute  la  fragilité  des  espérances  hu- 
maines, il  fit  réflexion  que,  si  les  ennemis  réussissaient  à 
franchir  cet  obstacle^  ils  trouveraient  des  populations  absolu- 
ment sans  défense,  et  qu'ils  pourraient  sans  peine  réduire  les 
personnes  en  esclavage  et  piller  les  propriétés.  Il  ne  se  con- 
tenta donc  point  de  leur  assurer,  au  moyen  des  citadelles  du 
fleuve,  une  sécurité  générale  ;  mais  il  multiplia  dans  tout  le 
plat  pays  les  fortifications,  de  telle  sorte  que  chaque  propriété 
agricole  se  trouva  transformée  en  un  château  fort  ou  voisine 
d'un  poste  fortifié^.  »  Les  traités  de  tactique  professent  une 
doctrine  absolument  conforme  à  ces  pratiques.  Avant  toute 
chose,  il  importe  qu'on  garantisse,  en  cas  d'invasion,  la  sécu- 
rité des  villes  et  des  campagnes-;  pour  cela,  à  la  moindre 
alerte,  les  postes  de  la  frontière  devront,  à  Taide  de  signaux 
de  feu,  annoncer  rimminence  du  péril;  et  l'Anonyme  explique 
en  grand  détail  comment  ces  signaux  seront  manœuvres,  de 
manière  à  indiquer  exactement  la  force  de  Tarmée  envahis- 
sante, la  nature  de  ses  troupes,  etc.';  aussitôt  tous  les  habi- 
tants du  plat  pays  chercheront  refuge  dans  les  forteresses  *, 
et  ce  n'est  qu'après  avoir  protégé  leur  retraite  que  le  général 
byzantin  prendra  l'offensive. 

On  voit  quelle  masse  de  places  fortes  exige  un  tel  système, 
et  quelle  variété  de  types  en  est  Tinévitable  résultat.  Ici,  c'est 
une  grande  ville  entourée  tout  entière  d  une  enceinte  de  rem- 
parts*, parfois  même  protégée,  par  surcroît,  par  des  forts  dé- 


1.  Aed.,  p.  268. 

2.  Anon.,  XLII,  3. 

3.  Anon.,  VIII;  Strateg.,  X,  2,  p.  243. 

4.  Anon.,  VI,  2;X,  2;  XU,  5. 

5.  En  AXriqae,  Tébessa,  Béja,  Bagai,  Teboursouk. 


144  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tachés  qui  couvrent  une  partie  de  ses  murailles'  ;  là,  pour 
aller  plus  vite,  la  ville  n'a  point  été  fortifiée,  mais  une  citadelle 
construite  dans  une  position  dominante  protège  sa  sécurité*. 
Ici,  sur  la  frontière  ce  sont  des  forteresses  isolées,  plus  ou 
moins  grandes,  surveillant  le  territoire  ennemi;  là,  ce  sont 
de  vastes  places  de  refuge,  destinées  à  recueillir  la  popula- 
tion des  campagnes  voisines*,  ou  des  fortins  construits  sur  les 
hauteurs  pour  abriter  les  habitants  de  la  plaine'.  Partout  les 
passages  importants,  les  défilés  sont  gardés  par  des  redoutes, 
et  transformés,  suivant  Texpression  byzantine,  en  véritables 
clisures*;  ici,  sur  tel  point  particulièrement  dangereux,  des 
tours  isolées  s'élèvent*;  là^  pour  barrer  telle  route  particuliè- 
rement importante,  des  murs  continus  sont  jetés  sur  une  vaste 
étendue  de  pays  \  Ainsi,  rien  n'est  laissé  au  hasard  :  au  centre 
des  plaines,  de  grandes  citadelles  surveillent  tout  le  pays  avoi- 
sinant';  à  l'entrée  des  vallées  ou  au  débouché  des  gorges,  des 
redoutes  interdisent  le  passage;  sur  les  collines,  des  tours  de 
vigie  observent  l'approche  de  l'ennemi,  pour  transmettre  la 
nouvelle  de  l'invasion  ;  partout,  des  fortins  offrent  un  refuge 
aux  populations  des  campagnes.  Contre  l'ennemi  du  dehors, 
deux  lignes  de  places  fortes  au  moins  opposent  leur  barrière  ; 
pour  contenir  celui  du  dedans,  des  forteresses  occupent  tous 
les  points  stratégiques;  chaque  ville  se  clôt  de  remparts, 
chaque  route  se  hérisse  de  tours,  et  au  lieu  du  système  si 
simple  de  l'époque  romaine,  qui  limitait  à  la  zone  frontière  les 
travaux  de  fortification,  la  province  tout  entière  se  couvre  de 


1.  Aed.,  p.  S30.  En  Afrique,  Safes,  Thelepte. 

2.  i4ed.)p.  269.  Eq  Afrique,  Haïdra,  Timgad,  Mdaonrouch,  Tobna. 

3.  Aed.,  p.  299-300.  En  Afrique,  Bordj-Uallal,  Zana.Sur  le  détail  de  chacun 
de  ces  établissements  militaires,  cf.  mou  Rapport  sur  deux  missions  en  Afrique 
{Nouv.  Archives  des  Missions,  t.  IV) . 

4.  Aed.,  p.  222-223. 

5.  /cf.,  p.  250,  261,  271-273,  306.  En  Afrique,  Lemsa,  Henchir-Sidi-Amara, 
Aln-el-Bordj. 

6.  Aed.,  p.  228. 

7.  Id.,  p.  270-271  (Thermopyles)  ;  273  (l*isthmede  Corinthe). 

8.  En  Afrique,  Sétif,  Laribas,  le  château  du  Bellezma. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTEME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  145 

citadelles.  De  là  un  système  de  défense  plus  compliqué,  moins 
régulièrement  ordonné,  plus  difficile  à  définir  et  à  décrire  : 
entre  ces  ouvrages  de  toute  sorte,  il  est  malaisé  parfois  de  dis- 
tinguer ceux  qui  servent  à  la  garde  de  la  frontière  et  ceux 
qui  sont  destinés  uniquement  à  recueillir  les  colons  ;  il  est 
plus  malaisé  encore  de  faire  le  départ  entre  les  constructions 
dues  à  l'initiative  impériale  et  celles  qu'ont  élevées  le  zèle  ou 
les  inquiétudes  des  particuliers. 


II 

Les  principes  généraux  de  la  construction  militaire  byzantine. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  place  forte  byzantine,  ville  fortifiée  ou 
citadelle,  est  protégée  d'ordinaire  par  une  triple  série  de  dé- 
fenses *.  Tout  d^abord,  c'est  le  mur  d'enceinte  (tsTxoç,  TceptôoXcç), 
ayant  deux  étages  de  hauteur;  à  Tétage  inférieur,  des  meur- 
trières ménagées  dans  l'épaisseur  du  rempart  permettent  de 
couvrir  de  flèches  les  assaillants  ;  au-dessus^  le  premier  étage, 
qui  s'élève  parfois  à  une  hauteur  de  près  de  neuf  mètres,  porte 
à  l'intérieur  un  chemin  de  ronde  couvert  et  solidement 
voûté,  par  lequel  on  peut  circuler  sur  tout  le  pourtour  de  la 
place  '.  Le  haut  du  mur  est  couronné  par  une  terrasse  crénelée. 
Tout  le  long  des  remparts,  de  distance  en  distance,  de  fortes 
tours  carrées  flanquent  les  courtines  ;  elles  ont  trois  étages  et, 
comme  le  mur  qu'elles  dominent,  elles  sont  garnies  de  cré- 
neaux. Certaines  d'entre  elles  sont  disposées  de  manière  à 
former  de  véritables  donjons,  capables  de  continuer  la  résis- 
tance, même  après  la  prise  de  la  courtine.  En  avant  du  mur 
d'enceinte,  à  une  distance  équivalant  généralement  au  quart 
de  la  hauteur  du  rempart,  s'étend  Tavant-mur  (icpo-ceixi^ixa),  qui 
doit  tout  à  la  fois  empêcher  l'attaque  directe  de  l'enceinte  et 

1.  Atd,,  p.  211-214  (Dara)  ;  255-256  (TheodosiopoUs)  ;  Anoo.,  Xil. 

2.  Cf.  Aed.,  p.  301. 

I.  10 


146  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

étendre  les  dimensions  de  la  ville,  de  manière  qu'elle  puisse 
fournir  abri  aux  gens  de  la  campagne  :  c'est  sur  le  glacis  soi- 
gneusement nivelé  et  aménagé,  qui  sépare  les  deux  lignes  de 
retranchements,  que  ces  populations  s'installeront  pour  parti- 
ciper à  la  défense  *.  Devant  le  xpoieixtaixa,  un  fossé  (ti^poç),  très 
large,  très  profond,  est  creusé  dans  le  sol  et  rempli  d*eau;  il 
doit  mesurer  au  moins  dix-huit  mètres  de  largeur  %  il  doit  s'en- 
foncer dans  la  terre  à  un  niveau  inférieur  aux  fondations  du 
Tzpoxdy{C[Lx,  dételle  sorte  que  les  mineurs  de  l'ennemi  ne  puissent 
atteindre  et  saper  la  base  de  Tavant-mur;  ses  parois  doivent 
être  absolument  verticales,  de  façon  à  le  rendre  tout  à  fait  in- 
franchissable. Enfin,  le  long  du  fossé,  les  matériaux  de  déblai 
sont  entassés  de  manière  à  former  une  haute  levée  de  terre 

Tel  est,  dans  ses  traits  généraux,  le  système  complet  de  la 
construction  militaire  byzantine.  Pourtant,  dans  la  pratique, 
ces  principes  souffrent  plus  d'une  altération.  Tantôt,  soit  que 
les  dispositions  naturelles  du  terrain  rendent  cette  défense 
inutile  ^  soit  pour  tout  autre  motif,  on  ne  creuse  point  de  fossé 
en  avant  du  T.çioxtiyia\Lx  *,  et  deux  lignes  de  retranchements 
suffisent  à  la  défense.  Tantôt,  et  cette  règle  trouve  surtout  son 
application  dans  les  places  moins  considérables,  dans  les 
castella  échelonnés  sur  la  frontière,  le  xpoTeCxt<xiJux  manque  en- 
tièrement *  ;  alors  le  mur  d'enceinte  est  généralement  protégé 
par  un  fossé  ^  ;  parfois  même  un  simple  rempart  forme  Tunique 
défense  \  En  fait,  les  circonstances,  la  nécessité  d'élever  plus 
ou  moins  hâtivement  les  travaux  de  fortifications,  la  nature 
aussi  de  l'ennemi  qu'il  s'agit  de  repousser,  déterminent  sou- 
verainement ces  modifications  de  détail.  Si  le  péril  est  pressant, 

1.  Anon.,  Xn.  Cf.  Proc,  BelL  Pers,,  p.  212. 

2.  AnoD.,  Xll,  0. 

3.  Aed.,  p.  213. 

4.  Id.,  p.  224,  226,  230. 

5.  /d.,  p.  252. 

6.  Id.,  p.  301. 

1.  Quelquefois  il  Q*y  a  même  pas  de  mur  en  pierre  (Aqod.^XUI,  12). 


LES  PRINCIPES  DV  SYSTEME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  147 

si  l'invasion  menace,  on  se  contente  d*éleyer  un  simple  mur 
de  médiocre  hauteur,  flanqué  de  distance  en  distance  par  des 
tours  crénelées.  «  Les  Romains,  dit  Procope  dans  une  circons- 
tance de  cette  sorte,  attendant  d'un  instant  à  l'autre  une  at- 
taque, ne  conduisirent  pas  fort  soigneusement  la  construction, 
et  la  rapidité  causée  par  Texcës  de  leur  zèle  fit  quelque  tort  à 
la  solidité  de  l'ouvrage  ;  car,  dans  leur  hâte  à  élever  la  mu- 
raille, ils  se  contentèrent  de  lui  donner  la  hauteur  strictement 
nécessaire,  sans  même  s'inquiéter  de  disposer  les  pierres  en 
lits  réguliers,  sans  en  assembler  soigneusement  les  joints, 
sans  les  lier  convenablement  au  moyen  de  la  chaux  ;  et  en 
peu  de  temps,  la  bâtisse  n'étant  point  assez  solide  pour  résister 
aux  gelées  et  à  la  chaleur  du  soleil,  la  plupart  des  tours  vinrent 
à  se  fendre*.  »  D'autres  simplifications  se  produisent,  si  l'en- 
nemi n'a  pas  l'habitude  des  sièges  :  dans  ce  cas,  un  mur  uni- 
que, sans  fossé,  parfois  même  sans  tours,  parait  amplement 
suffisant.  «  Les  Romains,  dit  encore  Procope,  s'étaient  bornés 
à  entourer  la  place  d'un  mur  peu  élevé,  juste  suffisant  pour 
empêcher  les  Arabes  de  la  région  d'enlever  la  ville  par  surprise. 
Les  Arabes,  en  effet,  sont  naturellement  incapables  de  conduire 
un  siège  régulier,  et  n'importe  quoi,  le  mur  le  plus  misérable, 
un  simple  terrassement,  suffit  à  briser  leur  attaque  '  .  »  Contre 
des  adversaires  de  cette  sorte,  il  n'était  point  besoin  de  faire 
appel  aux  raffinements  de  la  fortification  ;  c'est  ce  qui  a  permis 
aux  Byzantins  de  tant  simplifier  leurs  forteresses  africaines. 
Sans  danger,  ils  ont  pu  y  supprimer  et  le  fossé  et  le  zpoteCxKiixa  ; 
sans  péril  même,  ils  ont  pu  élever  hâtivement  les  murailles 
de  leurs  citadelles  :  et  si  j'ai  cité  tout  au  long  ces  deux  passages 
de  Procope,  c'est  qu'ils  expliquent  à  merveille  quelques-uns 
des  partis  adoptés  par  les  constructeurs  de  l'Afrique  grecque. 
Néanmoins^  en  aucun  cas  les  Byzantins  ne  construisent 
leurs  forteresses  au  hasard.  Le  traité  anonyme  de  la  Tactique 
indique  avec  une  grande  précision  les  conditions  auxquelles 

1.  Ae(L,  p.  210-211. 

2.  Afd..  p.  235. 


148  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

on  devra  subordonner  le  choix  de  l'emplacement.  En  principe, 
il  faut  le  plus  souvent  possible  s*établir  sur  une  hauteur  en- 
tourée d'escarpements^  ou  dans  une  position  défendue  par  une 
rivière  *  ;  si  l'on  est  obligé  de  s'installer  en  plaine,  il  est  indis- 
pensable que  la  citadelle  soit  très  forte,  bâtie  en  belles  pierres 
de  taille  soigneusement  appareillées,  construite  sur  un  plan 
très  savant  et  avec  des  dispositions  très  heureuses  '.  Ce  n^est 
pas  tout  :  il  importe  que  le  pays  d'alentour  soit  fertile  *,  que 
l'eau  se  trouve  en  abondance  à  portée  ou  dans  l'intérieur  de 
la  place  ;  il  faut  considérer  aussi  les  facilités  de  construction 
qu'offre  la  région,  en  particulier  examiner  s'il  y  a  dans  les 
environs  des  pierres  toutes  taillées*.  On  verra  combien  ce  der- 
nier détail  a  eu  d'importance  pour  l'établissement  des  cita- 
delles africaines. 

En  général,  le  mur  byzantin  est  formé  d'un  double  revête- 
ment de  pierres  de  taille,  l'intervalle  entre  les  deux  parements 
étant  comblé  par  une  maçonnerie  en  blocage  *.  Cette  muraille 
doit  être  à  la  fois  très  haute  et  très  épaisse,  très  haute  pour 
protéger  la  place  contre  toute  escalade,  très  épaisse  pour 
amortir  le  choc  des  machines  destinées  à  faire  brèche.  Le 
traité  anonyme  de  la  Tactique  demande  que  le  rempart  ait  au 
moins  cinq  coudées,  soit  2*",31  d'épaisseur,  vingt  coudées,  soit 
9"',24  de  hauteur  *;  et  dans  la  pratique,  il  n'est  pas  rare  que 
ces  dimensions  soient  dépassées.  Au  rapport  de  Procope,  les 
murailles  de  Martyropolis  en  Arménie  mesuraient  douze  pieds 
(3",70)  d'épaisseur  et  quarante  pieds  (12",32)  de  hauteur^; 
celles  de  Dara  atteignaient  18", 50'.  En  Afrique,  l'épaisseur 
habituelle  de  la  courtine  varie  entre  2"',30  et  2n,70  ;  la  hauteur, 
dans  les  rares  citadelles  où  le  mur  s'est  conservé  intact  jusqu'à 

1.  Anon  ,  XI,  1. 

2.  /d.,  XI,  6. 

3.  /d.,  X,  4. 

4.  W.,  X,  3. 

5.  i4ed.,  p.  250,  et  presque  toutes  les  forteresses  d'Afrique. 

6.  Anoo.,  XU,  i. 
1.  Aed,,  p.  250. 

8.  Bell    Pers.f  p.  212. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  U9 

son  couronnement,  atteint  de  8^,05  à  10  mètres  ^  La  partie 
inférieure  du  rempart,  plus  exposée  aux  attaques  directes  de 
Tennemi,  doit  être  construite  avec  un  soin  particulier;  l'Ano- 
nyme demande  que  jusqu'à  sept  coudées  de  hauteur  (3™,24),  on 
n'emploie  dans  la  bâtisse  que  de  très  grandes  pierres  de  taille 
soigneusement  ajustées*;  et  d'une  façon  générale,  dans  toutes 
les  constructions  militaires  du  temps  de  Justinien,  non  seule- 
ment la  pierre  remplace  partout  les  épaulemenls  de  terre  3, 
mais  très  souvent  des  pierres  droites  et  minces  alternent  avec 
les  blocs  posés  de  champ  et  s'insèrent  dans  la  masse  de  la  ma- 
çonnerie, de  manière  à  former  boutisse  et  à  renforcer  la  soli- 


Fig.  1.      Kasr-Maizhra.  Appareil  du  mur.        Fig.  2. 

Vue  extérieure.  Vue  intérieure. 

(Dessins  de  M.  Saladin.) 

dite  de  la  fortification^.  Surtout  il  importe  que  le  mur  soit 
assez  élevé,  pour  qu'en  aucun  point  ses  défenseurs  ne  soient 
exposés  à  être  dominés  par  Tennemi^  s*il  est  absolument 
impossible  d'éviter  cet  inconvénient,  des  mesures  défensives 
spéciales  en  atténueront  le  désavantage.  C'est  pour  cela  qu'au 
premier  étage  des  remparts,  on  ménage  fréquemment  des  ga- 
leries couvertes  et  voûtées  où  les  combattants  trouveront  un 


1.  Par  exemple,  à  Lemsa,  &  Tébessa.  Les  plans  de  toutes  les  citadelles 
byzantines,  auxquelles  nous  renvoyons  dans  ces  notes,  se  trouvent  repro- 
duits au  cours  du  volume.  Une  table  des  matières  spéciale,  classée  par  or- 
dre alphabétique,  indique  les  pages  où  sont  placés  les  plans  et  dessins  rela- 
tifs à  chacune  de  ces  forteresses. 

2.  Anon.,  XII,  4. 

3.  Aed  ,p,  223,  227,235. 

4.  Par  exemple,  à  Timgad,  au  Bellezma,  etc. 
5.'i4ed.,  p.  212,  225,  304. 


130  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

abri  \  C'est  pour  cela  que,  sur  la  terrasse  crénelée  qui  cou- 
ronne la  muraille,  on  élève  parfois  une  loilure  légère  qui  pro- 
tégera les  hommes  contre  les  flèches  de  Tennemi  *  ;  c'est  pour 
cela  qu'entre  les  créneaux,  on  dispose  des  blindages  formés  de 
pièces  de  toile  ou  de  laine,  ou  même  des  matelas  tendus  le 
long  du  mur';  c'est  pour  cela  encore  qu'en  avant  du  rempart, 
à  une  distance  de  deux  coudées  (0°*,92),  on  installe  des  filets 
aux  mailles  très  serrées,  où  s'amortira  le  jet  des  pierres'. 

Sur  tout  le  pourtour  sup<^rieur  du  rempart  court  un  chemin 
de  ronde  assez  large.  Tantôt  il  est  porté  sur  des  contreforts 


Kig.  3.  —  Aïii-Hedja.  Forteresse  byzanliue.  Tour  de  laDgle  sud-ouest  (coupe) 
et  escalier  de  la  courtine  ouest.  (Dessin  de  M.  £.  Sadoux.) 

intérieurs  épaulant  la  courtine,  et  reliés  entre  eux  par  des  ar- 
cades ou  des  linteaux^;  tantôt  une  partie  de  sa  largeur  est 
prise  en  encorbellement,  et  soutenu  sur  de  forts  corbeaux  qui 
débordent  le  parement  intérieur,  il  forme  comme  une  sorte  de 
balcon  surplombant  la  muraille^;  tantôt  il  couronne  tout  sim- 


1.  Aed.,p.  212,256,  301,  304. 

2.  /d.,  p.  232. 

3.  Anon..  XUI,  18,2!. 

4.  /(/.,  XUI,  26. 

5.  Exemple  h  Haïdra,  Mdaourouch. 

6.  Exemple  à  Tébessa. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFEN9IF  DANS  L'AFRIQUE  HYZANTINE  151 

plement  la  courtine  et  a  la  même  largeur  qu'elle*.  Pavé  de 
grandes  dalles  plates  posées  sur  le  sommet  de  la  muraille,  il 
est  bordé,  vers  le  dedans  delà  citadelle,  d'une  assise  de  pier- 
res de  taille  haute  de  0"',50;  vers  Textérieur,  il  est  couvert  par 
un  parapet  crénelé,  ayant  même  épaisseur  que  le  parement 
extérieur  du  rempart  et  dont  les  créneaux  mesurent  1",50  de 
hauteur'.  En  certains  endroits,  le  chemin  de  ronde  est  coupé 
par  des  marches  ayant  même  largeur  que  lui,  et  destinées, 
lorsque  la  déclivité  du  sol  est  très  prononcée,  à  racheter  les  dif- 


Echelle   d^^    o ,  o  c  >    p .  m  . 


Pig.  4.  _  Mdaourouch.  Forteresse  byzantiDe.  Tour  de  Tangle  sud-eï^l. 

férences  de  niveau*.  Ce  chemin  de  ronde  fait  tout  le  tour  de 
l'enceinte,  assurant  les  communications  entre  les  tours  qui 
flanquent  les  courtines  et  qui  généralement  y  prennent  accès 
par  une  ou  plusieurs  portes.  On  monte  au  chemin  de  ronde 
par  des  escaliers  accolés,  sur  différents  points  de  Tenceinte,  à 
la  face  intérieure  de  la  muraille,  et  appuyés  sur  une  arcade 


1.  Exemple  à  Tehoursouk,  Leuipa. 

2.  Exemple  à  Lemsa. 

3.  Exemple  à  Haîdra.  Tébessa. 


152 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


OU  sur  un  fort  massif  de  maçonnerie*;  parfois  pourtant,  on  ne 
trouve  aucune  trace  de  dispositions  de  cette  sorte,  et  c'est  par 
les  escaliers  intérieurs  des  tours  qu'on  gagne  le  chemin  de 
ronde*. 

A  Textérieur  du  rempart,  de  distance  en  distance,  mais  assez 


Fig.  5.  —  Ksar  Bagai.  Tour  de  l'angle  nord. 

rapprochées  Tune  de  l'autre  pour  couvrir  utilement  la  courtine 
intermédiaire',  des  tours,  généralement  assez  saillantes,  flan- 
quent la  muraille,  La  forme  en  est  très  variable  :  le  traité  de 
la  Tac/iywe  demande  qu'elles  soient  hexagonales  à  l'extérieur 
et  circulaires  au  dedans*;  en  fait,   les   unes  sont  rondes  % 

i .  Exemple  à  Haïdra,  Tébessa,  Aïn-Hedja. 

2.  Exemple  à  Mdaourouch. 

3.  Aed.,  p.  224-22iî. 

4.  Anon.,  XU,  2. 

5.  Exemple  à  Haïdra,  Thelepte,  Bagai,  Guessès  (Gsell  et  Graillot,  Buines^rO' 
maines  au  nord  de  fAurès,  p.  Ii9->i20]. 


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154  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

d'autres  hexagonales  ou  octogonales';  parfois  mémo,  com- 
mencées sur  un  plan  carré,  elles  s'achèvent  en  une  construc- 
tion circulaire*;  le  plus  habituellement,  elles  sont  carrées 
tout  simplement.  Leurs  dimensions  varient  à  Tinfini  :  en 
général  pourtant,  les  tours  qui^ couvrent  les  angles  extrêmes 
de  la  forteresse  sont  de  proportions  plus  considérables.  Par 
une  anomalie  assez  singulière, mais  presque  constante,  Tépais- 
seur  de  leurs  murailles  est  moindre  que  celle  des  courtines  : 
elle  varie  entre  i",25,  i",70  ou  i",80  ;  presque  jamais  elle  ne 


Echelle  cie  o,oos  p  naître 
»   ■■ — I  I 

Pig.  7.  —  Bordj-llullal.  Forterehse  byzaotiue.  Plan  d'uue  tour  de  l'enceinte 
(Dessin  de  M.  Sadoux.) 


dépasse  2  mètres;  quant  à  la  hauteur^  elle  atteint,  là.  où  il  est 
possible  de  la  vérifier  avec  exactitude,  de  14"*, 50  à  16  ou 
17  mètres'.  D'habitude,  ces  tours  s'ouvrent  sur  Tin  té  rieur  de 
la  forteresse^  par  une  poterne  assez  étroite  ménagée  au  rez- 
de-chaussée*.  Elles  ont  d'ordinaire  deux  ou  même  trois 
étages'  :  en  bas,  il  y  a  une  salle  carrée,  faiblement  éclairée 

1.  Exemple  àTigisis. 

2.  Àed.,  p.  2i2.  Exemple  à  Theleptp. 

3 .  Exemple  à  Lemsa,  Tébessa. 

4.  Exemple  à  Timgad,  Lemsa. 

5.  Exemple  à  L^mi^a,  Tébe8sa,Mdaourouch,  Aïu-Tounga.  Cf.  Antiochi^  (Rey, 
Archii,  militaire  des  Croisés,  p.  188-i89)  ;  Nicée  (Texier,  Asie  Httiet/re;  I,  pi.  iO). 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  LAFIUQUE  BYZANTINE  15r, 

par  de  rares  meurtrières,  el  voûtée  soit  en  berceau,  soit  en 
voûte  d'arête,  soit  parfois  même  en  coupole*;  au  niveau  du 
chemin  de  ronde,  el  prenant  accès  sur  lui  par  une  porte  par- 
ticulière, se  trouve  le  premier  étage,  dont  le  plancher  reposait 
sur  des  corbeaux  accrochés  aux  faces  latérales,  ou  sur  quatre 


fig.  8.  —  Bordj-Hallal.  Coupe  de  la  tour  suivant  EF. 
(Dessin  et  restitution  de  M.  Sadoux.) 

solives  profondément  engagées  dans  des  trous  ménagés  à  cet 
effet*.  Une  fenêtre  assez  large,  ouvrant  sur  l'intérieur  de  la 
citadelle,  et  souvent  surmontée  d'un  arc  de  décharge  soigneu- 

1.  Exemple  à  Tébessa,  Bordj-Hallal,  Timgad. 

2.  Exemple  à  Tébessa,  Lemsa,    Aïu-Touuga,  Teboursouk  (Saladin,  Il  [Rap- 
port  de  1893],  p.  445). 


156         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

sèment  appareillé,  éclaire  d'habitude  cette  salle*.  Pour  la 
couvrir,  il  y  avait  soit  une  voûte,  soit  plus  fréquemment  un 
plafond  soutenu  de  la  même  manière  que  le  plancher,  et  for- 
mant une  plate-forme  où  Ton  accédait  par  un  escalier  inté- 
rieur". La  tour  était  couronnée  par  une  terrasse  crénelée. 
Très  souvent,  pour  permettre  aux  défenseurs  de  faire  une 
plus  longue  résistance,  on  s*appliquait  à  isoler  chaque  tour  de 
ses  voisines,  à  la  transformer  en  une  sorte  de  donjon,  ce  que 
Procope  appelle  un  luupYoxacnsXXov  *.  A  cet  effet,  au  lieu  de 
mettre  les  tours  en  communication  avec  le  chemin  de  ronde. 


■■//■■/■/  vZ,r>- 


Fig.  9.  —  Teboursouk.  Enceinte  byzantine.  Archère  dans  une  tour. 
(Detsin  de  M.  Saladin.) 

on  ferme  soigneusement  toute  issue  sur  les  courtines  ;  chaque 
tour  a  son  entrée  spéciale,  qu'on  défend  et  dissimule  le 
plus  soigneusement  possible ,  ses  escaliers  intérieurs  reliant 
les  différents  étages^;  de  cette  sorte,  même  si  Teonemi  est 
parvenu  à  franchir  les  remparts,  chaque  tour  isolée  continue 


i.  Exemple  à  Tébessa,  Aïn-Tounga. 

2.  Exemple  à  Tébessa,  Lemsa. 

3.  Atd,,  p.  225,  256,  304. 

4.  \d,,  p.  298. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSÏF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  157 

à  offrir  ua  abri  à  ses  défenseurs.  D'autres  fois,  mais  plus 
rarement,  les  tours  sont  sans  communication  avec  Tintérieur 
de  la  citadelle'  :  dans  ce  cas,  si  l'ennemi  pénètre  dans  le  châ- 
teau en  forçant  une  porte  ou  surprenant  une  poterne,  les  dé- 
fenseurs, groupés  sur  le  chemin  de  ronde,  peuvent  continuer 


y.-..r   ?  -y  f   f  y   !>  f  ^  ..^ 


Fig.  10.  —  Béja.  Eaceiate  DyzaQtiue.  —  Tour  maitreaae  de  la  casba. 

la  défense  sans  avoir  à  se  préoccuper  de  protéger  les  escaliers 
des  tours;  au  reste,  lorsque  les  tours  s'ouvrent  sur  la  cour 


1.  Exemple  à  Tlingad. 


iaK  HISTOIHE  DE  LA|Û0M1NAT10N  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  la  forteresse,  la  salle  du  rez-de-chaussée  demeure  d'ordi- 
naire sans  communication  avec  celle  de  l'étage*. 

Enfin  il  n'est  point  rare  que  les  villes  fortes  byzantines  aient 
une  ou  plusieurs  maltresses  tours,  de  dimensions  plus  consi- 
dérables et  d'une  résistance  plus  puissante,  destinées  à  offrir 
aux  défenseurs  un  suprême  refuge'.  C'est  ainsi  qu'on  trouvait 

0 


I       i 


7  Mètres 


Fig.  11.  —  K*^v  bcliezma.  Porte  du  front  ouest. 

à  Dara  un  donjon  que  Ton  appelait  la  tour  de  garde*;  de 
même,  il  y  avait  à  Nicée/a  tour  du  centenier  et  à  Édesse  la  tour 
des  Perses*.  Ces  tours  étaient  fortifiées  avec  un  soin  tout  par- 
ticulier :  leurs  murailles,  beaucoup  plus  épaisses  que  d'ordi. 

1.  Exemple  à  Lemsa,  AÎD-TouDga,  Timgad. 

2.  Aed.,  p.  212-213;  Rey,  /.  c,  p.  13-14. 
3    Aed.,  p.  2<3. 

4.  T'^xier  ci  Popplewell  Pullan,  Archit.  hj/zantine^  p.  55. 


Les  principes  du  système  DëFëNSIF  DAiNS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  159 

naire,  avaient  2  mètres,  2'»,30,  jusquà  2™,60  de  largeur; 
leurs  faces  extérieures  mesuraient  42  ou  15  mètres,  quelque- 
fois davantage  encore  ^  Presque  toujours  elles  occupaient  un 
point  par  liculièrehnent  important  de  Tenceinte,  tantôt  couvrant 
un  saillant  spécialement  exposé  à  Tattaque,  plus  souvent  do- 
minant, de  Tendroit  le  plus  élevé  et  le  plus  fort  de  la  citadelle^ 
toute  rétendue  de  la  place  étalée  à  leurs  pieds.  Quelquefois 
encore  ces  tours  s*élevaient  isolées  à  l'intérieur  de  la  forte- 


EcKeMe    3.e    o^ooS  p.  m. 


o 

Fig.  12. 


"J 


â      2  i. 

-  AïQ-TouQga.  Forteresse  byzantine.  Porte  du  front  sud. 


resse  :  placées  à  quelque  distance  en  arrière  du  rempart 
qu'elles  dépassaient^  elles  formaient  alors  tout  à  la  fois  une 
tour  de  guet  et  un  poste  de  refuge  pour  les  défenseurs*. 

Sur  les  différentes  faces  de  l'enceinte,  un  certain  nombre 
de  portes  et  de  poternes  donnaient  entrée  dans  le  château.  On 
attachait  une  importance  toute  particulière  à  fortement  pro- 
téger ces  issues,  qui  constituaient  naturellement  le  point  vul- 

i.  Exemple  À  Thelepte,  Tigisis,  Béja,  Tifech,  Guesaès  (/.  c). 
2.  Exemple  à  Laribus. 


160  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

nérable  de  toute  ville  forte.  D'habitude,  les  portes  s'ouvraient 
donc  entre  deux  tours  très  proches  l'une  de  Taulre  qui  en 
couvraient  Taccës'.  C'était  le  parti  le  plus  simple;  mais  il  ne 
semblait  pas  toujours  suffisant  :  alors  on  s'ingéniait  à  ima- 
giner mille  moyens  pour  compliquer  la  défense.  Tantôt,  dans 
la  face  latérale  d'une  des  tours  de  Tenceinte,  on  perçait  une 


Fig.  13.  —  Aïn-Toanga.  Porte  ouest  de  la  tour  du  front  sud. 
(Dessin  de  M.  Saladin.) 

porte  sur  Textérieur,  commandée  à  la  fois  par  la  tour  et  par 
la  courtine  voisine;  puis,  du  réduit  intérieur  de  la  tour,  une 
seconde  porte,  placée  à  angle  droit  avec  la  première^  con- 
duisait dans  la  citadelle,  resserrée  encore  à  son  débouché  et 
comme  étranglée  entre  deux  puissants  contreforts  *.  Tantôt 

1.  Aed.,  p.  296.  Exemple  à  Tébessa,  Tigisis. 

2.  Exemple  au  Beilezma,  Aïu-Touoga. 


LES  PRINOPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  161 

les  deux  porles  se  trouvaient  disposées  dans  un  même  axe  ; 
mais  sur  les  côtés  de  la  petite  cour  qui  les  séparait,  des  cou- 
loirs dérobés,  ménagés  dans  l'épaisseur  de  la  muraille,  per- 
mettaient d'assaillir  sur  les  flancs  les  ennemis  retenus  entre 
les  deux  porles,  et  criblés  en  même  temps  de  flèches  par  les 
soldats  postés  sur  les  courtines  :  peut-être  même  pouvait-on 
par  ce  moyen  tenter  de  couper  la  retraite  aux  assaillants  *.  En 
tout  cas^  on  s'appliquait  toujours  à  placer  les  entrées  de  lacita- 


EcTielle    de    o,oo5  p.  m 


Fjg.  14.  —  Mdaourouch.  Citadelle  byzantine.  Porte  principale. 

délie  sous  l'abri  tout  prochain  de  quelque  tour  voisine;  les 
poternes  elles-mêmes  ne  sont  jamais  dépourvues  de  cette  pro- 
tection*. Enfin  on  faisait  les  portes  très  étroites  :  les  poternes 
ont  généralement  un  mètre  tout  au  plus  d'ouverture^;  les 
portes  principales  ne  dépassent  guère  une  largeur  de  trois 
mètres*,  et  souvent  elles  ont  beaucoup  moins  (2™, 25,  ^",25)^ 


1.  Ëx.  :  Timgad,  Mdaouroucb. 

2.  Ex.  :  Sétif,  Haîdra,  Mdaourouch,  etc. 

3.  Ex.  :  Timgad,  Mdaourouch,  Sétif,  Guelma. 

4.  Ex.  :  Aîn-Tounga. 

5.  Ex.  :  Tiragad»  Bclleznia. 


162         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

De  lourds  battants,  épais  de  O'^ySS  et  assujettis  par  une  forte 


barre  transversale  poussée  dans  des  glissières,  fermaient  la 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFËNSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZAiV/lNE   163 

baie  de  Farcade^  et  garantissaient  la  sécurité  de  la  forteresse. 
Quelquefois  on  tâchait  même  de  dissimuler  les  portes  aux  vues 
de  Tennemi  *. 

Enfin,  dans  un  certain  nombre  de  villes  fortes,  et  d'ordi- 
naire sur  le  point  le  plus  élevé  de  la  place,  s'élevait  un  réduit 
fortifié,  véritable  citadelle  qui  pouvait,  la  ville  prise,  offrir 
aux  défenseurs  une  dernière  retraite  '.  Comme  Tenceinte,  ce 
réduit  était  sur  ses  différents  fronts  flanqué  de  tours  carrées  ; 
parfois  il  était  encore  renforcé  par  une  sorte  de  donjon  inté- 
rieur. Les  murailles  de  cet  ouvrage,  moins  fortes  que  celles 
des  remparts  de  la  cité,  mesuraient  en  général  l'',20  à  l'^^iO 
seulement. 

Hais,  il  ne  suffisait  pas  d'assurer  la  défense  :  il  fallait  en- 
core procurer  kla  citadelle  des  approvisionnements  suffisants, 
soit  en  vivres,  soit  en  eau.  Ce  dernier  point  surtout  était  d'une 
importance  particulière  :  et  l'auteur  de  la  Tactique  y  insiste 
longuement*.  Il  faut  que  chaque  citadelle  ait  son  alimentation 
d'eau,  que  cette  eau  soit  de  bonne  qualité  et  en  quantité  suf- 
fisante pour  fournir  aux  besoins  de  la  garnison  et  des  popula- 
tions réfugiées  dans  la  ville  ;  il  faut,  autant  que  possible,  que 
la  source  se  trouve  dans  l'intérieur  même  de  la  place;  tout  au 
moins  en  doit-elle  être  assez  proche  pour  qu'en  cas  de  siège 
on  puisse  s'y  approvisionner  sans  difficulté.  Si,  sur  le  point 
qu'on  veut  occuper,  on  ne  réussit  à  découvrir  aucune  source  S 
on  amènera  par  un  aqueduc  l'eau  d'une  montagne  voisine  *  ; 
s'il  y  a  un  fleuve  dans  le  voisinage,  on  y  embranchera  un  canal 
de  dérivation*;  mais  surtout  on  s'appliquera  à  construire  de 
vastes  citernes  où  s'accumulera  et  se  conservera  l'eau  de 
pluie*.  Tantôt  ces  réservoirs  sont  établis  entre  le  mur  d'en- 

1.  Ex.  :  Mdaouroach. 

2.  Aed.j  p.  296. 

3.  Ex.  :  Bagai,  Laribud,  Djeioula,  Guessës  (Gseli  etGralllot,  L  c,  p.  119-120). 

4.  Adoo.,  X,  2;cf.  IX,  8. 

5.  A9d.,  p.  223-224. 

6.  Id,y  p.  225. 

7.  Jd.,  p.  2U. 

8.  Id,,  p.  2U,  236,  239,  269,  271. 


164         HISTOIRE  DE  Lk  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

ceinte  et  le  TcporeCxtqjLaS  plus  souvent  dans  Tintérieur  même  de 
la  place  :  parfois  mème^  chaque  tour  a  une  citerne  particulière, 
qui  donnera  en  toute  circonstance  Teau  nécessaire  aux  défen- 
seurs*. Enfin,  dans  les  villes  importantes,  on  installait  des 
magasins  considérables  destinés  à  assurer  le  ravitaillement 
des  postes  de  la  région  '. 

Il  faut  se  figurer  en  outre  Tinlérieur  de  ces  forteresses 
rempli  de  constructions  de  toute  sorte,  bâtiments  pour  loger 
la  garnison,  écuries  pour  les  chevaux,  magasins  pour  les  vi- 
vres, meules  et  pressoirs  pour  l'emploi  des  récoltes  faites  dans 
le  pays  même;  souvent  aussi  on  y  rencontrait  une  église*. 
Quand  la  citadelle  était  plus  considérable,  une  véritable  ville, 
avec  des  rues  et  des  places,  se  construisait  au  dedans  de  l'en- 
ceinte '  :  malheureusement  la  plupart  de  ces  édifices  ont  à  peu 
près  complètement  disparu. 

Tel  est,  dans  ses  traits  généraux,  le  système  de  la  fortifica- 
tion byzantine  au  vi*  siècle,  tel  qu'il  apparaît,  non  seulement 
en  Afrique,  mais  encore  dans  certaines  citadelles  importantes 
de  rOrient  grec.  Parmi  elles,  l'enceinte  d'Antioche  était,  il  y 
a  encore  peu  d'années,  une  des  plus  remarquables,  avec  ses 
hautes  murailles  crénelées,  escaladant  les  pentes  de  la  mon- 
tagne, ses  puissantes  tours  carrées  à  trois  étages  de  défense, 
son  chemin  de  ronde  établi  sur  arcades,  son  énorme  donjon 
pentagonal,  et  le  réduit  fortifié,  flanqué  de  massives  tourelles, 
qui  se  dressait  tout  au  haut  de  la  ville  sur  un  rocher  presque 
inaccessible  *.  Dara%Nicée*,  Anazarbe*  n'offrent  pas  de  moins 
curieux  spécimens  de  Tart  militaire  byzantin  du  vi<  siècle.  A 


1.  Aed.,  p.  2t4. 

2.  Id.,  p.  239. 

3.  /d.,  p.  271,  302. 

4.  Ex.  :  Haîdra.  Cf.  Saladia,  l  (Rapport  de  1887),  p.  174-175. 

5.  Ex.  :  Tbelepte. 

6.  Rey,  /.  c,  p.  185-193  et  pi.  81.  Cf.  Âed,,  p.  238-241. 

7.  Texier,  Arcfdl.  byz,,  p.  53-55. 

8.  Texier,  ArchiL  byz,,  p.  23  :  Asie  Mineure,  1,  p.  39-43. 

9.  Tezier,  Archil,  àyz.,  p.  19-20  ;  Schlumberger,  Nicéphore  Phocas,  p.  197- 
198. 


♦  .  V       \. 


Vue  resliluée  de  la  cUadelle  byzantine  t 


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I 


166 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Taide  de  ces  monuments,  il  est  facile  de  reconstituer,  sous  leur 
véritable  aspect,  quelques-unes  des  citadelles  si  bien  décrites 


[Fig.  17.   —  Antioche.  Portion   de  Tenceinte  byzaotiDe. 
(D'après  le  dessinlde  Cassas  et  la  planche  de  Rey.) 

par  Procope*  :  et  cette  étude  a  d'autant  plus  d'importance  que, 

1.  Cr.  la  restitutioQ  de  Haîdra  proposée'par  M.  Saladin  (pi.  II). 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSÏF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  167 

suivant  une  observation  fort  exacte,  «  beaucoup  des  disposi- 
tions employées  par  les  Byzantins  dans  leurs  travaux  de  forti- 
fications forment  une  transition  entre  les  méthodes  antiques 
et  celles  du  moyen  âge*.  » 


III 

Comment  furetit  appliqués  dans  f  Afrique  byzantine  les  prin- 
cipes généraux  de  la  défense  et  de  la  construction. 

II  faut  voir  maintenant  de  quelle  façon  ces  principes  de  la 
construction  militaire  byzantine  trouvèrent  en  Afrique  leur 
application. 

Les  Vandales,  on  le  sait^  avaient,  par  mesure  de  prudence, 
rasé  les  fortifications  de  presque  toutes  les  villes  africaines  ; 
si  bien  que,  sauf  Carthage,  Hippone  et  quelques  rares  cités, 
dont  les  murailles  mal  entretenues  tombaient  d'ailleurs  à  peu 
près  en  ruine^  sur  toute  l'étendue  du  territoire  il  ne  restait 
pas  une  citadelle*.  Une  tâche  immense  s^imposait  donc  aux 
généraux  de  l'empereur.  L'Afrique  était  librement  ouverte 
aux  Berbères  :  il  fallait  à  n'importe  quel  prix  arrêter  leurs 
courses  et  les  empêcher  de  dévaster  le  pays  byzantin  '.  Mais 
dès  les  premières  campagnes,  avait  apparu  l'impossibilité  d'ob- 
tenir par  quelques  victoires  la  soumission  des  indigènes  : 
contre  ces  ennemis  insaisissables  et  toujours  renaissants,  les 
plus  glorieux  succès,  les  leçons  les  plus  sévères  demeuraient 
sans  longue  efficace  ;  si  l'on  voulait  sérieusement  mettre  un 
terme  aux  incursions  des  tribus,  il  fallait  en  revenir  au  sys- 
tème défensif  jadis  pratiqué  par  Rome^  et  contenir  les  Ber- 
bères sur  les  frontières  par  une  solide  chaîne  de  forteresses. 
Aussi,  dès  le  début  de  l'occupation,  Justinicn  s'était  empressé 

i.  Rech.  des  Anliquilés  en  Afrique^  p.  159. 

2.  BelL  Vand,,  p.  333,  403  ;  Aed.  p.  338,  340. 

3.  Cod.  Juêi.,  I,  27,  2,  4  b. 


168  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  reconstituer  les  antiques /tmtV^'5  romains^;  il  avait  ordonné 
à  ses  généraux  de  réoccuper  et  de  remettre  en  état  tous  les 
ouvrages  de  défense,  villes  fortes,  camps  retranchés,  châteaux 
et  clisures  échelonnés  jadis  le  long  du  /tm^s  africain*.  Mais  ce 
réseau  trop  lâche  laissait  encore  trop  de  portes  ouvertes  à 
Taudacieuse  attaque  des  indigènes  :  bientôt  on  s'aperçut  que, 
pour  assurer  la  pleine  tranquillité  du  pays  pacifié,  pour  orga- 
niser réellement,  derrière  l'abri  de  la  frontière,  ces  «  felicia 
régna  »  dont  parle  Corippus',  il  fallait  faire  quelque  chose  de 
plus.  On  multiplia  donc,  comme  sur  les  autres  confins  de 
Tempire,  les  lignes  de  forteresses  ;  on  organisa  des  places  de 
refuge  prèles,  en  cas  d'invasion,  à  recueillir  les  populations  ; 
on  surveilla  les  routes,  on  ferma  les  passages  ;  comme  le  dit 
avec  son  amplification  poétique  Tauteur  de  la  Johannide,  on 
couvrit  de  retranchements  les  montagnes,  les  bois,  les  fleuves, 
les  clairières,  on  barra  en  les  occupant  les  gorges  et  les  défi- 
lés*. De  cette  sorte  on  espérait  que  les  Berbères,  rejetés  au 
désert,  incapables  de  chercher  comme  jadis  leur  subsistance 
dans  les  plaines  fertiles  de  l'Afrique,  seraient  bientôt  réduits 
à  la  famine  et  obligés  de  faire  leur  soumission  ou  de  chercher 
une  nouvelle  patrie*.  Surtout  on  comptait  que  Tarmée  byzan- 
tine, peu  nombreuse  et  peu  solide,  rendrait  de  meilleurs  et 
plus  utiles  services,  ainsi  répartie  en  petites  garnisons  dans 
une  multitude  de  forteresses,  qu'aventurée  tout  entière  sur 
un  même  point  en  une  bataille  rangée.  On  se  décida  donc  à  cou- 
vrir toute  la  province  d*un  réseau  serré  de  citadelles  :  et  en 
quelques  années,  avec  une  rapidité  prodigieuse,  on  mena  à 
bien  cette  œuvre  gigantesque,  à  laquelle  demeure  attaché  pour 
toujours  le  nom  du  patrice  Solomon. 

Dès  son  premier  gouvernement,  Solomon  avait  entrepris 
cette  tâche  colossale  de  faire  à  l'Afrique  byzantine  une  cein- 

i.  Cod.  JusL,  1,  27,  2,  5,  8.  10,  17. 

2.  M.,  4,  8,  14. 

3.  JoA.,Vl,  39. 

4.  /d.,  VI,  40-43. 

5.  Id.,  VI,  44-48. 


X 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  169 

tnre  de  forteresses  :  plusieurs  places,  celles  en  particulier  de 
la  Numidie  septentrionale,  datent  de  cet  époque.  Les  événe- 
ments de  536  arrêtèrent  Tœuvre  de  la  défense  comme  ils 
entravaient  celle  de  la  pacification  ;  mais  lorsque,  en  539,  le 
patrice  revint  administrer  la  province,  l'un  des  premiers  soins 
de  son  infatigable  activité  fut  d'achever  la  construction  du 
système  défensif.  «  Solomon,  dit  Procope,  entoura  chaque 
cité  de  remparts  »';  et  ailleurs  Thistorien  parle  des  sommes 
considérables  qu'il  dépensa  pour  «  environner  de  murailles 
beaucoup  de  villes  africaines  )>^  D'après  un  autre  écrivain, 
Justinien,  c'est-à-dire  son  lieutenant,  ne  reconstruisit  pas 
moins  de  150  villes  africaines^;  et  non  content  de  remettre 
en  état  les  ouvrages  ruinés  par  les  Vandales,  il  éleva  un  grand 
nombre  de  forteresses  nouvelles*.  Et  en  effet,  les  inscriptions, 
les  textes,  les  monuments  s'accordent  à  attester  la  grandeur  de 
l'œuvre  entreprise.  En  Tripolitaine,  Leptis  Magna  et  Sabrata 
virent  relever  leur  enceinte  fortifiée';  toute  la  côte  de  Byza- 
cène  se  couvrit  de  citadelles  ;  lunca^,  Hadrumète^  furent 
entourées  de  murailles,  et  au  promontoire  de  Caput  Yada,  où 
jadis  avait  débarqué  Bélisaire,  une  ville  forte  s'éleva  sous  le 
nom  de  Justinianopolis*.  A  l'intérieur  du  pays,  Gapsa  et  Thé- 
lepte  devinrent  de  puissantes  citadelles  chargées  de  la  garde  de 
lafrontière";  àÂïn-Bou-Dris,  une  redoute  protégeala  province 
du  côté  de  la  Numidie  ^^;  plus  loin,  le  château  d'Ammaedera 
barra  la  grande  et  importante  route  qui  mène  de  Théveste  à 
Carthage".  En  arrière  de  cette  première  ligne,  les  forteresses 


1.  Bell.  Vand,,  p.  493. 

2.  /rf.,  p.  501. 

3.  Evagrius,  IV,  18. 

4.  Aed,y  p.  339. 

5.  Id.y  p.  335,  336,  337. 

6.  Joh.,  VII,  395. 

I,  Aed.,  p.  340  ;  Bell.  Vand.,  p.  510-511. 

8.  Aed,,  p.  341-342;  Tiasot,  II,  p.  181. 

9.  C.  /.  I.,  VIIÏ,  101,  102;  Aed.,  p.  342;  Cod.  JusL,  I,  27,  2,  1  a. 

10.  C.  /.  /..,Vni,2095,  add. 

II.  Aed.,  p.  342. 


170  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  Sufes  et  de  Chusira  défendirent  les  approches  du  massif 
montagneux  qui  couvre  le  centre  de  la  Tunisie',  et  la  place 
de  Laribus  ferma  aux  nomades  du  sud  Taccès  des  plaines  de 
la  Medjerda*.  D'autres  villes  encore,  Mamma,  Kouloulis,  con- 
tribuèrent à  protéger  les  frontières  de  la  Byzacène*.  Dans  la 
Proconsulaire,  Garthage  vit  réparer  ses  murailles  :  un  fossé 
profond  compléta  du  côté  de  la  terre  Tœuvre  de  la  défense*  ; 
vers  la  mer,  le  couvent  fortifié  du  Mandrakion  couvrit  les 
approches  du  port  et  forma  une  inexpugnable  forteresse*. 
Dans  la  vallée  du  Bagradas,  Vaga  fut  entourée  de  remparts*; 
et  tout  autour  d'elle,  à  Henchir-Negachia',  à  Tucca",  Solo- 
mon  éleva  des  redoutes  ;  à  Bordj-IIallal,  une  grande  forteresse 
ferma  du  côté  de  Touest  Taccès  des  riches  plaines  de  Bulla 
Regia*,  et  Sicca  Yeneria  couvrit  le  point  où  se  rencontrent  les 
roules  de  Théveste  et  de  Cirta*®.  La  Numidie  également  se 
hérissa  de  citadelles  :  au  pied  du  plateau  des  Nemenchas,  le 
long  des  pentes  septentrionales  des  massifs  de  TAurès,  les 
villes  ravagées  par  les  Maures  et  trouvées  désertes  par  les 
Byzantins  furent  transformées  en  places  fortes**:  Théveste**, 
Bagai,Thamugadi*^,Lamfoua*^  fermèrent  aux  nomades  Taccès 
des  hauts  plateaux,  et  deux  forts  installés  sur  les  premiers  som- 
mets de  la  montagne  surveillèrent  au  loin  le  pays*\  Derrière 


i.  C.  /.  /-.,  Vni,  259»  700. 

2.  Joh,,  VIÏ,  143-146;  BeU.  Vand.^  p.  508;  Proc  ,  Aed.  (pans.  înéJil  d'uu  ma. 
du  Vatican,  communiqué  par  M.  Haury. 

3.  Aed.,  p.  3V2. 

4.  W.,  p.  339. 

5.  W.,  p.  339;  Bell.  Vand,,  p.  521. 

6.  Aed.,  p.  339-340;  C.  /.  L.,  VIII,  14399. 

7.  C.  /./..,  VIII,  14439. 

8.  Aed  ,  p.  340. 

9.  C.  /.  L.,  1259, 14547. 

10.  Aed.  (pasB.  ioédit). 

11.  Aed.,  p.  342-343. 

12.  C.  1.  L.,  VIII,  1863,  1864. 

13.  Aed.  (pass.  inédit). 

14.  Ibid. 

15.  Aed.,  p.  343  et  pas»,  inédit* 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIK  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  171 

cette  première  ligne,  dans  le  nord  de  la  province,  Tagoura^ 
Madaure%  Gadiaufala^  Tigisis*,  Galama*,  Constantine*, 
MiIeu^  formèrent  une  seconde  barrière  protégeant  la  région 
du  Tell  ;  tandis  que  sur  la  côte,  le  castellum  de  Fossala  s'éle- 
vait aux  environs  d'Hippone  ^  Dans  le  Hodna,  Zabi  Justiniana, 
relevée  de  ses  ruines,  devint  une  forte  place  de  guerre'  ;  dans 
la  Sitifienne,  SitiGs  couvrit  du  côté  de  Touest  la  frontière  du 
pays  byzantin^®.  Et  au  delà  même  des  provinces  entièrement 
soumises,  tout  le  long  des  rivages  d'Afrique  et  jusqu'aux 
Colonnes  d'Hercule,  des  citadelles  s'échelonnèrent.  C'étaient 
Césarée  dans  la  Maurétanie  Césarienne ^S  et  en  face  de  l'Espa- 
gne, aux  limites  mêmes  de  la  domination  impériale,  le  redou* 
table  chftteau  de  Septum  que  Justinien,  dit  Procope,  rendit 
c<  imprenable  au  monde  entier  »^^.  Et  je  ne  parle  ici,  il  faut 
le  remarquer,  que  des  forteresses  dont  un  texte  ou  une  ins- 
cription nous  fournit  la  date  d'une  manière  irréfutable  :  mais 
combien  d'autres  citadelles  éparses  sur  le  sol  d'Afrique  appar- 
tiennent incontestablement  à  cette  grande  œuvre  de  restau- 
ration !  Ce  sont  tantôt  des  places  de  premier  ordre,  comme 
Tubunae,  le  château  du  Bellezma,  le  fort  de  Ras-el-Oued  ou 
Zarai  ;  ce  sont  surtout  des  redoutes  innombrables,  reliant  les 
grandes  cités  entre  elles,  barrant  les  vallées  et  les  défilés. 
Pour  la  plupart  de  ces  monuments,  une  simple  comparaison 
suffit  à  fixer  l'époque  où  ils  furent  construits  :  ils  appartien- 
nent au  même  système,  ils  s'inspirent  des  mêmes  principes 
que  les  places  sûrement  datées  par  un  témoignage  certain;  et 

1.  C.  /.  L.,  VIII,  46851. 

2.  Ihid.,  Vni,  4677. 

3.  Ibid.,  4799. 

4.  Aed.  (pas»,  inédit). 

5.  C.  /.  L.^Vni,  5352,  5353;  Aed,  (pass.  ÎDédit). 

6.  Cod.  JusL,  I,  27,  2,  1  a. 
1,  Aed.  (pass.  inédit). 

8.  Ibid. 

9.  C.  /.  L.,  VIII,  8805. 

10.  C.  /.  I.,  Vni,  8483;  Aed.  (pass.  inédit). 
H.  Cod,  Just,,  l,  27,  2,  1  a. 

13.  Aed..  p.  343. 


172  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATON  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

les  données  archéologiques  s'ajoutent  ici  aux  informations  de 
rhisloire  pour  prouver  la  grandeur  de  Tœuvre  réalisée  par 
Solomon. 

Et  si  Ton  songe  au  petit  nombre  d'années  qui  suffirent  à 
élever  ces  ouvrages,  à  la  rapidité  prodigieuse  qu'il  fallut  ap* 
porter  au  travail,  on  admirera  encore  davantage  l'énergique 
activité  du  général  byzantin.  On  a  compté  que,  pour  construire 
la  seule  enceinte  de  Théveste,  il  n'a  pas  fallu  moins  de 
335^800  journées  d'ouvrier,  et  que  pour  parvenir  en  deux  ans 
à  terminer  la  forteresse,  on  a  dû  journellement  employer  800 
à  850  travailleurs  '  ;  et  si  Ton  considère  que  des  citadelles  sem- 
blables se  bâtissaient  au  même  moment  sur  toute  la  surface  de 
l'Afrique,  on  voit  quelle  prodigieuse  dépense  d*efforts,  d'hom- 
mes et  d'argent  a  exigée  cette  colossale  entreprise.  Ce  n'est  pas 
tout.  «  Lorsque,  dit  un  juge  compétent,  on  examine  avec 
attention  le  réseau  des  forteresses  byzantines,  on  s'aperçoit 
que  le  choix  des  positions  a  eu  lieu  en  général  avec  beaucoup 
de  soins  et  qu'un  coup  d'œil  remarquable  a  présidé  à  l'ensem- 
ble de  cette  opération,  dont  le  but  évident  était  de  dominer  le 
pays  avec  le  moins  de  troupes  possible.  Si  en  outre  on  se  rend 
compte  des  efforts  qu'il  a  fallu  faire,  des  difficultés  qu'il  a 
fallu  vaincre,  pour  construire  en  un  temps  si  court  des  établis- 
sements si  considérables  et  si  multipliés,  appuyé  sur  une 
armée  très  faible,  dans  un  pays  incomplètement  soumis  et 
grand  comme  la  France,  on  est  obligé  de  reconnaître,  non 
seulement  que  Solomon  élait  un  stratégisle  habile,  mais 
que  les  ingénieurs  et  lieutenants  chargés  de  le  seconder 
avaient  une  vigueur  d'exécution  incontestable  et  une  connais- 
sance approfondie  de  l'art  de  la  guerre*.  » 

Pourtant  on  chercherait  à  tort,  dans  les  citadelles  de  l'Afri- 
que, l'application  intégrale  des  principes  de  la  fortification 
byzantine.  Les  circonstances  particulières  dans  lesquelles 
Solomon   dut  accomplir  son  œuvre  ne   permettaient  point 

1.  Moll,  Rec.  de  ConsL,  1860,  p.  206-207. 

2.  ItU,  p.  208-209. 


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174  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

d'employer  le  système  complet  et  assez  compliqué  que  Justi- 
nien  avait  pratiqué  dans  les  grandes  forteresses  de  TOrient  ;  et 
par  surcroît,  la  qualité  des  adversaires  auxquels  ces  châteaux 
devaient  faire  résistance  n'exigeait  point  de  telles  précautions. 
D'une  part,  contre  des  ennemis  fort  inexpérimentés  dans  Tart 
des  sièges',  des  moyens  de  défense  simplifiés  pouvaient  être 
adoptés  sans  péril  ;  d'autre  part,  la  nécessité  pressante  de  cou- 
vrir de  forteresses  le  plus  promptement  possible  un  pays 
récemment  conquis  et  qu'on  sentait  fort  menacé,  interdisait 
les  longues  recherches  et  les  travaux  trop  soigneusement  con- 
duits. On  a  donc  tiré  parti,  et  sans  scrupule,  de  tout  ce  qui 
pouvait  accélérer  la  besogne  proposée  :  on  a  voulu  faire  vite, 
et  on  s'en  aperçoit  du  reste  en  étudiant  les  détails  des  citadel- 
les africaines.  Au  lieu  de  prendre  la  peine  de  demander  aux 
carrières  les  matériaux  dont  ils  avaient  besoin,  les  construc- 
teurs byzantins  «  ont  puisé  dans  les  ruines  des  cités  qu'ils 
rencontraient,  sans  distinguer  entre  les  différentes  pierres  qui 
leur  tombaient  sous  la  main,  empruntant  aux  forums  leurs 
bases  honorifiques,  avec  les  statues  qui  s'y  élevaient,  aux 
temples  leurs  architraves,  leurs  colonnes,  leurs  inscriptions 
votives,  aux  cimetières  leurs  tombes*.  »  Souvent  ils  ont  fait 
mieux  encore:  pour  se  procurer  rapidement  les  matériaux 
nécessaires  à  certaines  portions  particulièrement  difficiles  de 
la  construction,  ils  ont  démoli  sans  hésiter  les  édifices  encore 
debout,  démontant  par  exemple,  vousaoir  par  voussoir^  les 
portes  ou  les  arcades  de  ces  monuments  pour  les  transporter 
dans  leurs  forteresses'.  D'ailleurs  Tusage  et  même  Ift  loi  auto- 
risaient ces  pratiques^:  et  Ton  a  vu  Fauteur  de  la  Tactique 
recommander  comme  un  endroit  spécialement  désigné  pour  la 
construction  d'un  château,  celui  où  se  rencontrenten  abondance 
des  pierres  déjà  toutes  taillées^  Aussi  n'est-il  point,  en  Afrique, 

1.  Bell.  Vand.,  p.  508. 

2.  Gagnât,  Titngad,  p.  xi. 

3.  Saladio,  11,  p.  532-533,  543,  544-545. 

4.  Nov.  120,  1. 

5.  Adoo.,  X,  3. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIP  DANS  L  AFRIQUE  BYZANTINE  175 

une  seule  construction  militaire  byzantine  qui  n'offre  abon- 
damment la  preuve  de  ces  méthodes  hâtives.  A  Sétif,  à  Tim- 
gad,  à  Tébessa,  à  Haïdra,  à  Mdaourouch,  à  Aïn-Tounga,  partout 


Fig.  19.  —  Alo-TouQga,  citadelle  byzaolioe.  Tour  de  Taogle  sud-est. 
(D'après  une  photographie  communiquée  par  M.  Gauckler.) 

enfin,  les  fragments  d'inscriptions,  les  architraves  moulurées, 
les  débris  de  corniches,  les  colonnes  et  les  chapiteaux,  les 


ne         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

sarcophages  et  les  morceaux  de  sculpture,  sont  entassés  pêle- 
mèle  dans  les  murailles,  et  parfois  même  noyés  dans  la 
maçonnerie  de  blocage  ;  les  blocs  taillés  en  bossage  se  mêlent 
aux  pierres  demeurées  lisses  et  tous  ces  matériaux  antiques, 
souvent  d*une  qualité  excellente,  sont  accumulés  les  uns  sur  les 
autres  dans  le  désordre  le  plus  complet.  Indifféremment  les 
blocs  sont  placés  de  champ  ou  en  délit  :  entre  les  pierres  de 
dimensions  énormes,  de  tout  petits  matériaux  s'intercalent. 


Fig.  20.  —  Teboursouk.  —  Appareil  du  mur  byzantin. 

Souvent  les  assises  sont  irrégulièrement  disposées  et  la  diffé- 
rence de  niveau  est  simplement  rachetée  par  des  lits  de  mortier 
plus  ou  moins  épais  ;  souvent  les  joints  sont  faits  grossière- 
ment :  plus  fréquemment  encore  des  disparates  singuliers 
apparaissent.  Tandis  que  le  bas  de  la  muraille  est  assez 
soigneusement  construit,  dans  les  parties  supérieures  l'appa- 
reil s'altère  et  se  gâte;  alors  que  le  parement  extérieur  du  mur 
est  régulièrement  disposé,  le  revêlement  intérieur  des  cour- 
tines et  des  tours  est  d'un  travail  beaucoup  moins  attentif. 


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LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIE  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  HT 

Sans  doute  les  parties  de  Tenceinte  plus  exposées  aux  attaques 


sont  formées  de  beaux  matériaux  ;  mais  là  où  lé  terrain  sem- 

L  12 


178  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  At^RlQUE 

ble  assurer  une  défense  naturelle  suffisante,  le  mur  prend 
aussitôt  une  apparence  plus  médiocre  :  des  pierres  de  petit 
échantillon  remplacent  les  grandes  pierres  de  taille,  une  sim- 
ple maçonnerie  de  blocage  se  substitue  au  revêtement  inté- 
rieur*. D'autres  fois,  pour  économiser  les  pierres  de  belle 
qualité,  on  emploie  pour  construire  la  muraille,  au  moins 
dans  ses  parties  plus  élevées,  a  un  système  de  chaînage  et  de 


Fig.  22.  —  Teboursouk.  Porte  antique  murée  dans  l'eoceiDte  byzanUoe. 
(Dessin  de  M.  Saladin.) 

harpes  eu  grands  matériaux  avec  remplissage  de  moellons*.  » 
Enfin,  dans  certains  monuments  la  brique  apparaît  concurrem- 
ment avec  la  pierre  soit  pour  former  les  arcades  qui  portent 
le  chemin  de  ronde*,  soit  pour  construire  les  voûtes  en  cou- 


l.Ex.  :  Tifech. 

2.  Ex.  :  Teboursouk,  AÏQ-Hedja,  Tifach. 

3.  Ex.  :  Bladaure. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÊFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  179 

pôle  qui  couvrent  le  rez-de-chaussée  des  tours*,  soit  même 
pour  édifier  les  créneaux  qui  couronnent  les  courtines'. 

Mais  où  ce  désir  de  faire  vite  apparaît  plus  manifestement 
encore,  c'est  dans  Temploi  qu'ont  fait  les  Byzantins  des  édifices 
antiques  demeurés  debout'.  Partout  où  un  monument  de 
l'époque  romaine  s'était  conservé  à  peu  près  intact,  on  s'est 
appliqué  à  le  comprendre  dans  Tenceinle  de  la  citadelle»  pour 


Eclielle  ie  0,002  p. m. 

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20 


Fig.  23.  —  Henchir-Sidi-Amara.  Monument  antique  transformé 
en  redoute  byzantine. 


renforcer  la  défense  et  éviter  la  construction  de  quelques 
mètres  de  rempart.  C'est  ainsi  qu'à  ThévesteTarc  de  triomphe 
de  Caracalla  est  devenu  l'un  des  bastions  de  la  citadelle,  et 
en  même  temps  Tune  de  ses  portes,  par  la  fermeture  de  ses 
ouvertures  latérales  et  le  rétrécissement  de  son  arceau  sep- 
tentrional ;  c'est  ainsi  qu'à  Galama  le  désir  d'appuyer  le  rem- 


i.  Ex.  :  Timgad. 

2.  Ex.  :  Lemsa. 

3.  Cf.  Aed.,  p.  291. 


180  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

part  au  puissant  bâtiment  des  thermes,  dont  la  masse  pouvait 
fournir  un  sérieux  renfort  à  la  défense,  a  déterminé  sur  le 
front  sud  de  la  place  la  direction  de  la  fortification.  A  Haïdra, 
à  Tangle  nord-est  de  la  citadelle,  les  murs  de  la  grande  basi- 
lique ont  été  partiellement  enclavés  dans  l'enceinte  S*  à  Ha- 
daure,  les  murs  ruinés  d'un  édifice  demi-circulaire  ont  servi  à 
asseoir  une  partie  des  remparts,  et  ainsi  donné  au  plan  de  ce 


Pig.  24.  —  Zana.  Arc  de  triomphe  transformé  en  redoute  byzantine. 

ch&teau  un  aspect  assez  particulier  ;  à  Théveste,  une  portion  du 
front  sud-ouest  est  établie  sur  les  substructions  d'une  construc- 
tion romaine,  probablement  sur  le  mur  de  scène  d'un  théâtre, 
et  on  voit  encore  engagés  dans  la  muraille,  d'énormes  tam- 
bours de  colonnes  qui  débordent  le  parement  intérieur.  Parfois 
même  un  bâtiment  romain  tout  entier  a  été  transformé  en 


1.  Saladin,  I,  p.  175. 


Fig.  25. —  Plan  du  temple  de  Dougga  formant  réduit  de  l'eDceinte  byzantine. 
(Dessio  de  M.  Saladio.) 


^82  RfôTOtflfi-DfrbAr  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

citadelle;  la  redoute  de  Henchir-Sidi-Amaraa  pour  noyau  un 
grand  édifice  antique,  devenu  une  sorte  de  donjon  qu'entou- 
rent les  murailles  byzantines  :  et  de  même  que,  dans  la  Rome 
du  moyen-âge,  les  arcs  de  triomphe  de  Titus  et  de  Constantin 
sont  devenus  des  forteresses  sous  la  main  des  Frangipani, 
ainsi  dans  l'Afrique  byzantine  les  monuments  de  celte  sorte 
se  transforment  en  fortins  avancés  protégeant  les  grandes 
citadelles.  L'arc  de  triomphe  de  Diana  Yeteranorum,  prolongé 
de  chaque  côté  par  une  courte  muraille,  devient  l'un  des  côtés 
d'un  réduit  carré  ;  et  pour  donner  à  cette  redoute  une  entrée 
facile  à  défendre,  on  a  muré  les  deux  faces  latérales  et  rétréci 
fortement  laprincipale  ouverture.  L'arc  de  triomphe  de  Haîdra, 
enveloppé  d'une  gaine  en  pierres  de  taille,  est  devenu  une 
sorte  de  donjon,  auquel  les  avant-corps  qui  accostent  Tarcade 
forment  quatre  bastions;  et  ainsi  modifié,  le  monument  occupe 
le  centre  d'une  petite  forteresse.  De  même  qu'à  Olympie,  le 
temple  de  Zeus  a  été  transformé  en  redoute,  ainsi  à  Sbeitia 
le  péribole  des  temples  devient  sous  la  main  des  Byzantins  une 
puissante  citadelle,  et  partout  il  en  va  de  mème^  A  plus  forte 
raison,  s'il  subsiste  quelque  part  les  restes  d'une  construction 
militaire  plus  ancienne,  on  en  tire  parti  dans  l'établissement 
du  nouvel  ouvrage.  Une  portion  de  l'enceinte  de  Calama  n'est 
autre  chose  qu'un  débris  de  la  forteresse  romaine,  soigneuse- 
ment conservée  et  réparée*. 

Il  devient  dès  lors  plus  facile  de  comprendre  la  merveilleuse 
rapidité  apportée  à  la  construction  de  si  nombreux  ouvrages. 
Si,  en  outre,  on  examine  les  plans  adoptés  dans  beaucoup  de 
ces  monuments,  on  y  retrouvera  les  mêmes  partis  pris  de  sim- 
plification, destinés  à  hâter  le  travail.  A  la  seule  exception  de 
Carthage',  aucune  place  forte  ne  parait  avoir  été  pourvue  de 

1.  Exemples  à  Zano,  SbéiUa,  Maktar,  Sidi-Amara.  Cf.,  à  Bir-el-Ueusch,  uo 
temple  transformé  en  forteresse  {Bull.  Ant,  afr,^  1885,  p.  92)  ;  à  Aphrodisium 
(Gagnât,  Arch,  des  Missions,  XI,  p.  14-16)  ;  à  Rusuccurru  {Revue  Afr.,  1891, 
p.  11-12);  à  Doagga  (Saladio,  II,  p.  450,  et  Carton,  Découvertes  archéologiques 
et  épigraphigues  faites  en  Tunisie^  p.  153). 

2.  Havoisié,  Explor.  de  V Afrique,  H,  p.  27;  cf.  ibid.,  p.  20. 

3.  Aed  ,  p.  339. 


GUELMA 

(CALAMA) 

CITADELLE    BYZANTINE 


Fig.  26.  —  Guelma.  Citadelle  byzantiue.  (D'après  le  plaa  de  Ra?oi8ié.} 


184  HISrOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

fossés;  de  xpoTeC^taixa,  on  ne  rencontre  nulle  trace.  Quant  aux 
toiirs^  le  nombre  en  est  singulièrement  réduit  dans  beaucoup 
de  ces  citadelles.  Sans  doule,  aux  endroits  particulièrement 
menacés,  on  les  accumule  en  aussi  grande  quantité  que  dans 
les  places  de  l'Orient  byzantin,  et  Ton  constate  en  quelques 
endroits  de  fort  belles  études  de  flanquement^  Mais  partout 
où  les  dispositions  du  terrain  ont  paru  suffire  à  assurer  la 
sécurité  de  la  ville,  les  tours  sont  rares  et  espacées*.  Même 
dans  des  places  fort  importantes,  telles  que  Thélepte,  Tha- 
mugadi,  Tubunae  ou  le  château  du  Bellezma,  les  tours  sont 
souvent  distantes  de  plus  de  50  mètres;  un  type  très  fré- 
quemment employé  dans  les  ca^/e/Za  d'Afrique  présente  quatre 
tours  seulement  flanquant  les  quatre  angles  d'un  carré  '  ;  enfin, 
la  plupart  des  fortins  de  moindre  importance  sont  de  simples 
réduits  rectangulaires,  qu'aucune  tour  absolument  ne  vient 
protéger. 

D'autre  part,  dans  beaucoup  de  villes  on  s'est  attaché  à  des- 
sein à  réduire  l'étendue  de  Tenceinte,  afin  qu'une  moindre 
garnison  pût  suffire  à  en  assurer  la  défense.  A  cet  égard,  Jus- 
tinien  avait  donné  des  ordres  formels  à  ses  lieutenants  :  «  Si 
Votre  Grandeur,  mandait-il  dès  534  à  Bélisaire,  constate  que 
certaines  villes  ou  châteaux  du  limes  sont  d'une  étendue  trop 
considérable,  et  pour  cette  raison  difficile  à  garder  efficacement, 
elle  fera  en  sorte  de  les  faire  reconstruire  de  manière  à  ce  qu'un 
petit  nombre  d'hommes  suffise  à  les  protéger^.  »  Dans  toutes 
ses  constructions  militaires,  constamment  l'empereur  avait  ap- 
pliqué ce  principe  :  partout  où  les  remparts  d'une  ville  lui  sem- 
blaient trop  étendus  pour  la  défense,  partout  où  de  grands 
espaces  vides,  réservés  inutilement  au  dedans  des  murailles, 
risquaient  de  compromettre  la  sécurité  de  la  cité  par  les  facili- 
tés qu'ils  offraient  à  une  surprise,  résolument  il  avait  restreint 


1.  Ex.  :  Tigisis. 

2.  Ex.  :  Tifech,  Tigisis. 

3.  Cf.  Atd„  p.  266. 

4.  Çod.  Just.,  I,  27,  2,  14. 


LESPRINaPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  185 

les  dimensions  de  la  forteresse  \  Il  avait  agi  ainsi  à  Ântioche,  à 
Césarée  de  Gappadoce',  ailleurs  encore;  il  fit  de  même  en 
Afrique.  Procope  l'indique  expressément  pour  Leptis  Magna'; 
les  monuments  montrent  que  la  même  règle  fut  suivie  en  hien 
d'autres  endroits  :  à  Thélepte,  à  Théveste,  à  Bagai,  à  Guelma, 
àTeboursouk,  beaucoup  d'édifîces  furent  laissés  en  dehors  de 
Tenceinte  de  la  nouvelle  ville  fortifiée.  Dans  la  plupart  des 
cités  on  se  contenta  de  moins  encore  :  à  Ammaedera,  à  Tha- 
mugadi,  à  Madaure,  à  Tubunae^  à  Sétif,  à  Thignica,  une  cita- 
delle plus  ou  moins  grande  s'éleva  au  centre  ou  à  côté  de  la 
ville,  et  servit  tout  ensemble  à  la  protéger  et  à  offrir  un  refuge 
à  ses  habitants. 


IV 

Des  divers  types  de  constructions  militaires  africaities. 

Pour  tous  ces  motifs,  une  grande  variété  de  dispositions 
apparaît  dans  les  citadelles  africaines.  Les  textes  y  distinguent 
plusieurs  sortes  de  constructions  militaires,  les  villes  fortifiées 
(civitates),  les  camps  retranchés  (castra)y  les  grandes  forteresses 
{castella)^  les  redoutes  de  moindre  importance  [burgi)^  les 
murs  de  barrage  {clisuraey.  L'étude  des  monuments  confirme 
pleinement  cette  classification  :  ils  se  ramènent  en  effet  à  cinq 
catégories  principales,  dont  quelques  exemples  particuliers, 
choisis  dans  chaque  série  parmi  les  édifices  les  mieux  conser- 
vés, suffiront  à  donner  une  idée  exacte'. 

1.  Aed.,  p.  236,  290. 

2.  Id.,  p.  238,  316,  317. 

3.  Id.y  p.  335,  336. 

4.  Cod.  JusL,  I,  27,  2,  4,  8,  14,  15;  C.  /.  £.,  vm,  4799.  Sur  les  mots  castel- 
lum  et  bvargusy  CagDat,  Armée  romaine,  p.  674. 

5.  Cf.  Rech.  des  anliquilés,  p.  163. 


186  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

lo  On  rencontre  en  premier  lieu  les  villes  fortifiées.  Tébessa 
en  offre  un  fort  intéressant  spécimen,  et  ainsi  qu'on  Ta  juste- 
ment remarqué,  ses  fortifications^  admirablement  conservées, 
«  peuvent  Atre  considérées  comme  nq  véritable  type  de  l'art 
de  l'ingénieur  au  VI*  siècle'».  Selon  la  description  d'un  témoin 
oculaire  *,  elles  forment  «  une  enceinte  rectangulaire  de  320  mè- 
tres de  longueur  sur  280  mètres  de  largeur,  flanquée  par 
quatorze  tours  carrées  et  percée  de  trois  portes  qui  sont  placées 


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Fig.  27.  —  TébesBa.  Enceinte  de  la  ?ille  byiantine. 
(D*aprè8  le  plan  de  Moll.) 

sur  les  trois  faces  sud,  est  et  nord .  Cette  dernière  est  formée  par 
l'arceau  nord  de  Tare  de  triomphe  de  Caracalla,  qui  lui-même 
est  devenu  une  des  quatorze  tours  de  flanquement.  Les  murs 
de  Tenceinte  ont  une  épaisseur  variant  de  l^^ySO  à  2*,20  et  dans 
le  principe  ils  atteignaient  une  hauteur  de  neuf  à  dix  mètres.  A 


1.  Moll,   Aec.  de  Consl.,  i860,  p.  204. 

2.  ld,f  p.  204-205|  que  je  complète  et  corrige  snr  quelques  points.  Cf.  Diehl, 
Rapport,  p.  42-47. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  HYZANTINE  187 

sept  OU  huitmèf  res  environ  au-dessus  du  sol  régnait  un  chemin 
de  ronde  crénelé  qui  faisait  le  tour  de  la  place.  Il  était  destiné 


Fig.  28.  —  Tébessa.  PortioD  de  l'enceiote  byzantine,  face  intérieure. 

à  recevoir  les  défenseurs  et  à  faire  communiquer  les  tours 
eutre  elles  ;Vine  partie  de  sa  largeur  était  prise  en  encorbelle- 
ment, et  en  Certains  endroits  il  élait  coupé  par  des  marches 


188  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

destinées  à  racheter  les  différences  de  niveau.  On  y  arrivait 
au  moyen  de  trois  escaliers  placés  chacun  à  côté  d'une  des 
portes.  Toutes  ces  maçonneries  sont  en  pierres  de  taille  posées 
par  assises  réglées  et  tirées  des  ruines  de  l'ancienne  ville. 
Celle  des  tours  est  dans  un  état  de  conservation  remarquable, 
et  il  est  facile  de  voir  que  Tingénieur  a  mis  beaucoup  de  soin 
à  leur  construction.  Trois  ou  quatre  assises  seulement  de  la 
partie  supérieure  sont  tombées  en  quelques  endroits,  et  on  peut 
constater  sur  place  que  la  hauteur  de  ces  tours  atteignait  16  ou 
17  mètres.  Elles  étaient  divisées  en  rez-de-chaussée  et  en 
étage,  séparés  Tun  de  l'autre  par  une  solide  voûte  d'arèle  éga- 
lement en  pierres  de  taille.  Le  rez-de-chaussée  s'ouvrait  par 
une  porte  rectangulaire  couverte  d'un  fort  linteau  et  formait 
une  haute  pièce  carrée,  faiblement  éclairée  par  une  meurtrière 
assez  large,  ménagée  sur  la  face  intérieure.  L'entrée  de  l'étage 
était  de  plain  pied  avec  le  chemin  de  ronde.  Une  salle  carrée 
Toccupait,  recevant  le  jour  par  une  large  fenêtre  ouverte  au- 
dessus  de  la  porte  et  par  d'étroites  archères  percées  sur  les 
autres  faces  de  la  tour»  Pour  recouvrir  Tétage,  il  y  avait  une 
deuxième  voûte  — plus  souvent  un  simple  plancher,  soutenu 
sur  quatre  forts  piliers  d'angle  —  formant  une  plate-forme  qui 
était  reliée  au  chemin  de  ronde  par  un  escalier  adossé  contre 
la  face  intérieure  de  la  tour.  Des  deux  côtés  de  chaque  tour,  à 
l'angle  formé  par  les  flancs  avec  les  murs  de  courtine  et  à 
hauteur  du  chemin  de  ronde,  existait  une  petite  guérite  en  pierre 
de  taille  destinée  à  recevoir  une  sentinelle.  Ces  guérites  étaient 
munies  de  deux  créneaux,  l'un  surveillant  dans  sa  hauteur  et 
sa  longueur  la  partie  de  courtine  adjacente,  l'autre  ayant  vue 
en  avant  sur  la  campagne.  L'épaisseur  de  la  muraille  des  tours 
est  variable  :  sur  leur  face  extérieure  elle  mesure  en  général 
l^^SO  à  1",80;  sur  la  face  intérieure  elle  atteint  2",10.  » 

Dans  l'intérieur  de  la  ville  se  trouvaient  enfermés  un  cer- 
tain nombre  des  édifices  de  l'antique  Théveste.  C'était  le  (em- 
ple  élégamment  décoré  et  environné  de  portiques,  que  l'on 
appelle  aujourd'hui  temple  de  Minerve  ;  c'était  le  forum  dé  la 
ville  romaine,  un  autre  temple  fort  important  et  d'une  cons- 


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Fig.  29.  —  Thélepte.  Eneeiute  de  la  Tille  byzautiae. 


190  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Iruclion  particuliëremeat  soignée^  sans  doute  d'autres  b&ti- 
ments  encore,  aujourd'hui  disparus  sous  les  maisons  de  la  ville 
arabe.  En  dehors  de  Tenceinte  avaient  été  laissés  Tamphi- 
théàtre^  les  thermes,  une  grande  partie  de  la  ville;  toutefois, 
au  nord  des  remparts,  la  belle  basilique  chrétienne,  avec  le 
couvent  qui  Tenvironnait,  avait  été  transformée  en  une  for- 
teresse qui  couvrait  de  ce  côté  les  approches  de  la  place. 

D'autres  villes  fortes  de  Tépoque  byzantine  montrent  plus 
clairement  encore  certaines  dispositions  adoptées  dans  cette 
catégorie  de  constructions.  Dans  les  ruines,  si  cruellement  ra- 
vagées, mais  si  grandioses  encore  de  Thélepte  \  on  reconnaît 
fort  nettement,  à  l'intérieur  de  l'enceinte  fortifiée,  les  trois 
grandes  rues,  larges  de  4^^,80  à  5'",50,  qui  la  parcouraient  du 
sud  au  nord,  et  les  cinq  ou  six  voies  transversales  qui  la  sil- 
lonnaient de  Test  à  l'ouest;  on  remarque,  presque  au  centre 
de  la  ville,  à  Tentrecroisement  de  deux  larges  rues,  une  place 
assez  grande,  où  se  dressent  les  ruines  d'un  bâtiment  précédé 
d'une  colonnade  ;  et  partout,  le  long  des  trottoirs  qui  bordent 
les  avenues,  on  voit  encore  l'alignement  des  maisons  particu- 
lières et  les  restes  des  édifices  publics.  Dans  la  partie  septen- 
trionale de  la  ville,  appuyé  au  mur  du  front  nord,  c'est,  occu- 
pant tout  rilot  compris  entre  deux  longues  rues,  un  vaste 
bâtiment  rectangulaire,  bordé  à  l'intérieur  d'une  double  rangée 
de  colonnes;  dans  l'angle  sud-ouest,  c'est  un  bel  édifice,  long 
de  43  mètres,  large  de  16  mètres,  adossé,  lui  aussi,  aux  mu- 
railles de  l'enceinte;  des  rangées  de  colonnades  de  marbre, 
aux  cannelures  enroulées  en  spirale,  décoraient  ce  monument  ; 
des  pavés  en  mosaïque,  des  placages  de  marbre  multicolore 
en  rehaussaient  la  splendeur,  et  des  restes  de  sculpture,  pa- 
raissant provenir  d'un  ciborium,  montrent  qu'il  y  avait  là 
sans  doute  une  grande  église  chrétienne.  Assurément,  en  de- 
hors de  l'enceinte  fortifiée,  bien  des  édifices  s'élevaient  dans 
l'antique  Thélepte  :  tout  autour  des  remparts,  ce  sont,  dans 
toutes  les  directions,  des  ruines  de  temples,  de  thermes,  de 

1.  Voir  Diehl,  Rapport,  p.  53-58. 


192  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

basiliques.  Mais  les  dimensions  considérables  de  la  forteresse 
—  350  mètres  de  longueur  sur  150  mètres  de  large  —  empê- 
chent à  elles  seules  d'y  voir  une  simple  citadelle  '  :  et  il  faut 


Echelle  de  0.001  p4iD. 

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Fig.  31.  —  Rsar-Bagai.  Enceinte  de  la  Wlle  byzantine. 


assurément  reconnaître  ici  un  exemple  particulièrement  inté- 
ressant de  ces  villes  réduites  par  ordre  de  Justinien. 
Béja ',  avec  les  vingt-deux  tours  qui  flanquent  l'hexagone  irré- 

i.  Rech,  des  antiguiUs,  p.  163.  Cf.  Bull,  du  Comité,  1885,  p.  131-149;  1888, 
p.  177-193. 
2.  Voir  Diehl,  Bappwt,  p.  130-136. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFËNSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  193 

gulier  de  ses  murailles,  Tigisis avec  ses  dix-sept  tours  déformes 
si  variées  et  si  curieuses  ^ ,  Guelma  avec  les  treize  tours  qui,  sui- 
vant les  termes  d'une  inscription  placée  dans  la  muraille,  ren- 
daient inexpugnable  rétablissementdupatriceSolomon  ',  mais 
surtout  Bagai,  avec  ses  vingt-cinq  tours  et  l'énorme  développe- 


Echelle  de  o.ooi  p   mèlrc 


Fig.  32.  —  Rsar  Bagai.  Réduit  de  la  citadelle  byzaotine. 

ment —  l,172mètres — de  sa  vaste  enceinte  offriraient  des  types 
non  moinsremarquablesdelaville  fortifiée  byzantine.  Je  noterai 
seulement  la  disposition  si  intéressante  qui,  à  Bagai  comme  à 
Djeloula,  renforce  par  un  réduit  intérieur  les  moyens  de  défense 
de  la  ville.  Adossée  au  front  nord-ouest  de  Tenceinte,  une 
véritable  citadelle  s'élève,  dominant  toute  la  cité,  sur  le  point 
le  plus  escarpé  de  la  colline  :  suivant  le  type  ordinaire  des 


i.  Diehl,  ilnd,,  p.  72-78. 

2.  C.  /.  L.,  Vni,5352.  Cf  Diehl,  Rapport,  p.  8C-90. 
I. 


13 


194 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


châteaux  forts  d\\frique,  elle  forme  ud  rectangle  mesuraat 
74  mètres  environ  sur  63,  flanqué  à  ses  angles  de  tours  qua- 
drangulaires,  et  défendu  sur  le  milieu  de  chaque  courtine,  à 
Texception  du  front  commun  avec  Tenceinte,  par  une  autre 
tour  carrée.  A  rinliérieur  même  de  cette  forteresse,  une  der- 
nière construction  se  dresse  :  c'est  une  sorte  de  donjon  ap- 
puyé aux  courtines  extérieures.  Il  mesure  26  mètres  environ 
de  côté,  ses  murailles  ont  1",15  d'épaisseur  et  deux  tourelles 
flanquent  ses  angles  vers  Test  et  vers  le  sud  \  Ce  sont  là,  dans 
la  ville  forte  de  Bagai,  si  curieuse  d'ailleurs,  des  construc- 


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Fig.  33.  —  Haïdra.  Plan  général  (d'après  le  levé  de  M.  Saladin). 

tions  tout  à  fait  dignes  d'altenlion  :  elles  montrent  quels 
efl'orts furent  faits  pour  assurer,  même  après  la  prise  des  villes, 
une  dernière  retraite  à  la  garnison,  et  un  suprême  moyen  de 
résistance;  elles  ofl'rent  un  type  assez  rare  de  ces  maltresses 
tours  byzantines,  de  ces  ::jpYox.iffTeXXa,  comme  dit  Procope,  que 
les  Grecs  construisaient  volontiers  au  point  le  plus  élevé  de 
leurs  enceintes  fortifiées  ^ 

2"*  A  côté  de  la  ville  forte,  on  rencontre  une  autre  catégorie 


1.  Cf.  Diehi,  Rapporl,  p.  :?2-40. 

2.  A  ce  type  appartienneal  eu  Afrique  :  Thélepte,  Théveste,  Bagai.  Vaga, 
Thuburaicum  Bure,  Laribus,  Tigisis,  CaiamafC.  LL.,  VIII,  5352  :  urbs),  DJe- 
loala  (Kouloulis?;,  Mamnia,  Tagoora  (C.  /.  L.,  VIII,  16854  :  it6Xic}>  Goessès. 


Fig.  34.  —  Haïdra.  Plan  de  la  citadelle  byzaatiae. 
(D'après  M.  Saladin.) 


196  HISTOIRE  D£  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  monuments.  C'est  le  castellum,  la  citadelle  défendant  une 
ville  ouverte.  Les  exemples  en  abondent  en  Afrique  :  c'est 
Tobna  et  Timgad,  c'est  Sélif  et  Mdaourouch,  c'est  Tifech  et 
Sbiba;  c'est  surtout  la  puissante  forteresse  de  flaïdra,  si  bien 
conservée  et  si  pittoresque,  et  assurément  un  des  types  les 
plus  remarquables  de  ce  genre  de  construction.  «  Elle  occupe, 
dit  M.  Saladin,  qui  l'a  étudiée  en  grand  détail',  le  versant 
méridional  d'une  petite  colline,  et  a  la  forme  d'un  quadrilatère 
irrégulier  dont  les  faces  est  et  ouest  sont  brisées.  La  grande 
dimension  du  nord  au  sud  est  à  peu  près  de  200  mètres  de 
long,  celle  de  Test  à  l'ouest  de  110  environ.  Le  front  septen- 
trional a  été  refait  complètement,  à  une  époque  récente»  par 
les  Tunisiens...  Le  front  oriental,  construit  avec  soin,  se  com- 
pose de  deux  tours  carrées  (les  hauteurs  d'étage  sont  distinctes 
dans  la  seconde,  couverte  en  voûte  d'arête);  une  de  ces  tours 
se  trouve  formée  en  partie  par  l'angle  de  la  basilique  romaine 
qui  est  au  nord  de  la  citadelle.  Viennent  ensuite  des  contre- 
forts intérieurs  épaulant  la  courtine,  et  une  porte  :  ces  contre- 
forts sont  reliés  entre  eux  ou  par  des  linteaux,  ou  par  des  arcs 
et  supportent  le  chemin  de  ronde,  visible  encore  en  certains 
endroits.  Comme  la  déclivité  du  sol  est  très  prononcée,  les 
differences.de  niveau  sont  rachetées  par  des  marches  de  la 
largeur  du  chemin  de  ronde.  Suivant  le  mur,  nous  trouvons 
une  poterne  murée,  puis  nous  arrivons  à  une  tour  circulaire 
presque  dégagée  du  mur.  Cette  tour  a  deux  étages  indiqués 
par  une  retraite  sur  le  mur^  au  premier  à  l'intérieur.  Nous 
arrivons  ensuite  à  une  porte  et  à  une  large  brèche,  et  enfin  à 
l'angle  sud  de  la  forteresse,  terminée  au  bord  de  la  rivière  par 
une  tour  carrée  dans  laquelle  s'ouvre  une  grande  porte  sur- 
montée d'une  arcade  fermée  par  un  linteau.  Le  remplissage  de 
l'arcade  est  fait  en  pierre  de  grand  appareil.  Devant  cette 
porte  se  trouvait  un  pont  d'une  seule  arche  de  30  mètres  de 
portée,  qui  franchissait  l'oued;  à  ce  pont  complètement  ruiné 
aboutit  une  partie  de  voie  antique,  se  dirigeant  vers  le  sud. 

1.  Saladio,  l,p.  171-175. 


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LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIFDANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  191 

Au-dessus  de  cette  porte,  une  arcade  en  berceau  de  3"»,50  sou- 
tient la  partie  supérieure  delà  tour.  La  courtine  longe  ensuite 


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Toued  sur  une  longueur  d'environ  100  mètres  et  aboutit  à  une 
tour  d'angle,  à  la  partie  supérieure  de  laquelle  on  accède  par 


«98  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

un  escalier  qui  s'appuie  sur  un  assez  fort  massif  et  une  arcade. 
Rendontanl  ensuite  la  colline,  en  suivant  toujours  les  murs, 
nous  rencontrons  successivement,  à  53  mètres,  une  tour  car- 
rée, puis  une  autre  plus  petite  à  57  mètres,  et  60  mètres  plus 
loin,  une  troisième  qui  aboutit  au  bastion  arabe. 

«  Tout  ce  côté  occidental  est  presque  complètement  ruiné  ;  il 
a  été  construit  en  grande  partie  avec  des  matériaux  emprun- 
tés à  des  édifices  d'une  époque  antérieure  ;  on  y  distingue  des 
fragments  nombreux  d'inscriptions  et  de  bases  de  chapiteaux, 
de  corniches  ou  architraves,  ainsi  que  des  tombeaux...  A  l'in- 
térieur de  la  citadelle,  on  distingue  en  maint  endroit  des  traces 
de  murs,  de  voûtes,  de  citernes.  A  la  hauteur  de  la  deuxième 
tour  de  la  courtine  ouest,  on  remarque  une  petite  église  dont 
Tabside  est  en  place.  Cette  abside  était  décorée  de  sept  niches 
circulaires  soutenues  par  des  colonnettes  qui  ont  disparu^ 
ainsi  que  presque  toutes  les  voûtes.  L'abside  est  formée  par 
deux  colonnes  corinthiennes  en  marbre  cipolin  ;  l'une  a  con- 
servé son  chapiteau  de  marbre  blanc.  A  gauche,  une  construc- 
tion, de  6", 30  de  long  sur  2", 80  de  large,  a  conservé  son  pre- 
mier étage,  avec  porte  et  fenêtres  en  place  et  les  corbeaux 
pour  soutenir  les  lambourdes  du  plancher.  L'église  était  formée 
d'une  nef  de  5", 60  de  large  sur  13'',20  de  long,  et  de  deux  bas- 
côtés  de  2",90  de  Inrge  sur  13'",20  de  long.  Cette  église  avait 
probablement  une  couverture  en  charpente.  » 

Tout  autour  de  l'enceinte  fortifiée  s'étendait  la  ville,  avec 
ses  arcs  de  triomphe,  ses  basiliques,  son  théâtre,  ses  quais  sur 
la  rivière,  ses  rues  et  ses  maisons,  avec  ses  nombreuses 
églises  et  son  couvent,  assez  analogue  à  celui  de  Théveste  *. 
Couverte  du  côté  du  sud  par  la  rivière,  dont  la  citadelle  défen- 
dait le  passage,  la  cité  était  en  outre  protégée  par  deux  for- 
tins détachés  :  au  nord-ouest,  une  redoute  carrée  était  établie 
à  quelque  distance  du  fort;  à  Test,  à  cheval  sur  la  route  de 
Théveste  à  Carthage,  un  autre  réduit  carré  enveloppait  le 
grand  arc  de  triomphe  transformé  en  donjon. 

1.  Saladin,  I,  p.  469-171.  Cf.  Diehl,  Rapport,  p.  49-51. 


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200  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFKÎQUE 

Par  rimportance  de  ses  dimensions,  le  castellum  d'Haîdra 
diffère  assez  peu  des  villes  fortifiées  que  nous  signalions  tout 


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Fig.  37.  —  Timgad.  Plan  de  la  forteresse  byzantine. 

à  l'heure,  et  s'en  distingue  uniquement  par  ce  fait  que,  à  part 
son  église,  les  constructions  qu'il  renferme  sont  exclusive- 


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LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  201 

ment   militaires.  En   général,   les  forteresses  chargées  de 


défendre  une  ville  ouverte  ont  de  moindres  proportions  :  le 
château  de  Timgad,  quiest  un  desplus  importants,  mesure  seu- 


204  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  Efi  AFRIQUE 

milieu  des  courtines  est  et  ouest,  et  où  Ton  rencontre  à  Tinté- 
rieur  une  disposition  fort  intéressante.  Le  réduit  carré  qui 
occupe  le  rez-de-chaussée  est  couvert  en  effet  d'une  coupole 
surbaissée  ;  c'est  Tunique  exemple  que  je  connaisse  dans  toutes 
les  citadelles  africaines  d'une  construction  de  cette  sorte.  Le 


Ectello  de  0,002  p.  "m. 
Fig.  41.  —  Mdaourouch.  Pian  de  la  forteresse  byzantine. 

système  de  défense  de  la  porte  principale  n'est  pas  moins 
curieux  :  elle  est  pratiquée  dans  la  puissante  tour  (9", 40  X 
6",35)  qui  occupe  le  milieu  du  front  nord;  et  j'ai  déjà  signalé 
précédemment  les  raffinements  de  toute  espèce  employés 
pour  protéger  ce  point  faible,  les  couloirs  dérobés  circulant 


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LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  205 

dans  l'épaisseur  des  murailles  latérales,  la  double  entrée 
rétrécie  jusqu'à  3°, 50  seulement  d'ouverture,  Tavant-corps 
qui  postérieurement,  mais  sans  doute  encore  à  Tépoque  byzan- 
tine, vint  sur  ce  point  renforcer  la  défense.  Une  disposition 
presque  pareille  se  rencontre  au  castellum  de  Madaure^  assis 
sur  un  mamelon  au  milieu  même  des  édifices  de  Tantique  cité 
romaine  :  ici  encore,  il  faudrait  signaler  bien  des  dispositions 
intéressantes,  et  la  série  des  contreforts  reliés  par  des  arcades 
qui,  comme  à  Haïdra,  portaient  le  chemin  de  ronde»  et  la  belle 
structure  des  deux  tours  d'angle,  si  solides  et  si  puissantes, 
et  l'original  tracé  du  plan,  qui  s'achève  du  côté  du  nord  en  un 
vaste  demi-cercle,  et  tant  de  détails  qui  font  de  cette  forteresse. 
Tune  des  premières  construites  par  Solomon,  un  des  exem- 
plaires les  plus  curieux  du  genre  de  construction  que  nous 
étudions*. 

3«  Les  villes  fortifiées  et  les  citadelles  protégeant  une  cité 
ont  toutes  ce  double  caractère  d'être  à  la  fois  des  établisse- 
ments militaires  et  des  places  de  refuge  ouvertes  à  la  popula- 
tion civile.  Il  n'en  est  plus  ainsi  —  en  général  du  moins  —  des 
châteaux  forts  isolés  occupant  quelque  position  stratégique, 
surveillant  quelque  grande  plaine  ou  commandant  quelque 
importante  vallée.  Exclusivement  destinées  à  la  défense,  uni- 
quement occupées  par  une  garnison  plus  ou  moins  forte,  ces 
constructions  correspondent  fort  exactement  aux  castella  et 
burgi  mentionnés  par  Justinien.  Le  château  de  Lemsa  en 
offre  un  type  particulièrement  bien  conservé.  Ainsi  qu'on  l'a 
justement  observé,  cette  citadelle  est  «  un  des  plus  beaux  et 
des  plus  complets  monuments  »  •  que  la  Tunisie  ait  gardés 
de  l'époque  byzantine.  J'ajoute  que  c'en  est  un  des  plus  pit- 
toresques et  des  plus  intéressants.  Après  tant  de  ruines  oîi  il 
faut  à  grand'peine  retrouver  sur  le  sol  les  débris  épars  des 
édifices,  c'est  une  surprise  véritable  et  charmante  qued'aper- 

1.  Cf.  Diehl,  Rapport,  p.  60-66. 

2.  A  ce  type  appartieDoent  :  Ammaedera,  Madaure,  Thamagadi,  Tubuoae, 
3itiÛ8,'Tipasa,  Thignica/.Sufes,  Henchir-Sidi-Amara  (Aggar  ?). 

3.  Gagnât,  Arch,  des  Missions ^  XLV,  p.  16. 


206  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

cevoir  de  loin,  bien  avant  qu'on  y  soit  parvenu,  les  murailles 


dorées  par  le  soleil  et  les  hautes  tours  crénelées  de  la  forte- 


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LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉ  PENSIF  DANS  L  AFRIQUE  BYZANTINE  207 

resse  qui  domine  la  vallée  de  l'Oued  Mahrouf.  A  mesure  qu'on 
approche,  renchaniement  grandit  :  sans  doute  tout  le  front 
sud-est  de  la  citadelle  est  rasé  jusqu'au  sol  ;  sans  doute  quelques 
brèches  endommagent  partiellement  les  courtines;  l'effet  d'en- 
semble n'en  est  pas  moins  saisissant  :  et  le  soir,  lorsque,  à  la 
flamme  des  grands  feux  allumés  dans  le  campement,  les  rem- 
parts byzantins,  noyés  d'ombre,  s'éclairent  parfois  de  lueurs 
fantastiques,  lorsque,  dans  la  vaste  plaine  déserte,  nul  bruit, 
nulle  présence  importune  ne  réveillent  la  notion  du  temps  un 
moment  abolie,  alors  pour  quelques  instants  le  pa»sé  semble 
revivre,  et  Ton  s'étonne,  entre  les  massifs  créneaux,  de  ne  plus 
voir  scintiller  Tarmure  des  archers,  de  n'entendre  plus  sur  le 
chemin  de  ronde  résonner  le  pas  des  sentinelles,  et  par  la 
porte  ouverte^  de  ne  plus  voir  défiler  le  solide  escadron  des 
cataphractaires  by;santins. 

Le  château  de  Lemsa'  a  la  forme  d'un  rectangle,  flanqué  à 
chaque  coin  par  une  haute  tour  carrée'  :  il  mesure  à  l'intérieur 
28"',85  du  sud  .au  nord,  31"',1S  de  l'est  à  l'ouest.  Ses  mu- 
railles ont  2i»,20  à  2"',25  d'épaisseur;  et  quoique  ici,  comme 
partout,  les  matériaux  aient  été  empruntés  aux  édifices  détruits 
de  l'antique  Limisa,  pourtant  la  construction  est  faite  avec  un 
soin  extrême,  comme  si,  en  cette  région  moins  voisine  des 
frontières,  des  nécessités  moins  pressantes  avaient  permis  un 
travail  moins  hàtif.  Encore  couronnés  de  leur  parapet  crénelé, 
les  remparts  ont  gardé  leur  hauteur  primitive  :  elle  est,  dans 
la  partie  du  château  qui  regarde  la  montagne,  de  S^^^OS  ;  plus 
élevée  du  côté  de  la  plaine,  elle  atteint  10  mètres  :  c'est  qu'en 
effet  la  citadelle  est  assise  sur  une  pente  assez  forte,  et  pour 
racheter  la  différence  des  niveaux,  pour  permettre  d'établir  à 
une  même  hauteur  le  chemin  de  ronde  qui  fait  le  tour  de  l'en- 
ceinte, on  a  notablement  exhaussé  les  portions  basses  de  la 
forteresse  (courtines  sud-est  et  extrémités  adjacentes  des  cour- 
tines sud-ouest  et  nord-est).  Sur  le  dessus  du  rempart,  auquel 
on  accède  par  un  escalierporté  sur  une  voûte  en  berceau,  court 

1.  Voir  Diehl,  Rapport,  p.  105-113. 


208  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

un  chemin  de  ronde  pavé  de  grandes  dalles  plates,  bordé  vers 
riniérieur  d'un  rebord  haut  de  0", 50,  vers  le  dehors  d'un  pa- 
rapet, dont  les  créneaux,  construits  en  briques  encadrées  de 
pierres,  ont  1",50  d'altitude.  Ce  chemin  de  ronde  relie  entre 
elles  les  quatre  tours  d^angle,  dont  chacune  s'ouvre  par  deux 
portes  sur  les  courtines  voisines  :  seule,  la  tour  de  Tangle  sud 


Echelle  cle  0,002  p. mètre 

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Fig.  43.  -r  Lem&a.  Plan  du  château  byzantin. 


est  sans  communication  avec  la  courtine  sud-ouest.  Construites 
suivant  le  même  système  que  les  remparts,  mais  n'ayant  à 
leurs  murailles  qu'une  épaisseur  de  1"',20  à  1",40,  ces  tours 
mesurent  environ  5  mètres  de  côté;  la  tour  du  nord,  un  peu 
plus  forte,  a7»",10  sur  6  mètres.  Toutes  quatre  s'ouvrent,  au 
rez-de-chaussée,  sur  l'intérieur  de  la  forteresse  par  d'étroites 


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Fig.  44.  —  Lemsa.  Château  byzantin.  Tours  des  angles  sud-ouest  et  sud-est. 
(Rez-de-chaussée  et  premier  étage). 


14 


210  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

poternes  de  0",80  à  0"»,90  d'ouverture,  donnant  accès  à  des 
couloirs  resserrés  qui,  aux  tours  de  Touest  et  du  sud,  serpentent 
en  détours  compliqués.  A  Tétage  inférieur,  se  trouve  une  pièce 
quadrangulaire  faiblement  éclairée  par  de  rares  meurtrières, 
et  couverte  par  un  plancher  posé  sur  quatre  solives  engagées 
dans  les  murs  latéraux.  Mais  tandis  que,  dans  les  tours  de 
Fouest  et  du  nord^  le  chemin  de  ronde  se  trouve  à  la  hauteur 
du  premier  étage,  celles  de  Test  et  du  sud  au  contraire,  fon- 
dées à  un  niveau  plus  bas,  ont  deux  étages  superposés  au-des- 
sus du  rez-de-chaussée.  De  ces  pièces,  toutes  éclairées  par 
d'étroites  meurtrières,  un  escalier  de  bois  menait  à  une  plate- 
forme occupant  le  sommet  de  la  tour  et  bordée  d'un  parapet 
crénelé,  haut  de  deux  mètres.  La  hauteur  totale  des  quatre 
tours  est  à  peu  près  identique  :  elle  varie  de  13",S0  à  li^jSO; 
toutefois  les  tours  de  Test  s'élèvent  à  une  moindre  altitude  au- 
dessus  du  chemin  de  ronde.  Sur  la  face  nord-est  du  château 
s'ouvrait,  entre  deux  avant-corps,  une  porte  de  quatre  mètres 
d^ouverture  :  malheureusement  il  est  difficile  d'en  reconnsdtre 
les  dispositions.  Enfin  une  source  abondante,  amenée  de  la 
montagne  voisine,  assurait  aux  défenseurs  une  constante  pro- 
vision d'eau*. 

4*"  Les  castella  construits  sur  le  type  du  château  de  Lemsa 
sont  assez  nombreux  dans  l'Afrique  byzantine  :  leur  rôle  dé- 
fensif  était  complété  par  une  dernière  catégorie  de  construc- 
tions militaires.  Ce  sont  ces  fortins  de  moindre  importance 
qu'on  rencontre  à  chaque  pas,  en  Algérie  et  en  Tunisie,  tan- 
tôt isolés  à  l'issue  de  quelque  défilé,  tantôt,  et  plus  fréquem- 
ment encore,  élevés  à  portée  de  quelque  village  ou  de  quel- 
que établissement  agricole.  La  plupart  de  ces  kasr  sont  bâtis 
sur  le  même  type,  et  ce  type  est  fort  simple  :  c'est  d'ordinaire 
un  réduit  carré  ou  rectangulaire,  ayant  tantôt  40  mètres,  tan- 
tôt 20  mètres,  souvent  40  mètres  seulement  de  côté.  Une  seule 


i.  A  ce  type  appartiennent  :  Lemsa,  le  fort  du  Bellezma,  celui  de  Gastal. 
Agbia,  Henchir-Sguidan,  Ilenchir^Kesreia,  Gadiaufala,  le  fort  de  Ras  el-Oued 
(Tharaalla). 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÈFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  2U 

porte  donne  accès  dans  Tenceinte;  aucune  tour  ne  flanque  les 
murailles.  Mais  si  le  système  de  construction  est  à  peu  près 
identique  dans  tous  ces  monuments,  leurs  destinations  assez 
différentes  obligent  à  les  distinguer  bien  nettement.  Les  uns 
sont  échelonnés  le  long  de  quelque  route  importante  ou  établis 
en  plaine  au  débouché  de  quelque  gorge  ;  ceux-là  ont  un  rôle 
nettement  mililaire,  ils  sont  occupés  par  une  petite  garnison, 
ils  ont  été  construits  par  les  ordres  de  Tautorilé  impériale 
pour  participera  la  défense  du  territoire.  Ce  sont  des  redoutes, 
moins  importantes  que  les  castella,  mais  n'en  différant  point 
essentiellement  :  et  les  postes  d'Aïn-bou-Dris,  sur  la  route  de 
Théveste  à  Sbeitla  ou  à  Tbélepte  *,  de  Ksar-el-Achour,  entre 
Guelma  et  Bône  %  d'Henchir-Zaga  entre  Béjaet  Tabarca',  re- 
présentent à  merveille  celte  catégorie  de  construction, 

5*  Mais  parmi  les  édifices  de  ce  type,  les  fortins  proprement 
militaires  forment  de  beaucoup  le  moindre  nombre  :  au  con- 
traire TAfrique  byzantine  est  couverte  de  petites  places  de  re- 
fuge, élevées  sur  la  hauteur  à  proximité  des  centres  d'habita- 
tion, ou  occupant  le  milieu  du  village,  pour  offrir  en  cas 
d^alerle  un  abri  aux  habitants  du  plat  pays  \  La  construction 
en  est  d'ordinaire  fort  médiocre  et  sensiblement  inférieure  à 
celle  des  redoutes  que  je  signale  plus  haut"^  :  c'est  qu'en  effet 
ces  bâtisses  sont«  d'une  part,  de  date  généralement  postérieure 
au  règne  de  Justinien;  c'est  que  d'autre  part,  on  le  verra  tout 
àTheure,  elles  ne  sont  point  d'habitude  Tœuvre  des  agents 
impériaux,  mais  paraissent  pour  la  plupart  avoir  été  élevées 
hâtivement  par  Tinitiative  privée  des  populations  menacées. 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  exemplaires  en  sont  nombreux  en  Afri- 


1.  C.  /.  L.,  Vlll,  2095. 

2.  C.  /.  L.,  VUr,  p.  520. 

3.  Gagnât,  Arch.  des  Missions^  XI,  p.  141. 

4.  SaladiD,  1,  p.  220.  Cf.  sur  ce  système  de  défense,  d'un  caractère  tout  lo- 
cal, les  intéressantes  remarques  de  M,  de  la  BJanchëre,  V aménagement  de 
Veau  et  Vinstailation  rurale  dans  V Afrique  ancienne,  p.  85-89.  Il  se  peut  qui 
y  ait  dans  ces  ouvrages  quelques  éléments  de  Tépoque  byzantine. 

5.  Saladin,  I,  p.  220. 


212  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFKIQl'E 

que  :  comme  type,  je   citerai  eii    parliculier  le  [grand  .kasr 


bO 

£ 


d'Haouch-Khima-mta-Darrouia,  établi  à  Tangle  sud-est  de  la 
petite  ville  de  ce  nom  :  il  mesure  40  pas  sur  33  et  les  disposi- 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  213 

lions  intérieures  en  sont  encore  très  recounaissables '.  Ces 
enceintes  fortifiées,  quelquefois  même  remplacées  par  une 
simple  tour*,  n'étaient  point  d'ailleurs  occupées  par  des 
g^arnisons  ;  les  habitants  se  chargeaient  de  les  garder  et  de  les 


Fig.  46.  —  Bordj-Hallal.  Citadelle  byzantine.  (Dessin  de  M.  Saladin.) 

défendre.  Elles  répondent  assez  bien  à  ce  que  nous  appelons 
des  bord j s  ou  des  a  maisons  de  commandement  »  '. 

Toutefois  le  témoignage  de  Procope  montre  que  le  gouver- 
nement impérial  ne  s'était  point  entièrement  désintéressé  de 
cetle  œuvre  de  protection.  Non  seulement  ses  villes  fortifiées 


1.  Saladin,  I,  p.  136-139. 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  12035. 

3.  Cf.  pour  l*époque  romaine,  Gagnât,  Armée  romaine,  p.  618-682. 


214  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

et  ses  citadelles  étaient  toujours  prêtes  à  recueillir  les  popu- 
lations menacées;  mais  en  outre  i| 
semble  avoir  sur  certains  points  créé 
tout  exprès  de  vastes  places  de  refuge. 
La  citadelle  de  Bordj-Hallal  me  pa- 
raît une  preuve  péremptoire  de  ces 
intentions.  Construite  sous  le  règne 
de  Justinien  dans  une  admirable  posi- 
tion stratégique*,  surveillantle  cours 
de  la  Medjerda  à  Tendroit  où  la  riviè- 
re, avant  de  pénétrer  dans  les  grandes 
plaines  de  Bulla  Regia,  traverse  un 
défilé  assez  étroit,  sans  doute  la  for- 
teresse avait  un  but  militaire;  elle 
couvrait  du  côté  de  la  Numidie  l'en- 
trée de  la  fertile  vallée  du  Bagradas. 
Mais  pour  assurer  la  garde  de  ce  pas- 
sage,  un  simple   castellum  comme 
Lemsa  eût  amplement  suffi  :  or  les 
grandes  dimensions  de  la  place  sont 
300  mètres  environ  du  nord  au  sud, 
250  de  Test  à  l'ouest  ^  Ces  proportions 
sont  presque  égales  à  celles  des  villes 
fortifiées  les  plus  vastes  de  l'Afrique 
byzantine  ;  et  pourtant  il  est  incon- 
testable que  jamais  une  cité  impor- 
tante ne  s'éleva  sur  l'emplacement 
de    Bordj-Hallal  •.  Quelle  nécessité 
s'imposait  donc,  alors  que,  dans  tant 
de  villes  considérables,  on  réduisait 
sans  hésiter  le  développement  des 
remparts,  d'établir  une  enceinte  aussi 
étendue,   à  laquelle  on  ne  pouvait 

1.  C.  /.  L.,  VUl,  1259. 

2.  SaladiD,  II,  p.  427-429  et  Diehl,  Rapport,  p.  136-139. 

3.  Tissot,  11.  p.  266-268,  308. 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  215 

assurément  donner  une  garnison  suffisante  pour  la  défendre? 
C'est  que,  tout  autour  de  la  forteresse,  s'étendait  un  pays  fer* 
tile  et  peuplé,  qui  intéressait  tout  particulièrement  Justinien. 
Au  VI*  siècle,  les  carrières  de  Chemtou  étaient  encore  exploi- 
tées pour  le  compte  de  Tempereur ';  dans  la  même  région  se 
trouvaient,  à  Fépoque  romaine,  de  grands  domaines  impé- 
riaux, qui  des  rois  vandales  avaient  sans  doute  passé  aux 
mains  du  prince  byzantin  '.  N'est-il  point  possible  qu'aux  co- 
lons, établis  sur  ces  terres,  Justinien  ait  voulu  assurer  un 
refuge  et  qu'il  ait  créé  pour  eux  celte  vaste  enceinte  fortifiée*? 


Forme f  dimensions^  situation  des  citadelles  byzantines 
d  Afrique, 

Telles  sont  les  différentes  sortes  de  constructions  militaires 
usitées  dans  l'Afrique  byzantine.  Si  l'on  essaie  maintenant  de 
les  classer,  non  plus  d'après  leur  destination^  mais  d'après 
leur  forme,  on  verra  qu'elles  se  répartissent  en  deux  grandes 
catégories.  Les  unes  —  et  c'est  le  plus  grand  nombre  —  ne 
sont  guère  autre  chose  que  des  réductions  plus  ou  moins  mo- 
difiées du  camp  romain*.  Elles  affectent  la  forme  très  régu- 
lière d'une  enceinte  rectangulaire,  flanquée  d'un  grand  nom- 
bre de  tours,  qui  varie  suivant  l'importance  de  la  forteresse. 
En  règle  générale,  les  quatre  coins  du  rectangle  sont  couverts 
par  de  puissantes  tours,  carrées  ou  rondes  :  d'ordinaire,  si  la 
place  est  de  quelque  importance,  d'autres  tours  se  répartissent 
d'une  façon  symétrique  sur  les  différents  fronts  de  l'enceinte. 
Si  la  citadelle  est  de  grandes  proportions,  si  c'est  une  ville 
fortifiée  comme  Théveste,  Théleple  ou  Laribus,  chaque  cour- 

1.  Gagnât,  Arch.  des  Missions,  Xï,  p.  !03. 
-2.  Tissot,  U,  p.  306-308: 
3.  Cf    Gagnât,  Armée  romaine ^  p.  674. 


216         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


tine  est  flanquée,  entre  les  bastions  d^angle»  de  deox  ou  trois 
tours  intermédiaires,  si  bien  qu'au  total  Thé  veste  et  Laribus 
ont  quatorze  tours,  Thélepte  douze,  et  Sétif  onze  '.  Dans  les 


i 


Jm.-^^^$^^^§^^M^S^^ 


Imii 


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30tU:tTeo 


Fig.  48.  —  Tobna.  Plan  de  la  forteresse  bfïantine. 

castella  un  peu  moins  considérables,  une  seule  tour  intermé- 
diaire s*élève  sur  le  milieu  de  chaque  face,  et  l*on  obtient 

1.  Voir  Oiehl,  Rapport,  p.  93-100  (Laribos),  p.  9-12  (Sétil),  p.  53-^9  (Thé- 
lepte). 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DEKENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  217 

ainsi  Tun  des  partis  les  plus  fréquemment  adoptés  dans  les 
citadelles  d'Afrique,  le  rectangle  flanqué  de  huit  tours^  tel 
qu*on  le  trouve  à  Tobna,  à  Timgad,  au  château  duBellezma,  à 
la  Kessera,  à  Henchir-Sguidan  près  de  Djebibina  S  à  Ras-eU 
Oued,  à  l'ouest  de  Sétif.  La  construction  est>elle  moins 
étendue  encore,  alors  elle  ne  conserve  plus  que  les  quatre 
tours  d'angle  :  c'est  le  cas,  par  exemple,  à  Lemsa,  à  Zana,  à 
Sbiba,  à  Aîn-Hedja,  à  Zarai,  à  Gastal'  près  de  Tébessa. 
Enfin,  dans  les  petites  redoutes,  les  tours  disparaissent  com- 
plètement; seul  le  rectangle  demeure,  tout  au  plus  renforcé 
sur  les  angles  par  des  tours  sans  saillie  apparente. 

Mais  cette  forme  très  régulière  ne  s'adapte  pas  à  tous  les 
terrains  avec  une  égale  facilité.  Quand  il  s'agit  de  construire  en 
plaine  ou  du  moins  sur  un  sol  suffisamment  plat,  rien  n'est 
plus  aisé  que  d'adopter  ces  partis.  Mais  souvent  d'impérieuses 
nécessités  de  défense  ou  le  désir  de  tirer  profit  d'une  belle  si- 
tuation stratégique  font  chercher  sur  la  hauteur  l'emplacement 
de  la  nouvelle  citadelle  :  alors  les  dispositions  du  terrain 
déterminent  impérieusement  les  formes  de  la  construction  et 
leur  enlèvent  leur  habituelle  régularité.  L'enceinte  de  Bagai, 
par  exemple,  assise  sur  un  mamelon  aplati  qui  domine  la 
plaine,  suit  fort  exactement  les  contours  de  la  colline,  lon- 
geant soigneusement  la  crête  de  l'escarpement,  de  manière  à 
assurer  à  la  ville  la  protection  du  profond  ravin  qui  la  borde  au 
nord-ouest.  Hsadra,  Tifech,  Tigisis  sont  construites  au  pen- 
chant d'une  colline,  sur  les  pentes  de  laquelle  elles  s'élèvent  en 
gradins  successifs  :  et  il  faut  voir,  en  particulier  dans  les 
deux  dernières  de  ces  forteresses,  comment  on  a  fait  servir  à  la 
sécurité  de  la  place  les  dispositions  naturelles  du  terrain,  pro^ 


1 .  Voir  Diehl»  Rapport,  p.  22-25  (Tobna),  p.  26-32  (Timgad),  p.  19-22  (Bellezma) , 
p.  100-103  (Ressera);  Gagnât,  Arch.  des  Missions,  XI,  p.  34;  La  Blanchère,  BulL 
du  Corn.,  1888,  p.  46B-472. 

2.  GselJ,  Recherches  archéologiques  en  Algérie,  p.  270-211. 

3.  Voir  Diebl,  Rapport,  p.  105-113  (Lemsa),  p.  15-18  (Zana),  p.  119-123 
(Sbiba),  p.  t45-149  (Ain-Hedja);  Gsell,  Rech.  arch.  en  Algérie,  p.  142;  Rec.  de 
Const.,  1876,  p.  412. 


218  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tégeant  par  de  forts  bastions  rapprochés  Tun  de  l'autre  les 


Echelle   de    0,001    p    2  m. 


O        10    20 


^o         60  loo 

Fig.  49.  -  Tifech.  Plan  de  Teuceinte  byzantioe. 

portions  de  la  citadelle  voisines  de  la  plaine,  utilisant  pour  la 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTEME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  219 

défense  des  parties  supérieures  les  escarpements  abrupts  et 
les  précipices  qui  les  rendent  à  peu  près  inaccessibles.  Dès 


%.iî"  «<•  if  1^  *f  *"  '•'  *"  ••  '•"     •?• 


rpoi 


Fig.  50.  —  AÏQ-el-P.ordj  (Tigisis).  —  Citadelle  byzantine. 
(D'après  le  plan  de  M.  Chabassière.) 


lors  il  ne  saurait  plus  être  question  de  dispositions  régulières 
ni  de  tours  symétriquement  échelonnées  le  long  des  courtines  : 


220  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

la  forme  du  terrain  détermine  celle  de  la  place,  et  les  points 
naturellement  faibles  sont  compensés  par  l^accamulation  des 
défenses.  Ainsi  Bagai  est  un  quadrilatère  irrégulier,  où  neuf 
tours  sur  vingt-deux  couvrent  le  front  sud-ouest,  le  plus  im- 
portant et  le  plus  exposé  de  l'enceinte  ;  Tifech  et  Tigisis  '  sont 
des  forteresses  hexagonales,  où  les  bastions  se  multiplient  au 
point  où  les  pentes  plus  douces  permettent  une  approche  plus 
facile,  tandis  que  les  tours  s'espacent  sur  les  points  naturel- 
lement protégés  par  les  ravins  avoisinants.  Béja,  assise  au 
penchant  d*^ne  colline,  a  la  forme  d'un  hexagone  irrégulier 
flanqué  de  vingt-deux  tours.  Teboursouk  est  un  pentagone, 
Tagoura  un  hexagone  irrégulier,  Aïn-Tounga  un  quadrilatère 
extrêmement  irrégulier*.  D'autres  fois,  ce  n'est  point  le  ter- 
rain, mais  le  désir  de  comprendre  dans  la  construction  quelque 
édifice  antique,  qui  détermine  Tirrégularité  du  plan  :  de  là 
vient  le  tracé  si  singulier  de  Tenceinte  de  Guelma;  de  là, la  forme 
bizarre  du  château  de  Mdaourouch,  et  le  vaste  hémicycle  qui 
du  côté  du  nord  achève  si  curieusement  la  forteresse. 

Quant  aux  dimensions  de  ces  citadelles,  elles  sont  extrême- 
ment variables  :  les  plus  grandes  mesurent,  comme  celle  de 
Bagai  330  mètres  sur  308,  comme  celle  de  Tébessa  320  mètres 
sur  280,  comme  celle  de  Bordj-Hallal  300  sur  250,  comme 
celle  deThélepte  350  sur  150*.  Les  castella  proprement  dits 
sont  de  moindres  proportions  :  les  plus  considérables,  tels 
que  la  forteresse  du  Bellezma  ou  SétiT,  ont  respectivement 
425  mètres  sur  412,  et  458  sur  407;  Timgad  a  444°»,25  sur 
67", 50;  mais  beaucoup  d  entre  eux  sont  plus  petits  :  Aïn- 
Tounga  mesure  59  mètres  sur  53,  Sbiba  45  sur  40,  Mdaou- 
rouch 35  sur  33,  Ain-Hedja  37  sur  34,  Lemsa  28  sur  34  \ 


1.  Voir  Diehl,  Rapport,  p.  67-72  (Tifech),  p   72-78  (Tigièia). 

2.  Ibid.,  p.  140-142. 

3.  Voici  qaelqaee  autres  mesures:  Laribus,  220X203;  Calama,  278X219; 
Tigisis,  217  X  190;  Teboursouk,  150  X  1^0. 

4.  Voici  quelques  autres  mesures  :  Tobna,  72.50  X  54;  Gastal,  53  X  ^S; 
Henchir-SguidaD,  40  X  ^0  ;  Haidfa,  200  X  HO  ;  Tifecb,  246  X  130;  Tagoura, 
95  X  "2. 


M.  X 


BÉJA    —    TOURS    DE     L'ENCEINTE    BYZANTINE 


LES  PRINCIPES»  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  221 

Les  fortins  sont  plus  exigus  encore  :  certains  ne  comptent  que 
9™, 70  de  côté.  On  voit  par  la  variété  de  ces  chiffres  qu'entre  la 
longueur  des  côtés  de  ces  forteresses,  il  ne  faut  chercher  au- 
cune proportion  fixe;  ils  prouvent  surtout  —  et  c'est  ce  qu'il 
faut  retenir  de  toutes  ces  observations  —  que  dans  l'Afrique 
byzantine,  les  nécessités  particulières  du  terrain  et  l'obligation 
de  faire  vite  ont,  bien  plus  que  les  principes  absolus,  déter- 
miné la  forme  et  les  dimensions  des  forteresses. 

Il  est  intéressant  par  contre  de  rechercher  comment  ces  ci- 
tadelles étaient  alimentées  d'eau  potable,  un  point  qui  en 
Afrique  avait  une  importance  capitale.  Suivant  une  habitude 
constante  de  l'époque  byzantine,  on  parait  avoir  assez  fré- 
quemment construit,  dans  l'intérieur  des  places,  de  vastes  ci- 
ternes où  l'on  emmagasinait  l'eau  des  pluies  :  on  en  trouve  des 
traces  dans  les  enceintes  fortifiées  de  Haïdra  \  de  Tagoura', 
de  Bagai,  de  Laribus^  et  El-Bekri  signale  dans  l'intérieur  du 
château  de  Tobna  un  grand  réservoir  qui  semble  bien  appar- 
tenir à  la  même  catégorie  de  constructions'.  Parfois  on  avait 
utilisé  en  les  réparant  les  anciens  aqueducs  romains  :  c'est  de 
cette  manière  qu'était  assurée  l'alimentation  d'eau  de  Té- 
bessa*;  de  même  à  Timgad,  on  avait  fait  aboutira  la  cita- 
delle une  conduite  embranchée  sur  la  canalisation  antique. 
Mais,  en  général,  les  Byzantins  paraissent  s'être  surtout  préoc- 
cupés d'établir  leurs  ca^/eZ/a  à  proximité  d'un  point  d'eau.  C'est 
ainsi  qu'au  pied  même  des  remparts  de  Tifech,  de  Tigisis, 
crAïn-Tounga,  d'Aïn-bou-Dris,  de  Ras-el-Oued,  jaillit  une 
source  importante  •  ;  ailleurs  la  source  toute  voisine  est  par 
surcroit  de  précaution  amenée  par  une  conduite  souterraine 
dans  l'intérieur  delà  place  :  c'est  le  cas  à  Béja%  à  Guessès  *, 
à  Lemsa.  Parfois  même  la  source  prend  naissance  au  dedans 

1.  Saladin,  1,  p.  174. 

2.  LewaI,  Taoura{Rev.  afr.,  1859,  p.  23). 

3.  EI-Bekri  (Jouni.  asiaL,  5«  série,  t.  XIII,  p.  62). 

4.  H.  de  Villefosse,  Tébessa  (Tour  du  monde,  t.  XL,  p.  15). 

5.  Bell.  Vand.,  p.  463.  Pour  Ras-el-Oued,  Rev.  afr.,  1861,  p.  453. 

6.  Cf.  El-Bekri,  /.  c,  p.  75. 

7.  Gsell  et  Graillot,  /.  c,  p.  120. 


222  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  la  forteresse;  il  en  est  ainsi  à Teboursouk,  à  Zarai,  à  Aîn- 
Hedja.  Aussi  bien,  roccupation  des  points  d'eau  avait,  surtout 
dans  le  sud,  une  double  importance  pour  la  défense  :  <c  ces 
points  sont  en  effet  des  endroits  de  passage  obligés  pour  ceux 
qui  tiennent  la  campagne,  et,  lorsqu^on  en  est  maître,  on  Test 
aussi  de  tout  le  pays  ^  » 

Ceci  nous  amène  à  dire  un  mot  des  positions  habituellement 
choisies  pour  rétablissement  des  forteresses  byzantines.  La 
première  préoccupation  des  officiers  impériaux  semble  avoir 
été  d'assurer  la  surveillance  des  grandes  plaines,  où  venait  se 
croiser  un  important  réseau  de  routes  et  de  ménager  à  leurs 
citadelles  des  vues  extrêmement  étendues.  Dans  ce  but  ils  ont 
quelquefois  choisi,  à  Textrémité  de  quelque  plaine,  une  hau- 
teur dominant  au  loin  le  pays  et  surveillant  les  passages  d'a- 
lenlour  :  Tifech^  assis  au-dessus  de  la  plaine  de  Dréa,  Tigisis 
commandant  au  loin  le  Bahiret-et-Touila,  Béja  dominant  le 
fertile  bassin  du  Blad  Béja,  sont  des  exemples  intéressants  de 
cette  disposition.  En  général  pourtant,  les  Byzantins  ont  jugé 
préférable  encore  d'établir  leurs  grandes  places  de  guerre  au 
centre  même  de  la  plaine,  occupant  là,  s*il  était  possible, 
quelque  mamelon  légèrement  relevé,  sinon  s'installant  en  ter- 
rain plat,  sans  se  soucier  beaucoup,  à  ce  qu'il  semble,  d'être 
dominés  par  les  crêtes  environnantes.  Confiants  dans  la  so- 
lidité de  leurs  murailles  pour  repousser  les  attaques,  ils  ont 
mieux  aimé  s'assurer  solidement  les  routes  en  les  barrant  di- 
tectement.  Autour  de  ces  vastes  forteresses  centrales,  sur  tout 
le  pourtour  de  la  plaine,  s'élevaient  au  pied  même  des  mon- 
tagnes, au  débouché  des  principaux  passages,  des  redoutes  de 
moindre  importance  qui  s'appuyaient  sur  la  citadelle  et  en 
protégeaient  les  approches  ;  d'autres  fortins  jalonnaient  les 
voies  qui  mettaient  en  communication  les  grands  châteaux 
forts;  pour  ceux-là  on  choisissait  habituellement  des  positions 


1.  CagDat,  Armée,  p  677.  Sur  l'habitude  des  Byzantins  d^occuper  les  points 
d'eau,  cf   Maaqueray,  Ruines  ancienneu  de  KtienvMa  à  Besseriani  {Hev.  afr,^ 

1878,  p.  432). 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSiF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  223 

qui  parfois  nous  surprennent,  et  pour  lesquelles  on  se  laissait 
sans  doute  guider  par  des  considérations  autres  que  les  mo- 
tifs purement  stratégiques  ^  La  place  de  Tébessa  avec  les  re- 
doutes qui  complètent  son  système  de  défense.  Bagai,  avec 
les  fortins  qui  Taident  à  défendre  le  vaste  plateau  du  Tarf/  le 
Ksar-Bellezma,  avec  sa  ceinture  de  forts  avancés  sont  des 
exemples  remarquables  de  ce  système  défensif. 

Il  va  sans  dire  qu'en  dépit  de  ces  règles  générales,  le  bar- 
rage des  défilés,  l'isolement  des  massifs  montagneux  au 
moyen  d*une  chaîne  serrée  d'ouvrages  fortifiés  obligèrent  plus 
d'une  fois  à  modifier  sérieusement  ces  dispositions  :  elles  sub- 
sistent pourtant,  du  moins  pour  les  grandes  forteresses  de  l'A- 
frique byzantine,  et  les  vastes  horizons  qu'on  découvre  de  la 
plupart  de  ces  ruines  attestent  suffisamment  les  intentions  des 
généraux  impériaux. 

Une  quantité  si  considérable  d'enceintes  fortifiées,  grandes 
et  petites,  pouvait,  on  le  conçoit  de  reste,  être  difficilement 
occupées  d'une  manière  permanente  :  l'armée  assez  peu  nom- 
breuse que  Justinien  entretenait  en  Afrique  eût  été  absolu- 
ment incapable  de  suffire  à  une  pareille  lâche.  Assurément,  de 
même  que  jadis  dans  la  Maurétanie  romaine',  toutes  ces  pla- 
ces pouvaient,  en  cas  d'invasion,  «  servir  aux  troupes  de  point 
d'appui  dans  leurs  opérations  ou  de  refuge  en  cas  d'échec  »  ; 
mais  en  temps  ordinaire,  beaucoup  d'entre  elles  étaient  sim- 
plement laissées  à  la  garde  des  habitants.  C*est  là,  pour  qui 
veut  étudier  le  système  défensif  de  l'Afrique  byzantine,  une 
distinction  essentielle  à  retenir.  A  côté  des  constructions  pro- 
prement militaires,  élevées  par  les  généraux  de  Justinien,  et 
que  j'appellerai  volontiers  les  forteresses  impériales,  un  grand 
nombre  de  points  ont  dû  leurs  fortifications  à  l'initiative  privée 
des  habitants.  De  bonne  heure,  l'absence  de  sécurité,  si  fré- 
quente dans  certaines  parties  de  l'Afrique,  avait  poussé  les  po- 


1.   Le  même   système  se  rencontre  à  Pépoquc  rom&iue  (Gagnât,  Atntiée 
p.  677). 
2*  Cannai,  Armée  romainet  p.  682. 


224  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

pulations  à  se  protéger  elles-mêmes.  Dès  le  m*  siècle,  pour  se 
défendre  contre  les  .pillards,  les  colons  de  Maurétanie  bâtis- 
saient des  fortins  sur  les  terres  qu'ils  cultivaient,  et  à  leurs  frais 
entouraient  leurs  villes  ouvertes  de  solides  remparts  *.  Quand 
à  lautorité  romaine  se  fut  substilué  le  faible  gouvernement 
vandale,  bien  vite  ces  pratiques  se  généralisèrent  dans  toute 
l'Afrique,  et  pour  se  mettre  à  Tabri  des  incursions  des  pillards, 
les  populations  remplacèrent  leurs  murailles  détruites  par  des 
fortifications  improvisées*;  il  en  fut  de  même  à  Tépoque  byzan- 
tine. Sur  bien  des  points,  les  habitants  des  villages,  insuffisam- 
ment protégés  par  Tannée  régulière,  élevèrent  contre  les  at- 
taques incessantes  des  indigènes  des  redoutes  fortifiées.  Les 
inscriptions  l'attestent  d'une  manière  péremptoire  '  ;  et  à  leur 
défaut,  les  partis  fort  sommaires  adoptés  dans  ces  construc- 
tions, la  simplicité  souvent  rudimentaire  de  leurs  dispositions 
suffiraient  à  prouver  que  jamais  on  ne  songea  à  y  appliquer  les 
règles  de  Tarchitecture  militaire.  Les  fortins  d'Aïn-el-Ksar  ^, 
d'El-Mader,  de  Seriana  peuvent  donner  entre  mille  une  idée 
de  ces  édifices.  Toutefois,  on  remarquera  que  beaucoup  de  ces 
kasr  sont  d'une  époque  postérieure  au  règne  de  Justinien, 
qu'ils  datent  de  la  fin  du  vi*  siècle*,  et  surtout  du  vu*,  c'est-à- 
dire  de  Tépoque  où  le  péril  berbère  grandissant  et  bientôt  Tin- 
vasion  arabe  emportant  les  grandes  forteresses  de  la  frontière 
ont  fait  plus  impérieusement  sentir  la  nécessité  de  ces  moyens 
de  défense.  Il  importe  donc  assurément  de  faire  à  ces  cons- 
tructions leur  place  dans  l'histoire  de  TAfrique  byzantine  : 
mais  il  faut  soigneusement  les  distinguer  —  tant  pour  la  date 
que  pour  le  rôle  auquel  elles  sont  destinées  —  des  citadelles 
construites  par  l'autorité  impériale,  occupées  par  les  troupes 


i.  C.  I.  L,,  Vm,  8426,  8701,8710,8777.  Cf.  Cagoat, /.  c.,p.  606,614  615,625. 

2.  Aed.,  p.  340  (Hadrumète)  ;  Bell.  Vand.,  p.  379  (Sullcctum);  Rec.  de  OmsL, 
1860,  p.  215-216  (Tébessa). 

3.  C.  1.  L.,  Vin,  4354,  2079  et  Add.,  10681,  12035. 

4.  Rec.  de  Consl.,  1862,  p.  128;  Diehl,  Rapport,  p.  12-15. 

5.  Les  uns  sont  du  règne  de  Tibère  II  (C.  /.  L.,  VIII,  4354),  d'autres  du 
règne  de  Maurice  (td.,  12035)  ou  d*HéracIius  (tU,  10681). 


LES  PRINCIPES  DU  SYSTÈME  DÉFENSIF  DANS  L'AFRIQUE  BYZANTINE  225 

régulières  et  qui  seules  défendaient  —  au  moins  officielle- 
ment —  le  limes  africain.  Ce  n'est  qu'à  cette  condition  essen- 
tielle, trop  souvent  mise  en  oubli,  qu*on  pourra  sérieusement 
étudier  Toccupation  militaire  de  l'Afrique  byzantine  sous  le 
règne  de  Justinien. 


15 


CHAPITRE  III 


L  OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L  AFRIQUE  BYZANTINE 


Nous  avons  essayé  de  faire  connaître  les  règles  générales 
d'après  lesquelles  les  Byzantins  organisèrent  en  Afrique  le 
système  delà  défense.  Grâce  aux  textes,  aux  inscriptions^  sur- 
tout aux  monuments,  il  est  possible  de  faire  quelque  chose 
de  plus,  d'exposer  le  détail  de  cette  occupation  militaire,  de 
déterminer  les  points  principaux  où  furent  établies  les  troupes, 
de  suivre  la  direction  générale  de  la  frontière,  en  un  mot,  de 
tenter  pour  l'occupation  byzantine  l'étude  que  M.  Gagnât  a  si 
magistralement  faite  pour  la  période  romaine ^  Assurément 
le  territoire  auquel  s'appliquent  ces  recherches  est  infiniment 
moins  étendu  que  celui  de  l'Afrique  impériale  :  le  temps  est 
bien  loin  où  la  troisième  légion  poussait  ses  garnisons  jus- 
qu'aux oasis  de  la  Tripolitaine,  jusqu'à  la  vallée  de  l'Oued- 
Djedi,  jusqu'aux  hauts  plateaux  de  la  Maurétanie'.  Au  temps 
de  Justinien,  on  ne  songe  plus  guère  qu'en  théorie  à  reconqué- 
rir ces  frontières  lointaines;  en  fait,  on  se  restreint  modeste- 
ment et  on  revient  en  arrière,  et  c'est  à  peine  si  la  domina- 
tion byzantine  dépasse  la  ligne  jadis  occupée  par  Bome  an 
premier  siècle  de  FEmpire*.  Maintenant  on  se  contente  de 
garder  la  côte  de  Tripolitaine  depuis  la  Gyrénaïque  jusqu'à 
Gabès;  la  frontière  de  la  Byzacène  passe  au  nord  des  Ghotts 
et  par  Gafsa  rejoint  Tébessa  ;  en  Numidie  on  occupe  le  pied 

1.  Cagn&ifArmée  d*Afriquei  p.  549-674. 

2.  Id,,  p.  598. 

3.  Id  ,  p.  549. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  227 

septentrional  du  massif  des  Aurës,  sans  à  peine  entamer  la 
montagne;  et  si  Ton  pénètre  dans  la  plaine  du  Hodna,  en 
revanche  on  ne  possède  plus  que  la  moindre  partie  des  Mau- 
rétanies.  Mais  dans  ces  limites  plus  étroites,  Tétude  de  l'occu- 
pation militaire  byzantine  n  en  est  pas  moins  délicate  et  com- 
pliquée. Tandis  qu'à  Tépoque  romaine,  le  pays  était  défendu 
par  une  suite  de  points  fortifiés  s'étendant  sur  une  seule 
ligne,  maintenant  la  province  tout  entière  est  couverte  de  for- 
teresses :  et  à  ces  lignes  de  citadelles  échelonnées  Tune  der- 
rière l'autre  depuis  le  limes  jusqu'à  la  côle,  il  est  difficile 
parfois  d'assigner  une  date  exacte  et  une  destination  précise. 
D'autre  part,  si,  sur  la  frontière,  les  Byzantins  ont  conservé 
d'une  façon  remarquable  les  traditions  militaires  et  les  habi- 
tudes stratégiques  des  Romains,  dans  l'intérieur  de  la  pro- 
vince, ils  ont  inauguré  des  méthodes  nouvelles,  qui  rendent 
singulièrement  malaisé  l'examen  du  système  de  la  défense  et 
produisent  de  perpétuelles  confusions  entre  les  ouvrages  pro- 
prement militaires  et  les  autres  travaux  de  fortification.  Enfin, 
s'il  est  possible  de  fixer  à  peu  près  certainement  la  chaîne  des 
chàteaux-forls  qui  protégeaient  les  régions  définitivement 
soumises,  il  est  certain  qu'au  delà  de  cette  ligne,  l'influence 
byzantine  s'étendait  au  loin  sur  les  tribus  berbères,  et  que 
peut-être  même  des  postes  fortifiés  assuraient  parfois  dans  ces 
états  vassaux  la  fidélité  fort  incertaine  des  Maures.  Nous  exa- 
minerons dans  un  prochain  chapitre  les  relations  du  gouver- 
nement grec  avec  ces  populations  indigènes,  tour  à  tour 
révoltées  ou  soumises  :  ici  nous  nous  contenterons  de  déter- 
niner,  du  mieux  qu'il  sera  possible,  la  première  ligne  de  défense 
qui  formait  la  limite  réelle  de  l'Afrique  byzantine,  et  d*étudier 
ensuite  les  mesures  complémentaires  qui,  dans  l'intérieur  du 
pays,  assuraient  la  sécurité  des  populations  et  le  maintien  de 
l'autorité  impériale. 


PREMIÈRE  SECTION 

LES    FORTERESSES  DE  LA  FRONTIÈRE 


I 

Frontière  de  Tripolitaine . 

  l'époque  romaine,  autant  qu'on  en  peut  juger  Ipar  les 
renseignements  assez  incertains  relatifs  à  un  pays  mal  connu, 
la  frontière  de  Tripolitaine  a  varié  suivant  les  époques.  Au 
début  de  TËmpire,  elle  s'écartait  peu  de  la  côte,  et  de  Gabès 
aux  limites  de  la  Cyrénaïque,  elle  longeait  de  très  près  le  ri- 
vage^; plus  tard,  au  moins  dans  la  partie  occidentale  de  la 
province,  entre  Leptis  Magna  et  les  Ghotts,  elle  fut  reportée 
un  peu  plus  au  sud,  et  une  série  de  postes  fortifiés  occupa  la 
ligne  de  hauteurs,  qui  depuis  le  Djebel-Nefouça  jusqu'au  pla- 
teau des  M atmata,  forme  de  ce  côté  la  frontière  naturelle  du 
pays*.  Il  est  difficile  de  déterminer,  entre  ces  deux  tracés, 
celui  qu'adopta  l'époque  byzantine.  Dans  la  partie  orientale 
de  la  province,  la  nature  des  lieux  suffit  à  trancher  la  question  : 
jusqu'à  Leptis  Magna^  la  zone  habitable  est  étroitement  res- 
treinte à  la  côte,  entre  le  rivage  et  les  dunes  de  sable  qui 
viennent  aboutir  à  la  mer;  de  ce  côté  les  Byzantins  durent^ 
comme  les  Romains,  se  contenter  d'occuper  le  littoral  extrême  '« 
et,  s'il  en  faut  croire  les  informations  recueillies  par  Tissot,  ils 
protégèrent  dans  cette  région,  depuis  la  Cyrénaïque  jusqu'à 

1.  Cagoat,  /.  c,  p.  549,  578. 

2.  Id^  p.  552,  749-751.  Cf.  les  renseignements  fournis  par  M.  Lecoy  de  la 
Marctie  [Bull,  Corn.,  1894,  p.  389-413}  et  Tintéressant  artide  de  M.  ToaUin  (MéL 
de  Rome,  XV  (1895),  p.  211-229). 

3.  Cagoat,  l,  c,  p    552. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  229 

Mahda-Hassan,  «  tous  les  terrains  cultivables,  tous  les  pâtu- 
rages même,  par  des  postes  militaires  de  15  à  20  mètres 
de  côté,  placés  en  vue  les  uns  des  autres  et  formant  une  vé- 
ritable chaîne,  qui  assuraient  aux  populations  sédentaires  de 
la  côte  une  protection  efficace  contre  les  incursions  des  no- 
mades'. »  Mais  à  partir  de  Lebda  la  difficulté  s'accroît;  nous 
possédons  en  effet  si  peu  de  renseignements  sur  l'intérieur  de 
la  Tripolitaine  qu'il  est  absolument  impossible  de  dire  s'il  s'y 
rencontre  ou  non  quelque  forteresse  de  Tépoque  byzantine. 
11  faut  donc  s'en  remettre  aux  textes  peu  nombreux  que  l'on 
peut  rassembler  sur  la  matière  :  d'après  ces  témoignages,  il 
semble  bien  qu'ici  encore  l'occupation  grecque  s'est  limitée  à 
la  côte,  abandonnant  les  postes  du  limes  énumérés  par  la 
Notitia  Dignitatum.  ICn  Tripolitaine,  Procope  ne  signale  que 
deux  villes  fortifiées,  toutes  deux  situées  sur  le  littoral  :  c'est 
Leptis  Magna,  capitale  de  la  région  et  résidence  d'un  duc',  et 
plus  à  l'ouest,  Sabrala';  entre  les  deux,  il  faut  faire  place  à 
Oea,  qui,  quoi  qu'en  dise  Tissot,  existait  encore  au  vi^  siècle*, 
et  était  sans  doute,  comme  ses  voisines,  entourée  de  remparts  ; 
enfin,  dans  la  partie  occidentale  du  pays,  on  rencontrait 
Gergis,  Girba,  dans  l'île  de  Meninx  (Djerba),  et  sur  la  fron- 
tière même  de  la  Byzacène,  Tacape  (Gabès)*.  Mais  ces  cités 
que  Procope  nomme  sans  y  indiquer  aucun  ouvrage  de  forti- 
fications, semblent,  d'après  ce  silence  même,  devoir  être  te- 
nues pour  des  villes  ouvertes,  et  en  effet,  le  récit  de  la  Johan- 
nide  prouve  d'une  façon  péremptoire  qu'au  milieu  du  vi^  siècle 
encore,  Gabès  au  moins  était  dépourvue  de  remparts  •.  D'aulre 


1.  Tissot,  H,  p.  235-236. 

2.  Aed.,  p.  333-336. 

3.  Id.,  p.  337. 

4.  Georg.  Cypr.  (éd.  Gelzer),  p.  41;  Byz,  Zeitschr,,  H,  p.  25-31.  C'est  même 
une  place  forte  au  vu*  siècle  (Fournei,  Les  Berbères^  p.  18);  cf.  ElNoweïri 
{Journal  asial.^  3*  série,  t.  XI,  p.  102). 

5.  Aed.,  p.  337;  Lahbe,  IV,  1627,  1640-1C41  ;  Byz.  Zeilachr,,  p.  II,  31. 

6.  Sans  cela  il  est  impossible  de  comprendre  la  retraite  qu*en  547  l'armée 
romaine  fit  jusqu'à  lunca  (Joh,,  VII,  111-136). 


230  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

part,  dans  la  plus  grande  partie  de  celte  région,  les  Berbères 
semblent  parvenir  presque  jusqu'au  littoral  :  Leptis  Magna  a 
à  ses  portes  des  tribus  indigènes  et  parait  exposée  à  de  cons- 
tantes attaques  de  leur  part';  chose  plus  significative  encore, 
remplacement  de  plusieurs  postes  de  l'ancien  /tmes  romain,  par 
exemple  Talalati  (Ras-el-Aïn,  près  de  Tlalet)  et  Tillibari  qui 
se  trouve  un  peu  à  Test,  est  indiqué  comme  le  centre  d'habi- 
tation de  populations  absolument  insoumises*  ;  un  peu  au  sud 
de  Gabès,  la  tribu  des  Astrices  étend  son  territoire  jusqu'au 
littoral  de  la  Petite  Syrte,  et  les  liens  qui  la  rattachent  à  l'au- 
torité impériale  semblent  assez  incertains';  enfin  la  région 
qui  s'étend  au  sud  du  Chott-el-Fedjedj,  et  à  travers  laquelle 
la  frontière  romaine  de  Tripolitaine  parvenait  jusqu'à  Telmin, 
parait  entièrement  abandonnée  :  on  peut  donc  affirmer  avec 
une  grande  vraisemblance  que,  de  Gabès  à  la  Cyrénaïque,  la 
domination  byzantine  se  bornait  à  la  possession  de  la  grande 
voie  stratégique  qui  borde  la  côte  et  à  une  influence  purement 
diplomatique  et  religieuse,  d'ailleurs  souvent  contestée,  sur 
les  tribus  du  voisinage^.  En  un  point  pourtant,  il  faut  admettre 
une  domination  un  peu  plus  étendue,  c'est  à  l'endroit  où,  entre 
le  plateau  des  Matmata  et  le  littoral,  s'ouvre  «  un  passage  étroit 
qui  est  la  seule  voie  d'invasion  possible  pour  les  tribus  de  la 
Tripolitaine  vers  l'Afrique  »*.  On  peut,  je  crois,  prouver  que 
les  Byzantins,  comme  jadis  les  Romains,  avaient  tenté,  bien 
que  moins  complètement,  de  barrer  ce  défilé. 
Il  faut  pour  cela  étudier  avec  quelque  détail  le  récit  que  fait 


1.  Aed.,  p.  336-337. 

2.  Ji)h.^  II,  78.  Cf.  Cagaat,  l.  c,  p.  749-750  et  les  reDseigaemeDts  fournis 
sur  Riis-el-Aîn  par  le  lieutenant  Lecoy  de  la  Marche  (Bail.  Corn.,  1894, 
p.  399-402). 

3.  Joh.,  VI,  391-437. 

4.  On  remarquera,  à  Tappui  de  cette  hypothèse,  que,  dans  toute  la  région 
comprise  entre  le  fiahiret-el-Biban  et  Rsar-Rhelane,  ainsi  que  dans  le  pays 
situé  au  sud  de  la  ligne  joignant  ces  deux  points,  M.  Lecoy  de  la  Marche  a 
rencontré  de  nombreux  ouvrages  romains,  mais  pas  un  poste  qui  semble 
de  Tépoque  byzantine  {Btdi.  Corn,,  1894,  /.  c). 

5.  Gagnât,  /.  c,  p.  551 . 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  UAFRIQUE  BYZANTINE  231 

Corippus  de  la  campagne  de  S47.  A  la  nouvelle  de  la  prise 
d'armes  des  Berbères,  qui  déjà  ravagent  la  Tripolilaine,  le 
patrice  Jean,  pour  protéger  du  moins  la  Byzacène  contre  l'in- 
vasion ',  prend  une  offensive  hardie^  et  au  moment  oix  déjà 
les  cavaliers  indigènes  atteignaient,  saiù  avoir  rencontré  nul 
obstacle,  les  frontières  de  la  province  *,  il  les  oblige  à  se  replier 
en  désordre^  et  les  poursuit  jusque  dans  le  désert.  Mais  bien- 
tôt, devant  les  difficultés  de  l'expédition,  le  général  grec  est  obli* 
géde  regagner  lacôte',  et  il  s^établit  aux  environs  d'un  point 
que  la  Johannide  nomme  Gallica  ou  Marta*,  et  dont  on  peut 
avec  précision  identifier  l'emplacement';  l'endroit  se  trouve  à 
Maret,  à  26  milles  au  sud  de  Gabès,  au  bord  d'une  rivière, 
près  d'une  plaine  entourée  de  collines  et  sur  la  route  antique 
qui  menait  au  poste  romain  d'Augarmi  (Ksar-Koutin).  Or,  si 
aux  alentours  de  cette  position,  le  littoral  est  occupé  par  des 
villes  byzantines*,  tout  l'intérieur  du  pays  au  contraire  appar- 
tient aux  Astrices,  et  sur  le  territoire  de  cette  tribu  berbère 
aucun  poste  fortifié  n'existe,  puisque  l'approche  seule  du  pa- 
trice détermine  la  soumission  des  indigènes  \  Mais  en  revan- 
che, un  peu  en  arrière  de  Marta,  et  par  conséquent  au  milieu 
même  de  l'isthme  resserré  que  nous  signalions  tout  à  Theure, 
Corippus  mentionne  une  petite  ville  anonyme  placée  an  bord 
d'une  rivière,  dans  une  sorte  d'oasis  fertile •;  et  avec  une  pré- 
cision absolue,  le  poète  nous  apprend  qu'elle  était  fortifiée. 
Quelle  était  cette  place,  nous  ne  saurions  le  dire  :  ce  ne  peut 
être  Gabès,  trop  importante  et  trop  connue  pour  que  Corippus 
ne  l'eût  pas  nommée  expressément*;  mais  en  tout  cas  on 

i.Joh.,\l  242-246,  251. 
2. /d.,Vl,  279-280. 

3.  W.,VI,  367. 

4.  W.,  Il,  77,  8083  ;  Vï,  483-486. 

5.  Gf.Tissot,  II,  692-693;  Partsch,  l   c,  xxxi-zxxii. 

6.  Joh,,  VI,  384-385. 

7.  Id ,  VI,  391-560.  On  observera  d'autre  part  que,  sur  remplacement 
d'Âagarmi  (Ksar-Routin),  ii  n'y  a  aucune  trace  d'établissement  byzantin  (Bu//. 
Corn.,  1888,  p.  444-447). 

8.  Joh.,  VII,  1-3. 

9.  On  pourrait  penser  peut-être  à  Agma  ou  Fulgurita  (=  Zarat)  sur  ]a  route 


232         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

peut  conclure  qu'en  ce  point  de  passage  si  particulièrement 
important,  entre  la  route  du  littoral  et  la  montagne,  un  peu  en 
avant  de  Gabès,  les  Byzantins  avaient  construit  un  castellum 
surveillant  le  défilé  et  fermant  de  ce  côté  aux  nomades  du  sud 
Taccès  de  l'Afrique  propre.  C'est  en  somme,  sauf  que  la  fron- 
tière est  ici  un  peu  plus  reportée  vers  le  nord,  le  rôle  jadis 
assigné  aux  postes  romains  d'Augarmi  et  de  Talalati,  et  que 
remplissent  aujourd'hui  encore  nos  établissements  de  Mede- 
nine  et  de  Foum-Tatahouine. 


II 

Frontière  de  Byzacène. 

A  partir  de  Gabès,  derrière  l'infranchissable  barrière  des 
Chotts,  commençait  la  Byzacène.  Ici,  la  frontière  suivait  tout 
d'abord  la  grande  route  de  Gabès  à  Gafsa;  mais  cette  voie, 
pour  Tépoque  byzantine  comme  pour  l'époque  romaine,  est 
«  fort  mal  connue,  malgré  la  fréquence  des  convois  qui  la  sui- 
vent actuellement  »*,  et  il  faut  se  contenter  d'en  fixer  les 
deux  points  extrêmes  sans  essayer  de  retrouver  les  postes 
intermédiaires*.  Il  est  certain  en  tout  cas  qu'au  temps  de  Jus- 
tinien,  Capsa  était  solidement  occupée  par  les  Byzantins^  : 

d'Augarmi  (Tissot,  II,  p.  706).  Cf.  BulL  Com.,  1888,  p.  440,  où  l'on  signale  des 
ruines  de  quelque  importauce  entre  Réténa  et  Maret. 

1.  Gagnât,  /.  c,  p.  577-578.  Cf.  pourtant  sur  cette  route  Tétude  dn  capitaine 
Privé  {Bull.  Com.y  1895,  p.  85-94),  où  il  n'est  fait  mention  au  reste  d'aucun  poste 
byzantin. 

2.  On  trouvera  dans  la  reconnaissance  du  capitaine  Privé  {L  c,  p.  101-104) 
des  détails  intéressants  sur  ia  façon  dont  étaient  gardés  par  des  murailles  et 
des  fortins  les  défilés  du  Djebel-Cherb,qui  s'étend  au  sad  de  la  route  et  paral- 
lèlement à  elle.  11  y  alà,semble-t-il,  de  véritables  clisurae  byzantines,  fermant 
les  passages  qui  à  travers  la  montagne  mènent  au  Bled  Segui,  mais  les  indi- 
cations données  sont  trop  vagues  pour  qu'on  puisse  dire  si  ces  ouvrages  sont 
romainsjou  byzantins. 

3.  C.  1.  L.,  Vin,  101-102. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  Î33 

pour  barrer  les  débouchés  de  l'étroit  passage  ouvert  entre  le 
Chott-el-Djerid  et  le  Chott-el-Gharsa,  cette  citadelle  avait,  en 
effet,  une  importance  capitale.  «  Située  au  seuil  du  désert, 
au  point  où  les  dernières  hauteurs  du  Tell  s'ouvrent  pour  for- 
mer une  sorte  de  carrefour  auquel  aboutissent  les  trois  grandes 
vallées  qui  conduisent,  Tune  au  fond  du  golfe  de  Gabès, 
l'autre  à  Tébessa,  la  troisième  au  centre  de  la  régence  de  Tu- 
nis, elle  est  tout  à  la  fois  une  des  «  portes  >»  du  Sahara  et  une 
des  clefs  du  Tell,  le  point  de  transit  obligé  des  caravanes  du 
Soudan  et  le  poste  avancé  des  hauts  plateaux  contre  les  incur- 
sions des  nomades  »*.  Aussi  Justinien  avait-il  voulu  qu'elle 
fût  Tune  des  résidences  du  duc  de  Byzacène',  et  ce  fait  indi- 
que assez  le  rôle  considérable  qu'il  lui  destinait. 

De  Gafsa,  la  frontière  byzantine  remontait  brusquement 
vers  le  nord.  Il  ne  semble  point,  en  effet,  que  la  région  de 
rOued-Oum-el-Ksob,  dont  la  vallée  ouvre  un  important  pas- 
sage vers  le  nord,  fût  enveloppée  dans  la  ligne  des  forteresses 
byzantines  :  du  moins,  dans  la  contrée  si  peu  connue  qui  se 
trouve  à  l'ouest  et  au  nord-ouest  de  Gafsa,  MM.  Gagnât  et  Sa- 
ladin  ne  signalent  aucune  ruine  byzantine,  si  ce  n'est  un  for- 
tin construit  à  Henchir-Mzira,  à  l'endroit  où  le  Fedj-Rettala 
donne  accès  sur  la  trouée  qui  nous  occupe;  encore  conserve- 
t-on  quelque  doute  sur  le  caractère  militaire  de  cet  ouvrage*. 
Le  limes  suivait  donc  ici  la  grande  voie  de  Capsa  à  Thélepte, 
qui  de  distance  en  distance  était  jalonnée  de  postes  fortifiés. 
C'était,  près  de  Gafsa,  à  Ksour-el-Kraïb,  une  grande  cons- 
truction carrée  de  40mètres  de  côté*;  plus  loin, près  duKhan- 
guet-el-Aïch,  une  tour  d'observation*;  enfin,  à  l'endroit  où 
l'Oued-Bou-Haya,  qui  passe  à  Thélepte,  rencontrait  la  vallée 
latérale  de  l'Oued- Goubeul,  au  point  où  la  route  traverse  le 


1.  Tissot,  II,  p.  668. 

2.  Cod.  JusL,  1,  27,  2,  1  a. 

3.  Saladin,  I,  p.  105  ;  Gagnât,  Arck.  des  Missions,  XII,  p.  175. 

4.  Saladin,  I,  p.  100. 

5.  C.  /.  L.,  VIII,  p.  30. 


234         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Khanguet-OguelT,  le  Kasr-el-Foul,  qui  mesure  32  mètres  sur 
21,  commandait  le  passage  ^ 

La  forte  ville  de  Thélepte,  à  laquelle  aboutissait  cette  voie, 
occupait  comme  Gafsa  une  admirable  position  stratégique ' • 
Sa  puissante  citadelle  barrait  absolument  Tétroit  défilé  par 
lequel  rOued-bou-Haya' s'écoule  vers  le  sud,  et  couvrait  au 
loin  le  vaste  plateau,  jadis  peuplé  et  fertile,  qui  s'étend  vers 
le  nord-est  jusqu'à  Cilliiim  (Kasrin)et  Sufetula  (Sbeitla).  Elle 
surveillait,  d'autre  part,  le  pays  découvert  qui  s'ouvre  dans  la 
direction  de  Touest.  Il  semble,  en  effet,  qu'entre  Thélepte  et 
Théveste,  le  limes  byzantin  ne  suivait  point  les  routes  qui  re- 
lient ces  deux  points,  en  passant  soit  par  Bir-Oum-Ali,  soit 
par  Tamesmida  ^  :  on  n'a  signalé  dans  ces  ruines  aucune 
trace  d'occupation  byzantine*;  et  d'autre  part,  l'étude  fort 
attentive  que  j'ai  faite  du  terrain  entre  Feriana  et  Tébessa 
m'incline  à  croire  que  la  ligne  frontière  se  trouvait  un  peu 
plus  à  l'est,  à  quelque  distance  en  avant  de  la  route  qui  mène 
de  Thélepte  à  Théveste  par  Gillium  et  la  plaine  du  Fouçana. 
Au  nord  de  Thélepte,  tout  le  long  de  TOued-bou-Haya,  on 
rencontre  une  série  de  fortins  barrant  du  nord  au  sud  le  pas- 
sage delà  plaine;  une  redoute  était  établie  au  pied  du  Djebel- 
Dernaia,  à  l'endroit  où  le  long  défilé  du  Khanguet-bou-Haya 
conduit  dans  la  grande  forêt  de  Bou-Chebka;  au  milieu  de 
ces  bois,  un  peu  au  nord,  la  petite  citadelle  d'Aïn-bou-Dris, 
construite  par  le  patrice  Solomon,  occupait  une  position  ad- 
mirable*, à  portée  de  la  route  de  Théveste  à  Capsa,  et  à  l'en- 
droit où  une  vallée  latérale  donnait  entrée  dans  la  riche  plaine 
du  Fouçana;  de  là,  par  une  ligne  brisée  assez  incertaine,  la 
frontière  rejoignait  les  postes  qui,  au  sud  des  cols  de  Becca- 
ria  et  de  Tenoukla^  protégeaient  les  abords  de  Théveste. 

1.  Saladin,  l,  p.  116. 

2.  Tissot,  II,  p.  648-649,  676-678;  Bull.  Com.y  1885,  p.  131-149;  1888,  p.  177-193. 

3.  Tissot.  II,  p.  648-649;  Gagnât,  Armée,  p.  574-577. 

4.  Il  y  a  bien  le  poste  de  HeDchir-el-KUb  (Saladin,  I,  p.  148),  mais  si  ce  kasr 
était  byzantin,  il  serait  étrange  que  Bir-Oum-Aii  et  Tamesmida  ne  soient 
point  occupés. 

5.  C.  /.  L.,  VIII,  2095,  Add, 


L'OCCUPATION  MILTTAraE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  235 

Parmi  les  forteresses  construites  par  Justinien  en  Byza- 
cëne,  et  destinées  à  repousser  les  incursions  des  Maures,  Pro- 
cope  mentionne  encore,  comme  situées  sur  la  frontière  même, 
les  deux  villes  fortifiées  de  Mamma  et  de  Kouloulis  et  le  châ- 
teau d*Ammaedera*.  Nous  connaissons  ce  dernier  point  :  c'est 
la  citadelle  d'Haïdra,  située  en  arrière  de  la  ligne  frontière»  au 
nord-est  de  Tébessa.  sur  la  grande  voie  qui  mène  de  celte 
ville  à  Carthage.  Quant  aux  deux  autres  places  fortes,  Templa- 
cément  en  est  inconnu,  mais  il  semble  assez  difficile  de  les 
identifier  avec  quelqu'un  des  postes  compris  dans  le  limes  que 
nous  venons  de  décrire.  Ils  paraissent,  en  eiïet,  être  situés  assez 
au  nord  de  cette  ligne,  et  bien  plus  dans  l'intérieur  du  pays. 
Il  est  plusieurs  fois  fait  mention,  dans  les  textes,  de  la  plaine 
de  Mamma,  entourée  de  hautes  montagnes;  c'est  là,  qu'en 
534,  Solomon  battit  les  Berbères*,  c'est  là  aussi  qu'en  S47, 
après  la  défaite  des  Byzantins  à  Marta,  les  tribus  indigènes 
vinrent  s'établir,  après  avoir  ravagé  la  Byzacène,  pendant  que 
lepatrice  Jean  reformait  son  armée  àLaribus^.  Or,  ici  encore, 
la  Johannide   nous  apporte  de  précieux  renseignements  : 
lorsque,  au  printemps  de  548,  les  troupes  grecques  furent  assez 
fortes  pour  reprendre  Toffensive,  les  chefs  berbères  se  déci- 
dèrent à  battre  en  retraite;  ils  se  replièrent  vers  la  côte,  et, 
après  dix  jours  de  route,  ils  installèrent  leur  camp  à  Tabri 
des  remparts  de  lunca*.  C'est  donc  au  nord-ouest  de  cette 
ville,  non  loin  d'une  ligne  tracée  de  ce  point  du  littoral  vers 
Laribus,  c'est-à-dire  en  tout  cas  dans  l'intérieur  même  de  la 
Byzacène,  qu'on  cherchera  la  plaine  de  Mamma.  Il  est  possible 
peut-être  de  préciser  davantage  les  choses  :  la  grande  voie 
qui  aboutit  au  littoral  tout  auprès  de  lunca  et  qui    servit 
évidemment  de  ligne  de  retraite  aux  indigènes,  est  celle  qui, 
d'après  l'Itinéraire  d'Ântonin,  relie  Assuras  (Zanfour)  à  Maco- 
mades,  en  passant  par  Sufes  (Sbiba),  Safetula  (Sbeitla),  Nara, 

1.  Aed.y  p.  342. 

2.  Bell.  Vand.j  p.  453. 

3.  Joh  ,  vu,  283,  142-149. 

4*  Id.,  Vil,  370-374;  391-392. 


236         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Madarsuma  et  Tabalta*.  Or,  à  Test  de  Sbiba,  entre  cette  ville 
et  Kairouan,  les  historiens  arabes  mentionnent  un  village  de 
Mams*,  près  duquel,  en  688,  une  grande  bataille  se  donna 
entre  les  Arabes  et  les  Berbères^  et  dont  on  remarquera  l'évi- 
dente analogie  avec  le  nom  grec  de  Ui[L\>.riq.  On  cherchera  donc, 
selon  toute  vraisemblance,  l'emplacement  de  la  forteresse  sur 
les  hauts  plateaux  qui  avoisinent  la  vallée  moyenne  de  TOued- 
Zeroud,  au  sud  du  pays  montagneux  qui  couvre  le  centre  de 
la  Tunisie.  J'ai  essayé  de  démontrer  ailleurs  que  la  Kouloulis 
de  Procope  peut  être  avec  quelque  vraisemblance  identifiée  à 
la  ville  forte  dont  les  ruines  se  trouvent  à  Djeloula,  au  nord- 
ouest  de  Kairouan  ^  Assurément,  ce  n'est  là,  pour  aucune  des 
deux  villes,  une  situation  qui  justifie  les  expressions  èv  eoxaria 
Tfj<;  xtùpaç  employées  par  Thistorien  byzantin.  Est-ce  à  dire  que 
Procope  se  soit  trompé  dans  ses  indications  topographiques, 
d'ailleurs  assez  vagues?  la  chose  n'est  point  impossible.  Ou 
bien  faut-il  admettre  qu'en  Byzacène  comme  en  Numidie,  la 
domination  byzantine  ne  s'étendit  vers  le  sud  que  par  étapes 
successives,  et  que  les  renseignements  de  l'écrivain  s'appli- 
iquent  à  la  première  période  de  l'occupation,  avant  que  les 
grands  succès  de  Solomon  eussent  débarrassé  le  pays?  Dans 
ce  cas,  il  resterait  à  expliquer  pourquoi,  dans  le  même  para- 
graphe, Procope  nomme,  dans  la  même  série  de  forteresses, 
Thélepte,  incontestablement  située  plus  au  sud;  pourquoi 
surtout,  dès  534,  Justinien  peut  assigner  pour  résidence  pro- 
visoire au  duc  de  Byzacène,  non  seulement  Thélepte,  mais  la 
ville  plus  méridionale  encore  de  Capsa".  Quoi  qu'il  en  soit, 
nous  retrouverons  ultérieurement  ces  places  en  étudiant  la 
seconde  ligne  de  défense  de  la  Byzacène  :  il  suffit  pour  le  pré- 


1.  Tis»ot,  H,  p.  644-648;  Itinéraire  cTAntonin  {Rech,  des  antiquités,  p.  246). 

2.  El-Bekri  {Journal  asiat.,  l.  c,  t.  XHI,  p.  397)  ;  Noweiri  {ibid,,  t.  c,  t.  XI, 
p.  132). 

3.  Fournel,  l.  c,  p.  195. 

4.  Cf.  Diôhl,  Kappor/,  p.  118-119. 

5.  Cod,  Just.y  I,  27,  2,  1  a. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  237 

sent  d'avoir  marqué  les  motifs  qui  nous  empêchent  de  les 
ranger  parmi  les  postes  échelonnés  le  long  du  limes  africain. 


III 

Frontière  de  Numidie. 

A  l'endroit  où  la  frontière  byzantine  atteignait  les  confins  de 
la  Numidie,  la  première  place  importante  que  Ton  rencontrait 
était,  sur  les  limites  mêmes  des  deux  provinces,  la  forte  cita- 
delle de  Théveste  *.  On  a  insisté  bien  des  fois  sur  l'impor- 
tance stratégique  de  ce  poste,  sur  Tadmirable  position  qu'il 
occupait  pour  couvrir  la  province  d'Afrique  «  contre  toute 
invasion  venant  du  sud,  soit  de  la  Numidie^  soit  de  la  Byza- 
cène  )>*,  sur  les  avantages  qu'il  offrait  comme  base  d'opéra- 
tions, aussi  bien  contre  les  Berbères  de  Test  que  contre  les 
montagnards  de  PAurès  et  les  populations  du  sud  de  la  pro- 
vince de  Constantine '.  On  conçoit  que  les  Byzantins  er)  aient, 
comme  les  Romains,  apprécié  toute  la  valeur  :  elle  était  d'au- 
tant plus  grande  pour  eux  que,  n'ayant  pins  guère  à  s'occuper 
des  Maurétanies,  ils  trouvaient  à  Théveste  le  centre  même  de 
leur  ligne  de  défense,  entre  la  mer  et  le  Hodna.  Dans  la 
plaine  que  surveillait  et  commandait  cette  place,  débouchaient 
de  toutes  parts  des  routes  importantes  \  celles  du  sud-est  qui 
venaient  de  Gafsa  et  de  Thélepte,  celle  de  Test,  qui  par  la 
vallée  de  TOued-el-Hatob  arrivait  de  Sufetula,  celle  du  nord 
qui  menait  à  Carthage,  celles  du  nord-ouest  qui  allaient  à 
Thagaste  et  à  Cirla,  celle  de  l'ouest  qui,  longeant  le  pied  de 

\.  CI.  L.y  VllI,  1863-1864.  Cf.  MoU  (Rec.  de  ConsL,  1858-59,  avec  un 
plaD,  et  1860);  VilIefoBse  (Tour  du  mondent.  XXXX,p.  28-29)  ;  Tisaot,  H,  p.  466- 
468,  472-473. 

2.  MoU,  Le,  J858-59,p.  81-82. 

3.  Gagnât,  Armée  romaine^  p.  497-498. 

4.  Tiesot,  II,  p.  465. 


238         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

l'AurèSy  se  prolongeait  jusqu'à  Lambèse  par  Mascula  et  Tha- 
mugadi,  celles  du  sud-ouest  enfin  qui  arrivaient  du  désert 
par  les  vallées  de  TOued-Hallel  et  de  rOued-Tilidjen.  Au 
nœud  de  cet  important  réseau  routier,  Théveste  fermait  aux 
envahisseurs  les  passages  du  sud,  couvrait  et  protégeait  les 
routes  du  nord,  et  tout  autour  de  la  puissante  citadelle,  d'au- 
tres fortins  avancés  complétaient  son  système  de  défense  et 
barraient  les  principaux  passages  qui  s'ouvraient  sur  la 
plaine.  Au  sud-est,  du  côté  de  Thélepte,  au  delà  des  cols  de 
Bekkaria  et  de  Tenoukla,  on  signale  dans  la  vallée  de  TOued- 
el-Ma  le  poste  de  Henchir-bou-Sebaa  S  et  Ton  a  déjà  noté 
la  position  qu'occupait  la  citadelle  d'Aïn-bou-Dris.  Sur  la 
route  qui  venait  de  Cillium  et  de  Sbeitla,  par  la  plaine  du 
Fouçana  et  le  Khanguet-Oum-el-Ouahad,  le  poste  fortifié 
d'Henchir-el-Hammam  défendait  la  vallée,  à  Tendroit  où  elle 
se  resserre  entre  le  Djebel-Chambi  et  le  Djebel-Semmana'; 
au  nord-est,  sur  la  route  de  Carthage,au  défilé  du  Khanguet- 
Mazouch,  la  redoute  de  Ksar-Gouraï  mettait  un  jalon  entre 
Théveste  et  la  puissante  forteresse  d'Haïdra»  ;  du  côté  du 
nordy  à  l'endroit  où  le  col  d'El-Attaba  traverse  le  massif  du 
Djebel-Dir,  un  château  fort  s'élevait  à  Gastal^;  enfin,  de 
nombreux  ouvrages  surveillaient  les  routes  du  sud*  ouest,  le 
Trik-el-Karreta  et  les  passages  de  TOued-Hallel;  et  Ton  voit 
avec  quel  soin  le  patrice  Solomon  avait,  dans  cette  position 
militaire  de  premier  ordre,  accumulé  les  moyens  de  défense. 
De  Théveste  jusqu'à  la  profonde  coupure  où  passait  la  voie 
romaine  de  Lambèse  à  Biskra,  la  frontière  byzantine  longeait 
le  versant  septentrional  de  l'Aurès.  Sur  cet  espace  de  près  de 
200  kilomètres  débouchent  de  nombreuses  voies  d'invasion  ;  à 
travers  les  profondes  déchirures  du  plateau  des  Nememchas, 

i.  RecdeConst.j  1874,  p.  67.  La  coostructioD  pourtant  n'est  pas  sûrement 
byzantine  (cf.  de  Rossi,  Buil,  arch.  crisl.,  1878,  p.  11).  Cf.  aussi  C.  I.  L.,  VIU, 
2079  et  Add, 

2.  Gagnât,  Arch.  des  Missions  y  XII,  p.  147.  Cf.  Tissot,  II,  p.  630. 

3.  Rec,  de  ConsL,  1866,  p.  219;  1876,  p.  421. 

4.  /rf.,  1876,  p  412  Cf.  Villefosse,  /.  c,  p.  412. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  239 

le  long  des  grandes  vallées  du  massif  aurasiqne,  serpentent 
plusieurs  routes  importantes  qui  mettent  en  communication 
le  Sahara  avec  le  Tell.  Déjà,  les  Romains,  qui  occupaient 
pourtant  le  versant  méridional  de  TAurès,  avaient  jalonné 
cette  ligne  d'un  certain  nombre  de  postes  *.  Les  Byzantins, 
dont  la  domination  s'arrêtait  aux  premières  pentes  de  la  mon- 
tagne, durent  à  plus  forte  raison  y  multiplier  les  moyens  de  dé- 
fense. Pour  couvrir  la  région  des  hauts  plateaux,  ilo  y  éta- 
blirent plusieurs  grandes  citadelles,  reliées  par  une  chaîne  de 
postes  qui  barraient  tous  les  passages  de  la  région.  Toutefois, 
si  nombreux  que  soient  les  renseignements  sur  ces  ouvrages, 
il  est  indispensable  d'apporter  une  sévère  prudence  dans  l'é- 
tude qu'on  en  fera.  Les  explorateurs  ont,  en  effet,  fort  abusé 
du  mot  byzantin  pour  désigner  toute  construction  irrégulière 
ou  hâtive;  ils  ne  se  sont  point  attachés  non  plus  à  distinguer 
ici,  aussi  soigneusement  qu'en  Tunisie,  les  constructions 
proprement  militaires  et  les  fortins  simplement  destinés  à 
fournir  un  refuge  aux  populations.  Il  faut  donc  apporter 
quelque  circonspection  à  accueillir  ces  indications';  aussi^ 
partout  où  il  ne  m'a  pas  été  possible  de  les  contrôler  direc- 
tement, je  n*ai  accepté  que  les  informations  où  une  description 
précise  m'a  paru  fournir  des  éléments  suffisants  d'appréciation. 
Entre  Tébessa  et  Khenchela,  plusieurs  vallées  profondes 
constituent  des  lignes  de  pénétration  importantes  '.  Tout  d'a- 
bord, deux  passages  s'ouvraient  par  les  vallées  de  TOued-Ti- 
lidjen  et  de  l'Oued-Hallel.  «  Ces  étroits  couloirs,  dont  les  replis 
tortueux  parcourent  une  longueur  de  20  kilomètres  entre 
deux  murailles  à  pic  d'une  hauteur  de  450  mètres,  présentent 
un  aspect  sauvage^  extrêmement  curieux...  C*est  par  là  que  les 


1.  Cagoat,  Armée,  p.  579-581. 

2.  «  Il  y  a  en  Algérie,  dit  fort  justement  Masqueray  à  propos  de  l'un  de 
ccB  monuments,  bon  nombre  de  ces  petites  ruines  carrées,  basses  et  assez  bien 
conservées,  qui  sont  jusqu'ici  regardées  comme  des  constructions  militaires 
byzantines  et  qui  sont  probablement  tout  autre  chose  »  (Revue  aft\,  1878, 
p.  467). 

3.  Gagnât,  Armée^  p.  584-586. 


240  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

nomades  opèrent  annuellement  leurs  migrations  ^  »  Il  était 
donc  essentiel  d'en  garder  fortement  les  issues.  Et  en  eiïet^ 
sur  la  voie  de  TOued-Tilidjen,  on  signale  des  fortins  byzantins 
à  Aïn-Tilidj  en  "  et  à  Henchir-Bouraoui  •;  ce  dernier  avait  une 
valeur  toute  particulière  ;  établi  à  l'entrée  du  Bahiret-el-Ar- 
neby  il  surveillait  les  passages  de  TOued-Tilidjen  et  du  Foum- 
el-Mallegy  et  couvrait  d'autre  part  les  cols  du  Trik-el-Karreta 
et  de  Tenoukla,  par  où  on  débouche  dans  la  plaine  de  Tébessa. 
Sur  rOued-Hallely  au  point  où  la  vallée  s^élargit  pour  entrer 
dans  le  Bahiret-Mechentel,  un  poste  installé  à  Aïn-Guiber  sur- 
veillait la  rive  droite  de  la  rivière  *;  un  peu  en  arrière,  au 
centre  de  la  plaine^  s'élevait  la  citadelle  de  Cheria*;  plus  au 
nord,  les  redoutes  de  Henchir-Meklides  et  d'Okkous  proté- 
geaient le  col  d'Aïn-Saboun  *,  et  la  tour  de  Ksar-Belkassem^ 
surveillait  le  col  de  Gaïguia  par  où  une  route  gagne  la  vallée 
de  VOued-el-Kebir. 

Les  vallées  de  TOued-bou-Doukan  et  de  TOued-bou-Bedjer 
formaient  une  autre  ligne  d'invasion  *  ;  on  y  signale  des  pos- 
tes byzantins  au  sortir  de  la  plaine  du  Guest,  à  Aïn-Seggar', 
à  Aîn-Ghorab^^  et  à  Henchir-Adjedj^^  Mais  le  grand  danger 
venait  surtout  du  large  passage  que  la  vallée  de  TOued-el- 
Arab  ouvre  entre  le  plateau  des  Nememchas  et  le  massif  de 
TAurès  proprement  dit.  Par  là,  un  double   débouché  s*offrait 


1.  Rec.  de  ConsL,  1876,  p.  383. 

2.  W.,  1871,  p.  422. 

3.  W.,  1878,  p.  17-18. 

4.  W.,  1871,  p.  420-421. 

5.  Masqueray,  Ruines  anciennes  de  Khenckela  à  Besseriani  {Revue  afr.^  1879, 
p.  82). 

6.  C.LL.,  VIII,  16751;  Masqueray,  Revue  afr,,  1879,  p.  77-78. 

7.  Rec.  de  ConsL,  1878,  p.  35. 

8.  Cf.  Gagnai,  Armée,  p.  580  et  584. 

9.  Rec.  de  ConsL,  1876-77,  p.  380;  De  Rossi,  /.  c,  4878,  p.  22-24;  Masqueray, 
Revue  afr.,  1878,  p.  467-468. 

10.  Rec.  de  Omet..,  1871,  p.  421;  De  Rossi,  /.  c.  1878,  p.  19-20.  Masqueray, 
Revue  a/r.,  1878,  p.  465-466,  reconuaU  dans  cemonumeDt  une  église,  dod  uue 

forteresse. 

U.  Rec.  de  Const.,  1878,  p.  30-31. 


hnp .  Monrocq-  Faris . 


XoLa:  JLfir  rutrr^  éorùsëfh  ^i-u#b&tf  cnutiiaiff  dtis^mtBnt  £e%i^  arwuiiS' 


CARTE  DE  L'OCCUPATION  MILITAIRE 
de    la 

N  U  M IDIE 

pai*   les   Byzantins 


Echelle  de  i  :  mïo04?oci 


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Vi-0'^ 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  241 

aux  envahisseurs  :  à  Test  du  Tafrent,  par  la  plaine  de  la  Sbikha 
et  la  vallée  de  TOued-Meskiana,  ils  parvenaient  au  centre 
même  des  hauts  plateaux*  ;  vers  le  nord-ouest,  le  col  de  Khen- 
chela,  qui  donne  issue  sur  la  plaine  d'Aïn-Beida,  servait  de 
débouché  à  Tun  des  passages  principaux  qui  conduisent  du 
Sahara  au  Tell,  à  la  route  directe  du  Souf  à  Gonstantine*.  Aussi 
sur  cette  portion  de  la  frontière,  les  généraux  byzantin  s  avaient 
accumulé  les  défenses;  dans  la  Sbikha,  une  grande  forteresse 
s'élevait  à  Henchir-oum-£if,  l'antique  Cedia',  et  une  autre  était 
bâtie  à  Ksar-el-Kelb  (peut-être  Vegesala),  sur  un  mamelon  qui 
commande  une  source  abondante  ^  ;  plus  loin,  au  col  d*El-Fedj> 
paroù  passait  une  des  routes  de  Théveste  à  Mascula,  la  grande 
redoute  d'Henchir-Tebrouri  défendait  le  passage  ^  ;  un  autre 
fortin  gardait  le  col  de  Tazougart^;  enfin,  dans  la  grande 
plaine  fertile»  où  l'Oued-bou-Rougal,  TAbigas  de  Procope, 
écoule  ses  eaux  dans  l'immense  lagune  du  Guerah-el-Tarf,  au 
pied  des  montagnes  des  Amamra,  au  débouché  même  de  la 
route  qui  franchit  le  col  de  Khenchela^  la  puissante  ville  forte 
de  Bagai  formait  un  obstacle  presque  infranchissable*.  Admi- 
rablement établie  sur  un  mamelon  qui  domine  au  loin  le  pays, 
elle  couvrait  une  grande  partie  du  Tell  par  la  proximité  où  elle 
était  de  la  tète  des  principales  vallées  qui  traversent  l'Au- 
rès*;  barrant  les  défilés  de  la  montagne,  elle  surveillait  non 
moins  exactement  l'étroit  passage  ouvert  entre  le  Tarf  et  la 
chaîne  du  Tafrent,  route  nécessaire  de  toute  invasion  qui  veut 

1.  Masqueray,  Bull,  de  Corr.  afr.j  I,  p.  285. 

2.  TisBot,  II,  p.  481. 

3.  Masqueray,  Bti/Z.  de  Corr.  afr.,  \,  326  et  Revue  a/?*.,  1878,  p.  456.  Masque- 
ray {Revue  afr.^  1878,  p.  453)  signale  un  fort  byzantin  à  Âln-Zoui  (Vazani)  : 
mais  le  renseignement  n'est  point  confirmé  d'autre  part. 

4.  Bull,  de  Corr.,  afr.,  I,  p.  285  ;  Rec.  de  Consl.,  1876,  p.  395. 

5.  Rec.  de  Conet.,  1867,  p.  222;  Bull,  de  Corr.  afr.,  I,  p.  281. 

6.  Masqueray,  Revue  afr.,  1878,  p.  452. 

7.  Sur  cette  fertilité,  Masqueray,  Bull,  de  Corr.  afr.,  I,  p.  279-280;  lll, 
p.  105. 

8.  Cf.  Villefosse,  Arch.  des  Missions,  1875;  Tissot,  II,  p.  480,783;  Rec.  de 
Omet.,  1873>74,  p.  215. 

9.  Gagnât,  /.  c,  p.  581-586. 

I.  16 


242  HISTOIRE  DE  LK  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

gagner  le  nord  des  plateaux  ;  vers  Touest  enfin,  elle  comman- 
dait la  large  plaine  qui  s'ouvre  vers  Timgad  et  Batna.  Autour  de 
cette  incomparable  position  stratégique,  un  certain  nombre  de 
redoutes,  dont  le  caraclëre  striclement  militaire  n'est  d'ailleurs 
point  nettement  établi,  couvraient  le  pays  entre  la  forteresse 
et  les  hauteurs  du  Tafrent'  et  cernaient  cette  pointe  avancée 
du  massif  de  TAurès"  :  enfin,  vers  la  fin  du  vi«  siècle,  une  autre 
citadelle  compléta  la  défense.  En  avant  de  Bagai,  un  peu  plus 
au  sud  et  plus  avant  dans  la  montagne,  l'empereur  Tibère  II 
fit  réoccuper  le  poste  romain  de  Mascula,  situé  à  4,300  mètres 
d'altitude,  sur  l'emplacement  actuel  de  Khenchela'.  C'était, 
mieux  encore  que  Bagai^  une  position  militaire  de  premier 
ordre,  observant  les  principales  vallées  de  TAurès  et  offrant 
une  base  d'opérations  admirable  à  toute  colonne  chargée  de 
pénétrer  dans  la  montagne  ^ 

Entre  Bagai  et  Thamugadi,  aucune  voie  importante  ne  dé- 
bouche du  massif  de  l'Aurès  :  pourtant  les  moindres  passages 
étaient  surveillés  par  des  redoutes,  généralement  établies» 
selon  l'usage,  à  proximité  des  points  d'eau '^.  C'est  ainsi  qu'en 
face  du  Foum-el-Gueiss  on  signale  le  fort  d'Henchir-Halloufa*, 
et  plus  à  l'ouest,  les  postes  d'Aïn-el-Ksar  et  d'Henchir-Mliya'; 
plus  loin,  à  la  sortie  du  couloir  qui  sépare  le  Djebel- Amran 
des  derniers  contreforts  de  T  Aurôs,  un  ouvrage  s'élevait  à  Hen- 
chir-Mamra';  mais  c'est  surtout  vers  le  défilé  de  Foum-Kosan- 
tina  que  s'était  porté  dans  cette  région  l'effort  de  Toccupation 

i,  Hec.deConsl.yi%%l,  p.  223. 

2.  ici.,  p    ai7,  221  ;  BulL  de  Cort\  afr.y  I,  p.  283. 

3.  C.  /.  L.,  VÏII,  2245. 

4.  Tissot,  11,  p.  481  ;  Masqaeray,  De  Aurasio  monte,  p.  21-22;  Rec.  de  ConsL, 
1873-'74,  p.  209-211,  note,  et  Masqueray,  Revue  afr,,  1878.  p.  449-450.  Un  fortin 
assura  les  communications  entre  Mascula  et  Bagai  (Gsell  etGraïUot,  l.  c,,p,  114). 

5.  Sur  Fensemble  du  système  défensif  des  Byzantins  dans  cette  région, 
voir  Gsell  et  Graillot^  Explorations  archéologiqties  dans  le  département  de 
Constantine  (Méianges  de  V École  de  Rome,  1893  et  1894),  p.  17-18  du  tirage  à 
part. 

6.  Gsell  et  Graillot,  /.  c,  p.  31. 

7.  Ibid,,  p.  69  et  65. 

8.  Ibid  ,  p.  24. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  243 

byzantine.  Là  aboutissaient  en  eiïet  les  routes  qui  viennent 
des  vallées  de  TOued-el- Abiod  et  de  l'Oued-Abdi  ;  là  il  y  avait 
une  remarquable  position  à  prendre,  soit  pour  arrêter  les  in- 
cursions des  montagnards  et  des  nomades  du  sud,  soit  pour 
pénétrer  dans  Tintérieur  du  massif  aurasique'.    En    tout 
temps  les  colonnes  chargées  d'opérer  dans  TAurès  ont  trouvé 
là  un  de  leurs  points  d*appui  :  les  généraux  de  Justinien,  pas 
plus  que  les  Romains,  ne  négligèrent  de  s'assurer  un  poste 
stratégique  de  si  haute  valeur.  Parmi  les  ruines  de  la  ville 
déserte  de  Tbamugadi,  ils  construisirent  une  forte  citadelle 
qui  barra  le  passage*,  et  bien  que  la  ligne  des  Ghotts,  qui  cou- 
vrent parallèlement  à  TAurës  toute  cette  portion  des  hauts 
plateaux  numides,   semblât  former  en  arrière  de  cette  pre- 
mière ligne  un  obstacle  naturel  à  l'invasion^  les  Byzantins 
renforcèrent  encore  par  une  série  d'ouvrages  ce  système  dé- 
fensif  et  firent  de  toute  cette  région  comme  «  un  grand  camp 
retranché  tourné  vers  le  sud  »^  comme  un  vaste  quadrilatère 
appuyé  sur  les  forteresses  de  Bagai  et  de  Mascula  à  Test,  de 
Tbamugadi  et  de  Guessès  à  Touest.  En  arrière  de  Bagai,  entre 
le  Guerah-el-Tarf  et  le  Djebel-Fedjoudj,  un  fort  dedimensions 
assez  considérables  ferma  à  Henchir-Sbaragout  le  passage  ou- 
vert vers  le  nord*;  la  redoute  d'Henchir-Seffan  garda  le  col 
de  Teniet-el-Kebch  taillé  dans  la  masse  du  Djebel-Seffan*^; 
mais  surtout  on  s  appliqua  à  barrer,  entre  le  Djebel-Seffan  et 
le  Djebel-Arif,  l'importante  trouée  de  TOued-Chemorra.  Une 
vaste  forteresse  fut  construite  à  Henchir-Guessès^  protégeant 


1.  Cagnat,  Armée  romaine,  p.  58i;  Timgad,  p.  iv  ;  Masqueray,  De  Aurasio 
monte,  p.  23-24. 

2.  Rec.  de  Consl.y  1873-1874,  p.  199-201;  1882,  p.  344;  Tissot,  II,  p.  489-490, 
et  Maaqueray,  Les  ruines  de  Tamgad  (Revue  afr,,  1876,  p.  466-468). 

3.  GseU  et  Graiilot,  /.  c,  p.  17. 

4.  Ibid,,  p.  117. 

5.  Ibid.,  p.  127. 11  De  me  semble  pas  qu'il  faille  comprendre  dans  le  système 
défenaif  plusieurs  fortins  que  MM.  Gsell  et  Graiilot  signalent,  soit  au  pied 
da  Djebel-Fedjoudj,  soit  entre  Bagai  et  Guessès  :  ces  ouvrages  paraissent  plutôt 
destinés  à  couvrir  des  centres  d'babitation,  et  nous  leur  ferons  place  en  con- 
séquence dans  un  autre  chapitre  de  cette  étude. 


244 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


la  route  qui  du  Foum-Kosantina  mèae  à  Constantine  et  ren- 
forçant utilement  la  position  de  Timgad^  Enfin  à  Touest  de 
Thamugadi,  sur  remplacement  même  de  Lambëse,  au  point 


(Fig.  51.  —  Guessès.  Eaceinte  de  la  ville  byzantine. 
(D*aprè8  le  plan  de  M.  Gsell.) 

OÙ  durant  tant  d'années  l'armée  romaine  d'Afrique  avait  eu 
son  quartier  général,  une  citadelle  de  première  ligue  surveil- 


i.  Rec.  de  ConsL,  1860-61,  p.  131-132;  1873-74,  p.   206;  1892,  p.  203-^04,  et 
Burtout  Gsell  et  Graillot,p.  119-120. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  245 

lait  les  débouchés  du  passage  qui,  par  le  col  d'ËI-Kantara,  fait 
communiquer  le  Sahara  avec  la  région  des  hauts  plateaux'. 
A  la  fin  du  vi*  siècle,  sous  le  règne  de  l'empereur  Maurice,  on 
établit,  sur  la  route  même  qui  conduit  de  Biskra  à  Lambèse» 
à  l'endroit  où  cette  grande  voie  débouche  dans  la  plaine,  une 
redoute  auprès  d'El-Ksour,  au  sud  de  Batna'  :  elle  devait 
achever  de  fermer  la  porte  aux  invasions  du  sud. 

Ici  se  pose  une  question  fort  importante.  A  partir  du  com- 
mencement du  ii«  siècle  de  TEmpire,  la  frontière  romaine, 
arrêtée  jusque-là  au  versant  septentrional  de  l'Aurès,  s'avance 
d'un  bond  vers  le  su3,  et  une  nouvelle  ligne  de  forteresses, 
établie  aux  limites  mêmes  du  désert,  fait  à  la  fois  rempart 
contre  les  nomades  et  achève  de  cerner  par  le  midi  le  redou- 
table massif  aurasien.  On  connaît  les  principaux  postes  de 
cette  ligne  :  c'est,  à  partir  du  Chott-el-Gharsa,  Spéculum,  Ad 
Turres,  Ad  Majores  (Besseriani),  Ad  Médias  (Taddert),  Badias 
(Badis),Thabudeos(Thouda),Bescera  (Biskra),  d'où  Ton  gagnait 
Lambèse  par  la  grande  voie  militaire  du  col  d'El-Kantara  :  de 
cette  sorte,  on  empêchait  à  la  fois  les  Sahariens  de  donner  la 
main  aux  populations  de  l'Aurès,  et  les  gens  du  Zab  et  du 
Hodna  de  s'unir  à  eux  dans  une  commune  et  formidable  in- 
surrection». Jusqu'aux  derniers  jours  de  l'Empire,  Rome  de- 
meura maîtresse  de  cette  ligne*  :  il  importe  de  savoir  si,  à 
quelque  moment  de  leur  domination,  les  Byzantins  réussirent 
à  en  reprendre  possession. 

Sur  remplacement  de  plusieurs  des  postes  romains  énu- 
mérés  plus  haut,  on  a  signalé  des  ouvrages  de  fortification 
qu'on  a  attribués  à  l'époque  byzantine.  A  Besseriani,  on  men- 
tionne une  enceinte  entourant  la  ville,  et  qui,  dit  M.  Gagnât, 
«  d'après  la  description  qui  en  a  été  donnée,  ne  peut  être  que 
byzantine  »\  On  affirme  que  l'établissement  de  Badias  existait 

1.  Ti880l,  II,  p.  497-498;  Rcc.  de  ConsL,  1873-74,  p.  191-192. 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  2525. 

3.  Gagnât,  /.  c,  p.  562,  567,  570-71,  583-584. 

4.  W.,  p.  754-755. 

5.  /d.,  p.  565,  uote  2. 


Î46  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

encore  au  Bas-Empire  :  et  en  eifet^  parmi  les  villes  grecques 
de  la  Numidie,  Georges  de  Chypre,  un  géographe  du  vi*  siècle, 
nomme  la  ville  de  Ba$r^;S  et  les  historiens  arabes  la  montrent 
au  vn""  siècle  menacée  par  Sidi  Okba^  A  la  même  époque,  on 
prétend  qu'une  garnison  byzantine  occupait  Thouda',  et  Ibn 
Abd-el-Hakem  déclare  que  c'est  l'armée  des  Ronms  qui,  alliée 
aux  Berbères,  défit  près  de  cette  place  le  conquérant  arabe \ 
Enfin  au  sud-ouest  de  Biskra,  à  Tolga,  L.  Renier  a  cru  re- 
connaître une  citadelle  de  l'époque  byzantine'.  La  démonstra- 
tion semble  donc  certaine,  et  il  faudrait  admettre  que  les 
généraux  grecs,  réalisant  le  rêve  de  Jusiinien,  ont  reporté  jus- 
qu'aux antiques  limites  de  l'Afrique  romaine  la  frontière  des 
possessions  byzantines. 

La  chose  pourtant,  il  faut  le  dire,  parait  a /?rtori  fort  invrai- 
semblable. Assurément,  l'histoire  de  TAfrique  grecque  nous 
est  trop  incomplètement  connue  pour  qu'on  puisse  rien  con- 
clure du  silence  des  historiens,  mais  enfin  on  voit  mal  à  quel 
moment,  par  quels  moyens,  les  Byzantins,  déjà  si  embarras- 
sés de  défendre  les  hauts  plateaux  de  la  Byzacène  et  de  la 
Numidie  contre  les  incursions  des  tribus  berbères,  auraient 
réussi  à  pousser  si  avant  les  bornes  de  TEmpire.  Voici  une 
considération  plus  grave  :  si  les  Grecs  avaient  réellement  oc- 
cupé une  ligne  de  places  au  sud  de  l'Aurès,  toute  communi- 
cation eût  été,  ce  semble,  interrompue  entre  les  montagnards 
et  les  Sahariens.  Or,  entre  la  Miurétanie  et  le  massif  aura- 
sien,  les  relations  sont  faciles  :  moins  de  sept  ans  après  la 
grande  expédition  de  Solomon,  labdas  est  rentré  en  maître 
dans  sa  montagne,  ce  qui  indique  une  occupation  bien  passa- 
gère ou  au  moins  bien  insuffisante*  ;  en  546,  les  populations 


1.  Georg.  Cypr.,  p.  3t.  Cf.  Proc,  Aed    (passage  iné  Ut),  qui  signale  également 
parmi  les  citadelles  destinées  &  cerner  TAurës  la  place  de  BaSv];. 

2.  Fournel,  /.  c,  p.  176  ;  Rec.  de  Const.y  1813-74,  p.  294. 

3.  Rec.  de  Const.y  1873-74,  p.  293. 

4.  Id.,  1873-74,  p.  293  ;  Fournel,  /  c.  p.  177. 

5.  Renier,  Arch.  des  Miss»  y  1851,  p.  449. 

6.  Bell.  Vand.,  p.  515.  Cf.  p    506. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  247 

qui  habitent  la  contrée  au  sud  des  Chotts,  celles  qui  sont  éta- 
blies sur  le  Tersant  méridional  de  TAurës,  s'associent  sans 
difficulté  à  l'insurrection  des  montagnards  S  ce  qui  ne  parait 
point  attester  une  domination  byzantine  bien  solidement  éta- 
blie dans  la  région.  Enfin  et  surtout  les  arguments  qu'on  in- 
voque ont,  en  fait,  beaucoup  moins  de  portée  qu'il  ne  semble 
à  première  vue.  Nous  écarterons  tout  d*abord  le  renseigne- 
ment relatif  à  Tolga  :  comme  l'observe  justement  M.  Gagnât, 
a  la  similitude  du  plan  avec  celui  des  citadelles  de  Timgad  et 
Lambëse  n'est  peut-être  pas  une  raison  entièrement  déci- 
sive »  *,  un  rectangle  flanqué  de  tours  pouvant  tout  aussi  bien 
être  une  construction  militaire  romaine.  Pour  Besseriani,  la 
description  assez  vague  donnée  par  M.  Baudot 'mo  parait 
beaucoup  moins  significative  que  ne  pense  M.  Gagnât  :  et 
d'ailleurs  un  explorateur  compétent,  M.  Masqueray,  attribue 
sans  hésitation  cette  enceinte  à  l'époque  romaine  *  :  en  pré- 
sence d'informations  contradictoires  et  assez  incertaines,  Use- 
rait donc  fort  imprudent  de  rien  conclure.  Ainsi,  au  lieu  d*une 
ligne  de  postes,  longeant  tout  le  sud  de  l'Aurès,  il  no  s'agit 
plus  maintenant  que  de  deux  villes  fortes,  voisines  Tune  de 
l'autre,  Badis  et  Thouda.  Je  ne  crois  point  qu'il  faille,  en  ce 
qui  les  touche,  attacher  trop  d'importance  aux  textes  du 
vu*  siècle  :  à  ce  moment,  en  face  de  l'invasion  arabe,  il  y  a  eu, 
on  le  verra  plus  tard,  alliance  conclue  entre  les  Grecs  et  les 
indigènes  menacés  par  un  commun  danger  ;  il  n'est  point  sur- 
prenant que,  dans  ces  circonstances,  les  troupes  byzantines, 
qui  à  cette  date  occupaient  encore  les  citadelles  établies  au 
pied  septentrional  de  l'Aurès,  qui  venaient  de  résister  dans 
Bagai  et  Lambèse  aux  attaques  de  Sidi  Okba,  aient  concerté 
leurs  mouvements  avec  ceux  des  Berbères,  et,  pour  couper 
la  retraite  au  général  arabe,  momentanément  passé  au  sud  de 


\.Joh.,U,  146-156. 

2.  Cagnat,  Z.  c.,p.  594. 

3.  Rec.  de  Const.,  1875,  p.  124-425. 

4»  Masquent,  Revue  afr.,  4879,  p.  73-76. 


248  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

TAurës.  Les  historiens  racontent  qu'à  la  têle  de  Tarmée  qui 
attaqua  le  conquéreuit  musulman  se  trouvait  Kocéila,  un  grand 
chef  indigène,  ce  qui  semble  bien  réduire  au  r61e  d'auxiliaires 
les  contingents  byzantins  '  ;  et  quant  au  fait  de  trouver  des 
places  fortes  entre  les  mains  des  tribus  berbères,  il  paraîtra 
peu  surprenant,  si  Ton  songe  que,  jusqu'au  xi®  siècle,  ces 
mêmes  villes  de  Thouda  et  Badis  abritèrent  derrière  des  rem- 
parts leur  population  *.  Ici  encore,  en  Tabsence  de  renseigne- 
ments précis  sur  la  nature  des  ruines  conservées  à  Badis  et 
à  Thouda,  rien  n'oblige  à  admettre  Texistence  d'établisse- 
ments byzantins  au  sud  de  TAurès.  Il  reste  pourtant  à  discuter 
les  textes  de  Procope  et  de  Georges  de  Chypre,  qui  semblent 
placer  Badis  dans  l'Afrique  grecque  à  la  fin  du  vi'  siècle.  Mais 
rien  ne  prouve  qu'il  s'agisse  ici  du  poste  romain  de  Badias. 
Il  y  avait  dans  la  Numidie  deux  villes  au  moins  de  ce  nom  ^, 
ce  qui  laisse,  on  l'avouera,  quelque  place  au  doute.  Par  sur- 
croît, parmi  les  populations  indigènes  qui  prirent  part  à  la 
grande  guerre  de  546,  Gorippus  nomme  précisément  les 
Maures  qui  habitaient  le  territoire  de  Badis  \  Et  ici,  il  ne  sau- 
rait y  avoir  nulle  incertitude  sur  l'emplacement  désigné.  Go- 
rippus parle  de  la  moisson  que  font  deux  fois  par  an  les  habi- 
tants de  «  la  chaude  Vadis  ».  Or  ce  même  détail  se  retrouve 
dans  El-Bekri  à  propos  de  l'antique  Badias'.  Il  serait  bien 
surprenant,  si  au  vi«  siècle  les  Byzantins^  je  ne  sais  trop  par 
quel  miracle,  avaient  occupé  ce  poste,  que  la  région  fût  signa- 
lée comme  étant  le  centre  d'une  population  insoumise.  Enfin^ 
si  les  Grecs  avaient  établi  des  forteresses  au  sud  de  l'Aurès, 
ils  auraient  dû  nécessairement  occuper,  comme  les  Romains 
l'avaient  fait,  la  voie  militaire  de  Biskra  àLambèse  :  or  on  ne 
trouve  sur  cette  ligne,  avant  la  redoute  d'El-Ksour,  aucune 
trace   de  forteresses   byzantines;  et  c'est   là  une  dernière 

1.  Fournel,  /.  c,  p.  177. 

2.  El-Bekri,  /.  c,  t.  Xlll,  p.  130. 

3.  Nolitia  episc.  Numidiae  (éd.  Halm),  7  et  117. 

4.  Joh.,  U,  156-157. 

5.  El-Bekri,  /.  c,  t.  XUl,  p.  131. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  2i9 

preuve,  et  non  la  moins  décisive,  que  jamais  les  Byzantins 
n'ont  réussi  à  cerner  par  Touest  et  par  le  sud  le  massif  de 
l'Aurès. 

Il  est  vrai  que  Procope  affirme  qu'en  539  les  Romains  se 
décidèrent  à  occuper  définitivement  cette  région  et  y  élevèrent 
des  citadelles  pour  empêcher  les  indigènes  d'en  reprendre  pos- 
session*; et  cette  assertion  de  Thislorien,  prise  à  la  lettre,  pour- 
rait donner  quelque  crédit  à  l'hypothèse  qui  étend  jusqu'au 
sud  de  la  montagne  la  domination  byzantine.  Mais  Procope 
lui-même  s'est  chargé  de  réduire  à  sa  juste  valeur  la  portée  de 
son  témoignage.  Dans  le  livre  des  Édifices^  on  voit  que  les 
mesures  prises  se  bornèrent  à  la  construction  de  citadelles  dans 
les  villes  ouvertes  et  abandonnées  qui  se  trouvaient  aux  envi- 
rons de  la  montagne^  c'est-à-dire  à  Bagai,  à  Timgad^  à  Lam- 
bèse  '.  Dans  le  massif  même,  Solomon  établit  deux  redoutes 
seulement^;  mais  nous  ignorons  totalement  en  quel  point  il 
construisit  ces  forteresses,  et  tout  fait  supposer  qu'il  se  con- 
tenta de  les  bâtir  sur  les  premières  pentes  de  la  montagne^. 

On  admettra  donc  qu'en  Numidie  comme  en  Byzacène,  la 
frontière  byzantine  ne  s'étendait  guère  au  delà  des  limites  que 
l'Afrique  romaine  avait  connues  au  premier  siècle  de  l'Empire* 
Elle  les  dépassa  sur  un[point  seulement  :  ce  fut  du  côté  du 
Hodna. 

A  l'ouest  de  la  voie  militaire  de  Biskra  à  Lambèse,  une 
assez  large  trouée  s'ouvre  vers  le  nord,  entre  les  Chotts  du 

1.  BtlL  Vand.y  p.  500. 

2.  Aed.,  p.  343. 

3.  Id.,  p.  343. 

4.  Cf.  Masqueray,  De  Aurasio  monte,  p.  7-9.  «  Les  Byzactias,  dit  ailleurs 
Masqueray,  n'ont  jamais  pénétré  dans  le  Djebel- G hechar  :  en  tout  cas  on  n'y 
trouve  pas  de  forteresse  byzantine  »  (Le  Djebel-Chechar,  Revue  afr. ,  1878,  p.  42). 
Je  n'ignore  point  que  M.  Rinn  {Géographie  ancienne  de  CAfrique^  Revue  afr.^ 
1893,  p.  305,  311,  325)  signale  des  fortins  byzantins  sur  le  plateau  de  Médina, 
aux  sources  de  l'Oued-el-Abiod,  à  EUKsar,  dans  la  vallée  de  l'Oued-eUKsar, 
au  sud  du  col  de  Tighanimine,  ailleurs  encore,  à  Saghida,  à  Diar-Abdous,  etc., 
près  de  la  ligne  de  faite  qui  sépare  l'Oued-el-Abiod  des  ravins  allant  vers  le 
Sahara.  Mais  jrieu  absolument  ne  prouve  que  ces  ouvrages  soient  vraiment  de 
l'époque  byzantine,  et  tout  incline  à  faire  croire  le  contraire. 


250  HISTOIBE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Hodna  et  les  montagnes  qui  forment  la  ceinture  orientale  de 
cette  vaste  région.  Cest  Tun  des  deux  points.de  passage  né- 
cessaire pour  les  envahisseurs  venant  du  sud,  et  obligés  de 
coatourner  les  lacs  soit  à  Touest,  soit  à  Test^  C'est  aujour- 
d'hui encore  une  des  routes  les  plus  fréquentées  par  les  no- 
mades du  sud  pour  se  rendre  à  SétifV  De  bonne  heure,  les 
Romains  avaient  occupé  ce  point  si  important;  les  Byzantins 
firent  de  même.  Entre  TOued-Bitam  et  TOued-Barika,  sur  le 
versant  occidental  d'un  plateau  d*où  l'on  domine  au  loin  la 
plaine,  ils  élevèrent  la  grande  citadelle  de  Tubunae  (Tobna) 
aujourd'hui  complètement  ruinée  :  elle  commandait  toute  la 
région  découverte  qui  s'ouvre  au  sud  dans  la  direction  de 
Mdoukal,  elle  surveillait  et  maintenait  en  repos  tout  le  Hodna 
oriental  ;  et  ainsi  placée  sur  les  limites  de  la  Numidie  et  de  la 
Maurétanie  Césarienne,  elle  jouait  un  rôle  capital  dans  le  sys- 
tème défensif  de  l'Afrique  grecque. 

En  arrière  de  Tobna^  plusieurs  autres  forteresses  renfor- 
çaient la  frontière  byzantine  sur  ce  point  où  le  péril  pouvait, 
à  la  fois,  venirau  midi,  du  côté  du  désert,  et  à  Touest,  du  côté 
de  la  Maurétanie;  elles  étaient  échelonnées  sur  la  grande 
route  qui  va  de  Théveste  à  Lambèse  et  qui,  de  là^  se  prolon- 
geait jusqu'aux  confins  méridionaux  de  la  Maurétanie  Siti- 
ficnne.  C'était  d'abord,  surveillant  à  Touest  les  débouchés  du 
col  d'EUKantara  et  gardant  tout  ensemble  le  passage  du  Dje- 
bel-Touggour,  la  citadelle  de  Lambiridi^;  plus  loin,  au  centre 
de  la  grande  plaine  du  Bellezma,  une  autre  forteresse  barrait, 
au  nord  de  Tobna,  la  trouée  de  rOuéd-Barika\  Aux  pieds  de 
ses  remparts  se  rencontrait  un  réseau  de  routes  fort  impor- 
tant*. Du  côté  de  Test,  la  voie  qui  venait  de  Lambèse  débou- 
chait dans  la  plaine  par  un  étroit  passage  en  face  de  la  Me- 
rouana;  vers  l'ouest  deux  routes  menaient  à  Zarai  et  àSétif  ; 

i.  Gagnât,  /.  c,  p.  597. 

2.  Masqueray,  De  Aurasio  monte,  p.  61. 

3.Ti8sot,  11,  p.  502.  Sur  la  route  qu*elle  gardait,  »</.,  H,  p.  479. 

4.  Gagnât,  /.  c,  p.  572.  Gf.  Rec.  de  ConsL,  1873-74,  p.  238-239. 

5.  TisBOt,  H,  p.  503-504. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  251 

au  nord  s'ouvrait  le  chemin  de  Diana  Veleranorum,  au  sud-: 
ouest,  celui  de  Tobna  et  du  Hodna.  Il  était  essentiel  de  tenir 
solidement  un  carrefour  aussi  fréquenté;  aussi  de  même  qu'à 
Thévesle,  tout  autour  de  la  grande  citadelle,  des  fortins  déta- 
chéss*échelonnaientaupourtourdelaplaine,  gardant  rissuedes 
principaux  défilés.  Vers  Test,  à  la  sortie  du  col  étroit  ouvert 


Jni 


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Echelle  de  0.001  p.  2  m. 
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Fig.  52.  —  Ksar-Bellezma.  Plan  de  la  forteresse  byzantine. 

au  pied  du  Djebel-Mestaoua,  une  redoute  fermait  le  passage 
de  laMafouna;  au  sud-est,  à  la  Merouana,  parmi  les  ruine» 
de  l'antique  Lamasba,  un  réduit  carré  barre  la  roule  qui  vient 
de  Batna  à  travers  la  montagne;  au  sud-ouest,  plusieurs  for- 
tins jalonnent  la  voie  qui  conduit  à  Tobna;  vers  l'ouest,  le 
poste  de  Ksar-Gheddi^  surveille  le  chemin  de  Zarai.  De  tous 


i.  Oq  donne  souvent,  et  à  tort,  ce  nom  à  la  grande  forteresse  (cf.  Masque- 
ray,  Bull,  Corr.  a/r.,ll,  p.  219). 


252 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


ces  points  on  aperçoit  la  masse  du  Ksar-Bellezma,  dominant 
la  vaste  plaine,  commandant  toutes  les  routes  qui  y  aboutis- 
sent et  couvrant  l'accès  des  passages  ouverts  vers  le  nord. 

Plus  loin,  au  point  où  la  route  qui  du  Hodna  conduit  à  Sétif 
sort  de  la  plaine  pour  s*engager  entre  le  Djebel-Mouassa  et 
les  monts  des  Ali-ben-Sabor,  deux  forts,  élevés  à  Kherbet- 
Zerga  (Gellae)  et  à  Eherbet-Bagerou  S  gardaient  l'entrée  de 
cet  important  passage.  Au  nord-est  de  ces  places,  sur  la  limite 
de  la  Maurétanie,  couronnant  un  mamelon  qui  commande  tout 


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Fig.  53.  —  Plan  de  Zraia.  (D*aprè8  le  levé  de  M.  Gsell.) 


le  pays,  se  trouvait  la  citadelle  de  Zarai;  elle  défendait  «  la 
trouée  ouverte  dans  le  massif  des  Ouled-Sellem  par  TOued- 
Taourlalent  qui  se  jette  au  Chott-el-Fraïni  »^.  Dans  cette  po- 
sition stratégique  solidement  occupée  dès  Tépoque  du  Haut- 
Empire^  les  Byzantins  avaient  construit  une  forteresse  assez 
importante,  qui  formait  peut-être  le  réduit  d'une  enceinte 
beaucoup  plus  étendue*.  Enfin,  en  arrière  de  cet  établissement, 
se  trouvait  entre  le  Djebel-Messaouda  et  le  Djebel- Agmerouel, 

1.  Gsell,  Recherches  archéologiques  en  Algérie^  p.  138-139. 

2.  Cagnati  l.  c,  p.  573. 

3.  Rec.  de  Const.,  1873-74,  p.  245-246;  Tisaot,  II,  p.  485;  Gsell,  Recherches 
archéologiques  en  Algérie,^.  142. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE 


253 


le  fortin  de  Kherbet-Tamarit^  el  au  point  de  jonction  des  routes 
qui  viennent  de  Zarai  par  Ad  Centenarium  et  de  Sétif  par  Ge- 
mellae  et  Nova  Sparsa',  s'élevait  la  redoute  de  Diana.  Sur- 
veillant au  loin  la  vaste  plaine  découverte  qui  s'ouvre  à  l'ouest 
et  au  nord-ouest  vers  Zarai  et  Sétif ,  commandant  d'autre  part 


40 


Fig.  54.  —  Zana.  Forteresse  byzantine. 


l'étroit  passage  où  débouche  le  chemin  direct  venant  du  Bel- 
lezma,  cette  place,  de  date  postérieure  sans  doute  au  règne  de 
Juslinien,  complétait  le  système  défensif  et  l'occupation  mi- 
litaire dans  la  région  sud-occidentale  de  l'Afrique  byzantine  ^. 


i.  Gsell,  /.  c,  p.  173. 

2.  Tissot,  II,  p.  484,  508. 

3.  Cf.  Tissot,  11,  p.  484-485;  Rec.  de  Const,,  1873-74,  p.  226. 


254  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION'  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

IV 

Frontière  de  Mmurétanie  Sitifiemie. 

£n  l'année  539,  après  la  campagne  dé  FÂurës,  le  patrice 
Solomon  avail  réussi  à  reconquérir  la  Maurélanie  Silifienne. 
Toutefois  nous  connaissons  assez  mal  Tétendue  ém  posses- 
sions grecques  dans  cette  province.  Nous  constatons  dhuie 
part  que  toute  la  portion  du  Hodna  située  au  nord  des  Ghotls 
avait  été  reprise  par  les  impériaux  :  une  citadelle  s'élevait  en 
effet  à  Zabi  Justiniana,  près  de  Tactuelle  Msila*;  et  de  même 
que  Tobna  fermait  du  côté  de  Test  les  routes  d'invasion,  cette 
place  était  destinée  à  arrêter  les  nomades  qui  essaieraient  de 
contourner  le  grand  lac  par  l'ouest.  Elle  barrait  en  particulier 
la  voie  qui  vient  de  Bou-Saada,  surveillait  le  Djebel-bou-Taleb 
et  couvrait  le  défilé  qui,  suivantla  vallée  de  l'Oued-el-Ksob,  re- 
lie le  Hodna  avec  la  région  de  Bordj-bou-Arreridj.  Sur  ce  point 
les  Byzantins  n'avaient  d'ailleurs  fait  que  conserver  les  tradi- 
tions de  Rome,  qui,  elle  aussi,  avait  partagé  la  garde  du  Hodna 
entre  les  deux  chefs  du  limes  Tubunensis  et  du  limes  Zabensis^. 

Faut-il  croire  qu'au  nord  de  Msila,  la  frontière  bjrzantine 
remontait  le  long  de  l'Oued-el-Ksob  pour  gagner  le  plateau 
de  la  Medjana,  et  la  contrée  où  s'élevaient  à  l'époque  romaine 
la  place  fortifiée  de  Tamannuna  (Bordj-bou-Arreridj',  Aïn- 
Tassera  ou  Aïn-Toumella^)  et  un  peu  en  arrière  celle  de  Le- 
mellef  (Kherbet-Zembia)?  L'hypothèse^  qui  est  séduisante, 
parait  assez  vraisemblable.  Non  seulement  elle  s'accorde  avec 
le  témoignage  de  Procope,  déclarant  que  la  Maurétanie  Siti- 
fienne  fut  tout  entière  reconquise  par  les  Byzantins;  non 

1.  C.  /.  L.,  Mil,  8805.  CLRec,  de  ConsL,  i871-72,  p.  322  sq.;  Poulie,  Ruines 
de  Bechilga  {Bévue  a/r,,  1861,  p.  195). 

2.  Gagnât,  /.  c,  p.  755;  NoUiia  Dign,,  XXV,  1-36. 

3.  Cf.  Cagoat,  /.  c,  p.  607-608. 

4.  Cf.  Gstll,  Satafisel  Thamalfa(MéL  de  Home,  1895,  p.  05-66;. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BY/ANTINE 


233 


seulement  elle  rend  compte  mieux  que  toute  autre  de  la 
position  occupée  par  Zabi  Jusliniana,  qui  semblerait  sans 
cela  quelque  peu  excentrique  :  mais  elle  a  pour  elle  des 
arguments  .plus  décisifs.  Sans  doute  on  n*a  signalé  jus- 
qu'ici aucune  redoute  byzantine  défendant  les  défilés  de 
rOued-el-Esob;  sans  doute,  dans  les  ruines  de  Tamannuna  et 
de  Lemellef,  on  ne  constate  nulle  trace  d'une  occupation 
militaire  prolongée  jusqu'au  vi''  siècle^;  mais  un  peu  à  Test 
de  ces  deux  emplacements,  les  Grecs  avaient  incontestable- 
ment pris  pied  sur  le  cours  supérieur  de  FOued-el-Ksob  et 


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Fig.  53.  —  Ras-el-Oued  (Thamalla).  Citadelle  byzaatiae. 
(D'après  le  plan  de  M.  Gsell.) 

de  son  affluent  TOued-R'dir.  On  signale  à  Bordj-R*dir  un 
fort  carré  asse?  considérable^  et  à  Ras-el-Oued  (Thamalla) 

1.  A  la  vérité,  on  trouve  dans  Mercier,  îioUs  sur  les  ruines  et  voies  antiques 
de  r Algérie  (Bull.  Com,,  1886,  p.  479)  l'iDdicaiioa  suivante  :  au  nord  de  Bordj- 
Medjana,  sur  la  route  de  Kalaaet  du  massif  des  Beni-Abbès,  s'élève,  dominant 
la  plaine,  une  redoute  romaine  :  on  assure  que  cet  ouvrage  porte  trace  de 
remaniements  byzantins,  «  ce  qui  permet  de  croire,  dit  fauteur,  que  ces 
pierres  ont  été  déplacées  lors  de  la  marche  de  Bélisaire  vers  Gésarée  (!!).  » 
Or,  on  sait  que  Césarée  fut  occupée  par  mer.  Toutefois,  il  se  peut  que  la 
redoute  soit  byzantine  :  on  verra  tout  à  l'heure  comment  sa  présence  pourrai 
s'expliquer. 

2.  Gsell,  Rech,  archéol.  en  Algérie,  p.  274-275. 


256 


HISTOJRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


une  citadelle  plus  importante  encore '.  Or  ce  dernier  ouvrage, 
avec  ses  murs  de  2<n,50  d'épaisseur,  avec  les  huit  bastions 
quadrangulaires  qui  le  flanquent,  appartient  incontestable- 


Fig.56.  ^Sétif.  Plan  de  l'enceinte  byzantine*. 

ment  au  groupe  des  grandes  forteresses  impériales  et  date, 
selon  toute  vraisemblance,    de  l'époque  de  Justinien.  Il  est 

1.  Gsell,  /.  c,  p.  210-271  (avec  un  plan)  ;  Gsell,  Saiafis  et  Thamalia,  l.  c, 
p.  63  et  suiv. 

2.  Les  parties  pointées  sont  restituées  d'après  le  plan  de  Ravoisié. 


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ci 

b 


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258         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

donc  légitime  de  conclure  que  les  Byzantins  s'étaient  préoc- 
cupés de  dominer  le  plateau  de  la  Medjana,  ou  tout  au  moins 
de  barrer  les  routes  qui  le  traversent  en  venant  de  la  Maure- 
tanie. 

De  là,  la  frontière  gagnait  sans  doute  la  vallée  de  FOued- 
bou-Sellam*  que  commandait  la  forte  place  de  Sitifis';  elle 
surveillait  tout  à  la  fois  les  montagnes  de  la  Petite  Kabylie 
et  le  haut  massif  du  Babor,  et  gardait  la  grande  voie  qui 
vient  de  Touest,  au  point  où  elle  entre  en  plaine,  après  avoir 
franchi  les  défilés  des  Bibans.  Malheureusement  toute  la  ré- 
gion à  Touest  et  au  sud'Ouest  de  Sétif  est  trop  mal  connue  en- 
core' pour  qu'on  puisse  exactement  déterminer  comment  cette 
place  se  reliait  à  Ras-el-Oued,  et  comment  cette  dernière  cita- 
delle communiquait  avec  Msila  :  mais  on  voit  en  tout  cas  que 
dans  cette  région  le  limes  byzantin  doit  être  reporté  bien  & 
Test  de  la  route  qui  joint  Zraia  à  Sétif  %  et  que  les  généraux 
de  Justinien,  en  même  temps  qu'ils  occupaient  fortement  le 
Hodna,  n'avaient  rien  négligé  pour  couvrir  solidement,  du  côté 
de  la  Maurélanie  indépendante,  le  territoire  soumis  à  Tempè- 
re a  r. 

Au  delà  de  Sétif,  de  nouveau  on  perd  toute  trace  précise 
de  la  frontière.  Sans  doute  on  trouve  les  Byzantins  établis  au 
vi^siècle  à  Cuicul  (Djemila)  *,  à  Mileu  (Mila)*,  où  Ton  signale 
une  enceinte  fortifiée  \  à  Tucca,  située  à  l'embouchure  de 


1.  On  signale,  sur  le  cours  supérieur  de  la  rivière,  un  fort  byzantin  à  Aïa- 
Mafeur,  qui  commande  la  plaine  des  Righas  et  ferme  le  passage  qui,  à  Touest 
du  Djebel-Bou-Taleb.  vient  par  TOued-Magra  du  Hodna  (Gsell,  /.  c,  p.  255). 

2.  Cf.  C.  /.  L.,  VlU,  8483. 

3.  Gsell,  l.  c,  p.  267. 

4.  M.  Gsell  observe  (/.  c,  p  80)  que  dans  le  pays  au  sud-est  de  Sétif,  «  ea 
aucun  point  de  la  région  dcâ  Ghotts  située  entre  le  DjebeUYoussef,  le  Djebel- 
Tnotit,  Aîn-Azel  et  Diana  »,  on  ne  trouve  de  preuve  certaine  dn  séjour  des 
Byzantins.  Ce  fait  serait  inexplicable  si  la  frontière  avait  suivi  la  roule  de 
Zraia  à  Sétif. 

5.  Ubbe,  V,  p.  417,  582 . 

6.  lbid.,W,  p.  418,  583;  Proc,  Aed.  (passage  inédit). 

7.  Aec.  de  ConsL,  1879,  p.  34-37.  Delamare,  /.  c,  pi.  108. 


L'OCCUPATION  MILITAIUE  DE  L'AFBIQUË  BYZANTINE  259 

rOued-el-Kebir*  ;  par  celle  ligne,  ils  cernaient  à  Tesl  le  massif 
des  Babor  et  protégeaient  la  Numidie  contre  les  incursions 
des  redoutables  montagnards  qui  Thabitaient  *.  Au  nord  de 
la  même  région,  ils  possédaient  sur  la  côle  les  places  dl- 
gilgilis  (Djidjelli),  de  Choba  (Ziama)'  et  de  Saldae  (Bougie)  : 
mais  enlre  Sélif  et  ce  dernier  poste  existait-il,  comme  à  l'é- 
poque romaine  *,  quelque  grande  voie  mililaire  assurant  les 
communications  el  achevant  d'isoler  par  Touesl  la  Petile  Ka- 
bylie?  Cerlains  indices  pourraient  faire  croire  que  les  Byzan- 
tins occupèrent  dans  la  vallée  inférieure  de  rOued-Sahel,rim- 
portante  position  deTupusuctu  (Tiklal)  *  ;  el  assurément  il  serait 
séduisant,  pour  la  simplicité  des  choses,  d^admellre  que  la  fron- 
tière byzantine,  formée  par  TOued-el-Ksob  depuis  Msila  jus- 
qu'au plateau  de  la  Medjana,  gagnait  de  là  Tiklat  et  la  vallée 
de  rOued-Sahel*.  Pourtant^  en  attendant  que  des  explora- 
tions plus  complètes  viennent  ici  préciser  nos  connaissances, 
il  convient  par  prudence  de  reporter  un  peu  en  arrière  le  limes 
byzantin,  et  de  le  tracer  suivant  une  ligne  allant  de  Ras-el- 
Oued  à  la  vallée  de  TOued-bou-Sellam  et  à  Sétif ,  et  qui  de  là 
rejoindrait,  en  longeant  par  le  sud-est  le  massif  des  Babor, 
la  basse  vallée  de  TAmpsagas,  antique  limite  de  la  Numidie 
et  de  la  Maurétanie. 


1.  Byz,  Zeitschr.,  H,  p.  26,  31.  Cf.  Cagaat,  /.c,  p.  "ÎSS. 

2.  a.  Gagnât,/,  c,  p.  621. 

3»  La  Bwite  africaine  (1857,  p.  61)  indique  sur  ce  point  un  rempart  «<  ren- 
forcé intérieurement  de  pieds  droits  reliés  entre  eux  par  des  arceaux  *i  et 
flanqué  de  demi- tourelles  de  distance  en  distance.  Or  ce  parti  parait  bien  dater 
de  l'époque  byzantine. 

4.  Gagnât,  /.  c,  p.  621-622. 

5.  Vigneral  signale  à  Tiklat  {Kabylie  du  Djardjura^  p.  119)  une  enceinte 
formée  d'un  mur  épais  de  blocage,  auquel  s'adossent  intérieurement  des 
arcades  épaulant  le  rempart  et  qui  jadis  portaient  un  chemin  de  ronde  ;  sur 
UQ  point  un  escalier  menant  au  chemin  de  ronde  s'appuie  sur  une  de  ces 
arcaides.  Or  ces  dispositions  sont  fréquentes  dans  la  construction  byzantine. 

6.  U  existe  une  route  antique  de  la  Medjana  à  Tiklat  (Gagnât,  l.  c.  p.  624), 
et  la  redoute  signalée  plus  haut  (BulL  Corn,,  1886,  p.  479)  au  nord  deBordj- 
Medjana  pourrait  se  rattacher  à  ce  tracé. 


260  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Les  postes  de  laMaurétanie  Césarienne. 

En  tout  cas,  et  quel  que  soit  le  parti  auquel  il  semble  con- 
venable de  s^arrèter,  à  l'ouest  de  la  Maurétanie  Sitifienne^ 
l'occupation  byzantine  cessait  presque  entièrement.  Malgré 
les  rêves  ambitieux  de  Justinien,  les  armes  victorieuses  de 
Solomon  n  avaient  pu  enlamer  la  Césarienne,  et  Procope  dit 
formellement  à  la  date  de  540  :  «  Dans  la  Maurétanie  seconde 
habitait  Mastigas  avec  ses  Iribus  maures,  ayant  sous  son  au- 
torité le  pays  tout  entier,  à  l'exception  de  la  ville  de  Gaesarea  : 
et  avec  cette  place,  les  Romains  ne  communiquent  que  par 
mer,  et  ils  ne  peuvent  y  aller  par  terre,  car  les  Maures  occu- 
pent toute  cette  région  \  »  C'est  là,  au  milieudu  vi*  siècle, que 
trouvent  asile  tous  les  fugitifs  chassés  du  pays  byzantin  ;  c*est 
là  que,  pendant  près  de  dix  années,  Stotzas  vaincu  vit  auprès 
du  chef  berbère  dont  il  a  épousé  la  fille*;  c'est  là  qulabdas, 
expulsé  de  TAurès,  va  chercher  une  retraite';  et  cela  seul 
suffit  à  prouver  que  la  domination  byzantine  ne  s'élendaii 
point  à  celte  contrée,  que  son  influence  même  ne  s*y  exerçait 
pas.  En  fait,  Faction  du  gouvernement  impérial  ne  dépassait 
guère  les  limites  de  la  Sitifienne  :  ce  n'est  point  en  effet  au 
fond  de  la  Césarienne  que  ces  insurgés  sont  allés  s'établir, 
c'est  —  la  suite  des  événements  le  montre —  à  portée  du  pays 
grec,  assez  près  pour  y  rallumer  des  troubles  et  en  profiter. 
Et  d'autre  part,  Justinien  lui-même,  qui  en  534  constituait 
superbement  une  province  de  Maurétanie  Césarienne  S  semble 
avoir  assez  vite  reconnu  la  vanité  de  ses  espérances  :  en  542, 
écrivant  aux  évèques  d'Afrique,  il  s'adresse  au  métropolitain 

\.BelL  Vtmd.,  p.  501. 

2.  Id.,  p.  490,  506. 

3.  /c/.,  p.  500. 

4.  CW.  JusL,\,  27,  1. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  261 

de  Carthage,  aux  primats  de  Byzacëne  et  de  Numidie,  comnie 
si  laMaurétanie  était  entièrement  perdue  pour  l'empire*.  A 
la  fin  du  VI"  siècle,  le  géographe  Georges  de  Chypre  n'inscrit 
même  plus  sur  le  papier  le  nom  de  la  province  de  Césarienne  : 
à  ce  moment,  les  quelques  villes  du  littoral  que  les  Byzantins 
tiennent  encore  dans  cette  région  sont  rattachées  à  la  Siti- 
fienne;  et  si  Ton  trouve  à  la  vérité  dans  celte  liste  une  Mau- 
rétanie  seconde,  que  désigne  en  réalité  ce  terme?  C'est  Sep- 
tum,  ce  sont  les  Baléares  et  les  débris  des  possessions 
grecques  d^Espagne,  rattachées  sous  ce  nom  à  l'exarchat  d'A- 
frique*. Dans  ces  conditions,  il  parait  absolument  impossible 
d'admettre  que  les  Byzantins  aient  jamais  sérieusemetit  oc- 
cupé l'intérieur  de  la  Césarienne^;  il  parait  impossible  d'ac- 
cepter l'hypothèse  du  Corpus,  qui  à  Aïoun-Bessem,  au  nord 
d'Aumale,  croit  retrouver  une  citadelle  byzantine*.  Seuls, 
certains  points  du  littoral,  occupés  par  la  voie  de  mer,  et  con- 
servant par  là  leurs  communications  avec  les  possessions  im- 
périaiesy  maintenaient  le  long  de  la  c6te  un  semblant  de  do- 
mination grecque,  et  parfois  permettaient  à  la  diplomatie 
orientale  d'exercer  sur  les  grands  chefs  berbères  quelque  in- 
fluence plus  ou  moins  incertaine.  Ce  sont  ces  postes  que  nous 
devons  rapidement  signaler,  sans  d'ailleurs  méconnaître  qu'ils 
n'ont  point  été  tous  occupés  à  la  même  époque,  et  que  tous 
ne  sont  point  restés  jusqu'au  vue  siècle  aux  mains  des  Byzan- 
tins. 

Sur  la  côte  do  la  Grande  Kabylie,  les  Grecs  semblent  avoir 
été  établis  à  Rusippisir  (AzefToun),  où  l'on  signale  une  cita- 
delle encore  occupée  au  vi«  siècle",  et  à  Rusuccuru  (Tigzirt) 


l.MorcelIi,  Africa  christ.,Ul,p.  294.  Cf.  sur  la  question  Gelzer,  /.  c.,p.  xxx-xxxr. 

2.  Georg.  Cypr.,  p.  34.  . 

3.  Cf.  Cat,  Maurétanie  Césarienne,  qui  prétend  (p.  275)  «  qu'une  bonne  partie 
de  la  Maurétanie  Césarienne  se  replaça  d'elle  même  sous  le  gouvernement  de 
Jostinien  ».  Cela  ne  se  soutient  pas  (cf.  Bell.  Vand.,  p.  451). 

4.  C.  /.  L.,  VIII,  p.  169.  Cf.  Bull.  Corr.  afr.,  I,  p.  225;  Cagnat,  /.  c,  p.  629-630 

5.  Vîgneral,  Kabylie  du  Djurdjura^  p.  66-71  (avec plan);  Mercier,  Bull,  Com. 
1886,  p.  466-467. 


262         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION   BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

qu'ils  tenaient  certainement  à  la  tin  du  vi^  siècle  ^  Au  promon- 
toire du  cap  Matifou,  qui  ferme  à  Test  la  baie  d'Alger,  ils  pos- 
sédaient Rusguniae,  où  Ton  constate  une  population  chré- 
tienne au  commencement  du  vu*  siècle';  puis  c'était  Tipasa, 
où  la  basilique  de  Sainte-Salsa  atteste  la  présence  d'habitants 
catholiques',  et  Gaesarea  (Cherchel),  capitale  officielle  de  la 
province  et  résidence  d'un  duc  S  d'où  les  Grecs  furent  peut- 
être  chassés  dès  la  fin  du  vi^  siècle  ;  à  l'ouest  de  cette  ville^ 
Gunugus  (Gouraya),  où  l'on  signale  des  restes  de  l'occupation 

1.  Georg.Cypr.,  p.  34.  Cf.  Gelzer,  /.  c,  p.  xzxi;  et  poar  les  rnioes  de  Tigzirt, 
Vigneral,  Kabylie  du  Djurdjura,  p.  20-26  (avec  plan)  :  Bourlier  et  Gavaalt, 
Tigzirt  et  Taksebt  {Revue  afr.,  1891,  p.  5).  Pour  Taksebt,  cf.  Vigneral,  /.  c, 
p.  31-35  (avec  plan).  Dans  des  notes  médites,  que  me  communique  obligeam- 
ment M.  Gsell,  M.  Gavault,  mort  récemment,  signale  à  Tigzirt  et  décrit  uDe 
enceinte  datant  de  Tépoque  byzantine.  J'emprunte  à  cette  description  les  in- 
dications suivantes.  Conformément  à  une  pratique  fréquente  au  ti*  siècle,  Ten- 
ceinte  byzantine  est  de  dimensions  beaucoup  moins  considérables  que  celle 
de  l'ancienne  ville  romaine  et  laisse  en  dehors  d*elle  plusieurs  édifices  impor- 
tants de  la  cité,  en  particulier  une  église  chrétienne  datant  du  v*  siècle  ;  on 
voit  que,  pour  mieux  assurer  la  défense,  on  a,  &  Tépoque  byzantine,  sensible- 
ment réduit  le  périmètre  de  Rusuccurn.  Établi  de  façon  à  couvrir  du  côté 
de  la  terre  Tétroit  promontoire  où  s'élevait  le  centre  de  la  ville  antiqae, 
«  ce  rempart  n*est  guère  qu'une  soite  de  redans  et  de  courtines,  avec  des  portes 
étroites  habilement  défilées.  Il  est  surtout  visible  en  ses  extrémités  est  et 
ouest.  En  ces  deux  points  le  mur  se  prolonge  jusque  dans  la  mer,  soit  que 
celle-ci  ait  empiété  beaucoup  sur  les  terres,  soit  que  les  ingénieurs  d'alors 
aient  voulu  éviter  que  leurs  défenses  fussent  tournées  par  un  ennemi  hardi, 
la  plage  étant  fort  peu  profonde  en  cet  endroit.  Du  cdté  est,  le  rempart 
écroulé  laisse  voir  très  nettement  sa  constrnction.  Il  a  une  épaisseur  de  2b,10 
et  il  est  composé  de  deux  parements  en  grosses  pierres  de  taille,  qui  se  re- 
joignent de  temps  à  autre,  mais  le  plus  souvent  laissent  entre  elles  un  inter- 
valle rempli  par  de  petits  blocs  très  irréguliers Parmi  les  matériaux  de 

ce  mur,  nous  avons  remarqué  quelques  claveaux  et  un  certain  nombre    de 

pierres  à  bossages Dans  plusieurs  endroits  les  raccords  des  blocs  se  font 

mal  ;  des  pierres  ont  été  entaillées  pour  en  recevoir  d'autres,  on  posées  tant 
bien  que  mal  au  détriment  de  l'horizontalité  du  joint.  Dans  une  même  assise 
la  hauteur  varie  souvent...  Çà  et  lÀ  nous  avons  trouvé  quelques  rosaces  et 
monogrammes  qui  décèlent  avec  certitude  l'époque  chrétienne.  »  Il  y  a  donc 
tout  lieu  d'attribuer  au  vi«  siècle  la  construction  de  cette  enceinte. 

2.  Byz,  Zeitsckr.,\\,  p.  26,  32;  C.  /.  L.,  VllI,  9248.  Cf.  Cat.,  /.  c,  p.  118-119. 

3.  Gsell  (Comptes  rendus  de  CAcad.  des  inscr.,  1892,  p.  246-247)  et  Rech,  arch. 
en  Algérie,  p.  40-48  et  66-72. 

4.  Hell    Vand.,  p.  501  ;  Cod.  Just.,  l,  27,  2,  1  a. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  263 

byzantine  *,  et  Cartenna  (Ténës)  qui  avait  un  évëque  au  com- 
mencement du  vii«"  siècle*.  Au  delà,  jusqu'à  la  Tingitane,  on  ne 
trouve,  sur  le  littoral  même,  nulle  trace  de  la  domination  impé- 
riale. Mais  à  quelque  distance  de  la  côte,  entre  la  vallée  de 
VOued*el-Hamman  et  celle  de  la  Tafna,  on  a  relevé  à  Aquae 
Sirenses  (Hamman-bel-Hanefia)'.,  à  Altava*  (Lamoricière), 
surtout  à  Pomarium*  (Tlemcen),  une  série  d'inscriptions  cu- 
rieuses du  vi«  et  du  vu*  siècle  (entre  538  et  651)  datées,  suivant 
Tancienne  habitude  romaine,  par  l'ère  locale  de  la  province 
de  Césarienne.  Faut-il  conclure  de  ce  fait,  comme  Ta  soutenu 
Gelzer,  que  «  les  limites  de  l'Afrique  byzantine  se  sont  éten- 
dues après  le  règne  de  Justinien  »  ".  La  chose  parait  assez 
surprenante,  et  Targumentation  un  peu  singulière.  S'il  s'agis- 
sait ici  de  l'emploi  de  quelque  ère  nouvelle  et  spéciale  à 
Byzance,  ducomput  par  indiction  s,  par  exemple,  que  l'on  ren- 
contre au  vi*  siècle  en  Byzacène  ou  en  Proconsulaire  %  certes 
il  y  aurait  lieu  de  tenir  grand  compte  de  cette  innovation  signi- 
ficative :  mais  en  fait,  que  trouve-t-on  ici?  la  persistance  d'un 
usage  ancien,  pratiqué  dans  tout  le  pays  durant  tout  le  temps 
de  la  domination  romaine,  et  qui  se  conserva  dans  ces 
mêmes  villes  après  la  chute  de  cette  domination,  alors  que,  à 
la  faveur  de  l'anarchie  vandale,  des  royautés  indigènes  s'éle- 
vaient dans  ces  contrées,  c'est-à-dire  à  un  moment  où  nul  ne 
pensait  encore  à  Byzance.  Il  y  a  à  Altava  des  inscriptions  de 
cette  sorte,  datées  de  480  et  de  508*,  il  y  en  a  à  Tlemcen 
de  469  et  de  522',  et  vers  le  même  temps  on  rencontre  des 

1.  Gauckler  {Comptes  rendus  de  VAcad,  des  inscr,,  1893,  p.  20).  Cf.Cat.,^  r., 
p.  138  sqq.;  Bull.  Corr,  afr.,  I,  p.  131. 

2.  Byz.  Zeilschr.,\l,  p  26,  31.  Cf.  Cat.,  p.  143-145. 

3.  C.  /.  L.,  VIII,  9146. 

4.  W.,  Vin,  9869,  9870,  9899. 

5.  /d.,  9952,  9932,  9926,  9925,  9921,  9922,  9958,  9948,  9930,  9939,  9914,9950, 
9931,  9953.  9923,  9949,  9934,  9920,  9935. 

6.  Geizer,/.  c.,p.  xxx. 

7.  C.  /.  L.,  VIII  (voir  V Index). 

8.  W.,  VIII,  9876,  9835. 
9./d.,  9911,  9940. 


264  HISTOIRE  IDE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

preuves  du  même  usage  à  Orléansville  (ann.  474, 475)  '  et  à  Tia- 
ret  (ann.  485,  488)  *.  Or,  en  cette  fin  du  v*  siècle,  et  au  commen- 
cement du  VI*,  quelle  était  la  situation  politique  de  ces  villes? 
elles  appartenaient  à  un  chef  indigène  que  nous  connaissons, 
que  nous  trouvons  en  535  en  relations  avec  le  patrice  Solo- 
mon',  à  ce  Masuna  qui  s'intitulait  «  roi  des  Maures  et  des 
Romains  »  ^  et  qui  possédait  en  508  Altava,  Safar  (Aïn-Temou- 
chent),  Castra Severiana,  etqui  sans  doute  étendait  son  autorité 
jusqu'aux  plateaux  duSersou,  jusqu'à  Tiaret  et  Frenda'.  Or, 
sous  ce  prince^  les  villes  romaines,  qui  avaient  accepté  sa  pro- 
tection, continuèrent  à  dater  comme  autrefois  les  inscriptions 
funéraires  dont  elles  décoraient  la  tombe  de  leurs  morts  : 
est-il  nécessaire,  parce  que  cet  usage  persiste  à  l'époque  byzan- 
tine, d'admettre  pour  l'expliquer  une  conquête  des  impériaux? 
Le  roi  Masuna  a  eu  des  successeurs  :  on  voit  encore  entre 
Tiaret  et  Frenda  des  monuments  qui  sont  sans  doute  les  tom- 
beaux de  famille  de  cette  dynastie  indigène'  :  pourquoi,  sous 
ces  princes  berbères,  à  demi  romanisés  et  chrétiens,  les  habi- 
tudes antérieures  se  seraient-elles  en  rien  modifiées?  Sans 
doute,  il  est  remarquable  de  trouver,  en  pleine  Maurétanie 
Césarienne^  cet  tlot  de  populations  romaines,  portant,  comme 
au  temps  du  Haut-Empire,  les  noms  de  Julii ,  d'Aurelii, 
de  Yalerii,  et  professant  la  religion  catholique.  Mais  ce  n'est 
point  là  un  cas  isolé.  Ailleurs  encore  on  trouve  des  chré- 
tiens dans  rintérieur  de  la  Césarienne  :  au  commencement 
du  vu®  siècle,  Labdia  (Médéa),  Oppidum  Novum  (Duperré 
dans  la  vallée  du  Chélif),  Timici,  dont  l'emplacement  est 
incertain»  ont  des  évêques^  :  en  conclura-t- on  que  la  con- 

1.  C. /.  L.,  vin,  9713,9709. 

2.  W.,  9734,  9735. 

3.  Bell.  Vand,,  p.  465. 

4.  C.  /.  L.,  VIII,  9835. 

5.  La  Blanchère,  Arch.  des  Missions,  X,  p.  96-97. 

6.  Ce  80Qt  les  Djedar  (La  Blancbère,  l.  c,  p.  77-99).  Sur  la  dynastie,  ihid. 
p.  97-99. 

7.  Byz.  ZeiUchr.,  II,  p.  26,  31.  Sur  l'ideutiOcatioa  des   noms,  Cat, /.  c, 
p.  188-189;  197-198;  201. 


L*OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  265 

quête  byzantine  s'est  étendue  daus  ces  difficiles  et  monta- 
gneuses régions?  Je  ne  nie  point  que  la  propagande  reli- 
gieuse de  Byzance  n'ait  exercé  son  action  dans  la  Maurétanie 
Césarienne*,  j'admets  volontiers  que  les  bonnes  relations 
inaugurées  entre  Solomon  et  le  roi  Masuna,  et  attestées  par 
Procope,  ont  pu  amener  cette  dynastie  indigène  et  chrétienne 
à  accepter  de  la  part  des  Grecs  une  sorte  de  protectorat,  sem- 
blable à  celui  que  la  diplomatie  byzantine,  nous  le  verrons 
plus  lard,  s'efforça  d'établir  sur  tous  les  grands  États  berbères; 
je  veux  même  que  ces  rapports  nouveaux  aient  contribué 
pour  leur  part  à  conserver  plus  solide  l'autonomie  des  villes 
romaines  soumises  à  ces  princes;  mais  il  est  impossible  de 
conclure  davantage.  Au  xv  siècle,  rapporte  El-Bekri',  une 
population  chrétienne  assez  importante  existait  encore  à 
Tlemcen  :  le  pays  en  était-il  moins  soumis  aux  musulmans? 
Cette  discussion  fait  déjà  pressentir  la  solution  que  nous 
donnerons  à  la  prét€^ndue  occupation  de  Tiaret  par  les  Byzan* 
tins.  Les  historiens  arabes  rapportent  que  Sidi  Okba,  dans  sa 
grande  expédition,  trouva  devant  Tiaret  les  forces  grecques 
unies  aux  Berbères,  et  qu'il  infligea  aux  deux  armées  une  san- 
glante défaite.  On  s*est  longuement  demandé  comment  une 
garnison  byzantine  occupait  ce  point  si  éloigné,  on  s'est  ef- 
forcé d'expliquer  qu'il  ne  pouvait  s'agir  que  de  troupes  auxi- 
liaires, envoyées  par  les  gouverneurs  impériaux  pour  soute- 
nir les  indigènes'.  C'est,  je  crois,  prendre  là  beaucoup  de  peine 
inutilement  :  comme  Tlemcen,  Tiaret  appartenait,  ce  semble, 
aux  États  de  la  dynastie  indigène  dont  nous  parlions  plus 
haut;  comme  Altava,  comme  Tlemcen,  c'était  une  ville  ro- 
maine^ ayant  gardé  sans  doute  dans  l'État  berbère  quelque 
autonomie.  A  l'approche  de  l'invasion  arabe,  les  Romains  de 
la  cité  appelèrent  leurs  alliés  à  leur  aide  et  de  concert  tentè- 
rent de  défendre  leur  citadelle  :  cette  hypothèse    suffît,  je 

1.  Jean  de  Biclar,  ann.  569,  p.  212  (éd.  Mommsen). 

2.  Cat.,  /.  c,  p.  275. 

3.  Fournel,  /.  c,  I,p.  168-169.  Il  y  a  un  plan  de  Tiaret  dans  Gagnât,  p.  651. 


266         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

pense,  à  expliquer  comment  les  historiens  musulmans  ont  pu 
parler  des  Roums  qui  occupaient  Tiaret  *.  Voilà  pour  le  vu"  siè- 
cle. Mais,  sur  un  monument  voisin  de  Tiaret,  sur  l'une  des 
pyramides  des  Djedar,  une  inscription  fameuse,  rapportée  par 
Ibn  Khaldoun,  portait  le  nom  du  patrice  Solomon  '  :  en  faul-il 
conclure,  comme  on  Ta  fait,  que  le  général  byzantin  poussa 
jusque-là  sa  marche  victorieuse?  La  chose  est  peu  probable, 
pour  toutes  les  raisons  énumérées  plus  haut,  et  il  serait  bien 
étonnant  dans  ce  cas  que  ce  grand  bâtisseur  n'eût  assuré  par 
nulle  citadelle  la  possession  du  pays  si  merveilleusement  recon- 
quis. Aussi  bien  nous  ignorons  totalement  le  contenu  de  Tins- 
cription,  le  texte  dlbnKhaldounnesignifiantabsolumentrien  : 
et  si  vraiment  elle  contenait  le  nom  du  patrice,  alors  même 
elle  ne  prouverait  pas  nécessairement  sa  présence.  Nous  sa- 
vons par  Procope  qu'il  fut  eu  relations  avec  les  chefs  de  cette 
partie  de  la  Maurétanie  :  quelque  allié  indigène,  quelque  of- 
ficier en  mission  peut  donc  fort  bien,  comme  on  l'ajustement 
observé,  en  avoir  été  Tauteur  s. 


VI 

Les  postes  de  la  Maurétanie  Tingitane. 

Ainsi,  quelques  postes  échelonnés  le  long  du  littoral  cons- 
tituaient àTépoque  byzantine  toute  la  Maurétanie  Césarienne  : 
de  même,  par  quelques  places  fortes,  les  Grecs  conservaient 
un  pied  en  Tingitane.  Sur  cette  côte,  ils  occupaient  peut-être 
à  l'ouest  de  la  Mlouia,  la  ville  de  Rusaddir,  où  Ton  trouve^  au 
commencement  du  vii«  siècle,  une  population  chrétienne  ^  : 
mais  surtout  ils  tenaient  solidement  le  promontoire  qui  do- 

1.  Cf.  La  Blancbërc,  /    c,  p.  93-94,  note. 

2.  C.  /.  L.,  VllI,  9738.  Cf.  la  discussion  de  La  Blanchère,  /.  c„  p.  89-91. 

3.  La  Blaochère,  /.  c  ,  p.  90. 

4.  Byz.  Zeilchr,,  U,  p.  26, 32.  Sur  l*endroit,  Itinéraire  dAnlonin,  11,  4  ;  11   3. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  267 

mine  au  sud  le  détroit  de  Gadës.  Là,  ils  avaient  pris  posses- 
sion de  Tadmirable  position  de  Septum  (Ceula)  *  :  l'empereur 
avait  fait  sur  ce  point  construire  une  formidable  citadelle  ; 
une  garnison  y  était  cantonnée,  commandée  par  un  officier 
choisi;  et  dans  son  port  s'abritait  une  escadre  de  bâtiments  de 
guerre  y  chargée  de  surveiller  cet  important  passage  *.  Au 
delà  de  Septum,  Tingi  (Tanger)  fut  peut-être  momentané- 
ment occupée  ;  du  moins  on  y  signale  au  commencement  du 
Yii*  siècle  une  population  chrétienne^.  Enfin  les  vaisseaux 
grecs,  dépassant  les  colonnes  d'Hercule,  semblent  même  avoir 
repris  quelques-uns  des  postes  romains  établis  sur  la  côte  de 
TAtlantique.  Au  commencement  du  vii'^  siècle  %  Lixus  avait 
un  évèque,  et  on  y  signale  des  restes  de  fortifications  byzan- 
tines :  on  a  même  cru  retrouver  des  monuments  byzantins 
bien  plus  au  sud  encore,  à  Agadir^.  Toutefois  l'intérieur  du 
pays  échappait  complètement  aux  Grecs,  et  le  mur  byzantin 
que  M.  de  LaMartinière  indique  à  Volubilis*  appartient  très 
probablement  aux  derniers  temps  de  Toccupation  romaine. 
Mais,  en  revanche,  l'importance  de  Septum  ne  fit  que  grandir 
au  cours  du  vi*  siècle  :  à  Tépoque  où  Georges  de  Chypre  ré- 
digeait sa  notice,  cette  place  était  la  capitale  de  la  Mauréta- 
nie  seconde^  :  elle  devait,  à  la  fin  du  vu-  siècle,  devenir  un 
des  boulevards  de  la  domination  grecque,  et,  par  une  bizar- 
rerie assez  curieuse,  alors  que  du  vaste  empire  rêvé  par  Jus- 
tinien,  il  ne  restait  plus,  de  la  Tripolitaine  à  la  Sitifienne,  un 
pouce  de  terre  aux  Byzantins,  ce  fut  cette  ville  lointaine,  éga- 
rée aux  extrémités  de  l'Occident,  qui,  pendant  quelques  an- 
nées, constitua,  à  elle  seule,  tout  l'exarchat,  et  offrit  aux  der- 
niers représentants  de  l'autorité  impériale  un  suprême  asile 
sur  la  terre  africaine. 

i.Bell.  Vand.,  p.  430. 

2.  Aed.,  p.  343;  Cod.  JusLj  I,  27,  2,  2. 

3.  Byz,  Zeitschr.,  II,  p.  26,  32. 

4.  irf.,  p.  26-32;  Bull.  Corn,,  1890,  p.  140-141, 144. 

5.  Comptes  rendus  de  CAcad,  des  inscr.,  189!,  p.  347. 

6.  Bull,  Corn,  1891,  p.  136. 

7.  Georg.  Cypr.,  p.  34. 


DEUXIÈME  SECTION 

LES   FORTERESSES  DE  L'iNTÉRIEUR 


Telles  étaient,  vers  le  milieu  du  vi®  siècle,  les  frontières  de 
TÂfrique  grecque  :  telles  elles  demeurèrent,  sans  changements 
très  considérables,  jusqu'au  moment  de  Tinvasion  arabe. 
Mais,  derrière  cette  première  ligne  de  forteresses,  l'intérieur 
du  pays,  n'était  pas  moins  solidement  occupé  :  deux,  parfois 
même  trois  rangées  de  citadelles  en  assuraient  la  défense,  et 
dans  les  zones  intermédiaires,  bientôt  le  pays  se  hérissa  de 
fortins  et  de  redoutes.  Ce  sont  ces  dispositions  qu'il  nous 
reste  à  examiner. 

I 
L'occupation  de  la  Byzacène  et  de  la  Proconsulaire, 

i.  La  route  du  littoral. 

Le  long  du  littoral  méditerranéen,  une  grande  voie  d'inva- 
sion montait  de  Gabès  à  Carlhage  :  soigneusement  elle  avait 
été  jalonnée  de  forteresses,  et  ces  postes  avaient  été  établis 
de  préférence  aux  points  où,  sur  cette  grande  artère  de  com- 
munication, d'autres  routes  s'embranchaient^  menant  dans 
l'intérieur  du  pays.  D'abord  on  rencontrait  la  forte  place  de 
Junca,  l'un  des  rares  ports  qu'offrait  cette  côte  peu  hospita- 
lière, et  pour  cette  raison,  d'autant  plus  importante  à  défen- 
dre^ :  c'était  à  l'époque  de  Justinien  la  première  forteresse 

!.  Tissot,]!,  p.  192. 


L'OGCUPATIOiN  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  269 

que  Ton  trouvait  au  nord  de  Gabfes'  ;  un  peu  plus  tard,  sous 
le  règne  de  Justin  II,  elle  fut  renforcée  par  la  citadelle  toute 
voisine  de  Macomades  Minores';  les  deux  villes  avaient 
d'ailleurs  une  haute  valeur  stratégique,  placées  comme  elles 
Tétaient  à  la  tête  de  la  grande  route  qui  par  Madarsuma 
menait  à  Sufetula*.  Au  nord  de  cette  position,  une  ville  for- 
tifiée avait  été  fondée  par  Justinien,  au  promontoire  de  Caput 
Vada  où  avait  en  533  débarqué  Bélisaire  :  c'était  la  florissante 
cité  de  Justinianopolis^.  Puis  venaient  SuUectum  (Selekta), 
où  l'on  voit  encore  un  castrum  rectangulaire  mesurant  plus 
de  deux  cents  pas  sur  chaque  face^;  Thapsus  (Ras  Dimas), 
dont  la  vieille  enceinte  fut  réparée  èi  l'époque  byzantine*; 
Leptis  Minor  (Lamta)  où  Ton  trouve  les  ruines  d'une  forteresse 
grecque,  et  qui  semble  au  vi*  siècle  avoir  été  prospère'  :  sur 
ces  trois  points  aboutissaient  au  littoral,  par  trois  chemins 
qui  se  réunissaient  à  Thysdrus  (El-Djem),  la  route  importante 
qui,  de  ce  dernier  point  gagnait  Aquae  Regiae  et  de  là,  à 
travers  toute  la  Tunisie  centrale,  rejoignait  à  Althiburos  (Me- 
deina)  la  voie  de  Théveste  à  Carthage^  Enfin  venait  la  grande 
ville  d'Hadrumète  (Sousse)  décorée,  en  l'honneur  de  l'empe- 
reur, du  surnom  de  Justiniana;  c'était  une  des  positions  les 
plus  considérables  de  la  Byzacène^  De  là  par  Aquae  Regiae, 
une  route  gagnait  Sufetula*^;  une  autre,  remontant  au  nord- 
est,  longeait  les  abords  orientaux  du  massif  central  tunisien, 
et  par  Thuburbo  Majus,  se  reliait,  dans  la  vallée  de  la  Me- 
djerda,  à  la  voie  de  Théveste  à  Carthage'^  Aussi  Justinien  en 


1.  Joh.,  VII,  111,  136,  393. 

2.  C.  /.  I.,  Vin,  10498. 

3.  TisBot,  11,  p.  644. 

4.  Aed.,  p.  341-342;  Tiâsot,  11,  p.  181-182. 

5.  Tissol,  II,  p.  179. 

6.  /d.,  p.  173. 

7.  /d.,  p.  170-171;  Saladiû,  I,  p.  11. 

8.  Tissot,  11,  p.  567. 

9.  Aed.,  p.  «0;  Bell.  Vand.,  p.  310-311;  Tissot,  11,  p.  131). 

10.  Tissot,  11,  p.  607. 

11.  /d.,  p.  339. 


272  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  Sufelulaà  Thévesle;  et  ainsi,  derrière  les  postes  de  pre- 
mière ligne  échelonnas  entre  Théleple  et  Théveste,  elle  barrait 
le  passage  aux  envahisseurs  du  sud  et  fermait  la  trouée  peut- 
être  demeurée  ouverte  entre  Aïn-bou-Dris  et  Tébessa.  Aussi 
Juslinien  y  avait-il  établi  une  garnison  solide*,  et  c'était, 
comme  le  prouvent  ses  pittoresques  ruines,  une  des  plus  con- 
sidérables parmi  les  citadelles  de  TAfrique  byzantine. 

Au  nord  d*Haïdra,  entre  ce  point  et  Thala,  on  signale  à 
Henchir-Kokech  une  redoute  byzantine',  et  au  delà, quelques 
fortins  encore,  mais  qui  ne  paraissent  point  avoir  une  desti- 
nation proprement  militaire^.  C'est  plus  loin,  mais  déjà  en 
Proconsulaire,  que  se  trouvent  les  véritables  forteresses  char- 
gées de  défendre  la  route  :  c'est  le  ksar  de  Djezza  (Aubuzza), 
simple  redoute  carrée  de  vingt  mètres  de  côté*;  c'est  surtout 
la  ville  forte  de  Laribus,  dominant  la  plaine  où  coule  l'Oued- 
Lorbeus*.  Sur  ce  point,  où  la  grande  voie  d'Aquae  Regiae  à 
Assuras  (Zanfour)  rejoignait  celle  de  Théveste  à  Carthage, 
Justinien  avait  construit,  en  arrière  de  Tébessa  et  d'Haïdra, 
une  place  de  seconde  ligne  fort  importante,  et  qui  jouait  dans 
Touest  de  la  province,  à  peu  près  le  même  rôle  que  Junca  et 
surtout  Hadrumcte  remplissaient  dans  Test.  Au  milieu  des 
forêts  qui  l'environnaient  au  vi®  siècle,  elle  comptait  parmi  les 
meilleures  citadelles  de  l'Afrique  byzantine^  et  c'est  à  l'abri 
de  ses  murailles  que  le  patrice  Jean,  battu  sur  la  frontière,  vien- 
dra en  S47  reconstituer  son  armée.  Aujourd'hui  encore,  ses 
ruines  considérables  attestent  son  importance  passée  et  les 
vues  qui  s'ouvrent  du  haut  de  ses  tours  disent  assez  sa  valeur 
stratégique.  Surveillant  vers  l'est  la  route  de  la  Tunisie 
centrale,  du  côté  de  l'ouest  elle  est  à  portée  de  la  grande  place 
du  Kef  (Sicca  Veneria)  et  de  la  voie  de  Cirta  à  Carthage  :  au 


1.  Aed.,  p.  342. 

2.  C.  /.  I.,  VllI,  p.  73. 

3.  Gagnât,  Arch.  des  Missions,  XII,  p.  243;  Saladiu,  1,  p.  190-20$. 

4.  Saiadin,  1,  p.  201. 

5.  Tissot,  II,  p    455. 

6.  Jok.,  VII,  143-146;  Bell.  Vand.,  p.  508. 


i 


f] 


272  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  Sufetulaà  Théveste;  et  ainsi,  derrière  les  postes  de  pre- 
mière ligne  échelonnas  entre  Théleple  et  Théveste,  elle  barrait 
le  passage  aux  envahisseurs  du  sud  et  fermait  la  trouée  peut- 
être  demeurée  ouverte  entre  Aïn-bou-Dris  et  Tébessa.  Aussi 
Justinien  y  avait-il  établi  une  garnison  solide*,  et  c'était, 
comme  le  prouvent  ses  pittoresques  ruines,  une  des  plus  con- 
sidérables parmi  les  citadelles  de  TAfrique  byzantine. 

Au  nord  d'Haïdra,  entre  ce  point  et  Thala,  on  signale  à 
Henchir-Kokech  une  redoute  byzanline',  et  au  delà,  quelques 
fortins  encore,  mais  qui  ne  paraissent  point  avoir  une  desti- 
nation proprement  militaire^.  C'est  plus  loin,  mais  déjà  en 
Proconsulaire,  que  se  trouvent  les  véritables  forteresses  char- 
gées de  défendre  la  route  :  c'est  le  ksar  de  Djezza  (Aubuzza)^ 
simple  redoute  carrée  de  vingt  mètres  de  côté*;  c'est  surtout 
la  ville  forte  de  Laribus,  dominant  la  plaine  où  coule  TOued- 
Lorbeus*.  Sur  ce  point,  où  la  grande  voie  d'Aquae  Regiae  à 
Assuras  (Zanfour)  rejoignait  celle  de  Théveste  à  Carthage, 
Justinien  avait  construit,  en  arrière  de  Tébessa  et  d'Haïdra, 
une  place  de  seconde  ligne  fort  importante,  et  qui  jouait  dans 
Touest  de  la  province,  à  peu  près  le  même  rôle  que  Junca  et 
surtout  Hadrumète  remplissaient  dans  Test.  Au  milieu  des 
forêts  qui  Tenvironnaient  au  vi®  siècle,  elle  comptait  parmi  les 
meilleures  citadelles  de  l'Afrique  byzantine*,  et  c'est  à  Tabri 
de  sesmurailles  que  le  patrice  Jean,  battu  sur  la  frontière,  vien- 
dra en  547  reconstituer  son  armée.  Aujourd'hui  encore,  ses 
ruines  considérables  attestent  son  importance  passée  et  les 
vues  qui  s'ouvrent  du  haut  de  ses  tours  disent  assez  sa  valeur 
stratégique.  Surveillant  vers  Test  la  route  de  la  Tunisie 
centrale,  du  côté  de  Touest  elle  est  à  portée  de  la  grande  place 
du  Kef  (Sicca  Veneria)  et  de  la  voie  de  Cirta  à  Carthage  :  au 


1.  Aed.,  p.  342. 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  p.  73. 

3.  Gagnât,  Arch,  des  Missions,  XII,  p.  243;  Saladiu,  I,  p.  190-20  i. 

4.  Saladin,  I,  p.  201. 

5.  Tiasot,  n,  p    455. 

6.  Jok.,  VU,  143-146;  Bell.  Vand.,  p.  508. 


I 


272  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  Sufelula  à  Thévesle  ;  et  ainsi,  derrière  les  postes  de  pre- 
mière ligne  échelonnas  entre  Théleple  et  Théveste,  elle  barrait 
le  passage  aux  envahisseurs  du  sud  et  fermait  la  trouée  peut- 
être  demeurée  ouverte  entre  Aïn-bou-Dris  et  Tébessa.  Aussi 
Justinien  y  avait-il  établi  une  garnison  solide ^  et  c'était, 
comme  le  prouvent  ses  pittoresques  ruines,  une  des  plus  con- 
sidérables parmi  les  citadelles  de  l'Afrique  byzantine. 

Au  nord  d'Haïdra,  entre  ce  point  et  Thala,  on  signale  à 
Henchir-Kokech  une  redoute  byzantine  %  et  au  delà,  quelques 
fortins  encore,  mais  qui  ne  paraissent  point  avoir  une  desti- 
nation proprement  militaire^.  C'est  plus  loin,  mais  déjà  en 
Proconsulaire,  que  se  trouvent  les  véritables  forteresses  char- 
gées de  défendre  la  route  :  c'est  le  ksar  de  Djezza  (Aubuzza), 
simple  redoute  carrée  de  vingt  mètres  de  côté*;  c'est  surtout 
la  ville  forte  de  Laribus,  dominant  la  plaine  où  coule  l'Oued- 
Lorbeus*.  Sur  ce  point,  où  la  grande  voie  d'Aquae  Regiae  à 
Assuras  (Zanfour)  rejoignait  celle  de  Théveste  à  Carthage, 
Justinien  avait  construit,  en  arrière  de  Tébessa  et  d'Haïdra, 
une  place  de  seconde  ligne  fort  importante,  et  qui  jouait  dans 
Touest  de  la  province,  à  peu  près  le  même  rôle  que  Junca  et 
surtout  Hadrumète  remplissaient  dans  Test.  Au  milieu  des 
forêts  qui  Tenvironnaient  au  \i^  siècle,  elle  comptait  parmi  les 
meilleures  citadelles  de  l'Afrique  byzantine^  et  c'est  à  l'abri 
de  ses  murailles  que  le  patrice  Jean,  battu  sur  la  frontière,  vien- 
dra en  547  reconstituer  son  armée.  Aujourd'hui  encore,  ses 
ruines  considérables  attestent  son  importance  passée  et  les 
vues  qui  s'ouvrent  du  haut  de  ses  tours  disentassez  sa  valeur 
stratégique.  Surveillant  vers  l'est  la  route  de  la  Tunisie 
centrale,  du  côté  de  l'ouest  elle  est  à  portée  de  la  grande  place 
du  Kef  (Sicca  Veneria)  et  de  la  voie  de  Cirta  à  Carthage  :  au 


i.  Aed.,  p.  342. 

2.  C.  /.  L.,  Vm,  p.  73. 

3.  Gagnât,  Arch.  des  Missions,  XII,  p.  243;  Saladiu,  1,  p.  190-20). 

4.  Saladin,  1,  p.  201. 

5.  Tissot,  II,  p    455. 

6.  Joh.,  VII,  143-146;  Bell.  Vand.,  p.  508. 


I 


210         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

avait  fait  reconstruire  puissammeQt  les  murailles  et  y  avait 
établi  une  forte  garnison  :  et  il  semble  que,  dès  avant  la  fin 
de  son  règne,  elle  était  devenue,  par  un  dédoublement  admi- 
nistratif, la  résidence  d'un  duc^ 

Au  delà  d'Hadrumète,  la  grande  route  du  littoral  ne  tardait 
pas  à  passer  dans  la  Proconsulaire  :  nous  croyons  utile  pour- 
tant, quoique  quelques-unes  des  forteresses  qui  nous  restent 
à  mentionner,  soient  sans  doute  d'une  date  postérieure  au 
règne  de  Justinien,  d'en  suivre  dès  maintenant  le  tracé  jus- 
qu'à Carthage.  Tout  d'abord,  et  encore  en  Byzacène,  on 
signale  à  Hergla  (Horrea  Caelia)  des  restes  de  fortifications*; 
puis  à  Uppenna  (Henchir-Fragha)  s'élève  «  un  fort  byzantin, 
flanqué  de  quatre  bastions  aux  angles^  de  belles  dimensions  et 
assez  bien  conservé  '.  »  A  Aphrodisium  (Henchir-Sidi-Khalifa) 
une  enceinte  rectangulaire  occupant  une  colline  semble  un  tem- 
ple antique  transformé  en  citadelle*;  mais  c'est  surtout  dans 
la  portion  de  route  comprise  entre  Hammamet  et  Hammamlif 
et  oîi  la  voie  coupe  à  sa  base  la  presqu'île  du  cap  Bon,  que 
les  constructions  militaires  apparaissent  assez  nombreuses. 
C'est  qu'en  effet,  au  vi*  siècle  encore,  la  région  qui  se  trouve 
à  Test  de  la  route  était  occupée  par  des  populations  berbères 
remuantes  et  souvent  insoumises  :  on  conçoit  que  contre  leurs 
attaques  quelques  précautions  aient  semblé  nécessaires.  Dans 
la  contrée  voisine  de  la  route,  on  signale  plusieurs  redoutes 
byzantines;  il  y  en  a  une  à  Hammamet,  une  à  Kasr-EUous*, 
une  autre  à  Aîn-Tebernouk  (Tubernuc)*  ;  un  peu  plus  au  nord, 
à  HenchirKelbia  (Cilibia)  on  voit  un  château  carré  flanqué  de 
quatre  tours  d'angle'';  un  autre  fortin  du  même  type,  et  mesu- 
rant cent  pas  sur  cinquante,  s'élève  à  Kasr-Medjer,  au  nord- 


1.  Joh.,  VI,  49. 

2.  Baladin,  I,  p.  3. 

3.  Gagnai,  Arch.  des  Missions,  XI,  p.  19-20. 

4.  W.,  XI,  p.  14-16;  Tlssot,  11,  p.  163. 

5.  C.  /.  L.,  VIII,  p.  121. 

6.  Id  ,  VIII,  949. 

7.  Gaériu,  Voyage  en  Tunisie,  U,  p.  203. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  271 

ouest  de  Groumbalia'.  Pour  l'une  au  moins  de  ces  citadelles^ 
nous  possédons  une  date  précise  :  le  poste  d*ÂïnTebernouk  fut 
fortifié  à  la  fin  du  vi*  siècle,  sous  le  règne  de  Tibère  II,  et  il 
est  probable  que  beaucoup  de  ces  ouvrages  établis  dans  un 
pays^  où  rinvasion  pénélra  plus  rarement  au  temps  de  Jus- 
tinien,  sont  également  d'une  date  un  peu  postérieure  à  cet 
empereur.  Seule,  dans  cette  partie  de  l'Afrique,  Carthage 
avait  élé,  dès  le  début,  certainement  entourée  de  remparts  : 
avec  ses  murailles  reconstruiteâ  et  protégées  par  un  fossé, 
avec  sa  citadelle  du  Mandrakion  qui  la  couvrait  du  côté  de  la 
mer,  elle  était  capable  de  résistera  toutes  les  attaques  de  vive 
force*;  et  en  fait,  malgré  les  armées  ennemies  qui  plus  d'une 
fois  parurent  sous  ses  murs,  dans  les  troubles  du  vi*  siècle, 
elle  demeura  imprenable  jusqu'aux  temps  de  la  conquête 
arabe. 

2.  La  route  de  Théveste  à  Carthage. 

A  l'autre  extrémité  de  la  Byzacène,  une  autre  grande  voie 
d'invasion  s'ouvrait  aux  indigènes  :  c'est  la  route  qui,  des  fron- 
tières méridionales  de  la  province,  se  dirigeait  vers  la  vallée 
de  la  Medjerda  et  reliait  Théveste  à  Carthage.  Elle  aussi, 
comme  le  chemin  du  littoral,  élait  jalonnée  de  forteresses. 
C'était  d'abord,  après  la  redoute  de  Ksar-Gouraî,  barrant  le 
défilé  du  Khanguet-Mazouch',  la  superbe  citadelle  d'Ammae- 
dera(Haïdra)^  :  elle  aussi  occupait  une  position  de  haute  im- 
portance. Non  seulement  elle  commandait  la  large  vallée  où 
passe  la  route  de  Tébessa;  mais,  vers  le  sud,  au  delà  de  la 
rivière  qui  coule,  en  formant  des  cascades^  au  pied  de  ses 
remparts,  elle  surveillait  la  plaine  accidentée  où  une  route  va 
rejoindre  la  région  du  Fouçana  et  les  deux  voies  qui  mènent 

1.  Ci.  L.,  VIII,  p.  119.  Cr.  Guérin,  II,  202,  qui  appelle  ce  point  Heochir- 
Semmacher. 

2.  Aed.,  p.  339;  Tissot,  I,  p.  662-663. 

3.  Rec.  de  ConsL,  1866,  p.  219;  1876,  p.  421. 

4.  Saladio,  I,  p.  170-175  ;  Tissot,  II,  p.  460-461. 


/ 


212  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  Sufelulaà  Thé  veste;  et  ainsi^  derrière  les  postes  de  pre- 
mière ligne  échelonnas  entre  Thélepte  et  Théveste,  elle  barrait 
le  passage  aux  envahisseurs  du  sud  et  fermait  la  trouée  peut- 
être  demeurée  ouverte  entre  Aïn-bou-Dris  et  Tébessa.  Aussi 
Juslinien  y  avait-il  établi  une  garnison  solide \  et  c'était, 
comme  le  prouvent  ses  pittoresques  ruines,  une  des  plus  con- 
sidérables parmi  les  citadelles  de  TAfrique  byzantine. 

Au  nord  d'Baïdra,  entre  ce  point  et  Thala,  on  signale  à 
Henchir-Kokech  une  redoute  byzantine  ^  et  au  delà,  quelques 
fortins  encore,  mais  qui  ne  paraissent  point  avoir  une  desti- 
nation proprement  militaire^.  C'est  plus  loin,  mais  déjà  en 
Proconsulaire,  que  se  trouvent  les  véritables  forteresses  char- 
gées de  défendre  la  route  :  c'est  le  ksar  de  Djezza  (Aubuzza), 
simple  redoute  carrée  de  vingt  mètres  de  côté*;  c'est  surtout 
la  ville  forte  de  Laribus,  dominant  la  plaine  où  coule  l'Oued- 
Lorbeus^  Sur  ce  point,  où  la  grande  voie  d'Aquae  Regiae  à 
Assuras  (Zanfour)  rejoignait  celle  de  Théveste  à  Carthage, 
Justinien  avait  construit,  en  arrière  de  Tébessa  et  d'Haïdra, 
une  place  de  seconde  ligne  fort  importante,  et  qui  jouait  dans 
Touest  de  la  province,  à  peu  près  le  même  rôle  que  Junca  et 
surtout  Hadrumète  remplissaient  dans  Test.  Au  milieu  des 
forêts  qui  l'environnaient  au  vx^  siècle,  elle  comptait  parmi  les 
meilleures  citadelles  de  l'Afrique  byzantine  %  et  c'est  à  l'abri 
de  sesmurailles  que  le  patrice  Jean,  battu  sur  la  frontière,  vien- 
dra en  547  reconstituer  son  armée.  Aujourd'hui  encore,  ses 
ruines  considérables  attestent  son  importance  passée  et  les 
vues  qui  s'ouvrent  du  haut  de  ses  tours  disentassez  sa  valeur 
stratégique.  Surveillant  vers  Test  la  route  de  la  Tunisie 
centrale,  du  côté  de  l'ouest  elle  est  à  portée  de  la  grande  place 
du  Kef  (Sicca  Veneria)  et  de  la  voie  de  Cirta  à  Carthage  :  au 


i.  Aed,,  p.  342. 

2.  C.  7.  L.,  Vni,  p.  73. 

3.  Cagoat,  Arch.  des  Missions,  XII,  p.  243;  Saladiu,  I,  p.  190-20). 

4.  Saladin,  I,  p.  201. 

5.  Tisaot,  ll.p    455. 

6.  Joh.,  VII,  143-146;  BelL  Vand.,  p.  508. 


I 


i 


L'Oa:UPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE 


273 


midi  elle  commande  les  vastes  plaines  d'Ëbba  et  de  Ksour^  et 

(plus  d'aae  fois  ses  murailles  arrêtèrent  avec  succès  les  enva- 
hisseurs venus  du  sud. 


Fig.  58.  —  Laribus.  Plan  de  la  citadelle  byzantine. 

Plus  loin,  à  Drusiliana,  la  route  de  Cirta  rejoignait  celle  de 
Théveste,  et  par  un  tracé  commun  toutes  deux  se  rappro- 
chaient de  la  Medjerda.  Il  était  indispensable  de  surveiller  par 

1.  18 


274  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

quelques  ouvrages  une  voie  où  les  Berbères  de  la  Numidie 
pouvaient  faire  leur  jonction  avec  les  envahisseurs  venus  du 
sud.  Aussi,  Justinion  déjà  avait  établi  à  Tucca  (Dougga)  un 


Fig.  59.  —  Aïn-Hedja.  Forteresse  byzantine. 

castellum  surveillant  la  plaine  et  dont  Thorizon  s*étend  au 
loin  dans  la  direction  du  Kef*.  Plus  lard,  comme  sur  la  roule 

1.  Aed.,  p.  340;  Tissot,  U,  p.  346;  Saladin,  II,  p.  450,  491-92,  504,  529;  Car- 
ton, Découvertes  archéologiques  et  épigraphiques  faites  en  Tunisie,  p.  153 
(avec  un  plan). 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYiiANTlNE  215 

de  Carlhage,  il  parut  nécessaire  de  renforcer  ces  défenses. 
Dans  la  vallée  même,  au  point  où  elle  se  rétrécit  en  un  défilé 
que  traverse  TOued-Khalled,  deux  redoutes  barrèrent  le  pas- 
sage :  vers  Touest,  ce  fut  le  poste  d'Henchir-Kern-el-Kebch 
(Aunobaris)*  ;  vers  l'est,  la  citadelle  d' Ain-Hedja  (Agbia),  carré 
de  trente-cinq  mètres  environ  sur  quarante,  flanqué  de  quatre 
tours,  et  qui  est  aujourd'hui  encore  fort  curieusement  conser- 


PUJ4  .TuBOUi^SOUK 


Fig.  60.  —  Plan  de  Teboursouk.  (Dessin  de  M.  Saladin.) 

vée*.  Puis,  sur  une  hauteur  dominant  la  vallée  et  la  route  et 
surveillant  tout  le  pays  accidenté  par  où  rOued-Eballed  s'é- 
coule vers  la  Medjerda,  la  ville  forte  de  Teboursouk  (Thu- 
bursicum  Bure)  dressait  son  enceinte  pentagonale';  plus  loin, 
au-dessus  de  la  vallée  de  TOucd-Khalled,  un  fort  avec  de 
grosses  tours  carrées  s'élevait  à  Bir-Tersas  *  ;  à  Tendroit  où  la 

.  1.  Carton,  l.  c,  p.  201. 

2.  Bull.  Ant.  afr.,  1885,  p.  98;  Tissot,;!!)  p.  342.  Diehl,  Rapport,  p.  145-149. 

3.  BulL  Ant.  afr.,  1885^  p.  22;  Tissot,  H,  p.  344;  Saladin,  II,  p.  442-445. 

4.  Carton,  /.  c,  p.  lU. 


216  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION   BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

voie  antique  traverse  le  massif  montagneux  qui  sépare  Tebour- 
souk  de  Testour,  et  un  peu  au  delà  du  col  par  où  l'on  passe  du 
bassin  de  l'Oued- Khalled  dans  celui  de  la  Siliana,  la  forteresse 
considérable  de  Thignica  (Aïn-Tounga)  fermait  le  passage  :  au- 
jourd'hui encore,  avec  les  cinq  hautes  tours  qui  flanquent  son 


AiN^TOUMM     PLAN   auCtTAKUX  lYIANTlNI 


B  #    ■    if   '    *ktrv 


Fig.  61.  —  Aïn-Touoga.  Plan  delà  citadelle  byzantine. 
(Dessin  de  M.  Saladtn.) 

enceinte^  avec  ses  murailles  dont  la  masse  demeurée  intacte 
étincelle  d*un  éclat  doré,  ce  château  fort  est  un  des  plus  pit- 
toresques parmi  les  constructions  byzantines  de  la  Tunisie  ^ 

1.  BulL  Anl.  afr.,  J8S4,  p.  136;  1885,  p.  21;  Tissol,  H,  p.  338;  Saladln,  II, 
p.  542-547;  Diehl,  Rapport,  p.  140-142. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  277 

Enfin,  près  du  point  où  la  vallée  de  la  Siliana  débouche  dans 
celle  de  la  Medjerda,  une  citadelle  était  établie  à  Coreva  (Hen- 
chir-Dermoulya)  \  Ici  encore,  un  document  précis  nous  permet 
de  dater  l'un  au  moin»  de  ces  ouvrages  :  les  remparts  de 
Teboursouk  furent  élevés  sous  le  règne  de  Justin  II  *,  et  il  est 
probable,  d'après  les  procédés  employés,  qu*Aïn-IIedja  et 
Aïn-Tounga  appartiennent  à  la  même  époque. 


3.  La  défense  do  massif  central. 

Mais,  entre  Junca  et  Hadrumèle  à  l'est,  Ammaedera  et  La- 
ribus  à  Touest,  un  grand  espace  demeurait  ouvert  :  c'étaient 
d*abord,  en  arrière  de  Capsa  et  de  Théleple,  les  hauts  pla- 
teaux où  s'élevaient  Cillium  (Kasrin),  Sufelula(Sbéitla)  et  Ma- 
darsuma'  et  qui  se  prolongent,  le  long  de  l'Oued-el-Hatob  et 
de  rOued-Zeroud,  jusqu'à  la  grande  plaine  de  Kairouan; 
c'était,  au  nord  de  cette  région,  le  massif  qui  couvre  la  Tu- 
nisie centrale,  pays  accidenté,  difficile,  que  de  fortes  barrières 
de  montagnes  séparent  des  régions  voisines.  Vers  l'est,  au- 
dessus  des  grandes  plaines  de  Kairouan  et  de  Djebibina,  c^est 
la  longue  ligne,  interrompue  seulement  par  la  coupure  de 
rOued-Merguellil,  que  forment  le  Trozza,  TOusselet  et  ses 
prolongements  septentrionaux  ;  et  derrière  cette  première 
barrière,  au-dessus  de  la  vallée  de  TOued-Mahrouf,  c'est  l'obs- 
tacle qu'opposent  le  massif  de  la  Kessera,  le  Bellota,  le  Serdj, 
et  plus  loin  le  Bargou.  Au  sud,  c'est  la  Kessera  et  les  plateaux 
de  Maklar,  et  plus  loin  les  hauts  sommets  de  la  chaîne  des 
Ouled-Ayar;  au  sud-ouest  et  à  Touest,  ce  sont  les  monta- 
gnes qui  enveloppent  et  dominent  la  vaste  plaine  du  Sers  ;  et 
ainsi,  entre  les  deux  grandes  voies  militaires  de  l'est  et  de 
l'ouest,  s'épanouissait  au  centre  du  pays  une  citadelle  natu- 

j  1.  Carton,  /.  c,  p.  9-10. 

2.  C.  /.  L.y  Vni,  1434. 

3.  Georg.  Cypr.,  p.  33;  Tissot,  II,  p.  646.  On  consultera  ntilement  sur  cette 
région  la  carte  de  H.  Poinssot  (Bull,  AnL  afr.,  1883). 


278 


HISTOIRE  DE   LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


relie,  dessinant  vers  le  midi  une  longue  ligne  courbe»  à  la- 
quelle pouvait  s'appuyer  tout  un  système  de  défense.  D'ail- 
leurs, dans  rintérieur  de  ces  montagnes,  de  larges  plaines,  de 
grandes  vallées  fluviales  offraient  un  sol  extrêmement  fertile, 
et  une  population  très  dense  s'y  groupait  en  une  multitude  de 


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Fig.  62.  —  Sbéitla.  Plan  général.  (D'après  le  levé  de  M.  Saladin.) 

petites  villes,  dont  les  ruines  aujourd'hui  encore  se  rencon- 
trent à  chaque  pas  dans  cette  région.  Pour  couvrir  ce  riche 
pays,  une  sérieuse  occupation  militaire  s'imposait  :  tout  na- 
turellement la  seconde  ligne  de  défense  de  la  Byzacène  s*a- 
dossa  au  revers  méridional  du  massif  central. 

En  avant  de  cette  ligne  pourtant,  une  autre  position  sem- 


L  OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  219 

blait  marquée  tout  d'abord  pour  servir  d'emplacement  à  une 
grande  citadelle.  Dans  la  plaine  de  Sufetula,  les  routes  con- 
vergeaient de  toutes  paris,  venant,  au  sud-est,  de  Junca  et  de 
Thenae,  sur  le  littoral  ;  au  sud,  de  Gafsa  par  la  grande  cou- 
pure qui  rejoint  le  cours  de  rOued-Fekka;  au  sud-ouest,  de 
Théleple  par  Cillium  ;  à  Touest,  de  Théveste  par  le  Fouçana  : 
d'autre  part  cette  position  couvrait  la  route  qui  au  nord-est 
mène  à  Aquae  Regiae  et  à  Hadrumëte,  et  surtout  la  voie  qui 
vers  le  nord  pénètre  dans  le  massif  central  par  Sbiba  (Sufes) 
et  Assuras  (Zanfour)'.  Pourtant  il  ne  semble  point  qu'au 
temps  de  Justinien  on  ait  jugé  nécessaire  d'occuper  ce  poste 
d'une  si  haute  valeur  stratégique  :  tout  au  plus  on  se  con- 
tenta d'en  couvrir  les  approches.  A  Henchir-Maizra,  au  point 
où  la  route  de  Gafsa  remonte  la  vallée  de  TOued-Fekka,  on 
signale  une  grande  redoute';  à  l'ouest,  le  fort  d'Henchir-el- 
Hammam,  que  nous  avons  déjà  mentionné,  barrait  la  vallée 
de  rOued-el-Hatob.  Probablement  Madarsuma,  que  Ton 
nomme  parmi  les  villes  importantes  de  la  Byzacène,  couvrait 
la  région  du  côté  du  sud-est'.  A  Sufetula  même,  on  n'établit 
une  citadelle  qu'à  la  fin  du  vi«  siècle*;  mais  à  partir  de  ce 
moment,  la  place  allait  prendre  une  importance  croissante  : 
on  verra  quel  rôle  elle  jouera  au  moment  de  la  première  in- 
vasion arabe. 

On  se  contenta  donc  de  couvrir  la  ligne  du  massif  central.  Du 
côté  de  l'ouest,  Laribus  en  défendait  les  approches  et  au  sud-est 
de  cette  ville,  un  château  carré  assez  important  —  il  mesure 
quatre-vingts  pas  sur  soixante-dix  —  et  flanqué  de  quatre  tours 

l.Tissot,  n,  p.  643-644,  630-635,  607,  617. 

2.  Saladin,  1,  p.  96. 

3.  On  croit  retroaver  Madarsuma  à  Henchir-bou-Doukhan,  où  s'élève,  dans 
une  belle  position  stratégique,  un  castellum  importaat  (BuU,  Com.,  1893, 
p.  178).  Aa  nord-est  de  ce  point,  deux  autres  forts  se  trouvent  à  Ksar-bou- 
Dinar  et  à  Aîn-Goubrar,  dominant  le  Bled-Rgab  et  fermant  les  passages  de 
montagne  qui,  de  la  région  côlière,  mènent  vers  Sbeitla  (ibid.y  p.  179).  En 
avant  de  Sbeitla,  entre  la  ville  et  le  Djebel-Hamra,  un  fortin  s'élevait  sur  une 
éminence  à  Rsar-Djerjtr  [ibid.f  p.  174}. 

4.  Georg.  Cypr.,  p.  33. 


280 


HISTOIRE   DE   LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFlllQUE 


d'angle,  s'élevait  à  Henchir-Dougga  (TuccaTerebinlhina),  sur- 
veillant la  plaine  de  Ksour  V  Mais  au  sud  une  grande  voie  de 
pénétration  donnait  accès  dans  la  montagne,  la  route  qui  de 


Echelle  de  o.ooi  p.  2 

i    i    /*        IS       9»        U         % 

Fig.  63.  —  Sbiba.  Plan  de  TenceiDie  byzantine. 

Sbeitla,  c'est-à-dire  de  tous  les  points  de  la  frontière  méridio- 
nale, se  dirige  vers  Maktar  et  Assuras*.  Pour  barrer  ce  passage, 
une  citadelle  fut  construite  à  Sufes  (Sbiba)',  sur  un  mamelon 

1.  Guérin,  L  c,  I,  p.  394. 

2.  Tissot,  U,  p.  617. 

3.  C.  /.  L.,  Vlll,  259. 


yOCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  28i 

dominant  la  plaine  et  la  vallée  de  TOued-Rohia,  et  d'où  Ton 
commande  également  la  large  coupure  qui  s'ouvre  vers  le  sud, 
les  plaleaux  qui  s'étendent  vers  l'est  jusqu'au  pied  du  Djebel 
Mrilah,  et  vers  Touest  le  col  où  passe  un  chemin  qui  vient  de 
Thala.  Sur  lamème  ligne,  enlreSbibaetTemplacement  actuel  de 
Kairouan,  et  sans  doute  dans  la  région  que  parcourt  l'Oued - 
Zeroud  entre  le  Mrilah  et  le  Trozza,  la  place  forte  de  Mamma, 
occupée  par  une  forte  garnison,  compléta  de  ce  côté  la  dé- 
fense \  Enfin  vers  Test,  où  les  grandes  plaines  ouvertes  per- 
mettaient un  facile  passage  aux  Berbères  de  la  Tripolitaine, 
une  double  ligne  de  citadelles  ferma  Taccès  du  massif.  Au 
bord  de  la  plaine  de  Kairouan,  la  redoute  d'Henchir-Oghab 
barra  la  voie,  d'ailleurs  difficile,  qui  suit  la  vallée  de  TOued- 
Merguellil  '  ;  la  forte  place  de  Djaloula,  qui  est  peut-être  Kou- 
loulis ',  défendit  la  route  fréquentée  qui,  à  travers  les  pro- 
longements de  rOusselet,  mène  dans  la  plaine  de  TOued-Mab- 
rouf*  ;  peut-être  même,  quoique  la  chose  me  semble  assez 
douteuse,  la  redoute  d'Henchir-Kachoun  (Muzuc),  au  con-  , 
fluent  de  TOued-Mahrouf  et  de  l'Oued- Bargou*,  surveilla  dès 
ce  moment  leFoum-el  Guefel  etles  défilés  de  TOued-Nebhane. 
Mais  c'est  surtout  au  delà  de  la  vallée  de  l'Oued-Mahrouf  que 
la  défense  fut  solidement  organisée.  Au  point  où  passe  la 
route  qui  met  les  plateaux  de  Maktar  en  communication  avec 
le  sud,  dans  une  position  stratégique  incomparable,  une  cita- 
delle fut  construite  au  bord  du  plateau  de  la  Kessera*.  Entre 
le  Bellota  et  le  Djebel-Serdj,  à  l'endroit  où  la  route  d'Althibu- 
ros  (Medeina)  au  littoral  par  Assuras,  Zama  et  Uzappa  débou- 
che dans  la  plaine,  à  l'entrée  du  défilé  de  Foum-el-Afrit,  une 
redoute  s'élevait  à  Sidi-Amara  (peut-être  Aggar)';plus  au 

1.  i4ed.,p.  342. 

2.  Bull.  Ant.  afr,,  1884,  p.  156. 

3.  Atd,y^.  342.  Cr.  sur  l'identification,  Dichl,  Rapporly  p.  118-119. 

4.  Guérin,  il,  p.  339. 

5.  Tissot,  II,  p.  603. 

6.  C.  /.  L.,  VUI,  700;  BulL  AnL  afr.y  1884,  p.  225. 

7.  Tiasot,  H,  p.  577  ;  BulL  Ant.  afr.,  1884,  p.  92-94  ;  BvU.  Corn.,  1886,  p.  207  ; 
Cagnat,  Arch.  des  Mission»,  XIV,  p.  31. 


282 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


nord  enfin,  là  où  la  vallée  de  l'Oued-Bargou  laisse  passer  les 
routes  qui  mènent  dans  la  riche  région  de  la  Siliana,  le  châ- 
teau fort  de  Lemsa  barrait  le  défilé  \ 

Ainsi  un  vaste  demi-cercle  de  places  fortes,  adossé  au  mas- 
sif central^  surveillant  toutes  les  routes  importantes^  occu- 
pant tous  les  passages,  défendait  la  région  contre  les  attaques 
des  nomades  et  formait  à  travers  la  Byzacène  une  seconde 


►  I 


Echelle   de  o.ooi  p    vicCre 


Fig.  64.  —  Kessera.  Forteresse  byzantine. 

ligne  de  défense.  Elle  se  complétait  du  côté  de  Test  par  quel- 
ques forteresses  encore.  Entre  les  dernières  pentes  de  la  mon- 
tagne et  le  littoral,  un  passage  demeurait  ouvert  à  travers  les 
grandes  plaines  de  Kairouan  et  de  Djebibina,  et  une  route  y 
était  tracée  qui  d'Hadrumète  gagnait  Zaghouan,  et  de  là  à 
travers  le  Fahs  rejoignait  la  Medjerda  :  il  était  indispensable 


t.  Bull.Ant.  a/V.,1884,  p.  80-82;  Gagnât,  i4rc/i.  des  Missions.,  XIV,  p.  19. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  283 

de  fermer  celte  trouée.  Pour  cela,  au  nord-ouest  de  Sousse, 
dans  les  vastes  plaines  qui  séparent  le  lacKelbiade  la  Sebkha- 
el-Djerida,  une  petite  redoute  se  trouvait  à  Cebar,  près  de  Me- 
uephese*;  dans  la  vallée  de  TOued-Nebhane,  tout  près  du 
pont  antique  où  la  roule  romaine  franchit  la  rivière,  un  autre 
fortin  gardait  le  passage  à  Ksar-el-Amar*.  En  arrière,  dans 


ini 


Fig.  65.  —  Henchir-Sguidan.  Forteresse  byzantine. 
(D'après  le  plan  de  M.  de  la  Blanchëre.) 

la  plaine  de  Djebibina,  la  grande  forteresse  d'Henchir-Sguîdan, 
dont  l'enceinte  flanquée  de  huit  tours  est  fort  bien  ^conservée 
encore,  dominait  toute  la  région»;  enfin  plus  au  nord  encore, 
à  Henchir-Batria,  un  fortin  protégeait  la  route  de  Zaghouan^  ; 
un  autre,  défendu  par  quatre  tours  d'angle,  fermait  à  Ain- 
Djoukar  l'entrée  de  la  plaine  du  Fahs^  De  cette  sorte,  la  ligne 

1.  Bell.  Vand.,  p.  509  ;  Joh.  IV,  41  ;  Tissot,  II,  p.  160-162. 
2. Bull.  Corn,,  1886, p.  200. 

3.  Id.,  1888,  p.  467;  Gagnât,  Arch.  des  Missions,  W,  p.  34. 

4.  Tissot,  n,  p.  558-559. 

5.  Gaérin,  II,  p.  345-346. 


284  HfSTOlRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  défense  était  complète,  et  le  massif  central  ne  pouvait  pas 
être  tourné  par  le  nord. 


4.  La  vallée  de  la  Medjerda. 

Si  de  cette  sorte^  la  Proconsulaire  semblait  garantie  contre 
les  attaques  venant  du  sud,  pourtant  Carthage  restait  expo- 
sée du  côté  de  Touest.  La  route  de  Carthage  à  Hippone  par 
Bulla  Begia  et  la  rive  gauche  de  la  Medjerda  %  celle  de  Car- 
thage à  Grta  par  Sicca  Veneria  (le  Kef)  et  la  rive  droite  du 
fleuve'  étaient  des  lignes  d'invasion  ouvertes  aux  populations 
de  la  Numidie.  L'une  et  l'autre  furent  donc  solidement  occu- 
pées dès  le  temps  de  Justinien.  Au  nord  du  Bagradas,  Yaga 
(Béja)  qui,  en  l'honneur  de  l'impératrice  prit  le  surnom  de 
Théodoriade,  fut  entourée  d'une  vaste  enceinte  fortifiée;  et 
elle  dut  à  la  fois  protéger  le  pays  fertile  qui  Tenvironne  et  te- 
nir en  respect  les  tribus  des  montagnes  qui  s*étendent  entre 
elle  et  la  mer*.  Bulla  Regia  (Hammam-Darradji)  qui  com- 
mandait le  riche  et  vaste  territoire  delaDakhladesOuled-bou- 
Salem,  eut  également  une  citadelle^;  et  à  l'issue  du  défilé  assez 
resserré  par  où  la  Medjerda  pénètre  dans  les  Grandes  Plaines, 
dans  une  importante  position  stratégique,  couvrant  la  route 
et  le  fleuve,  la  forteresse  de  Bordj-Hallal  barra  le  passage  et 
protégea  les  colons  de  la  contrée  avoisinante^;  plus  loin  à 
Thuburnica  (Henchir-Sidi-Ali-Bel-Kassem),  on  signale  parmi 
les  ruines  une  grande  citadelle  encore  ;  mais  il  ne  me  parait 
pas  pleinement  certain  qu'elle  date  de  l'époque  byzantine*. 

Sur  la  route  de  la  rive  droite,  le  groupe  de  places  que  nous 

1.  TisBot,  II,  p.  243. 

2.  /d.,  p.  312. 

3.  Aed.,  p.  339-340  ;  C.  /.  £.,  VIU,  14399  ;  Tissot,  II,  p.  304  ;  Cagnat,  Arch.  du 
Missions,  XIV,  p.  107-108. 

4.  Tissot,  n,  p.  261;  BuU.  Anl,  afr.,  111,  p.  112. 

3.  C.  /.  JL.,  Vin,  1259  et  14547;  TisBot,  H,  p.  266-267,  308;  Saladin,  H,  p.  427- 
429;  Diehl,  Rapport,  p.  136- 139. 
6.  Bu//.^Com.,  1891,  p.  161-192. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  285 

avons  déjà  mentionnées  précédemment,  Coreva,  Tbignica, 
Bir-Tersas,  Thubursicum  Bure,  Agbia,  Tueca,  protégeaient 
les  approches  de  la  Medjerda  autant  contre  les  attaques  de 
l'ouest  que  contre  celles  du  sud.  Plus  loin,  des  redoutes  étaient 
établies,  au  voisinage  de  la  route  de  Garlbage  à  Cirta,  à  Uci 
Majus  (Henchir-Douamis)  et  à  Sidi-Bellaoui  ^  Enfin,  au 
delà  du  point  où  la  route  de  Thévestè  se  sépare  de  celle 
de  Girta.  l'importante  position  de  Sicca  Veneria  (Le  Kef) 
était  assurément  occupée  par  'les  Byzantins  '.  «  Assise  sur 
un  des  premiers  ressauts  d'un  massif  qui  peut  être  consi- 
déré comme  une  citadelle  naturelle,  la  ville  domine  les  grandes 
plaines  du  Sers,  de  Zanfour,  de  Lorbeus  et  de  TOued-Mellè- 
gue,  en  même  temps  qu'elle  commande  une  des  principales 
voies  de  communication  conduisant  de  Tunis  en  Algéries.  »  II 
ne  subsiste  actuellement  aucune  portion  de  l'enceinte  byzan- 
tine, mais  on  ne  peut  douter  qu'elle  ne  fût  une  ville  forte.  Pla- 
cée aux  extrémités  occidentales  delà  Proconsulaire  et  presque 
sur  les  frontières  de  la  Numidie,elle  ne  se  bornait  point  à  sur- 
veiller les  routes  venant  de  Touest,  elle  faisait  encore  face  du 
c6té  du  sud,  et  elle  rattachait  Laribus  et  la  seconde  ligne 
des  forteresses  de  Byzacôneàla  seconde  ligne,  qui  nous  reste 
à  étudier,  des  citadelles  de  Numidie. 


II 

L'occupation  de  la  Numidie, 

I.  La  lig^e  septentrionale  des  hanta  plateaux. 

Nous  avons  indiqué  déjà  comment,  vers  l'année  535,  alors 
que  les  limites  de  laNumidie  ne  dépassaient  pas  la  lisière  septen- 
trionale des  hauts  plateaux,  le  patrice  Solomon  fit  construire, 

1.  Carton,  /.  c,  p.  256  el  278. 

2.  Proc,  Aed,  (passage  inédit). 

3.  Tissot,  II,  p.  378. 


286  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

sur  les  pentes  méridioQales  du  Tell,  une  série  de  forteresses 
chargées  de  défendre  cette  frontière.  Lorsque,  quelques  an- 
nées plus  tard,  les  progrès  de  la  conquête  eurent  porté  jus- 
qu'aux pieds  de  TAurès  la  domination  byzantine,  les  places 
primitivement  occupées  ne  perdirent  point  toute  raison  d'être  ; 
elles  formèrent  une  seconde  ligne  de  citadelles,  fort  utiles  pour 
arrêter  les  courses  des  nomades,  si  la  barrière  qui  bordait 
l'Aurès  venait  à  être  forcée;  et  elles  parurent  même  alors  con- 
server assez  d'importance  pour  qu'on  renforçât  de  quelques 
constructions  nouvelles  ce  système  défensif^  De  cette  sorte, 
sur  un  tracé  à  peu  près  parallèle  à  la  grande  route  de  Garthage 
à  Cirta  et  fort  voisin  de  cette  voie  de  communication,  des 
postes  fortifiés  s'échelonnèrent  depuis  la  vallée  de  l'Oued- 
Mellègue  et  les  environs  du  Kef  jusqu'à  la  coupure  par  où 
l'Oued-bou-Merzoug  se  dirige  vers  Conslanline. 

A  l'extrémité  orientale  de  cette  ligne  se  trouvait,  près  du 
bordj  actuel  d'Aïn-Guettar,  la  forteresse  de  Tagoura'  et  non 
loin  de  là,  le  castellum  de  Tamatmat';  puis  à  l'endroit  où, 
venant  du  sud,  la  grande  voie  de  Théveste  à  Hippone  et  au 
littoral  allait  couper  la  route  do  Garthage  à  Cirta^,  le  château 
fort  de  Madaure,  élevé  parmi  les  ruines  de  l'antique  ville  de 
ce  nom,  barrait  le  passage  ^  Plus  loin,  sur  les  dernières  pentes 
du  massif  montagneux  qui  longe  et  domine  au  nord  la  vaste 
plaine  de  Tifech,  au  flanc  d'une  colline  escarpée  dont  un  ravin 
abrupt  défend  partiellement  l'accès,  était  assise  la  grande  for- 
teresse de  Tipasa;  elle  occupait,  au-dessus  de  l'immense  ré- 
gion fertile,  où  coulent  vers  Touestun  affluent  de  la  Seybouse, 
et  vers  l'est  les  premiers  tributaires  de  la  Medjerda,  une  ad- 
mirable position  militaire  et  stratégique*  :  surveillant  en  eflet 

1.  C.  /.  L.,  VIII,  4799;  Aed.,  p.  343;Be//.  Vand.,  p.  463. 

2.  C.  i.  L.,  VIII,  16851;  TUsot,  II,  p.  383;Bu/Z.  Corr,  afr.A,  p.  317-319; 
Lcwal,  Taouraet  ses  inscriptions  (Revue a fr.^  1859,  p.  23). 

S.Tissot,  II,  p.  383. 
4. /d.,p.  417. 
6.  C.  /.  L.,  Vin,  4677. 

6.  Tissot,  II,  p.  417, 387;  i?ec.  de  Const..  1866,  p.  UH  sq.;  Bull.  Corr.  afr.,  I, 
p.  302-303  ;  Diehl,  Rapport^  p.  67-72. 


L'OCCUPATION  MIUTAIUE  DE  LAFRIQIjE  BYZANTINE  287 

la  graade  voie  qui  passait  à  ses  pieds,  clic  fermait  eu  outre 
l'étroite  gorge  par  où  s'ouvre  un  chemin  vers  Khamissa  (Thu- 
bursicum  Numidarum)  et  Bône.  A  l'ouest  de  Tipasa,  le  poste 
de  Guelaa-Sidi-Yahia  gardait  le  point  de  jonction  des  routes 
qui  se  dirigeaient  vers  Bône  parZatlaraet  vers  Cirta  par  Thi- 
bilis';  puis  c'étaient  Gadiaufala  (Ksar-Sbehi),  à  la  tète  d'une 
voie  qui  par  la  vallée  de  TOued-Cherf  menait  à  Thibilis  et 
à  Guelma',  le  poste  de  Centuriae  (KsvTO'jptai  de  Procope)'  et 
rimportante  place  de  Tigisis  (Aïn-el-Bordj)*.  Bâtie  à  l'extré- 
mité orientale  de  la  ce  longue  plaine  »  (Bahiret-et-Touila)  qui 
s'ouvre  à  Test  de  Sigus,  elle  surveillait  ce  large  cirque  encer- 
clé de  montagnes,  et  occupait  Tun  des  rares  points  d'eau  qui 
se  rencontraient  dans  la  région;  surtout  elle  barrait  absolu- 
ment la  profonde  coupure  du  Foum-el-Hallik,  par  où  la  route 
antique  de  Théveste  à  Cirta  pénétrait  sans  doute  dans  la 
plaine^;  et  à  Tissue  de  ce  défilé,  que  traverse  aujourd'hui 
encore  un  chemin  menant  à  Aïn-Beida,  elle  constituait,  selon 
l'expression  byzantine,  une  véritable  clisure.  Dans  la  ligne  de 
défense  de  la  Numidie  du  nord,  cette  place  très  forte  —  Pro- 
cope  la  nomme  ^à-ztiyK^rzo^  —  paraît  avoir  eu  une  importance  con- 
sidérable ;  elle  figure  à  la  fin  du  vi*  siècle  parmi  les  grandes  vil- 
les de  la  province*,  et  elle  semble  même  au  milieu  du  vu»  avoir 
été  le  siège  d'un  commandement  militaire  \  Enfin  près  de  la 
gorge  de  Fedj-Sila,  vers  l'endroit  où  la  vallée  du  Bou-Merzoug 
ouvre  un  chemin  vers  Constantine,  on  signale  le  château  byzan- 
tin de  Sila';  et  vers  l'ouest  des  redoutes  établies  à  Sadjar  (Sub- 


1.  Hec,  de  Const,,  189ii,  p.  63-64;  Vigueral,  Ruines  du  cercle  de  GMc/ma,p.  35- 
36  (ayec  an  plan). 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  4799  :  Tissot,  II,  p.  418. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  463;  Tissot,  U,  p.  424. 

4.  Bell.  Vand.,  p.  463;  Tissot,  H,  p.  420-423;  Hec.    de  Const.,  486!,  p.  262-, 
1878,  p.  374;  1882,  p.  222-231. 

5.  Tissot,  II,  p.  476. 

6.  Georg.  Cypr.,  p.  34  ;  Gregorii  Magoi  Episi.  XII,  28-29. 

7.  C.  L  L.,  VUl,  2389. 

8.  C.  /.  L.,  VIII,  p.  564;  Rec.  de  ConsL,  1868,  p*  412-418. 


288  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

zuar)*  et  à  ÂïQ-Mechira'  fermaient  des  passages  conduisaDt  à 
la  vallée  du  Rummei  et  à  la  grande  route  de  Girta  à  Sétif. 


8.  Le  Tell  de  la  province  de  Gonstantine. 

Au  nord  de  cette  ligne  de  forteresses,  s'étend  une  région 
accidentée  et  fertile,  où  des  ruines  nombreuses  de  villages  et 
d'exploitations  rurales  attestent  une  grande  prospérité  agri* 
cole';  des  villes  importantes  s  y  élevaient^  Thagaste  (Soukar- 
rhas),  Thubursicum  Numidarum  (Khamissa),  Thibilis  (An- 
nouna).  Calama  (Guelma),  Constantine  :  des  routes  nom* 
breuses  la  sillonnaient  en  tous  sens,  allantde  Tipasa  à  B6ne  par 
Khamissa  et  Kef-Bezioun  (Zattara)  *  ou  à  Constantine  par  An- 
nouna  (Thibilis);  de  Gadiaufala  par  la  vallée  de  TOued-Cherf 
et  Thibilis,  soit  à  Constantine,  soit  à  Guelma';  enfin  de  Sigus 
vers  Constantine,  cette  dernière  prolongeant  vers  le  nord  les 
voies  qui  viennent  de  Théveste  et  de  Lambëse*.  Aussi, 
malgré  la  ligne  de  défense  que  formaient  sur  la  lisière  septen- 
trionale des  hauts  plateaux,  les  citadelles  précédemment 
énumérées,  des  mesures  de  précaution  avaient  paru  néces- 
saires, autant  pour  assurer  les  communications  à  travers 
cette  région  montagneuse  que  pour  fournir  un  refuge  aux 
habitants  contre  les  attaques  subites  des  envahisseurs.  C'est 
pour  cela  qu*à  Thubursicum  Numidarum,  une  série  de 
redoutes  détachées,  qui  d'ailleurs  n'ont  point  une  destination 
proprement  militaire,  protégeait  la  cité  ^  ;  pour  cela,  qu'à 
Zattara  (Kef-Bezioun),  sur  un  immense  escarpement,  domi- 
nant à  pic  rOued-bou-Mouia,  les  Byzantins  avaient  construit 


1.  C.  /.  L.,  Vm,  p.  571. 

2.  Id.,  p.  707;  Gsell  et  Graillot,  /.  c,  p.  94. 

3.  Rec.  de  Const.,  1892,  p.  54-113  (ayec  uae  carte  intéressante). 

4.  Cosneau,  De  romanis  viis  in  Numidia^  p.  65-66;  Tissot,  H,  p.  387-392. 

5.  Ck>sneaa,  td.,  p.  69;  Tissot,  II,  p.  429-430. 

6.  Tissot,  II,  p.  415,  418-424;  Cosneau,  /.  c,  p.  53-54,  67-68. 

7.  Tissot,  II,  p.  390-391;  Diehl,  Rapport,  p.  81-82. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  289 

une  vaste  enceinte  fortifiée*.  C'est  pour  cela  surtout  que  dans 
la  forte  position  de  Thibilis,  au  point  où  se  croisaient  la  route 
de  Garthage  à  Cirta,  par  Tipasa  et  Capraria,  celle  de  Cirta, 
à  Guelma  et  à  Bône,  celle  qui,  de  Gadiaufala,  mène  vers  le 
nord  de  la  province,  sur  un  plateau  très  escarpé  et  difficile- 
ment abordable,  une  citadelle  avait  été  établie.  De  là,  dans 
toutes  les  directions,  s'ouvraient  des  vues  très  étendues  :  vers 
Test  et  le  nord-est,  c'est  la  plaine  largement  ouverte  où  coule 
rOued-Cherf;  vers  le  nord-ouest,  c'est  une  succession  de 
montagnes  accidentées,  où  s'engageait  la  route  de  Guelma  à 
Constanline  ;  partout  c'est  un  horizon  immense.  «  On  avait 
l'avantage  de  voir  de  Thibilis  les  mouvements  qui  pouvaient 
se  produire  au  loin  sur  la  Mahouna,  sur  le  Djebel-Debar  dans^ 
le  haut  de  la  vallée  de  la  Seybouse,  sur  les  montagnes  du 
Fedjouz  et  d'El-Aouara  et  plus  loin  encore,  sur  celles  des  Béni 
Salah,  dont  les  sommets  se  fondent  dans  la  brume*.  » 

Mais  c'était  surtout  au  débouché  de  ces  trois  grandes  routes 
que  d'importantes  forteresses  avaient  été  placées  pour  sou- 
tenir à  distance  les  postes  qui  couvraient  sur  les  versants 
méridionaux  du  Tell,  le  pays  byzantin.  Presque  dans  le  pro- 
longement de  la  série  de  places  fortes  qui  bordait  en  Procon* 
sulaire  la  vallée  de  la  Medjerda,  et  formant  avec  elles,  en 
arrière  des  citadelles  de  seconde  ligne,  comme  une  troisième 
barrière,  on  rencontrait  une  succession  de  villes  fortes.  C'était 
d'abord  vers  l'est,  Calama  (Guelma)  qui  comptait  à  la  fin  du 
vi*  siècle  parmi  les  grandes  villes  de  la  Numidie  et  que  le 
patrice  Solomon  avait  entourée  d'une  inexpugnable  enceinte, 
malheureusement  presque  détruite  aujourd'hui'.  Vers  l'ouest, 
c'était  Constanline,  où  Ton  voit  encore  à  l'extrémité  de  la 
pointe  de  Sidi-Rached,  au-dessus  du  ravin  du  Rummel,  quel- 
ques pans  de  la  muraille  byzantine  :  c'était,  au  moins  au  début 


1.  Rec.  de  Const,^  1892,  p.  79-80  ;  Vlgneral,  Ruines  romaines  du  cercle  de 
Guelma,  p.  27-28  (avec  un  plan)  ;  Bull.  Com.f  1892,  p.  512. 

2.  Rec,  de  ConsL,  1890-1891,  p.  331. 

3.  C,  l.  L.,  VIII,  5352,  5353. 

I.  19 


290  HISTOIRE  DE  L\  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  roccupation,  la  résidence  du  duc  de  Numidie^  Plus  loin, 
le  long"  de  la  roule  romaine  qui  conduit  de  Cirla  à  Sitifis*, 
Mileu  (Mila)  el  Cuicul  (Djemila)  étaient,  comme  nous  l'avons 
déjà  indiqué,  occupées  par  les  Byzantins  et  reliaient  cette 
chaîne  de  citadelles  à  la  grande  forteresse  de  Sétif  qui  for- 
mait ainsi,  à  la  fois,  du  côté  du  sud,  un  poste  important  dans 
la  troisième  ligne  de  défense  de  l'Afrique  byzantine,  et  vers 
Touest,  une  des  places  frontières  de  la  province  reconquise  par 
Justinien. 

1.  Cod.  Jusl.y  I,  27,  2,  1  ;  Georg.  Cypr.,  p.  34.  Sur  le  pays  entre  Guelma  et 
CoQstantme,  cf.  Bull.  Comité^  1885,  p.  550-568;  sur  la  régioQ  entre  Cons- 
tantine  et  Soukarrhas,  id.,  1888,  p.  101-126.  On  trouvera,  dans  les  Additions 
placées  à  la  un  du  volume,  des  renseignements  intéressants,  qoe  je  dois  à 
l'obligeance  de  M.  Gsell,  sur  plusieurs  des  citadelles  byzantines  de  la  Numi- 
die.  Les  uns  se  rapportent  à  des  forteresses  impériales  de  la  ilgne  septen- 
trionale des  hauts  plateaux,  telles  que  Taoura  (Tagoura),  Gnelaa-Sidi-Yabia, 
Ksar-Sbehi  (Gadiaufala)  ;  les  autres  concernent  les  places  de  refuge  de  la 
région  du  Tell,  comme  Khamissa,  Kef-Bezionn,  Rsar-Atman,  Kef-Kherraz, 
Guelaat-bou-Atfan . 

2.  Tissot,  II,  p.  404. 


TROISIÈME  SECTION 

LA   DÉFENSE   DU   PLAT   PAYS 


Ainsi,  trois  grandes  rangées  de  forteresses  à  peu  près  paral- 
lèles Tune  à  Tautre  s'échelonnaient  à  partir  de  la  frontière 
pour  constituer  le  système  défensif.  C'étaient  d'abord  les  postes 
du  limes,  Gabès,  Capsa,  Théveste,  Ammaedera,  Mascula,  Ba- 
gai,  Thamugadi,  Guessès,  Lambèse,  Tubunae,  Zabi  Justi- 
niana,  Tbamalla,  Sétif;  c'était  la  seconde  ligne  qui,  partant  du 
littoral  s'appuyait  aux  revers  méridionaux  du  massif  central 
tunisien,  et  par  Laribus  et  Sicca  Veneria  allait  rejoindre  les 
postes  échelonnés  sur  la  lisière  septentrionale  du  haut  plateau 
numide  ;  c'était  enfin  la  série  des  places  qui  occupaient  les 
vallées  de  la  Medjerda,  de  la  Seybouse  et  du  Rummel,  depuis 
Carthage  jusqu'à  Sétif  :  et  on  a  vu  comment  ces  ouvrages 
militaires  étaient  merveilleusement  disposés  pour  barrer  tous 
les  passages  de  la  frontière  et  fermer  vers  l'intérieur  les  gran- 
des voies  d'invasion.  Mais  entre  ces  différentes  lignes,  les 
zones  intermédiaires  ne  demeuraient  pas  entièrement  dépour- 
vues de  protection  :  à  la  vérité,  on  ne  rencontrait  plus  dans 
ces  régions  de  grandes  forteresses  impériales^  occupées  d'une 
façon  permanente  par  les  troupes  byzantines,  mais  de  sim- 
pies  ouvrages  de  fortification,  construits  pour  les  besoins  et  le 
plus  souvent  par  l'initiative  des  populations.  11  est  vrai  aussi 
que  beaucoup  de  ces  réduits  datent  incontestablement  d'une 
époque  postérieure  au  milieu  du  vi""  siècle.  Quand,  avec  la  dé- 


^- 


292  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

cadence  de  l'autorité  byzantine,  les  citadelles  de  Justiniea 
devinrent  insuffisantes  à  protéger  le  pays,  quand  à  travers 
leur  réseau  trop  lâche  passèrent  les  razzias  des  tribus  berbères 
et  plus  tard  les  courses  des  conquérants  arabes,  les  popula- 
tions durent  elles-mêmes  songer  à  leur  sécurité.  Alors  elles 
élevèrent,  sans  aucune  entente  des  dispositions  stratégiques, 
ces   fortins   que  Ton   rencontre  auprès  de  chaque   groupe 
de  ruines;  chaque  ville,  chaque  village,  chaque  centre  d'ex- 
ploitation agricole  eut  ainsi  son  ksar  destiné  à  servir  de 
refuge.  Énumérer  tous  ces  ouvrages  serait  nommer  presque 
tous  les  centres  de  population  de  T Afrique  byzantine  :  et  la 
tâche  risquerait  d'être  aussi  fastidieuse  qu'inutile,  puisque, 
sauf  quelques  rares  exceptions,  ces  redoutes  ne  jouent  aucun 
rôle  dans  le  système  général  de  la  défense.  Il  suffira  doac« 
par  un  certain  nombre  d'indications,  qui  ne  prétendent  nulle- 
ment à  être  complètes,   de  faire  sentir  la  masse  vraiment 
incroyable  des  travaux  de  cette  sorte,  et  la  manière  dont  ils 
se  répartissent  à  travers  toute  la  région  :  ce  tableau  achèvera 
l'étude  de  Toccupation  territoriale  de  l'Afrique  à  l'époque  by- 
zantine. 

Dans  la  région  des  hauts  plateaux  intermédiaires  entre  le 
limes  et  la  seconde  ligne  de  défense,  dans  ce  pays  où  les 
grandes  villes  sont  assez  rares,  mais  où  apparaissent  à  chaque 
pas  les  traces  d'une  remarquable  colonisation  agricole*,  cha- 
que ruine  montre  à  peu  près  un  fortin  construit  à  la  hâte. 
Voici,  à  Test  de  Thélepte,  un  kasr  à  Henchir-Khamor*,  et 
plus  loin,  accolée  à  la  petite  ville  si  intéressante  de  Haoach- 
Khima-mta-Darrouia,  une  grande  redoute  curieusement  con- 
servée»; un  peu  plus  loin,  au  sud  de  TOued-el-Hatob,  voici 
un  fortin  à  Henchir-Mzira*,  et  en  continuant  vers  Test,  sur  la 
rive  droite  de  l'Oued-Fekka,  en  voici  d'autres  à  Henchir- 


1.  Cagoat,  Arch.  des  Missions^  XU,  p.  107-108;  Saladin,  1,  p.  219-220. 

2.  Saladin,  1,  p.  135. 

3.  Id.,  p.  136-139;  Gagnât,  Arch.  des  Miss.,  XU,  p.  153-154. 

4.  Saladio,  I,  p.  141. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE 


293 


Maizhra,  à  Sidi-Khalif,  àHenchir-el-Baroiid,  àKsar-Debdeba*, 
tous  construits  sur  le  même  type  et  de  la  même  manière,  «  en 
gros  matériaux,  pierres  de  taille,  montants  de  pressoirs,  mon- 
tants de  portes,  provenant  d'édifices  détruits*.  »  A  l'ouest  de 
Sbéitla»  toute  la  riche  plaine  du  Fouçana  en  est  remplie,  sur 
les  deux  rives  de  TOued-el-Hatob",  et  de  même  tout  le  pla- 
teau qui  s'étend  entre  Kasrin  et  Sbéitla*,  et  toute  la  contrée 
entre  Haïdra  et  Laribus*.  Quant  aux  rares  villes  de  la  région, 
Madarsuma,  Cillium,  Sufetula,  elles  sont  défendues  à  peu 


EcKelle  de  o,ooz  p.Tn. 

O  133  45  JO  ZO 

Fig.  66.  —  Sbéitla.  Fortin  byzantin. 

près  de  même  :  à  Kasrin  (Cillium)  une  redoute  protège  la 
ville  au  point  où  la  route  venant  de  la  plaine  monte  au  pla- 
teau où  s'élève  la  cité,  et  deux  autres  fortins  détachés  occu- 
pent des  promontoires  escarpés  dominant  la  rivière*.  A  Sbéi- 
tla, en  avant  de  Tenceinte  des  temples  transformé  en  castrum, 
cinq  réduits  fortifiés  couvrent  au  sud-est  et  au  sud  les  appro- 

1.  Saladin,  1,  p.  36-38,  48,  51,  06. 

2.  Id.,  p.  220. 

3.  /d.,  p.  122-123,  167-168. 

4.  Diehl,  Rapport,  p.  126-121  ;  Cagnat,  Atch.  des  Misslom,  Xl[,  p.  146-141. 
5!  Saladin,  I,  p.  191-192,  199;  Cagnat,  /.  c,  XU,  p.  243. 

tt,  Saladin,  i,  p.  160.  Cf.  le  pian,  p.  156. 


/ 


294  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

cbes  de  la  place,  et  les  détails  de  leurs  dispositions  attestent 
la  rapidité  de  leur  construction*. 

Remontons  maintenant  plus  au  nord,  au  delà  de  la  seconde 
ligne  de  défense,  dans  la  région  si  peuplée  du  massif  central 
tunisien.  Chacune  des  nombreuses  petites  villes  qui  y  sont 
accumulées  a  sa  petite  citadelle.  Dans  la  vallée  de  FOued- 
Mahrouf,  on  en  signale  à  Mansourah',  à  Henchir-Besra',  à 
Henchir-Kachoun  (Muzuc)*;  dans  la  vallée  de  la  Siliana,  on  en 
trouve  à  Kobber-el-Ghoul,  à  Aïn-Zouza%  à  Ksar-Medoudja,  à 
HenchirBez  (  Vazis  Sarra)*,  àflencbir-Seheli  près  du  Bargou  *, 
à  Djama*  (Zama  major);  d'autres  sont  établies  à Maktar,  à Kasr- 
bou-Fatha%  à  Hammam-Zoukra  (Thigibba)*^  à  Ellez",  àZan- 
four  (Assuras)  *^.  Sur  le  revers  méridional  du  massif,  voici, 
avec  son  fortin,  rétablissement  assez  important  d'Henchir- 
Kouki*^  ;  vers  le  nord,  voici  dans  laplaine  du  Fahs  des  redoutes 
à  Bir-el-Heusch  **,  à  Bou-Djelida^^,à  Henchir-bou-Ftis  ( Avitta 
Bibba)*®  ;  dans  la  vallée  deTOued-Melian,  c*est  Henchir-Kasbat 
(Thuburbo  majus)  ".  Vers  Test,  des  redoutes  protègent  Hen- 
chir-Oum-el-Abouab(Seressi)*®,  et  Henchir-Zakloun(Thaca)", 


l.Saladin,  I,  p.  66-69. 

2.  BulL  Comité,  1886,  p.  212. 

3.  Tissot,  II,  p.  605. 

4.  Id.y  p.  603. 

5.  Bull.Anl.  afr.,  1884,  p.  238. 

6.  /rf.,  1884,  p.  244. 

7.  /d.,  1884,  p.  249. 

8.  Gagnât,  Arch^  des  Missions,  XIV,  p.  79;  Tissot,  11,  p.  573,  note. 

9.  Tissot,  II,    p.  625;   Guérin,  1,  p.  404;  et   pour  Maktar,  Diehl,  Rapport, 
p.  113-H4. 

10.  Bull.  Ant.  afr.,  1884,  p.  2."Î6. 

11.  /d.,p.  254. 

12.  W.,  p.  250-252;  Guérin,  11,  p.  93. 

13.  Gagnât,  Arch,  des  Missions,  XII,  p.  130. 

14.  Bull.  Ant.  afr.y  1885,  p.  92. 

15.  /rf.,  1883,  p.  293. 

16.  /d..  1883,  p.  306. 

17.  Guérin,  II,  p.  368;  BuU.  Com/7^,  1893,  p.  218. 

18.  W.,  p.  356. 

49.  Bull.  Comité,  1886,  p.  197. 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  295 

et  Aïn-Mdeker  (Mediccera)  *,  et  Hammam-Zeriba*  ;  et  peut-être 
même  quelques-uns  des  postes  nommés  plus  haut,  comme  Aïn- 
Djoukar  (Zucchara),  Henchir-Batria  (Botria),  Henchir-Sidi- 
Khalifa  (Aphrodisium),  sont-ils  simplement  des  fortins  du 
même  genre.  Vers  l'ouest,  dans  la  région  deDougga,  des  éta- 
blissements fortifiés  se  rencontrent  à  Ilenchir-Khadem,  à 
Henchir-Khatteb,  à  Aïn-Taki  sur  TOued-Khalled,  à  Henchir- 
bou-Aouia  et  à  Sidi-Khalifat  dans  la  plaine'du  Krib,  à  Henchir- 
Kouchbalia  (Thimidum  Bure)*;  entre  Teboursouk  et  la  Med- 
jerda,  un  fort  byzantin  se  trouve  à  Henchir-Maatria  (Numlulis)  *, 
un  autre  au  delà  du  fleuve  à  Henchir-el-Ksour,  près  de  Chem- 
tou*.  Et  la  même  énumération  pourrait  à  l'infini  se  poursuivre 
en  Algérie  comme  en  Tunisie.  Voici  par  exemple,  entre  le 
limes  et  le  Tell,  les  fortins  d  flenchir-el-Hammam,  d'Henchir- 
Ouled-Hassan,  d'Henchir-Tagount,  d'Henchir-Kraker  %  le 
kasr  d'El-Mader  (Casae),  la  redoute  d'Aïn-el-Ksar  (Tadulti), 
celle  de  Ksar  Kalaba  (Gibba),  celle  de  Seriana  (Lamiggiga), 
toutes  voisines  l'une  de  Tautre  dans  la  région  au  nord  de 
Batna  '  ;  voilà,  au  sud-est  d'Aïn-Beida,  le  fort  d'Henchir-Chera- 
grag'  et,  au  nord  de  la  même  ville,  celui  d'Henchir-Kesreia^ 
J'ai  signalé  déjà  quelques-unes  des  fortifications  qui  se  trou- 
vent entre  la  seconde  et  la  troisième  ligne  de  défense,  Kha- 
missa  (Thubursicum  Numidarum)  et  sans  doute  Zattara'(Kef- 
Bezioun)  :  j'y  pourrais  joindre  la  civitas  Nattabutum  (Oum 
Guerrichech)*®,  entre  Gadiaufala  et  Thibilis,  le  centre  agricole 

1.  Bull.  Comité,  1886,  p.  198. 

2.  W.,  1886,  p.  197. 

3.  Carton,  Découvertes  épigraphiques  et  archéologiques,  p.  40,  45,  72,  64,  63, 
417. 

4.  Bull.  Comité^  1893,  p.  79;  Carton,  /.  c,  p.  298. 

5.  Saladin,  II,  p.  427. 

6.  Gsell  et  Graillot,  l.  c,  p.  111,  110,  108,    106  et  plasieurs   autres,  p.  12o, 
127,  115. 

7.  Rec.de  Const.,  1862,  p.  128,  etDiehl,  Rapport,^.  12-15;  Gsell  et  Graillot. 
/.  c,  p.  144,  150,  152. 

8.  Bull.  Cor7\  afr.,  I,  p.  315. 

9.  Rec,  de  Const.,  1882,  p.  305. 

10.  W.,  1892,  p.  83-84;  Revueafric,  1867,  p.  6\;Bull.  Corn.,  1892,  p.  513-514. 


/ 


296  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

d'IIenchir-el-Hammam,  protégé  par  un  fortin  carré  dont  un 
mausolée  antique  a  formé  le  noyau  ^,  la  redoute  d*Henchir- 
Zouabi',  d'autres  encore,  montrant  comment^  dans  toute 
TAfrique  byzantine,  les  habitants  ont  dû  par  eux-mêmes  veiller 
à  leur  sécurité. 

Enfin,  au  delà  de  la  troisième  ligne  de  défense,  entre  les  ci- 
tadelles qui  la  formaient  et  le  littoral  de  l'Afrique  septentrionale, 
on  rencontre  un  certain  nombre  de  postes  fortifiés.  Dans  la 
région  montagneuse  qui  s'étend  au  nord  de  la  vallée  de  la 
Medjerda,  dans  le  massif  de  l'Edough  voisin  de  Bône,  sur- 
tout dans  le  pays  accidenté  et  difficile  qui  s'étend  enlre  Cons- 
tantine  et  Sétif  au  sud,  Philippeville  et  Djidjelli  sur  la  côte, 
habitaient  des  populations  mal  soumises,  qu'une  surveillance 
exacte  pouvait  seule  maintenir  dans  le  devoir.  Aussi  le  gou- 
vernement byzantin  semble  avoir  adopté  dans  cette  contrée 
un  système  assez  analogue  à  celui  que  le  Haut-Empire  appli- 
quait en  Maurétanie  '.  A  côté  de  la  troisième  ligne  de  défense 
qui  contenait  par  le  sud  les  montagnards,  une  ligne  d'occupa- 
tion suivait  la  côte,  et  entre  elles,  des  redoutes  jalonnaient  les 
voies  de  pénétration  des  principaux  massifs,  les  isolant  les 
uns  des  autres  et  réprimant  les  soulèvements  qui  pouvaient 
éclater. 

Sur  la  côte,  Tabarca  était  occupé  à  l'époque  byzantine*  ;  Hip- 
pone  était  une  ville  forte  '  dont  le  castelliim  voisin  de  Fossala 
complétait  le  système  défensif*;  une  citadelle  s'élevait  sans 
doute  également  à  Rusicade  (Philippeville)  :  vers  l'ouest,  j'ai 
déjà  signalé  Tucca  à  l'embouchure  de  l'Oued-el-Kebir,  Igil- 
gilis  (Djidjelli),  Choba  et  Saldae  (Bougie).  D'autre  part,  sur  la 
route  antique  qui  mène  de  Béjà  à  Mateur,  on  trouve  à  Henchir- 


1.  Hecde  Const.,  1S92,  p.  90-92  ;  Reruelle,    Ruines   romaines  d^Benchir-el- 
Hammam  (Revue  afric.^  1892,  p.  342). 

2.  Rec.  de  Const.,  1892,  p.  101. 

3.  Gagnât,  Armée  romaine,  p.  GOl. 

4.  Bull,  Ant,  afr.,  1884,  p.  122-134;  1885,  p.  7-U. 

5.  BelL  Vand.,  p.  427. 

6.  Proc.,>4«d.*(pa88ageriDédit). 


L'OCCUPATION  MILITAIRE  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  297 

Negachia  uq  castrum  datant  du  temps  de  Justinien^  entre 
Béja  et  Tabarca,  une  redoute  assez  bien  conservée  et  soigneu- 
sement construite  s*élëve  à  Henchir-Zaga '•  Sur  la  route  de 
Carthage  à  Bône,  entre  ce  dernier  point  et  Ghardimaou,  on 
signale  à  Benchir-bou-Larès  (Onellaba)  un  fortin  d'époque 
byzantine  ^  Sur  la  voie  de  GuelmaàBône,  dans  la  vallée  de  la 
Seybouse,  il  y  a  à  Ksar-el-Achour  un  ouvrage  militaire  inté- 
ressant*; au  nord-ouest  de  Constantine,  dans  la  vallée  de 
rOued-el-Kebir,  un  fortin  est  construit  sur  l'emplacement  de 
Tantique  Tiddis\  et  Ton  a  vu  déjà  comment  Mileu  et  Cuicul 
isolaient  du  côté  du  sud  le  massif  des  Babor,  qui,  de  cette  sorte, 
était  gardé  de  trois  côtés  par  des  postes  échelonnés  de  dis- 
tance en  distance  et  peut-être  même  complètement  cerné.  Le 
même  système  avait  été  appliqué  pour  maintenir  en  paix  les 
remuantes  tribus  qui  peuplaient  la  presqu'île  du  cap  Bon.  On 
a  expliqué  comment,  à  la  base  de  ce  promontoire,  une  série  de 
redoutes  coupait  cette  région  du  reste  de  la  province;  sur  plu- 
sieurs points  de  la  côte,  d'autres  forteresses  complétaient  cette 
sorte  d'investissement.  On  signale  au  nord  de  Curubis(Kourba) 
un  fort  byzantin  à  Lebna^,  et  plus  loin,  à  Clypea(Klibia),  une 
citadelle  flanquée  de  quatre  tours ^;  d'ailleurs  El-Bekri  affirme 
que  ce  point  fut  une  des  dernières  villes  que  les  Grecs  conser- 
vèrent en  Afrique.  Sur  le  golfe  de  Carthage,  se  trouvait  Mis- 
sua"  qui,  selon  toute  vraisemblance,  était  également  fortifiée. 
J'ai  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  que  les  ouvrages  si- 
gnalés en  dernier  lieu  ont  un  caractère  militaire  qui  les  dis- 
tingue des  nombreux  fortins  énumérés  plus  haut.  Leur  cons- 
truction même,  généralement  assez  soignée,  atteste  l'origine 


i.  C.  /.  !..  VUI,  14439. 

2.  Cagnatf  Arch.  des  Missions f  XI,  p.  141. 

3.  BulL  du  Comité,  1887,  p.  468. 

4.  C.  /.  L.,  VIII,  p.  520;  D^lamare,  Exploration  de  t Algérie.,  pi.  188,  fig.  1- 

5.  Ree.  ConsL,  1876,  p.  324. 

6.  Guérin,  II,  p.  239. 

7.  W.,  p.  230. 

8.  BelL  Vand,,  p.  474. 


298  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

et  la  destination  de  ces  redoutes;  elles  ont  été  élevées  dès  le 
vie  siècle  pour  contribuer  à  l'occupation  militaire  de  la  pro- 
vince; et  si  insuffisantes  que  soient  encore  les  informations  qui 
les  concernent,  elles  en  complètent  utilement  le  tableau  ;  elles 
sont  un  élément  nécessaire  de  ces  mesures  protectrices  par 
lesquelles  Justinien  essaya  de  défendre  l'Afrique  reconquise 
tout  autant  contre  les  attaques  du  dehors  que  contre  les  soulè- 
vements du  dedans. 


TROISIÈME    PARTIE 
LE  GOUYERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES 


Tout  autour  du  pays  byzantin,  et  jusque  dans  Tintérieur  du 
territoire  soumis  à  Tempire,  vivaient,  en  face  des  populations 
romanisées^  de  nombreuses  tribus  indigènes  dont  les  inces^ 
santés  révoltes  ont  formé  le  plus  sérieux  obstacle  que  la  domi- 
nation grecque  ait,  avant  l'invasion  arabe,  rencontré  en  Afri- 
que. Jadis,  la  main  puissante  de  Rome  avait  réussi,  non  sans 
peine,  à  les  tenir  en  quelque  respect  :  parmi  les  peuples  éta- 
blis au  sud  des  provinces  d'Afrique  et  de  Numidie,  «  les  uns 
avaient  été  refoulés  dans  le  désert,  les  autres  s'étaient  soumis 
aux  Romains;  d'autres  enfin  avaient  été  transportés  de  gré  ou 
de  force  au  milieu  des  possessions  de  l'empire,  où  ils  for- 
maient des  enclaves  sous  la  surveillance  des  autorités  romaines, 
fournissant  à  la  fois  des  bras  à  la  culture  et  des  auxiliaires  à 
la  légion  »^  En  Maurétanie  même,  malgré  les  fréquents  sou- 
lèvements qui,  depuis  le  iii«  siècle,  portèrent  tant  de  fois 
le  trouble  sur  la  frontière  et  jusque  dans  Tintérieur  du  pays', 
malgré  les  difficultés  de  toutes  sortes  qu'offrait  cette  remuante 
et  montagneuse  région,  néanmoins  l'œuvre  de  la  pacification 
avait  fait  des  progrès  considérables;  et  quoique  «  pendant 

i.  Gagnât,  VArmée  romaine  d' Afrique,  i^.  41. 
2,  Ibid.,  p.  53-62,  70-87. 


300  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

plus  de  quatre  siècles  que  Rome  a  occupé  les  provinces 
africaines^  jamais  elle  n^ait  pu  complètement  déposer  les 
armes  »  *,  cependant  elle  était  parvenue  à  imposer  son  autorité 
à  la  plupart  des  tribus,  à  leur  donner  une  manière  d'organisa- 
tion, à  les  astreindre  à  des  obligations  précises,  à  employer 
leurs  contingents  irréguliers  —  nous  dirions  leurs  goums  — 
pour  renforcer  Tarmée  d'occupation';  et  le  développement 
rapide  que  le  christianisme  prit  en  Afrique  avait  encore  con- 
tribué à  répandre  parmi  les  tribus  Tinfluence  de  la  civilisation 
romaine.  A  la  faveur  deTanarchie  vandale,  cet  édifice  si  labo- 
rieusement construit  s'était  écroulé  de  toutes  parts;  partout 
de  grands  états  indigènes  s'étaient  constitués  en  pleine  indé- 
pendance, et  devant  leurs  razzias  incessantes,  leurs  ravages 
laissés  impunis,  lentement  la  vie  romaine  cédait  la  place  et 
disparaissait.  On  a  vu  quelle  était  au  lendemain  delà  conquête 
byzantine  la  puissance  des  grands  chefs  berbères,  l'étendue  de 
leur  domination;  on  a  montré  par  quelles  longues  guerres, 
par  quels  patients  efforts  les  généraux  impériaux  avaient  réussi 
à  leur  imposer  une  soumission  momentanée;  on  a  expliqué 
par  quelles  mesures  défensivesles  officiers  de  Justinien  avaient 
tâché  de  prémunir  l'Afrique  contre  les  attaques  futures  de 
leurs  adversaires.  Mais  un  perpétuel  pied  de  guerre  ne  saurait 
constituer  un  état  durable  ;  la  paix  une  fois  établie,  si  courte 
qu'elle  dût  être,  la  diplomatie  byzantine  devait  chercher  à 
inaugurer  un  mode  de  relations  nouvelles  ;  sur  ce  point  comme 
sur  tant  d'autres,  elle  devait  lâcher  de  relever  les  antiques 
traditions  de  Rome  et,  complétant  l'œuvre  des  armes,  s'appli- 
quer à  faire  accepter  aux  tribus  la  suzeraineté  de  Tempire. 
C'est  ce  modus  vivendiy  dont  l'effet  fut  d'étendre  bien  au  delà 
des  limites  de  la  province  l'inQuence  de  l'autorité  grecque,  que 
nous  tenterons  de  mettre  en  lumière,  après  avoir,  au  préa* 
lable,  rapidement  fait  connaître  la  distribution  géographique 
et  le  caractère  des  peuples  auxquels  il  s'appliqua. 

1.  Gagnât,  U Armée  romaine  d'Afrique^  p.  90. 

2.  Ibid.,  p.  325-333. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZ4NTrN  ET  LES  POPULATIONS  TNDfGÈNES     301 


I 


Sur  les  confias  de  la  Tripolilaîne  étaient  établis  de  nom- 
breuses et  redoutables  tribus  :  c*étaient,  d'après  Ténumération 
de  Corippus  et  le  précieux  commentaire  dont  Partsch  l'a  accom- 
pagnée*, d'abord  les  Barcéens,  qui  occupaient,  en  dehors  des 
limites  propres  de  l'Afrique  byzantine,  une  partie  du  plateau 
de  Cyrénaïque';  puis,  en  allant  de  l'est  à  Touest,  c'étaient  les 
peuplades  de  pêcheurs  qui  habitent  les  rivages  de  la  Grande 
Syrte',  et  celles  qui,  entre  les  confins  de  la  Cyrénaïque  et  le 
fleuve  Be,  occupaient  autour  du  centre  indigène  de  Digdiga, 
les  territoires  où  la  Table  de  Peutinger  place  la  grande  tribu 
des  Seli*  ;  près  de  Leptis  Magna,  vivaient  les  Gadabitani  '^;  les 
Muctuniani  tenaient  les  montagnes  désertes  situées  au  sud  de 
Tripoli®,  enfin  entre  Leptis  Magna  et  les  frontières  de  la  Byza- 
cène,  s'étendaient  trois  puissantes  tribus,  fractions  détachées 
peut-être  du  grand  peuple  des  Nasamons  :  c'étaient  les  Ifuraces^ 
fantassins  redoutables,  et  que,  pour  cette  raison,  Tissot  re- 
garde justement  comme  des  montagnards^;  les  Auslures, 
cavaliers  rapides,  habitués  à  vivre  de  vol  et  de  pillage  et  qui 
étaient  cantonnés  dans  le  voisinage  d'Oeaet  de  Leptis  Magna  *  ; 
lesllaguas  enfin,  ou,  pour  leur  donner  le  nom  sous  lequel  les 
désigne  Procope,  les  Levathes  (Louata)^  C'était  de  toutes  les 

1.  Partsch,  préf.  à  Corippus  (éd.  des  Monumental  p.  viri-xiv).  Cf.  Beilr,  zur 
Erklarung  und  Knlik  d.  Johannis  {Hermès,  IX,  p.  293-298). 

2.  Joh.,  H,  123. 

3.  W.,  11,  120-122. 

4.  /rf.,  U,  118,  119;  cf.   Tah.  Peutinger.,  VII,  E.,  F.  et  Tissot,  II,   p.  241- 
242. 

5.  Joh.,  II,  117-118;  Aed.,  p.  337. 

6.  Jo/i.,  Il,  116-117. 

7.  Joh.,  n,  113115;  Tissot,  I,  p.  470. 

S,Joh.,  n,  89  seq.  Cf.  Ammiea  Marc,  26,  4,  3;  2S,  6,  2;  Gagnât,  loc.  cit,, 
p.  69. 

9.  BelL  Vand.,  p.  302;  Jok,,  II,  SI.  et  sur  l'identiQcation,  Partsch,  p.  zii. 


302  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tribus  la  plus  considérable  et  la  plus  belliqueuse;  établie  à  ce 
qu'il  semble,  aux  confins  occidentaux  de  laTripolitaine*,  mais 
étendant  peut-être  ses  territoires  de  parcours,  en  tout  cas  ses 
ravages,  jusqu'aux  portes  de  Leptis  Magna,  elle  devait  durant 
bien  des  années  commencer  et  guider  toutes  les  attaques  entre- 
prises contre  le  pays  byzantin.  Affranchie  de  Tautorité  van- 
dale bien  avant  l'expédition  de  533,  elle  avait  plus  d'une  fois 
tenté  de  mettre  à  profit  le  désarroi  profond  de  la  province*,  et 
plus  tard  donné  fort  à  faire  aux  premiers  ducs  impériaux  de 
Tripolitaine';  bientôt  elle  allait,  à  la  tête  d'une  coalition  for- 
midable, déchaîner  sur  l'A^frique  de  plus  grands  périls  encore. 
Peuple  terrible,  dit  Corippus,  redoutable  en  guerriers  et  rendu 
audacieux  par  d'innombrables  triomphes  : 

Horrida  gens  et  dura  viris  audaxque  triumphis 
Innumeiis  *, 

les  Levalhes  semblent  avoir  exercé  sur  les  tribus  voisines 
une  sorte  de  prééminence  :  dans  le  grand  soulèvement  de  546, 
c'est  lerna,  leur  chef,  qui  est  placé  comme  généralissime  à  la 
tête  de  toutes  les  tribus  de  la  Tripolitaine*.  Et  derrière  cette  pre- 
mière ligne  de  peuples,  au  sud  de  la  zone  du  littoral,  d'autres 
populations  habitaient  la  région  des  premières  oasis  saha- 
riennes® :  c'étaient,  du  côté  de  l'est  les  Nasamons,  dont  les 
territoires  s'étendaient  jusqu'à  l'oasis  d'Augila';au  centre  les 
Garamantes,  dont  les  tribus  nombreuses  occupaient  le  Fezzau 
actuel;  vers  l'ouest,  les  indigènes  établis  à  Ghadamès'^,  puis- 
sante et  redoutable  réserve,  toujours  prête  à  soutenir  les  atta- 
ques que  leurs  voisins  tentaient  contre  le  pays  byzantin. 

Sur  le  rivage  de  la  Petite  Syrte,  aux  confins  mêmes  de  la 
Tripolitaine  et  de  la  Byzacène,  d'autres  tribus  étaient  canton- 

1.  Joh,,  VI,  224;  Bell.  Vand.,  p.  533. 

2.  Aed.,  p.  336. 

3.  Joh.,  111,  294. 

4.  /d.,  11,  102-103. 

5.  /d.,  11,  109;  IV,  631,  1013. 

6.  Id,,  II,  VI,  195  sqq.  ;  Partsch,  p.  xxx. 

7.  Tissot,  I,  p.  440. 

8.  Aed.,  p.  335. 


F.E  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGENES      303 

nées  entre  le  littoral  et  les  chotls.  C'étaient,  entre  le  lac  Triton 
et  la  mer,  les  Mecales  ou  Imaclas  \  et  près  d^eux  la  nombreuse 
et  puissante  peuplade  des  Aslrices,  dont  le  territoire^  assez 
proche  de  la  côte,  s'étendait  sans  doute  aux  environs  des  postes 
actuels  de  Médenine  et  de  Metanieur*.  Dans  la  même  région, 
Corippus  place  les  Celiani,  les  Anacutasur  ',  les  Urceliani  *  ;  et 
les  principaux  centres  indigènes  qu'il  nomme  dans  leur  voisi- 
nage suffisent  à  indiquer  approximativement  l'emplacement 
de  ces  peuples  :  c'est  Zersilis,  peut-être  Gergis,  sur  le  littoral 
de  la  Petite  Syrte;  c'est  Talalati  (auj.  Ras-el-Aïn,  près  de  Tlalet) 
et  Tillibaris,  jadis  stations  de  la  route  de  Tacapae  à  Leptis 
Magna,  et  chefs-lieux  de  territoires  militaires;  c'est  Gallica  et 
Marta(ouMarel),  au  sud-est  de  Gabès^  Plus  loin,  au  nord  des 
chotts,  dans  l'intérieur  même  du  pays  byzantin^  d'autres  tribus 
occupaient  tout  le  sud  de  la  Byzacène^  ;  les  unes  habitaient  les 
régions  montagneuses  qui  avoisinent  Gafsa,  si  du  moins  l'on 
doit,  avecTissot,  reconnaître  dans  le  haut  sommet  de  TAgalum- 
nuslecôneduDjebel-Arbet,etdanslasoIidechaîneduMacubius 
le  massif  puissant  du  Djebel-Younès^  ;  d'autres,  et  plus  impor- 
tantes, étaient  cantonnées  dans  les  steppes  et  les  hautes  plaines 
qui  forment  le  sud  de  la  Tunisie.  Parmi  elles,  la  plus  considé- 
rable était  celle  des  Frexes,  dont  le  nom  à  peine  modifié  se 
retrouve  sous  celui  des  Frechich  et  dont  les  territoires  de 
parcours  s'étendaient  sans  doute,  jadis  comme  aujourd'hui, 
depuis Feriana  (Thélepte)  jusqu'à  Thala  et  à  Tébessa  *.  C'était, 

i.Joh.Alf  75;  m,  410.  Cf.  les  Machlyea  (Hérod.,  4,  178;  PtoL,  4,  3,  26). 

2.  Joh.,  II,  73;  VI,  391  sqq.  Cf.  les  •A(TTapouxs;  (Ptol.  4,  3,  27).  Tissot,  IT, 
p.  469,  les  place  fort  à  tort  dans  «  les  régions  les  plus  orientales  de  la  Tripo- 
litaine  ». 

3.  JoA.,  II,  75. 

4.  Joh,,  VI,  390.  Cf.  Veget.,  3,  23. 

5.  Joh.,  II,  76-81.  Cf.  Gagnât,  /.  c,  p.  749-752;  Tissot,  II,  p.  692-693;  Partsch, 

p.   XXXII-XZXIII. 

6.  Cf.JoA.,11,  344-347.  Tandis  que  les  Tripolitains  s'éloigneront  noslris  ûb 
oriSj  dit  ce  passage,  Ântalas  se  soumettra  à  Tempire.  Gela  indique  qu'il  est 
établi  dans  le  pays  byzantin. 

7.  Joh.,  II,  69-72;  Tissot,  1,  p.  40-4!. 

8.  Id.,  II,  42  sqq.;  Tissot,  I,p.  470. 


304  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

à  Tépoque  byzantine,  Tune  des  plus  redoutables  entre  les  po- 
pulations indigènes  de  cette  région;  sous  son  grand  chef  An- 
talas,  elle  avait  plus  d'une  fois  tenu  en  échec  les  armées  des 
rois  vandales,  et,  par  le  prestige  de  ses  forces  autant  que  par 
le  nom  de  son  roi,  elle  exerçait  sur  les  tribus  voisines  une  au- 
torité'incontestée.  C'étaient  les  Silvacae  et  les  Silcadenit,  dont 
la  situation  géographique  nous  est  inconnue  *,  mais  qui  ap- 
partiennent incontestablement  au  même  groupe  que  les  Frexes  ; 
c'étaient  les  Naffur,  qui  semblent  établis  dans  le  sud-est  de  la 
Byzacène  et  que  Ton  trouve  constamment  associés  aux  entre- 
prises d'Antalas  '.  Enfin^  plus  au  nord  encore,  et  jusque  dans 
rintérieur  de  la  province  proconsulaire,  les  régions  monta- 
gneuses abritaient  des  tribus  remuantes  et  mal  soumises.  Où 
se  trouvaient  exactement  établis  les  Silvaizan  et  les  Macares 
montagnards  et  nomades?  on  ne  saurait  le  dire  '.  En  tous  cas 
Partsch  a  démontré  qu'on  les  rangerait  à  tort  parmi  les  peu- 
ples de  la  lointaine  Maurétanie  \  Du  moins  peut-on  fixer  avec 
plus  de  précision  l'emplacement  de  quelques  autres  popula- 
tions. Les  Cannes  et  les  Silzactae  occupaient  la  haute  vallée 
du  Bagradas,  vers  le  point  où  le  fleuve  s'échappe  des  monta- 
gnes pour  entrer  dans  la  plaine  %  et  sans  doute  ils  couvraient 
la  contrée  accidentée  et  difficile  qui  s'étend  entre  Khamissa 
(Thubursicum  Numidarum)  et  Soukarrhas  à  l'ouest,  Chemtou 
et  le  Kef  à  l'est.  De  même,  dans  la  presqu'île  du  cap  Bon, 
dans  le  pays  montagneux  et  boisé  qui  s'étendait  depuis  Curu* 
bis  (Kourba)  jusqu'au  promontoire  de  Mercure,  des  tribus 
pillardes  et  mal  sûres  gardaient  une  demi-indépendance  depuis 
l'époque  vandale  %  et  laissaient  ainsi,  au  milieu  même  du  pays 
byzantin,  subsister  de  dangereux  îlots  de  populations  peu  sou- 
mises, toujours  prêtes  à  soutenir  de  leurs  soulèvements  les  at- 

1.  Joh.,  Il,  52-53. 

2.  Id,,  II,  52;  cf.  PartBch,  p.  ix. 

3.  Joh.,  H,  62-64. 

4.  Parlsch,  p.  iz-x. 

5.  Joh,,  II,  65-68;  Tissot,  I,  p.  469-470. 

6.  /o/i.,  II,  56-61. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES    305 

taques  tentées  sur  la  frontière,  et  qu'il  était  d'autant  plus  né- 
cessaire de  pacifier  complètement. 

En  Numidie,  le  massif  montagneux  deTAurès  était  devenu 
le  centre  d'un  état  redoutable,  capable  de  mettre  en  ligne  de 
nombreux  cavaliers  ;  et  la  remuante  ambition  d'Iabdas,  le 
grand  chef  des  tribus  aurasiennes,  aspirait  à  étendre  en  tout 
sens  la  domination  qu'il  avait  fondée  ^  Un  moment  il  avait 
réussi  à  prendre  possession  des  plaines  fertiles  qui  bordent  le 
massif  à  l'est  et  à  l'ouest  S  et  en  même  temps  qu'il  poussait 
des  incursions  jusqu'à  la  lisière  du  Tell,  il  s'efforçait  de  s'agran- 
dir du  côté  du  Hodna.  Les  succès  du  patrice  Solomon  avaient 
momentanément  arrêté  le  cours  de  ses  succès  et  refoulé  dans 
leurs  montagnes  les  tribus  de  TAurès.  Néanmoins  le  prestige 
d'Iabdas  restait  considérable,  et  son  influence  semble  s'être 
étendue  au  loin  sur  les  populations  sahariennes  voisines  des 
versants  méridionau^du  massif;  là  en  effet,  autour  du  centre 
de  Badis,  et  dans  toute  la  région  qui  s'étend  vers  l'est  au  sud 
de  la  Byzacène*,  vivaient  des  peuples  nombreux  qui  semblent 
avoir  suivi  la  fortune  du  grand  chef  numide  ;  ils  formaient  sur 
les  confins  du  désert  l'inépuisable  réserve  de  toutes  les  inva- 
sions et  le  refuge  toujours  prêt  à  recevoir  tous  les  révoltés.  — 
Au  nord  des  possessions  d'Iabdas,  d'autres  tribus  occupaient 
dans  l'intérieur  du  pays  byzantin  des  portions  du  haut  plateau. 
C'étaient  les  peuplades  qui  obéissaient  à  Coutsina;  jadis  can- 
tonnées en  Byzacène,  et  chassées  de  leurs  territoires  à  la  suite 
des  événements  de  535,  elles  étaient  allées  demander  un  re- 
fuge et  des  terres  au  grand  roi  de  l'Aurès»;  et  elles  étaient 
établies,  à  ce  qu'il  semble,  sur  les*  versants  septentrionaux  de 
la  montagne.  Partsch  suppose  qu'elles  occupaient  la.contrée 
quiavoisine  Lambèse  ou  Timgad*;  peut-être  les  chercherait- 


\.Bea.  Vand.,  p.  463-466. 

2.  /rf.,  p.  466. 

3.  Joh.,  II,  140-149;  156-158;  BelL  Vand.,  p.  495. 

4.  Sur  rArzugitaoa,  cf.  Partscb,  p.  xiv;  Cagaat,  p.  746:  Tissot,  l,  p.  466. 

5.  BelL  Vand.,  p.  448,  462. 

6.  Partsch,  p.  xtiii;  Joh.^  Ui,  408  les  appelle  Masiracianae  vires, 

h  20 


306  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

on  avec  plus  de  vraisemblance  sur  les  limites  mêmes  de  la 
Byzacëne  et  de  la  Numidie,  aux  alentours  ou  à  l'ouest  de  Thé - 
veste.  C'est  près  de  cette  ville,  en  effet  que  Solomon  en 
544  porta  son  quartier  géoéral,  précisément  pour  rallier  les 
contingents  alliés  de  Goutsina  *  ;  c'est  dans  la  même  région, 
proche  de  la  frontière  des  deux  provinces,  que  Jean  Troglita 
vint  s'établir  en  517  ^  lorsqu'il  voulut  appeler  à  lui  les  troupes 
des  princes  numides  ^  Ea  tout  cas,  et  quelle  que  soit  Texacle 
situation  de  ces  tribus,  elles  étaient  cantonnées  en  Numidie' 
et  assez  considérables  pour  pouvoir  fournir  jusqu'à  30,000  ca- 
valiers. A  côté  d'elles,  d'autres  peuples  obéissaient  à  un  autre 
roi  indigène,  Ifisdaias  *;  et  dans  les  régions  montagneuses  de 
la  Numidie  septentrionale,  par  exemple  dans  les  ravins  du 
mont  Pappua,  subsistaient  d'autres  populations  insoumises. 
Ainsi  il  en  allait  en  Numidie  comme  en  Tripolitaine  et  en 
Byzacëne  :  tandis  que  sur  la  frontière  campaient  des  adver- 
saires redoutables,  prompts  à  saisir  toute  occasion  d'attaque 
ou  de  pillage,  dans  l'intérieur  du' pays  même  se  rencontraient 
des  confédérations  ou  des  états  indigènes  assez  importants 
pour  qu'il  fallût  compter  avec  eux  et  s'appliquer  à  assurer 
leur  soumission. 

Nous  connaissons  beaucoup  moins  sûrement  les  tribus  qui, 
à  répoi]ue  byzantine  peuplaient  les  Maurélanies,  et  on  se  fonde 
à  tort  sur  quelques  similitudes  de  noms  assez  hasardeuses* 
pour  localiser  dans  cette  région  de  l'Afrique  plusieurs  des  peu- 
ples nommés  par  Gorippus.  Tout  ce  que  nous  savons,  c'est 

1.  BelL  Vand.,  p.  504;  Partsch,  p.  zix. 

2.  Joh,,  VllI.  143-149. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  515. 

4.  Joh.,  IV,  545-549.  H  éUit  voisin  de  Coatsioa  (Id,,  VII,  244).  Cf.  ParUcb* 

p.  XXFIII. 

5.  On  se  trompe  gravemeot  en  particulier,  lorsque  dans  les  Masaces  du 
poète  on  croit  retrouver  une  des  grandes  peuplades  de  la  Maurétanie  (Cat, 
Maurétanie  Césarienne,  p.  '74-75).  PourTauteur  de  l^Johannide,  ie  mot  Mazeuc 
comme  celui  de  Massylus  (cf.  Joh.,  VI,  167,  450;  IV,  137,  150;  VI,  267,  517), 
n'est  autre  chose  qu'un  terme  général  désignaot  Tensemble  des  popalations 
berbères.  Cf.  Partsch,  p.  ix-x,  et  Schirmer,  De  nomine  et  génère  popuhntm 
qui  Berberi  vuigo  dicunluTy  p.  42-46. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES  307 

que  dans  ces  contrées  presque  entièrement  soustraites  àl*au^ 
forité  impériale,  de  grands  chefs  indigènes  s'étaient,  depuis 
la  fin  du  V*  siècle,  taillé  de  vastes  principautés.  Dans  le  sud 
de  la  Sitifîenne,  dans  cette  région  du  Hodna  .qu'occupaient 
au  IIP  siècle  les  Babari  Transtagnenses  \  commandait  au  vi« 
siècle  un  prince  du  nom  d'Orthaias  ',  et  Ton  admettra  sans 
peine  que,  dans  le  massif  du  Babor,  subsistaient  toujours  ces 
indomptables  montagnards,  dont  Rome  avait  si  difficilement 
réprimé  les  révoltes  et  si  soigneusement  surveillé  le  pays  '.  La 
plus  grande  partie  de  la  Maurétanie  Césarienne  appartenait  au 
roi  Mastigas,  dont  les  possessions  semblent  avoir  touché  à 
celles  d'Orthaias*;  de  lui  dépendaient  peut-être  aussi  ces  tribus 
de  la  Grande  Kabylie,  qui  sans  nul  doute  vivaient  dans  leurs 
montagnes  au  vi*  comme  au  iv*  siècle,  ces  Masinissenses,  ces 
Isaflmsesy  dont  le  souvenir  s'est  conservé  dans  les  noms  mo-  • 
dernes  des  Msisna  et  des  Flissa,  toutes  ces  peuplades  jadis 
formées  en  confédération  sous  le  nom  de  Quinquegentanei^  et 
qui  avaient  donné  tant  à  faire  aux  armées  romaines'.  Plus 
loin,  à  Touest  de  Césarée,  tout  le  pays  jusqu'à  Gadès  était 
soumis  aux  Berbères*  :  c'est  là,  dans  le  sud  du  Tell  oranais, 
^r  les  plateaux  qui  séparent  la  Tafna  du  Chélif,  que  s'éten- 
dait ce  curieux  royaume  moitié  indigène,  moitié  civilisé,  que 
gouvernait  au  vi"  siècle,  avec  le  titre  de  «  roi  des  Maures  et 
des  Romains  »,  un  chef  du  nom  de  Masuna,  et  qui  paraît  avoir 
subsisté  jusqu'au  moment  de  Tinvasion  arabe  '.  Les  états  de 
ce  prince,  qui  semblent  fort  étendus,  confinaient-ils,  comme 
on  Ta  cru,  du  côté  de  l'est,  à  ceux  d'Iabdas  *?  On  ne  saurait 
le  dire.  En  tout  cas,  comme  les  autres  grands  chefs  que  nous 


1.  Cat,  /.  c,  p.  71;  Tissot,  I,  p.  460. 

2.  Bell  Fand.,p.  466. 

3.  Cat,  /.c,  p.  71. 

4.  Bell.  Vand.,  p.  465,  501. 

5.  Cagoat,  /.  c,  p.  55-56. 

6.  Bell.  Vand.,  p.  451. 

7.  Id.,  p.  465;  C.  /.  L.,  VIII,  9835:  La  Blanch^re,  Voyage  d'études  dans  la  Mau- 
rétanie Césarienne  (Areh.  des  Miss.,  X,  p.  90-99)  et  Musée  d^Oran,  p.  17-19. 

8.  La  Blanchëre,  Voyage,  p.  92. 


308  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

venons  d'énumérer,  Massonas  s'est  trouvé  en  relations  avec 
Byzance,  et  la  diplomatie  grecque  parait  avoir  étendu  le  cercle 
de  son  influence  jusque  dans  les  régions  lointaines  où  il 
commandait  *. 

Depuis  la  Tripolitaine  jusqu'à  la  Tin  gitane,  toutes  ces  tribus, 
de  même  race  et  de  même  langue,  avaient  un  caractère  et  des 
mœurs  à  peu  près  semblables.  Assurément,  suivant  la  nature 
du  pays  qu'elles  habitaient,  suivant  le  contact  plus  ou  moins 
prolongé  qu'elles  avaient  pris  avec  la  civilisation  romaine,  des 
différences  se  remarquaient  dans  leur  état  social.  Tandis  que 
dansles  régions  montagneuses  et  dans  les  plaines  fertiles,  vi- 
vaient des  populations  sédentaires  qui  cultivaient  la  terre,  sur  la 
limite  du  désert,  au  contraire,  ou  dans  les  vastes  steppes  propres 
au  pâturage^  la  vie  nomade  persistait*.  Dans  les  solitudes  qui 
s'étendent  au  sud  de  la  Tripolitaine,  dans  les  grands  espaces 
découverts  du  haut  plateau  numide,  sans  cesse  les  indigènes 
se  déplacent,  poussant  devant  eux  leurs  troupeaux  de  moutons, 
de  chèvres  et  de  bêtes  à  cornes,  traînant  à  leur  suite  leurs 
femmes,  leurs  enfants,  leurs  richesses,  menant  au  vi*"  siècle 
encore  l'existence  décrite  jadis  par  Salluste,  a  errant  sans 
autre  demeure  que  la  place  où  la  nuit  les  contraignait  de 
s'arrêter'  ».  Pour  porter  leurs  personnes  et  leurs  modestes 
bagages,  ils  ont  le  cheval,  le  mulet,  et  en  Tripolitaine  le  cha- 
meau. Celui-ci  est  employé  tout  à  lafoisconmebétede  charge, 
comme  monture  et  comme  animal  de  combat  ^  et  Corippus  a 
dessiné  en  des  vers  expressifs  le  pittoresque  tableau  du  pesant 
animal  portant  sur  son  dos  la  fortune  du  nomade,  le  berceau 
des  enfants,  les  ustensiles  domestiques^  et,  juchée  au  sommet, 
la  femme  indigène  avec  ses  nourrissons  entre  ses  bras'.  Dans 

1.  C.  /.  L.,  9738.  Sur  ce  texte,  cf.  La  Blanchère,  Voyage,  p.  89-91. 

2.  Joh.,  11,62,  156-161. 

3.  Sallaste,  Jug.,  17;  Joh.  IV,  598,  685,  613-618;  1074-1076;  1125-1126;  Vil, 
68-69,  BelL  Vand,,  p.  453,  457-458. 

4.  Joh.,  VI,  194-195  ;  II,  92-96;  Bell,   Vand.,  p.  348-349,   453.  Cf.  Tissot,  1, 
p.  349-354. 

5.  /oA.,  IV,  1074-1077,  VI,  82-86. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES    309 

les  hautes  vallées  de  TAurès  au  contraire,  dans  les  plaines 
fertiles  qui  bordent  au  nord  le  massif  et  jusque  dans  la  région 
aujourd'hui  déserte  qui  avoisine  la  montagne  par  le  sud, 
ailleurs  encore,  des  populations  mieux  fixées  font  produire  au 
sol  africain  des  moissons  abondantes^  et  s*étahlissent  à  demeure 
autour  de  centres  permanents  d'habitation..  Mais  malgré  cette 
différence  essentielle,  par  bien  des  côtés  ces  gens  se  ressem- 
blent; tous  mènent  également  cette  vie  rude  et  misérable  que 
Procope  a  décrite  dans  un  passage  célèbre  :  «  Les  Maures, 
dit  rhistorien^  habitent  été  comme  hiver  dans  des  huttes  où 
Ton  respire  à  peine.  Ni  la  neige,  ni  les  chaleurs,  ni  aucune 
autre  nécessiténeleur  font  abandonner  ces  misérables  retraites. 
Ils  couchent  par  terre  ;  seuls  les  plus  riches  d'entre  eux  s'éten- 
dent parfois  sur  une  peau  de  bête.  Ils  ne  changent  pas  de 
vêtement  selon  les  saisons;  en  tout  temps  ils  ne  sont  vêtus 
que  d*une  tunique  grossière  et  d'un  manteau  de  rude  étoffe. 
Ils  n'ont  ni  pain,  ni  vin,  ni  aucune  des  choses  qui  rendent  la 
vie  agréable.  Le  blé,  Tépeautre,  l'orge  leur  servent  de  nour- 
riture; mais  ils  ne  savent  ni  moudre  les  grains,  ni  les  faire 
cuire  :  ils  les  mangent  tout  crus  à  la  façon  des  animaux  »  *. 
S'il  y  a  quelque  exagération  dans  ce  dernier  trait,  que  Procope 
lui-même  s'est  chargé  de  réfuter',  pourtant  le  reste  du  tableau 
est  si  vrai  qu'aujourd'hui  encore  tous  les  détails  s'en  retrou- 
vent, «  depuis  la  masure  enfumée  qui  ne  défend  le  Kabyle  ni 
du  chaud,  ni  du  froid  et  que  rien  ne  peut  lui  faire  abandonner, 
jusqu'au  burnous  et  à  la  gandoura  déchiquetés  et  rapiécés 
qu'on  se  lègue  de  génération  en  génération  »  \ 

Dans  leurs  gourbis  [mapalia)  couverts  de  feuillages,  abrités 
à  l'ombre  des  roches  ou  au  creux  des  vallées  %  l'existence  est 
pour  les  indigènes  étrangement  dure  et  difficile.  Mais  entre 
les  divers  membres  de  la  famille,  les  occupations  se  répartis- 

1.  Bell,  Vand.,  p.  495-496,  502;  JoA.,  II,  15';-157. 

2.  Bell,  Vand.,  p.  435. 

3.  Id.,  p.  438. 

4.  Tissot,  I,  p.  486.  Cf.  Cat,  /.  c,  p.  63. 

5.  JoA.,  II,  63. 


310  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

sent  avec  ime  singulière  inégalité.  Tandis  qne  rhomme 
s'adonne  aux  exercices  violents  et  s'habitue  dès  Tenfance  au 
métier  des  armes,  tandis  que,  cavalier  infatigable,  il  est  tou- 
jours prêt  à  partir  en  razzia  ou  en  guerre,  la  femme  vaque  aux 
rudes  travaux  domestiques  :  c'est  elle  qui  écrase  le  blé  sous 
la  lourde  meule  de  pierre  et  qui  fait  cuire  sous  la  cendre  la 
galette  dont  vivra  la  famille;  c'est  elle  qui  élève  la  hutte, 
soigne  les  chevaux  et  les  bêtes  de  somme,  elle  qui  fourbit  les 
armes,  afin  d'épargner  à  l'homme  toute  autre  fatigue  que  celle 
des  combats*.  En  fait,  dans  la  société  berbère  du  vi*»  siècle, 
la  femme^  sauf  quelques  exceptions,  n'est  guère  autre  chose 
qu'une  servante,  et  la  polygamie  contribue  à  entretenir  cet 
état  d'infériorité.  Sur  ce  point,  en  effet,  ni  la  civilisation  ro- 
maine, ni  le  christianisme  ne  semblent  avoir  rien  changé  aux 
vieilles  habitudes  des  Berbères '.  C'est  ce  qu'atteste  entre 
plusieurs  textes  un  curieux  passage  deProcope.  En  534,  Solo* 
mon  reprochait  aux  indigènes  d'exposer  par  leur  soulèvement 
la  vie  de  leurs  enfants  que  le  gouvernement  impérial  retenait 
comme  otages  :  «  Vous  autres,  lui  répondirent  les  Maures, 
pouvez  avoir  souci  de  la  vie  de  vos  enfants,  puisqu'il  ne  vous 
est  permis  d'épouser  qu'une  seule  femme;  pour  nous,  qui  en 
prenons  jusqu'à  cinquante,  si  l'occasion  s'en  trouve,  les  en- 
fants ne  nous  manqueront  jamais*  »  ;  et,  en  effet,  les  chefs 
indigènes,  grands  ou  petits,  les  Medisinissa  comme  les  labdas, 
entretiennent  tous  un  véritable  sérail*  :  sur  ce  point,  pas  plus 
que  pour  les  habitudes  de  la  vie  nomade,  l'invasion  musulmane 
n'a  rien  innové  en  Afrique. 

Par  la  physionomie  extérieure  comme  par  la  nature  morale, 
tous  ces  indigènes  se  ressemblent  étrangement.  Les  pieds 
nus,  les  bras  nus,  ils  se  drapent  dans  un  grand  burnous  de 
toile,  qui  parfois  est  teint  d'une  éclatante  couleur  rouge^  et 


1.  Bell.  Vand.,  p.  438  ;  Joh,,  IV,  1076-1077;  Bell.  Vand.,  p.  453. 

2.  Cf.  Gat,  /.  c,  p.  66. 
8.  Bell.  Vand.,  p.  449. 
4.  Id,,  p.  452,  500. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES    311 

autour  de  leur  tête  ils  enroulent  un  ample  morceau  d'étoffe*; 
comme  armes,  ils  ont  un  petit  bouclier  de  cuir»  une  large  et 
courte  épée,  deux  solides  javelots*  ;  comme  monture  ces  che- 
vaux infatigables  et  rapides  qu'ils  montent  souvent  à  cru  et 
dirigent  avec  une  simple  baguette*.  Cavaliers  merveilleux, 
fantassins  adroits  et  souples,  ils  sont,  on  l'a  vu,  adnîirable- 
ment  organisés  pour  la  lutte,  et  savent  unir  la  plus  brillante 
valeur  militaire  à  toutes  les  habiletés  de  la  guerre  de  surpri- 
ses et  d'embuscades.  Au  moral,  ils  sont  enclins  à  l'enthou- 
siasme, crédules  aux  excitations  de  leiirs  chefs,  prompts  à 
reprendre  courage  au  lendemain  même  des  plus  grandes 
défaites.  Fort  superstitieux,  ils  écoutent  religieusement  tous 
ceux  qui  se  flattent  de  prédire  l'avenir  :  ils  ont  dans  leurs 
prophétesses  une  aveugle  confiance,  et  sur  les  affaires  les  plus 
graves  ils  ne  se  décident  que  d'après  leurs  oracles*.  Avec 
cela  froidement  cruels  '^  sans  pitié  pour  l'ennemi  vaincu  ou 
sans  défense,  ils  se  plaisent  au  pillage,  à  l'incendie,  au  mas- 
sacre; ils  sont  avides  de  butin,  de  captifs  et  dW.  Enfin  leur 
perfidie  est  proverbiale  :  pour  leur  esprit  naturellement  chan- 
geant et  mobile^  les  promesses  les  plus  solennelles,  les  enga- 
gements les  plus  sacrés  sont  chose  vaine.  «  Chez  les  Maures, 
dit  Procope,  il  n'y  a  ni  crainte  de  la  divinité  ni  respect  des 
hommes.  Ils  ne  s'inquiètent  ni  des  serments  prêtés  ni  des 
otages  livrés,  quand  bien  même  ce  sont  les  enfants  ou  les 
frères  de  leurs  chefs  ;  il  ne  peut  y  avoir  de  paix  avec  eux  que 
s'ils  sont  tenus  en  respect  par  la  crainte  de  l'ennemi  »•.  Co- 
rippus  s'exprime  de  même,  et  si  les  vers  sont  médiocres,  la 
pensée  en  revanche  trouve  une  justification  éclatante  dans 
l'histoire  tout  entière  de  l'Afrique  byzantine  : 

Si  Victor  Romanus  erity  famulantur,  adorant, 

1.  Joh.,  U,  130-13T;  VIH,   189-192. 

2.  W.,  II,  114-115;  150155. 

3.  Tissot,  I,  p.  334-359. 

4.  BeU.  Vand.,  p.  443;  Joh,,  III,  87-88;  VI,  153-155. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  449. 

6.  Id.,  p.  443. 


312  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Et  sola  hos  faciet  victrix  fortum  fidèles 
Conceptusque  timor^. 

Toujours  prêts  à  la  trahison,  sans  scrupule  ils  changent  de 
parti  et  font  défection  jusque  sur  le  champ  de  bataille.  «  Les 
Maures,  dit  encore  Procope,  n'offrent,  absolument  aucune 
sûreté»  (àôéSatst  ^ravxdhtadtv  ovts^)'  :  incapables  de  demeurer 
fidèles  à  personne,  ils  se  défient  de  tout  le  monde,  même 
des  gens  de  leur  propre  race;  et  en  fait,  les  rivalités  de  famille 
à  famille,  les  haines  de  chef  à  chef,  les  guerres  privées  de 
tribu  à  tribu  se  rënoontrent  à  chaque  page  de  l'histoire  do 
vi"  siècle.  Par  là  encore,  à  Tépoque  byzantine,  les  indigènes 
d'Afrique  ont  gardé  tous  les  caractères  qui  distinguaient  leurs 
ancêtres,  tous  ceux  que  l'on  retrouve  chez  les  Berbères  d'au- 
jourd'hui*. 

La  physionomie  des  grands  chefs  est  plus  instructive,  plus 
significative  encore.  Parmi  les  princes  indigènes  que  nous 
voyons  en  relations  avec  le  gouvernement  impérial,  plusieurs 
nous  sont  assez  bien  connus,  pour  qu'on  puisse,  durant  trente 
ou  quarante  ans  de  suite,  saisir  les  traits  de  leur  caractère  et 
les  vicissitudes  de  leur  destinée.  Voici  Antalas,  1-un  des  prin- 
cipaux rois  de  la  Byzacènc  ;  rien  ne  montre  mieux  que  son 
histoire  ce  qu'est  alors  une  vie  africaine.  Au  moment  où  il 
naquit,  vers  Tannée  500  sans  doute,  son  père,  Guenfan,  était 
le  chef  de  la  tribu  des  Frexes*,  faible  encore  et  peu  puis- 
sante*, et  probablement  soumise  à  Tautorilé  des  rois  van- 
dales. Dès  ses  premières  années,  les  prophétesses  maures  pré- 
disaient à  l'enfant  ses  grandes  destinées  futures;  le  jeune 
homme  allait  bientôt  se  charger  de  réaliser  ces  oracles.  A 
dix-sept  ans,  il  débute  par  ces  vols  de  bestiaux  qui  ont  été 


1.  Joh.,  IV,  449-452. 

2.  Be/l.  y  and,,  p.  519.  Cf.  p.  517. 

3.  Cat,  /.  c,  p.  65-66.  Cf.  Hanoteau  et  Letourncux,  La  KabyHt  et  lescoutumes 
kabyles,  II,  p.  11-20,  surtout  12. 

4.  Joh.,  lU,  66-67.  Sur  la  date,  cf.  Partsch,  p.  vi. 
5.70/1,111,153. 


/ 
I 

I 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPUUTIONS  INDIGÈNES    3i3 

de  tout  temps  le  jeu  ordinaire  des  indigènes  d'Afrique,  et  par 
son  habileté,  son  audace,  il  se  fait  une  manière  de  répu- 
tation*. Il  attire  à  lui  quelques  compagnons  et>  devenu  chef 
de  bande,  il  étend  le  cercle  de  ses  pillages  et  accroît  l'im- 
portance de  ses  razzias*.  Pour  le  mettre  à  la  raison,  le  gou- 
vernement dirige  contre  lui  quelques  détachements:  il  ose 
les  attendre,  les  met  en  déroute,  et  son  prestige  augmente 
d'autant'.  Le  voilà  chef  des  Frexes,  et  à  la  tête  des  cavaliers 
de  sa  tribu,  il  se  risque  à  tenir  la  campagne,  non  plus  en  bri- 
gand^ mais  en  révolté  :  il  enrichit  les  siens  par  d'heureux 
ravages,  et  bientôt^  attirés  par  l'app&t  de  ces  succès  faciles, 
éblouis  par  la  gloire  du  jeune  chef,  d'autres  tribus,  celle  des 
Naffur  en  particulier^  viennent  s'associer  aux  entreprises 
d'Antalas,  et  un  grand  état  indigène  commence  à  naître  dans 
le  sud*.  La  faiblesse  d'Hildéric  achève  de  fortifier  Fautorité 
du  prince  berbère.  Les  troupes  vandales  envoyées  contre  lui, 
surprises  et  cernées  au  milieu  des  bois,  dans  un  défilé  res- 
serré et  abrupt,  épuisées  par  la  chaleur  et  la  soif,  incapables, 
dans  un  terrain  difficile,  d'employer  utilement  leur  cavalerie, 
subissent  une  sanglante  défaite  %  et  dans  la  Byzacène  ouverte, 
les  Maures  d'Antalas  se  répandent  jusqu'au  littoral,  rava- 
geant tout  sur  leur  passage'.  Ainsi,  à  trente  ans  à  peine, 
l'obscur  prince  des  Frexes  s'était  fait  le  chef  d'une  vaste  et 
puissante  confédération.  Avide  de  parvenir^  ambitieux  sans 
scrupule,  tout  moyen  lui  sera  bon  désormais  pour  accroître 
Ja  puissance  qu'il  a  conquise.  Quand  les  troupes  impériales 
débarquent  en  Afrique,  sans  hésiter  il  se  soumet  à  Bélisaire, 
pour  faire  reconnaître  sa  royauté  par  le  général  byzantin  ^  ; 
quand  en  834  une  partie  des  tribus  se  soulève,  il  se  garde  de 


1.  Jo.,  m,  159-160. 

2.  W.,  ni,  173-176. 

3.  /d.,  m,  178-179. 

4.  W.,  m,  184-197. 

5.  /d.,  m,  198-261;  BsU.  Vand.,  p.  349. 

6.  Aed.,  p.  340;  Vie  de  S.  Fuigence,  c.  65(MigDe,  Pair,  laL,  t.  65,  150). 

7.  BelL  Vand.,  p.  507,  406. 


314  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

.  faire  cause  commune  avec  les  insurgés;  la  défense  de  Tindé- 
pendance  nationale  est  pour  lui  un  mot  vide  de  sens,  et  dans 
la  guerre  qui  éclate  il  trouve  double  avantage  :  celui  d*ètre 
vengé  de  voisins  quMl  déteste,   sans  doute  parce  qu'ils  ont 

.  refusé  d'accepter  sa  suzeraineté^  celui  de  s'agrandir  à  leurs 
dépens  par  la  grâce  du  gouvernement  impérial.  En  effets 
après  la  victoire,  il  est  investi  en  Byzacène  d'une  autorité  su- 
prême sur  toutes  les  tribus  maures^,  et  pendant  dix  ans  il  est 
l'ami  des  ducs,  des  magistrimilitum  byzantins;  il  s'empresse 
à  toute  réquisition  de  mettre  ses  contingents  sous  leurs  ordres  ; 
il  combat  avec  eux  et  s'enorgueillit  de  leurs  victoires*.  Mais 
cette  fidélité  intéressée  ne  saurait  avoir  des  racines  bien  pro- 
fondes :  il  prétend  qu'on  le  paie  grassement,  qu'on  le  comble 
d'égards  et  d'honneurs;  le  jour  où  un  gouverneur  osera  le 
traiter  en  sujet  et  lui  infliger  une  punition^  aussitôt  sous  le 
prince  romanisé  reparaît  le  chef  indigène,  et  contre  ses  com- 
pagnons d'armes  de  la  veille,  il  fomente  une  formidable  insur- 
rection. Violent,  cruel,  avide  de  sang  et  de  pillage,  d'ailleurs 
d'une  bravoure  réelle,  bien  qu'un  peu  théâtrale,  il  conduit 
une  guerre  implacable  contre  celui  qui  Ta  offensé.  Mais  au 
moment  où  il  paraît  le  plus  acharné  à  la  lutte,  toujours  le 
souple  et  rusé  Berbère  garde  les  caractères  distinctifs  de  sa 
race.  Il  a  beau,  dans  son  vaniteux  orgueil,  affecter  de  traiter 
l'empereur  en  égal,  au  fond  il  est  prêt  à  se  soumettre,  pourvu 
qu'on  accorde  à  son  ambition  et  à  ses  haines  les  satisfactions 
auxquelles  il  croit  avoir  droit'  ;  il  négocie  avec  tous  les  partis, 
prêt  sans  scrupule  à  se  vendre  au  plus  offrant,  et  tour  à  tour 
il  passe,  selon  qu'il  espère  y  trouver  avantage,  du  parti  de  la 
révolte  à  celui  de  l'empire,  pour  retourner  ensuite  au  camp 
des  insurgés^.  Ce  sont  les  causes  accessoires  qui  déterminent 
son  esprit  changeant  et  mobile;  il  suffit  le  plus  souvent  que 
Coulsina,  son  vieil  ennemi,  soit  d'un  côté,  pour  que   tout 

1.  Bell,  Vand,,  p.  462,  504. 

2.  JoA.,  II,  29-30,  34-35;  IV,  362-364,  369-371. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  506-507. 

4.  id.,  p.  509,  517,  523,  533. 


LE  GOUVERNEMENT  [BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGENES    315 

aussitôt  il  se  jette  de  Tautre;  il  suffit  que  son  ambition  déçue 
s'irrite,  qu'il  se  croie  joué  par  quelqu'un,  pour  que  sans  tar- 
der il  change  d'attitude  et  d*alliance.  Au  vrai,  il  se  préoccupe 
fort  peu  de  chasser  les  Byzantins  de  l'Afrique  :  qu'on  lui 
assure  la  possession  de  la  Byzacène,  un  fort  subside,  Tappui 
d'un  détachement  régulier  qui  fera  de  lui  le  plus  puissant  des 
rois  berbères,  il  n'en  demande  pas  davantage  ^  Il  se  conten* 
tera  à  moins  encore;  une  défaite  sérieuse  brise  son  énergie, 
et  il  sera  trop  heureux,  pour  finir,  de  redevenir  le  vassal  fidèle 
et  dévoué  de  Justinien^ 

Voici  Coutsina  maintenant.  Gelui-Ià  n*est  qu'un  demi-Ber- 
bère, fils  d'un  chef  indigène  et  d'une  femme  romaine',  et 
quoique  soulevé  un  moment  contre  Tautorité  byzantine^,  il 
a  pour  souci  principal,  après  la  sévère  leçon  qu'il  a  reçue,  de 
faire  au  plus  tôt  sa  paix  avec  l'empire.  Bien  qu'on  Tait  chassé 
de  ses  possessions  de  Byzacène  et  contraint  à  chercher  en 
Numidie  de  nouveaux  territoires,  il  est  bien  vite  devenu  l'ami 
fidèle  de  ce  Solomon  qui  Ta  vaincu*.  C'est  que  d'une  part 
*  Coutsina  déteste  Antalas  autant  qu'Antalas  hait  Coutsina,  et 
le  soulèvement  de  Tun  entraîne  nécessairement  le  dévoue- 
ment de  l'autre.  C'est  que  d'autre  part  le  prestige  de  l'empire 
agit  puissamment  sur  ce  grand  chef.  Il  est  fier  d'être  un  demi- 
Romain,  «  aux  mœurs  civilisées,  à  la  gravité  toute  latine  »*. 
II  rappelle  volontiers  sa  naissance  qui  le  fait  «  presque  Ro- 
main par  le  sang  et  tout  à  fait  par  le  cœur^  ».  Plus  que  des 
30,000  cavaliers  indigènes  qu'il  conduit  au  combat,  il  s'enor- 
gueillit du  titre  demaçister  militum  que  lui  a  décerné  l'empe- 
reur*; il  éprouve  une  joie  d'enfant  à  commander  un  détache- 


1.  Bell.  Vand.,  p.  516. 

2.  Bell.  Goth.,  p.  549-550. 

3.  /oA.,  iV,  511-512,  1095-1096  ;  VIU,  271. 

4.  BeU.  Vand,,  p.  448. 

5.  JofL,  ni,  406-407. 

6.  Id.j  IV,  512.  «  Moribas  ornatus  placidis,  gravitate  latina  ». 

7.  Id.,  IV,  511.  «  Animo  Romanus  erat,  nec  sanguiDe  longe  n. 

8.  id.,  VI,  267;  VU,  268;  Vill,  270. 


316  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

ment  de  troupes  régulières*,  et  tout  son  brillant  courage 
s'emploie  à  achever  la  ruine  des  gens  de  sa  raceV  II  se  pique, 
dans  les  circonstances  graves,  dans  le  désarroi  d'une  défaite 
ou  le  trouble  d'une  sédition,  de  rester,  comme  un  civilisé 
qu'il  prétend  être,  fidèle  à  sa  parole  et  à  ses  alliances*. 
Parfois  sans  doute  le  Berbère  l'emporte;  vienne  une  belle 
occasion  de  piller,  la  tentation  de  faire  du  butin  sera  la  plus 
forte,  et  sans  grand  scrupule  il  se  jettera  dans  l'insurrection; 
parfois  aussi,  entre  les  partis  en  présence,  il  exécutera  une 
série  de  brusques  et  déconcertantes  volte-faces,  au  double 
gré  de  ses  haines  et  de  ses  intérêts  ;  mais  au  fond  il  est  tou- 
jours prêt  à  revenir  à  Tempire,  dût-il  pour  cela  trahir  sur  le 
champ  de  bataille  ses  confédérés  berbères^.  Lui  aussi,  comme 
Ântalas,  s'inquiète  peu  de  l'indépendance  nationale  ;  comme 
lui,  il  s*accommode  sans  peine  d'être  «  l'esclave  de  la  majesté 
impériale  »  ;  et  malgré  quelques  défections  passagères,  il  res- 
tera jusqu'à  sa  mort  Tun  des  meilleurs  soutiens  de  l'autorité 
byzantine  en  Afrique. 

Voici  labdas  encore.  Celui-là  c'est  un  grand  et  redoutable 
ambitieux,  à  qui  rien  ne  coûte  pour  agrandir  son  pouvoir  :  il 
fait  assassiner  Méphanias  son  beau-père;  il  s'entend  avec  un 
de  ses  voisins  pour  en  dépouiller  un  autre  dont  il  convoite  le 
territoire  ',  et  à  la  tête  de  sa  nombreuse  cavalerie  il  pousse 
en  tous  sens  ses  courses  de  pillage.  D'une  haute  taille,  d'im 
courage  éprouvé^  il  a  parmi  les  siens  un  prestige  sans  égal*; 
son  habileté  ne  le  cède  point  à  sa  vaillance,  et  à  l'abri  de  ses 
inaccessibles  montagnes,  il  sait  épuiser  ses  adversaires  par 
une  longue  guerre  d'embuscades^.  Il  semble  inflexible  dans 
son  opiniâtre  résistance;  plutôt  que  de  céder  il  se  laissera 


1.  /o.,  vu,  268-271. 

2.  Jd.,  vin,  268-269. 

3.  id.,  VI,  268;  VIII,  121-129. 

4.  BeH.  Vand.,  p.  517. 

5.  Id.,  p.  465. 

6.  Id,,  p.  464. 

7.  Id.y  p.  466467. 


LE  GOUVERNEMEiNT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES    317 

chasser  de  ses  états ^  Mais  au  foad  ce  vaillant,  cet  habile 
manque  du  saag-froid  nécessaire  aux  vrais  politiques;  il  se 
décourage  et  perd  la  tète  quand  il  faudrait  persister  ;  il  laisse 
passer  le  moment  quand  il  faudrait  agir.  EnS37,  alors  qu'il 
dépend  de  lui  d'écraser  Tarmée  byzantine,  il  reste  neutre,  puis 
il  négocie  avec  le  patrice  Germanos  *  ;  en  546,  il  paraît  en 
vainqueur  devant  Carthage,  et  puis  tout  à  coup  il  abandonne 
ses  alliés  et  se  contente  d'observer  les  événements;  il  finira 
même,  bon  gré  mal  gré,  par  envoyer  ses  contingents  grossir 
les  forces  impériales  et  il  contribuera  ainsi  à  Técrasement  final 
de  la  grande  révolte  de  548  '.  C'est  que  lui  aussi,  malgré  ses  ap- 
parences plus  farouches  et  plus  rudes,  n'est  qu'un  Berbère 
impressionnable  et  mobile,  incapable  d*un  dessein  longuement 
suivi,  d'une  idée  qui  dépasse  le  cercle  de  ses  intérêts  particu- 
liers. C'est  que  ses  antipathies  et  ses  haines  guident  trop  sou- 
vent ses  résolutions  ;  et  ainsi  il  finira  lui  aussi,  quoique  plus 
tardivement,  par  céder  comme  les  autres,  et  comme  eux  il 
acceptera  la  suzeraineté  de  l'empereur. 

C'est  qu'au  vrai  ni  les  tribus  ni  les  chefs  qui  les  commanden  t 
n'éprouvent  aucune  répugnance  à  recevoir  les  ordres  de  Jus- 
tinien.  Comme  tous  les  barbares,  ils  ont  gardé  un  respect  pro- 
fond pour  le  souvenir  et  le  nom  de  Rome  ;  et  leur  premier 
soin  après  les  succès  de  Bélisaire,  fut  de  solliciter  du  général 
impérial  la  confirmation  de  leurs  souverainetés  :  «  C'est,  dit 
Procope,  un  usage  chez  les  Maures  qu'aucun  de  leurs  chefs 
ne  se  considère  comme  tel  tant  que  l'empereur  des  Ro- 
mains ne  lui  a  point  donné  les  insignes  du  pouvoir  ;  or,  comme 
ces  princes  avaient  reçu  leur  investiture  des  Vandales,  ils  ne 
considéraient  point  leur  autorité  comme  sûrement  établie^  ». 
J'ai  signalé  déjà  la  lettre  si  caractéristique  adressée  à  Justinien 
par  Antalas  révolté  :  elle  met  pleinement  en  lumière  les  senti- 


i.  Beti.  Vand,,  p.  500. 

2.  W.,  p.  487. 

3.  Joh.,  vil,  277-280. 

4.  BeU,  Vand.y  p.  406. 


318  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

ments  qui  animent  tous  les  rois  indigènes  ^  :  s'il  s'est  soulevé, 
ce  n'est  point  par  amour  de  Tindépendance  nationale  ;  c'est 
uniquement  pour  venger  la  mort  de  son  frère»  et  Tinjure 
qu'on  lui  a  faite  à  lui-même  ;  s'il  s'insurge,  ce  n'est  point 
contre  Terapereur,  mais  contre  le  gourverneur,  qui  s'est  mon- 
tré son  ennemi  personnel  ;  il  est  tout  prêt  à  déposer  ces  armes 
qu'il  n'a  prises  qu'à  contre-cœur,  pourvu  qu'on  donne  satis- 
faction à  sa  haine  et  qu*on  répare  Tinjustice  dont  il  a  été  vic- 
time, et  hautement  il  proclame  qu'il  veut  être  le  vassal, 
'd'esclave  de  la  majesté  impériales,  d  En  fait,  tous  ces  princes 
sont  fiers  de  servir  sous  les  drapeaux  de  Byzance  ;  ils  aspirent 
à  prendre  rang  dans  sa  hiérarchie  militaire,  à  frayer  avec  ses 
ducs  et  ses  patrices,  à  mériter  les  titres  sonores  qu'elle  décerne 
à  ses  dignitaires.  A  cet  égard,  la  prétention  d'Antalas,  deman- 
dant qu'en  échange  de  son  contours  on  mette  sous  ses  ordres 
1,500  soldats  romains,  est  singulièrement  significative  \  et  ce 
qu'Antalas  réclame,  Coutsina  l'obtient  ;  autour  de  lui,  il  a 
comme  garde  un  détachement  de  troupes  byzantines,  et  il  ne 
se  tient  pas  d'aise  de  les  commandera  Voyez  Màssonas  encore; 
avant  même  la  venue  des  Grecs,  il  s'intitule  «  roi  des  Maures 
et  des  Romains  »,  tant  il  sent,  pour  assurer  son  autorité  sur 
les  cités  maurétaniennes,  le  besoin  et  l'importance  d'un  titre 
qui  le  rattache  à  l'Empire.  El  dès  la  seconde  année  delà  domi- 
nation byzantine,  nous  le  voyons  offrir  ses  services  à  Solomon 
et  rechercher  son  alliance^.  Dansées  conditions,  des  relations 
régulières  devaient  nécessairement  s'établir  bien  vite  entre 
les  gouverneurs  d'Afrique  et  les  grands  chefs  berbères;  et 
malgré  les  soulèvements  fréquents  qui  devaient  troubler  le 
bon  accord  des  deux  parties,  un  système  régulier  de  rapports 


1.  Èell.  Vand.,  p.  506-507. 

2.  Sar  cette  dette  du  sang,  qui  aujourd'hui  s'appelle  la  rekba,  cf.  Uaooteao 
et  Letourneux,  /.  c,  i.  III,  p.  60-70. 

3.  Beil.  Vand.^  p.  506  :  SoOXoç  tt);  arjc  ^ao-iXeiac. 

4.  W.,  p.  516. 

5.  /oA.,  Vil,  268-271. 

6.  Bell.  Vand,,  p.  465. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES    319 

poliliques(^  militaires  et  religieuxallait  rapidement  se  fonder. 
Sans  doute  ce  ne  fut  jamais,  même  pour  les  tribud  canton- 
nées dans  l'intérieur  du  territoire,  une  annexion  véritable,  sou- 
mettant les  indigènes  à  l'administration  impériale  ;  mais  en 
les  plaçant  dans  une  sorte  de  vassalité,  la  diplomatie  byzan- 
tine réussit  à  étendre  bien  au  delà  même  des  frontières  de  la 
province  Tinfluence  de  TEmpire  et  le  respect  de  Rome. 


II 


En  général,  lorsqu'une  tribu  indigène  consentait  à  faire  sa 
soumission  au  gouvernement  impérial,  une  convention  for- 
melle et  précise  réglait  les  rapports  futurs  des  deux  parties*. 
Corippus  fournit  un  exemple  intéressant  des  négociations  qui 
accompagnaient  ces  traités  d'alliance*.  Pendant  la  campagne 
de  547,  Tarmée  byzantine  avait  pénétré  sur  le  territoire  des 
Aslrices.  Pleins  d'épouvante,  les  Berbères  envoient  une  am- 
bassade au  général  grec,  chargée  de  demander  la  paix  et  de 
prêter  entre  ses  mains  hommage  à  Justinien.  Et  il  faut  voir 
en  quels  termes,  mêlés  de  flatterie  et  d'humilité,  les  envoyés 
s'adressent  au  maghter  militum;  certes  l'auteur  de  la  Johan-' 
nide  n'a  ici  rien  inventé,  tant  les  sentiments  et  le  style  s'ac- 
cordent avec  ce  que  nous  connaissons  des  indigènes.  «  Le 
bruit  de  la  réputation  du  patrice,  disent-ils,  de  sa  loyauté,  de 
son  courage,  est  parvenu  jusqu'à  eux  et  les  a  attirés  vers  lui; 
ils  sont  heureux  de  recevoir  ses  ordres;  ils  sollicitent  son 
alliance  et  d'avance  acceptent  ses  conditions  ;  ils  sont,  pourvu 
qu'on  les  épargne,  prêts  à  lui  obéir  aveuglément.  »  Prudem- 
ment, comme  gage  de  ces  belles  promesses,  le  général  exige 
qu'on  lui  livre  des  otages,  et  il  jure,  si  la  tribu  veut  observer 
la  paix,  qu'elle  vivra  tranquille  et  florissante  sous  l'autorité 
du  prince.  Puis,  pour  sceller  l'alliance,  il  comble  de  présents 


1.  BelL  Vand.,  p.  504,  506-507. 
2.Joh.,  Vï,  391-407,  425-433. 


320  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

les  députés;  ceux-ci  de  leur  côté  s'engagent  à  servir  Tempire 
romain.  Les  préliminaires  de  la  convention  sont  arrêtés,  et 
Justinien  peut  s'enorgueillir  de  compter  en  Afrique  quelques 
vassaux  de  plus. 

Ce  n'est  pas  tout  :  un  traité  formel  est  signé  par  écrit;  les 
chefs  de  la  tribu  prêtent  hommage  et  font  serment  d'être  pour 
le  basileus  de  fidèles  et  dévoués  serviteurs^;  comme  garants 
de  leur  foi,  ils  remettent  entre  les  mains  du  gouverneur  leurs 
parents  les  plus  proches,  leurs  enfants,  leurs  frères*;  enfin, 
comme  signe  de  la  suzeraineté  byzantine,  ils  reçoivent  une 
véritable  investiture  de  leur  commandement.  Procope  nous  a 
conservé,  dans  un  curieux  passage,  la  liste  des  insignes  de 
souveraineté  qui  leur  sont  remis  au  nom  du  prince'  :  c'est 
un  b&ton  d'argent  incrusté  d'or,  un  diadème  d'argent,  un 
manteau  blanc,  —  nous  dirions  un  burnous  de  commande- 
ment, —  qui  s'attache  sur  Tépaule  par  une  fibule  d'or,  une 
tunique  blanche  ornée  de  broderies,  enfin  des  chaussures 
relevées  d'ornements  d'or.  Des  cadeaux  somptueux  accompa- 
gnent l'envoi  de  ces  insignes;  et  à  ce  prix  les  chefs  indigènes 
se  déclarent  les  vassaux,  les  «  esclaves  de  la  majesté  impé- 
riale ».  Pour  récompenser  leurs  services  ultérieurs,  le  gouver- 
nement lient  en  réserve  des  faveurs  de  toute  sorte  :  à  ceux  qui 
se  montreront  loyaux  et  fidèles,  une  place  sera  faite  dans  la 
hiérarchie  des  dignitaires  byzantins  ;  ils  recevront  le  titre  de 
magister  militum  ou  de  patrice  ^  ;  ils  auront  l'honneur  de 
commander  quelques  détachements  de  troupes  régulières  ;  ils 
auront  même  parfois,  attachée  à  leur  personne,  une  façon  de 
garde  formée  de  soldats  grecs  *,  utile  précaution  qui,  sous 
une  flatteuse  apparence,  dissimule  un  moyen  efficace  de  sur- 
veiller leur  attitude  et  d'assurer  leur  fidélité. 


1.  BelL  Vand,,  p  451. 
2. /(2.,  p.  45;,  452,  406.       . 

3.  id.,  p.  406-407.  Cf.  p.  502  :  ^iS{^oXa  toc  vofuC&tuya. 

4.  Joh.,  VI,  267;  VII,  268;  VIII,  270.  Cf.  des  eiemples  analogues  en  Sjrrie 
(Théophaae,  p.  240,  édlt.  de  Boor). 

S.JoA.,  VU,  268-271. 


LK  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES    321 

En  outre  —  et  c'est  le  point  essenliel  du  traité  —  l'empe- 
reur s'engage  à  payer  à  ces  chefs  un  subside  annuel  dont  le 
chiffre  est  formellement  déterminé,  et  qu'on  appelle  Vannona*, 
£n  échange  de  cette  pension,  le  prince  berbère  s'engage  avant 
toute  chose  à  rendre  des  services  militaires  dont  nous  déter- 
minerons tout  à  l'heure  la  forme;  de  plus  il  se  charge,  en 
échange  de  l'autorité  qui  lui  est  conférée,  de  maintenir  dans 
son  district  la  paix  parmi  les  tribus.  C'est  tout  à  fait  ce  qu'en 
notre  siècle  on  a  nommé  «  la  politique  des  grands  chefs  ».  Pour 
assurer  la  tranquillité  en  Byzacène,  Solomon  ne  trouve  rien 
de  mieux  que  de  placer  Antalas  à  la  tète  de  toutes  les  tribus 
de  la  région;  ce  chef  s*est  un  des  premiers  déclaré  le  vassal 
de  Byzance  ;  il  semble  devoir  garder  une  fidélité  plus  cons- 
tante et  plus  sûre  que  ses  voisins  ;  on  augmente  donc  sou 
autorité,  et  à  ce  prix  il  sera,  vis-à-vis  du  gouvernement,  res- 
ponsable de  la  tranquillité  et  du  bon  ordre  dans  toute  1  étendue 
de  son  commandement'. 

Toutefois  un  contrôle  est  nécessaire.  11  est  évident  que  ce  les 
f/entes  ne  pouvaient  pas  être  laissées  à  elles-mêmes;  leurs 
chefs  indigènes  devaient  avoir  besoin  do  la  même  surveil- 
lance que  nos  caïds  ou  nos  cheiks'.  »  Pour  les  maintenir  dans 
le  devoir,  pour  s'assurer  aussi  que  la  tribu  remplit  les  obliga- 
tions qui  lui  sont  imposées,  des  pouvoirs  fort  étendus  sont  con- 


h.BeU,  Vand.y^,  504, 507  ;  Malalas,  p.  495.  Cf.  Mommsea  {Hermès^  xxiv,  p.  220) 
et  Gagnât,/:  c.,p.  745.  Oo  trouTe  d'autres  exemples  daos  Ménandre^p.  286-287 
(Avares),  292,  377  (Syrie). 

2  Bell.  Vand.y  p.  503-504.  Aotalas  est  uo  vrai  vassal  de  Tempire  {Joh.,  II,  346- 
347).  Les  écrivains  arabes  —  à  la  vérité  d'époque  fort  postérieure  —  men- 
Uonnent  une  autre  obligation  encore  imposée  aux  tribus.  «  Les  Zenata  et  les 
Berbères  qui  habitaient  les  campagnes  témoignaient  aux  Francs  un  certain 
degré  d'obéissance  :  ils  payaient  Timpd/  aux  époques  fixées  »  (Ibn  Khaldoun, 
Hiêt.  des  Berbères,  ni,p.  191):  et  ailleurs  le  même  bistorien  parle  des  Berbères 
«  qui  avaient  précédemment,  payé  l'impôt  à  Uéraciius,  roi  de  Constantinople  » 
{ibid.,  I,  p.  208).  La  chose  n  a  rien  d'invraisemblable,  et  on  peut  remarquer,  en 
faveur  de  cette  affirmation,  qn'Ibn  Khaldoun  a  fort  exactement  défini  les  autres 
obligations  imposées  aux  indigènes  :  toatelois  les  textes  contemporains  ne 
laissent  rien  entrevoir  de  semblable. 

3.  Gagnât,  /.  c,  p.  330-331. 

I.  21 


322  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

fiés  au  gouverneur  général  et  aux  ducs  de  chaque  province. 
C'est  à  eux  que  les  indigènes  sont  tenus  de  venir  présenter 
les  réclamations  qu^ils  ont  à  formuler';  c'est  de  leur  main, 
dans  la  capitale  de  chaque  duché,  que  les  chefs  viennent  rece- 
voir les  subsides  qui  leur  sont  alloués'.  Sans  cesse  le  duc 
surveille  les  mouvements  des  tribus  et  leur  altitude';  il  règle 
les  relations  de  commerce  qu'elles  entretiendront  avec  le  pays 
romain  ou  avec  les  peuplades  indigènes  demeurées  indépen- 
dantes*; il  donne  les  autorisations  nécessaires  pour  franchir 
le  lim€s^\  parfois  même  il  assigne  aux  tribus  les  cantonnements 
qu'elles  devront  cultiver*.  Viennent-elles  à  manquer  à  leurs 
engagements,  le  gouverneur  punit  leurs  chefs  en  supprimant 
de  sa  propre  autorité  la  pension  qui  leur  est  accordée  "^  ;  et  si 
quelque  trouble  se  produit  dans  leur  district,  il  peut  les  en 
rendre  responsables,  les  faire  arrêter  et  même  les  condamner 
à  mort*.  Parfois  aussi,  pour  châtier  une  tribu,  on  lui  coupe  les 
vivres'  ou,  par  une  exécution  plus  radicale  encore,  on  va  sac- 
cagerses  moissons'^;  en  tout  cas,  l'autorité  byzantine  intervient 
sans  cesse  dans  les  affaires  intérieures  des  Berbères;  elle  se 
constitue  arbitre  des  querelles  intestines  deschefs**;  peut-être 
même,  en  Afrique  comme  en  Syrie,  s'occupe-t-elle,  à  la  mort 
d\m  des  vassaux,  de  désigner  parmi  ses  héritiers  le  successeur 
qui  lui  agrée  davantage  *'.  En  fait  elle  considère  les  tribus, 

1.  Bell.  Vand.y  p.  502. 

2.  Id,  p.  502;  Malalas,  p.  495. 

3.  Jo.,  VI,  221  sq. 

4.  Édil  d'Anastase,  n»  11. 

5.  /6rd.,noil. 

6.  Grégoire  le  Grand,  Epist.  {éd.  des  Monumenta)^  I,  73,  parle  des  daliciorum 
habitatores  :  ce  sont  les  tribus  soumises,  que  Tautorité  byzantine  déplace  à  vo- 
lonté. Cr.  pour  une  autre  interprétation  de  ce  passage  :  Mommsen,  Die  Beicirlh- 
schaftung  der  KircfiengUter  unler  Papst  Gregor  /.  {Zeilschr,  f.  Social-  und 
Wirlhschaftsgesc.,  I,  p.  49,  note  25). 

7.  BelL  Vand.,  p.  504,  507. 

8.  /d.,  p.  504,  507.  Joh.,  II, 28  ;  IV,  365-366. 

9.  BelL  Vand.,  p.  452. 

10.  Id.,  p.  502. 
M.Joh.y  Vil,  212-261. 
12.  Théophane,  p.  2i0. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES  323 

celles  du  moins  qui  sont  cantonnées  sur  son  territoire,  comme 
de  véritables  sujettes;  viennent-elles  à  se  révolter  en  effet,  ce 
n'est  point  la  paix  qu'elle  leur  offre,  c*est  une  véritable  amnis- 
tie^ après  laquelle  elles  viendront  replacer  humblement  leur 
tête  sous  le  joug  accoutumé  de  l'empereur*. 

Ce  sont  surtout  les  relations  militaires  que  règle  soigneu- 
sement la  convention.  Les  Byzantins  savent  bien,  en  effet, 
quels  admirables  soldats  peuvent  leur  fournir  les  tribus'  ;  ils 
connaissent  le  courage  des  indigènes,  les  qualités  de  leurs 
adroits  fantassins,  de  leurs  légers  et  infatigables  cavaliers, 
les  ressources  infinies  de  cette  tactique  berbère,  si  admira- 
blement appropriée  au  pays;  ils  tiennent  donc  à  les  incor- 
porer dans  leurs  armées,  et,  lorsque  ces  peuplades  sont  can- 
tonnées dans  le  voisinage  de  la  frontière,  à  les  employer, 
concurremment  avec  les  limitanei  à  la  défense  des  confins 
militaires'.  Aussi  tous  les  traités  renferment-ils  une  clause 
par  laquelle  les  tribus  s'engagent  à  fournir  leurs  contingents 
de  troupes  irrégulières*;  et,  en  effet,  à  la  première  réquisition 
du  gouverneur  général',  les  foederati  ou  gentiles^^  pour  em- 
ployer l'expression  usitée  dans  les  Codes,  —  les  goumSy  pour 
me  servir  du  terme  moderne  correspondant  —  rejoignent  au 
rendez-vous  assigné  les  régiments  de  l'armée  régulière.  Lors- 
qu'ils appartiennent  à  des  populations  fixées  sur  la  frontière, 
ils  servent,  de  même  qu'à  Tépoque  romaine  \  et  ainsi  qu'il 
est  naturel  d'ailleurs,  sous  les  ordres  du  duc  provincial  chargé 
de  la  garde  du  limes*.  Dans  les  autres  cas  ils  forment,  en  gé- 


1.  Beli.  Kanrf.,p.  504;yo/i.,  11,346-347. 

2.  Joh,,  VI,  30-33. 

3.  Cf.  Théophane,  p.  335;  Cagoat,  p.  744-145. 

4.  JoA.,  VU,  63-65,  ii8-l49.  «  Le»  Zeaata  et  les  Berbères  qui  babitaieut  les 
campagnes...  prenaient  part  aax  expéditions  militaires  des  Francs  (Ibn  Khal- 
doun,  III,  p.  191)  et  ailleurs  :  «  Les  Djeraoua  prêtaient  aux  Francs  Tappui  de 
leurs  armes  à  chaque  réquisition  »  (ibid.j  III,  p.  192). 

3. /oA.,  m,  404;  IV,  363. 

6.  léL,  III,  410. 

7.  Gagnât,  p.  745-746, 
8. /oA.,m,  405. 


324  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

néral  sous  le  commandement  direct  de  leur  chef  ou  de  ses 
délégués^  des  corps  d'armée  distincts  des  troupes  régulières'. 
Antalas,  Goutsina,  Ifisdaias  sont  eux-mêmes  à  la  tête  de  leurs 
contingents  ;  les  cavaliers  d'Iabdas  sont  conduits  par  son  fils 
et  un  officier  auquel  Corippus  donne  le  titre  de  praefecitts*. 
En  apparence,  aucune  solde  n  est  allouée  aux  fédérés;  ce  sont 
leurs  rois  ou  leurs  chefs  qui  les  paient,  mais  au  moyen  de 
Vannona  que  leur  verse  le  gouvernement';  souvent  aussi, 
pour  stimuler  leur  zële,  les  généraux  byzantins  font  distri- 
buer aux  alliés  de  larges  gratifications  \  En  fait,  et  quoiqu'on 
ne  fasse  pas  toujours  appel  à  leur  concours,  quoiqu'on  se 
borne  parfois  à  mobiliser  une  portion  seulement  des  con- 
tingents indigènes^,  les  gentiles  sont  organisés  comme  de 
véritables  soldats  de  Tempire,  et,  comme  à  l'époque  romaine  % 
il  n'est  point  rare,  au  vi*  siècle  encore,  de  les  voir  envoyés 
hors  d'Afrique  en  expédition.  Des  auxiliaires  maures  servent 
en  Italie  avec  Bélisaire,  et  se  rencontrent  à  Byzance  parmi 
les  hommes  de  sa  garde*;  d'autres  combattent  en  Orient, 
dans  les  campagnes  de  Perse',  comme  jadis  leurs  ancêtres 
combattaient  en  Syrie  ou  en  Dacie. 

Enfin  des  rapports  religieux  venaient  compléter  le  système 
inauguré  par  Byzance.  Au  moment  où  les  armées  impériales 
reparurent  en  Afrique,  ie  christianisme  avait,  à  ce  qu'il  semble, 
perdu  la  plus  grande  part  des  conquêtes  qu'il  avait  pu  faire 
jadis  parmi  les  populations  berbères.  En  Tripolitaine,  toutes 
les  tribus  professaient  le  paganisme^;  s'il  en  faut  croire  Pro- 

l./oA.,  IV,  509-514,  544-549;  VU,  266,  280. 

2.  /d.,  Vn,  279. 

3.  Cf.  Gagnât,  p.  7i5. 

4.  Bell.  Vand.,  p.  466. 

3.  Ed  547  Coutsina  sert  seul  ;  mais  d'autres  tribus  restent  fidèles^  et  non 
employées  (Joh,,  VH,  63-63,  148.149). 

6.  Cf.  Gagnât,  p.  333. 

7.  Bell.  Golh.,  p.  26,  281. 

8.  Be/l.  Pers.,  p.  244  ;  Théophane,  p.  220.  Sous  le  règne  d'Héraclius,  des  con- 
tingents indigènes  figurent  dans  Tarmée  qni  renversa  Phocas  (Nicéphore 
patr.,  p.  3  (édit.  de  Boor)  ;  Jean  de  Nikiou  (édit.  Zotenberg),  p.  541,  551. 

9.  Bell.  Vand.,  p.  347. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES    325 

cope,  l'oasis  d'Augila  était  au  vi*  siècle  encore  le  centre  d'un 
culte  très  ancien,  célèbre  parmi  les  tribus  africaines^  où  l'on 
venait  de  toutes  parts  chercher  des  révélations  prophétiques  ^ 
(]orippus  montre  également  les  peuplades  de  cette  région, 
ayant  pour  principale  divinité  un  dieu  appelé  Gurzil,  dont 
lerna,  roi  des  Levathes,  est  le  prêtre*,  dont  le  nom  sert  dans 
les  batailles  de  cri  de  guerre  à  ses  adorateurs,  et  dont  Tidole, 
emportée  comme  un  fétiche  au  milieu  des  combats,  est,  à  la 
veille  de  la  lutte,  arrosée  du  sang  des  sacrifices'.  En  Byzacène 
également,  la  plupart  des  tribus  sont  païennes  ;  on  ne  saurait 
dire,  à  la  vérité,  si  les  dieux  Sinifere,  qu'on  identifie  à  Mars, 
et  Mastiman,  où  l'on  reconnaît  un  Jupiter  infernal  avide  de 
victimes  humaines,  appartiennent  aux  populations  de  cette 
région  ou  à  celles  de  la  Tripolitaine*;  mais  en  tout  cas  ni 
Antalas  ni  son  père  ne  pratiquent  le  christianisme.  Guenfan 
va  demander  à  l'oracle  d'Ammon  le  secret  des  futures  desti- 
nées de  son  fils^  ;  et  dans  toute  l'Afrique  indigène,  on  écoute 
pieusement  les  prédictions  des  prophétesses,  auxquelles  des 
rites  mystérieux  viennent  communiquer  l'esprit  divin  •.  L'ex- 
tension de  la  polygamie  ne  prouve  pas  moins  combien  avait 
été  passagère  l'influence  du  christianisme.  De  telles  dissi- 
dences devaient  choquer  gravement  un  empereur  pieux,  dévot 
même,  tel  qu'était  Justinien,  «  désireux,  dit  un  historien, d'as- 
surer non  seulement  la  sûreté  des  corps,  mais  encore  de 
veiller  au  salut  des  âmes  »\  Aussi,  dès  Tannée  533,  proscri- 
vit-il les  païens  au  même  titre  que  les  ariens,  les  donatistes 
et  les  juifs';  mais  comprenant  en  outre  que  la  conquête  la 

4.  Aed.  p.  333;  Joh.,  III,  81  sqq.;  VI,  145  éqq. 

2.  Joh.,U,  109;  IV,  667. 

3.  W.,  IV,  683;  VIII,  304;  IV,  1138, 1146;  VI,  116.  Cf.  El-Bekri(/.  asial,,  185H, 
p.  443-444),  qui  parle  de«  l'idole  de  pierre  appelée Guerza  »  â laquelle  u  jusqu'à 
nos  jours,  dit  l'écrivain  du  xt«  siècle,  les  tribus  berbères  des  environs  ofîreut 
des  sacrifices  ». 

4.  Joh.,  IV,  681-682;  VUI,  305-309.  Cf.  Partsch.,  p.  xi-xii. 
3.  /oA.,  iil,  81  sqq. 

6.  /d.,UI,  86-101;  VI,  ir,3-15."i;  BelL  Vand.,  p.  413. 

7.  Aed.,  p.  333. 

8.  iVot;.  37,  8.  ■        r  - 


326  HI.'^TOIHE   DE  LA   DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

plus  efficace  est  celle  qui  fait  accepter  aux  vaincus  les  mœurs 
et  les  institutions  du  vainqueur^,  il  s'efforça,  parmi  les  tribus 
vassales  de  TEmpire,  de  répandre  le  christianisme.  Aussi 
bien  la  propagande  religieuse  fut-elle  en  tout  temps  une  des 
formes  favorites  de  l'expansion  byzantine.  «  L'Empire  trou- 
vait dans  la  religion  Tunité  qu'il  ne  trouvait  ni  dans  la  langue 
ni  dans  la  race.  L'orthodoxie  lui  tenait  lieu  de  nationalité'.  » 
Il  se  trouva  qu'en  Afrique  la  tâche  fut  relativement  assez 
facile.  Les  tribus  berbères  paraissent  avoir  professé  un  respect 
instinctif  pour  le  culte  du  (Christ,  et,  malgré  de  fréquents  actes 
de  violence  commis  sur  les  édifices  religieux  et  même  sur  les 
personnes,  une  certaine  vénération  pour  le  clergé  qui  en  était 
le  représentante  En  tout  cas,  Tœuvre  delà  conversion  entre- 
prise en  Afrique  par  l'ordre  impérial  semble  avoir  été  cou- 
ronnée de  succès,  et  avoir  porté  bien  au  delà  des  frontières 
de  la  province  Tinfluence  de  la  diplomatie  byzantine.  Au  sud 
de  la  Tripolitaine,  le  christianisme  pénétra  jusque  dans  la  ré- 
gion lointaine  des  premières  oasis  sahariennes  ;  dans  Toasis 
d'Auglla,où  jusqu'alors  le  culte  d'Ammon  avait  subsisté  avec 
ses  hiérodules,  ses  propbétesses  et  ses  sacrifices,  la  popula- 
tion entière  se  convertit,  et  une  église  fut  bâtie  en  Thonneur 
de  la  Théotokos  '*  ;  la  tribu  des  Gadabitani^  voisine  de  Leptis 
Magna,  et  demeurée  jusque-là  païenne,  accepta  la  foi  ortho- 
doxe^; les  habitants  de  Ghadamès  reçurent  également  la 
foi  chrétienne,  et  se  soumirent  en  même  temps,  par  un  traité 
formel,  à  la  suzeraineté  byzantine  ^.  Il  est  probable  que  cette 


1.  Nov,  21,  praef, 

2.  Rambftud,  VEmpire  gree^  p.  272.  Cf.  Gasquet,  Études  byzanUneê,  p.  73-Sl  ; 
Ducbesne,  Les  missions  chrétiennes  au  sud  de  Vempire  romain  (MéL  de  tU^mt. 
1896,  p.  79-122). 

3.  BeU,  Vand.,  p.  347,  504;  Jo/i.,  Vil,  484-488. 

4.  Aed.,  p.  333-334. 

5.  id.,  p.  337. 

6.  îd,,  p.  333.  Cf.  MorcelU,  Africa  christiana^  III,  303,  qui  place  le  (ait  itn 
348.  On  trouvera  des  détails  fort  intéressants  sur  la  fai^n  dont  étaient  con- 
duites ces  conversions  dans  Thistoire  de  Jean  d*Éphëse.  Il  raconte,  en  effet, 
de  quelle  manière  furent  amenées  au  christianisme,  sous  Justinien  et  ses  suc- 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGÈNES     327 

propagande  religieuse,  si  efficace  dans  des  contrées  qui  sem- 
blent pour  la  plupart  soustraites  à  Taction  militaire  des  Grecs, 
obtint  chez  les  tribus  cantonnées  dans  l'intérieur  du  terri- 
toire dessuccespIuseclatantsencore.il  est  certain  que  sous  les 
successeurs  de  Justinien,  Tœuvre  continua  avec  le  même  bon- 
heur. En  569,  les  Garamantes  du  Fezzan  concluaient  un  traité 
de  paix  avec  TEmpire  et  se  convertissaient  au  christianisme*; 
au  vu*  siècle,  les  tribus  établies  aux  alentours  de  Sabrata 
avaient  également  renoncé  au  paganisme  ^  Et  ces  triomphes  de 
la  foi  ne  se  limitaient  pas  à  la  seule  Tripolitaine  ;  jusque  dans 
les  Maurétanies  l'orthodoxie  faisait  chaque  jour  des  conquêtes. 
An  vrai,  dans  ce  pays,  où  en  484  encore  on  ne  comptait  pas 
moins  de  quarante-quatre  sièges  épiscopaux  pour  la  SitiGenne 
et  cent  vingt- trois  pour  la  Césarienne',  il  est  de  toute  évidence 
que  la  propagande  chrétienne  devait  trouver  des  apôtres  ar- 
dents et  dévoués;  et,  en  effet,  non  seulement  dans  les  villes 
de  la  côte  on  rencontre  des  évêques  au  commencement  du 
va*"  siècle  ;  mais,  à  cette  date,  des  communautés  chrétiennes 
subsistent  dans  l'intérieur  du  pays,  à  Labdia(Médéa),à  Oppi- 
dum Novum  (Duperré  dans  la  vallée  du  Chélif),  à  Timici  '\ 
à  Pomarium  (TIemcen),  à  Altava  (Lamoricière)*,  dont  l'in- 
tluence  s'est  incontestablement  fait  sentir  parmi  les  Berbè- 
res d'alentour.  Aussi  voit-on  vers  569  la  tribu  des  Maccu- 
ritae  se  convertir  au  christianisme  •,  et  vers  573  envoyer  à 
Conslantinople  une  ambassade  solennelle,  chargée  d'offrir  à 
l'empereur,  comme  gage  d'amitié  et  d'alliance,  des  défenses 


cesseurSfles  populaUons  de  la  Nubie,  Nabadéens  (royaume  de  Napata)  et  AIo  - 
déens  (v.  Jean  d'Éphèse,  édit.  Schôafelder,  IV,  8,  7,  8  (p.  141-145).  49  (p.  180- 
181),  51,  52,  53  (p.  183-188). 

1.  Jean  de  Biclar,  a.  569,  édit.  Moturnsea,  p.  212. 

2.  Fourael,  Le«  Berbère t  1, 22,  uote. 

3.  Nolilia  episcoporum  (dans  l'édit.  de  Victor  de  Vit,  donoéedaoâ  les  Monu- 
menla), 

4.  By^anL  Zeilsch,^  il,  26,  31-32,  34,  et  sur  les  idenUficatioas,  Cat,  /•  c. 
p.  188-189,  197,  198-202. 

3.  C.  /.  L.,  VIU,  9925,  9926,  etc.,  jusqu'à  9968,  9869-9870,  9899. 
6.  Jean  de  Biclar,  a.  569. 


328  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

d'éléphants  et  une  girafe  vivante'  ;  or  dans  cette  population^ 
il  faut  reconnaître  sans  doute  les  Maxxot}pat  nommés  par 
Plolémée,  qui  habitaient  au  pied  du  massif  montagneux  de 
^Ouarnsenis^  De  même,  entre  Tiaret  et  Frenda,  les  curieuses 
pyramides  des  Djedar  attestent,  par  les  emblèmes  chrétiens 
qui  en  décorent  les  salles,  l'existence  d'une  dynastie  indigène 
catholique,  puissante  vers  le  vi*  siècle  dans  cette  portion  du 
Tell  oranais*.  Ainsi,  sous  le  couvert  de  la  religion,  s'étendait 
au  loin  l'influence  byzantine  ;  et  les  officiers  impériaux  le 
comprenaient  si  bien  que  dans  leur  pensée  l'œuvre  de  la  con- 
version était  inséparable  de  la  conquête  militaire^.  Dans  une 
lettre  significative,  saint  Grégoire  félicite  l'exarque  Genna- 
dius  de  faire  la  guerre  «  non  point  pour  le  plaisir  déverser  le 
sang,  mais  dans  le  désir  d'étendre  les  limites  du  pays  chré- 
tien, afin  que,  par  la  prédication  de  la  foi,  le  nom  du  Christ  se 
répande  en  tout  sens  parmi  les  tribus  soumises  »  ^.  Sans 
doute,  sur  quelques  points  particuliers,  cette  propagande  si 
active  échoua  ;  les  dissidents  ariens,  donatistes  et  juifs,  bru- 
talement expulsés  par  les  édits  de  Justinien,  allèrent  cher- 
cher un  asile  chez  les  tribus  berbères,  et  plus  d'une  fois  ils  y 
arrêtèrent  le  progrès  de  la  foi  orthodoxe.  Ce  fut  le  cas  en 
particulier  dans  la  Numidie  méridionale,  où  le  donatisme 

1.  Jean  de  Biclar,  a.  573. 

2.  Moniin8en,édii.desAf.G.£r.,p.  212;Cat,/.c..  p. 75-76.  Jean d'Ephèseiiomme 
en  Nubie  les  Makoura  païens  (IV,  51,  53)  ;  mais  ces  populationit,  en  580,  ne 
sont  pas  conyerties  encore.  U  ne  faut  donc  point  se  laisser  induire  en  erreur 
par  une  similitude  de  noms.  Cf.  Duchesnc,  /.  c,  p.  87.  On  notera  an  contraire 
que  Jean  de  Biclar  a  déjà  parlé,  à  une  date  antérieure,  de  la  conversion  des 
Makourites  :  Maccuritarum  gens  his  temporibus  Christi  fidem  recepit  (a.  569)  (éd 
Mommseu,  p.  212).  On  ne  saurait  donc  confondre  ce  peuple  avec  les  Makoura. 
de  Nubie. 

3.  La  Bianchëre,  Voyage  d'étude,  p.  86-87, 98-99.  Sur  la  date  des  Djedar,  Mtuét 
d'Oran,  p.  25-26. 

4.  Cf.  Greg.  Magoi  EpisL,  4,  25.  De  même  les  guerres  deJeanTroglita  eut 
les  allures  d'une  Téritable  croisade  (Joh.,  1, 151,  268-270,  295  ;  IV,  269-284, 686). 

5.  Greg.,  SpisLf  1,  73.  Sur  les  moyens  employés  pour  la  conversion,  et  où  la 
persuasion  se  môle  étrangement  aux  rigueurs  administratives,  cf.  Greg.,  8,  !  ; 
4,  26;  9,  204.  Ces  textes  s'appliquent  à  la  Sardaigne,  mais  on  peut  ciboire  que 
les  mêmes  principes  gouvernèrent  le  reste  de  l'exarchat  d'Afrique. 


LE  GOUVERNEMENT  BYZANTIN  ET  LES  POPULATIONS  INDIGENES    329 

gardait  à  la  fin  du  vu  siècle  de  nombreux  partisans^;  ce  fut 
le  cas  aussi  dans  TÂurès,  où  l'on  signale  au  vu*  siècle  un 
certain  nombre  de  tribus  juives,  et  dans  les  ksour  du  Sa- 
hara, où  des  peuplades  nombreuses  semblent  avoir  professé 
la  religion  d'Israël';  pourtant  d'une  façon  générale,  le  catho- 
licisme se  maintint  ou  s'étendit  sous  la  domination  grecque 
dans  une  grande  partie  de  l'Afrique;  et  plus  d'une  fois  la  re- 
ligion cimenta  les  liens  de  vassalité  établis  entre  les  tribus 
indigènes  et  le  gouvernement  byzantin. 

Dans  la  nomenclature  officielle,  les  populations  indigènes 
qui  étaient  entrées,  dans  les  formes  que  nous  venons  d'expli- 
quer, en  relations  politiques,  militaires  et  religieuses  avec 
l'Empire,  étaient  désignées  par  le  terme  de  Mauri  pacifici 
ou  IlaxaToc  (pacati)^.  Malheureusement  avec  beaucoup  d'en- 
tre elles,  les  conventions  les  plus  solennelles  étaient  impuis- 
santes à  maintenir  une  paix  durable  ;  et,  malgré  quelques 
rares  exemples  de  fidélité,  en  général  on  n'employait  point 
sans  quelque  crainte  ces  auxiliaires  changeants  et  perfides. 
On  savait  que  pour  eux  les  serments  les  plus  sacrés  étaient 
sans  valeur,  que  les  meilleurs  traitements,  les  gratifications 
les  plus  libérales  étaient  impuissants  à  assurer  leur  fidélité, 
que  la  force  seule  était  capable  de  les  retenir  dans  le  devoir, 
que  de  leur  part  il  fallait  toujours  attendre  quelque  révolte, 
quelque  défection  ou  quelque  trahison^.  Et,  en  effet,  l'histoire 
de  l'Afrique  au  vi*  siècle  est  pleine  d'épisodes  de  cette  sorte, 
et  Ton  comprendrait  avec  peine  comment  l'autorité  impériale 
y  put  résister,  si  le  caractère  même  des  Berbères  n'avait  fourni 
d'autre  part  à  la  diplomatie  grecque  les  moyens  de  réparer 
les  désastres  et  de  rétablir  l'édifice  menacé.  Grâce  à  l'absence 
de  concert  qui  marqua  toujours  tous  les  efforts  des  indigènes, 
grâce  aux  haines  irréconciliables  qui  empêchèrent  toujours 

«.  fireg.,A>w^,  1,  12-73;  2,  46;  4,  32;  5,3. 

2.  Foarnel,/.  c,  p. 211  ; iiep.  de  ConsL,  1861,p.llM21;lbnKlialdouzi,  l,p.208- 
209. 

3.  Joh,,  IV,  999;  VI,  596;  Aed.,  p.  335;  Jordaues,  Homana,  p.  52. 

4.  Bell.  Fani;{., p. 443,  461,  511,  319;  Joh.,  IV,  441-451;  lU,  412;  VI,  389-390. 


330  HISTOIRE  DE  LA   DOMINATION   BYZANTINK  EN  AFRIQUE 

au  moment  décisif  les  grands  chefs  de  s'entendre  contre  l'en- 
nemi commun  S  la  diplomatie  impériale  put  sans  peine  semer 
la  division  parmi  ses  adversaires  et  trouver  parmi  eux  des 
alliés  inespérés  ;  avec  de  l*argcnt  distribué  à  propos,  de  belles 
promesses  que  souvent  elle  se  réservait  de  ne  pas  tenir*,  elle 
rompit  les  coalitions  les  plus  redoutables,  brisa  les  plus  for- 
midables insurrections.  Par  cette  habile  politique,  dix  ans 
après  Tarrivée  des  Byzantins  en  Afrique,  Solomon  avait 
réussi  à  placer  successivement  dans  une  réelle  vassalité  tous 
les  grands  États  berbères;  à  la  date  de  540,  les  principales 
tribus  de  la  Tripolitaine,  Levathes,  Ifuraces,  Mecales^  accep- 
taient la  suzeraineté  de  TËmpire';  en  Byzacène,  Antalas  ré- 
pondait de  la  fidélité  des  populations  berbères  ^;  en  Numidie, 
Coutsina  était  un  allié  dévoué',  et  labdas  était,  sinon  soumis 
encore,  en  tout  cas  réduit  à  l'impuissance  ;  les  princes  mêmes 
de  la  Maurétanie  sollicitaient  l'investi ture  byzantine;  Orthaias 
et  Massonas  étaient  en  relations  amicales  avec  Solomon*;  et, 
comme  le  dit  Corippus,  «  les  chefs  des  Maures,  tremblant 
devant  les  armes  et  les  succès  de  Rome,  accouraient  se  placer 
spontanément  sous  le  joug  et  les  lois  de  Tempercur  »\  Sans 
doute  une  crise  terrible  allait,  dans  les  années  suivantes, 
ébranler  profondément  Tédifice  si  péniblement  construit; 
mais  bien  vite  les  rois  indigènes  devaient  accepter  de  nouveau 
leur  condition  passée,  et  revenir,  vaincus^  se  prosterner  aux 
pieds  de  Tempereur  '.  Dès  les  premières  années  de  la  conquête 
byzantine,  les  bases  étaient  fixées  qui,  jusqu'à  la  fin  du  règne 
de  Justinien,  jusqu'aux  derniers  jours  mêmes  de  l'Afrique 
grecque,  devaient  régler  les  rapports  entre  les  États  berbères 
vassaux  et  le  gouvernement  impérial. 

1.  Beil.  Vand.,  p.  517;  Joh.,  VII,  244-246,  etc.  Cf.  Hanoteau  et  Letouraeux, 
l.  n,  p.  1-5. 

2.  BelL  Vand,,  p.  516;  Joh.,  IV,  359;  Partsch,  p.  xxiu. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  502;  Joh.,  111,  410-412. 

4.  BelL  Vand.,  p.  5U3-504. 

5.  Joh.,  ni,  406-407. 

6.  Bell.  Vand.,  p.  406,  465. 

7.  Joh.,  ni,  287-289. 

8.  Id.,  1,  17-22. 


LIVRE  111 

L'AFRIQUE  BYZANTINE  VERS  LE  MILIEU 
DU  VI-  SIÈaE 


LIVRE  III 

L'AFRIQUE  BYZANTINE  VERS  LE  MILIEU  DU  VI»  SIÈCLE 


PREMIÈRE    PARTIE 
LA  FIN  DU  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  (544-505) 


CHAPITRE  PREMIER 

LA   CRISE    DES    ANNÉES    545-546 

Les  mesares  prises  par  Justinien  pour  réorganiser  et  dé- 
fendre l'Afrique  byzantine  semblaient  devoir  assurer  à  la  pro- 
vince une  longue  sécurité.  Sous  le  gouvernement  tutélaire  de 
Solomon,  le  pays  reprenait  baleine  et  réparait  lentement  ses 
forces  «  ;  àTabri  des  garnisons  et  des  forteresses  de  la  frontière, 
la  contrée  retrouvait  cette  richesse  agricole  qui  jadis  avait 
fait  d'elle  Tun  des  greniers  du  monde  romain;  grâce  aux  heu- 
reux efforts  de  la  diplomatie  grecque^  les  tribus  indigènes 
elles-mêmes  semblaient  pacifiées;  et  dès  541,  les  délégués 
africains  envoyés  à  Constantinople  pouvaient  déclarer  à  Tem- 
pereur  que,  sous  sa  bienfaisante  autorité,  leur  patrie  avait  déjà 
recouvré  son  ancienne  prospérité*.  Malheureusement  les  appa- 

1.  Joh.,  III,  342. 

2.  MorceUi,  Africa  chrisL,  UI,  p.  293.  Noveiles  (éd.  Schoell),  App,  H. 


334  HlSTOiKfi  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

rences  étaient  plus  brillantes  que  la  réalité  :  bientôt  de  nou- 
veaux malheurs  allaient  fondre  sur  TAfrique,  et  l'on  peut  dé- 
mêler sans  trop  de  peine  quelques-unes  des  raisons  qui  allaient 
momentanément  ébranler  la  grande  œuvre  de  reconstitution 
entreprise  par  Justinien. 

Tout  d'abord  ces  places  fortes,  qui  couvraient  d*un  réseau 
serré  le  pays  tout  entier,  étaient  peut-être  trop  nombreuses 
pour  assurer  une  défense  vraiment  efficace.  Pour  élever  en 
si  peu  d'années  cette  multitude  de  citadelles,  il  avait  fallu  plus 
d'une  fois  sacrifier  au  désir  de  faire  vite  la  solidité  de  la  cons- 
truction; aussi  plusieurs  de  ces  forteresses  n'avaient-elles  que 
des  remparts  insuffisants  S  et  quelques-unes  d'entre  elles  de- 
meuraient même  inachevées.  D'autre  part,  Tarmée  d'occupa- 
tion n  était  pas  assez  considérable  pour  tenir  sérieusement 
tous  ces  postes;  beaucoup  de  places  de  seconde  ligne  pa- 
raissent avoir  été  laissées  sans  garnison  et  simplement  confiées 
à  la  garde  de  leurs  habitants  ';  et  dans  celles  mêmes  où  étaient 
établies  les  troupes  impériales,  souvent  on  ne  rencontre  que 
des  détachements  très  faibles,  bons  peut-être  pour  protéger 
derrière  des  murailles  la  ville  où  ils  étaient  cantonnés,  abso- 
lument incapables  de  surveiller  efficacement  et  de  couvrir  le 
pays  d'alentour^.  Certes  ces  forteresses  rendaient  de  réels 
services  en  offrant  aux  populations  des  campagnes  un  asile 
sûr  et  inexpugnable  ^  ;  certes  leurs  fortes  murailles  pouvaient 
en  général  braver  les  attaques  d*un  adversaire  maladroit  à 
l'art  des  sièges*;  mais  si,  de  cette  sorte,  elles  assuraient  aux 
villes  une  relative  sécurité  Je  plat  pays  restait  ouvert  à  toutes 
les  attaques,  exposé  à  toutes  les  razzias  des  Berbères.  Au 
pied  de  ces  citadelles  impuissantes,  dont  les  défenseurs  assis- 
taient inactifs  aux  pillages  et  aux  incendies,  les  légers  cava- 


i.  Joh.,  1,  406-408;  Bell.  Vand.y  p.  509. 

2.  Bell,  Vand.,  p.  508,  510. 

3.  /d.,  p.  463,  509-510. 

4.  /d.,  p.  512. 

5.  Id.,  p.  508.  Cf.[8ur  le  mode  d'attaqae  nécessaire  pour  enlever  une  pUcc 
bytantine,  Aed,^  p.  211. 


LA  CRISE  DES  ANiNËES  54^-346  335 

liers  indigènes  passaient  sans  s'arrêter,  et  plus  d'une  fois,  ils 
pousseront  leurs  pointes  audacieuses  jusque  sous  les  murs  de 
Carthag^e*.  Ainsi  le  système  d'occupation,  si  savamment  com- 
biné en  apparence,  demeurait  en  réalité  assez  inefficace  *  ;  mal- 
gré ses  dispositions  si  ingénieuses,  si  compliquées,  en  fait,  les 
frontières  étaient  insultées  et  forcées,  le  pays  ravagé,  les  habi- 
tants surpris  et  traînés  en  esclavage.  Pour  éviter  ces  misères, 
pour  obtenir  de  ces  citadelles  innombrables  le  résultat  qu'on 
en  attendait,  il  eût  fallu  quelque  chose  de  plus  :  une  armée 
très  forte  capable  de  tenir  la  campagne  et  de  faire  tête  à  l'en- 
vahisseur, une  diplomatie  très  habile,  capable  de  prévenir  les 
desseins  des  Berbères,  et  de  les  maintenir  en  tranquillité.  L'une 
et  Tautre  chose  malheureusement  manquaient  à  la  fois  dans 
l'Afrique  byzantine. 

Malgré  les  énergiques  efforts  du  palrice  Solomon,  la  décom- 
position de  Tarmée  d'Afrique  n'avait  pas  été  arrêtée,  et  plus 
que' jamais  elle  souffrait  des  maux  qui  l'avaient  affaiblie  na- 
guère. L'administration  militaire  était  plus  que  jamais  pi- 
toyable; malgré  les  sommesconsidérablesaccumulées  au  trésor 
de  Carthage^  constamment  la  solde  était  en  retard*.  Les  corps 
de  limitanei  mal  organisés,  mal  payés,  se  disloquaient^;  le 
service  des  vivres  et  des  convois,  mal  préparé,  mal  surveillé, 

1.  Bell,  Vand.,  p.  513-516,  533. 

2.  Sar  les  inconréDients  du  système  de  i*occapation  byzantine,  je  relève 
ane  remarque  caractéristique  faite  par  un  écrivain  militaire  de  ce  temps,  et 
qui  montrera  combien  en  ce  pays  d'Afrique  les  choses  ont  peu  changé  : 
«  Le  général  de  Lamoricière  pensait  que  la  soumission  complète  de  T Algérie 
n'était  pas  au-dessus  de  nos  forces,  mais  que,  pour  Taccomplir,  il  fallait  chan- 
ger  de  fond  en  comble  les  vieux  errements  et  passer  résolument  de  la  défen- 
sive à  C offensive-,  qne  pour  cela  il  fallait  plonger  dans  Tintérieur,  non  pas 
au  moyen  de  petites  garnisons,  sans  puissance  et  sans  action,  retranchées  der- 
rière des  murailles  et  submergées  dans  le  flot  indigène,  mais  au  moyen  de 
fortes  colonnes  mobiles  parcourant  le  pays  eu  tous  sens,  vivant  sur  lui,  nour- 
rissant la  guerre  par  la  guerre  et  frappant  sans  relAche  dans  leurs  intérêts, 
jusqu'à  ce  qu'elles  demandassent  grâce,  ces  populations  dont  nons  n'avions 
pu  encore  vaincre  Thostilité.  »  (Général  du  Barail,  Mes  Souvenirs,  1,  p.  110-lli), 

3.  Bell.  Vand.,  p.  532. 

4.  Id.,  p.  520;  Joh.,  VIII,  81. 
0.  Proc,  Hist.  arcana^  p.  135. 


336  niSTOIHE  DE  LA* DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

faisait  échouer  toute  expédition  sérieuse  '.  L  esprit  des  troupes 
était  détestable.  Dans  ces  régiments  presque  uniquement  com- 
posés de  mercenaires,  on  ne  rencontrait  nulle  trace  de  patrio- 
tisme,  nul  attachement  au  drapeau.  Ne  cherchant  dans  la 
guerre  que  l'occasion  de  faire  fortune,  mécontent  de  tout  ser- 
vice un  peu  dur,  lassé  de  tout  effort  un  peu  persévérant,  le 
soldat  avait  glissé  à  une  indiscipline  effrayante.  Pour  soutenir 
son  zèle,  il  lui  fallait  Tappàt  du  butin  :  comme  le  dit  Corippus, 
sans  aucune  intention  ironique', 

Virtutemque  novat  captae  spes  addita  praedae. 

Aussi,  sur  le  champ  de  bataille  même,  le  soldat  réclamait 
sa  récompense^;  et  si  l'énergie  du  général  prétendait  ajourner 
le  partage  des  dépouilles,  Tarmée  se  répandait  en  menaces,  et 
au  premier  engagement  se  vengeait,  en  se  battant  mal,  du 
prétendu  tort  qu'on  lui  avait  fait.  S'agissait-il  d'entreprendre 
quelque  expédition  un  peu  difficile,  aussitôt  les  troupes  se 
plaignaient  des  fatigues  de  la  marche,  de  l'insuffisance  des 
vivres,  des  rigueurs  du  climat^  ;  en  présence  même  des  dépu- 
tés ennemis  reçus  au  camp  romain,  elles  exprimaient  tout 
haut  leurs  insolentes  doléances*;  et  si  le  commandant  en  chef 
montrait  quelque  velléité  de  résistance,  une  sédition  écla- 
tant dans  le  camp  se  chargeait  de  lui  apprendre  son  devoir*. 
Les  ordres  reçus  demeurent  lettre  morte  :  à  la  veille  de  la 
bataille,  les  soldats  se  dispersent;  au  jour  du  combat,  ils 
s'engagent  sans  attendre  le  signal,  et  sans  scrupules  aban- 
donnent leurs  officiers  au  milieu  du  périr.  Aucun  respect 
de  l'autorité  :  à   chaque  instant,  on  menace  les  chefs  de 
mort*,  et  parfois  l'exécution  suit  la  menace.  Toujours  prêtes 

1.  BeU.  Vand.,  p.  467-468;  Jofc.,  VI,  309-325. 

2.  Joh.,  VI,  7. 

3.  Bell,  Vand,,  p.  505. 

4.  Joà.,  VI,  309-365;  VIII,  65-84.  Et  pourtant  Corippus   n'a  que  de«  éloges 
pour  l'armée  byzantine . 

5.  id.,  VI,  408-411. 

6.  /d.,  VI,  364,  365;  VIII,  50-51. 

7.  Id.,  VI,  375-378,  498-504,  602-603,  697-700. 

8.  Id.,  VIII,  87-88;  102-104. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545-5(6  337 

à  la  trahison,  les  troupes  n'hésitent  pas  même  à  passer  au 
parti  de  l'insurrection  ;  et  les  prisonniers  faits  dans  une  ba- 
taille s'en  vont  tout  naturellement  grossir  les  rangs  du  vain- 
queur*. Les  officiers  d'autre  part,  encouragés  par  le  souvenir 
d'un  Slotzas,  rêvent  de  faire  fortune  et  de  se  proclamer 
rois  ;  tout  au  moins,  la  plupart  d'entre  eux  se  jalousent  et  se 
combattent,  sans  s'inquiéter  si  l'Afrique  porte  la  peine  de 
leurs  mésintelligences  privées*.  Pour  faire  pièce  à  un  gé- 
néral dont  il  croit  avoir  à  se  plaindre^  l'un  refuse  de  se  battre 
et  assiste  impassible  à  la  dévastation  du  pays^;  pour  causer 
la  défaite  d'un  rival  détesté,  l'autre  s'abstient  de  marcher  à 
son  aide  et  le  laisse  écraser  \  Celui-ci  négocie  sous  main  avec 
les  chefs  indigènes  pour  renverser  le  gouverneur^;  celui-là, 
tombé  aux  mains  des  Berbères,  rachète  sa  vie  par  une  trahi- 
son*. Avec  une  armée  de  cette  sorte,  tout  dépend  donc  de  la 
personne  du  général;  s'il  déplaît  aux  troupes,  s'il  paraît  trop 
exigeant  ou  trop  sévère,  on  lui  refuse  l'obéissance,  on  l'aban- 
donne sur  le  champ  de  bataille  ;  ou  bien  dans  les  camps,  on 
intrigue  pour  le  jeter  à  bas,  on  s'entend  contre  lui  avec  les 
indigènes,  on  suscite  des  séditions,  des  révolutions  même;  et 
l'armée  partagée  en  deux  partis,  déchirée  par  ses  dissensions 
intestines,  s'affaiblit  en  luttes  stériles,  s*épuise  en  batailles 
civiles,  au  plus  grand  détriment  de  la  province  confiée  à  sa 
garde.  Sans  doute,  si  le  chef  réussit  à  conquérir  l'affection  de 
ses  soldais,  il  les  tiendra  dans  sa  main,  et  à  sa  suite  il  les 
conduira  où  il  voudra,  jusqu'à  la  révolte  même  contre  l'empe- 
reur; c'est  ainsi  que  nous  verrons  Iléraclius  et  Grégoire  trouver 
dans  leurs  troupes  le  plus  fidèle  appui  de  leurs  soulèvements. 
Mais  au  lieu  de  généraux  capables  d'exercer  quelque  influence 
sur  l'armée,  de  la  dominer  par  une  invincible  énergie  ou  de 

1.  BelL  Vand.,  p.  510-511,  513. 

2.  /d.,  p.  506,  513-514. 

3.  W.„p.506,  513. 

4.  W.,  p.  514. 
5,1(1.,  p.  515-516. 
6.  Jd.,  p.  510. 

1,  22 


338  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

la  gagner  par  une  ferme  bienveillance,  Justinien  semble, 
comme  à  plaisir,  avoir,  après  la  mort  de  Solomon,  confié  le 
gouvernement  militaire  d'Afrique  aux  plus  médiocres  de  ses 
lieutenants.  Quand  on  voit  l'attitude  des  troupes,  officiers  ou 
soldats,  à  l'égard  d'un  Sergius  ou  d'un  Aréobinde*,  on  com- 
prend que  les  plus  solides  forteresses  n'aient  pas  pu  suffire  à 
défendre  un  pays  laissé  à  l'abandon  et  trahi  par  ceux-là 
mêmes  qui  avaient  charge  de  le  protéger. 

Du  moins,  à  défaut  d'une  armée  disciplinée  et  solide,  une 
diplomatie  quelque  peu  habile  à  l'égard  des  indigènes  aurait 
suffi  peut-être  à  assurer  la  sécurité  de  la  province.   Rien 
n'était  plus  aisé,  on  Ji'a  vu,  que  de  diviser  les  tribuis  berbères; 
aucun  sentiment  national  n'existait  chez  elles,  capable  de 
réunir  longtemps  leurs  forces  pour  un  commun  et  redoutable 
effort;  aucune  enlenle  ne  rapprochait  leurs  chefs,  dont  cha- 
cun poursuivait  une  politique  personnelle,  pour  le  bien  de  ses 
intérêts  particuliers.  Tous  les  rois  indigènes  ne  demandaient 
qu*à  entrer  dans  la  clientèle  romaine,  qu'à  devenir  les  vas- 
saux de  l'empereur,  qu'à  ranger  sous  les  drapeaux  de  By- 
zance  leurs  contingents  de  cavaliers.  Pourvu  qu'on  mit  le 
prix  à  leurs  services,  qu'on  leur  laissât  les  apparences  d'une 
demi-indépendance,  qu^on  assurât  à  leurs  tribus  des  terri- 
toires de  parcours  suffisants  pour  vivre  et  qu'on  leur  garantit 
à  eux-mêmes  de  sérieux  avantages  en  honneurs,  en  argent, 
en  considération,  ils  étaient  prêts  à  promettre  et  même  à 
garder  une  absolue  fidélité^  aussi  longtemps  du  moins  que 
les  armées  impériales  pourraient,  au  besoin  par  la  force,  im- 
poser le  respect  des  traités.  Les  Byzantins  l'avaient  compris 
tout  d'abord.  Bélisaire,  puis  Solomon  avaient,  on  l'a  vu,  pra- 
tiqué non  sans  succès  cette  politique.  Malheureusement  la 
diplomatie  grecque  ne  sut  point  s'y  tenir  avec  une  assez  habile 
modération;  par  leurs  imprudences,  leurs  caprices,  leurs  ma- 
ladroites rigueurs,  leur  façon  de  traiter  en  sujets  et  en  vaincus 
les  populations  berbères,  les  gouverneurs  d'Afrique  finirent 

1.  Bell.  Vand.y^.  506,  o20. 


L\  CRISE  DES  ANNÉES  545-5i6  339 

par  exaspérer  les  tribus,  et  ruinant  en  un  jour  Tœuvre  si 
laborieusement  édifiée,  ils  suscitèrent  une  crise  redoutable  où 
faillit  sombrer  la  domination  byzantine. 

Eofin^  au  moment  même  où  toutes  ces  causes  de  faiblesse 
et  de  troubles  se  réunissaient  pour  exposer  la  province  à  de 
nouveaux  dangers,  une  circonstance  accessoire,  affaiblissant 
ses  ressources  défensives,  rapprochait  encore  pour  elle  le 
péril  déjà  si  prochain.  En  Tannée  343,  la  grande  peste  qui 
venait  de  ravager  si  cruellement  TOrienl  tout  entier  et  la 
capitale ^  s'abattit  également  sur  l'Afrique  et  la  dépeupla 
lamentablement.  L'armée  en  particulier  fut  fort  éprouvée  par 
l'épidémie  et  ses  effectifs  s'affaiblirent  d'une  façon  inquiétante*  ; 
en  même  temps,  la  population  civile  était  non  moins  grave- 
ment atteinte  ^  Tandis  que  cette  calamité  attristait  le  pays 
byzantin,  la  maladie  au  contraire  épargnait  les  tribus  indi- 
•gènes*.  L'occasion  était  favorable  pour  un  soulèvement  :  le 
système  de  défense  créé  par  Justinien  croulait  de  toutes  parts. 
Le  moindre  incident  allait  suffire  à  allumer  l'insurrection. 


II 


L'habileté  qu'avait  montrée  dans  la  réorganisation  et  l'ad- 
ministration de  l'Afrique  le  patrice  Solomon  lui  avait  —  et 
à  juste  titre  —  mérité  la  faveur  de  Justinien.  Pour  récom- 
penser les  services  que  rendait  le  glorieux  général,  Tempe- 
reur  combla  sa  famille  d'honneurs  et  de  dignités  :  en  l'an- 
née 543, ilnommadeuxdeses  neveux  gouverneurs  deprovince*. 
L'un,  Cyrus,  fut  chargé  d'administrer  la  Cyrénaïque,  qui 
dépendait  du  diocèse  d'Egypte*;  l'autre,  Sergius,  fut  envoyé 

1.  Vict.  TonQ.,  a.  342  (p.  201);  Partsch.,  /.  c,  p.  xvi-xvii. 

2.  Joh.,  111,  387-388. 

3.  /d.,  362. 

4.  /d.,  388-389. 

3.  BelL  Vand.,p,  501-502. 

6.  Hieroclès,  Synecdemos,  édit.  Burckhardt,  p.  47* 


340  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

comme  duc  en  Tripolitaine.  Cétait  là,  au  moins  pour  le  second 
de  ces  personnages,  un  choix  assez  malencontreux.  Orgueil- 
leux, débauché,  avide,  dissimulé,  par  surcroît  peu  courageux, 
ce  jeune  homme  réunissait  en  lui  quelques-uns  des  pires 
défauts  des  administrateurs  byzantins*.  Infatué  de  sa  richesse, 
de  sa  situation,  de  sa  puissance,  ne  se  croyant  tenu  à  ména- 
ger personne,  il  prodiguait  à  ses  officicrset  à  ses  subordonnés 
les  affronts  et  les  insolences;  par  ses  raffinements  d'élégance, 
par  le  luxe  de  sa  table,  par  ses  mœurs  lâchées  et  molles,  il 
choquait  et  inquiétait  tout  ensemble;  par  sa  vie  privée,  son 
amour  effréné  des  plaisirs,  il  scandalisait  son  entourage  et 
portait  ombrage  aux  populations  ;  enfin  son  goût  de  Targcnt 
promettait  une  administration  détestable,  et  sa  lâcheté  dou- 
blée de  perfidie  achevait  d'indisposer  les  esprits  contre  lui. 
Mais  il  était  neveu  du  pacificateur  de  l'Afrique,  il  avait  épousé 
une  nièce  d'Antonine,  la  femme  de  Bélisairc  et  la  favorite  de* 
Théodora,  il  se  savait  bien  en  cour  ;  et  confiant  dans  sa  for- 
tune, il  semble  s'être  mis  tout  aussitôt  à  traiter  en  pays  con- 
quis la  province  qui  lui  fut  confiée. 

Sur  les  frontières  occidentales  de  la  Tripolitaine  était 
établie  la  grande  tribu  des  Levathes.  Elle  croyait  avoir  à  ce 
moment  fort  à  se  plaindre  des  Byzantins.  Pour  des  raisons 
qu'on  ignore,  les  troupes  grecques  en  effet  avaient  ravagé 
son  territoire,  brûlé  ses  moissons,  et  à  la  suite  de  ces  actes 
d'hostilité,  la  paix  menaçait  d'être  troublée*.  Aussi  dès  l'ar- 
rivée du  nouveau  gouverneur,  les  chefs  berbères  se  présen- 
tèrent à  Leptis  Magna,  autant  pour  exposer  au  duc  leurs 
doléances,  que  pour  renouveler  entre  ses  mains,  selon  l'usage, 
leur  hommage  el  recevoir  de  lui  l'investiture  de  leur  comman- 
dement^. Sergius  consentit  à  entrer  en  pourparlers  avec  eux  : 
et  confiants  dans  le  serment  solennel  qu*il  prêta  sur  l'Évangile 
de  n'attenter  ni  à  leur  vie  ni  à  leur  liberté,  quatre-vingts  dé- 


1.  BelL  Vand.,  p.  506-507;  Hist,  arcana,  p.  41-42;  Joh.,  II,  36-39. 

2.  BelL  Vand.,  p.  502. 

3.  M.,  p.  502. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545-546  341 

pulés,  choisis  parmi  les  principaux  de  la  tribu,  se  rendirent  à 
rinvitation  du  gouverneur.  Malheureusement  Tinsolence  de 
Sergius  provoqua  un  grave  incident  :  comme  il  se  levait  pour 
rompre  Tentretien,  sans  vouloir  accorder  aucune  des  répara- 
tions demandées,  un  des  Maures  s'avançant  le  retint  par  un 
pan  de  son  manteau,  et  les  autres  indigènes  Tentouraient  de 
sollicitations  tumultueuses^  lorsqu'un  des  gardes  du  gouver- 
neur, tirant  Tépée,  abattit  un  Berbère  à  ses  pieds.  Ce  fut  le 
signal  d*un  massacre  général  auquel  un  seul  des  chefs  indi- 
gènes parvint  à  échapper*.  On  eut  beau,  pour  couvrir  ce  guet- 
apens  d'une  excuse  plausible,  répandre  le  bruit  que  les 
envoyés  avaient  formé  le  projet  d'assassiner  le  duc  :  la  per- 
fidie, peut-être  préméditée  de  Sergius,  n'eut  pas  moins  de 
très  graves  conséquences.  Furieux  d'une  si  lâche  trahison, 
les  Levathes  se  ruèrent  sur  Leplis  Magna  :  en  vain,  dans  un 
brillant  combat  livré  en  avant  de  la  ville,  les  Byzantins  mirent 
les  indigènes  en  complète  déroute  ;  à  la  nouvelle  du  massacre 
de  Leplis,  toutes  les  tribus  delà Tripolitaine se  soulevaient, 
et  bientôt  le  péril  fut  assez  pressant  pour  que,  désespérant  de 
résister  avec  ses  seules  forces,  Sergius  crut  devoir  appeler  à 
son  aide  le  gouverneur  général  de  l'Afrique  grecque  *. 

A  ce  moment,  l'insurrection  ne  dépassait  point  encore  les  li- 
mites de  laTripolitaine. Malheureusement, vers  le  même  temps, 
h^oiomon  venait  de  blesser  cruellement  le  plus  puissant  des 
chefs  de  la  Byzacène,  Antalas^.  A  la  suite  de  quelques  mo  ve- 
ments  qui  avaient  troublé  la  province,  le  patrice  avait  fait 
arrêter  et  mettre  à  mort  Guarizila,  le  frère  de  ce  roi;  et  sans 
égards  pour  la  longue  fidélité  que,  depuis  dix  années,  ce  der- 
nier gardait  à  l'alliance  byzantine,  il  lui  avait  supprimé  la 
pension  que  lui  servait  le  gouvernement  impérial.  Outré  de 
ces  procédés  d'une  brutalité  assurément  bien  impolitique. 


1.  Bell.  Vand.j  p.  502-503;  Hisi,  arcana,  p.  41. 

2.  Bell.  Vand.,  p.  503. 

3   W.,  p.  503-504; /oA.,  il,  28;  IV,  365-366. 


342  HISTOIRE   DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Antalasne  respirait  que  vengeance*;  aussi,  quand  il  apprit  le 
soulèvement  des  Levathes,  il  n'hésita  pas  à  prendre  les  armes  : 
appelant  à  lui  les  tribus  insurgées,  il  leur  montra  Tarmée 
grecque  affaiblie,  la  province  ouverte,  le  pillage  facile,  et  joi- 
gnant ses  propres  forces  à  celles  des  gens  de  la  Tripolitaine, 
il  se  mit  à  ravager  cruellement  tout  le  sud  de  la  Byzacène* 
(544). 

Les  circonstances  devenaient  graves  :  pour  résister  à  cette 
formidable  invasion,  Solomon  rassembla  en  hâte  toutes  les 
forces  disponibles  de  la  province.  Outre  Tarmée  régulière,  il 
croyait  pouvoir  compter  sur  une  partie  des  indigènes.  En 
Tripolilaine,  deux  grandes  tribus  avaient  refusé  de  s'associer 
à  la  révolte  et  mettaient  leurs  contingents  à  la  disposition  du 
patrice^;  dans  le  sud  de  la  Numidie,  Goutsina,  qui  avait  ou- 
blié ses  défaites  de  535  pour  devenir  Tallié  dévoué  des  Ro- 
mains, était  d'autant  plus  empressé  à  amener  ses  trente  mille 
cavaliers,  qu'il  se  sentait  directement  menacé  par  la  haine 
d'Antalas,  depuis  longtemps  soa  irréconciliable  ennemi\ 
Pour  faire  plus  rapidement  sa  jonction  avec  les  Berbères  de- 
meurés fidèles,  peut-être  aussi  pour  dégager  Goutsina  déjà 
attaqué%  Solomon  alla  s'établir  sur  les  frontières  de  la  Nu- 
midie  et  de  la  Byzacène,  dans  la  forte  position  de  Théveste  : 
il  y  trouva  Tennemi  en  masse  si  considérable,  que  d'abord,  se 
défiant  de  ses  troupes,  il  songea  à  négocier;  et,  pour  éviter  la 
bataille,  il  fit  offrir  aux  indigènes  une  amnistie  pleine  et  en- 
tière pour  leur  soulèvement*.  Ge  fut  en  vain  :  il  fallut  en  venir 
aux  armes.  Un  premier  engagement  fut  heureux;  on  reprit 
aux  rebelles  une  partie  de  leur  butin,  et  l'effet  de  ce  premier 
succès  fut  assez  considérable  pour  déterminer  Anlalas  abattre 


1.  Sur  la  rebka  ou  dette  du  sang,  voir  ïlanoteau  et  Letourneux,  /.  c,  III, 
p.  60-70. 

2.  Bell.   Vand,,  p.  503-504:  /o/*.,  III,  393-400. 

3.  Joh.,  m,  409-412. 

4.  ;d.,  III,  405-408. 

3.  Parisch,  /.  c,  xix. 
6.  BelL  Fanf/.,p.504. 


LA  CUISE  DES  ANNÉES  54-J-ii46  343 

en  retraite  vers  le  sud^  Solomon  se  mit  à  sa  poursuite  :  une 
seconde  et  plus  importante  bataille  s'engagea  dans  la  plaine 
de  CillJum»  L'armée  byzantine,  mécontente  de  son  général, 
qui,  quelques  jours  auparavant,  lui  avait  refusé  le  partage  des 
dépouilles,  saisit  avec  empressement  Toccasion  de  montrer 
son  indiscipline;  elle  se  battît  mal,  et  bientôt,  cédsoit  à  la 
masse  des  assaillants,  peut-être  aux  suggestions  de  quelques 
traîtres  ^,  elle  prit  la  fuite,  abandonnant  sur  le  terrain  ses 
armes,  ses  drapeaux  et  son  chef*  ;  en  même  temps  une  partie  des 
contingents  indigènes  passaient  à  l'ennemi*.  Vainement,  avec 
quelques  hommes,  Solomon  essaya  de  résister;  entraîné  dans 
la  déroule,  il  dut  à  son  tour  prendre  la  fuite.  Malheureusement, 
sur  le  bord  d'un  profond  ravin,  son  cheval  buta  et  s'abattit  : 
remis  en  selle,  mais  trop  cruellement  contusionné  pour  pou- 
voir poursuivre  sa  course,  le  patrice,  cerné  de  toutes  parts, 
malgré  l'héroïsme  de  ses  gardes  qui  se  firent  tuer  autour  de 
lui,  succomba  enfin  sous  les  coups  des  Berbères,  le  premier 
de  cette  longue  série  de  gouverneurs  militaires  de  l'Afrique 
byzantine,  glorieusement  tombés  [à  l'ennemi  pour  la  défense 
de  leur  province  (5t4). 


III 

Ce  grand  désastre  eulpourTAfriquedeterriblesconséquen- 
ces.  Tandis  que,  aux  extrémités  de  la  Maurélanie,  les  Wisi- 
goths,  reprenant  l'offensive,  franchissaient  le  détroit  de  Gadès 
et  assiégeaient  Septem  •,  les  cavaliers  berbères  de  leur  côté 
se  répandaient  à  travers  la  Byzacène  occidentale,  incendiant 

1.  Bell.  Vand.,  p.  503. 

2.  Vict.  Tonn.,  p.  201  (a.  543).  Cf.  Partsch,  p.  xïx-xx. 

3.  Joh.,  m,  428-435;  Bell.  Vand.,  p.  305. 

4.  Bell.   Vand.,  p.  505,  533. 
3.  Joh.,  III,  412-413. 

6.  Isidore  de  Séville,  Hist.  Golhorum  (éd.  Mommsen),  p.  284.  Cf.,  sur  cette 
intervention,  Bell.  Goth.,  p.  274,  et  sur  la  date,  Dohn,  Die  Kônige  der  Germa- 
neriy  V,  p.  121. 


344  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

et  pillant  tout  sur  leur  passage;  et  les  contingents  fidèles  eux- 
mêmes>  déliés  par  la  mort  de  Solomon  de  leurs  engagements, 
jugeaient  le  moment  opportun  pour  se  faire  leur  part  de 
butina  Contre  eux,  Tarmée  byzantine  démoralisée  par  sa 
défaite  et  la  perte  de  son  chef  demeurait  absolument  impuis- 
sante :  seules,  derrière  leurs  murailles,  les  villes  fortes 
firent  quelque  résistance  *.  Pourtant,  si  grave  que  fût  la  crise, 
le  mal  n'était  point  irréparable.  Antalas  déclarait  hautement 
qu'il  ne  faisait  pa§  la  guerre  à  Tempereur^;  les  autres  grands 
chefs  des  tribus  s'abstenaient  de  prendre  parti  dans  la  lutte; 
les  Levathes  eux-mêmes,  qui  avaient  donné  le  signal  du 
soulèvement  et  s'étaient  montrés  les  plus  acharnés  au  com- 
bat, aspiraient  à  regagner  leurs  campements  de  Tripolitaine  \ 
et  après  avoir  poussé  sur  la  route  de  Théveste  à  Carthage 
jusqu'au  pied  des  murailles  de  Laribus,  ils  s'arrêtaient  au  pre- 
mier obstacle  et  s'en  retournaient  chez  eux  mettre  en  sûreté 
leur  butin.  Enfin»  l'armée  des  Wisigoths,  cernée  sous  les  mors 
de  Septem,  subissait  un  grave  désastre ^  Il  n'était  donc  nulle- 
ment impossible^  au  moyen  de  quelques  concessions  habilement 
faites,  de  désarmer  l'insurrection.  Au  lieu  de  cela,  une  résolu- 
tion généreuse  mais  imprudente  de  Justinien  vint  aggraver  la 
situation  et  fit  éclater  la  crise.  Pour  honorer  la  mémoire  du 
général  si  vaillamment  tombé  à  Cillium,  l'empereur  ne  crut 
pouvoir  mieux  faire  que  de  lui  donner  pour  successeur  son 
neveu  Sergius*. 

Cette  nomination  produisit  dans  toute  l'Afrique  un  effet  déplo- 
rable \  Personne  n'était  plus  mal  fait  que  le  nouveau  patrice 
pour  réparer  les  maux  qui  accablaient  la  province.  Par  sa 
lâcheté  et  ses  habitudes  de  mollesse,  il  n'inspirait  aucune  con- 


1.  JoA.,  UI,  442,  454. 

2.  Bell.  Vand,,  p.  308.  Cf.  Joh.,  UI,  435-436. 

3.  Bell,  Vand.y  p.  506-507. 

4.  Id,,  p.  508. 

5.  Isidore  de  Séville,  l.  c,  p.  284. 

6.  Bell.  Vand,,  p. 506-507. 

7.  /d.,p.  506. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545-546  345 

fiance  aux  tronpes  qu'il  allait  commander  ;  par  son  insuppor- 
table arrogance,  il  allait  s'aliéner  bien  vile  les  officiers  qui 
servaient  sous  ses  ordres.  Les  populations  civiles  n'auguraient 
pas  mieus  d'un  débauché  également  avide  d'argent  et  de  plai* 
sir  :  quant  aux  indigènes,  ils  avaient  voué  une  irréconciliable 
haine  à  l'auteur  du  guet-apens  de  Leptis.  et  ils  déclaraient  hau- 
tement que  jamais  ils  ne  feraient  la  paix  avec  ce  traître  \  Aussi ^ 
à  la  nouvelle  du  choix  impérial,  l'insurrection  prit  de  nouvel- 
les forces  :  la  plupart  des  tribus  se  jetèrent  dans  le  soulève- 
ment, et  StotzaSy  qui  depuis  sept  ans  suivait  du  fond  de  la 
Maurétanie  les  événements  et  attendait  son  heure,  crut  le 
moment  venu  de  reparaître  en  Byzacène  *.  Avec  les  Vandales 
demeurés  fidèles  à  sa  fortune  et  un  gros  de  soldats  romains 
trop  compromis  jadis  pour  avoir  pu  se  soumettre^,  il  vint  re- 
joindre Antalas.  et  mettre  à  la  disposition  du  chef  berbère  son 
indomptable  énergie,  ses  connaissances  tactiques  et  Tappui 
de  ses  réguliers.  Pendant  ce  temps,  Sergius  se  brouillait  avec 
le  meilleur  des  officiers  de  l'armée  byzantine,  Jean,  fils  de 
Sisinniolus,  qui  semble  avoir  rempli  les  fonctions  de  magisler 
peditum  :  outré  de  Taffront  qui  lui  était  fait,  Jean  refusa  dé- 
sormais d'accepter  aucun  commandement,  et  comme  les  trou- 
pes hostiles  à  Sergius  s'empressèrent  de  prendre  parti  pour 
son  adversaire,  on  eut  le  spectacle  étonnant  et  jusque-là  in- 
connu d'une  armée  assistant,  volontairement  impassible,  à  la 
complète  dévastation  du  pays  *. 

On  était  au  commencement  de  545.  Encouragés  par  cette 
impunité  inattendue,  les  tribus  de  Tripolilanie,  les  Maures 
d'Antalas,  les  contingents  de  Stotzas  poussèrent,  incendiant 
et  pillant  toutsur  leur  route,  j usqu'aux  environs  d'IIadrumète  *. 
Ace  moment,  comprenant  enfin  la  grandeur  du  péril,  ému 
surtout  par  les  lamentations  des  populations  civiles  qui  lui  dc- 

1.  Bell.  Vand.,  p   507. 

2.  W.,  p.  506. 

3.  W.,  p.  523. 

4.  /d.,  p.  506. 

5.  Id.,  p.  50^. 


346  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

mandaient  appui,  Jean,  (ils  de  Sisinnioliis,  se  décida  —  un 
peu  tard  —  à  sortir  de  sa  longue  inaction.  Prenant  la  roule 
du  sud,  il  envoya  à  Himerius,  duc  de  Byzacène,  Tordre  de  le 
rejoindre  avec  toutes  ses  troupes 'dans  la  plaine  de  Mene- 
phcse,  à  quelque  distance  d^Hadrumète,  afin  de  marcher  de 
concert  àrennemi\  Malheureusement  il  se  trouva  que,  dans 
l'endroit  même  assigné  pour  le  rendez-vous,  étaient  campées 
toutes  les  forces  des  révoltés.  Himerius,  qui  Tignorait  et  qui 
ne  put  être  rejoint  à  temps  par  les  courriers  de  Jean  chargés 
de  lui  porter  contre-ordre,  vint  donner  en  plein,  avec  son  fai- 
ble détachement,  au  milieu  de  Tarmée  indigène.  Ce  fut  à  peine 
une  bataille*.  Abandonné  de  la  plupart  de  ses  troupes,  toutes 
prêtes  à  passer  au  parti  de  Stotzas,  le  duc,  après  un  court  com- 
bat, essaya  avec  quelques  officiers  et  un  escadron  de  cavalerie 
de  battre  en  retraite  et  chercha  un  refuge  dans  la  petite  re- 
doute de  Cebar',  construite  sur  une  colline  qui  dominait  la 
plaine  :  il  espérait  sans  doute  y  tenir  assez  longtemps  pour 
donner  au  magister  Jean  le  temps  d'accourir  à  son  aide.  Mais 
bientôt,  cerné  de  toutes  parts,  sentant  ses  soldats  ébranlés  par 
les  discours  de  Stotzas,  il  se  rendit  sous  promesse  de  la  vie^ 
C'était  !a  ruine  de  tous  les  projets  de  résistance;  l'armée  de 
Byzacène  n'existait  plus,  les  hommes  qui  la  composaient,  ses 
officiers  même  s'étaient  empressés  de  se  mettre  au  service  du 
vainqueur'  ;  peu  après  la  capitale  de  la  province  tombait  aux 
mains  des  Berbères,  le  duc  Himerius  ayant,  pour  sauver  sa 
personne,  consenti  à  se  prêter  à  une  ruse  qui  ouvrit  aux  re- 
belles les  portes  d'Hadrumète^  :  il  ne  restait  à  Jean  qu'à  battre 
en  retraite  vers  Carthage;  et  quoiqu'il  y  fût  bientôt  rejoint  par 


i.  Bell.  ran(/., p.  509.  Corrippus  prétend  qu'une  fausse  dépêche  futenToyée 
à  Himerius  par  Antalas,  afin  de  Tattirer  dans  le  gaet-apens  (7oA..  IV,  11-27). 
Sur  la  situation  deMenephese,  Tissot,  U,  p.  160-162. 

2.  BelL  Yand.,  p.  509-510  ;  Joh.,  IV,  27-48. 

Z.Joh.,  IV,  41. 

4.  /d.,  IV,  49-59. 

5.  Bell.  Kanrf.,  p.510. 

6.  W,  p. 510;  Joh,,  IV,  61. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545-546  :m 

les  débris  des  troupes  défaites  à  Menephesc,  et  dont  une  por- 
tion put  sans  grande  peine  s'échapper  du  camp  des  tribus*, 
cependant  si  nombreuses  étaient  les  défections,  si  faibles  et  si 
mal  sûres  les  forces  byzantines  disponibles,  qu'on  n'osa  se  ré- 
soudre à  tenir  la  campagne.  D'ailleurs,  de  nouveau  la  discorde 
régnait  dans  le  haut  commandement.  Jean,  de  nouveau  mé- 
content de  Sergius,  refusait  de  combattre*,  et  c'est  àTinitia- 
tive  ingénieuse  et  hardie  d'un  particulier  —  et  même  d'un 
ecclésiastique  —  que  fut  du  le  seul  succès  de  la  campagne,  la 
reprise  d'Hadrumète^.  L'épisode  est  trop  caractéristique  du 
désarroi  qui  régnait  alors  dans  l'Afrique  byzantine  pour  ne 
point  mériter  d'être  rapidement  raconté. 

Un  prêtre  de  la  ville  nommé  Paul,  voyant  la  faiblesse  de  la 
garnison  laissée  par  les  indigènes,  s'entendit  avec  quelques- 
uns  des  principaux  de  la  cité  pour  la  remettre  sous  l'aulorité 
impériale.  Une  nuit  donc,  il  se  fit,  à  l'aide  d'une  corde,  descen- 
dre du  haut  des  murailles,  et  se  jetant  dans  une  barque  de 
pêche  qu'il  trouva  au  rivage,  il  réussit  à  gagner  Carlhage. 
Admis  en  présence  de  Sergius,  il  lui  révéla  ses  projets,  l'assu- 
rant que  le  moindre  eiïort  militaire  suffirait  à  faire  tomber  la 
ville.  Tous  ses  arguments  ne  purent  avoir  raison  de  la  molle 
indifférence  du  patrice,  qui  prétendait  avoir  à  sa  disposition  à 
peine  assez  de  troupes  pour  garder  Carthage.  Finalement,  il 
consenlitpourtantàcounerau  prêtre  un  détachcmentde  quatre- 
vingts  soldats.  Paul  suppléaparla ruse  àTinsuffisance  de  ses  for- 
ces :  rassemblant  tous  les  vaisseaux  et  toutes  les  barques  qu'il 
put  trouver,  il  fit  revêtir  aux  matelots  l'uniforme  des  troupes 
régulières  et  avec  cette  escadre  improvisée  il  mit  à  la  voile. 
Arrivé  en  vue  d'Hadrumète,  il  fit  dire  sous  main  à  ses  amis 
qu*un  grand  événement  venait  de  se  produire  à  Carthage.  Ger~ 
raanos,le  neveu  de  l'empereur,  le  vainqueur  de  Cellas  Vatari, 
venait  d'y  débarquer  avec  une  puissante  armée,  et  tout  aus- 


1.  BelL  Vand.,  p   511;  Joh.,  IV,  65-74. 

2.  B«//.  Vand.j  p.  513.  Cf.  Joh.,  IV,  78-81. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  511-512;  /o/i.,  IV,  75-77. 


348  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

sitôt  il  avait  mis  en  route  ua  corps  de  troupes  pour  délivrer 
Hadrumëte.  Tel  était  le  prestige  de  Tancieu  gouverneur  géné- 
ral que  son  nom  seul  parut  un  gagede  salut  :  la  nuit  suivante, 
une  porte  de  la  ville  fut  ouverte  aux  impériaux»  la  garnison 
surprise  fut  massacrée  sans  peine,  la  ville  était  rendue  aux 
Byzantins.  Le  piquant  de  l'affaire,  c'est  que  le  faux  bruit  ré- 
pandu par  le  prêtre  Paul  gagna  de  proche  en  proche  :  à  cette 
nouvelle,  Ântalas  et  Stotzas  battirent  précipitamment  en  re- 
traite*, et  à  Carthage  mème^  où  pourtant  on  aurait  dû  savoir 
à  quoi  s'^n  tenir,  on  crut  un  moment,  à  l'annonce  du  succès 
d'Hadrumëte,  que  Germanos  était  vraiment  revenu.  Mais  ces 
joies  furent  de  courte  durée.  Bien  vite  rassurés,  les  Berbères 
revinrent  à  la  charge,  «  et  se  répandant  partout,  dit  Procope, 
ils  firent,  sans  même  avoir  d'égards  pour  l'âge,  subir  aux  Afri- 
cains les  plus  indignes  traitements.  Alors  la  plus  grande  par- 
tie des  campagnes  se  trouva  vide  d'habitants  ;  les  populations 
échappées  au  massacre  se  réfugièrent  partie  dans  les  villes, 
partie  en  Sicile  et  dans  les  îles;  la  plupart  des  personnages 
considérables  allèrent  chercher  asile  à  Byzance  ;  et  avec  une 
hardiesse  croissante,  comme  personne  ne  leur  faisait  résis- 
tance, les  Maures  ravageaient  et  pillaient  tout  »*. 

Il  n'y  aurait  en  qu'un  moyen  de  porter  remède  à  ces  mi- 
sères, et  Tépisode  d'Hadrumète  le  fait  aisément  pressentir. 
Il  eût  fallu  résolument  rappeler  Tincapable  et  détesté  Sergius 
et  mettre  à  sa  place  Jean,  fils  de  Sisinniolus,  le  seul  général 
de  l'armée  d^Afrique  qui  inspirât  quelque  confiance  aux 
troupes  et  quelque  crainte  aux  Berbères^.  Justinien  ne  lit  ni 
l'un  ni  l'autre.  Tout  en  comprenant  que  Sergius  était  au- 
dessous  de  sa  tâche,  il  ne  put  se  résoudre  à  le  destituer;  il 
se  contenta  de  lui  donner  un  collègue,  et  par  une  inspiration 
des  plus  malencontreuses,  il  choisit  pour  cet  emploi  le  séna- 
teur Aréobinde,qui  avait  épousé  Préjecta, nièce  de  l'empereur*. 

1.  Bell.  Vand.,  p    312. 

2.  7c/.,  p.  512. 

3.  W.,  p.  513. 

4.  /rf.,  p.5l3. 


LA  CUISE  DES  ANNÉES  5io-346  349 

Le  prince  espérait-il  que  celle  haute  parenté  donnerait  à 
Aréobinde  quelque  autorilé  sur  Sergius  et  que  le  jeune  patrice 
témoignerait  une  certaine  déférence  aux  conseils  de  son  impor- 
tant collègue  ?En  tout  cas,  Juslinien  ne  se  préoccupa  nullement 
de  régler  nettement  les  rapports  des  deux  chefs.  Tous  deux 
furent  égaux  en  pouvoir  et  parfaitement  indépendants  l'un  de 
Tautre  :  entre  eux,  également  on  partagea  les  provinces  et 
l'armée;  la  seule  précaution  que  prit  le  prince  fut  d'assigner 
à  Sergius  le  soin  de  conduire  la  guerre  en  Numidie  ;  les  opé- 
rations militaires  en  Byzacène  furent  réservées  à  Aréobinde, 
nouveau  venu  dans  le  pays,  et  qui  n'était  point,  comme  Ser- 
gius, irrémédiablement  compromis  aux  yeux  des  indigènes*. 
Il  était  convenu  en  outre  qu'en  cas  de  besoin,  les  deux  géné- 
raux se  prêteraient  un  appui  réciproque;  mais,  malgré  cette 
réserve,  d'ailleurs  fort  peu  suivie  d'effet,  c'était  bien  mal  à 
propos  énerver  les  ressources  de  la  défense  que  d'ajouter  à 
toutes  les  causes  de  faiblesse  qui  ruinaient  l'Afrique  un  nou- 
vel élément  de  discordes  et  de  rivalités. 

On  s'en  aperçut  sans  tarder.  Sans  doute^  à  la  nouvelle  de 
l'arrivée  d'Aréobinde  et  des  renforts  qui  l'accompagnaient,  les 
Levathes,  pris  de  terreur,  battirent  d'abord  en  retraite*.  Mais 
bientôt  la  mésintelligence  avérée  des  deux  chefs  rendit  cou- 
rage aux  rebelles;  et,  poussant  jusque  dans  la  Proconsulaire, 
les  Berbères^  comme  s'ils  voulaient  couper  l'une  de  l'autre  les 
deux  armées  byzantines,  vinrent  camper  aux  approches  de 
Sicca  Veneria^.  L'occasion  était  favorable  pour  les  prendre 
entre  deux  adversaires.  Aussi  Aréobinde  mit-il  aussitôt  en 
route  l'élite  de  ses  troupes,  sous  les  ordres  de  son  meilleur 
général,  Jean,  fils  de  Sisinniolus;  en  même  temps,  il  priait 
Sergius  de  combiner  ses  mouvements  avec  ceux  du  corps  de 
Byzacène.  Mais  le  patrice,  trop  heureux  de  prendre  sa  revanche 
sur  un  rival  détesté,  n'eut  garde  de  bouger,  et  Jean,  déjà  trop 
engagé,  sévit,  malgré  l'infériorité  de  ses  troupes,  obligé  d'ac- 

1.  BelL  Vnnd.,  p.  513. 

2.  JoA.,  IV,  82-85. 

3.  Beli.  Vand.,  p.  513;  JoA.,  IV,  99-102. 


350  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

cepter  la  bataille*.  Elle  se  donna  près  de  Thacia  (Bordj-Mes- 
saoudi),  sur  la  roule  de  Sicca  à  CarthageV  Malgré  la  faiblesse 
de  Tarmée  byzantine,  elle  commençait  heureusement,  lorsque 
Stotzas,  avec  ses  réguliers,  réussit  à  rétablir  la  lutte;  en  vain» 
dans  un  combat  singulier,  Jean  lui-même  attaqua  et  blessa  à 
mort  le  vieux  rebelle  :  la  chute  de  leur  chef  ne  fit  qu'exciter 
davantage  la  rage  des  insurgés,  et  cédant  sous  le  nombre,  la 
cavalerie  byzantine  se  laissa  enfoncer.  Jean,  désespéré^  souhai- 
tant mourir,  essaya  vainement  de  ramener  ses  soldats;  entraîné 
dans  la  déroute^  il  périt  comme  Solomon  était  mort  àCillium. 
En  voulant  franchir  un  raviu,  son  cheval  s'abattit  :  démonté, 
cerné  par  Tennemi,  il  succomba  avec  ses  officiers  et  les  gardes 
demeurés  fidèles  à  sa  fortune.  Seules,  à  force  d'audace^  quelques 
troupes  réussirent  à  se  frayer  passage;  c'était  pour  Tarmée 
byzantine  un  nouveau  et  complet  désastre  (fin  de  545). 

Cette  fois  les  inconvénients  du  commandement  partagé 
n'avaient  que  trop  clairement  apparu  :  l'empereur  se  décida 
enfin  à  rappeler  Sergius,  dont  la  coupable  inaction  avait  été 
d'ailleurs  la  cause  principale  de  la  défaite.  On  se  contenta 
cependant  de  faire  passer  le  patrice  à  Tarmée  dltalie,  et,  chose 
prodigieuse  en  un  pareil  moment,  alors  que  Tennemi  victo- 
rieux était  à  moins  de  cent  milles  de  Carlhage,  on  diminua 
encore  les  faibles  effectifs  de  Tarrnée  d'Afrique^  pour  donner  à 
Sergius  quelques  troupes  à  conduire  en  Italie^  ;  il  est  vrai  qu'à 
ce  moment  même  (commencement  de  546)  S  Totila  était  aux 
portes  de  Rome. En  Afrique,  on  comptait  que  la  mort  de  Stotzas, 
abattant  le  courage  des  insurgés,  rendrait  plus  facile  la  tàcl^ 
d'Aréobinde,  nommé  par  Justinien  au  gouvernement  général 
de  la  province. 

1    Bell.  Vand.i  p.  514.  Corippus  parle  d'uu  premier  engagement  avaai  la 
bataille  de  Thacia  (Jo A.,  IV,  103-106). 

2.  Vict.  ToDD.,  p.  201  (anD.  545).  Cf.  Partsch,  p.  xxi.  Sur  remplacement,  Tis- 
sot,  n,  354:  sur  la  bataille,  Bell.  Vand,,p.  51i-51o  ;  Joh.,  IV,  103-203. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  515  ;  Be/^  Go/A.,p.391. 

4.  Sur  la  chronologie  des  années  545-546,  cf.  Partsch,  /.  c,  p.  nnr-xxv. 


LA  GRI5E  DES  ANNÉES  545-546  351 


IV 


Malheureusement,  le  nouveau  commandant  en  chef  était, 
moins  encore  que  Sergius,  capable  de  suffire  aux  lourdes  res- 
ponsabilités qui  lui  incombaient.  Ne  devant  sa  haute  dignité 
qu'à  la  proche  parenté  qui  l'unissait  àTempereur,  il  étaitpour 
tout  le  reste  parfaitement  médiocre*.  Ce  général  d'armée  n'a- 
vait jamais  vu  la  guerre  :  quand  il  fallait  revêtir  le  costume 
militaire,  il  s'embarrassait  au  milieu  de  ses  armes;  il  pâlis- 
sait à  la  vue  du  sang^  et  sa  pusillanimité  trop  connue  le  dé- 
considérait auK  yeux  des  soldats.  Avec  cela  sans  fermeté 
morale,  sans  décision^  sans  expérience,  il  hésitait  au  lieu  de 
prendre  parti,  discutait  au  lieu  d'agir,  négociait  au  lieu  de 
sévir,  et  à  la  première  difficulté,  perdait  courage;  s' aban- 
donnant lui-même,  paralysé  par  la  peur,  il  ne  songeait  qu'à 
chercher  son  salut  dans  la  fuite  ou  à  assurer  par  des  larmes 
stériles  sa  sécurité  et  sa  vie.  Ce  n'était  guère  l'homme  qu'il 
fallait  pour  combattre  une  insurrection  générale  et  maintenir 
quelque  discipline  dans  une  armée  chaque  jour  plus  démora- 
lisée. Enfin  le  malheureux,  incapable  de  rien  résoudre  par 
lui-même,  devenait  la  proie  facile  de  tous  les  intrigants  qui 
s'agitaient  autour  de  lui;  et,  dans  son  inexpérience  des 
hommes,  il  demandait  naïvement  conseil  et  faisait  ses  confi- 
dences les  plus  secrètes  à  ceux-là  mêmes  qui  n'épargnaient 
rien  pour  le  compromettre  et  le  renverser*. 

D'ailleurs  la  situation  s'aggravait  de  jour  en  jour.  Antalas 
continuait  à  tenir  la  campagne;  à  la  tête  des  bandes  de  Sto- 
tzas,  un  autre  chef  avait  remplacé  le  rebelle  tué  à  Thacia'  ; 
pour  surcroit  de  misère,  l'insurrection  gagnait  la  Numidie.  Les 
grands  chefs  de  cette  région,  demeurés  jusque-là  indifférents 
à  la  lutte  ou  même  favorables  à  la  cause  byzantine,  prenaient 
maintenant  les  armes\  Coutsina  et  labdas,  le  grand  roi  de 

1.  Bell.  Vand,  p.  513,  518-519,  520. 

2.  /rf.,  p.  517-518. 

3.  MarcelliDUs  com.,  ann.  545,  p.  107* 

4.  Bell.  Vand.,  p.  513. 


352  inSTOIKE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

l'AurëSy  réuaissaient  leurs  forces  et  faisaient  leur  joaction 
avec  les  insurgés  de  Byzacène.  En  même  temps,  l'armée 
grecque,  mal  payée,  mécontente,  se  défiant  d'un  chef  inca- 
pable dont  elle  craignait  d'être  abandonnée,  s'agitait  sourde- 
ment \  et  dans  le  désarroi  général,  les  officiers,  désireux  de 
parvenir,  croyaient  le  moment  venu  pour  se  tailler  en  Afrique 
quelque  principauté  indépendante.  Parmi  eux,  le  plus  redou- 
table était  Guntarith,  le  duc  de  Numidie.  Ancien  lieutenant 
de  Solomon,  il  avait  en  539  pris  part  à  l'expédition  de  TAurès'; 
plus  récemment,  à  la  bataille  de  Gillium,son  attitude  ambiguë 
et  sa  fuite  un  peu  prompte  l'avaient  fait,  non  sans  raison^ 
soupçonner  de  quelque  trahison'.  Ambitieux  sans  scrupules, 
capable  de  tout  oser,  mais  assez  habile  d'autre  part  pour  ne 
point  se  compromettre  trop  ouvertement,  depuis  quelque 
temps  déjà  il  préparait  les  voies  à  sa  fortune.  Il  avait  profité 
de  son  commandement  en  Numidie  pour  se  mettre  en  relation 
avec  les  grands  chefs  du  pays,  et  c'était  sur  ses  conseils 
qulabdas  et  Coutsina  s'étaient  joints  à  Antalas  pour  marcher 
surGarlhage\  Mais  d'autre  part,  et  malgré  les  négociations 
qu'il  conduisait  sous  main  avec  les  Berbères,  Guntarilh  affec- 
tait de  demeurer  fidèle  à  l'empire,  et  d'obéir  avec  empresse- 
ment aux  ordres  d'Aréobinde';  fort  habilement  il  s'insinuait 
dans  la  confiance  du  patrice,  conseillant  sesdémarches,  rece- 
vant ses  confidences  et  en  tirant,  selon  le  cas,  le  parti  qui  con- 
venait le  mieux  à  ses  intérêts  particuliers*.  Le  duc  de  Numidie 
nourrissait  en  effet  des  desseins  assez  compliqués  ;  il  voulait 
arriver,  mais  sans  le  secours  d'une  révolution  \  Il  se  conten- 
tait donc  de  déchaîner  la  tempête,  espérant  bien  qu'Aréobinde 
ne  saurait  ni  ne  voudrait  y  résister;  il  n'épargnait  rien  pour 


1.  BelL  Fa/id.,p.  320. 

2.  Id,  p.  494. 

3.  Joh,,  m,  428. 

4.  Bell.  Vand.,  p.  515. 

5.  7d.,p.  516. 

6.  7d.,  p.  517-518. 

7.  Id.,  p.  518. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545-546  353 

la  rendre  menaçante,  empêchant  sous  d*ingénieux  prétextes 
tout  engagement  décisif  qui  aurait  pu  être  désastreux  pour 
les  Maures*;  il  usait  de  son  influence  sur  le  patrice  pour  le 
compromettre  ou  Tépouvanter;  et,  quand  le  moment  serait 
venu,  quand  le  faible  Aréobinde  aurait  vidé  la  place,  lui-même 
comptait  apparaître  comme  le  sauveur  de  l'Afrique  et  méri- 
ter de  la  reconnaissance  impériale  le  pouvoir  qu'il  convoitait*. 
D'ailleurs,  persuadé  que  deux  sûretés  valent  mieux  qu'une, 
secrètement  il  concluait  d'autre  part  un  engagement  particu- 
lier avec  Antalas';  il  promettait  au  chef  berbère  de  lui  aban- 
donner la  Byzacène,  de  lui  donner  la  moitié  du  trésor  d'Aréo- 
bindc^  de  mettre  à  sa  disposition  i.SOO  hommes  de  l'armée 
régulière,  qui  feraient  de  lui  le  plus  puissant  des  rois  indi- 
gènes; à  lui-même  il  réservait  Carthage,  le  reste  de  l'Afrique 
et  le  titre  de  roi.  Se  croyant  ainsi  assuré  des  deuxcôtés^  il 
laissa  aller  les  événements. 

A  la  nouvelle  de  l'insurrection  générale,  le  malheureux 
gouverneur  perdit  la  tête.  Partout  il  ordonna  à  ses  troupes  de 
battre  en  retraite  :  la  Numidie  fut  évacuée  tout  entière  ;  en 
Byzacène,  on  se  replia  en  toute  hâte  vers  la  côte,  se  conten- 
tant de  garder  quelques  places  sur  le  littoral;  abandonnant  le 
pays,  toutes  les  troupes  disponibles  se  concentrèrent  sous  les 
murs  de  Carthage,  où  Aréobinde  comptait  tenter  un  suprême 
effort*.  Toutefois  il  n'était  pas  si  oublieux  des  vieilles  tradi- 
tions de  la  diplomatie  byzantine  qu'il  ne  cherchât  par  ses  in- 
trigues à  semer  la  division  parmi  ses  ennemis.  Goutsina,  le 
vieil  allié  de  Solomon,  détestait  trop  An talas  pour  n'être  point 
disposé  à  le  trahir,  et  en  effet,  il  accueillit  bien  les  ouvertures 
du  patrice'.  Malheureusement  Aréobinde,  entièrement  tombé 
sous  l'influence  de  Guntarith,  s'empressa  de  le  mettre  au 
courant  de  la  négociation  :  celui-ci  se  hâta  d'avertir  Antalas 

i.Bell.  Vand,,  p.  517. 

2.  Id.,  p.  518. 

3.  /d.,  p.  516.  Cf.  sur  Guntarith  Joh.,  IV,  222-230. 

4.  Bell.  Vand.,  p.  515,  523. 

5.  W.,  p.  517. 

I.  33 


354  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

et  le  projet  ainsi  éventé  demeura  sans  résultat.  Entre  temps, 
les  Berbères  apparaissaient  sous  les  murailles  de  Carthage*. 
Guntarith,  rendu  plus  hardi  par  leur  approche,  résolut  d'en 
finir.  Il  détermina  Aréobinde  à  risquer  une  grande  bataille, 
pensant  que  dans  la  mêlée  il  serait  facile  de  faire  disparaître 
le  commandant  en  chef^  ;  mais  le  hasard  ayant  relardé  la  sor- 
tie, le  duc  de  Numidie  se  crut  découvert  et  hardiment  il  leva 
le  masque. 

Le  lendemain,  il  ordonna  d'ouvrir  la  porte  dont  il  avait  la 
garde,  comptant,  par  cette  trahison  déclarée,  épouvanter  assez 
le  gouverneur  pour  le  décider  à  prendre  la  fuite  :  et  en  effet, 
ajoute  Procope,  la  manœuvre  eût  réussi,  si  une  violente  tem- 
pête n'avait  empêché  Aréobinde  de  s'embarquer*.  En  même 
temps,  Guntarith  soulevait  les  soldats,  leur  rappelant  les 
retards  de  la  solde,  la  lâcheté  du  patrice,  tout  prêt,  disait-il, 
à  les  laisser  sans  ressources  en  présence  de  l'ennemi  ;  et  comme 
une  partie  des  troupes  Tacclamait,  résolument  il  se  proclama 
leur  chef.  Cependant  Aréobinde  tenait  conseil,  hésitait,  en- 
voyait des  émissaires  pour  bien  s'assurer  des  intentions  de 
Guntarith.  Lorsque  enfin  il  se  décida  à  marcher  contre  le 
rebelle,  il  était  déjà  bien  tard.  Pourtant  tout  pouvait  encore 
se  réparer;  une  grande  partie  de  i'armée  demeurait  fidèle  *  :  la 
faiblesse  d'Aréobinde  acheva  de  tout  perdre.  Dès  les  premiers 
coups  portés,  il  s'affola,  prit  la  fuite,  alla  chercher  asile  dans 
le  couvent  fortifié  qui  dominait  le  Mandrakion.  Alors  Gunta- 
rith, facilement  victorieux  d'un  adversaire  qui  s'abandonnait, 
prit  possession  du  palais,  fit  occuper  fortement  les  portes  de 
la  ville  et  le  port.  La  révolution  était  consommée. 

Il  restait  à  se  débarrasser  d' Aréobinde.  Par  l'intermédiaire 
de  Reparatus,  l'évêque  de  Carthage,  Guntarith  lui  fit  pro- 
mettre que,  s'il  voulait  se  rendre  à  discrétion,  il  aurait  la  yîe 
sauve;  que^  si  au  contraire  il  tentait  la  moindre  résistance, 

1.  BelL  Vand  ,  p.  518. 

2.  /d,  p.  518. 

3.  Id.,  p.  518-520. 

4.  Id.,  p.  520. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545-346  :Joo 

sa  mort  était  assurée*.  Pour  préserver  sa  tète,  le  patrice  pro- 
mit tout  ce  qu'on  voulut,  et  confiant  dans  la  parole  de  l'évèque 
qui  s'engagea  à  lui  par  les  serments  les  plus  solennels,  il  vint 
en  suppliant  se  jeter  aux  genoux  de  Guntarith  :  dans  son 
épouvante,  il  avait  poussé  Toubli  de  sa  dignité  jusqu'à  dépo- 
ser le  costume  officiel^  insigne  de  son  ancienne  charge.  Gun- 
tarith le  rassura,  lui  affirma  que  dès  le  lendemain  il  pourrait 
s'embarquer  avec  sa  femme  et  ses  trésors,  et  l'invita  à  souper 
avec  lui.  Mais  le  soir,  il  le  retint  au  palais  et  le  fit  pendant  la 
nuit  massacrer  par  ses  soldats  (mars  546)*. 


Cette  fois,  l'Afrique  semblait  bien  perdue  pour  Byzance. 
Dans  Carthage,  Guntarith  régnait  en  maître,  et  pour  rehaus- 
ser le  prestige  de  son  autorité,  il  songeait  à  épouser  la  veuve 
d'Aréobinde,  Préjecla,  qui  était,  on  le  sait,  nièce  de  Justi- 
nien*.  Autour  de  Tusurpateur,  un  parti  assez  nombreux,  hos- 
tile à  la  domination  impériale,  encourageait  ses  projets  ^  et  le 
poussait  à  des  rigueurs  qui  devaient  rendre  tout  arrangement 
impossible;  aussi  les  exécutions  se  multipliaient  par  la  ville"; 
quiconque  paraissait  suspect  était  condamné  à  mort,  et  déjà 
Ton  songeait,  par  mesure  générale,  à  faire  massacrer  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  Grecs  à  Carthage*.  Bref,  suivant  l'expression 
de  Procope,  tous  les  résultats  des  victoires  de  Bélisaire 
«  étaient  aussi  complètement  anéantis  que  s'ils  n'avaient  ja- 
mais existé  »''.  Toutefois  une  portion  de  l'armée  était  demeu- 

1.  Bell.  Vand,,  p.  521.  Plus  tard,  en  551,  l'évêque  Reparatus  fut  accusé  à 
Constaatinople  d*ayoir  contribaé  au  meurtre  d'Aréobinde  (Hardouin,  III, 
p.  48). 

2.  Bell.  Vand.,  p.  521-522. 

3.  Id.,  p.  523. 

4.  Id.,  p.  525. 
3.  /d.,  p.  527. 

6.  W.,  p.  527. 

7.  Id..  p.  524. 


356         HISTOIRE  DE  LÀ  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

rée  fidèle  à  la  cause  impériale  :  le  duc  de  Byzacène,  Marcen- 
lios  et  les  troupes  qui  formaient  la  garnison  d'Hadrumëte, 
refusaient  ouvertement  de  se  soumettre  à  Guntarith^;  à  Car- 
thage  même,  beaucoup  d*officiers  et  de  soldats  n'avaient  qu*à 
contre-cœur  accepté  le  fait  accompli '.  Les  régiments  armé- 
niens en  particulier  qui,  presque  seuls  avaient  combattu  pour 
le  gouverneur,  étaient  mal  disposés  pour  l'usurpateur;  les 
anciens  lieutenants  de  Solomon,  les  anciens  gardes  du  corps 
d'Aréobinde  ne  lui  étaient  pas  plus  dévoués.  Enfin  Ântalas,  à 
qui  Guntarith  s'était  contenté  d'envoyer  pour  prix  de  ses 
services  la  tète  coupée  du  patrice,  se  défiait  avec  quelque 
raison  d'un  allié  si  prompt  à  trahir  ses  promesses,  et  déçu 
dans  ses  espérances^  il  songeait  à  revenir  au  parti  de  Tempire  '. 
Pourgroupertousces  mécontentements,  il  suffisait  d'un  chef: 
il  se  trouva  dans  la  personne  d'Artabane^  le  commandant  d*un 
des  régiments  arméniens. 

C'était  un  homme  de  haute  naissance,  apparenté  à  la  famille 
royale  des  Arsacides;  après  avoir  non  sans  éclat  combattu 
dans  les  rangs  des  Perses,  il  était  venu  ensuite  avec  un  certain 
nombre  de  ses  compatriotes  prendre  service  dans  l'armée 
byzantine,  et  en  545,  il  avait  accompagné  Aréobinde  en 
Afrique^.  Beau  garçon  et  brillant  soldat^  d'bumeur  généreuse 
et  d'esprit  résolu,  il  était  bien  vite  devenu  populaire  dans 
toute  l'armée  :  ses  hommes  en  particulier  l'adoraient  et  lui 
étaient  entièrement  dévoués*.  Fermement  attaché  au  parti  de 
l'empire,  il  avait  été  un  des  derniers  à  faire  sa  soumission  à 
Guntarith  %  et  déjà  il  rêvait  au  moyen  de  renverser  l'usur- 
pateur et  de  restaurer  en  Afrique  l'autorité  de  Justinien\  £n 


1.  Bell.  Vand,,  p.  523. 

2.  Id.,  p.  520,  528,  531,  532. 

3.  Id.,  p.  523. 

4.  Sur   ArUbane,  Bell,   Foncf.,  p.   524;  B;^.   Pers,,   p.  162;  Beli,  Goth,^ 
p.  405-407, 

5.  Bell.  Vand.,  p.  528. 

6.  Id.,  p.  523. 

7.  Id.,  p.  526. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545  546  357 

outre,  il  n^éiait  point  insensible  au  sort  de  Préjecta,  soit  qu'un 
dévouement  chevaleresque  rattachât  à  cette  princesse,  soit 
plutôt  qu'il  espérât  tirer  avantage  des  services  quMI  pour- 
rait lui  rendre  ;  enfin  il  était  peut-être  encouragé  dans  ses 
desseins  par  le  préfet  du*  prétoire^  Athanase,  un  fin  et  rusé 
diplomate,  qui  avait  réussi  par  ses  flatteries  et  sa  prompte 
soumission  à  éviter  le  sort  d'Aréobinde,  mais  qui  demeurait 
secrètement  tout  dévoué  à  Justinien*. 

Artabane  pourtant  ne  laissait  pas  d'être  embarrassé.  Antalas 
venait  de  se  déclarer  contre  l'usurpateur,  et  à  son  appel  M ar- 
centios,  le  duc  de  Byzacëne,  était  venu  dans  le  camp  berbère 
seconder  le  roi  de  ses  conseils.  Fallait-il  prendre  ouvertement 
parti  et  rejoindre  à  Hadrumëte  Tarmée  impériale?  Valait-il' 
mieux  garder  à  Guntaritb  une  fidélité  apparente,  et  se  défaire 
de  lui  au  moment  opportun  par  un  assassinat?  Artabane  crut 
qu'une  conspiration  le  mènerait  plus  sûrement  à  son  but,  et 
pour  mieux  donner  le  change,  il  accepta  même  le  commande- 
ment de  l'expédition  chargée  de  combattre  Antalas'.  Les  troupes 
de  Guntarith  s'étaient  grossies  des  anciennes  bandes  de 
Stotzas  et  des  contingents  berbères  de  Coutsina,  définitive- 
ment brouillé  avec  Antalas  :  à  la  tète  de  cette  armée  composite, 
l'Arménien  se  miten  route.  Mais  il  eut  grand  soin,  sousd'habiles 
prétextes,  de  ne  point  trop  presser  les  impériaux  :  en  même 
temps,  il  négociait  sous  main  avec  Antalas,  et  pour  mieux 
l'attacher  au  parti  de  Byzance,  il  lui  renouvelait  sans  doute 
les  promesses  jadis  faites  par  l'usurpateur'.  Puis  alléguant 
que  ses  forces  étaient  insuffisantes,  il  rentra  à  Garthage  et 
acheva  de  préparer,  la  conspiration.  Peu  de  jours  après,  dans 
un  grand  Joanquet  qu'il  offrait  aux  chefs  de  l'armée,  Gunta- 
rith tombait  sous  l'épée  des  conjurés;  et  à  la  nouvelle  de  sa 
morty  le  parti  impérial,  relevant  la  tête,  massacrait  par  la  ville 


1.  Bell.  Vand.,  p.  521;  /oA.,  IV,  232-240,  qui  lui  fait  la  part  trop  belle.  Cf. 
Partoch,  /.  c,  p.  xzu-xxiir. 

2.  BelL  Vand,,  p.  525-526. 

3.  Cf.  Partich,  /.  c,  p.  xxin;  Joh,,  IV,  367-369. 


358  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

OU  arrêtait  les  principaux  de  ses  partisans  ^  Le  règne  du  tyran 
avait  duré  trente-six  jours  (mai  546). 

L'administration  byzantine  se  reconstitua  tout  aussitôt.  Le 
préfet  du  prétoire  Athanase  reprit  la  direction  de  son  dépar- 
tement. Le  commandement  militaire  de  la  province  fut  attri- 
bué avec  empressement  par  la  reconnaissance  de  Tempereur 
à  Tofficier  dont  le  dévouement,  Thabileté  et  le  courage  avaient 
restauré  à  Carthage  l'autorité  de  Justinien  '.  Tout  réussissait 
à  la  fois  à  Taudacieux  Arménien.  Préjecta,  heureuse  de  voir 
vengée  la  mort  d*Aréobinde,  plus  heureuse  encore  d'échapper 
à  Guntarith^  ne  savait  comment  marquer  sa  reconnaissance 
à  son  libérateur;  dès  le  lendemain  de  l'événement,  elle  l'avait 
comblé  de  richesses  ^  ;  maintenant  elle  pensait  à  l'épouser,  et 
formellement  lui  promettait  sa  main  ^.  Artabane,  grisé  de  sa 
fortune,  se  voyant  déjà  parent  de  l'empereur,  et  presque  sur 
les  marches  du  trône,  oubliait  dans  son  enivrement  tout  ce 
qui  pouvait  faire  obstacle  à  cette  alliance,  et  eu  particulier, 
la  femme,  répudiée  par  lui,  mais  encore  vivante,  qu'il  avait 
épousée  jadis  en  Arménie.  Le  roman  eut  d'ailleurs  un  dénoue- 
ment assez  singulier.  Préjecta,  après  la  chute  de  Guntarith, 
retourna  à  Gonstantinople  :  dès  lors^  Artabane  ne  voulut  plus 
rester  à  Carthage.  Pour  se  rapprocher  de  sa  fiancée,  il  de- 
manda sous  divers  prétextes  d'être  relevé  de  son  commande- 
ment. Justinien  y  consentit  avec  bienveillance,  et  pour  mieux 
prouver  à  l'Arménien  sa  faveur,  il  le  nomma  aux  hautes  di- 
gnités de  magister  militum  praesentalis  —  l'emploi  le  plus 
élevé  de  la  hiérarchie  militaire  —  et  de  cornes  foederatorum^ ^  et 
joignit  à  ces  charges  le  titre  de  consul.  Là  s'arrêta  pourtant 
la  fortune  d' Artabane  :  Thostilité  de  Timpératrice  Théodora 
ruina  son  romanesque  mariage  ;  bon  gré,  mal  gré,  il  dut  re- 


1.  Bell.  Vand.,  p.  527-532. 

2.  Id.,  p.  533;  Bell.  Golh,,  p.  406. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  533. 

4.  Bell,  Goth.,  p.  405-406. 

5.  Id,,  p.  406.  Sur  ces  dignités,  cf.  MommseQ  (Hermès,  XXIV). 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  545-546  359 

prendre  sa  femme,  pendant  que  Préjecla  épousait  un  grand 
personnage  de  la  cour. 

En  Afrique  cependant,  la  situation  demeurait  très  grave. 
Sans  doute  pour  écarter  de  nouvelles  causes  de  troubles, 
Artabane  avait  fait  déporter  à  Byzance  les  débris  des  ancien- 
nes bandes  de  Stotzas  et  leur  chef,  tombé  aux  mains  des  im- 
périaux dans  la  catastrophe  de  Guntarith*;  sans  doute,  il 
paraît  même,  par  des  négociations  heureuses,  avoir  réussi  à 
regagner  quelques-uns  des  grands  chefs  indigènes.  La  pro- 
vince n'en  demeurait  pas  moins  dans  un  état  lamentable. 
Durant  ces  deux  années  de  guerres  presque  constantes,  la 
contrée  avait  été  épouvantablement  ravagée*.  Dans  les  cam- 
pagnes désertes,  les  villages  dévastés  ou  abandonnés,  les 
églises  ruinées,  les  fermes  incendiées,  les  moissons  brûlées  et 
détruites  attestaient  éloquemment  le  passage  des  indigènes  :  et 
non  seulement  l'intérieur  du  pays,  mais  la  région  du  littoral 
même  avait  cruellement  souffert  de  l'invasion '.  Une  partie 
des  habitants  avaient  péri  sous  Tépée  des  Berbères;  d'autres 
plus  nombreux  encore,  avaient  été  réduits  en  esclavage  et 
traînés  captifs  à  la  suite  des  tribus  insurgées*;  le  reste,  pour 
échapper  au  massacre  ou  à  la  servitude,  avait  cherché  un 
refuge  derrière  les  murailles  des  forteresses,  ou  bien  s'expa- 
triant  était  allé  demander  en  Sicile  ou  jusqu'à  Byzance,  une 
sécurité  que  la  province  semblait  ne  devoir  jamais  plus  offrir  ^ 
Suivant  Ténergique  expression  de  Corippus,  «  l'Afrique  fu- 
mante s'abîmait  dans  les  flammes  ».  Les  villes  elles-mêmes, 
menacées,  bloquées  par  les  indigènes',  parfois  surprises  et 
pillées,  voyaient  diminuer  leur  population  dans  des  propor- 
tions énormes,  et  l'Afrique,  dépeuplée,  appauvrie,  épuisée', 
semblait  impuissante  à  réparer  ses  désastres. 

1.  Bell,  Vand.,  p.  532;  Marcell.  coin.,  ann.  547,  p.  108. 

2.  Cf.  Joh.,  I,  28-47,  323-349. 

3.  /rf.,  II,  1. 

4.  Id.,  Il,  295-296,  331-332. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  512. 

6.  Joh.,  II,  3;  1,  408-412. 

7.  Bell.  Vand.y  p.  534. 


360  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

L'armée  affaiblie  par  de  nombreuses  défaites  et  bien  plus 
encore  par  ses  luttes  intestines  était  réduite  à  des  effectifs  fort 
peu  considérables;  et  elle  paraissait  à  peu  près  incapable  de 
faire  le  grand  effort  nécessaire  pour  sauver  le  pays  et  proté- 
ger les  populations.  Le  départ  d'Artabane  la  privait  du  seul 
général  de  valeur  qu'elle  conservât  encore,  après  les  luttes 
qui,  en  ces  dernières  années,  lui  avaient  successivement  en- 
levé ses  meilleurs  chefs.  En  face  d'elle,  les  tribus  soulevées 
continuaient  à  couvrir  le  pays.  Antalas,  un  moment  revenu 
aux  Byzantins,  se  plaignait  maintenant  de  n'avoir  obtenu  au- 
cun des  avantages  promis  et  d'avoir  été  trompé  par  Artabane, 
comme  il  avait  été  déçu  par  GuntarithS  et  de  nouveau  il 
tenait  la  campagne,  poussant  Taudace  jusqu'à  assiéger  les 
forteresses  du  littoral.  Les  tribus  de  la  Tripolitaine  n'avaient 
point  désarmé.  labdas  refusait  tout  accommodement'.  11  était 
grand  temps  qu'un  général  énergique  vint^  avec  une  armée 
nouvelle,  rendre  la  paix  au  pays,  et  rétablir  par  des  succès 
décisifs  l'œuvre  profondément  compromise  de  Bélisaire  et  de 
Solomon. 

On  se  demandera  même,  en  considérant  cette  situation 
presque  désespérée,  en  se  rappelant  les  épisodes  lamentables 
qui  remplissent  l'histoire  de  ces  deux  années,  comment  la 
crise  que  venait  de  traverser  l'Afrique 'n*avait  pas  eu  une 
issue  plus  fatale  encore.  Tout  conspirait  à  la  ruine  de  la  do- 
mination byzantine,  Timpéritie  des  gouverneurs,  l'indiscipline 
des  troupes,  la  grandeur  de  Tinsurrection.  Il  semblait  que  le 
moindre  effort  des  indigènes  eût  dû  suffire  à  renverser  le 
fragile  et  chancelant  édifice  de  l'autorité  impériale  ;  les  Ber- 
bères ne  surent  pas  le  faire,  et  peut-être  même  ne  le  voulu- 
rent-ils pas.  D'une  part,  les  populations  romaines  gardèrent  à 
Byzance,  malgré  leurs  misères,  une  rare  et  remarquable  fidé- 
lité'. D'autre  part,  les  tribusinsurgéesne  poursuivirent  jamais 


1.  JoA.,  IV,  359-361. 

2.  Id.,  n,  28-161. 

3.  Beél.  Vand.,  p.  511-512. 


LA  CRISE  DES  ANNÉES  543-546  361 

avec  quelque  ténacité  un  but  réfléchi  et  certain.  Incapables 
de  tenir  longtemps  la  campagne,  elles  se  contentèrent  en  gé- 
néral d'entreprendre  chaque  année  des  courses  de  pillage  plus 
ou  moins  désastreuses  :  mais  aussitôt  le  butin  fait,  elles 
n'eurent  plus  qu'un  souci,  celui  de  mettre  en  sûreté  l'argent 
obtenu,  les  captifs  ramassés,  toutes  les  dépouilles  de  la  cam- 
pagne, et  évacuant  le  territoire,  elles  laissèrent  aux  Byzantins 
le  temps  de  reprendre  haleine \  De  plus,  durant  toute  la 
guerre,  presque  jamais  les  grands  chefs  ne  parvinrent  à  s'en- 
tendre pour  un  efTort  commun.  labdas,  le  puissant  roi  de  l'Au- 
rès^  s'abstint  pendant  deux  années  de  prendre  part  à  la  lutte; 
d'autres,  comme  Coutsina,  n'hésitèrent  pas  même  à  combattre, 
sous  les  ordresdes  généraux  de  Justinien,  leurs  frères  révoltés. 
Lorsque  enfin,  les  circonstances  finirent  par  les  réunir  tous 
dans  un  soulèvement  général,  leur  entente  dura  quelques 
jours  à  peine  :  divisés  par  d'anciennes  et  persistantes  inimitiés, 
se  jalousant  et  se  détestant  à  l'envi,  tous  ces  princes  se  sur- 
veillent, s'observent,  se  défient  l'un  de  l'autre.  Parmi  les 
chefs  de  l'armée  indigène,  il  y  en  a  toujours  au  moins  un 
sur  le  point  de  trahir  ses  confédérés  :  Coutsina  négocie  sous 
main  avec  Aréobinde  et  promet  de  se  jeter,  au  jour  du  com- 
bat, sur  les  tribus  de  la  Byzacène*;  Antalas  traite  avec  Gun- 
tarith  à  l'insu  de  ses  alliés  et  se  préoccupe  uniquement  d'as- 
surer ses  intérêts  particuliers^;  et  c'est,  de  la  part  des  deux 
adversaires,  une  succession  constante  et  presque  fastidieuse 
de  volte-faces  et  de  trahisons.  Bref,  aucune  politique  suivie 
ne  dirige  les  résolutions  des  grands  chefs.  On  chercherait  à 
tort  dans  leurs  insurrections  quelque  trace  d'un  sentiment 
national,  quelque  désir  de  sauvegarder  l'indépendance  de  leur 
peuple \  Ils  vont  où  leur  avantage  les  mène,  sans  scrupules, 
sans  hésitations;  et  si  leur  instabilité  d'humeur  fait  d'eux  des 

1.  Bell.  Vand.,  p.  508. 

2.  M.,  p.  517. 

3.  !d,,  p.  516-517. 

4.  Voir  la  lettre  très  caractéristique  d'Antalas  à  Justinien,  Bell.  Vand.^  p.  506- 
507. 


362  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

alliés  singuliëremeiit  incertains  et  perfides^  pourtant  c*est  à 
cette  mobilité  d'impressions  même  que  TAfrique  byzantine 
dut  son  salut.  Aux  moments  les  plus  désespérés,  la  diplomatie 
grecque  sut^  par  des  intrigues  habiles,  semer  la  division  parmi 
ses  adversaires,  et  par  là  brider  tous  leurs  efforts  :  c'est  par 
ces  pratiques,  autant  que  par  les  victoires  de  ses  généraux^ 
qu'elle  devait  finalement  conjurer  le  péril  et  rétablir  la  do- 
mination impériale. 


CHAPITRE  II 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLITA 


I 


Vers  la  fin  de  Tannée  546,  débarquait  à  Carthage,  pour 
prendre  la  conduite  des  opérations  militaires,  le  successeur 
d'Artabane,  le  magister  militum  Jean  Troglita  *.  C'était  un 
ancien  officier  de  l'armée  d'Afrique;  il  avait  pris  pari  à  l'ex- 
pédition de  533,  et  sous  les  ordres  de  Bélisaire,  commandé 
l'un  des  corps  de  fédérés  ;  plus  tard,  pendant  le  premier  gou- 
vernement de  Solomon,  il  avait  été,  en  qualité  de  duc,  chargé 
de  défendre  la  frontière  de  Tripolitaine,  et  en  plusieurs  ren- 
contres, il  avait  fait  sentir  aux  Le  vatbes  la  vigueur  de  son  bras; 
associé  ensuite  aux  brillantes  campagnes  du  patrice,  il  était 
demeuré  en  Afrique  après  les  événements  de  536;  à  la  jour- 
née de  Cellas  Yatari,  il  commandait  une  porlion  —  la  plus 
importante  —  de  l'aile  droite  ;  en  538,  il  s'était  distingué 
au  combat  d'Autenti,  probablement  livré  contre  les  tribus 
de  la  Byzacène*.  A  la  différence  de  tant  de  gouverneurs 
envoyés  avant  lui  dans  la  province,  il  connaissait  donc  par 
une  longue  expérience  le  pays  qu'il  allait  administrer,  et  les 
ennemis  qu'il  devrait  combattre  *.  Les  récents  services  qu'il 
venait  de  rendre  en  Orient  augmentaient  encore  son  prestige. 


1.  BelL  Vand,,  p.  533;  Jordaoes»  Romana  (édit.  Mommsen,  p.  51). 

2.  Joh,,  I,  380-381;  BelL  Vand.,  p.  359;  Joà.,  I,  470-472;  HI,  294-301;  BelL 
Vand,,  p.  487;  Joh.,  III,  318-319. 

3.  Joh.,  I,  349. 


364         HISTOIRE  DE  LA  DOMIN  ATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Nommé  duc  de  Mésopotamie,  il  avait  pendant  cinq  années  pris 
part,  sous  les  ordres  de  Bélisaire,  aux  événements  de  la  se- 
conde guerre  perse  *;  en  541,  il  avait  assisté,  —  avec  un  rôle 
moins  glorieux  peut-être  que  ne  le  raconte  son  panégyriste 
Corippus,  —  à  la  bataille  de  Nisibis;  puis  il  avait  eu  la  bonne 
fortune,  par  un  heureux  coup  d'audace,  de  sauver  Théodosio- 
polis  vivement  pressée  parles  armées  de  Chosroès,  et  sous  les 
murs  de  Dara,  il  avait  réussi  à  battre  et  à  faire  prisonnier  l'un 
des  meilleurs  lieutenants  du  roi,  Mermeroès  '.  La  trêve 
conclue  en  546  entre  l'empire  et  la  monarchie  des  Sassanides 
avait  permis  à  Justinien  d'employer  en  Occident  les  services 
du  victorieux  général  ;  bientôt  les  événements  allaient  justi- 
fier la  confiance  du  prince,  et  montrer  combien  était  heureux 
pour  l'Afrique  le  choix  qu'il  avait  fait. 

Il  ne  faut  point  en  effet  juger  uniquement  le  nouveau  gou- 
verneur d'après  le  portrait  un  peu  pâle  qu'en  a  tracé  Corippus. 
En  dépit  des  flatteuses  intentions  du  poète,  son  personnage 
est  un  peu  trop  dessiné  selon  le  type  ordinaire  des  héros 
d'épopée  :  trop  souvent  il  n'est  qu'un  décalque,  et  combien 
affaibli,  du  pieux  Énée  ^,  et  comme  son  modèle,  il  apparaît 
trop  constamment  sous  la  figure  d*un  infatigable  et  fatigant 
discoureur,  sentencieux  %  vertueux  et  grave,  et  parfaitement 
ennuyeux.  Ileureusement  l'histoire  même  des  campagnes  qu'il 
a  conduites  donne  du  général  byzantin,  une  plus  favorable 
idée.  Plus  d'i^ne  fois,  Tancien  lieutenant  de  Bélisaire  se  mon- 
tra digne  du  chef  dont  il  avait  reçu  les  leçons.  Rompu  de 
longue  date  à  la  tactique  des  indigènes,  il  sut  déjouer  tous  leurs 
pièges,  éventer  toutes  leurs  ruses;  et  son  énergique  audace 
triompha  avec  un  égal  succès  des  obstacles  de  la  nature  et  de 
la  résistance  des  hommes.  Dans  l'hiver  de  546-547,  malgré 
les  difficultés  d'une  saison  froide  et  pluvieuse,  il  poursuivit  la 
campagne  avec  une  rare  ténacité;  à  deux  reprises,  en  plein 

1.  Bell.  Pers.,  p.  216,  230. 

2.  Joh.,  l,  58-110.  Cf.  Bell.  Pers.,  p.  230-232. 

3.  Cf.  Joh  ,  I,  197-207,  où  la  comparaison  est  faite  tout  au  long. 

4.  Cf.  Joh.,  VU,  38-50. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLITA  365 

été,  malgré  une  chaleur  torride,  il  organisa  et  diriga  des  ex- 
péditions contre  les  Berbères,  et  sentant  la  valeur  de  Toffensive, 
il  osa  pousser  bien  avant  dans  le  Sud,  dans  des  régions 
désertes  oti  jamais  encore  les  généraux  byzantins  ne  s'étaient 
aventurés.  Sans  doute,  pasplusque  ses  devanciers,  il  n  échappa 
aux  misères  dont  souffrait  le  chef  de  toute  armée  grecque  :  il 
connut  rindiscipline^  la  lâcheté,  les  séditions  des  soldats;  tou- 
jours^ alors  même  que  sa  vie  était  en  péril,  il  réussit  par  son 
ferme  sang-froid  à  reprendre  le  dessus  ;  la  défaite  même  ne  put 
abattre  son  énergie,  et  après  avoir  dans  la  bataille,  déployé 
le  plus  brillant  courage  du  soldat,  il  sut  être  dans  la  retraite 
le  plus  prudent,  le  plus  prévoyant,  le  plus  habile  des  généraux. 
Le  diplomate  chez  lui  valait  l'homme  de  guerre;  il  sut  main- 
tenir constamment  dans  Talliance  byzantine  quelques-uns  des 
plus  grands  chefs  indigènes  et  conquérir  assez  de  prestige  à 
leurs  yeux  pour  devenir  l'arbitre  écouté  de  leurs  querelles; 
il  sut  —  et  jamais  avant  lui  nul  gouverneur  n'avait  obtenu  ce 
succès  —  amener  labdas,  le  grand  roi  de  TAurès,  à  faire  servir 
ses  contingents  sous  la  bannière  de  l'empire;  toujours  il  sut 
garder  fidèles  à  sa  cause  ces  inconstants  alliés,  même  après 
un  désastre  bien  propre  à  ébranler  leur  dévouement,  et  il 
parait  avoir  acquis  sur  eux  assez  d'influence  pour  être,  dans 
des  circonstances  graves,  plus  sur  d'eux  que  de  ses  propres 
soldats.  Certes,  par  sa  bravoure,  son  énergie,  son  audace,  par 
son  expérience  du  pays  et  des  hommes,  par  les  heureuses 
inspirations  de  sa  tactique  comme  par  les  habiles  conseils  de 
sa  diplomatie,  le  nouveau  gouverneur  militaire  était  plus  que 
tout  autre  capable  de  réaliser  en  Afrique  les  instructions  de 
Justinien,  de  sauver  la  province  du  pressant  péril  où  elle 
semblait  prête  à  sombrer,  de  revendiquer  enfin  les  droits 
imprescriptibles  de  l'autorité  impériale  que  le  prince  avait, 
au  moment  du  départ,  recommandés  à  toute  la  sollicitude  de 
son  lieutenant  ^ 
La  fin  de  la  guerre  perse,  en  même  temps -qu'elle  rendait 

4.  Jo^.,  1,146-147. 


366  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

disponible  un  général  de  valeur,  permettait  aussi  de  renforcer 
sérieusement  les  forces  militaires  de  l'Afrique  byzantine.  Jus- 
tinien  se  résolut  à  envoyer  en  Occident  un  armement  assez 
considérable.  Une  flotte  fut  équipée,  une  armée  nouvelle  le- 
vée*, et  dans  les  derniers  mois  de  Tannée  546,  après  une  na- 
vigation généralement  heureuse,  l'expédition  entrait  dans  le 
port  de  Carthage.  Il  était  grandement  temps  de  venir  au  se- 
cours de  l'Afrique  :  les  tribus  de  la  Tripolitaine,  parmi  les- 
quelles il  faut  nommer  au  premier  rang  celles  des  Levalhes  et 
des  Austures,  continuaient  à  ravager  cruellement  la  Byzacëne  ; 
Antalas  tenait  la  campagne,  et  ses  Berbères,  rendus  audacieux 
par  la  profonde  désorganisation  de  Tadministration  grecque, 
s'enhardissaient  jusqu'à  assiéger  les  villes  du  littoral  ;  labdas, 
quoiqu'il  semble  avoir  dès  ce  moment  regagné  prudemment 
la  Numidie,  restait  en  armes  ou  du  moins  gardait  une  attitude 
menaçante',  et  les  débris  de  Tarmée  byzantine,  sous  les  ordres 
de  Marcentios,  le  duc  de  Byzacène,  et  de  l'Arménien  Grégoire, 
un  proche  parent  d'Artabane,  étaient  bloqués  dans  Carthage 
et  dans  quelques  autres  places  fortes.  Pour  porter  remède  à 
cette  périlleuse  situation,  de  quelles  ressources  allait  disposer 
le  nouveau  général?  Malgré  les  efforts  de  l'empereur,  on 
n'avait  pu  lui  confier  des  troupes  fort  nombreuses  :  les  événe- 
ments d'Italie  à  ce  moment  même  réclamaient  une  grande 
partie  des  forces  de  la  monarchie^  de  sorte  que,  même  en  te- 
nant compte  des  détachements  que  trouvait  en  Afrique  le  ma- 
gister  milittim,  l'effectif  total  de  l'armée  byzantine  demeurait 
assez  peu  considérable  :  Corippus  insiste  à  maintes  reprises 
sur  la  faiblesse  numérique  des  soldats  grecs^.  Heureusement 
la  qualité  des  troupes  compensait  en  quelque  manière  cette 
infériorité.  L'essentiel  des  forces  byzantines  d'Afrique  semble 
avoir  été  à  cette  date  formé  de  cavalerie,  et  Ton  sait  que 
c'était  là,  dans  les  armées  du  temps,  l'élément  le  plus  solide 

1.  JoA.,l,  125-128. 

2.  II  figure  dans  réuumération  faite,  JoA.,  II,  140 -162,  mais  ne  paraît  poiat 
dans  la  bataille  du  livre  IV. 

3.  Jofu,l,  482;  IV,  376-377,  661. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JE\N  TROGLITA  367 

et  le  plus  vigoureux.  Sur  neuf  corps  rangés  sous  les  ordres 
de  Jean  Troglila,  un  seul  était  composé  d'infanterie  :  le  reste 
comprenait  des  escadrons  légers  d'archers  à  cheval,  et  surtout 
de  puissants  régiments  de  cuirassiers  pesamment  armés  ^  : 
dans  la  guerre  qu'on  allait  entreprendre,  nulle  arme  n^élait 
mieux  appropriée,  ni  ne  devait  rendre  de  meilleurs  services. 
Les  troupes  étaient  d'ailleurs  bien  commandées,  à  ce  qu'il 
semble,  par  des  officiers  d'une  bravoure  éprouvée  et  capables 
de  quelque  initiative  :  auprès  de  lui,  pour  conseiller  et  chef 
d'état-major,  Jean  avait  Recinarius,  qui  comme  lui  avait  pris 
part  à  la  dernière  guerre  de  Perse*.  A  la  tète  des  différents 
corps  étaient  placés  des  chefs,  ducs,  magistri  miliium  ou  tri- 
buns, dont  plusieurs  servaient  depuis  de  longues  années  dans 
l'armée  africaine  et  avaient  en  plus  d'une  circonstance  donné 
la  preuve  de  leurs  talents  militaires  et  diplomatiques'.  Enfin 
les  forces  impériales  s'augmentaient  de  nombreux  contingents 
indigènes.  Après  bien  des  volte-faces,  Coutsina  était  une  nou- 
velle fois  revenu  à  l'alliance  byzantine,  et  pendant  de  longues 
années,  sa  fidélité  n'allait  plus  se  démentir;  or  le  chef  numide 
pouvait  amener  avec  lui  jusqu'à  30,000  cavaliers.  Un  autre 
prince  indigène,  dont  le  territoire  semble  avoir  été  voisin  du 
royaume  de  Coutsina,  avait  été  également  gagné  au  parti  grec  ; 
c'était  Ifisdaias,  dont  Corippus  évalue  —  probablement  avec 
quelque  exagération  poétique  —  les  forces  à  100,000  hommes, 
mais  dont  l'appui  à  coup  sûr  n'était  point  méprisable \  D'ail- 
leurs, par  cette  double  alliance,  Jean  s'assurait  en  outre  la  tran- 
quillité de  la  Numidie.  labdas,  tenu  sans  doute  en  respect  par 
les  princes  ralliés  au  drapeau  de  l'empire,  s'abstint,  malgré  sa 
sympathie  avouée  pour  les  insurgés,  de  toute  hostilité  directe  ; 
il  ne  prit  aucune  part  effective  à  la  campagne  de  546,  et  pen- 
dant que  s'accomplissaient  les  événements  de  Byzacène,  le 
calme  ne  semble  point  avoir  été  troublé  en  Numidie.  C'était 

1.  Jo/i.,  IV,  553-554;  I,  427-429,  440-443. 

2.  Cf.  Bell.Pers.y  p.  277. 

3.  Joh,,  III,  47-51  ;  IV,  06-74,  502-504,  487-488, 532-540  ;  Bell.  Vand.,  p.  523-524. 

4.  Cf.  Partsch,  L  c,  p.  zxviii,  et  Joh.,  IV,  545-549. 


308         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

un  grave  souci  de  moins  au  début  de  la  guerre  difficile  qui 
allait  s'engager.  Ainsi  la  diplomatie  byzantine  avait  fort  heu- 
reusement préparé  les  voies  au  nouveau  gouverneur  et  cher- 
ché à  assurer  le  succès  de  ses  armes. 

Néanmoins  le  péril  était  plus  pressant  que  jamais  :  aussi, 
à  peine  débarqué  à  Carthage,  Jean,  aprës  avoir  rapidement 
réorganisé  les  régiments  affaiblis  et  démoralisés  qui  y  tenaient 
garnison*,  marcha  à  l'ennemi  avec  toutes  ses  forces,  et  sans 
vouloir  entrer  en  aucune  négociation  avec  les  rebelles,  sans 
répondre  à  Tinsolent  cartel  que  lui  fit  adresser  Antalas',  ou- 
bliant même,  dans  sa  hâte  d'agir,  le  caractère  d'inviolabilité 
que  le  .droit  des  gens  confère  à  un  ambassadeur,  il  déblaya 
par  une  marche  rapide  la  zone  côtière  des  bandes  de  pillards 
qui  l'infestaient,  et  dégagea  les  villes  du  littoral  assiégées  par 
les  insurgés*.  Devant  cette  offensive  hardie^  les  Berbères,  sui- 
vant leur  tactique  habituelle,  battirent  en  retraite  et  se  repliè- 
rent vers  les  régions  montagneuses  et  boisées  qui  occupent 
l'intérieur  de  la  Byzacène.  Ils  comptaient  sur  la  saison  déjà 
avancée,  sur  l'hiver  pluvieux  qui  commençait,  pour  arrêter 
la  poursuite  de  leurs  adversaires*;  ils  espéraient  surtout,  si 
les  Byzantins  s'aventuraient  à  les  attaquer,  trouver  dans  ce 
pays  accidenté  et  couvert  un  utile  secours  pour  leur  tactique 
habituelle  de  ruses  et  d'embuscades.  Aussi,  à  Tappel  de  leurs 
chefs,  toutes  les  tribus  se  concentrèrent  pour  la  bataille  déci- 
sive; et  traînant  à  leur  suite  leurs  familles,  leurs  troupeaux, 
le  butin  fait  dans  la  précédente  campagne,  la  multitude  des 
captifs  enlevés  dans  les  villages  de  la  Byzacène,  les  indigènes 
de  la  Tripolitaine,  Levathes,  Austures,  Ifuraces,  obéissant  aux 
ordres  suprêmes  d'Iema^  un  de  leurs  grands  chefs*,  vinrent 


1.  Jo/i.,  1,  422-424.  Sur  les  campagoefl  de  Jean,  cf.  Farticle,  d^aillears  pleia 
d'inexactitudes,  de  Tauxier,  Notice  sur  Corippus  el  sur  la  Johannide  (Bévue 
afric.f  1876,  p.  289). 

2.  Joh.,  h  460-493. 

3.  Joh,,  II,  1-3. 

4.  Id,t  H,  4-5;  18-22.  Sur  la  date,  Partsch,  /.  c,  p.  xxvi,  n.  131 

5.  /oA.,  II,  85-137. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLITA  369 

rallier  les  Dombreux  Berbères  rassemblés  sous  la  direction 
d'Antalas^  L'armée  byzantine,  sous  le  chef  énergique  qui  la 
commandait,  ne  se  laissa  ni  arrêter  par  les  obstacles  ni  sur- 
prendre aux  pièges  des  rebelles  :  audacieusement,  ses  avant- 
gardes  de  cavalerie  prirent  et  gardèrent  le  contact  des  insurgés, 
et  bientôt  Tarmée  grecque  tout  entière  se  trouva  campée  au 
pied  des  collines  dont  les  indigènes  occupaient  la  crête.  Tou- 
tefois, à  la  veille  du  combat  suprême,  soit  qu'il  se  défiât  de 
la  faiblesse  de  ses  forces,  soit  qu'il  craignît  pour  les  captifs  les 
conséquences  d'une  lutte  désespérée  •,  soit  encore  qu'en  vrai 
Byzantin,  il  espérât  davantage  de  la  diplomatie  que  des  armes, 
Jean,  comme  jadis  Solomon  en  544,  jugea  convenable  d'es- 
sayer une  dernière  fois  l'effet  des  négociations.  Il  fit  proposer 
aux  rebelles  une  amnistie  pleine  et  entière  pour  leur  soulève- 
ment, sous  condition  que  tous  les  prisonniers  seraient  remis 
en  liberté,  que  les  tribus  de  Tripoli taine  évacueraient  le  ter- 
ritoire byzantin,  qu'Antalas  enfin  se  replacerait  sous  la  suze- 
raineté impériale'.  Mais  il  eut  beau  accompagner  ce  message 
de  menaces  formidables:  son  désir  d'accommodement  était 
trop  visible  pour  ne  point  enfler  encore  l'orgueil  des  indi- 
gènes, déjà  enhardis  par  un  demi-succès  remporté  quelques 
jours  auparavant  sur  Tavant-garde  byzantine,  et  où  celle-ci 
n'avait  pas  sans  peine  échappé  à  un  désastre  \  Ântalas  refusa 
insolemment  de  se  prêter  à  tout  arrangement  et,  pour  mieux 
marquer  son  intention  de  combattre,  il  fit  descendre  dans  la 
plaine  la  plupart  de  ses  troupes  et  s'établit  en  face  des  Byzan- 
'  tins.  Malheureusement,  malgré  le  long  récit  épique  que  Corip- 
pus  a  fait  de  la  bataille,  il  est  impossible  de  savoir  au  juste 
où  se  donna  l'engagement  :  on  voit  seulement  par  les  vers  du 
poète  que  Tarmée  grecque,  partie  de  Cartbage,  par  la  grande 
route  de  Byzacène  %  s'était  ensuite,  pour  atteindre  les  rebelles, 

4.  Joh.,  M  28-84. 

2.  /rf.,  II,  295-296,  331-332. 

3.  /d.,  II,  344-348. 

4.  Id,,  U,  187-26$. 

5.  id.,  1,  461. 

1.  24 


370  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

détournée  vers  l'intérieur  du  pays,  après  avoir  fait,  probable- 
ment àHadrumète,  sa  jonction  avec  les  troupes  du  duc  Marcen- 
tios;  on  voit  que  le  combat  se  livra  dans  une  vaste  plaine  entou- 
rée de  collines  où  les  indigènes  purent  à  Taise  disposer  leurs 
chameaux  en  un  vaste  retranchement  circulaire,  où  la  cavalerie 
byzantine,  d'autre  part,  put  se  déployer  et  manœuvrer:  c'est 
donc,  selon  toute  vraisemblance,  au  sud-ouest  d'Hadrumëte, 
dans  la  région  qui  s'étend  à  Test  ou  au  sud  de  Sbeilla  qu'il 
faut  essayer  de  retrouver  l'emplacement  de  la  bataille  :  quant 
à  la  date,  on  doit  la  fixer  sans  doute  tout  au  début  de  Tan- 
née 547.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  lutte  fut  longue,  sanglante  et 
décisive  ;  nous  en  avons  raconté  ailleurs  les  épisodes  les  plus 
significatifs*,  Tardente  mêlée  de  cavalerie  par  laquelle  elle 
commença,  le  furieux  combat^  où  d'abord,  sous  les  charges 
impétueuses  d'Ântalas,  les  Byzantins  plièrent,  Tassant  donné 
au  camp  berbère  et  la  défense  farouche  qui  pendant  quelque 
temps  brisa  tous  les  efforts  des  troupes  impériales,  enfin  la 
déroute  finale,  le  pillage,  le  massacre,  et  la  fuite  éperdue  des 
tribus.  Le  désastre  était  complet  pour  Antalas  et  ses  alliés  : 
non  seulement  leur  armée  dispersée  s'enfuyait  sur  les  routes, 
poursuivie  jusqu'à  la  nuit  et  sabrée  par  les  escadrons  grecs  *; 
mais  ses  plus  vaillants  chefs  étaient  tombés  dans  la  lutte,  et 
le  principal  d'entre  eux,  lerna,  roi  des  Levatbes,  en  essayant 
de  sauver  l'idole  du  dieu  Gurzil,  était  atteint  et  massacré 
par  les  cavaliers  byzantins'.  Non  seulement  un  immense  bu- 
tin, que  Jean  Troglita  n^essaya  point  de  disputer  à  Tavidité  de 
ses  soldats,  était  le  fruit  de  la  victoire  \  mais  une  multitude 
de  captifs  étaient  rendus  à  la  liberté  ^,  et  dans  le  camp  forcé, 
on  retrouvait,  parmi  les  dépouilles,  les  drapeaux  de  Solomon, 
tombés  jadis  à  Cillium  entre  les  mains  des  rebelles®.  Les  dé- 


4.  Cf.  sur  celte  bataille  Joh  ,  IV,  457-1171. 

2.  /d.,  IV,  1147-1151. 

3.  /d.,  IV,  1136-1142,  1162. 

4.  ld,j  VI,  118-119,  109-110. 

5.  W.,  IV,  1155. 

6.  W.,  IV,  1154-1155;  Bell.  Vand,,  p   533. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLITA  371 

satires  des  deraières  années  étaient  pleinement  et  glorieuse- 
ment vengés  :  les  tribus  décimées  regagnaient  en  toute  hâte 
la  Tripolilaine,  Ântalas  épouvanté  déposait  les  armes,  et  cette 
décisive  journée  semblait  d'un  seul  coup  avoir  pacifié  l'Afrique. 
Sans  doute  avec  une  sage  prévoyance,  dans  les  places  réoc- 
cupées de  la  frontière,  le  magtster  militum  réorganisait  la 
défense  du  territoire,  et,  appréciant  plus  justement  que  ses 
prédécesseurs  l'inflexible  courage  des  adversaires  qu'il  venait 
de  combattre ,  il  laissait  aux  ducs  de  Byzacëne  le  soin 
d'achever  par  de  constantes  poursuites  la  soumission  ou  la 
destruction  des  tribus  ^  Mais  la  grande  guerre  paraissait  ter- 
minée, et  tandis  que  les  étendards  reconquis,  envoyés  à 
Constantinople ,  allaient  annoncer  à  Tempereur  l'éclatant 
triomphe  de  ses  armées',  Jean  Troglila  faisait  à  Carthage, 
au  milieu  des  acclamations  populaires,  une  entrée  triom- 
phale *,  et  la  situation  semblait  si  assurée  qu'on  crut  pouvoir 
sans  péril  dégarnir  partiellement  la  province  et  diminuer 
l'efiectif  du  corps  expéditionnaire  *.  A  ce  moment  en  effet,  en 
Itsfiie,  Totila  venait  de  prendre  Rome,  et  Bélisaire  se  trouvait 
dans  une  position  presque  désespérée  ;  il  est  probable  que  le 
détachement  assez  important,  qui  paraît  avoir  été  fait  en 
Afrique,  fut  cette  fois  encore  destiné  à  renforcer  l'armée  qui 
luttait  contre  les  Ostrogoths. 


n 


Par  malheur,  la  paix  tant  souhaitée  dura  quelques  mois  à 
peine'.  A  la  voix  d'un  de  leurs  chefs,  Carcasan,  roi  des  Ifu- 
races*^  les  tribus  delà  Tripolitaine  n'avaient  pas  tardé  à repren- 

1.  Joh.,  VI,  30-52. 

2.  Bell.  Vand.,  p.  533. 

3.  Joh,,  Vï,  53-103. 

4.  Partscb,  p.  xxix-xxx. 

5.  Sur  les  dates,  cf.  Partsch,  i,  c,  p.  zxix. 

6.  yoA.,  IV,  639-641, 


372  HISTOIRE  DK  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dre  courage;  excitées  par  les  promesses  de  victoire  que  leur 
prodiguaient  leurs  prophétesses,  enhardies  par  Tappui  qu'elles 
trouvaient  chez  les  grandes  nations  des  Nasamons  et  des 
Garamantes*,  elles  revinrent  à  la  charge  en  une  nouvelle  et 
plus  formidable  coalition,  qui  parait  avoir  compris  toutes  les 
peuplades  berbères,  depuis  les  oasis  voisines  de  la  Grande 
Syrte  jusqu'au  Sahara  algérien*.  La  Tripolitaine  byzantine 
suppporta  tout  naturellement  le  premier  choc  des  envahis- 
seurs •;  mais  bientôt  les  insurgés  se  retournèrent  vers  la  By- 
zacène  ^:  et  avant  même  que  le  duc  de  Leptis  eût  pu  annoncer 
au  gouverneur  général  l'explosion  du  nouveau  soulèvement, 
déjà  les  rapides  cavaliers  indigènes  touchaient  aux  frontières 
de  la  province*. 

La  situation  était  grave.  On  était  au  fort  de  Tété  et  le  climat 
africain  ne  pouvait  manquer  de  rendre  fort  pénible  une  expé- 
dition entreprise  en  cette  saison'.  Les  forces  byzantines 
étaient  notablement  diminuées,  soit  par  les  détachements  faits 
en  Italie,  soit  par  la  défection  d'une  partie  des  alliés  indigènes. 
Ifisdaias^  dès  ce  moment  sans  doute  brouillé  avec  Coutstaa 
son  voisin,  refusait  ses  contingents,  espérant  peut-être  profiter 
de  l'absence  de  son  rival  pour  piller  son  territoire.  A  la  vérité, 
Ântalas,  se  souvenant  de  la  récente  leçon  que  lui  avait  infligée 
le  magister  militum,  restait  provisoirement  neutre,  et  atten- 
dait, pour  prendre  partie  des  événements  décisifs^;  mais  son 
hostilité  n'était  point  douteuse  et  son  attitude  suspecte  com- 
mandait quelques  précautions.  Seul,  Goutsina  demeurait 
immuablement  fidèle;  mais  tout  son  dévouement  ne  pouvait 
suffire  à  compenser  les  insuffisances  de  Tarmée  grecque» 


i.  Joh.,  VI j  195-200. 

2.  PartBch,  /.  c,  p.  xxt* 

3.  Joh,,  VI,  225,  240-241* 

4.  Bell,  Vand,,  p.  533. 
5./oA.,Vï,  279-280. 

6.  W.,  VI,  247,  256-257. 

7.  Procope  se  trompe  {BelL  Vand.^  p.  533)  ea  lui  f&isaat    prendre  part  au 
début  de  la  guerre.  Cf.  Partsch,  p.  xxx,  n.  167. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLITA  373 

privée  de  quelques-uns  de  ses  meilleurs  chefs,  el  réduite  de 
neuf  corps  qu'elle  comptait  dans  la  précédente  campagne  k 
six  divisions  seulement. 

Heureusement  les  derniers  succès  avaient  remonté  le  moral 
des  troupes*.  Jean  crut  que  leur  enthousiasme  lui  permettrait 
de  prendre  une  offensive  hardie.  Avec  une  décision,  une 
audace  que  depuis  longtemps  ne  connaissaient  plus  les  géné- 
raux byzantins,  il  se  porta  en  hâte  sur  la  frontière  méridionale 
de  la  Byzacène  pour  barrer  le  chemin  à  l'invasion  et  épargner  à 
la  province  épuisée  les  horreurs  de  nouveaux  ravages';  et 
malgré  la  chaleur  croissante,  il  poussa  jusqu'aux  limites  du 
désert,  désireux  de  rejeter  Tennemi  loin  du  pays  byzantin  et 
de  porter  la  guerre  sur  son  propre  territoire.  Les  tribus  indi- 
gènes, effrayées  de  cette  fière  attitude,  n'attendirent  point  les 
troupes  grecques  et  battirent  en  retraite  ;  elles  se  jetèrent  au 
sud  des  Chotts,  dans  l'aride  et  sablonneuse  région  de  TErg 
oriental';  les  Berbères  espéraient  bien  que  dans  ces  brûlantes 
solitudes,  jamais  les  Byzantins  n'auraient  le  courage  de  les 
suivre.  Jean  pourtant  n'hésita  point  :  plein  de  confiance  dans 
l'ardeur  de  ses  troupes,  bravant  les  difficultés  de  la  route,  il 
s'engagea  dans  le  désert  :  un  convoi  d'eau  et  de  provisions 
accompagnait  la  colonne*.  Mais  au  bout  de  quelques  jours  de 
marche,  les  soldats  commencèrent  à  se  plaindre  ;  malgré  les 
précautions  prises,  les  vivres  s'épuisaient;  les  fourrages  man- 
quaient pour  les  bêtes,  Teau  qu'il  fallait  rationner  menaçait 
d'être  insuffisante,  et  la  chaleur  croissante  brisait  tous  les 
courages.  Déjà  on  murmurait  dans  les  camps,  réclamant  à 
grands  cris  la  retraite,  lorsque,  par  surcroît  d'infortune,  une 
épidémie  subite,  s'abattant  sur  les  chevaux  de  l'armée,  dé- 
monta en  quelques  heures  une  bonne  partie  de  la  cavalerie  ; 
alors,  parmi  les  troupes  démoralisées,  une  véritable  sédition 


1.  Joh.,  VI,  255-263. 

2.  W,,Vl,  242-251,  269-275. 

3.  W.,  VI,  285-287  ;  Parlsch,  p.  xxxr. 

4.  /</.,  VI,   292-296. 


374  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

éclata*.  Il  fallut  remonter  vers  le  nord,  regagner  la  côte  : 
mais  dans  l'armée  fatiguée,  mécontente,  de  nouveau  les 
vieux  ferments  d'indiscipline  se  réveillaient  :  les  chefs  n'é- 
taient plus  écoutés  et  les  hommes,  uniquement  préoccupés  de 
trouver  de  Teau  et  des  vivres,  quittaient  le  rang  pour  marau- 
der, faisant  de  la  colonne  une  cohue'.  On  s'arrêta  pourtant 
en  atteignant  le  territoire  des  Astrices  :  et  là,  à  portée  des 
villes  byzantines  de  la  côte,  par  lesquelles  il  espérait  assurer 
le  ravitaillement  de  ses  troupes',  Jean  s'établit  à  quelque  dis- 
tance au  sud  de  Gabès,  à  l'entrée  de  l'étroit  passage,  ouvert 
entre  le  plateau  des  Matmata  et  la  mer  :  dans  cette  position, 
il  fermait  aux  tribus  la  seule  voie  d'invasion  qui  leur  fût  ou- 
verte vers  l'Afrique*.  Entre  temps,  l'armée  indigène,  pressée 
par  la  famine,  remontait  à  son  tour  vers  le  nord,  cherchant 
à  dérober  sa  marche  aux  reconnaissances  byzantines  et  s'ef- 
forçant  de  regagner  ses  campements  de  Tripoli taine*.  Le  ma- 
gister  militum,  averti,  jugea  l'occasion  favorable  pour  ache- 
ver un  ennemi  qui  semblait  épuisé,  et  occupant  en  toute  hâte 
les  points  d'eau,  qui  sont,  dans  cette  région  du  sud,  les  points 
de  passage  nécessaires,  il  vint  camper  dans  la  plaine  de 
Gallica  ou  de  Marta*  :  c'est,  comme  on  sait,  la  station  actuelle 
de  Maret,  à  26  milles  au  sud-est  de  Gabès.  C'est  là  que  la  ba- 
taille se  donna\  Mais  l'indiscipline  d'une  portion  des  troupes 
byzantines  en  compromit  dès  l'abord  le  succès  :  tandis  que 
Jean  voulait  remettre  au  lendemain  l'attaque  décisive^  quel- 
ques soldats,  malgré  les  ordres  reçus,  se  mirent  à  escarmou- 
cher  avec  les  Berbères,  et  le  combat  s' étendant  à  mesure, 
successivement  l'armée  tout  entière  dut  se  mêler  à  la  lutte*. 

l./oA.,  VI,  309-325,  354360,  364-365. 
2.  ïd.,  VI,  315-378. 
3. /rf.,  VI,  384-389. 

4.  Cf.  GagDat,  V Armée  romaine,  p.  551. 

5.  Joh.,  VI,  446-448. 

6.  W.,  VI,  486;    II,  80-83.  Cf.  Partsch,  p.  xxxii-xxxiii,  et  Tissot,  H,  p.  692- 
693. 

7.  Cf.  Joh.,  VI,  455-773. 

8.  /d.,  VI,  493-495,  528-542. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLITA  375 

L*affaire  était  mal  engagée  :  elle  fut  plus  mal  soutenue  encore; 
tandis  que  les  indigènes,  profitant  habilement  des  accidents 
du  terrain,  opposaient,  sous  le  couvert  des  bois,  une  sérieuse 
résistance ^  les  auxiliaires  berbères  de  Tarmée  byzantine, 
saisis  d'une  panique  subite,  prenaient  tout  à  coup  la  fuite, 
bousculant  et  emportant  dans  leur  déroute  le  reste  des  troupes 
impériales*  :  en  vain,  avec  ses  principaux  officiers,  avec  les 
hommes  d'armes  liés  à  sa  personne,  Jean,  se  jetant  dans  la 
mêlée,  essaya  de  rétablir  la  bataille  :  écrasé  sous  le  nombre, 
il  ne  put,  malgré  des  prodiges  de  valeur,  que  couvrir  la  re« 
traite.  Le  désastre  était  complet.  Le  gros  de  Tarmée  grecque, 
désorganisée,  dispersée,  s'enfuit  sans  retourner  la  tête,  bien  au 
delà  de  Gabès,  et  ne  s'arrêta  qu'à  Tabri  des  murailles  de  lunca'; 
le  magister  militum^  avec  son  état-major  et  le  faible  détache- 
ment qu'il  avait  pu  rallier,  se  replia  plus  posément,  faisant 
tête  à  la  poursuite  de  la  cavalerie  ennemie  \  et  d*abord  essaya 
de  reformer  ses  régiments  sous  les  remparts  d'une  petite  place 
forte  assez  voisine  du  champ  de  bataille^.  Le  désarroi  était 
trop  grand  pour  qu'il  y  pût  aisément  réussir  :  il  fallut  donc 
remonter  vers  le  nord,  aller  rejoindre  à  lunca  les  troupes 
qui  y  avaient  cherché  asile*;  mais  les  pertes  éprouvées  à  la 
journée  de  Gallica  avaient  été  trop  cruelles  %  le  moral  des 
soldats  était  trop  mal  raffermi  pour  qu'on  put  sans  péril  con- 
tinuer à  tenir  la  campagne.  Pour  se  donner  le  temps  de  réor- 
ganiser l'armée,  de  la  renforcer  en  faisant  appel  aux  alliés 
indigènes  demeurés  fidèles,  Jean  se  décida  donc  à  battre  en 
retraite  sur  la  seconde  ligne  de  défense  de  la  province^  et  se 
contentant  de  jeter  quelques  garnisons  dans  les  principales 


1.  Joh.,  Vi,  570-512. 

2.  id.,  VI,  595-603. 

3.  Id,  VII,  110-ill,  135. 

4.  W.,  VI,  692-696. 

5.  /d.,  VII,  1-3. 

6.  /(/.,  VII,  61.  136. 

7.  BelL  Vand.,  p.  533. 


316  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

forteresses  de  la  frontière^,  il  alla  avec  le  reste  de  ses  forces 
s'établir  dans  la  puissante  citadelle  de  Laribus*;  dans  cette 
forte  position  stratégique,  couverte  par  d'épaisses  forêts,  il 
était  à  l'abri  de  toute  attaque,  et  bien  placé  pour  donner  la 
main  aux  contingents  berbères  de  la  Numidie.  Malheureuse- 
ment, à  ce  moment  même  la  discorde  éclatait  entre  les 
alliés  de  Byzance  ;  Goutsina  et  Ifisdaias  semblaient  à  la 
veille  d'en  venir  aux  mains,  menaçant,  par  leurs  luttes  intes- 
tines, d'enlever  à  Tarmée  grecque  le  puissant  appui  de  leurs 
nombreuses  troupes'.  De  son  côté,  Antalas  sortait  de  sa  neu- 
tralité et,  enhardi  par  le  désastre  des  impériaux,  joignait  ses 
forces  à  celles  des  rebelles  ^  ;  enfin  la  Byzacëne  était  ouverte 
à  tous  les  ravages,  et  les  cavaliers  indigènes,  pillant  et  mas- 
sacrant tout  sur  leur  route,  poussaient  audacieusement  jus- 
qu'aux portes  mêmes  de  Carthage*.  A  la  fin  de  l'année  547, 
une  fois  encore,  tout  était  à  recommencer. 

Malgré  la  grandeur  du  péril,  Jean  dut  passer  tout  l'hiver 
à  reconstituer  son  armée*.  Fendant  qu'à  Carthage,  le  préfet 
du  prétoire  Athanase  et  le  jeune  fils  du  magister  militum^  qui 
avait  accompagné  l'expédition,  s'occupaient  d'organiser  les 
renforts  et  dirigeaient  sur  Laribus  des  convois  importants 
d'armes  et  d'approvisionnements',  le  général  négociait  avec 
les  Numides;  ses  agents  remettaient  d'accord  Ifisdaias  et 
Goutsina  ',  et  le  roi  de  l'Aurès  lui-même,  labdas,  entrainé  ou 
contraint  par  l'attitude  des  chefs,  ses  voisins,  se  décidait  à 
placer  ses  contingents  sous  les  drapeaux  de  Byzance*.  Au 
printemps  de   548,  toutes  les  troupes  des  alliés  indigènes 

1.  Joh.,  VII,  137-139. 
2  Id  ,  vil,  143-150. 

3.  Jd.,  VU,  245-248. 

4.  /d..  VII,  286-287. 

5.  Bell.  Vand.,  p.  533. 

6.  Cf.  Partsch,  p.  xxxv-xxxvr. 

7.  Joh.,  VU,  199-202,  236-239.  Cf.   sur  le  fils  de  Jeao,  Pierre,  id  ,  VII,  209- 
218  ;  I,  197-203,  207. 

8    Id.,  VI!,  242-261. 
9.  Id.,  Vil,  277-279. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAxN  TROGLITA  377 

étaient  rassemblées  dans  la  plaine  d'Arsuris,  sur  les  confins 
de  la  Proconsulaire  et  de  la  Byzacëne^  ;  Coutsina  avait  amené 
30,000  hommes,  Ifisdaias  100,000;  labdas  avait  envoyé  son 
fils  avec  12,000  cavaliers.  Jean,  avec  les  forces  régulières  qui 
lui  restaient,  et  qui  formaient  d'ailleurs  la  moindre  partie  de 
son  armée,  vint  rejoindre  ses  confédérés  pour  reprendre 
TofTensive.  La  campagne  suprême  commençait. 

Les  révoltés ,  sous  les  ordres  de  Garcasan  et  d' Antalas,  étaient 
campés  entre  Sbiba  et  Kairouan,  dans  la  grande  plaine  de 
Mamma*.  A  l'approche  de  l'armée  impériale  qui  débouchait 
sans  doute  par  la  route  d'Assuras  à  Sufetula,  Garcasan,  enor- 
gueilli par  le  succès  de  Tannée  précédente,  proposait  d'attendre 
en  bataille  rangée  le  choc  des  troupes  byzantines.  Mais  An- 
talas,  fidèle  à  la  vieille  tactique  des  indigènes,  fit  décider  la 
retraite:  il  montra  quel  auxiliaire  les  chaleurs  commençantes 
allaient  fournir  aux  rebelles,  quelles  seraient  pour  les  troupes 
grecques  les  fatigues,  les  difficultés  de  la  marche  à  travers  un 
pays  totalement  dévasté  ;  et  connaissant  de  longue  date  le 
point  faible  de  ses  adversaires,  il  pressentit  qu'au  bout  de  peu 
de  jours,  Tarmée  byzantine,  épuisée,  démoralisée,  ou  bien  se 
soulèverait  contre  ses  chefs,  ou  bien  se  laisserait  battre  sans 
résister'.  Gonfiants  dans  ses  conseils,  les  insurgés  se  re- 
plièrent en  toute  hàte^  et  par  la  route  qui  traverse  Sbeitla, 
Madarsuma,  Tabalta,  ils  atteignirent  en  dix  jours  le  littoral 
et  vinrent  camper  au  pied  des  remparts  de  lunca^.  Pendant 
dix  jours,  malgré  un  violent  coup  de  sirocco  ',  Jean  poursuivit 
les  rebelles,  sans  d'ailleurs  {parvenir  à  les  joindre  autrement 
qu'en  quelques  rapides  engagements  d'arrière-garde  ",  et  il 
vint  s'établir  en  face  d'eux,  près  de  la  côte,  comptant  bien 
leur  livrer  une  bataille  décisive.  Mais  encore  une  fois^  les 

1.  /(OA.,  vil,  273  ;  Parlsch,  p.  xxxvr. 

2.  W.,  vil,  283-285. 

3.  M..  VII,  295-310. 

4.  W.,  Vn,  370-373,  391-396. 

5.  /d.,  VU,  323-333,  370-371. 

6.  Jrf.,  Vil,  361-363. 


318  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tribus  se  dérobèrent,  et  quittant  la  plaine,  elles  se  jetèrent 
dans  les  massifs  montagneux  de  la  Byzacène  \  espérant  attirer 
les  impériaux  à  leur  suite  dans  ce  pays  peu  fertile,  accidenté 
et  difficile,  où  la  famine  et  les  embuscades  berbères  auraient 
bien  vite  raison  de  leur  résistance.  Mais  Jean  ne  se  laissa  point 
prendre  à  leur  ruse;  il  s'établit  sur  la  côte,  où  le  port  voisin 
de  Lariscus  *  lui  permettait  de  ravitailler  aisément  ses  troupes, 
et  patiemment  il  pensait  attendre  que  la  disette  fit  sortir  les 
tribus  de  leur  retraite.  C'est  à  ce  moment  que  se  réalisèrent 
les  prévisions  d'Antalas.  Ne  comprenant  point  la  prudente 
tactique  de  leur  chef^  voyant  seulement  les  fatigues  subies,  la 
solde  non  payée,  la  fin  de  l'expédition  inutilement  retardée, 
les  soldats  se  soulevèrent  en  une  formidable  sédition  '.  Sans 
écouter  leurs  officiers,  ils  se  portèrent  avec  des  cris  de  mort 
vers  la  tente  du  général,  et  Jean  n'eut  que  le  temps  de  s'é- 
chapper avec  quelques  hommes  demeurés  fidèles*.  Fort  heu- 
reusement pour  la  cause  impériale,  les  contingents  indigènes 
ne  se  laissèrent  point  entraîner  dans  la  révolte  *  ;  grâce  à  eux, 
on  put  arrêter  le  tumulte  et  éviter  l'effusion  du  sang;  néan- 
moins pour  satisfaire  les  troupes,  Jean  consentit  à  marcher  à 
Tennemi.  Il  le  trouva  à  l'endroit  appelé  les  Champs  de  Caton^^ 
mais  si  fortement  retranché  qu'une  attaque  de  vive  force 
parut  périlleuse  ;  le  magister  militum  jugea  donc  préférable 
de  bloquer  la  position,  persuadé  que  la  famine  obligerait 
bientôt  les  rebelles  à  descendre  dans  la  plaine  \  C'est  en  effet 
ce  qui  arriva  :  contraints  par  le  manque  de  vivres  à  offrir  la 
bataille,  comptant  d'ailleurs,  à  la  faveur  des  offices  divins 
(c'était  justement  un  dimanche),  surprendre  les  soldats  byzan- 
tins sans  ordre  et  sans  armes",  l'esprit  monté  encore  par  les 

1.  JoA.,  Vllï,  38-40;  cf.  ParUch,  p.  xxxvii,  n.  209. 

2.  W.,  VIII,  46. 

3.W.,  VUI,  50-31,  81-84. 

4.  M.,  VIII,  87-88,  102-104,  111. 

5. /d.,  VUI,  127-129. 

6.  W  ,Vni,  165-166. 

7.  W.,  VIII,  170-180;  cf.  VIII,  243-250. 

8.  Arf.,  Vin,  254. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLCTA  379 

sanglants  sacrifices  dont  ils  avaient  pendant  la  nuit  précé- 
dente arrosé  les  autels  de  leurs  dieux,  les  indigènes,  se  croyant 
sûrs  de  la  victoire,  vinrent  se  jeter  sur  le  camp  des  impériaux. 
Sous  cet  assaut  inattendu,  la  lutte  demeura  quelque  temps 
incertaine'  :  et  déjà,  malgré  une  énergique  défense^  les  troupes 
de  Goutsina  et  les  régiments  réguliers  mêmes  qui  les  enca- 
draient pliaient  sous  le  nombro,  lorsque  le  magister  milUum 
qui,  par  une  charge  vigoureuse,  avait  dispersé  les  lignes 
rangées  en  face  de  lui,  vint  fort  à  propos  au  secours  de  ses 
lieutenants.  Après  une  terrible  mêlée,  où  succombèrent,  avec 
les  principaux  des  chefs  berbères,  quelques-uns  des  meilleurs 
officiers  grecs,  la  victoire  pourtant  semblait  assurée,  lorsque 
rassemblant  ses  dernièresforces.  Car casan lui-même  les  lança 
à  une  attaque  suprême  :  mais  dès  le  début  de  l'assaut,  le  roi 
berbère  tomba  frappé  de  la  main  même  de  Jean  Troglita*.  Sa 
mort  fut  pour  les  siens  le  signal  de  la  déroute  ;  sans  même 
essayer  de  défendre  leur  camp,  les  Berbères  s'enfuirent  en 
désordre  ;  beaucoup  d'entre  eux  tombèrent  sous  Tépée  des 
cavaliers  lancés  à  leur  poursuite  ;  le  reste  évacua  en  toute 
hâte  la  Byzacène  '. 

Le  succès  cette  fois  dépassait  toutes  les  espérances*  ;  dix- 
sept  des  principaux  chefs  berbères  étaient  restés  parmi  les 
morts*,  et  parmi  eux  le  plus  terrible,  Carcasan,  dont  la  tête 
coupée,  plantée  au  botit  d*une  pique,  allait  orner  la  rentrée 
triomphale  du  magister  militumk  Garthage ^.  Après  cette  dure 
leçon,  les  tribus  de  la  Tripolitaine,  épuisées,  décimées,  re- 
nonçaient à  la  lutte  et  se  réfugiaient  au  désert  ;  celles  de  la 
Byzacène,  livrées  à  la  discrétion  du  vainqueur,  n'avaient  plus 
de  salut  que  dans  une  complète  soumission  ;  Antalas  s'y  ré- 
signa, et,  suivant  la  forte  expression  de  Procope,  «  il  obéit  à 

\.  Joh.,  VIII,  370-656. 

2.  W.,  VIII,  627-636. 

3.  BelL  Vand.,  p.  534. 

4.  Id.,  p.  534;  Bell.  Go  th.,  p.  549. 

5.  Jordanes,  Romana,  p.  51-52. 

6.  Joh  ,  VI,  484-187. 


380  HISTOIUE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Jean  comme  un  esclave  »^  La  paix  était  donc  rétablie  en 
Afrique  '  ;  après  quatre  années  de  désolations  et  d'invasions 
presque  ininterrompues,  la  province  allait  enfin  goûter  le  repos 
si  impatiemment  souhaité'.  Sans  doute,  elle  sortait  presque 
épuisée  de  cette  longue  série  de  catastrophes  :  le  pays  était 
dépeuplé,  appauvri  ;  des  régions  entières,  jadis  fertiles,  étaient 
changées  en  désert;  et  pendant  longtemps  encore  les  cam- 
pagnes devaient  rester  presque  abandonnées*.  Gepeûdant, 
dans  toute  TAfrique,  la  joie  était  entière,  et  la  soumission 
définitive  des  tribus  semblait  annoncer  une  ère  nouvelle  de 
paix,  de  concorde,  de  justice  \  «  A  partir  de  ce  moment,  dit 
Procope,  les  Romains  n'eurent  en  ce  temps  aucune  guerre  à 
soutenir  en  Afrique  »  *  ;  et  en  effet  pendant  quatorze  années  — 
jusqu'en  562  —  les  textes  ne  mentionnent  aucun  trouble  dans 
la  province.  On  peut  croire  que  sous  l'administration  de  Jean 
Troglita,  élevé  en  récompense  de  ses  victoires  à  la  dignité  de 
patrice\  toutes  les  mesures  nécessaires  furent  prises  pour 
réorganiser  promptement  la  province  :  la  défense  de  la  fron- 
tière, dont  mieux  que  personne  le  gouverneur  général  con- 
naissait les  principes  et  comprenait  la  nécessité  ',  fut  recons- 
tituée sur  le  plan  tracé  jadis  par  Bélisaire  et  par  Solomon  ; 
les  relations  de  vassalité  qui  liaient  à  Byzance  les  chefs  indi- 
gènes furent  rétablies  et  fortifiées  '  ;  même  l'administration 
civile  semble  avoir  repris  son  cours  :  dii  moins  en  530  encore, 
le  préfet  du  prétoire  Athanase  apparaît  à  côté  de  Jean  Tro- 
glita. En  tous  cas,  en  552,  la  province  était  assez  paisible 
pour  que  le  patrice  put  concourir  à  la  guerre  ostrogothique, 
et  envoyer  en  Sardaigne  et  en  Corse  une  expédition  et  une 

i,Bell,  Golh.y^.  549-550. 

2.  Joh.,  Praef.,  2,  35;  (,  9-10;  Jordanes,  L  c. 

3.  Bell.    Vand.,^,  534;  Bell.  Goth,,  p.  550. 

4.  Bell,  Vand.,  p.  534  ;  Bell.  Goth.y  p.  550  ;  Hisi.  arcan.,  p.  106. 

5.  Joh,,  1,  9-13. 

6.  Bell,  Goth.y  p.  550. 

7.  C'est  le  titre  qu*il  porte  dans  Jordanes,  /.  c. 

8.  Cf.  Joh.,  VI,  38-52. 

9.  Joh,,  1,  n-22. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  JEAN  TROGLITA  381 

flotte  destinées  à  chasser  de  ces  lies  les  troupes  de  Totila^ 
C^est  peu  après  cetle  date,  selon  toute  vraisemblance,  que 
mourut  le  glorieux  général  :  par  sa  bravoure,  par  ses  talents 
de  diplomate  et  d'administrateur,  il  s'était  montré  en  Afrique 
le  digne  successeur  de  Solomon  ;  et  il  avait  rendu  au  pays  une 
tranquillité  qui,  jusqu'aux  derniers  jours  presque  du  règne  de 
Justinien^  ne  fut  troublée  par  aucun  incident  :  entre  552  et 
558,Âgathias  ne  mentionne  pas  un  événement  en  Afrique. 

i.  Bell.  Golh.,  p.  590-591. 


DEUXIÈME    PARTIE 
LA  GONDinOH  DE  L'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JDSTllIIEN 


CHAPITRE  PREMIER 

l'état  MATÉRIEL  DE  l' AFRIQUE  BYZANTINE 


Dans  un  passage  célèbre  de  V Histoire  secrète,  Procope  a  mar- 
qué en  traits  déplorables  les  conséquences  qu'eut  pour  TÂfri- 
que  la  conquête  byzantine.  «  L'Afrique,  dit-il,  qui  s'étend  sor 
de  si  vastes  espaces,  fut  si  complètement  ruinée  que  le  voya- 
geur, sur  de  longs  parcours,  s'étonne  de  rencontrer  un  homme. 
Cependant  les  Vandales  en  état  de  porter  les  armes  étaient 
environ  quatre-vingt  mille,  sans  compter  les  femmes,  les 
enfants,  les  serviteurs  ;  les  Africains  qui  habitaient  dans  les 
villes,  qui  cultivaient  la  terre,  qui  faisaient  le  commerce  de 
mer,  formaient,  je  Tai  vu  de  mes  yeux,  une  telle  multitude 
qu'à  peine  pouvait-on  l'évaluer;  plus  nombreux  encore  étaient 
les  Maures,  et  tous  ont  péri  avec  leurs  femmes  et  leurs 
enfants.  Le  même  pays  a  dévoré  bien  des  soldats  romains,  et 
beaucoup  de  ceux  qui  de  Byzance  avaient  suivi  Tarmée  :  en 
sorte  qu'en  estimant  à  cinq  millions  d'hommes  le  nombre  de 
ceux  qui  sont  morts  en  Afrique  on  demeurerait,  je  crois,  encore 
au-dessous  de  la  réalité.  C'est  que  Justinien,  après  la  défaite 
des  Vandales  ne  s'inquiéta  point  d'assurer  la  solide  possession 
du  pays  ;  il  ne  comprit  point  que  la  meilleure  garantie  de  Tau- 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  383 

torité  réside  dans  ta  bonne  volonté  des  sujets  :  mais  il  se  hâta 
de  rappeler  Bélisai  re  qu'il  soupçonnait  injustement  d'raspire 
à  Tempire,  et  lui-même  administrant  T Afrique  à  distance,  il 
répuisa,  la  pilla  à  plaisir.  Il  envoya  des  agents  pour  estimer 
les  terres,  il  établit  des  impôts  très  lourds  qui  n'existaient 
point  auparavant,  il  s'adjugea  la  meilleure  partie  du  sol,  il 
interdit  aux  ariens  la  célébration  de  leurs  mystères,  il  différa 
les  envois  de  renforts  et  en  toute  circonstance  se  montra  dur 
au  soldat  :  et  de  là  naquirent  des  troubles  qui  aboutirent  à  de 
grands  désastres.  L'empereur,  en  effet,  ne  sut  jamais  conserver 
les  choses  en  Tétat,  mais  il  se  plaisait  naturellement  à  tout 
remuer  et  à  tout  bouleverser  '.  » 

Ainsi  la  province  dépeuplée,  le  pays  laissé  sans  défense,  li- 
vré en  proie  à  une  administration  détestable,  ruiné  par  les 
exactions  financières,  l'intolérance  religieuse,  les  soulèvements 
militaires,  tels  furent,  à  en  croire  l'impitoyable  réquisitoire 
de  Procope,  les  seuls  résultats  qu'eut  pour  TAfrique  le  règne 
de  Justinien.  Et  en  effet,  si  sujettes  à  caution  que  soient  d'or- 
dinaire les  assertions  de  \  Histoire  secrète ,  ici  pourtant  il 
faut  admettre  que  ces  sévères  critiques  renferment  quelque 
part  de  vérité.  Dans  ses  ouvrages  proprement  historiques,  Pro- 
cope  a  également  constaté^  en  termes  moins  exagérés,  mais 
non  moins  significatifs,  les  conséquences  des  longues  querelles 
intestines  et  des  perpétuelles  incursions  berbères  :  il  a  montré 
les  campagnes  désertes,  les  populations  rurales  s'enf  uyant  dans 
les  villes,  les  riches  quittant  l'Afrique  pour  chercher  asile  en 
Sicile  ou  à  Byzance,  les  Maures  pillant  et  massacrant  tout,  le 
pays  enfin  presque  vide  d'hommes  '.  Gorippus,  un  témoin  ocu- 
laire, renchérit  encore  sur  le  récit  de  ces  misères  :  il  peint,  lui 
aussi,  non  sans  quelque  fatigante  amplification  poétique,  les 
Africains  tombant  sous  le  glaive  des  Berbères  ou  traînés  à  la 
suite  du  vainqueur  en  longs  troupeaux  de  captifs,  les  campagnes 
mises  au  pillage,  les  moissons  réduites  en  cendres,  les  églises 


1.  HUt.  arc,  p.  106-107. 

2.  Be/L  Vand.,  p.  512,  534;  Bell.  Goth.,  p.  550. 


384  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

ruinées  et  les  prêtres  esclaves,  les  indigènes  courant  librement 
la  Byzacène  et  venant  jusqu'à  la  côte  insulter  les  murailles 
des  cités,  le  pays  si  désolé  enfin  qu'il  est  devenu  incapable  de 
rien  produire,  et,  selon  l'énergique  expression  du  poète  :  «  l'A- 
frique fumante  s'ablmant  dans  les  flammes  »  \ 

Il  est  également  incontestable  que  le  premier  soin  de  Justinien 
fut  de  rétablir  en  Afrique  les  anciens  impôts  romains,  etcomme 
les  rôles  antiques  avaient  disparu,  des  commissaires  furent  char- 
gés de  procéder  aune  répartition  nouvelle '.Qu'au  coursdecelte 
opération,  plus  d'une  injustice  ait  été  commise,  il  se  peut  :  Pro- 
cope  parle  du  vif  mécontentement  que  la  mesure  souleva  dans 
la  province  '.  Que  plus  tard,  malgré  les  précautions  prises  par 
l'empereur,  bien  des  exactions  se  soient  produites  dans  la  per- 
ception des  taxes  et  dans  le  traitement  fait  aux  sujets,  cela 
encore  est  vraisemblable  :  Procope  parle  quelque  part  de  la 
fortune  scandaleuse  que  fit  un  certain  Théodose,  familier  de 
Bélisaire  et  préposé  à  la  garde  des  trésors  trouvés  au  palais  de 
Garthage^;  et  les  recommandations  mêmes  prodiguées  par 
Justinien  à  ses  officiers  civils  et  militaires^  le  soin  qu'il  eut 
d'augmenter  leurs  appointements,  l'insistance  qu'il  mit  à  leur 
prescrire  une  administration  honnête  et  scrupuleuse  '  permet- 
tent de  croire  que  ces  fonctionnaires  durent  plus  d'une  fois 
succomber  à  la  tentation. 

Est-ce  à  dire  pourtant  qu'il  faille  prendre  à  la  lettre  toutes 
les  accusations  de  Y  Histoire  secrète  ?  Sans  relever  même  l'exa- 
gération évidente  de  ce  chiffre  de  cinq  millions  de  morts,  on 

1.  JoA.,  1,28-47  ;  H,  295-296,  331-332;  IV,  277-279;  I,  323-349;  II,  1-3;  VI, 
248-249:  surtout  IV,  276-297  : 

Jam  nuUus  arator 
Arva  colit  ; 
6t  I,  47  : 

Pumans  périt  Africa  flammis. 

2.  Evagrius,  Bist.  eccL,  IV,  18  (Pair,  gr.,  LXXXVl,  p.  2736);  Betl.  Vand,, 
p.  444-145. 

3.  Bell.  Yand.,  p.  445. 

4.  Cf.  Bist.  arc,  p.  17,  et  sur  le  personnage  nommé  dans  ce  passage,  Bell. 
Golk,,  p.  261. 

5.  Cod.  Just,,  l  27,  1  et  2. 


L'ÉTAT  MATERIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  385 

observera  chez  Fauteur  des  Anecdota  une  visible  tendance  à 
généraliser  des  faits  d'une  portée  beaucoup  plus  restreinte. 
Les  témoignages  cités  plus  haut  de  Procope  et  de  Corippus  ne 
se  rapportent  ni  à  l'ensemble  de  la  province,  ni  à  l'ensemble 
du  règne  ;  ils  concernent  presque  exclusivement  la  seule  Byza- 
cène,  ils  visent  expressément  la  crise  des  années  545  à  548, 
qui  fut  en  effet  terrible  pour  l'Afrique,  et  dont  elle  fut  long- 
temps à  se  relever  :  elle  s'en  guérit  pourtant,  on  le  verra  tout 
&  rheure,  pendant  les  années  de  paix  qui  suivirent  et  Justinien 
ne  se  désintéressa  nullement  de  cette  œuvre  réparatrice.  On 
remarquera  d'autre  part  que  la  reprise  de  TAfrique  avait  im- 
posé à  l'empire  de  lourds  sacrifices  pécuniaires*,  et  Ton  com- 
prendra qu'après  l'effort  demandé  aux  anciens  sujets  de  la 
monarchie,  il  ait  paru  légitime  de  faire  peser  sur  la  nouvelle 
province  l'entretien  de  Tarmée  qui  devait  la  défendre  et  des 
fonctionnaires  qui  devaient  l'administrer  '  ;  si  Ton  songe  aux 
graves  conséquences  qu'entraînait  le  moindre  retard  dans  le 
paiement  de  la  solde,  on  concevra  qu'il  ait  semblé  nécessaire 
d'exiger  impitoyablement  l'exacte  rentrée  des  impôts*.  Évi- 
demment il  est  difficile  d'apprécier  le  poids  réel  des  charges 
qui  frappèrent  la  province  ;  on  voit  que  Tadministration  civile 
coûtait  au  total,  la  Sardaigne  mise  à  part,  17,423  sous  d'or, 
que  les  frais  de  l'administration  militaire  s'élevaient,  la  Sar- 
daigne également  déduite,  à  9,026  sous  d'or:  de  ce  fait  l'Afri- 
que avait  à  payer  26,449  sous  d'or,  soit  459,196  francs  de  notre 
monnaie  \  «foignez  à  cela  la  solde  de  l'armée  et  les  appointe- 
ments du  magister  militiim,  son  chef,  les  frais  de  construction 
des  innombrables  forteresses  qui  couvrirent  le  territoire^  certes 
le  total  à  fournir  put  sembler  lourd  parfois  à  un  pays  désolé 
par  la  guerre  :  mais  il  fallait  vivre,  et  en  tout  cas  on  doit 
savoir  gré  à  Justinien  des  efforts  qu^il  fit  pour  ne  point  se  met- 


1.  Nov,  8,  10;  30,  il. 

2.  Cod.  Juat  ,  I,  21,  2,  18. 

3.  Cf.  Noo.  8,  10. 

4.  Cod.  JusL,  I,  27,  1  et  2. 

1.  25 


3S6  HISTOIRE  DE  Lk  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tre,  comme  il  le  disait,  «  dans  la  nécessité  d'écraser  les  contri- 
buables de  notre  Afrique»  *.  Pour  le  reste,  on  avouera  sans 
peine  qu'en  matière  de  religion  l'empereur  pratiqua  une  into- 
lérance, dont  l'Église  est  d'ailleurs  aussi  responsable  que  lui, 
et  qui  fut  sans  grandes  conséquences  au  surplus  pour  la  pros- 
périté matérielle  du  pays  ;  on  reconnaîtra  que  la  mauvaise 
administration  de  l'armée  provoqua  des  troubles  fréquents  et 
causa  de  grands  désastres.  Mais  quand  V Histoire  secrète  accuse 
le  prince  de  s'être  approprié  les  meilleures  terres,  il  y  a  exa- 
gération évidente  dans  cette  assertion  que  rien  ne  justifie  ;  et 
lorsqu'elle  blâme  l'empereur  d'avoir  négligé  d'assurer  la  solide 
possession  de  sa  conquête^  il  y  a  véritable  injustice  à  oublier 
l'œuvre  de  défense  que  Justinien  poursuivit  avec  tant  de  solli- 
citude, les  citadelles  innombrables  bâties  avec  une  hâte  presque 
fébrile,  de  peur,  dit  ce  basileus,  que  Procope  accuse  de  coupables 
lenteurs,  «que  le  moindre  retard  ne  nuise  à  nos  provinces '.  » 
Aussi  bien,  et  c'est  ce  qui  achève  de  réduire  à  leur  vraie  va- 
leur les  affirmations  de  V Histoire  secrète,  malgré  les  guerres, 
malgré  les  ravages  des  Berbères,  malgré  la  dureté  de  l'admi- 
nistration financière,  l'Afrique  goûta  incontestablement,  sous 
le  règne  de  Justinien,  une  fort  réelle  prospérité.  Telle  période 
de  son  histoire  qui  nous  parait  pleine  de  désastres  et  de 
troubles,  ces  années,  par  exemple,  où  les  incursions  des 
Maures,  l'indiscipline  des  troupes,  la  redoutable  insurrection 
de  Stotzas  mettaient  la  domination  byzantine  à  deux  doigts 
de  sa  perte,  semblent  avoir  été  aux  contemporains  beaucoup 
moins  cruelles  que  nous  ne  croyons  :  Corippus  s'en  souvient 
à  peine,  quand  il  vante  «  les  dix  pleines  années  de  bon- 
heur »  que  l'Afrique  a  connues  de  534  à  544».  Vers  le 
même  temps,  Justinien  'notait  avec  complaisance  le  témoi- 
gnage rendu   à   son  administration  par  les  députés   de  la 

1.  Cod,JusL,  1,27,  1,  18. 

2.  Id.,  I,  27,  2, 15  :  a  ue  aliqua  protractio  proviociis  noceat.  » 

3.  Joh„  III,  289-290  : 

«  Florens  haec  gaudia  sensit 
Nostra  decem  tellas  plenos  laxata  per  annos.  • 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  387 

Byzacène,  venant  dire  de  quels  bienfaits  ils  jouissaient  sous 
le  régime  impérial'.  On  peut  croire  que  les  blessures  des 
années  suivantes,  si  terribles  qu^elles  nous  paraissent,  trou- 
vèrent de  même  une  assez  prompte  guérison  :  et  d'ailleurs, 
bien  des  indices  précis  attestent  la  prospérité  des  villes  et 
des  campagnes  africaines  sous  le  règne  do  Justinien,  autant 
que  la  sollicitude  témoignée  par  le  prince  à  sa  récente  con- 
quête. 

II 

«  Justinien,  dit  Evagrius,  releva  en  Afrique  cent  cinquante 
villes;  les  unes,  il  les  rebâtit  complètement,  les  autres^  qui 
étaient  en  grande  partie  ruinées,  il  les  restaura  avec  plus  de 
magnificence.  Dans  toutes,  il  prodigua  tous  les  genres  de  pa- 
rure, les  constructions  publiques  et  privées,  les  ceintures  de 
murailles  et  les  superbes  édifices,  qui  font  la  splendeur  des  cités 
en  même  temps  qu'ils  plaisent  à  Dieu.  Il  multiplia  les  travaux 
d'eau  autant  pour  Tagrément  que  pour  Tulilité,  créant  les  uns 
de  toutes  pièces  pour  les  villes  qui  n'en  possédaient  point  aupa- 
ravant, réparant  les  autres  de  manière  à  leur  rendre  leur 
aspect  d'autrefois*.  »Ilne  s'agit  pas  seulement  ici,  on  le  voit, 
de  ces  innombrables  citadelles,  par  lesquelles  Tempereur  vou- 
lut assurer  la  défense  de  la  province;  l'œuvre  de  réparation 
que  décrit  Evagrius  eut  une  autre  ampleur  et  une  portée  plus 
baute.  Elle  atteste  le  désir  qu'avait  le  prince  d'effacer  en  Afri- 
que les  traces  de  la  domination  vandale^  de  faire  renaître  la 
prospérité  qu'avait  connue  ce  pays  sous  l'autorité  de  Rome; 
elle  s'accorde  avec  les  mesures  bienveillantes  que  Justinien 
prescrivait  à  Tégard  de  ses.  nouveaux  sujets,  avec  les  efforts 
qu^il  tentait  pour  étendre  vers  le  sud  le  champ  de  la  colonisa- 
tion ;  et  si  l'on  songe  que  dans  l'empire  tout  entier,  un  des 
constants  soucis  du  basileus  fut  d«  fournir  aux  cités  les  cons- 

1.  Nov.  (éd.  Schoell),  Âpp.  U. 

2.  Evagrius,  Hist,  eccl,^  IV,  18. 


388  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATEON  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tructions  d'utilité  publique,  thermes,  aqueducs,  fontaines,  né- 
cessaires à  ralimentation  et  au  bien-être  des  habitants',  on 
admettra,  sans  peine,  qu'en  Afrique  plus  qu'ailleurs,  il  a  dû 
multiplier  les  travaux  pour  l'améDagement  de  l'eau*.  Aujour- 
d'hui encore^  bien  des  indices  épars,  lambeaux  de  textes  ou  rui- 
nes de  monuments,  permettent  d'entrevoir  l'exactitude  des  ren- 
seignements fournis  par  l'historien.  On  verra  plus  loin  de 
quelle  floraison  d'églises  le  rétablissement   de    Torthodoxie 
couvrit  les  provinces  africaines  :  la  sollicitude  de  Justinien  ne 
fut  pas  moindre  pour  la  construction  des  édifices  civils.  On 
peut  croire  que  son  orgueil  se  complut  à  laisser  des  marques 
visibles  de  son  règne  dans  ces  villes  qu'il  décorait  de  son  nom, 
Justiniana  Capsa,  Hadrumetum  Justiniana,  Carthago  Justi- 
niana%  et  dont  plusieurs,  au  reste,  telles  que  Justiniana  Zabi  ou 
Justinianopolis,  furent  de  véritables  créations  de  la  volonté  im- 
périale*. OnsaitparProcope  comment  Leptis  magna,  trouvée 
par  les  Byzantins  à  peu  près  en  ruines  et  presque  ensevelie  sous 
les  sables,  fut  reconstruite  par  les  ordres  du  prince  et,  selon 
l'expression  de  l'écrivain,  «  reprit  figure  de  ville  »':  sans  parler 
des  églises  nombreuses  qui  y  furent  élevées,  Justinien  y  fil 
réparer  l'antique  palais  de  Septime  Sévère,  il  dota  la  cité  de 
bains  publics  et  d'autres  édifices  somptueux*.  Des  travaux  du 
même  genre  embellirent  Sabrata^.  Sur  la  côte  de  Byzacène,  & 
ce  promontoire  de  Caput  Vada  où  avaient  débarqué  les  trou- 
pes de  Bélisaire,  une  ville  fut  fondée  sous  le  nom  de  Justiniano- 
polis; et,  malgré  les  difficultés  naturelles  de  la  situation^  réta- 
blissement impérial  semble  avoir  été  prospère,  grâce  à  Ja 
sûreté  du  port  qui  y  fut  établi,  grâce  à  l'activité  des  échanges 

1.  Cf.  Aed.,  p.  312-313. 

2.  Voir  un  exemple  cité  par  La  Blanchère,  Vaménagement  de  Veau  dans 
r Afrique  ancienne^  p.  58-59. 

3.  Cl.  L.,  Vill,  101,  102  (Capsa)  ;  Aed,,  p.  340:   Ubbe,  V,  p.   376  (Hadru- 
mele);  Aed,y  p.  339;  Joh.,  VI,  59;  Nov.  37  (Carthage). 

4.  C.  /.  L.,  VUl,  8805  (Nova  JusUniana  Zabi);  Aed,,  p.  341-342. 

5.  Aed.,  p.  335-337. 

6.  M.,  p.  336-337. 

7.  /d.,p.  337. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  389 

qui  se  firent  sur  l'important  marché  qui  y  fut  ouvert *.l La 
capitale  de  l'Afrique  byzantine,  Carthage,  naturellement  reçut 
sa  large  part  des  bienfaits  et  des  libéralités  du  souverain. 
L'ancien  palais  des  rois  vandales,  situé  sur  les  hauteurs  de 
Byrsa,  fut  aménagé  pour  servir  de  résidence  au  gouverneur 
général,  et  une  église  somptueuse  y  fut  édifiée'.  Pour  aug- 
menter le  développement  du  commerce  de  mer,  une  des  prin- 
cipales sources  de  la  prospérité  de  Carthage,  le  port  fut  pro- 
tégé par  d'importants  travaux  de  fortification  >  ;  et  dans  le 
quartier  marchand  situé  le  long  du  rivage^la  grande  place 
appelée  le  forum  de  mer  fut  encadrée  d'une  double  rangée 
de  portiques'.  Dans  la  ville,  des  thermes  magnifiques  furent 
bàtis^  qui  reçurent,  en  Thonneur  de  l'impératrice,  le  nom  de 
Thermes  Théodoriens*  et  Tensemble  des  constructions  ordon- 
nées par  l'empereur  parut  aux  contemporains  assez  considé- 
rable pour  que  Procope  ait  pu  parler  «  de  la  nouvelle  Carthage 
créée  par  Justinien^  » 

Mais  l'exemple  le  plus  caractéristique  peut-être  de  ce  que  fut 
l'œuvre  de  réparation  entreprise  en  Afrique  par  le  gouverne- 
ment impérial  est  fourni  par  les  récentes  fouilles  poursuivies  à 
Timgad  par  le  Service  des  monuments  historiques.  Thamugadi, 
on  le  sait,  avait  été  trouvée  par  les  troupes  de  Soiomon  absolu- 
ment ruinée  et  déserte  ;  située  d'autre  part  à  la  frontière  même 
du  territoire  byzantin,  elle  n^offrait,  ni  par  l'éclat  d'un  nom 
jadis  illustre, ni  par  une  importance  urbaine  bien  considérable, 
des  raisons  d'attirer  particulièrement  l'attention  des  administra- 
teurs grecs.  Pourtant  les  lieutenants  de  Justinien  ne  se  conten- 
tèrent point,  comme  on  Ta  cru  longtemps,  d'élever  sur  cet  em- 
placement désert  la  grande  forteresse  qui  se  dresse  au  sud  de 

1.  Aed.,  p.  341-342,  et  sur  le  port,  Joh,,  I,  372-373. 

2.  Aed.,  p.  339;  Bell.  Vand.,  p.  474,  523,  392-393. 

3.  Id.,  p.  339. 

4.  BelL  Vand.,  p.  394  et  392. 

5.  Aed.,  p.  339. 

6.  /d.,  p.  339. 

7.  7d.,  p.  339  :  cit\  Kap*xv)86vo<  ttj;  véa;. 


390  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

la  ville;  pour  ramener  la  vie  dans  la  cité  abandonnée,  ils  s'ap- 
pliquèrent à  réparer  les  ravages  causés  par  les  Maures*.  Les 
maisons  détruites  par  Tincendie  furent  reconstruites  «  au 
moyen  de  fragments  de  colonnes  ou  d'autres  débris  enlevés 
aux  ruines  d'alentour  »  '  :  le  marché  fut  remis  en  état,  et  de 
nouveau  servit  aux  échanges  :  les  édifices  religieux  furent  res- 
taurés, en  particulier  la  grande  basilique  à  trois  nefs  située  au 
nord-ouest  de  Tare  de  Trajan,  et  où  apparaissent  les  traces  non 
équivoques  des  remaniements  accomplis  au  vi**  siècle.  Plusieurs 
chapelles  nouvelles  furent  construites;  et,  à  Tabri  de  la  cita- 
delle qui  la  protégeait,  Thamugadi  recommença  à  vivre,  et 
jusque  vers  le  milieu  du  vu*'  siècle  elle  demeura  un  centre 
d'habitation  ^  On  admettra  sans  peine  que  l'exemple  de  Timgad 
n'est  point  un  cas  isolé,  qu'en  bien  d'autres  points  de  l'Afrique 
l'administration  impériale  ne  fut  ni  moins  attentive  ni  moins 
réparatrice  que  dans  la  ville  assez  obscure  perdue  au  pied  du 
massif  de  l'Âurès;  on  l'admettra  surtout,  si  l'on  considère  en 
quelle  harmonie  les  fouilles  se  trouvent  ici  avec  les  indications 
des  textes  et  par  quel  éclatant  témoignage  elles  montrent  réa- 
lisées les  intentions  qu'exprimait  Justinien,  lorsque,  derrière 
les  citadelles  du  lunes  reconstruites,  il  ordonnait  de  pousser  du 
même  pas  l'agriculture  et  la  colonisation  *. 

Ce  n'est  point  en  constructions  seulement  que  se  dépensait 
l'activité  impériale.  Dans  les  grandes  villes  de  l'Afrique  by- 
zantine, la  civilisation  romaine  jette  un  dernier  éclat.  Le  ré- 
gime municipal  gouverne  les  cités  comme  autrefois  *,  et  Jus- 
tinien semble  s'être,  entre  autres  exemples,  préoccupé  de  le 
réorganiser  à  Cartbage^  et  de  l'introduire  dans  ses  nouvelles 
fondations  ^  Malgré  les  misères  du  temps,  les  arts  de  la  paix 

i.  A.  Ballu,  Rapport  sur  les  travaux  de  fouilles  et  de  consolidation  des  ruine» 
de  Timgad,  exécutés  en  1895  par  le  Service  des  monuments  historiques  {Jour- 
nal officiel  du  4  juin  1896). 

2.  Ibid.,  p.  3122. 

3.  i6id.,  p.  3121-312  K 

4.  Cod.  JusL,  I.  27,  2,  8. 

5.  Cf.  Daho.  Die  Kfinige  der  Germanen,  I,  p.  239-240. 

6.  Joh,,  ni,  280;  Aed.,  p.  342. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  391 

fleurissent.  Sur  la  côte,  que  les  relations  commerciales  mettent 
en  de  fréquents  rapports  avec  TOrient,  les  formes  arcbi tecto- 
niques et  le  style  décoratif  s'inspirent  de  Fart  de  Byzance,  et 
plus  d'un  morceau  d'architecture  conservé  à  Sfax,  à  Lamla,  à 
Sousse  ou  àKairouan  semble  ètrel'œu  vre  d'artistes  grecs  * .  Dans 
l'intérieur,  où  persiste  davantage  la  prédominance  des  tradi- 
tions latines,  un  essai  d'art  original,  bien  que  d'une  rare  gros- 
sièreté, se  manifeste  dans  ces  curieux  carreaux  de  terre  cuile 
employés  au  revêtement  des  basiliques  '.  Ailleurs,  la  sculpture 
produit  même  de  plus  remarquables  ouvrages  :  je  citerai  seu- 
lement les  deux  beaux  bas-reliefs,  découverts  à  Cartbage  parmi 
les  ruines  de  la  basilique  de  Damous-el-Karita,  et  qui  repré- 
sentent V Adoration  des  mages  et  V Apparition  de  Fange  aux  ber- 
gers ;  malgré  quelque  maniérisme  dans  le  style  et  quelque 
maladresse  dans  les  attitudes,  les  deux  morceaux  peuvent 
compter  parmi  les  meilleurs  que  nous  ait  laissés  l'art  byzantin 
du  vi^  siècle  '.  Mais  c'est  surtout  la  mosaïque,  si  répandue  jadis 
et  si  populaire  dans  les  cités  africaines,  qui  garde  un  rôle  im- 
portant dans  la  décoration  des  monuments.  Si  la  mosaïque  de 
Gafsa,  représentant  les  jeux  du  cirque,  appartient,  comme  je 
le  crois,  à  l'époque  que  nous  étudions,  elle  montre^  malgré 
les  insignes  faiblesses  de  l'exécution,  quel  sentiment  du  pit- 
toresque possédaient  encore  les  artistes  africains  du  temps  de 
Justinien  *  ;  elle  montre  surtout  que  l'hippodrome  excitait  dans 
les  provinces  les  mêmes  passions  qu'à  Constantinople,  et  elle 

\.  SaladiD,  I,  p.  4,  iO,  21,  29-31,  224. 

2.  Bull,  Conu,  1885,  p.  327;  Revue  archéoU,  1888,  p.  303-322;  Comptes  rendus 
de  r Académie  des  inscriptions,  1893,  p.  219-221  ;  iteoue  archéoL,  1893,  t.  II,  p.  213- 
281. 

3.  Bull,  Com,,  1885,  p.  190;  1886,  p.  220-223;  Delattre,  Archéologie  chré- 
tienne de  Carthage,  1889-1893,  p.  17  (extrait  du  Cosmos),  Je  n'ignore  point  que 
de  Rossi,  qui  d'ailleurs  n*avait  pas  vu  les  originaux,  attribue  ces  monuments 
au  IV*  siècle.  Après  une  étude  attentive,  Je  snis  frappé  des  analogies  qu'ils 
offrent  avec  les  ouvrages  byzantins  du  vi«  siècle,  par  exemple  avec  Tambon 
de  Saloniqae.  M.  Gsell  a  exprimé  sur  cette  question  la  même  opinion  que 
moi. 

4.  Cf.  P.  Gauckler,  Guide  du  visiteur  au  Musée  du  Bardo  (Revue  tunisienne, 
4896,  p.  315). 


392  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

laisse  entrevoir  de  quelle  animation  se  remplissait,  aux  jours 
de  fête,  le  grand  cirque  que  Carthage  avait  au  vi®  siècle  *.  A 
ce  double  point  de  vue  artistique  et  social,  on  trouvera  plus 
d'intérêt  encore  aux  mosaïques  découvertes  dans  les  cimetières 
chrétiens  de  Lamta  et  de  Tabarka  '  :  non  seulement  elles  mon- 
trent, par  cette  application  de  la  mosaïque  à  la  décoration  des 
plaques  tombales,  à  quel  point  s'était  généralisé  Teraploi  de 
ce  mode  d'ornementation  ;  elles  fournissent  en  outre  un  en- 
semble singulièrement  instructif  pour  reconstituer  Taspect  de 
la  société  africaine  de  l'époque.  Hommes  en  longue  dalmatique 
verte  ou  blanche  ornée  de  larges  bandes  de  broderies,  avec  le 
manteau  triangulaire  de  laine  brune  enveloppant  le  buste,  et 
Vorarium  passé  autour  du  cou  ;  femmes  en  étroites  robes  col- 
lantes brodées  au  cou  et  aux  poignets,  serrées  à  la  taille  par 
une  ceinture  rouge  et  que  recouvre  une  ample  tunique  aux 
larges  manches  de  couleur  éclatante,  avec  les  bijoux  sur  la 
poitrine,  Técharpe  claire  flottant  sur  les  épaules  et  parfois  en- 
cadrant le  visage;  enfants  en  culottes  collantes  alternées  de 
jaune  et  de  rouge,  en  courtes  tuniques  blanches  à  bandes  de 
couleur  :  ce  sont  autant  de  portraits  authentiques  qui  mettent 
sous  nos  yeux  en  de  vivantes  images  les  habitants  de  l'Afri- 
que tels  qu'ils  étaient  au  temps  de  Justinien  '. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  lettres  qui  ne  brillent  d'une  dernière 
et  fugitive  lueur.  Un  des  premiers  soins  de  l'empereur,  au 
lendemain  de  la  victoire,  fut  de  réorganiser  à  Carthage  une 
sorte  de  haut  enseignement*,  et  on  a  lieu  de  croire  qu'à 

1.  Bell,  Vand.,  p.  473,  492. 

2.  SaladiD,  I,  p.  11-20  ;  Gagnât,  Archives  des  Missions,  Xtll,  p.  113-1 14  ;  Comptes 
rendus  de  CAcad.  des  inscriptions ,  1883,  p.  189  sqq.  (Lamta)  ;  Bu/^  Ant.  Afr., 
1884,  p.  121  8qq.  ;  1885,  p.  1  sqq.;Con.ptes  rendus  de  VAcad.  des  inscriptions, 
1890,  p.  330*331;  Bull.Com.,  1892,  p.  193-196  (Tabarka). 

3.  Cf.  P.  Gauckler,  Guide  du  visiteur  au  Musée  du  Bardo,  p.  315-316.  Je 
D*igDore  point  qu'une  grande  partie  de  ces  mosaïques  datent  du  v«  siècle  : 
mais  d*autres  appartiennent  sûrement  au  vi*  siècle.  Or,  entre  les  premières 
et  les  monuments  d'époque  plus  récente  (celles  da  second  cimetière  de  Ta- 
barka, par  exemple),  il  n*y  a  pour  les  costumes  nulle  différence  essentielle. 

4.  Cod.  Just.j  I,  27,  1,  42.  Cf.  Marquardt,  Organisation  financière  des  Ro- 
mains, p.  133-134. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  393 

l'exemple  de  la  capitale,  d'autres  villes  eurenl  des  écoles  publi- 
ques de  grammaire  et  de  rhétorique*.  Un  mouvement  litté- 
raire assez  considérable  avait  marqué  les  règnes  des  derniers 
souverains  vandales  '  :  il  ne  cessa  point  entièrement  après  la 
chute  de  Gélimer.  L'Afrique  byzantine  eut  dans  Corippus  un 
poète,  nourri  des  souvenirs  et  des  procédés  du  classicisme 
romain.  L'Église,  on  le  verra  plus  tard,  produisit  quelques 
écrivains  de  valeur  :  et  dans  les  couvents  africains  on  parait 
avoir  gardé  quelque  souci  des  lettres.  Tout  au  moins  les  bi- 
bliothèques monastiques  conservaient-elles  au  vi®  siècle  nom- 
bre de  manuscrits  précieux  :  pour  enrichir  son  monastère 
Vivariense,  Cassiodore  faisait  venir  des  livres  de  l'Afrique  •; 
et  les  moines  n  ignoraient  point  le  prix  de  ces  trésors.  Lors- 
que les  menaces  de  la  guerre  les  obligeaient  à  fuir,  une  de  leurs 
premières  préoccupations  fut  souvent  de  sauver  les  manuscrits 
de  l'abbaye  *. 

Certes,  si  Ton  compare  ces  débris  de  civilisation  au  brillant 
tableau  que  présentait  FAfrique  romaine  vers  le  temps  de  sa 
pleine  prospérité,  on  avouern  sans  peine  que  l'âge  de  la  déca- 
dence est  commencé.  Pourtant  toute  culture  n'est  point  morte 
dans  les  villes  de  l'époque  byzantine;  une  vie  régulièrement 
organisée,  un  art,  une  littérature  s'y  rencontrent  :  et  malgré 
les  désastres  et  les  tristesses  du  temps,  malgré  le  fracas  de 
guerre  qui  remplit  incessamment  l'Afrique,  la  sollicitude  im- 
périale ne  s'est  point,  autant  qu'on  le  pourrait  croire,  désin- 
téressée des  arts  de  la  paix. 


III 


Au  point  de  vue  de  la  répartition  des  terres  et  du  régime 

1.  JuDiliuâ,  Depariibus  divinae  legis,  praef,  {Pair,  lat.^  LXVllI,  p.  15). 

2.  Maoitius,  Gesch.  der  christlich  lateinischen  Poésie^  p.  327-344. 

3    Cassiodore,  De  Inst,  divinarum  liUerarum,  8,  29  {Pair,  lat.  j  LXX,  p.  ii20, 
1144). 

4.  HildefODSUS,  De  Viris  iUuslHbus,  4  (Pair,  lat.,  XGVI,  p.  200). 


394  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  la  propriélé,  la  domination  vandale  avait  apporté  de  graves 
changements  en  Afrique.  Beaucoup  de  propriétaires  romains, 
ceux  là  surtout  qui  possédaient  les  meilleures  portions  du  sol, 
avaient  été  spoliés  au  profit  des  vainqueurs  et  souvent  réduits, 
sur  leurs  propres  domaines,  à  la  condition  de  colons.  L'Église 
orthodoxe  n'avait  pas  été  moins  durement  traitée  :  elle  s'était 
vue  dépouiller  de  ses  biens  et  chasser  de  ses  basiliques  au  bé- 
néfice de  ses  adversaires  ariens.  Enfin  les  rois  vandales  s'étaient 
fait  la  part  belle  dans  la  conquête  :  sur  les  domaines  de  Taris- 
tocratie  romaine,  Genséric  avait  constitué  pour  ses  fils  de 
vastes  apanages  ;  et  s*il  est  inexact  de  croire  que  tout  ce  qui 
ne  fut  point  distribué  aux  soldats  fut  uniformément  trans- 
formé en  terre  royale,  en  tout  cas  il  est  indéniable  que  les 
possessores  d'Afrique  avaient  lourdement  pàti  de  Tavidité  do 
vainqueur  \  Aussi  le  premier  soin  de  Justinien  fut-il,  on  Ta 
vu^  de  réparer  du  mieux  qu'il  put  les  désastres  de  l'époque 
vandale  et  de  faciliter  aux  anciens  propriétaires  romains  la 
reprise  des  terres  qu'ils  avaient  perdues  *.  II  se  peut  qu'au 
cours  des  opérations  assez  comp^quées  auxquelles  ces  reven- 
dications donnèrent  lieu^  l'empereur  n'ait  point  oublié  les  in- 
térêts de  l'État  et  du  domaine  privé.  On  voit  dans  Procope 
que  beaucoup  de  propriétés  enlevées  aux  soldats  vandales,  au 
lieu  d'être  restituées  à  leurs  anciens  détenteurs,  furent  attri- 
buées, sans  doute  en  l'absence  de  titres  légitimes,  au  trésor 
public  ou  à  la  res  privata  '  ;  il  est  probable  aussi  que  Tempe- 
reur  se  porta  héritier  de  toutes  les  terres  qui  avaient  consti- 
tué jadis  le  domaine  des  rois  germains.  Pourtant  on  ne  sau- 
rait admettre  qu'il  y  ait  eu,  comme  le  veut  V Histoire  secrètBj 
une  véritable  spoliation  des  propriétaires  africains  au  béné- 
fice de  Justinien  :  c*est  un  but  absolument  contraire  que  se 
proposent  les  Novelles  impériales,  et  il  y  a  tout  lieu  de  croire 
que  les  intentions  du  prince  furent  en  grande  partie  réalisées. 

1.  Bell.  Vand,^  p.  333-334;  Dahn,    Die  Kônige  der  Gemianen^  I,  p.  240-243, 
247-248. 

2.  Nov.  36-37. 

3    Bell.  Vand.,  p.  470. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  395 

Les  textes  attestent  en  effet  pour  l'Afrique  Texistence  d'un 
régime  rural  absolument  identique  à  celui  qu'on  trouve  vers 
le  même  temps  dans  ]es  autres  provinces  de  la  monarchie  '. 
On  y  rencontre,  et  en  assez  grand  nombre  encore^  des  paysans 
libres  vivant  sur  leurs  terres  *  et  groupés  en  communes  agri- 
coles; on  y  rencontre  plus  fréquemment  de  grands  domaines, 
dont  les  uns  appartiennent  à  l'Église  ^,  les  autres  à  de  riches 
possessores*,  La  façon  dont  ces  terres  sont  mises  en  valeur  ne 
diffère  pas  non  plus  de  la  pratique  générale  :  diverses  catégo- 
ries de  personnes  y  sont  établies,  coloni,  adscriptitii,  servi 
rustici.  Différents  par  le  degré  de  liberté  et  la  capacité  de  pos- 
séder dont  ils  jouissent  ',  pour  le  reste  ces  cultivateurs  se  dis- 
tinguent peu  les  uns  des  autres  :  étroitement  attachés  au  sol 
qu'ils  mettent  en  valeur,  incapables  de  quitter  la  terre  où  ils 
sont  nés,  ils  y  demeurent  établis  à  titre  héréditaire,  et  la  loi 
y  fixe  leurs  enfants  *  ;  cultivant  pour  le  compte  du  maître,  ils 
lui  paient  une  redevance  déterminée^  ils  lui  fournissent  cer- 
taines prestations  coutumières  \  Dans  TAfrique  byzantine 
comme  dans  le  reste  de  Tempîre,  le  régime  du  colonat  tend  de 
plus  en  plus  à  devenir  la  règle  de  l'exploitation  agricole  ^ 

Mais  Justinien  ne  se  contenta  point  de  rétablir  dans  leurs 
anciens  droits  les  possessores  d'Afrique  :  pour  favoriser  sur 
ces  domaines  le  développement  de  la  prospérité  agricole,  il 
prit  un  certain  nombre  démesures  qui  méritent  d'être  signalées. 
Une  des  raisons  quiinspirèrentlaconstructiondeces  forteresses 
dont  il  couvrit  le  pays  fut  le  désir  de  protéger  les  cultivateurs 


4.  Zachariae  voA  Lingenthal,  Gesch.  des  griechisch-riimiscfien  Rechts,  3o  éd., 
p.  218-228. 

2.  Nov.  36. 

3.  Nov.  37;  7,  1. 

4.  Nov.  (éd.  Schoell),  App.W  et  IX. 

5.  Sur  la  différence  entre  les  coloni  et  les  adscriptitii,  Nov.  162,  2,  et  Za- 
chariae,  /.  c,  p.  221-226.  Sur  la  différence  entre  les  adscriptUii  et  les  se7'vi 
rustici,  Cod.  JusL,  XI,  48,  21  et  Zachariae,  /.  c,  p.  226-227. 

6.  Zachariae,  Jus  graeco-romanum,  t.  III,  Coll.  I,  Nov.  6. 

7.  làid.,  Nov.  13. 

8.  Zachariae,  Gesch.  desgr.-rôm.  Bechts,  p.  223-224. 


396  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

et  de  leur  fournir  des  refuges  contre  les  incursions  berbères^  ; 
un  des  motifs  qui  déterminèrent  la  création  des  corps  de  itmi- 
tanei  fut  Tespoir  de  remettre  en  valeur,  par  une  exploitation 
régulière,  la  zone  frontière  laissée  à  l'abandon  et  d'attirer  les 
colons  dans  ces  régions  devenues  stériles  '.  Une  question  plus 
délicate  était  celle  de  la  réglementation  du  colonat.  La  vieille 
loi  romaine  attachait  d'une  façon  absolue  Vadscriptiiitis  à 
la  terre  ;  elle  permettait  au  maître  de  réclamer  en  toute  cir- 
constance et  de  ramener  de  force  le  serf  qui  s'était  échappé. 
Or,  à  la  faveur  de  la  désorganisation  qui  avait  accompagné 
l'époque  vandale,  beaucoup  de  colons  et  de  servi  rustici  ayaieni 
quitté  le  domaine  du  maître  et  vécu  en  hommes  libres;  d'au- 
tres étaient  entrés  dans  les  ordres  :  maintenant,  sur  tous  ces 
fugitifs,  les  possessores  réclamaient  leurs  droits,  et  préten- 
daient ramener  à  la  terre,  non  seulement  les  serfs,  mais  en- 
core les  enfants  de  ces  serfs  nés  postérieurement  à  leur  fuite. 
Par  une  mesure  infiniment  libérale,  Justinien  ne  voulut  point 
que  la  conquête  byzantine  marquât  pour  cette  catégorie  de 
personnes  une  nouvelle  ère  de  servitude;  par  des  disposi- 
tions spéciales,  il  fit  fléchir  en  Afrique  la  rigueur  des  lois  gé- 
nérales, et  décida  que  tous  ceux,  colons  ou  servi  rustici,  qui 
auraient  quitté  leur  terre  «  antérieurement  à  l'arrivée  de  la 
très  heureuse  armée  impériale  »,  conserveraient  leur  liberté 
reconquise  ;  de  même  il  interdit  de  rechercher  les  colons  qui, 
antérieurement  à  une  date  donnée,  étaient  entrés  dans  !*£• 
glise  '.  Toutefois  l'empereur  prescrivit  que  le  colon  qui  s*é- 
tait  réfugié  sur  la  terre  d'un  autre  maître  serait  restitué  à  son 
possessor  primitif  *  :  et  pour  ne  pas  exciter  trop  gravement  le 
mécontentement  des  grands  propriétaires,  il  établit  en  outre 
que,  pour  tout  serf  échappé  postérieurement  à  la  conquête  by- 
zantine, la  loi  antique  serait  appliquée  dans  toute  sa  rigueur'. 

\.  Cod.  JusL.l,  27,2,4. 

2.  id.,  8. 

3.  Nov,  (éd.  Schoell),  App:  VI  et  IX. 

4.  ^o».,  App.  VI. 

5.  Nov.,  App.  IX. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  397 

Si  Ton  voulait  en  effet  entretenir  la  prospérité  agricole, 
il  fallait  maintenir  à  tout  prix  la  règle  qui  attachait  le  colon  à 
la  terre.  Les  propriétaires  africains  le  comprenaient  bien,  et 
ils  insistaient  à  Constantinople  pour  qu'on  empêchât  par  tous 
les  moyens  les  cultivateurs  de  quitter  le  domaine  ^  Toutefois, 
sur  ce  point  aussi,  Justinien  ne  leur  donna  qu'une  satisfaction 
partielle.  Dans  les  premières  années  de  son  règne,  il  avait, 
en  S33,  réglée  par  une  mesure  fort  libérale^  la  condition  des 
enfants  nés  d*un  adscriptitius  et  d'une  femme  libre,  et,  réfor- 
mant la  loi  antique,  il  avait  décidé  que  Tenfant  issu  d'un  tel 
mariage  serait  considéré  comme  étant  de  naissance  libre  ^ 
Les  inconvénients  de  cette  disposition  ne  tardèrent  pas  à  ap- 
paraître :  beaucoup  de  colons  purent  ainsi  quitter  le  domaine 
du  maître,  et  ces  désertions  devinrent  d'autant  plus  graves 
qu'on  tenta  de  donner  à  la  loi  nouvelle  un  efTet  rétroactif'. 
Sur  les  réclamations  des j9o^5^55or^s,  Justinien  comprit  les  dan- 
gers que  la  mesure  entraînait  pour  l'agriculture;  et  cherchant 
un  biais,  il  détermina  que,  dans  le  cas  cité,  l'enfant,  tout  en 
restant  de  condition  libre,  ce  qui  le  distinguait  de  ïadscripti- 
tins,  demeurait,  comme  le  colonus^  attaché  à  la  terre  où  son 
père  vivait  *.  Ainsi  l'empereur  espérait  à  la  fois  sauver  les 
principes  et  satisfaire  aux  légitimes  exigences  de  l'agriculture. 
Toutefois,  même  alors,  il  se  contenta  d'abroger  pour  l'Illyri- 
Cum  la  loi  de  533  :  en  Afrique,  soit  que  les  circonstances  aient 
été  un  peu  différentes,  soit  que  les  réclamations  des  possessores 
aient  été  moins  pressantes,  soit  que  le  prince  ait  trouvé  in- 
térêt à  pratiquer  une  politique  plus  libérale,  le  fils  d'un  ad- 
scriptitius et  d'une  femme  libre  conserva  son  entière  liberté  *. 
C'est  plus  tard  seulement,  sous  le  règne  des  successeurs  de 
Justinien,  que  les  protestations  énergiques  des  propriétaires, 
l'abandon  croissant  des  terres,  la  diminution  des  rentrées  du 

1.  Zachariae,  Jtu  graeco-romanum^i.  III,  Coll,  L  Sov.  6  et  13. 

2.  Cod.  Just.,  XI,  48,  24.  Cf.  Nov.  22,  17  et  54,  1. 

3.  NoD.  54,  praef.,  eïApp,  I. 

4.  Nov,  162,  2. 

5.  Zachariae,  Jus  graeco-romanw%  t.  111,  Coll.  1,  Nov,  6. 


398  UISTOIHE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

fisc  déterminèrent  le  retour  aux  dispositions  de  laloi  ancienne. 
En  570,  Justin  II  étendit  à  l'Afrique  le  règlement  pris  en  540 
pour  riUyricum  ^,  et  en  582,  Tibère  confirma  la  constitution  de 
son  prédécesseur,  «  afin,  dit  le  texte,  que  les  terres  demeurent 
en  culture  »  *. 

En  tout  cas,  Justinien  s'appliqua,  en  Afrique  comme  ailleurs, 
à  protéger  l'intégrité  du  domaine  rural  appartenant  à  l'Église. 
Défense  fut  faite  d'aliéner,  par  vente,  donation  ou  échange, 
aucune  portion  des  biens  ecclésiastiques,  meubles  ou  immeu- 
bles, choses  ou  personnes  '.  De  même,  la  loi  ordonna  de  ra- 
mener sans  merci  sur  la  terre  les  servi  rustici  et  les  colons  de 
l'Église  qui  se  laissaient  attirer  sur  les  domaines  des  particu- 
liers \  Justinien  espérait  ainsi  protéger  les  propriétés  des 
clercs  contre  les  usurpations  trop  fréquentes  des  grands  sei- 
gneurs laïques. 

Un  point  est  digne  d'attention  dans  les  actes  que  nous  ve- 
nons d^analyser.  Nulle  part  il  n'y  est  fait  mention  des  troubles 
qui  agitaient  si  gravement  l'Afrique.  Pourtant  ces  documents 
sont  postérieurs  aux  tristes  événements  qui  désolèrent  le  pays 
vers  le  milieu  du  vi»  siècle  :  l'un  est  de  552,  Tautre  de  558. 
Assurément  on  peut  croire  que  les  guerres  ne  furent  point 
étrangères  à  la  fuite  des  colons,  non  plus  qu'à  l'àpreté  des 
propriétaires  à  réclamer  leurs  serfs  échappés  ;  il  n'en  est  pas 
moins  remarquable  que,  parmi  les  motifs  énumérés  pour  ex- 
pliquer l'intervention  impériale,  aucune  allusion  même  ne  soit 
faite  aux  incursions  et  aux  ravages  berbères.  Certes  il  ressort 
clairement  de  ces  textes  que  l'agriculture  africaine  traversait 
h,  ce  moment  une  crise  assez  sérieuse  :  mais  il  est  incontes- 
table aussi  que  la  sollicitude  impériale  ne  fit  point  défaut  pour 
réparer  du  mieux  possible  les  désastres  subis. 

Aussi  bien,  malgré  les  misères  de  ces  cruelles  années,  mal- 

1.  Zachariae,  l.  c,  iVot*.  6. 

2.  Ibid.y  Noo.  13  :  a  at  cuit  ara  terrarum  permaneat  ». 

3.  Nov.  7,  i. 

A.  Cf.  Greg.  Magni  Episi.,  9,  203. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  399 

gré  les  incursions  berbères,  malgré  la  dépopulation  des  cam- 
pagnes, malgré  les  troubles  de  toute  sorte  qui  compromettaient 
la  prospérité  agricole,  l'Afrique  paraît  avoir  assez  prompte- 
ment  guéri  ses  blessures.  On  a,  je  crois,  quelque  peu  exagéré 
la  décadence  de  la  province  à  Tépoque  byzantine^  :  ici  encore, 
comme  à  l'époque  romaine,  il  convient,  pour  apprécier  exac- 
tement les  choses,  de  «  limiter  sévèrement,  et  dans  le  temps 
et  dans  l'espace,  le  témoignage  des  documents'.  »  Or,  au 
vi'  siècle,  comme  à  toutes  les  époques,  la  nature  du  sol  et  du 
climat  déterminait  en  Afrique  des  régions  d'étendue,  de  ferti- 
lité et  de  culture  diverses'  :  Tune  au  nord,  et  qui  correspond 
à  peu  près  à  la  Zeugitane,  pays  de  montagnes  plus  boisées,  de 
pluies  plus  abondantes,  de  terres  bien  arrosées  et  bien  irri- 
guées, où  les  céréales,  la  vigne,  les  cultures  maraîchères  pros- 
pèrent admirablement;  l'autre  au  sud,  et  qui  correspond  à  peu 
près  à  la  Byzacène,  pays  de  hauts  plateaux  et  de  plaines  qua- 
ternaires, où  le  sol  plus  léger  et  plus  pauvre,  les  pluies  plus 
inégales  et  plus  rares  imposèrent  généralement  les  cultures 
de  terre  sèche,  celle  de  l'olivier  en  particulier,  où  la  fertilité 
dépendit  plus  étroitement  des  soins  apportés  à  l'aménagement 
de  l'eau;  enfin,  la  région  du  désert,  où  seules  les  oasis  bien 
arrosées  se  prêtent  à  la  culture.  Dans  ces  zones  différentes, 
au  VI*  siècle  comme  aux  époques  antérieures,  la  diversité  des 
cultures  a  donné  au  pays  la  diversité  des  aspects  et  des  con- 
ditions d'existence  :  tandis  que,  dans  la  Zeugitane^  les  agglo- 
mérations urbaines  sont  innombrables,  et  que  cette  région  a 
été  <c  par  excellence  le  théâtre  de  la  vie  municipale  »\  dans  la 
Byzacène,  au  contraire,  les  grandes  villes  sont  rares,  mais  la 
campagne  est  toute  couverte  de  bourgades,  de  hameaux,  de 


1.  Tissot,  I,  p.  253;  La  Blanchëre,  V aménagement  de  Veau  dam  l'Afrique 
ancienne^  p.  30. 

2.  La  BlaDchëre,  /.  c,  p.  5. 

3.  Sur  ces  différentes  régions,  cf.  P.  Bourde,  Rapport  sur  les  cultures  frui- 
lières,  p.  29;  La  Blanchëre,  Z.  c,  p.  22-23,  31;  Toutain,  Les  cités  romaines  de 
la  Tunisie^  p.  31-45. 

4.  Toutain, /•  c.,p.  33. 


400  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

fermes  isolées;  la  population  reste  éparse  au  milieu  des 
champs,  «  la  vie  rurale  est  plus  active  que  la  vie  munici- 
pale ^  »  Tandis  qu'au  nord  enfin  se  rencontre  un  pays  de 
moyenne  et  de  petite  propriété,  où  une  population  libre  fort 
dense  s'agglomère,  au  sud,  au  contraire,  c'est  une  région  de 
grands  domaines,  où  les  maîtres  du  sol  sont  peu  nombreux, 
où  la  terre  est  surtout  mise  en  valeur  par  des  colons  et  par  des 
esclaves" . 

Sil  faut  tenir  grand  compte  de  cette  première  distinction^ 
et  ne  point  imprudemment  conclure  d'une  contrée  à  une  autre, 
on  doit  être  plus  réservé  encore  en  ce  qui  touche  la  date  des 
documents.  On  parle  volontiers  de  l'appauvrissement  de  la 
Byzacëne  à  partir  du  v*  siècle,  de  sa  ruine  presque  complète 
à  l'époque  byzantine  :  a  le  littoral,  dit-on,  est  redevenu  un  dé- 
sert; tout  le  pays  est  dévasté  par  la  guerre  depuis  vingt  ans; 
l'abandon  le  fait  redescendre  à  une  pire  condition  que  celle 
d'où  l'avait  tiré  la  culture.  On  meurt  de  soif,  on  meurt  de  faim 
dans  ces  plaines  toutes  jonchées  d'anciens  établissements 
détruits  ^  »  C'est  prêter  là,  à  mon  sens,  une  confiance  trop 
aveugle  aux  déclamations  de  V Histoire  secrète^  c'est  généraliser 
un  peu  imprudemment  des  témoignages  qui,  dans  l'ouvrage 
de  Gorippus,  se  limitent  à  une  période  de  trois  ou  quatre 
années.  Certes,  je  ne  conteste  point  qu'à  l'époque  byzantine, 
la  Byzacène  ait  plus  durement  pàti  que  le  reste  de  l'Afrique, 
et  j'en  donnerai  tout  à  l'heure  des  preuves  :  il  est  essentiel 
pourtant,  sous  le  bénéfice  des  observations  faites  plus  haut, 
d'examiner  plus  attentivement  qu'on  n'a  fait  ce  que  nous  ap- 
prennent les  documents. 

Un  fait  est  incontestable^  c'est  qu'au  moment  de  la  conquête 
byzantine,  l'Afrique,  prise  dans  son  ensemble,  passait  encore 
pour  un  pays  d'une  remarquable  fertilité.  Procope  dit  expres- 
sément que  c'est  «  une  région  riche  entre  toutes,  et  qui  produit 


1.  ToutaiD,  /.  c,  p.  36. 

2.  Ibid.,  p.  41-42. 

3.  La  Blancbëre,  l,  c,  p.  30. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  401 

à  profusion  tous  les  fruits  nécessaires  à  la  vie  »Set  ce  témoin 
oculaire  parle  de  la  masse  des  gens  qui  peuplent  lescampagnes 
et  mettent  en  valeur  les  terres".  Les  témoignages  particuliers 
confirment  celte  déclaration  générale.  Entre  le  promontoire 
de  Caput  Yada  et  Carthage,  sur  tout  le  littoral  de  la  Byzacène 
et  de  la  Zeugitane,  le  pays  est  bien  cultivé,  fertile,  tout  cou- 
vert d*arbnfs  fruitiers  et  d'ombrages*.  «  L'armée,  dit  Corippus, 
cheminait  dans  Tombre  que  multipliaient  les  arbres  épais,  et 
les  torrides  ardeurs  du  soleil  ne  fatiguaient  point  le  soldat*.  » 
On  connaît  la  description  enchanteresse  que  Procope  a  faite 
de  la  région  entre  Hadrumète  et  Garthage,  et  de  ce  vaste  do- 
maine de  Grasse  (près  de  Sidi-Khalifa),  où  se  trouvaient  «  les 
plus  magnifiques  vergers  que  nous  eussions  jamais  vus  »,  où, 
sous  Tombrage  desarbres,  les  sources  coulaient  en  abondance, 
où  la  fertilité  était  telle  que  «  les  soldats  purent  se  rassasier 
de  fruits,  sans  que  la  récolte  en   parût  sensiblement  dimi- 
nuée*. »  Pour  l'inlérieur  du  pays,  d'autres  témoignages  pres- 
que contemporains  attestent  la  richesse  de  la  région  de  Sicca 
Veneriaet  de  certains  cantons  de  la  Byzacène  \  Enfin,  dans 
les  différentes  zones  de  TAfrique,  la  culture  des  céréales,  de 
la  vigne,  de  l'olivier  paraissent  avoir  atteint  une  prodigieuse 
prospérité'. 

Tel  était  l'état  de  la  province,  au  moment  où  elle  tomba  au 
pouvoir  de  Justinien.  II  y  a  lieu  de  croire  que,  sous  son  gou- 
vernement, cette  prospérité  diminua  beaucoup  moins  qu'on  ne 
Ta  affirmé.  Examinons  la  Byzacène,  celle  de  toutes  les  régions 
africaines  qui  incontestablement  souffrit  le  plus  cruellement 
des  guerres  et  de  la  dépopulation.  A  certains  moments  elle  ap- 
paraît transformée  en  une  véritable  solitude  ;  et  cela  se  conçoit. 


l.BeZZ.  Vand.y  p.  423. 

2.  HisL  arcan.^  p.  106. 

3.  Bell.  Vand.,  p.  3*78,  380,  382-383. 

4.  Joh.Jll  23-27. 

5.  Bell,  Vand.,  p.  382-383.  Cf.  TIssol,  II,  p.  116. 

6.  Vila  Fulgentii,  chap.  17  et  28. 

7.  Joh.,  m,  29-34;  11,  201-203. 

I.  26 


402         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dans  un  pays  où  les  villes  plus  rares  n'offraient  point  aux  ha- 
bitants du  plat  pays  d'assez  nombreux  refuges,  où  le  régime 
de  la  grande  propriété  retenait  plus  difficilement  le  colon  sur 
une  terre  qui  ne  lui  appartenait  pas*.  Un  signe  manifeste 
de  cette  dépopulation  apparaît,  on  le  verra  plus  loin,  dans  la 
diminution  significative  du  nombre  des  sièges  épiscopaux. 
Est-ce  à  dire  pourtant  que  la  Byzacëne  n'ait  point  en  grande 
partie  réparé  ses  pertes?  Au  vu*  siècle,  l'intérieur  de  cette 
province,  en  dépit  de  deux  siècles  de  troubles,  était  assez  peu- 
plé encore,  assez  prospère,  pour  que  le  patrice  Grégoire  y  cher- 
chât Tappui  de  sa  révolte  et  le  siège  de  son  éphémère  capitale*. 
On  connaît  d'autre  part  l'anecdote  classique  rapportée  par  Iba 
Abd-el-Hakem,  et  qui  montre  combien,  vers  le  même  temps, 
la  culture  de  Tolivier  était  répandue  en  Byzacène  et  quelles 
sources  de  richesse  en  tirait  la  province^.  Enfin  les  histo- 
riens arabes  sont  unanimes  à  s'émerveiller  de  la  verdure  qui 
couvrait  le  pays,  du  verger  continu  parsemé  d'habitations,  qui, 
disent-ils,  s'étendait  depuis  Tripoli  jusqu'à  Tanger*.  Les  mo- 
numents confirment  de  façon  remarquable  ces  témoignages 
des  historiens.  Tous  ceux  qui  ont  parcouru  la  Tunisie  du 
centre  et  du  sud  ont  vu  les  vestiges  de  cette  prospérité  an- 
cienne, débris  épars  de  l'immense  forêt  d'oliviers  qui  couvrit 
jadis  cette  terre,  restes  innombrables  des  huileries  où  ses  fruits 
étaient  transformés  ^  Or^  tous  ces  établissements  agricoles, 
bourgadeset  fermes  isolées,  n'étaient  nullement  abandonnés 
vers  le  milieu  du  vi^  siècle.  Outre  que  Corippus  parle  sans 
cesse  des  grands  bois  d'oliviers  qui  de  son  temps  s'étendaient 
sur  le  sol  de  TAfrique,  une  autre  question  s'impose  :  à  quoi 


1.  ToutaiD,  /.  c,  p.  35-36,  41-42. 

2.  P.  Bourde,  /.  c,  p.  21. 

3.  IbQ  Abd-el-Hakem  (dans  ibn  Khaldoua,  trad.  de  Slane,  I,  p.  306).  Cf. 
Bourde,  /.  c,  p.  22-23. 

4.  P.  Bourde,  /.  c,  p.  21  ;  Toutaia,  /.  c,  p.  40-41. 

5.  P.  Bourde,  /.  c,  p.  17-19;  La  Blanchère,  /.  c,  p.  105.  Cf.  au  reste  les  ré- 
serves très  justes  que  La  Blanchëre  exprime  (/.  c,  p.  106-107)  sur  la  théorie 
trop  exclusive  de  M.  Bourde. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  403 

eussent  servi,  si  le  pays  était  devenu  désert,  ces  fortins  in- 
nombrables qui  hérissent  la  contrée  et  qui  protègent,  on  Ta 
vu,  tous  les  centres  d'habitation?  Évidemment  la  construc- 
tion de  ces  refuges  indique  un  élat  singulièrement  troublé; 
mais  ne  prouve-t-elle  pas,  bien  plus  encore,  avec  quelle  téna- 
cité les  cultivateurs  africains  s'attachèrent  au  sol,  comment 
ils  y  revinrent  toujours,  malgré  les  misères  du  temps?  La 
plupart  de  ces  citadelles  datent  de  Tépoque  qui  nous  occupe', 
et  ainsi  elles  montrent  nettement  les  conditions  d'existence 
qui  lui  étaient  imposées.  Mais  on  doit  croire  aussi  que  leur 
protection  ne  fut  point  inefficace,  et  qu'elle  permit  au  pays  de 
réparer  ses  désastres.  C'est  à  la  fin  du  vu"  siècle  seulement 
que  Tolivette  de  la  Byzacène  commença  à  disparaître;  et  sa 
ruine  complète  date  d'une  époque  plus  basse  encore,  du 
moment  où  s'abattit  sur  l'Afrique  la  grande  invasion  hila- 
lienne*. 

Si  donc  la  Byzacène,  malgré  les  misères  qui  l'accablèrent, 
a  pu  redevenir  et  demeurer  prospère,  à  plus  forte  raison  les 
autres  régions  de  l'Afrique  byzantine  ont-elles  dû  conserver 
beaucoup  de  leur  richesse  passée.  Lorsque  Corippus  parle  de 
la  fertilité  de  son  pays  natal,  des  moissons  abondantes  et  des 
vignobles  qui  le  couvrent»,  on  peut  sans  hésiter  appliquer 
ces  témoignages  au  Sahel  de  Sousse  et  à  la.  Zeugitane,  dont 
les  grandes  plaines  conviennent  à  merveille  à  ce  genre  de  cul- 
tures*. Je  ne  sais  point,  malgré  le  témoignage  de  Procope', 
quelle  pouvait  être  en  Tripolitaine  l'importance  de  la  culture 
des  céréales  ;  mais  en  tout  cas  les  hauts  plateaux  de  la  Nu- 
midie  et  toute  la  région  de  l'Aurès  étaient  extrêmement  fer- 
tiles au  VI*  siècle.  «  On  y  trouve,  dit  Procope,  des  plateaux, 


1.  Cf.  par  exemple  rétablissement  byzantin  d*Had]eb-el-Aioun  (Bull,  Com., 
1894,  p.  286-294)  où  l'on  a  trouvé  des  monnaies  byzantines  allant  jusqu'au  temps 
de  Tibère  Constantin. 

2.  Bourde,  /.  c,  p.  23,  25-26. 
S.Joh.,  m,  31-34,  324-331. 

4.  Cr.  Toutain, /.  c,  p    38,  43-41;  La  Blanchère,  L  c,  p.  1  et  107. 

5.  Bell,  Vand,,  p.  502. 


404  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

des  sources  nombreuses  donnant  naissance  à  des  fleuves,  el 
des  vergers  merveilleux;  le  blé  qui  pousse  dans  cette  région 
et  les  arbres  fruitiers  atteignent  une  hauteur  deux  fois  plus 
grande  que  dans  tout  le  reste  de  l'Afrique  *.  »  A  Touest  de 
TAurès,  le  Hodna  n'était  pas  moins  fertile*,  et  jusque  sur  les 
limites  du  Sahara  la  culture  des  céréales  était  prospère  dans 
les  oasis  qui  bordent  le  flanc  méridional  du  massif  aurasique'. 

Un  seul  changement  important  parait  s'être  accompli  à 
l'époque  byzantine  dans  Téconomie  rurale  de  l'Afrique.  A 
côté  des  cultivateurs,  on  voit  réapparaître,  surtout  en  Byzacène, 
une  population  indigène  pastorale;  à  côté  des  plantations 
d'oliviers,  les  prairies,  les  terres  de  parcours,  de  pâture  ovine 
et  chevaline,  tiennent  une  place  assez  importante*.  Comme 
on  l'ajustement  remarqué,  il  est  probable  que  la  route  des 
marchés  qui  exportaient  l'huile  fut  plus  d'une  fois  coupée 
par  les  troubles  qui  agitèrent  le  pays,  et  que  les  cultivateurs 
cherchèrent  des  compensations  du  côté  de  l'élevage*.  Toute- 
fois, même  alors,  l'exploitation  agricole  du  pays  demeura  la 
chose  essentielle  :  je  n'en  veux  pour  preuve  que  la  place  qu'oc- 
cupent encore  dans  TAfrique  byzantine  deux  des  facteurs  es- 
sentiels de  la  prospérité  rurale,  l'aménagement  des  eaux  et 
la  végétation  forestière. 

On  sait  de  quel  ingénieux  système  de  travaux  hydrauliques 
les  Romains  couvrirent  toute  l'Afrique  ancienne,  pour  as- 
surer l'alimentation  en  eau  des  cités  et  la  mise  en  valeur  des 
campagnes^  On  a  vu  avec  quel  soin  l'administration  byzan- 
tine se  préoccupa  d'entretenir  les  premiers  de  ces  ouvrages  ; 
on  peut  croire  que  les  seconds,  plus  nécessaires  encore  pour 
compenser  les  inconvénients  du  climat,  ne  furent  pas  l'objet 


1.  BelL  Vand.,  p.  465-466.  Cf.  p.  495. 

2.  id.,  p.  466. 

3.  Joh.,  \l  156. 

4.  Bourde,  /.  c,  p.  23;  La  Biauciière.  /.  c,  p.  107. 

5.  Bourde,  /.  c,  p.  23. 

6.  La  Blanchère,  L'aménagement  de  Ceau  dans  C  Afrique  ancienne^  surtoQi 
p.  93;  P.  Gauckler,  L'archéologie  de  la  Tunisie^  p.  16-27. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  RYZANTÏNE  405 

d'une  moindre  sollicitude.  Si  l'Afrique  resta  cultivée,  c'est  que 
les  barrages  et  canaux  indispensables  à  sa  prospérité  furent 
attentivement  réparés  ou  tenus  en  état  :  et  eu  effets  on  trouve 
en  maint  endroit  la  trace  de  ces  restaurations'.  Les  textes 
laissent  entrevoir  également  l'existence  de  ces  ouvrages  au 
vi«  siècle.  Procope  par  exemple  a  minutieusement  expliqué  la 
façon  dont  des  canaux  de  dérivation  distribuaient  les  eaux  de 
TAbigas  à  travers  la  fertile  plaine  de  Bagai*;  Corippus,  qui 
emprunte  volontiers  ses  comparaisons  au  pays  où  il  est  né,  a 
décrit,  en  homme  qui  les  a  vus,  les  barrages  de  retenue  qui  dis- 
ciplinent la  fougue  des  torrents  et  les  conduites  qui  répartissent 
utilement  l'eau  tenue  en  réserve  ".  Certes  le  texte  de  Procope 
montre  également  comment  périrent  plus  d'une  fois  ces  ou- 
vrages au  cours  des  guerres  qui  désolaient  le  pays  :  pourtant, 
jusqu'à  la  conquête  arabe,'  ils  subsistèrent  au  moins  partiel- 
lement. 

D'autre  part,  il  semble  bien  certain  que  l'Afrique  byzantine 
était  plus  boisée  que  la  Tunisie  actuelle.  Certes,  on  a,  je  crois, 
fort  exagéré  les  choses  en  attribuant  la  stérilité  présente  du 
pays  au  déboisement  et  aux  modifications  qui  en  résultèrent 
dans  le  régime  des  eaux  courantes  :  des  études  récentes  faites 
sur  le  sol  lui-même  ont  fait  en  grande  partie  justice  de  ce  pré- 
jugée Toutefois  les  forêts  dont  parle  si  souvent  Corippus 
n'étaient  point  toutes,  même  en  Byzacène,  des  bois  d'oliviers  ; 
et  dans  la  région  proprement  forestière^,  les  peuplements  pa- 
raissent avoir  été  beaucoup  plus  abondants  qu'aujourd'hui. 
Tout  le  centre  de  la  Tunisie  était  alors  plus  boisé  que  de  nos 
jours";  de  grands  arbres  couvraient  les  crêtes,  et  la  végéta- 
lion  forestière  était  assez  .dense  pour  que  des  villes  comme 


1.  La  Blanchëre,  /.  c,  p.  58-59. 

2.  Bell.  Vand,,  p.  494. 

3.  Joh.,  m,  145-151. 

4.  Cf.  Bourde,  /.  c,  p.  6-7;  La  Blanchère,  /.c,  p.  103;  Toutaio,  /.  c,  p.  39- 
40  ;  Carton,  Climatologie  et  agriculture  de  V Afrique  andenne. 

5.  Cf.  La  Blanchëre,  l.  c,  p.  21. 

6.  Joh,y  11,  5,  9-10,  424. 


406  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Laribus  fussent  presque  cachées  au  milieu  des  boisV  Nous  ne 
savons  point  où  il  faut  localiser  le  domaine  montagneux  et 
boisé  où  vivaient  les  tribus  des  Silcadenit,  des  Macares,  des 
Silvaizan";maistoulelapresqu'ileducap  Bon  était  couverte  de 
forêts^,  et  de  même  le  littoral  de  la  Proconsulaire*.  Enfin,  bien 
plus  au  sud,  dans  la  partie  montagneuse  de  la  Byzacëne  com- 
prise entre  Fériana  et  Tébessa  —  là  même  où  s'étend  au- 
jourd'hui la  forêt  de  Bou-Chebka  —  Corippus  signale  de  grands 
bois*  ;  et  jusque  dans  le  sud^  une  végétation  forestière  paraît 
avoir  couvert  les  plateaux  aujourd'hui  dénudés  qui  dominent 
le  rivage  des  Syrtes*.  A  la  vérité,  les  mêmes  textes  nous  appren- 
nentaussicommentcesforêts périssent,  détruites  parles  incen- 
dies périodiques  allumés  par  les  envahisseurs  berbères  :  toute- 
fois, ici  encore,  c'est  surtout  au  moment  de  l'invasion  arabe  que 
disparurent  les  richesses  forestières  de  la  province'.  Durant 
les  deux  siècles  de  la  domination  byzantine,  l'Afrique  garda 
assez  abondante  sa  parure  de  forêts  et  conserva  assez  bien  en- 
tretenu son  système  de  travaux  hydrauliques  :  grâce  à  ces 
facteurs,  elle  put  demeurer  fertile  et  prospère,  et  réparer, 
sans  trop  de  peine,  les  désastres  que  la  guerre  lui  infligea. 

Le  commerce  parait  avoir  été  un  autre  élément  de  la  pros* 
périlé  de  l'Afrique  byzantine  vers  le  milieu  du  vi^  siècle.  Dès 
avant  l'expédition  de  Bélisaire,  les  négociants  orientaux 
entretenaient  d'importantes  relations  avec  Carthage';  ces 
rapports  ne  purent  que  devenir  plus  intimes  encore  sous  la 
domination  de  Justinien.  Corippus  signale  les  objets  que  l'A- 
frique exportait  à  Constantinopïe %  et  Procope  parle  de  l'acli- 

{.  Joh,,  vu,  143. 

2.  W.,  U,  53,  62. 

3.  Id.,  Il,  37. 

4.  Id.,  m,  23-24. 

5.  W.,  m,  419. 

6.  W.,  VIII,  173. 

7.  Cf.  Tissot,  I,  p.  278. 

8.  BelL  Vand.,  p.  392. 

9.  In  laudem  Justini,  111,  90. 


L'ÉTAT  MATÉRIEL  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  407 

vite  du  commerce  de  mer  qui  se  faisait  entre  la  capitale  et 
rOccident*.  D'autres  indices  encore  laissent  entrevoir  la  fré- 
quence de  ces  relations  :  à  partir  du  vi*  siècle  en  effet,  on  voit 
se  multiplier  en  Afrique  le  culte  rendu  aux  saints  d'Orient  et 
à  leurs  reliques.  C'est  ainsi  que  de  Syrie  vient  la  dévotion  à 
saint  Julien  d'Antioche',  en  l'honneur  duquel  une  église  est 
élevée  à  Carthage'  et  celle  de  saint  Romain  d'Antioche; 
rÉgypte,  avec  laquelle  l'Afrique  entretient  par  Alexandrie  des 
rapports  très  étroits,  y  introduit  le  culte  et  les  reliques  des 
trois  jeunes  Hébreux,  et  celui  de  saint  Isidore  de  Ghio^.  Un 
autre  saint  d'Orient,  saint  Léontius,  a  une  église  à  Tripoli*. 
Ainsi  la  civilisation  orientale  pénètre  insensiblement  l'Afrique; 
la  langue  grecque  même  commence  à  s'y  répandre";  jusque 
dans  les  détails  de  la  vie  courante,  dans  la  façon  de  compter 
par  exemple,  les  habitudes  se  modèlent  sur  celles  de  Byzance  •. 
Certes  ce  sont  là  de  faibles  indices  :  pourtant  ils  suffisent  à 
laisser  entrevoir  que  le  règne  de  Justinien  n'a  point  été  sté- 
rile, et  qu'en  Afrique  comme  partout,  il  a  marqué  d'une  em- 
preinte durable  les  provinces  rentrées  au  sein  de  l'unité  im- 
périale. 

1.  Hist.  arcan.f  p.  139-140. 

2.  BulL  Com.,  1889,  p.  137. 

3.  Vila  Gregorii  Agrigeni,y  chap.  10  {Pair,  gr.,  t.  XC'VIII,  p.  563). 

4.  BulL  de  VAcad.  d'Hippone,  1893,  p.  zxxii;  Dachesoe,  dons  le  BulL  des 
Antiquaires,  1893,  p.  238-241. 

5.  Vita  Gregorii  AgHgenL,  chap.  11  (Pair,  gr.,  t.  XCVIII,  p.  566). 

6.  Martini  papae  EpisL  {Patr.  laL,  t.  LXXXVlI,p.  114).  Cf.  Bède,  HisL  eccL, 
IV,  1. 

7.  On  trouve  la  mention  des  indictions  à  Carthage,  Thysdrus,  Sullectum, 
Haïdra,  Thélepte,  Tliéveste,  Constanline,  Guelma,  Bône  (C.  /.  L.,  VIII,  index). 


CHAPITRE  II 

L  ÉGLISE  d'aFRIQITE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN 


Au  moment  où  Tempire  byzantin  reprenait  possession  de 
l'Afrique,  l'Église  catholique  s'y  trouvait  dans  une  situation 
'assez  précaire.  Sans  doute  la  tolérance  d'Hildéric  avait  mis 
fin  aux  rigueurs  de  la  persécution  ;  sans  doute  des  conciles 
assez  fréquents  réunissaient  de  nouveau  les  évêques  ^  et  les 
prélats  s'y  félicitaient  de  la' liberté  rendue  aux  fidèles  '  ;  cepen- 
dant, à  côté  de  l'arianisme  qui  restait  la  religion  officielle  de 
l'État  vandale,  à  côté  du  donatisme  dont  la  domination  bar* 
bare  avait  favorisé  les  progrès,  la  condition  des  catholiques 
demeurait  assez  incertaine.  Au  point  de  vue  matériel^  l'Église 
n'avait  recouvré  ni  les  domaines,  ni  les  édifices,  ni  les  objets 
du  culte  dont  elle  avait  été  dépouillée  au  temps  de  la  persé- 
cution', et  elle  voyait  avec  horreur  quelques-uns  de  ses  plus 
illustres  sanctuaires  profanés  par  Taccomplissement  des  céré- 
monies ariennes^.Au  point  de  vue  moral,  elle  était  désorgani- 
sée et  par  surcroît  profondément  divisée  ;  beaucoup  de  commu- 
nautés étaient  privées  de  pasteurs,  leurs  prêtres  s'étant  enfuis 
par  delà  les  mers  en  s'excusant  sur  la  violence  des  temps  »*; 


1.  En  524,  conciles  de  luaca  et  de  Safes  (  Vila  Fulgentiij  60  ;  Patr.  /a/.,  t.  LXV)  ; 
Labbe,  Concilia,  éd.  de  Paris,  1671,  IV,  1627-1628);  eD52o,  à  Carihage  (Labbe, 
IV,  1628  seq.). 

2.  Labbe,  IV,  1629,  1630. 

3.  Nov,  37,  1,  3. 

4.  Bell.  Vand.,  p.  397,  398. 

5    Labbe,  IV,  1756  (lettre  du  concile  de  534). 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  409 

beaucoup  de  diocèses  étaient  sans  évèques  ;  en  525  la  Procon- 
sulaire envoyait  quarante-huit  prélats  seulement  au  concile  de 
Carthage  ',  alors  qu'on  compte  dans  cette  province  jusqu'à 
cent  quatre-vingts  sièges  épiscopaux  •  ;  encore  près  du  tiers 
de  ces  personnages  était  fourni  par  une  seule  région,  celle  de 
la  presqu'île  du  cap  Bon  et  de  ses  environs  immédiats  ;  dans 
le  reste  du  pays,  beaucoup  de  chrétientés  importantes  étaient 
sans  chefs  et  sans  représentants.  En  outre,  des  querelles  intes- 
tines occupaient  plus  que  de  raison  le  clergé  africain;  de 
mesquines  disputes  de  préséance,  des  dissensions  suscitées 
par  d'injustes  usurpations  de  pouvoir  formaient  la  matière 
principale  des  délibérations  conciliaires  '  ;  la  hiérarchie,  pro- 
fondément troublée  par  la  persécution,  se  rétablissait  avec 
peine;  l'organisation,  l'unité  d'où  naît  la  force,  manquaient 
trop  souvent  à  l'Église  *  ;  enfin  la  religion  catholique,  simple- 
ment tolérée,  restait  toujours  exposée  à  de  nouvelles  rigueurs  : 
on  le  vit  bien  quand  Gélimer  renversa  le  faible  et  indulgent 
flildéric.  Assurément  la  réaction  n'eut  pas  le  temps  d'être  bien 
cruelle  ;  cependant  on  conçoit  la  joie  profonde  avec  laquelle 
les  évêques  accueillirent  la  restauration  byzantine.  Parmi  les 
motifs  qui  avaient  déterminé  les  résolutions  de  Justinien,  la 
religion  avait  fourni  les  plus  décisifs  ;  la  victoire  des  armes 
impériales  devait  donc  entraîner,  comme  une  inévitable  con- 
séquence, le  triomphe  de  l'Église;  le  premier  soin  du  prince 
allait  être  d'effacer  les  effets  et  jusqu'au  souvenir  de  «  la  vio- 
lente captivité  de  cent  années  •  »  dont  avaient  souffert  les  ca- 
tholiques ;  et  sous  sa  protection  efficace  et  constante  TÉglise 
d'Afrique,  on  pouvait  le  croire,  allait  briller  d'un  éclat  nou- 
veau. 


1.  Ubbe,  IV,  1640,  1641. 

2.  Toulotle,  Géoffr,  de  V Afrique  chrétienne',  Mas-Latrie,  Anciens  éiêchés  de 
V Afrique  septentrionale  (Bull.  Corr.  afr.,  1886,  p.  85-89).' 

3.  Vila  Fulgentii,  60;  Ubbe,  IV,  1630-1632, 1642,  1644. 

4.  Labbe,  IV,  1643-1645. 

5.  Id,,  IV,  1755. 


4i0  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION   BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


1 


Pour  apprécier  avec  exactitude  la  prospérité  du  catholicisme 
africain  à  l'époque  byzantine,  il  serait  intéressant  de  détermi- 
ner avec  précision  l'étendue  du  pays  chrétien  durant  cette 
période  et  de  constater  ainsi  les  progrès  successifs  on  les  re- 
culs de  la  religion.  Malheureusement  les  textes  trop  peu  nom- 
breux ne  perQiettent  point  de  faire  cette  étude  avec  le  détail 
nécessaire.  Si,  en  effet,  pour  la  Proconsulaire,  les  listes  des 
évèques  présents  aux  assemblées  de  525  et  de  646  *  donnent 
matière  à  une  instructive  comparaison,  pour  les  autres  pro- 
vinces ecclésiastiques,  les  documents  font  presque  défaut.  La 
Byzacène  n'ayant  point  été  représentée  au  concile  de  Garthage 
de  525',  nous  ne  connaissons  les  diocèses  qu'elle  comprenait 
à  Tépoque  byzantine  que  par  la  seule  liste  de  646',  qui  date, 
on  le  voit,  des  tout  derniers  temps  de  la  domination  impériale. 
De  la  Numidie  nous  retrouvons  quelques  évèques  à  peine, 
venus  comme  représentants  de  leurs  collègues  aux  conciles 
de  525  ou  de  553*;  la  Tripolitaine  fournit  deux  noms  seule- 
ment, ceux  des  évèques  délégués  par  leurs  frères  à  la  réunion 
de  525  ^  ;  quant  aux  Maurétanies  Sitifienne  et  Césarienne,  elles 
échappent  plus  complètement  encore  à  tout  examen.  Sans 
doute,  au  grand  concile  tenu  en  534  à  Garthage  prirent  part 
deux  cent  vingt  évèques^;  malheureusement  nous  n'avons 
plus  les  actes  de  cette  assemblée,  qui  nous  eussent  fait  exacte- 
ment connaître  l'état  de  l'Afrique  chrétienne  au  lendemain  de 
la  restauration  byzantine.  Sans  doute  on  a  tout  récemment 
publié  les  fragments  d'une  liste  conciliaire  qui  parait  apparte- 

1.  Labbe,  IV,  1640-1641  ;  VI,  147  148. 

2.  W.,  IV,  1633. 

3.  Id„  VI,  135-136. 

4.  W.,  IV,  1640;  V,  417-418,  581-583. 

5.  W.,  IV,  1640-1641. 

6.  W.,  IV,  1755. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIBN  414 

nir  aux  premières  années  du  vu'  siècle  *  ;  mais  ces  débris  mu- 
tilés ne  fournissent  que  des  informations  incomplètes.  Enfin, 
si  les  di^couvertes  épigraphiques  des  dernières  années  ont  per- 
mis d'identifier  une  portion  des  noms  géographiques  inscrits 
dans  les  listes  conciliaires,  la  plus  grande  partie  des  villes 
énumérées  dans  ces  textes  nous  est  encore  inconnue  '.  Dans 
cette  incertitude,  il  y  aurait  quelque  imprudence  à  vouloir  trop 
préciser  les  choses  ;  on  se  contentera  donc  de  quelques  indi- 
cations générales  sur  l'organisation  et  les  divisions  religieuses 
de  l'Afrique  au  temps  de  Justinien. 

Depuis  le  iv*  siècle  jusqu'au  commencement  du  vr,  T Afrique 
semble  avoir  été  partagée  en  six  provinces  ecclésiastiques  : 
Tripolitaine,  Byzacène,  Proconsulaire,  Numidie,  Maurétanie 
Sitifienne  et  Maurétanie  Césarienne  *.  Quant  à  la  Maurétanie 
Tingitane,  elle  paraît  avoir  très  rarement  pris  part  aux  con- 
ciles africains  ;  en  tout  cas  ses  évëques  ne  figurent  point  dans 
la  Notitia  de  484  %  et  ils  ne  se  firent  point  représenter  en  525 
à  Carthage.  Chacune  de  ces  provinces  avait  à  sa  tête  un  pri- 
mat; on  désignait  ainsi,  non  point  Tévèque  du  siège  métropo- 
litain —  en  Afrique  en  effet,  Carthage  seule  avait  le  rang  de 
métropole  —  mais  le  plus  ancien  parmi  les  prélats  de  la  région; 
c'est  ce  qui  explique  comment  des  évèques  de  villes  peu  im- 
portantes se  trouvent  parfois  chargés  de  réunir  et  de  présider 
les  conciles*.  Dans  la  Proconsulaire  seulement,  une  autre 
règle  était  appliquée  :  l'évèque  de  Carthage,  investi  de  la  dignité 
et  des  privilèges  de  métropolitain,  était  en  tout  temps  le 
chef  spirituel  de  la  province,  et  la  dignité  de  son  siège,  en 
lui  assurant  la  préséance  non  seulement  sur  les  évêques  de 
la  Proconsulaire^  mais  sur  ceux  mêmes  des  autres  régions, 


\.  ByzanL  Zeitschr,,  H,  p.  26,  31-32  et  sur  la  date,  p.  34. 

2.  Cf.  Mas-Latrie,  /.  c. 

3.  Morcelli,  I,  p.  33.   Oa  les  trouve  encore  au  concile  de  525  (Labbe,  IV, 
1640-1611  et  1633). 

4.  Éd.  des  Monumenta  (à  la  suite  de  Victor  de  Vit). 

5.  Morcelli,  1,  p.  33  ;  Toulotte,  /.  c,  t.  1,  p.  58. 


412  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATrON  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

faisait  de  lui  Je  chef  hiérarchique  et  comme  la  tête  de  TÉglise 
africaine*.  » 

Dans  ses  traits  généraux,  cette  organisation  paraît  avoir 
subsisté  à  l'époque  de  Justinien  '.  Dès  le  lendemain  de  la  con- 
quête, le  pape  et  l'empereur  s'empressèrent  de  restaurer  et  de 
confirmer  les  privilèges  du  siège  métropolitain  de  Carthage'; 
et  à  côté  de  Tévèque  de  la  capitale  africaine,  les  textes  men- 
tionnent fréquemment  les  primats  de  Byzacène  et  de  Numidie\ 
Quant  aux  divisions  ecclésiastiques,  il  semble  qu'au  début 
elles  soient  demeurées,  au  moins  d'une  manière  théorique^ 
les  mêmes  qu'autrefois  ;  un  seul  changement  y  fut  peut-être 
apporté  :  la  Tingitane,  que  Ton  trouve  au  commencement  du 
viT«  siècle  représentée  à  un  concile  de  Carthage  ',  fut  peut-être 
dès  ce  moment  rattachée  à  l'Afrique  au  point  de  vue  ecclé- 
siastique, comme  elle  le  fut  au  point  de  vue  administratif*. 
Toutefois,  en  fait,  l'étendue  du  pays  chrétien  diminue  sensi- 
blement; les  deux  cent  vingt  évêques  qui,  en  534,  vinrent  siéger 
au  concile  de  Carthage,  paraissent  avoir  appartenu  aux  trois 
seules  provinces  de  Proconsulaire,  Byzacène  etNumidie';  et 
on  conçoit  en  effet  qu'à  cette  date,  comme  d'ailleurs  durant 
les  guerres  qui  si  longtemps  troublèrent  au  vi®  siècle  l'Afrique 
byzantine,  les  prélats  des  régions  où  ne  parvenait  point  la  do- 
mination grecque  aient  pu  malaisément  quitter  leurs  diocèses 
pour  se  rendre  à  Carthage.  Certes  on  peut  admettre,  comme 
une  hypothèse  très  vraisemblable^  que  le  clergé  de  la  Tripo- 
litaine,  où  le  nombre  des  sièges  épiscopaux  était  peu  con- 
sidérable, s'est  réuni  en  général  à  celui  de  la  province  voisine 
de  Byzacène  *  ;  les  évêques  de  la  côte  des  Syrtes  siègent  en 

1.  Labbe,  IV,  1629-1630. 

2.  Morcelli,  I,  p.  43. 

3.  P.  L.,  LXVl,  p.  45;  Nov.  37,  9. 

4.  Victor  Tonn.  a.  551  (p.  202),  A.  552  (p.  202-203). 

5.  Byz.  Zeitschr.,  L  c, 

6.  Ibid.,  p.  33-34. 

1.  Du  moins  les  primats  de  ces  trois  provinces  sont  seuls  nommés  dans 
rintitulé  de  la  lettre  an  pape. 
8.  Cest  l'hypothèse  de  Morceili,  1,  p.  44-45;  cf.  Toulotte,  /.  c,  p.  61-62. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  413 

effet  à  Carthage  au  commencement  du  vfi*  siècle  encore  *  ; 
mais  pour  les  Maurétanies  on  ne  saurait  se  contenter  d'une 
telle  explication.  Sous  le  règne  de  Justinien,  pas  une  mention 
n'est  faite  du  clergé  de  ces  provinces;  elles  ne  figurent  point 
aux  assemblées  de  534  ni  de  550;  elles  ne  sont  point  repré- 
sentées au  concile  œcuménique  de  553,  Tempereur  ne  semble 
pas  même  se  douter  de  leur  existence*.  Assurément  des  com- 
munautés chrétiennes  subsistaient  dans  ces  contrées,  soit  dans 
les  villes  de  la  côte  soumises  aux  Byzantins,  soit  même  dans 
rintérieurdu  pays';  mais  probablement  ellesétaient  d'une  part 
beaucoup  moins  nombreuses  maintenant  qu'au  temps  peu 
éloigné  encore  où,  en  484,  la  Silifienne  comptait  quarante- 
quatre  sièges  épiscopaux  et  la  Césarienne  cent  vingt-six*. 
D'autre  part»  dès  525  «  la  dure  nécessité  de  la  guerre  »  les 
empêchait  d'envoyer  au  concile  de  Carthage  plus  d'un  repré- 
sentant*; à  plus  forte  raison  doivent-elles,  pendant  le  règne 
de  Justinien,  avoir  vécu  fort  repliées  Bur  elles-mêmes  ;  en  tout 
cas  nous  n'avons  pour  cette  époque  gardé  nul  souvenir  de  re- 
lations entretenues  par  elles  avec  l'Église  africaine.  En  fait, 
l'Afrique  chrétienne  que  nous  connaissons  à  ce  moment  se 
limite  aux  trois  provinces  de  Proconsulaire,  Numidie  et  Byza- 
cène,  cette  dernière  probablement  s' accroissant  de  la  Tripo- 
litaine.  A  la  vérité,  vers  le  milieu  du  vi""  siècle,  ce  domaine 
parait  s'être  un  peu  étendu,  et  la  propagande  chrétienne  a  at- 
teint les  oasis  situées  au  sud  de  la  région  des  Syrtes®;  sans 
doute  aussi,  un  peu  plus  tard,  la  Césarienne  a  été  entamée  ^  ; 
des  conversions  importantes  y  ont  rétabli  ou  accru  le  prestige 
de  l'Église^  et^  au  commencement  du  vu*  siècle,  les  évêques 


1.  Byz.  Zeitschr.^  Le. 

2.  Dans  le  rescrit  de  542,  il  ne  parle  que  des  trois  provinces  de  Procoosa- 
laire,  ByzacëDe,  Numidie.  JVov.  (éd.  Schoell),  App.  Ul. 

3.  Byz,  Zeitschr.,  Le. 

4.  Solitia  episcoporum^  L  c. 

5.  Labbe,  IV,  1633. 

6.  Aed.,  p.  333,  334,  335,  337. 
1.  Jean  de  Biclar,  a.  569,  513. 


414  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

des  trois  Maurétanies  sonl  revenus  prendre  place  aux  conciles 
de  Carlhage*.  Néanmoins  dans  ces  régions  lointaines  les  cir- 
constances ont  fini  par  modifier  les  divisions  ecclésiastiques; 
en  646,  il  n  y  a  plus  qu'une  province  unique  de  Maurétanie^ 
ayant,  suivant  les  anciennes  traditions  de  TÉglise  africaine, 
le  plus  ancien  de  ses  évèques  pour  chef  et  pour  primat  '. 

Quoi  qu'il  en  soit,  sous  le  règne  de  Justinien,  TÉglise  afri- 
caine semble  avoir  compris  les  provinces  suivantes  : 

1^  La  Tripolitaine,  où  nous  nous  trouvons,  comme  en  484, 
cinq  sièges  épiscopaux  seulement:  Leptis  Magna,  Oea,  Sa- 
brata,  Girba  (dans  l'île  de  Djerba)  et  Tacapae*. 

2^  La  Byzacëne  qui,  en  484,  avait  cent  quinze  sièges  épi- 
scopaux, paraît  en  avoir  beaucoup  perdu  àFépoque  byzantine; 
du  moins  quarante-trois  prélats  seulement  assistèrent  au  con- 
cile de  646  ^  Il  est  aisé  de  comprendre  les  causes  de  cette 
diminution  :  dans  cette  province  particulièrement  exposée 
aux  invasions  berbères,  les  ravages  des  indigènes  avaient 
plus  que  partout  ailleurs  dépeuplé  le  pays.  Malheureusement 
il  est  impossible  de  dire  dans  quelle  proportion  cette  décrois- 
sance doit  être  attribuée  à  Tépoque  de  Justinien;  il  est  évi- 
dent que  dès  ce  moment  la  guerre  qui  n'épargna,  on  le  sait, 
pas  plus  le  clergé  que  la  population  civile,  a  dû  faire  dispa- 
raître un  certain  nombre  de  sièges  épiscopaux;  toutefois 
durant  tout  le  cours  duvi®  siècle,  la  vie  religieuse  paraît  avoir 
gardé  assez  d'activité  en  Byzacène  ^  pour  qu'on  soit  autorisé 
à  croire  que  beaucoup  de  diocèses  disparurent  seulement  plus 
tard.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  trouvons  au  temps  de  Justinien 
des  évèques  dans  les  villes  suivantes  :  sur  la  côte  à  lunca^. 


i.Byz.  Zeilschr,,  l.  c. 

2.  Labbe,VI,133. 

3.  Labbe,  IV,  1627,  1640-1641  ;  Byz.  Zeilschr.,  p.  26,  31. 

4.  Labbe,  VI,  135-136. 

5.  Conciles  de  541  (Barouius,  ad  a.  541)  de  550  (Vict.  Touu.  a.  550  et  ibid.y  a. 
532)  ;  Nov,  de  Justin  11  (568),  Zachariae,  Jus.gr.  rom.,  UI,  p.  9-10. 

6.  Vict.  ToDD.,  a.  552. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIEN  415 

Thenae*,  Ruspae*,  SuUectums,  Leplis  Minor*,  Hadrumète»; 
dans  l'intérieur  du  pays,  à  Hermiane,  à  Maktar,  à  Sufetula,  à 
Thélepte  •;  on  renconlre  également,  sans  pouvoir  préciser  d'ail- 
leurs remplacement  de  leur  siège,  les  évoques  de  Bagava- 
liana\  Cebarsussa',  Gratiana',  Maximiana^^  Victoriana**, 
enfin,  s'il  faut  vraiment  admettre  Tidentification  proposée 
pour  Vepiscopus  Tamallumensis^^y  un  siège  épiscopal  aurait 
subsisté  à  Telmin,  au  sud  des  Chotts.  Il  va  de  soi  que  la  By- 
zacène  comptait  bien  d'autres  diocèses  que  les  seize  que 
nous  venons  d'énumérer  ;  sur  les  deux  cent  vingt  évèques 
présents  à  Carthage  en  534,  on  peut  admettre  sans  invrai- 
semblance que  la  province  en  avait  fourni  au  moins  quatre- 
vingt-dix  ou  cent  *^.  Malheureureusement  la  plupart  des  noms 
inscrits  sur  la  liste  de  646  appartiennent  à  des  villes  obscures 
ou  parfaitement  inconnues;  j'y  note  seulement,  sur  la  côte, 
Leptis,  Acholla(El-Alia,  au  sud  de  Thapsus),  Ruspae,  Thenae^ 
HorreaCoelia(Hergla,  aunorddeSousse),  Usilla(Inchilla,  en 
face  des  îles  Eerkenna),  et  dans  Tintérieur,  Autenti  (à  Test 
de  Sbeitla),  Mazaranae  (à  l'ouest  de  Kairouan),  Thysdrus  (El- 
Djem)",  Hermiane  et  Thélepte.  Sans  doute  on  peut  raisonna- 
blement admettre  que  dans,  les  villes  de  la  Byzacène  solide- 
ment occupées  parles  impériaux  se  conservaient,  au  temps  de 


1.  Vita  Falgentii,  66  (P.  L.,  t.  LXV,  150). 

2.  Ibid.,  1  (P,  L.,  LXV,  117);  Labbe,  IV,  1785. 

3.  Bell,  Vand,,  p.  380. 

4.  Labbe,  IV,  1646. 

5.  Vict.  Tonn.,  a.  552;  Ubbe,  V,  376. 

6.  Byz.  ZettocAr.,26,31. 

7.  Labbe,  IV,  1647. 

8.  Vict.  ToDD.,  a.  555. 

9.  Labbe,  IV,  1644. 

10.  /d.,  IV,  1646.  Cf.  IV,  1627. 

11.  Labbe,  V,  416,  581. 

12.  Mas-Latrie,  l,  c,  p.  84. 

13.  La  Numidie,  qui  en  484  avait  125  évêques,  a  dû,  comme  ea  525,  être  re- 
présentée par  un  petit  nombre  de  détégués.  Toute  la  Proconsuiaire  qui,  en 
525,  a  48  évoques,  n'a  guère  pu  eu  fournir  plus  de  70  à  80. 

14.  Labbe,  Vï,  129,  et  Mas-L^trie,  p.  82-85. 


416  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Justinien,  les  évêchés  qu'on  y  trouvait  en  484  ;  c'était  le  cas 
assurément  à  Capsa,  à  Gillium,  àSufes,  à  Kouloulis,  et  sur  la 
côte  à  Tbapsus  '  ;  un  fait  néanmoins  demeure,  c'est  qu'à  l'époque 
byzantine,  le  christianisme  a  en  Byzacëne  perdu  finalement 
une  partie  du  terrain  gagné  par  lui  au  iv«  et  au  v*  siècle. 

3^  La  Proconsulaire  au  contraire  paraît  avoir  augmenté  le 
nombre  de  ses  diocèses  '.  En  525,  quarante-huit  évèques 
seulement  étaient  rassemblés  à  Carthage;  en  646,  au  con- 
traire, soixante-dix  y  sont  réunis.  Et  comme  dans  les  deux 
listes,  vingt  et  un  noms  seulement  sont  communs,  nous  pou- 
vons sans  invraisemblance  ajouter  à  Ténumération  de  646 
quelques-uns  des  vingt-sept  autres  sièges  connus  par  celle  de 
525.  Il  y  aurait  peu  d'intérêt,  je  pense,  à  dresser  la  longue 
liste  de  ces  villes  épiscopales,  dont  beaucoup  ne  sont  que  de 
simples  bourgades;  il  suffira  d'indiquer  les  principales  ré- 
gions où  elles  sont  réparties.  En  525,  comme  en  646,  un 
grand  nombre  d'évèchés  étaient  établis  sur  les  côtes  de  la 
presqu'île  du  cap  Bon,  à  Pupput,  Neapolis,  Curubi,  Clypea, 
Garpi,  et  dans  les  villes  situées  sur  la  côte  au  nord  de  Car- 
thage, telles  qu'U tique  et  Hippone-Diarrbyte.  Dans  l'inté- 
rieur du  pays,  au  contraire^  le  nombre  des  communautés 
s'était  augmenté;  dans  la  vsJlée delà  Medjerda, en 525,  on  ne 
citait  que  Yallis,  Membressa,  Âbitina,  Tichilla,  Thubursîcum 
Bure  et  BullaRegia';  voici  en  outre  en  646  Thuburbo^  Thisi- 
duo,  Tuccabor,  Vaga,  Numlulis,  Simitthu  et  Thuburnica; 
dans  la  région  de  la  Tunisie  centrale,  la  liste  de  525  donnait 
seulement  Simingi,  Aptungi,  Furni,  Uzappa;  en  646  on  y 
trouve  Zama,  Sua,  Giuf,  Abbir  Major,  Bisica.  Dans  la  vallée 


1.  Toutes  ont  des  évèques  dans  la  NotiHa  de  484. 

2.  Cf.  les  deux  listes  de  526  (Labbe,  IV,  1640-1641)  et  646  (x6td.,  VI.  135- 
136)  ;  Mas-Latrie,  /.  c,  p.  85-89  et  Toulotte,  l,  c,  avec  la  carte  annexée  au 
volume. 

3.  On  y  peut  joindre  Viens  Haterianus,  que  les  listes  épiscopales  appellent 
Viens  Aterieusis  et  attribuent  à  tort  à  la  Byzacène  :  la  ville  se  tronvail  dans 
la  plaine  du  Fahs  {BulL  Corn.,  1893,  p.  235-236). 

4    Hyz.  Zeitschr.,  11,  p.  26,  31. 


L'EGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  417 

de  rOued  Tessa  et  dé  TOued  Mellègue,  on  ne  mentionnait  en 
525  que  Thacia^Lares  etNaraggara;  en  626,  voici Musti,Tbim- 
bure,  Uci  Majus,Ucubi,  Sicca,  Obba*,  Althiburos,  Assuras*. 
Dans  celte  province  plus  voisine  de  Carthage,  mieux  abritée 
que  toute  autre  contre  les  invasions,  le  catholicisme  sous  la 
protection  du  gouvernement  byzantin  avait  donc  repris  sans 
peine  possession  des  diocèses  qu'il  occupait  jadis,  et  ce  fait 
seul  suffirait  à  attester  quelle  sollicitude  Tautorité  impériale 
apporta  en  Afrique  à  favoriser  les  intérêts  de  l'Église. 

4®  De  la  quatrième  province  ecclésiastique  de  l'Afrique  by- 
zantine nous  savons  fort  peu  de  chose.  Nous  trouvons  en  Nu- 
midie,  sous  le  règne  de  Justioien,  les  diocèses  de  Zattara, 
Tipasa,  Cuicul  et  Mileu'  ;  vers  la  fin  du  vi«  siècle  ou  au  com- 
mencement du  vii«,  on  nomme  les  évêques  de  Tigisis*,  d'A- 
quae  Thibilitanae,  de  Calama,  de  Casae  Nigrae,  de  Thagaste, 
de  Cirla^;  sur  la  côte  on  cite  ceux  d'flippone  et  de  Fossala'; 
dans  le  sud  du  pays,  celui  de  Lamiggiga''.  Jadis  en  484,  la 
Numidie  comptait  cent  vingt-cinq  sièges,  et  quoique  les  ren- 
seignements précis  nous  fassent  absolument  défaut,  cepen- 
dant on  peut  affirmer  sans  hésiter  qu'ici  comme  en  Byzacène, 
une  partie  des  diocèses  numides  disparut  à  Tépoque  byzan- 
tine, principalement  dans  les  parties  méridionales  du  pays, 
où  à  la  fin  du  vi®  siècle  les  douatistes  donnaient  fort  à  faire 
aux  évêques  de  la  région. 

5""  Enfin,  dans  les  Maurétanies,  on  signale  quelques  sièges 
épiscopaux  peu  nombreux;  pour  les  raisons  indiquées  plus 
haut,  il  n'y  a  point  lieu,  je  pense,  de  tenir  compte^  àTépoque 
de  Justinien,  de  ceux  de  la  Césarienne  et  de  la  Tingitane  ; 
mais  il  faut  admettre  les  diocèses  mentionnés  en  Sitifienne. 


i.  Labbe,  V,  417,  582. 

2.  Byz.  Zeitschr.,  II,  p.  26,  3i. 

3.  Labbe,  V,  417-418,  582-S83. 

4.  Gregorii  Epist,,  12,  28,  29. 

5.  Byz.  ZeiUchr.,  II,  26,3!. 

6.  Ibid. 

7.  Greg.  EpisL,  1,  82. 

1.        '  27 


418  mSTOlKE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Ce  sont  ceux  de  Sélif^  et  de  Tucca;  avec  d'autres  que  nous 
ignorons,  ils  formaient  peut-être  la  province  ecclésiastique  de 
Maurélanie  et  préparaient  ainsi  la  circonscription  nouvelle  où 
viendront  se  ranger  plus  tard  tous  les  évôchés  des  trois  pro- 
vinces de  TAfrique  occidentale. 


11 


Dans  les  limites  que  nous  venons  de  définir  approximative- 
ment, rÉglise  africaine,  sous  le  règne  de  Justinien,  brilla  d'un 
assez  vif  éclat.  Au  lendemain  même  de  l'occupation,  la  bien- 
veillance impériale,  on  le  sait,  lui  avait  restitué  ses  biens  et 
ses  temples^  restauré  ses  anciens  privilèges  en  les  augmentant 
de  tous  ceux  que  le  code  venait  récemment  de  conférer  aux 
évêques,  mis  à  son  service  toutes  les  forces  de  l'autorité  pu- 
blique pour  la  protéger  contre  les  hérétiques^  les  juifs  et  les 
païens*.  La  politique  ainsi  inaugurée  ne  se  démentit  point 
durant  tout  le  cours  du  règne  ;  de  même  qu'il  voulait  en  ma- 
tière civile  reconstituer  l'Afrique  telle  que  Rome  l'avait  faite, 
ainsi  Justinien  eut  pour  constant  souci  d'y  rétablir  au  point 
de  vue  ecclésiastique  l'élat  qu'elle  avait  autrefois  connu  : 
«  Nous  voulons  être,  écrivait-il  en  512  au  primat  de  Byzacène, 
les  tuteurs  et  défenseurs  des  antiques  traditions*.  »  Et,  dans 
ce  but,  de  même  qu'il  avait  en  534  fait  droit  à  toutes  les  de- 
mandes de  l'assemblée  de  Garthage,  ainsi  Tempereur  accueil- 
lait avec  complaisance  les  sollicitations  que  lui  adressait  en 
541  le  concile  de  Byzacène.  Préoccupé  de  réorganiser  de  ma- 
nière solide  et  définitive  l'Église  d*Afrique,  il  réglait  en  termes 
exprès  la  situation  et  les  rapports  hiérarchiques  de  ses  diffé- 
rents chefs,  confirmant  à  l'évèque  de  Garthage  les  privilèges 
que  comportait  sa  dignité  métropolitaine,  assurant  aux  pri- 

1.  Byz,  Zeilsckr.,  U,  26,  31;  cf.  Labbe,  IV,  1633. 

2.  Nov.  37» 

3.  Zachariae^  Jusliniani  Novellae,  ^'ov,  140  (II,  p.  209). 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  419 

mats  de  Numidie  et  de  Byzacëne  le  rang  et  les  droits  qui  leur 
appartenaient  *  ;  et  en  même  temps  que  dans  chaque  province 
il  subordonnait  exactement  les  prélals  de  la  région  à  leur  pri- 
mat, il  affranchissait  d'autre  part  celui-ci  de  Tautorîté  trop 
stricte  du  métropolitain  de  Carthage^  et  il  autorisait  en  parti- 
culier Tévèque-doyen  de  la  Byzacëne  à  porter  directement  au 
pied  du  trône  ses  plaintes  et  ses  conseils'.  Fort  libéralement 
il  accordait  aux  clercs  le  privilège  d'être,  en  matière  religieuse, 
uniquement  justiciables  des  tribunaux  ecclésiastiques^etdéfen^ 
dait  à  tous  «  juges  civils  et  militaires  »  d'intervenir  en  ces  dé« 
licates  matières  '.  Et  ainsi,  soit  qu'il  renouvelât  contre  les  hé- 
rétiques les  interdictions  qui  les  écartaient  des  fonctions 
publiques,  poussant  même  la  rigueur  jusqu'à  leur  en  imposer 
parfois  les  charges  en  leur  refusant  les  privilèges  correspon- 
dants \  soit  qu'il  confirmât  solennellement  les  droits  métropo- 
litains de  Tévèque  de  Carthage  ^,  constamment  il  prouvait  sa 
ferme  volonté  de  proléger  l'Église  africaine,  son  désir  d'y  faire 
renaître  «  la  fleur  de  son  ancienne  prospérité  »  ^ 

Aussi  les  conciles  recommencent  à  se  réunir  à  de  fréquents 
intervalles.  Des  534,  toutes  les  Églises  d'Afrique  envoient  leurs 
représentants  à  Carthage  et  viennent  y  renouer  avec  joie  les 
antiques  traditions  interrompues  \  En  541,  la  Byzacëne  tient 
son  concile  provincial;  en  550,  les  trois  provinces  se  rassem- 
blent pour  discuter  en  de  solennelles  assises  la  question  des 
trois  chapitres;  en  554,  un  concile  se  tient  en  Proconsulaire; 
en  555  un  autre  est  convoqué  en  Numidie  \  Grâce  à  la  protec- 
tion impériale,  des  églises  s'élèvent  sur  tous  les  points  du  pays 


1.  Zachariae,  Jastiniani  Novellae^  Nov.  132  et  140. 

2.  Zachariae,  Jus  gr.  rom.,  Ul,  p.   10  {Nov.  de  Justin  condrinant  uu  acte 
de  Justiaien). 

3.  Ibid.,  p.  9-10. 

4.  Nov.  45. 

5.  Nov,  131,  4. 

6.  Zachariae,  Justiniani  Novellae^  Nov,  132. 

7.  Ubbe,  IV,  1755,  1784-1785, 

8.  Vict.  Tonn.,  a.  550,  551,  555. 


420  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATON  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

byzantin^  ;  et  la  munificence  du  prince  rivalise  pour  bâtir  ces 
édifices  avecTinitiative  des  particuliers.  Dès  le  premier  tiers 
du  vi"*  siècle,  la  fin  de  la  persécution  vandale  avait  amené  en 
Afrique  un  grand  mouvement  de  constructions  religieuses': 
la  conquête  byzantine  donna  à  ce  mouvement  un  nouvel  essor. 
ÂGarthage,  Justinien  fait  construire  une  basilique  sous  le  vo- 
cable de  sainte  Prime,  qui  était,  d'après  Procope,  tout  parti- 
culièrement vénérée  en  Afrique*;  dans  l'ancien  palais  des  rois 
vandales,  devenu  la  résidence  du  patrice  byzantin,  il  consacre 
àla  Théotokos  un  vaste  et  somptueux  sanctuaire  *  ;  et  aujourd'b  ui 
encore  la  grande  basilique  chrétienne  de  Damous-el-Karita 
porte  la  trace  visible  des  remaniements  et  des  embellissements 
datant  de  Tépoque  byzantine  ^  A  Leptis  Magna  en  Tripolitaine, 
cinq  églises  furent,  au  rapport  de  Procope,  élevées  par  les 
soins  de  Justinien,  dont  Tune,  la  plus  magnifique,  était  dédiée 
à  la  Théotokos  *  ;  à  Sabrata  également,  une  belle  basilique  fut 
construite^  et  la sollicitudederempereur,6'étendant  jusqu'aux 
extrémités  occidentales  de  l'Afrique,  dota  la  lointaine  Septem 
d'un  sanctuaire  consacré  à  la  Vierge'.  Aujourd'hui  encore,  des 
ruines  nombreuses  attestent  le  développement  prospère  que 
prit  à  l'époque  byzantine  l'architecture  religieuse.  Dans  les 
villes  de  lac4te  orientale  en  particulier,  «  plus  facilement  ac- 
cessibles aux  artisans  de  Constantinople  »,  àSfax,  àMahedia, 
à  Lamta,  à  Monastir,  surtout  à  Sousso,  on  rencontre  à  chaque 
pas,  employées  dans  les  constructions  arabes^  des  colonnes 


1.  Evagriu»,  Uùt.  EccL,  IV,  18  (P.  G.,  t.  LXXXVl). 

2.  De  Aossi,  La  capsella  argentea  africafia,  p.  12, 13-14,32.  Cf.  C.  /.  L.,  VIII, 
10706,  17609  ;  Bull.  arch.  crût.,  1878,  p.  12^  U  sqq. 

3.  Aed,,  p.  339. 

4.  id.,  p.  339;  Bell.  Vand.,  p.  474. 

5.  Bull.  Corn.,  1886,  p.  224-237.  Delattre ; i4rc^o%ie  chrétienne  de  Carlhige 
(extrait  du  Cosmos),  p.  15-16;  P.  Gauck  1er, L'arc Aéo/b^te  delà  Tunisie,  p.  48-49. 
Sur  les  bas-reliefs,  qui  datent  peut-ôtre  du  vi*  siècle,  BuU.  Corn.,  )8V6,  p.  2i0- 
223,  et  BuU.  arch.  crist.j  sér.  4,  ana.  3,  p.  49-52. 

6.  Aed.,  p.  336. 

7.  id.,  p.  337. 

8.  Id.,  p.  343. 


L*Ë(>LIS£  D*AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIEN  421 

de  marbre,  des  consoles,  des  chapiteaux  d*un  pur  style  byzan- 
tin, d'un  travail  et  d'une  conservation  admirables,  qui  pro- 
viennent sans  nul  doute  des  édifices  chrétiens  du  vi«  siècle  *. 
Parfois  même,  dans  quelque  mosquée,  dans  quelque  bâtisse 
musulmane,  se  cachent  les  restes  mieux  conservés  encore  de 
quelque  ancienne  église;  à  Sousse,  au  milieu  des  souks,  on 
voit  ainsi  une  petite  chapelle  couverte  d'une  coupole  à  côtes 
creuses  portée  sur  plan  carré;  quatre  niches  en  cul-de-four 
occupent  les  angles,  et  l'ensemble  paraît  bien  dater  de  l'époque 
grecque.  Dans  l'inlérieurdupays,  les  ruines  des  grandes  villes 


Fig.  67.  —  Chapiteaux  byzantins  à  la  grande  mosquée  de  Kairouan. 
(Dessin  de  M.  Saladin.) 

nous  ont  également  conservé  quelques  monuments  de  cette 
période.  A  Thélepte,  j'ai  relevé  un  curieux  ]inteau  de  style 
byzantin,  où  des  paons  affrontés  viennent  boire  dans  un  grand 
vase,  et  dans  l'angle  sud-ouest  de  la  citadelle^  une  église,  dé- 
corée de  colonnes  cannelées  et  de  riches  revêtements  de  mar- 
bre, semble  contemporaine  de  la  construction  de  la  forteresse*. 
A  Kasrin,  on  voit  les  restes  d'une  église  datant  probablement 
de  Tépoque  de  Justinien  et  dont  «  les  portes  ont  leurs  tympans 
circulaires  décorés  de  sculptures  très  grossières  représentant 
des  paons  buvant  dans  un  vase*.  »  A  l'intérieur  de  la  citadelle 
d'Haïdra,  une  petite  église  assez  bien  conservée  s'appuie  contre 
les  murailles  de  la  courtine  ouest^  et  sa  construction  aussi 
bien  que  les  inscriptions  qui  la  décoraient  prouvent  qu'elle 


4.  Saladin,  1,  p.  4,  i 0,21,  29-34,  224; /ns/ri/c/iVmscfw  Comilé.p.  460-162. 

2.  Diebl.  Bapport.  p.  342-343. 

3.  Saladin,  I,  p.  460. 


422  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

date  de  la  période  byzantine  *.  Au  Kef,  Téglise  de  Dar-el-Kous 
offre  certaines  dispositions  «  absolument  analogues  à  celles 
de  certaines  petites  églises  de  Constantinople  V  »  A  Bordj-Mes- 
saoudi  (Thacia),  un  chapiteau  et  de  beaux  fragments  de  sculp- 
ture ont  été  retrouvés,  appartenant  évidemment  à  un  monu- 
ment religieux  de  Tépoque  byzantine'  ;  de  même  à  la  Eessera\ 
à  Hadjeb-el-Aioun  au  sud-ouest  de  Kairouan,  à  Bou-Ficha,  à 
Lorbeus*,  à  Henchir-Maatria^  à  Sidi-Abdallah-Mellili\  à 
Tabarka',  des  inscriptions  ou  des  ruines  attestent  la  construc- 
tion d'édifices  sacrés  datant  du  temps  de  Justinien.  En  Numi- 
die,  Thibilis  (Announa)  a  une  curieuse  église  '  ;  à  Timgad,  une 
chapelle  s'élève  au  milieu  de  Tenceinte  de  la  forteresse  byzan- 
tine ^^;  Bagai  conserve  les  débris  d'une  église  et  des  fragments 
de  sculptures  appartenant  au  vi'  siècle  ^^  Ailleurs,  à  £1-Hassi 
près  d'Aïn-Beida,  à  Guelma,  à  Testour,  des  édifices  religieux 
s'élèvent  pour  abriter  les  reliques  des  martyrs  "  ;  et  jusque 
dans  les  villages  perdus  dans  les  déchirures  du  plateau  des 
Nememchas,  à  Aïn-Ghorab,  à  Aïn-Seggar,  à  Aïn-Sultan  ",  ail- 
leurs encore  **,des  inscriptions  ou  des  monuments  nous  prou- 
vent Tardeur  qu'apportèrent  les  fidèles  à  restaurer  ou  à  bâtir 
les  sanctuaires  de  leur  religion.  Le  même  zèle  se  retrouve  dans 


1.  Baladin,  I,  p.  174-115. 

2.  Id,,  I,  p.  207;  P.  Gauckler,  /.  c,  p.  49  50,  où  Tédifice  est  attribué  au 
début  du  v^  siècle.  Cf.  sur  une  autre  basilique  du  Kef,  contemporaine  de 
réglisede  Dar-el<Kou8,  Bull,  Com.,  1893,  p.  144. 

3.  Saladin,  I,  211-212;  II,  552-553. 

4.  C.  /.  L.,  VIII,  706;  Duchesne  {Mu8ée  Alaoui,  I,  liy.  4). 

5.  BulL  Corn,,  188(,  p.  160. 

6.  Arch,  des  Missiona,  XIV,  p.  97. 

7.  Carton,  /.  c,  p.  281-284. 

8.  Arch.  des  Missions j  IX,  162,  167. 

9.  BulL  Corn,,  1892,  p.  521;  Dielil,  Rapport,  p.  368-370. 

10.  Â.  Ballu,  Rapport  cité,  p.  3123. 

11.  Diehl,  Rapport,  p.  322-323. 

12.  C,  LL.,  VIH,  18656, 14902;  Duchesne,  Bull,  de  la  Société  des  Antiquaires. 
1893,  p.  238-241.  Cf.  de  Rossi,  La  capsella  argentea,  p.  16  et  Si,  et  BuU. 
Corn.,  1889,  p.  136-137. 

13.  Rossi,  Bull.  arch.  crisl.,  1878,  p.  19-20,  22-24,  117 
14.f.Duchesne,  /.  c;  C.  /.  L.,  VIII,  10642. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN 


423 


les  rares  cités  que  Byzance  occupait  sur  les  côtes  de  la  Mau- 
rétanie  Césarienne;  la  basilique  de  Sainte-Salsa  à  Tipasa 
paraît  avoir  été  reconstruite  à  Tépoque  de  la  domination 
grecque*. 

Veut-on    savoir    suivant    quels    principes    d'architecture 


Fig.  68.  —  Plan  du  Dar-el-Kous,  au  Kef.  (D'après  M.  Saladin.) 


furent  élevés  ces  édifices?  Il  faut,  pour  s'en  rendre  compte, 
examiner  les  deux  églises  qui  nous  sont  parvenues  le  plus 
intactes  :  celle  de  Haïdra  et  celle  do  Dar-el-Kous  au  Kef*. 

1.  Comptes  rendus  de  VAcad,  des  inscriptions,  1892,  p.  246-247;  Gsell,  Re- 
cherches  archéologiques  en  Algérie,  p.  66-72. 

2.  SaladÎD,  I,  p.  174-115,  205-206;  II,  p.  556-558;  P.  Gauckler,  /.  c,  p.  49-50. 


424  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Dans  toutes  deux,  le  plan  général  est  tout  latin  encore  :  der- 
rière un  narthex  ouvert  par  trois  portes  s'étend  l'église,  formée 
d'une  nef  principale  entre  deux  bas-côtés;  des  suites  d'arcades 
portées  sur  des  colonnes  séparent  la  grand  nef  des  travées  la- 
térales ;  une  abside  demi-circulaire  s'ouvre  au  fond  du  vais- 


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Fig.  69.  —  Le  Dal-el-Kous,  au  Kef.  (Essai  de  restttutioQ  de  M.  Saladio.) 

seau  médian,  derrière  un  arc  triomphal  soutenu  par  deux 
colonnes.  La  nef  est  couverte  en  charpente,  le  narthex  et  les 
bas-côtés  voûtés  en  voûtes  d'arête.  Mais  à  côté  de  ces  dispo- 
sitions toutes  latines,  certains  partis  dénotent  une  inQuence 
orientale  :  l'abside  est  décorée  d'une  série  de  niches  demi- 
circulaires  accostées  par  des  colonnes;  «  ces  niches  ne  sont 
pas  arrêtées  dans  leur  partie  supérieure  par  une  arcade  et  une 
voûte  en  cul-de-four,  mais  la  voûte  demi-sphérique  qui  forme 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN 


425 


Tabside,  au  lieu  d'être  uae  surface  continue,  est  une  coupole 
à  côtes  creuses  dont  chaque  côte,  à  la  naissance  de  la  coupole, 
a  pour  section  le  plan  de  la  niche...  Cette  disposition  d'abside 


Fig.  70.  —  Façade  restituée  de  l'église  de  Dar-el-Kous  i. 
(Dessin  de  M.  SaladiD.) 


1.  Les  figures  70  et  71,  ainsi  que  la  planche  II,  m*OQt  été  fort  obligeamment 
fournies  par  MM.  Hachette  etC'«,  qui  non  seulement  ont  bien  voulu  m'auto- 
risera employer  ces  dessins  primitivement  publiés  dans  le  Tour  du  Monde  ^ 


426  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

est  absolument  analogue  aux  voûtes  de  certaines  petites  églises 
de  Constantinople,  voûtes  en  coupoles  k  côtes  reposant  sur  un 
tambour  à  côtes.  Ici,  c'est  une  semblable  disposition  ;  mais 
au  lieu  de  voir  un  tambour  à  côtes  et  une  coupole  soutenus 
sur  des  pendentifs,  nous  avons  la  moitié  seulement  de  ce  mo- 
tif appliqué  à  une  abside  »  ^  En  outre,  tous  les  détails  de  la 
décoration  architecturale,  lorsque  les  pièces  n'en  sont  point 
empruntées  à  des  monuments  plus  anciens,  sont  de  style  pure- 
ment oriental  ;  dans  les  sculptures  rapportées  qui  décorent  le 
tympan  des  portes  d'entrée,  dans  les  beaux  chapiteaux  de 
marbre  qui  surmontent  les  colonnes,  dans  les  fragments  de 
clôture  dont  peut-être  quelques  débris  se  conservent  au  mim- 
ber  de  la  grande  mosquée  de  Kairouan  *,  on  trouve  les  formes 
habituelles,  les  motifs  ordinaires,  le  caractère  coutumier  de 
Fart  byzantin.  Et  dans  cette  combinaison  d'éléments  divers, 
l'école  indigène  elle-même  est  en  quelque  manière  représentée 
par  ces  curieux  carreaux  de  terre  cuite  employés  à  revêtir  les 
parois  intérieures  des  édifices,  et  dont  les  fouilles d'Hadjeb-el- 
Aioun,  de  Bou-Ficha  et  de  Kasrin  ont  fourni  de  si  intéressants 
exemplaires*.  Sans  doute,  dans  ces  derniers  ouvrages,  pro- 
duits d'un  art  en  décadence,  on  trouve  une  rare  grossièreté 
d'exécution,  comme  d'autre  part  on  remarque  souvent  dans 
les  motifs  décoratifs  une  assez  grande  pauvreté  d'imagination; 
néanmoins  par  leur  nombre,  comme  par  les  réelles  qualités 
techniques  qu'on  constate  encore  dans  leur  architecture*,  les 
églises  byzantines  d'Afrique  méritent  quelque  attention  ;  elles 
prouvent  à  tout  le  moins  la  vie  et  l'activité  qui  se  conservaient 
encore  au  vi*  siècle  dans  cette  partie  de  l'empire. 


mais  en  ont  encore  fort  gracieusement  mis  les  clichés  à  ma  disposition.  Je 
tiens  à  leur  exprimer  ici  toute  ma  reconnaissance. 

1.  Saladin,  I,  p.  206-207.  On  trouve  môme  à  Sidt-Abdallah-Mdlliti  un  curieux 
exemple  de  coupole  sur  pendeutifs  (Carton,  /.  c,  p.  281-284). 

2.  Saladin,  1,  p.  31-32. 

3.  Bull.  Corn,,  1885,  p.  327;  Revue archéol . ,  1888,  p.  303-322;  Comptes  t-endus 
de  VAcad.  des  inscriptions^  1893,  p.  219-221  ;  Revue  archéoL,  1893,  p.  273-281. 

4.  Saladio,  II,  p.  557. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINÏEN  427 

A  côté  des  églises,  les  couvents  tiennent  une  grande  place 
parmi  les  constructions  religieuses  de  l'époque.  Les  établisse- 
ments monastiques,  en  effet,  paraissent  avoir  été,  dans  l'Afri- 
que byzantine,  nombreux  et  florissants;  pour  voir  avec  quelle 
prodigieuse  rapidité  ils  se  multipliaient,  avec  quel  zèle  on  les 
fondait,  avec  quelle  facilité  ils  recrutaient  leur  population  de 
cénobites,  il  suffit  de  lire  la  Vie  de  saint  Fulgence,  dont  l'œuvre 
est  de  quelques  années  à  peine  antérieure  à  l'expédition  de 
Bélisaire.  On  y  voit  le  pieux  évêque  établir  dans  un  court 
espace  de  temps  plusieurs  monastères  en  Byzacène  :  Tun  dans 
les  montagnes  de  la  Tunisie  centrale,  à  Mididi,  au  nord  de 
Sufes,  un  autre,  également  situé  dans  la  province,  dans  une 
région  ferlile  et  protégée  contre  les  invasions  ;  un  troisième 
dans  la  ville  de  Ruspae,  un  quatrième  dans  l'îlot  deChilmi  qui 
fait  partie  du  groupe  des  Kerkenna*.  Vers  le  même  temps  on 
mentionne,  à  la  date  de  525,  plusieurs  autres  monastères, 
celui  de  Precisu  (Ad  Praecisum),  au  diocèse  de  Leptis  minor, 
le  monasterium  Baccense  au  diocèse  de  Maximiana,  le  grand 
couvent  d'Hadrumète,  un  autre  également  établi  en  Byzacène, 
et  que  les  textes  désignent  seulement  sous  le  nom  de  monastère 
de  l'abbéPierre  *,  un  autre  encore  bâti  sur  Tllol  rocbeux  d'El- 
Kenéis,  à  peu  près  en  face  de  Iunca',un  monastère  de  femmes 
établi  en  Byzacène  *.  On  peut  affirmer  quelaplupartde  ces  fon- 
dations subsistaientàrépoquebyzantine;  la  cbose  est  certaine 
pour  deux  au  moins  d'entre  elles  :  le  couvent  de  Saint-Fulgence 
à  Ruspae,  et  le  monastère  de  l'abbé  Pierre  ^  ;  et  le  document 
qui  prouve  leur  existence  atteste  qu^à  côté  d'eux^  bien  d'autres 
abbayes,  cetera  monasieria,  s'élevaient  dans  l'Afrique  chré- 
tienne *• 

1.  Vita  Fulgentii,  23  (P.  L.,  LXV,  p.  128),  28  (p.  131),  39  (p.  137),  62  (p.  148); 
cf.  Tissot,  II,  p.  189. 

2.  Labbe,  IV,  1646. 

3.  Vila  Fulgentii,  29  (p.  132)  ;  Tissot,  U,  p.  189-190. 

4.  Ubbe,  IV,  1647-1648. 
'  5.  W.,  IV,  1785. 

6.  Cf.  Hildefonaus,  De  vir.  ilL,  4  (Patr.  lat.,  XGVI,  p.  200);   Greg.    Episf.,  7, 
32,  et  Patr,  gr,,  XCI,  p.  464-466. 


428  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

De  grands  établissements  religieux  se  rencontraient  jusque 
dans  l'intérieur  du  pays;  on  en  trouve,  à  Sbéilla,  à  Haïdra,  à 
Tébessa,  les  ruines  considérables  encore*  ;  et  quoique  la  plu- 


Fig.  71.  —  Restitution  d'une  des  étilises  de  Haïdra. 
(Dessin  et  composition  de  M.  Saladln). 

part  de  ces  fondations  paraissent  être  du  v°  siècle,  on  peut 
croire  qu'elles  demeuraient  intactes  et  florissantes  au  vie, 

1.  Saladin,  I,  p.  179-181,  91-92;  Diebl,  Rapport,  p.  331-332,  333-335;  Ballu 
{V Architecture,  21  oct.  1893),  p.  461-463. 


L'EGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIEN  429 

Le  gouvernement  impérial  d'ailleurs  favorisait  la  création  de 
ces  pieuses  maisons  ;  à  Carthage,  près  de  la  mer,  le  patrice 
Solomon  construisait,  peut-être  sous  le  vocable  de  saint  Sa- 
bas,  le  couvent  fortifié  du  Mandrakion^  En  Byzacène,  un  mo- 
nastère s'élevait  sous  le  vocable  de  saint  Etienne,  dont  le 
culte  était,  on  le  sait,  fort  répandu  dans  la  province  d'Afrique, 
et  l'empereur  en  confirmait  solennellement  les  privilèges*. 
Vers  le  même  temps,  les  textes  citent  le  monasterium  Gillita- 
num,  qu'une  séduisante  hypothèse  propose  de  placer  à  Easrin 
(Cillium)*  ;  une  autre  abbaye  était  sans  doute  établieàRuspina, 
àlaquelle  les  Arabes  ont  donnéle  nom  significatif  de  Monastir*. 
Rien  n*était  épargné  au  reste  pour  que,  suivant  une  expres- 
sion de  Tépoque,  «aucun  souci  des  choses  séculières  ne  trou- 
blât le  repos  de  ceux  qui  cherchent  le  règne  de  Dieu  »*;  par 
d'abondantes  donations,  les  citoyens  riches  s'efforcent  d'assu- 
rer la  vie  matérielle  des  moines'  ;  par  de  prudentes  mesures, 
les  conciles  s'appliquent  à  leur  garantir  l'indépendance  spiri- 
tuelle et  la  tranquillité  morale.  Ils  se  préoccupent  enparticulier 
de  les  soustraire  à  l'autorité  trop  tyrannique  des  évêques;dans 
l'intérieur  de  son  monastère,  l'abbé  sera  seul  maître;  nulle 
obligation  d'ordre  ecclésiastique,  nulle  redevance  pécuniaire 
ne  pourra  être  par  Tévêque  imposée  à  la  communauté; aucune 
intervention  étrangère  n'est  tolérée  dans  les  affaires  du  cou- 
vent. L'abbé  vient-il  à  mourir,  seuls  les  moines  ont  qualité 
pour  choisir  son  successeur;  seuls,  les  supérieurs  d'autres 
couvents  peuvent,  en  cas  de  difficultés,  être  appelés  à  trancher 
les  différends  ;  sauf  pour  y  ordonner  des  prêtres  ou  y  consacrer 
des  oratoires,  l'évèque  ne  pourra  en  aucun  cas  rien  préten- 

1.  Aed  ,  p.  339;  BelL  Vand,,  p.  521;  Vict.  Toqu.,  a.  555.  Cf.  Morcelli,  UI, 
p.  292,  qui  croit  que  ce  couvent  fut  consacré  sous  le  vocable  de  saint  Sabas  (cf. 
Labbc,  VI,  H7). 

2.  Diehl,  Une  charte  lapidaire  du  m*  siècle  {Comptes  rendus  de  CAcad,  des 
inscriptions,  1834,  p.  383-393). 

3.  VicL  Tonn.,  a.  553,  557  et  la  note  de  Mommsen;  P.  L.,  LXIX,  p.  43. 

4.  Tissot,  H,  p.  165-166. 

5.  Vita  Fulgentiiy  28  (p.  131). 

6.  Id.,  28  (p.  131),  39  (p.  136-137). 


430  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dre  dans  les  abbayes  ^  ;  constamment  les  conciles  parlent  de 
«  la  liberté  des  monastères  »  qui  doit  assurer  leur  tranquillité. 
Aussi  de  toutes  parts  les  religieux  affluent  dans  ces  couvents; 
et  ce  n'est  point  T Afrique  seulement  qui  leur  fournit  des  cé- 
nobites; des  pays  d'outre-mer  même^  on  y  vient  chercher  le 
repos  et  la  paix». 

Si  Ton  veut  prendre  quelque  idée  de  ce  qu'étaient  au  vt*  siècle 
ces  couvents  fortifiés  si  fréquemment  établis  par  Justinien,  il 
faut  examiner  les  ruines  du  beau  monastère  qui  s'élevait  aux 
portes  de  ïébessa'.  Là  se  rencontrait  dès  le  v  siècle  un  vaste 
ensemble  de  monuments  religieux;  au  centre,  c'était  une 
grande  basilique  à  trois  nefs  précédée  d'un  bel  atrium  carré, 
où  se  voit  encore  la  fontaine  destinée  aux  ablutions,  et  à  la- 
quelle on  accédait  par  les  hauts  degrés  d'un  perron  monumen- 
tal; la  splendeur  de  la  décoration,  Télégant  dallage  de  mossû- 
ques  qui  couvre  tout  le  sol  de  l'église,  les  corbeaux  richement 
sculptés  qui  portaient  l'étage  supérieur,  tout  atteste  l'impor- 
tance et  le  renom  du  sanctuaire.  Tout  autour  de  Tédifice,  une 
série  d'autres  constructions  étaient  disposées  :  ici  un  petit 
baptistère,  avec  sa  cuve  encore  intacte  ;  plus  loin  un  bel  édi- 
fice trèfle,  pavé  de  riches  mosaïques,  dont  les  murailles  étaient 
somptueusement  décorées  de  marbres  et  de  mosaïques  de 
verre;  en  avant  de  la  basilique,  c'était  une  grande  cour  en- 
tourée de  portiques,  et  plus  loin  un  curieux  bâtiment  renfer- 
mant des  écuries  et  des  logements,  sans  doute  une  hôtellerie 
ecclésiastique  destinée  à  recevoir  des  pèlerins,  et  fort  sembla- 
ble aux  monuments  de  cette  sorte  qu*on  trouve,  dans  la  Syrie 
centrale,  auprès  des  églises  ou  des  couvents  célèbres^.  Plus 
tard,  autour  de  cette  basilique  importante,  qui  semble  avoir 
été  le  but  de  fréquents  pèlerinages,  une  abbaye  se  construisit, 

1.  Labbe,  IV,  1783.  Cf.  le  concile  de  525  {id.,  IV,  1642-1649)  et  Greg.,  7,  32; 
cf.  aussi  Diehl,  Une  charte  lapidaire  du  vi*  sièclCf  p.  386-387. 

2.  Labbe,  IV,  1646. 

3.  Rec.  de  ConsL,  1860,  p.  209-216;  Lenoir,   Architecture  monastique,  II, 
p.  481-488,  491-492  (avec  plan);  Ballu,  /.  c. 

4.  VogQô,  Syrie  centrale,  p.  128  et  138,  pl.  114,  130   131. 


n 


^  .•->'^ 


La  basilique  et  le  monastère  bjuo^ 


PL.  XL 


MCNUr^NTB    Ht5TaP,iDUE5  TEBE5SA 

tllÎKES      au     MONASTEBE     r^SAtJTlîi  [V     SIÈGLEI 


fébessa  {diaprés  le  dessin  de  M.  A.  Ballu). 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIEN  431 

dont  les  cellules,  accolées  aux  flaacs  et  au  chevet  de  l'église, 
sont  de  date  évidemment  postérieure  à  l'essentiel  du  monu- 
menl  ;  et  pour  protéger  cet  établissement  religieux,  demeuré 
en  dehors  de  Tenceinte  de  Solomon,  une  muraille  flanquée  de 
tours  enveloppa  l'ensemble  des  constructions,  laissant  une 
vaste  cour  tout  autour  des  bâtiments  du  monastère.  Or  la  dis- 
position de  ces  remparts,  la  nature  des  matériaux  employés, 
la  technique  delabâtisse,  la  manière  dont  le  chemin  de  ronde 
est  porté  sur  une  série  d'éperons  épaulant  la  courtine,  tout 
prouve  que  cette  fortification  date  de  l'époque  byzantine.  Au 
même  temps  appartient  le  petit  oratoire,  adossé  comme  à 
Haïdra  à  Tintérieur  de  la  muraille,  et  tout  proche  des  cellules 
du  couvent.  Il  est  donc  certain  qu'au  vi"  siècle,  on  remania 
profondément  les  édifices  groupés  autour  de  la  basilique  de 
Tébessa  *  ;  et  tout  porte  à  croire  qu'elle  devint  à  ce  moment  le 
centre  d*un  vaste  couvent  fortifié,  fort  analogue  aux  établis- 
sements religieux  de  même  date  qu'on  rencontre  dans  la  Syrie 
centrale*.  Aujourd'hui  encore  ses  ruines,  soigneusement  dé- 
blayées par  le  Service  des  Monuments  historiques,  constituent 
l'un  des  monuments  les  plus  remarquables  de  l'Afrique  by- 
zantine. 

Mais  ce  n'est  point  uniquement  par  l'activité  de  la  vie  reli- 
gieuse, par  le  nombre  et  la  splendeur  des  constructions  sacrées, 
qu'apparaît  la  prospérité  de  l'Église  africaine.  Parmi  les  pré- 
lats qu'elle  comptait  sous  le  règne  de  Justinien,  plusieurs 
tiennent  une  place  plus  qu'honorable  parmi  les  écrivains  de 
leur  temps.  Primasius,  l'évêque  d'Hadrumète,  n'est  point  seu- 
lement un  courageux  défenseur  de  l'orthodoxie,  capable  de 
braver,  pour  garder  sa  foi,  les  rigueurs  de  l'autorité  impé- 
riale; c'est  un  théologien  savant^  auteur  d'amples  commen- 
taires sur  les  Épîtres  de  saint  Paul  et  sur  Y  Apocalypse,  assez 
curieux  pour  désirer  connaître,  et  assez  instruit  pour  com- 
prendre les  écrivains  grecs  renommés,  «  pour  l'étude  et  Tin- 

1.  Cf.  Diehl,  Rapport,  p.  331-332. 

2.  VogQé,  /.  c,  p.  141-153  et  pL  139-150  (couvent  de  SaiQt-Syméon). 


432  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

telligence  des  livres  saints*.  »  Verecundus,  évêque  de  lunca, 
a  les  mêmes  qualités  que  son  collègue,  et  un  témoignage  con- 
temporain nous  apprend  que  tous  deux  étaient  «  remarqua- 
bles par  la  sainteté  de  leur  vie  et  leur  science  des  Écritures*.  »> 
Voici  Facundus,  le  fougueux  évêque  d'Hermiane,  auteur  d'un 
vaste  traité  en  douze  livres  sur  la  question  des  Trois  Chapitres, 
et  de  plusieurs  pamphlets  où  une  rare  violence  de  langage  se 
mêle  à  une  sûre  connaissance  des  écrits  de  la  théologie  orien- 
tale*. Voici  Ferrand,  le  diacre  de  Carlhage,  l'élève  chéri  de 
saint  Fulgence  de  Ruspae,  le  docteur  le  plus  savant  et  le  plus 
respecté  de  TEglise  africaine,  l'oracle  de  la  science  et  de  la 
tradition*.  A  côté  d'eux,  c'est  Libératus,  également  diacre  de 
Carthage,  savant,  diplomate,  historien  dont  le  Breviarium 
raconte  les  origines  de  la  querelle  des  Trois  Chapitres';  c'est 
Victor  de  Tonnenna,  qui  nous  a  laissé  une  Chronique  singu- 
lièrement curieuse,  dans  les  portions  qui  se  rapportent  au 
VI  siècle,  par  le  ton  passionné  du  récit  et  la  préoccupation 
presque  exclusive  des  événements  de  l'histoire  religieuse  ; 
c'est  encore  Félicien,  évêque  de  Ruspae,  à  qui  fut  dédiée  la  Vie 
do  saint  Fulgence^,  et  sans  doute  bien  d'autres,  tous  prélats 
instruits,  ayant,  chose  déjà  rare  dans  l'Occident  au  vi*  siècle, 
une  connaissance  assez  approfondie  du  grec,  et  qui  joignent 
à  ces  mérites  littéraires,  d'autres  qualités  —  plus  rares  encore 
dans  une  partie  de  l'Église  du  temps,  —  une  fermeté  de  ca- 

1.  Œuvres  daas  P.  L.,  LXVIII.  Oa  trouve  dans  le  même  volume  (LXVIII, 
p.  15)  un  traité  dédié  à  Primasius  par  Tévêque  Junilius,  mais  le  personnage 
ne  semble  pas  être  africain.  On  y  voit  qu*à  Constantinople,  Primasius  voulut 
connaître  «  Graecos  qui  diviuarum  librorum  studio  intelligentiaque  flagra> 
rent.  »  Cf.  Cassiodore,  De  InsL  div,  litt.,  9  {P.  L.,  LXX,  p.  1122)  et  Uidore  de 
Séville,  De  vir.  ilL,22  {P,  L.,i,  LXXXIU). 

2.  P,  L.,  LXIX,  p.  116;  Isidore  de  Séville,  De  vir.  ilL,  1.  Sur  les  œuvres  poé- 
tiques de  Verecundus,  cf.  Manitius,  Gesch.  der  chrisilich  laieinischen  Poésie, 
p.  403-407. 

3.  P./..,  t.  LXVIl;  Isidore,  /.  c,  32. 

4.  P.  L.,  t.  LXVII;  Isidore,  /.  c,  12. 

5.  P.  L.,  t.  LXVIII.  En  534  il  fut  envoyé  à  Rome  par  le  concile  de  Carthage 
(P.  L  ,  LXVI,  p.  44). 

6.  P.  L.,  LXV,  p.  117;  Labbe,  IV,  1785. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIEN  433 

ractère,  une  inflexibilité  de  doctrine,  un  courage  digne  d'es- 
time à  résister  aux  volontés  de  l'empereur. 

C'est  là,  en  effet,  la  contre-partie  de  cette  protection  si 
bienveillante  dont  Justinien  couvrit  l'Église  d'Afrique,  et 
comme  le  revers  de  cette  prospérité.  Depuis  le  temps  de  Cons- 
tantin, on  le  sait,  le  souverain  byzantin  s'arroge  en  matière 
de  religion  une  autorité  presque  absolue  :  suivant  l'expres- 
sion d'un  théologien  de  Constantinople  a  il  est  pour  les  Égli- 
ses le  suprême  maître  des  croyances*.  »  C'est  lui  qui  convo- 
que et  préside  les  conciles,  qui  sanctionne  par  des  édits  les 
décisions  des  Pères,  et  se  charge,  au  besoin  par  la  force,  d'en 
assurer  l'exécution  ;  il  peut  au  gré  de  ses  caprices  intervenir 
dans  la  mêlée  des  disputes  théologiques,  rédiger  des  formu- 
laires de  foi,  dont  sa  signature  suffit  à  faire  des  actes  de  foi,* 
imposer  d'autorité  les  nouveautés  dogmatiques  qu'il  propose  ; 
c'est  lui  qui  fait  le  dogme  et  qui  fait  la  discipline,  et  son  auto- 
rité absolue  sur  les  personnes  ecclésiastiques  lui  permet  de 
les  traiter  à  sa  volonté*.  Pas  plus  que  ses  prédécesseurs,  Jus- 
tinien ne  devait  épargner  aux  évêques  les  manifestations  de 
l'arbitraire  impérial;  et  TÉglise  d'Afrique  en  particulier  allait 
s'apercevoir  combien  le  prince  exigeait  d'obéissance  en  échange 
de  ses  faveurs.  Pendant  dix  ans, l'histoire  ecclésiastique  de  la 
province  est  remplie  d'épisodes  violents  :  évêques  illégale- 
ment déposés,  prélats  installés  par  la  force  etcontre  les  vœux 
des  fidèles,  les  résistances  vaincues  par  les  menaces  ou  flé- 
chies par  la  corruption,  les  dissidents  obligés  de  fuir  s'ils 
veulent  échapper  à  la  prison  ou  à  l'exil,  les  prêtres  incarcérés 
ou  relégués  sur  des  plages  lointaines,  les  pouvoirs  publics 
intervenant  dans  les  disputes  religieuses,  et  le  sang  même 
versé  pour  faire  triompher  la  doctrine  approuvée  par  le  basi- 
letiSj  voilà  ce  qu'apporta  à  l'Afrique  la  part  qu'elle  prit  à  la 
querelle  des  Trois  Chapitres,  et  de  quel  prix  elle  acheta  l'hon- 


1.  Leunclavius,  Jtis  gr.  rom.,  1.  V,  rosp.  2. 

2.  Diehl,  Exarchat  de  Revenne,  p.  380-383.  Cf.  Gasquel,  De  VaulorUé  impé- 
riale en  matière  du  religion. 

I.  2S 


m         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZ4NTINE  EN  AFRIQUE 

neur  d'être  mêlée  à  ce  grand  débat.  Certes,  lorsqu'en  534  les 
Pères  du  concile  de  Carthage  se  félicitaient  de  voir  enfin  res- 
taurées les  antiques  et  vénérables  traditions  de  l'Église,  et  de 
pouvoir  de  nouveau,  après  une  captivité  de  cent  années,  ren- 
trer dans  la  communion  de  leurs  frères  \  ils  ne  se  doutaient 
guère  qu'ils  devraient  un  jour  expier  chèrement  ces  joies 
éphémères,  et,  en  reprenant  leur  place  dans  l'Église  univer- 
selle, attirer  sur  eux  les  conséquences  d'une  des  plus  arden- 
tes parmi  les  luttes  religieuses  du  temps. 


m 


Lorsque  vers  Tannée  544',  sur  les  conseils  de  Tévèque  de 
Césarée,  Théodore  Askidas,  l'empereur  Justinien  promulgua 
un  édit  condamnant  trois  des  textes,  ecclésiastiques  jadis  ap- 
prouvés au  concile  de  Ghalcédoine  ',  l'émotion  fut  vive  dans 
tout  l'Occident.  «  En  Afrique,  bien  qu'on  n'y  eût  pris  qu'une 
part  indirecte  aux  controverses  sur  l'Incarnation,  dans  toute 
l'Italie,  en  Gaule,  en  Espagne,  l'œuvre  de  Ghalcédoine  était 
considérée  comme  sacrée^.  »  Aussi  lorsque  l'édit  impérial 
parvint  à  Garthage,  on  fit  médiocre  accueil  aux  nouveautés 
théologiques  qui  venaient  de  Byzance.  Sans  doute,  dans  l'é- 
tat troublé  où  se  trouvait  à  cette  date  (545)  la  province,  on  ne 
put  réunir  un  concile  chargé  de  formuler  solennellement  Ta- 
vis  commun  des  Églises  africaines*;  mais  dès  ce  moment,  un 
certain  nombre  de  manifestations  particulières  ne  laissèrent 
aucun  doute  sur  les  sentiments  qui  les  animaient.  Dans  ane 
lettre  que  l'évêque  Pontianus  adressa  à  Justinien^,  tout  en 

1.  Ubbe,  IV,  1755. 

2.  Sur  la  date,  Hefele,  Hist.  des  conciles^  III,  p.  420. 

3.  Sur  ces  événements,  cf.  Duchesne,  Vigile  et  Pelage  {Revue  des  Quest.  hisi. 
1884,  l.  II.  p.  392-393). 

4.  Duchesne,  /.  c,  p.  377. 

5.  Ferrandus,  Epist.  (P.  L.,  LXVII,  p.  922). 

6.  P,  L.y  LXVII,  p.  996.11  est  question  d'un  PonUanus,  évoque  de  Thenae,  dans 
la  Vila  Fulgentii,  66.  C'est  peut-être  notre  évèque. 


L'ÉGLiSE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  435 

louant  d'une  manière  générale  Torthodoxie  du  prince,  ce  per- 
sonnage insinuait  sagement  qu'il  convenait  de  laisser  les 
morts  en  paix  ;  et,  avec  un  remarquable  esprit  de  prévoyance, 
il  exprimait  la  crainte  «  qu'en  voulant  condamner  les  morts, 
on  ne  fût  amené  à  faire  périr  bien  des  vivants  *.  »  De  son  côté, 
l'un  des  plus  savants  docteurs  et  des  plus  respectés  de  l'É- 
glise africaine,  l'élève  favori  du  pieux  évêque  Fulgence  de 
Ruspae,  Ferrand,  diacre  de  Carthage,  prenait  vers  le  même 
temps  position  dans  le  débat.  «Ferrand  était  un  saint  homme 
et  un  théologien  consommé;  il  avait  en  particulier  beaucoup 
médité  sur  le  problème  de  llncamation,  si  souvent  agité  de-* 
puis  deux  siècles;  on  le  consultait  de  tous  côtés  comme  l'ora- 
cle de  la  science  et  de  la  tradition  '.  »  On  conçoit  de  quel  poids 
devaient  peser  les  déclarations  d'un  tel  homme,  si  on  pouvait 
l'amener  à  se  prononcer.  Aussi  les  diacres  qui,  en  Tabsence 
du  pape  Vigile,  dirigeaient  à  Rome  lesaiïaires  ecclésiastiques, 
désireux  d'assurer  cet  appui  à  Torthodoxie,  demandèrent  à 
Ferrand  de  rédiger,  d'accord  avec  l'évoque  Reparatus  de  Car- 
thage et  quelques  autres  docteurs,  une  consultation  motivée 
sur  la  matière*.  Ferrand,  non  sans  quelque  hésitation,  se  dé- 
cida à  répondre,  et  tout  en  protestant  qu'il  ne  parlait  qu'en 
son  nom  personnel,  il  montra  nettement  le  danger  qu'il  y  avait 
à  toucher  à  Tœuvre  de  Chalcédoine  et  à  troubler  par  des  con- 
damnations posthumes  la  paix  de  l'Église^.  Toute  l'Afrique 
au  reste  pensait  comme  Ferrand  ;  pendant  le  séjour  assez  long 
que  le  pape  Vigile  fit  en  Sicile  durant  Thiver  de  545-546,  de 
toutes  parts  Tépiscopat  africain  le  supplia  de  ne  point  se  prê- 
ter à  la  condamnation  des  Trois  Chapitres*^;  et  à  Constanti- 
nople  même,  les  sentiments  de  la  province  se  manifestaient 
clairement. 

Dans  la  capitale  de  l'empire  se  trouvaient  en  séjour,  au 

1.  p.  L.,  LXVn,  p.  998. 

2.  Duchesne,  /.  c,  p.  398.  Cf.  P.  L.,  LXV,  378,  392-394. 

3.  Facundus,  Defensio,  IV,  3  (P.  L.,  LXVH.  p.  624). 

4.  P.L.,  LXVU,p.  921  sqq. 
3.  Facnndos,  Defensio^  IV,  3. 


436  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

moment  où  s'engageait  la  lutte  S  plusieurs  prélats  d'Afrique, 
parmi  lesquels  Facundus,  évèque  d'Hermiane  en  Byzacëne  ; 
c'était  un  fort  savant  homme,  d'une  redoutable  érudition 
théologique  ;  il  connaissait  assez  le  grec  pour  saisir  tous  les 
détails  du  problème  qui  se  posait,  et  il  était  assez  intelligent 
pour  en  comprendre  toute  la  portée.  Il  avait  vu  par  quelles 
surprises  et  sous  quelle  pression  les  patriarches   orientaux 
avaient  été  amenés  à  mettre  leurs  noms  au  bas  de  Tédit  im- 
périal', et  sa  foi  intransigeante  s'indignait  de  leur  faiblesse. 
Défenseur  passionné  de  la  tradition  catholique,  il  n'admettait 
point  qu'on  touchât^  si  peu  que  ce  fût,  au  concile  de  Chalcé- 
doine,  et  son  inquiète  ardeur,  sa  violence  presque  fanatique 
ne  pouvaient  excuser  une  transaction  ni  en  admettre  l'utilité. 
Pamphlétaire  hardi,  vigoureux,  habile,  sans  crainte  pour  lui- 
même  et  sans  ménagements  pour  ses  adversaires,  il  n'hésita 
pas  à  se  jeter  dans  la  lutte  ;  et  comme  il  connaissait  admirable- 
ment tous  les  côtés^  grands  ou  petits,  religieux  ou  politiques, 
de  l'affaire,  il  se  mit  à  préparer  à  l'intention  de  Justinien  uo 
traité  considérable  en  douze  livres,  où  il  devait  défendre  les 
Trois  Chapitres  incriminés  et  venger  l'œuvre  de  Ghalcédoine 
de  ses  impies  blasphémateurs  ';  et,  en  attendant,  pour  bien 
marquer  son  attitude,  il  rompit  toute  relation  avec  le  pa- 
triarche  Menas  et  les  autres  partisans  de  Tédit  impérial\ 
Lorsque  le  25  janvier  547,  Vigile  débarqua  à  Constantinople, 
Facundus  était  tout  prêt  à  soutenir  énergiquement  les  résis- 
tances du  pape;  et  quoiqu'il  n'eût  point  encore  achevé  son 
grand  ouvrage,  il  était  trop  versé  dans  la  question  pour  n  être 
point  d'utile  conseil. 

On  sait  comment  Vigile,  cédant  aux  obsessions  de  Tempe- 
reur,  se  flatta  pourtant  de  condamner  les  Trois  Chapitres  sans 
compromettre  Tautoritédu  concile  deChalcédoine'.  En  vain, 

1.  FacuDdus,  Defensio.pmef.  (P.  L.,  LXVII,  527). 

2.  Id.,  Defensio,  IV,  4. 

3.  Id.,  Defensio.praef.  (P.  L.,  LXVII,  S27). 

4.  Id.,  Adv,  Mocianum  (P.  L.,  LXVII   859). 

5.  Duchti9ue,  /.  c,  p.  400-405. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  437 

dans  les  conférences  préliminaires  réunies  pour  examiner  les 
textes  en  litige,  les  représentants  de  l'épiscopat  africain 
firent  une  énergique  et  habile  résistance  ;  en  vain  Facundus, 
portant  du  premier  coup  le  débat  sur  son  terrain  véritable^ 
montra  que  condamner  les  Trois  Chapitres  c'était  ruiner  irré- 
missiblement  le  concile  *  ;  Vigile,  trop  engagé  avec  la  cour 
pour  laisser  se  développer  une  argumentation  qui  semblait  faire 
impression  sur  les  assistants,  fit  fermer  brutalement  la  bouche 
à  l'orateur,  et  au  lieu  de  la  discussion  projetée,  on  se  contenta 
de  prier  les  évoques  de  donner  par  écrit  leur  avis.  Facundus 
protestait,  offrait  de  défendre  les  Trois  Chapitres';  on  lui 
laissa  sept  jours  seulement  pour  rédiger  son  apologie.  C'était 
trop  peu  pour  terminer  son  grand  ouvrage:  il  dut  se  résigner 
à  en  faire  présenter  à  l'empereur  un  bref  sommaire  renfer- 
mant les  passages  les  plus  décisifs.  Il  est  à  peine  besoin  de 
dire  que  tous  ces  efforts  demeurèrent  inutiles  ;  la  veille  de 
Pâques  de  Tan  548,  le  Judicatum  de  Vigile  donnait  satisfac- 
tion à  Justinien. 

L'Église  d'Afrique  avait  trop  nettement  pris  parti  pour  ne 
point  s'indigner  des  faiblesses  de  Vigile.  Quand  on  reçut  à 
Carthage  les  exemplaires  du  Judicatum,  accompagnés  par  les 
diacres  de  l'entourage  pontifical  des  commentaires  les  plus 
flatteurs  ',  l'émotion  fut  générale  dans  les  trois  provinces;  et 
malgré  les  ordres  impériaux  enjoignant  d'adhérer  à  la  con- 
damnation des  Trois  Chapitres^,  on  se  prépara  à  une  énergique 
résistance.  Sans  même  attendre  les  décisions  du  concile,  que 
la  paix,  maintenant  rétablie  dans  !a  province,  allait  permettre 
de  réunir  sans  délai,  des  moines  fanatiques  se  transportèrent 
à  Constantin ople  pour  y  défendre  la  foi  menacée.  L'un  des 
plus  ardents^  parmi  eux,  était  un  certain  Félix,  abbé  d'un 
monastère  appelé  Gillitanum  ou  Gillense,  dont  l'emplacement 

1.  Adv,  Mocianum  (P.  /..,  LXVTI,  859-861)  ;  Defensio,  praef.  (P.  L.,  LXVIÏ,  527- 
328J. 

2.  Adv,  Mocianum  (P.  L.,  LXVU,  860). 

3.  P.  L.,  LXIX,  44-45. 

4.  Vict.  Tonn.,  a.  548  (p.  202). 


438  fflSTOlRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

exact  est  d'ailleurs  inconnu  *  ;  abandonnant,  dans  le  zële  de 
sa  foi^  la  communauté  qu'il  dirigeait,  sans  tarder,  il  partit 
pour  Byzance.  Il  y  trouva  Facundus  et  ses  amis,  qui,  dès  le 
lendemain  de  la  promulgation  du  Judicatum^  avaient  rompu 
tout  rapport  avec  le  pape;  comme  eux,  il  refusa  d'entrer  en 
relation  avec  le  souverain  pontife,  et  avec  Tardeur  d^un  fana- 
tisme intransigeant,  il  se  mit  à  fomenter  contre  Vigile  une 
redoutable  opposition  '.  Il  lia  partie  avec  les  diacres  Ruslicus 
et  Sébastien,  dont  le  premier  était  le  propre  neveu  du  pape  ; 
il  souleva  contre  le  pontife  une  bonne  partie  de  son  entou- 
rage ;  et,  exploitant  fort  habilement  les  liens  qui  attachaient 
ces  personnages  à  l'Église  romaine,  il  fit  répandre  par  eux 
dans  rOccident  chrétien  mille  calomnies  contre  Vigile  '•  La 
brusque  évolution  que  le  pape  avait  accomplie  n'était  que 
trop  bien  faite  pour  justifier  les  bruits  les  plus  offensants;  on 
rappelait  en  outre  les  débuts  de  son  pontificat,  et  comment, 
par  ambition  ou  par  vénalité,  il  s'était  fait  l'Ame  damnée  de 
Tempereur;  on  raillait  les  prétendues  violences  dont  il  affir- 
mait avoir  été  victime  à  Byzance;  on  déclarait  qu'il  avait 
promulgué  le  Judicatutriy  «  le  néfaste  Judtcatum  »  *,  pour 
complaire  à  Justinien  et  tenir  ses  promesses  de  jadis  ;  et  tout 
cela  trouvait  créance  en  Occident.  En  vain  le  pape  opposait 
anathème  à  anathème;  en  vain,  il  déposait  de  leurs  fonctions 
Rusticus,  Sébastien  et  les  autres  conjurés,  excommuniait 
l'abbé  Félix  et  tous  ses  adhérents";  le  déchaînement  était 
universel.  Les  évêques  d'Afrique,  réunis  en  550  en  concile 
général,  se  proclamaient  défenseurs  des  Trois  Chapitres,  ex- 
cluaient Vigile  de  la  communion  catholique  et  faisaient  re- 
mettre aux  mains  de  Justinien  une  protestation  solennelle 


1.  Vict.  Tonn.,  a.  553  (p.  203),  557  (p.  204).  MommseD pense  à  lire:  CiliemHs. 
CillHanum.  Sur  le  personnage,  cf.  P.  L.,  I^XIX,  50. 

2.  P.  L.,  LXIX,  47-48,  50;  Édit  de  Justinien  (id.y  p.  34). 

3.  P.  L.,  LXIX,  48.  Cf.  sur  ces  calomnies,  Adv.  Modanum^  p.  861,  863,  et  ]>o> 
cbesne,  p.  373. 

4.  Adv,  Mocianum,  p.  868  :  «  Nefandum  judicatam  ». 

5.  P.  L.,  LXIX,  50. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  439 

contre  la  condamnation  *.  Facundus,  de  Aon  côté,  publiait  son 
grand  traité  qu'il  avait  eu  le  loisir  d'achever  *,  et  ce  livre 
hardi  et  décisif  faisait  dans  le  monde  chrétien  un  bruit  prodi- 
gieux. L'évêque  dllermiane  ne  craignait  point  d'y  prendre  à 
partie  Justinien  lui-même,  et  distinguant  nettement  les  cas  où 
le  souverain  doit  «  employer  les  pouvoirs  du  prince  »,  et 
ceux  où  il  doit  «  montrer  l'obéissance  du  chrétien  »,  il  décla- 
rait que  l'empereur  doit  ce  exécuter  les  canons  de  TÉglise, 
non  point  les  fixer  ou  les  transgresser  »  '.  Tout  l'Occident 
n'avait  que  mépris  pour  '<  ces  évoques  grecs  titulaires  de 
riches  et  opulentes  églises,  incapables  de  supporter  une  sus- 
pension de  deux  mois,  et  toujours  prêts,  en  conséquence,  à 
obéir  à  toutes  les  volontés  du  prince,  à  accorder  sans  résister 
tout  ce  qu'on  leur  demandait  »  ^.  La  Dalmatie,  rillyricum 
protestaient  comme  l'Afrique;  en  Orient,  les  patriarches 
d'Alexandrie  et  de  Jérusalem  se  prononçaient  contre  Vigile, 
et  à  Constantinopie,  malgré  Texcommunication,  Tabbé  Félix 
continuait  à  s'agiter'.  «  Il  devenait  clair  que  la  prétendue 
pacification  n'avait  rien  pacifié  du  tout;  qu'au  lieu  de  rame- 
ner les  acéphales,  on  avait  froissé  les  catholiques  et  jeté  d'il- 
lustres églises  dans  les  voies  du  schisme.  C'était  un  beau 
résultat  ^  » 

L'empereur  ne  désespéra  point  pourtant  de  venir  à  bout  de 
ces  résistances,  de  même  qu'il  avait  triomphé  de  celles  de  Vi- 
gile; et  comme  le  pape,  effrayé,  demandait  maintenant  la 
convocation  d'un  concile  œcuménique,  Justinien  profita  de  ce 
biais  pour  mander  à  Constantinopie  les  chefs  de  l'épiscopat 
africain  :  Reparatus,  évoque  de  Carthage;  Firmus,  évêque  de 

1.  Vict.  ToDD.,  a.  550.  Lettre  des  clercs  italiens  {Mon.  Germ.  hisL^  Epist,  Hf, 
p.  438-442). 

2.  Vict.  ToDD.,  a.  550. 

3.  Defensio,  XII,  3  (P.  L.,  LXVII,  838)  :  <«  ecclesiasticorum  canonum  exsecntor... 
DOQ  conditor,  non  exactor». 

4.  P.  L.,  LXIX,  U6. 

5.  Adv,  Mocianum,  p.  855,  où  ToQ  voit  qu'en  551  au  moins  il  était  encore  à 
Constantinopie. 

6.  Duchesne,  /.  c,  p.  408 


440  HISTOIRE  DE   LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Tipasa  en  Numidie,  et  primat  de  cette  province  ;  Primasius, 
évêque  d'Hadrumète,  et  Verecundus,  évêque  de  lunca,  repré- 
sentant tous  deux  le  clergé  de  la  Byzacène  à  la  place  duprinoat 
Boethus,  trop  vieux  pour  entreprendre  ce  long  voyage,  s'em- 
barquèrent pour  la  capitale  *.  Ils  y  arrivèrent  vers  le  milieu 
de  Tannée  551,  et  tout  aussitôt  on  s'efforça  de  leur  arracher 
une  adhésion  à  la  condamnation  des  Trois  Chapitres.  Les 
prélats  semblent  s'être  trouvés  dans  la  ville  impériale  quelque 
peu  embarrassés  de  leurs  personnes  '  :  néanmoins  ils  résistè- 
rent avec  fermeté  aussi  bien  aux  caresses  qu'aux  menaces  '. 
Alors  la  cour  trouva  un  autre  moyen  de  les  faire  céder  :  ce 
fut  d'intenter  à  l'un  d'entre  eux,  Reparatus,  un  de  ces  procès 
politiques  dont  les  Bjrzantins  étaient  experts  à  trouver  la  ma- 
tière*. L'évêque  de  Carthage,  on  le  sait,  avait  en  546  été 
mêlé  fort  directement  aux  négociations  qui  avaient  précédé 
et  causé  l'assassinat  d'Âréobinde;  on  accusa  le  prélat  de  s'être 
fait  le  complice  de  Guntarith,  et  d'avoir  tramé,  de  concert 
avec  lui,  l'intrigue    où  s'était  perdu  le   malheureux  gou- 
verneur *  ;  et  comme  la  victime  était,  on  s'en  souvient,  appa- 
rentée à  la  famille  impériale,  on  n'eut  point  de  peine  à  obtenir 
des  juges  la  condamnation  de  Reparatus.  L*évêque  de  Car- 
thage fut  déposé  et  envoyé  en  exil  à  Euchaîta,  dans  le  Pont. 
Devant  ces  rigueurs  menaçantes,  quelques-uns  des  Africains 
prirent  peur  et  cédèrent^;  Firmus  de  Tipasa  se  laissa  cor- 
rompre et  donna  sa  signature  ^  :   Facundus  lui-même,  très 
compromis  déjà,  s'effraya,  et  quittant  Constantinople,  alla  se 
réfugier  dans  une  retraite  connue  de  quelques  amis  seule- 


1.  Vict.  Tonn  ,  a.  551  ;  P.  L.,  LXIX,  115. 

2.  JuDilius,  Praef.  (P.  L.,  LXVIII,  15). 

3.  P.  L.,  LXIX,  116. 

4.  Cf.  des  exemples  analogues  pour  le  pape  Martin,  Tabbé  Maxime  (Diehl, 
Exarckaty  p.  397-398). 

o.  P.  L.,  LXIX,  116;  Vict.  Tonn.,  a.  552. 

6.  Adv.  Mocianum,  p.  863.  Je  ne  sais  qui  est  Sorcius  ou  Porcius  nomnié 
dans  ce  passage;  cf.  P.  L.,  LXVII,  p.  873-874. 

7.  Vict.  Tonn.,  a.  552. 


L'ÉGUSE  D'AFRTQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIEN  441 

ment*.  Quant  à  Primasîus  d'Hadrumète  et  à  Verecundus  de 
lunca,  ils  restèrent  dans  la  capitale,  et  comme  entre  temps, 
les  rapports  devenaient  chaque  jour  plus  tendus  entre  le  pape 
et  Tempereur,  comme  le  moment  semblait  proche  où  Justi- 
nien  tenterait  de  triompher  par  la  violence  des  résistances 
nouvelles  et  plus  énergiques  de  Vigile,  courageusement  ils 
se  rapprochèrent  du  pape  redevenu  le  défenseur  de  la  foi  ca- 
tholique. Tous  deux  participèrent  à  la  sentence  de  déposition 
prononcée  contre  Théodore  Askidas,  à  l'excommunication 
lancée  contre  le  patriarche  Menas  et  ses  partisans  ;  et  quand, 
à  la  fin  de  551,  Vigile  s'enfuit  à  Ghalcédoine,  tous  deux, 
quoique  Verecundus  fût  malade,  presque  mourant,  allèrent 
partager  le  sort  misérable  du  pontife  dans  la  basilique  de 
Sainte-Euphémie.  Verecundus  devait  y  mourir  peu  de  temps 
après*. 

L'Église  d'Afrique,  ainsi  privée  de  ses  principaux  chefs, 
semblait  devoir  céder  facilement  aux  injonctions  impériales. 
Pour  mieux  préparer  sa  soumission,  on  avait  commencé  par 
remplacer  Reparatus  sur  le  siège  de  Carthage. Un  des  diacres 
qui  l'avaient  accompagné  à  Byzance,  Primosus,  avait  consenti 
à  se  faire  en  Afrique  l'exécuteur  des  décrets  de  Justinien  :  et, 
malgré  le  clergé,  malgré  le  peuple,  contrairement  à  toutes  les 
règles  canoniques,  il  avait  pris  possession  de  sa  ville  épisco- 
pale  •.  A  la  vérité,  pour  rendre  possible  cette  installation,  il 
avait  fallu  l'énergique  intervention  de  l'autorité  civile,  et 
comme  la  foule  résistait,  le  sang  avait  coulé  dans  Téglise  ^ 
(551).  Mais  on  espérait  que  cet  exemple  calmerait  l'ardeur  de 
l'opposition;  et,  en  même  temps,  on  intriguait  de  mille 
façons  pour  la  fléchir.  Des  agents  impériaux  travaillaient 
activement  les  églises  africaines;  et  le  pamphlet  de  Facundus 
contre  le  scholastique  Mocianus  montre  fort  nettement  par 
quels  arguments.  Aux  uns  on  esssayait  de  démontrer  que  la 

i.  Adv.  Moàanum,  p.  853-855. 

2.  P.  L.,  LXIX,  62,  69,  116;  Vict.  Tonn.,  a.  552. 

3.  Vict.  Tonn.,  a.  552. 

4.  P.  L.,  LXIX,  116. 


442  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

condamnation  des  Trois  Chapitres  étail  juste,  et  le  Judicaium 
de  Vigile  légitime  *  ;  aux  autres,  on  représentait  combien 
était  profondément  regrettable  Tattitude  des  conciles  d'Afri- 
que, qui,  en  rompant  la  communion  avec  les  advetsaires  de 
Chalcédoine,  avaient  provoqué  un  schisme  véritable  et  placé 
leurs  provinces  en  dehors  de  TÉglise  universelle*.  Pour  déci- 
der les  ignorants,  les  faibles,  à  cesser  leur  opposition,  on  leur 
vantait  les  avantages  que  trouverait  la  religion  au  rétablisse- 
ment de  la  paix,  on  leur  concédait  même  qu'on  avait  eu  tort 
peut-être  de  toucher  à  Tœuvre  de  Chalcédoine  ;  mais,  au  nom 
de  la  concorde,  on  les  suppliait  de  ne  point  s*obstiner,  et  on 
leur  citait  les  textes  de  saint  Augustin,  disant  :  «  La  paix-est 
bonne,  recherchez  la  paix  ;  Tunité  est  bonne,  aimez  l'unité, 
ne  rompez  point  Tunité  '.  »  Â  ces  sollicitations  on  joignait  les 
menaces;  on  affirmait  que  les  adversaires  de  Vigile  expie- 
raient sûrement  dans  cette  vie  et  dans  l'autre  leur  incompré- 
hensible résistance  \  Quant  aux  prélats  qu'on  jugeait  acces- 
sibles aux  séductions  terrestres,  on  y  mettait  moins  de  façons 
encore  :  par  des  promesses  d'avancement  ou  d'argent,  on  se 
flattait  d'acheter  leur  adhésion  ^.  Le  scholastique  Mocianus, 
en  particulier,  semble  avoir  été  en  Afrique  l'un  des  serviteurs 
de  cette  politique;  personnage  assez  peu  recommandable,  du 
reste,  jadis  arien  au  temps  des  rois  vandales,  puis  fervent 
catholique  au  lendemain  de  la  conquête  byzantine,  il  avait  su 
se  pousser  à  Constantinople  dans  l'amitié  de  Théodore  Aski- 
das  et  la  faveur  de  Justinien  *  ;  il  semble,  vers  S51 ,  au  moment 
oiïi  prenait  consistance  le  projet  d'un  concile  œcuménique, 
avoir  été  envoyé  à  Carthage  pour  y  trouver  des  représentants 
complaisants  ou  dociles  de  i'épiscopat  latin  ^;  et  comme  le 


1.  Adv.  Mocianum,  p.  855,  865-868. 

2.  Id.,  p.  854-856. 

3.  Adv,  Mocianum,p.  854-855,  868.  Cr.  Episl.  fidei  [ibid.,  p.  877). 

4.  Adv.  Mocianum,  p.  867. 

5.  Id  ,  p.  868. 

6.  /d.,  p.  867-868,875. 

7.  On  peut  essayer  de  fixer  la  date  du  traité  Adversus  Mociamtm.  Il  est 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  443 

pouvoir  civil,  cette  fois  encore,  paraît  avoir  prêté  à  ses  efforts 
un  vigoureux  concours,  la  missiou  de  Mocianus  eut  un  sem- 
blant de  succès.  Pour  combattre  cette  dangereuse  interven- 
tion, Facundus,  sollicité  par  ses  amis,  lançait,  du  fond  de  sa 
retraite,  une  violente  invective  où  il  dénonçait  les  moyens 
scandaleux  dont  se  servait  la  politique  impériale,  et  quoique 
la  terreur  fût  si  grande  en  Afrique  que  Tévèque  n'osait,  en 
tête  de  son  livre,  inscrire  le  nom  de  ses  correspondants,  crai- 
gnant que  leurs  relations  avec  un  fugitif  ne  fussent  pour  eux 
une  cause  de  persécution  \  pourtant  les  fermes  et  courageuses 
déclarations  du  prélat'  paraissent  avoir  rencontré  quelque 
édio  dans  la  province.  Sans  doute  le  préfet  d'Afrique  trouva 
des  évêques  prêts  à  faire  tout  ce  quon  voudrait;  mais  ils 
furent  en  petit  nombre  et,  au  vrai,  ce  n*était  pas  la  fleur  du 
clergé  africain  '.  On  choisit,  en  effet,  les  âmes  simples  et 
ignorantes;  plus  volontiers  encore,  on  s'adressa  à  ceux  que 
Ton  pouvait  prendre  par  les  intérêts  temporels,  surtout  aux 
hommes  trop  tarés  et  compromis  pour  se  permettre  aucune 
résistance.  Contre  les  dissidents  on  multiplia  d'autre  part  les 


certainemeDt  postérieur  anx  conciles  africains  de  550  (p.  854,  863,  864);  on  y 
parie  aassi  de  prélats  africains  mandés  à  Coustantiuople  et  qui  ont  consenti 
à  condamner  les  Trois  Chapitres  (p.  863),  ce  qui  indique  ane  date  poUérieure 
au  milieu  de  551.  D'autre  part,  il  n'y  est  point  question  du  secoud  édit  impé- 
rial ;  surtout  Vigile  y  est  fort  maltraité,  ce  qui  s'expliquerait  mal  après  les 
violences  commises  à  la  fin  de  551  à  l'égard  du  pontife.  Enfin,  il  y  a  une 
grande  analogie  entre  les  faits  cités  (surtout  p.  868),  et  ceux  que  rapporte  la 
lettre  des  clercs  italiens  (P.  L,,  LXIX,  IIC).  Que  Mocianus  ait  été  en  Afrique  au 
moment  de  l'affaire,  cela  ressort  du  contenu  de  la  p.  855.  Cf.  Herele,  [II, 
p.  436-437. 

1.  Adv,  Mocianum^  p.  853. 

2.  Surtout  p.  858. 

3.  P.  L.,  LXIX,  H6.  Ce  document  ne  peut  guère  dater  de  la  fin  de  551,  comme 
le  ditDuchesne,  /.  c,  p.  410,  note,  puisqu'il  y  est  déjà  fait  mention  de  la  fuite 
du  papeàChalcédoine  (23  déc.  551)  et  qu'il  fallait  le  temps  matériel  pour  trans- 
mettre cette  nouvelle  en  Italie.  Le  texte  parait  être  des  premiers  mois  de  552. 
On  ne  saurait  par  conséquent  non  plus  placer  en  553  les  détails  qui  y  sont 
rapportés  sur  le  choix  des  évéques  envoyés  au  concile.  11  y  a  là  dansDu- 
chesne  (p.  417)  une  légère  erreur.  -—  L'édition  des  Mon,  Germ.  hist,,  p.  438, 
met  aussi  la  lettre  en  552. 


444  HISTOIRE  DE  Lk  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFKIQUE 

rigueurs  et  les  condamnations  *,  et  ainsi,  grâce  à  Tinertie  vo- 
lontaire ou  forcée  de  tout  ce  que  Tépiscopat  africain  comp- 
tait de  prélats  distingués  ou  courageux,  les  projets  de  Tem- 
pereur  devaient,  ce  semble,  triompher  à  Constantinople  sans 
difficulté. 

On  sait  comment,  après  bien  des  traverses,  le  concile  œcu- 
ménique s^ouvrit  enfin  le  5  mai  553  '.  Vainement  le  pape  avait 
demandé  que  l'assemblée  se  tînt  en  Italie  ou  en  Sicile,  comp- 
tant que  les  évêques  d'Occident,  ceux  d'Afrique  en  particu- 
lier, viendraient  en  grand  nombre  lui  apporter  leur  secours*. 
C'était  précisément  ce  que  ne  voulait  pas  Tempereur  ;  il  se 
borna  donc  à  promettre  qu'il  convoquerait  à  Byzance  les  pré- 
lats que  lui  désignerait  Vigile;  bientôt  même,  jugeant  cette 
concession  trop  dangereuse  encore,  il  déclara  que  les  évèques 
latins,  déjà  présents  à  Constantinople,  constituaient  avec  le 
pape  une  représentation  plus  que  suffisante  des  églises  d'Oc- 
cident*. Mais  comme  le  pontife,  avec  les  évêques  de  son  en- 
tourage, refusa  finalement  de  siéger  au  concile  ;  comme  il 
n'était  venu  personne  ni  de  Gaule,  ni  d'Espagne,  ni  dltalie, 
ni  de  Dalmatie,  ni  d'IIlyrie,  en  fait  l'Occident  n'eut  pour  dé- 
légués que  les  quelques  évêques  venus  d'Afrique  en  551.  C'é- 
taient pour  la  Numidie  le  primat  de  la  province,  Firmus  de  Ti- 
pasa.et  les  évêques  de  Cuicul,  Zattara  et  Milen;  la  Byzacëne 
n'avait  envoyé  que  Tévêque  de  Tobscure  cité  de  Victoriana; 
la  Proconsulaire  avait  fourni  Victor  de  Sinna,  Valerianus 
d'Obba,  et  Sextilianus  de  Tunis;  ce  dernier  représentait  Té- 
vêque  de  Carthage  Primosus,  qu'on  avait  jugé  convenable  de 
laisser  en  un  poste  où  son  dévouement  connu  pouvait  rendre 
plus  de  services  que  sa  présence  au  concile  ^  Huit  ou  neuf  prè- 


1.  p.  L.,  LXIX,  118. 

2.  Ducheane,  /.  c,  p.  417-419. 

3.  P,  L.,  LXIX,  p.  70-71  ;  Mansi,  IX,  p.  181-182. 

4.  Labbe,  V.  430-431. 

5.  Id.,  V,  p.  417-418,  582-583,  581,  417,  582,583,  416.  On  trouve  encore,  dans 
la  liste  des  souscriptions  (Labbe,  V,  p.  584),  la  mention  de  Crescitarus,  évôqae 
de  Bossa  {sic),  dans  la  Proconsulaire  :  l'emplacement  de  la  ville  est  inconnu, 


UÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  445 

lats  pour  représeQter  ce  nombreux  clergé  d'Afrique  qui,  dans 
les  trois  provinces  de  Proconsulaîre,  de  Numidie  et  de  Byza- 
cène,  comptait,  en  484,  deux  cent  quatre-vingt-onze  évéques, 
et  deux  cent  vingt  encore  en  534,  c'était  peu,  quoique  Sexti- 
lianus  se  prétendît  investi  des  pouvoirs  de  tout  le  concile  de 
Proconsulaire*;  et,  comme  pour  souligner  davantage  cette 
insuffisance,  et  bien  marquer  les  sentiments  véritables  du 
clergé  africain,  Primasius  d'Hadrumète  demeurait  obstiné- 
ment fidèle  aux  Trois  Chapitres  ;  réfugié  au  palais  de  Marina, 
il  refusait  de  siéger  au  concile  tant  que  le  pape  en  serait  ab- 
sent*, et  le  14  mai  il  apposait  sa  signature  au  bas  du  Consti- 
tutum  rédigé  pai*  Vigile  ». 

L'assemblée,  on  le  sait,  s'inquiéta  peu  de  ces  protestations, 
et  prononça  sans  se  faire  prier  les  condamnations  que  récla- 
mait l'empereur.  Il  ne  restait  plus  qu'à  faire  fléchir  l'obstina- 
tion des  personnes;  Justinien  savait  le  moyen  d'y  parvenir. 
«  Parmi  les  dissidents,  raconte  Liberatus,  diacre  de  Carthage, 
les  uns  furent  déposés  et  envoyés  en  exil  ;  les  autres,  réduits 
à  se  cacher,  moururent  dans  la  misère*.  »  Le  prince  traita 
avec  une  rigueur  particulière  ces  obstinés  Africains  dont  les 
t^ésistances  avaient  contribué  à  soutenir  l'énergie  de  Vigile  : 
le  fidèle  Primasius  fut  enfermé  au  couvent  de  Stoudion*;  le 
diacre  Liberatus  alla  rejoindre  à  Euchaïta  son  ancien  évêque 
Reparatus;  l'abbé  Félix,  qui  continuait  à  troubler  de  son  agi- 
tation la  capitale,  et  qui,  même  après  la  sentence  rendue,  re- 
fusait d'abandonner  les  Trois  Chapitres,  fut,  avecle  diacre  Rus- 
ticus  et  plusieurs  de  leurs  adhérents,  exilé  en  Thébaïde  *.  Des 
ordres  sévères  furent  donnés  pour  venir  à  bout  de  l'Afrique  : 


et  8oa  uoin  ne  figure  dans  aucun  autre  docutneut.  Gdt  évêque  seinbU  au  reste  , 
comme  Victor  de  Siuna,  u'avoir  point  aâsisté  aux  premières  séances. 
.    1.  Labbe,  V,  p.  580. 

2.  /rf.,V,  432-433. 

3.  P.  L.,  LXIX,  113. 

4.  Breviarium,  c.  24  (P.  L.,  LXVllI,  1049). 

5.  Vict.  Tono.,  a.  552. 

6.  /d.,  a.  553. 


446  HlSrOlRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

dès  avant  la  fin  du  concile,  Firmus  de  Tipasa  avait  été  ren- 
voyé dans  sa  province,  probablement  pour  lui  arracher  la  sou- 
mission tant  souhaitée  ;  mais  il  était  mort  misérablement  pen- 
dant la  traversée,  et  sa  fin  avait  paru  une  punition  du  ciel  à 
tous  les  défenseurs  de  TorthodoxieV  Aussi  les  Africains  s'en- 
têtaient dans  Topposition;  soutenus  par  les  exhortations  que 
du  fond  de  leurs  retraites  ou  de  leurs  prisons  leur  adressaient 
les  victimes  du  despotisme  impérial,  ils  refusaient  d'obéir  au 
concile;  le  pape  avait  beau  céder,  et  par  un  second  Constitua 
tum  (févr.  554)  adhérer  aux  décisions  de  l'assemblée^  l'Afri- 
que répondait  à  cette  faiblesse  en  excommuniant  solennelle- 
ment «  le  prévaricateur  »*.  Primasius  d'Hadrumèle,  suivant 
l'exemple  du  pontife,  avait  beau  fléchir  à  son  tour,  et,  par  am- 
bition terrestre,  accepter  des  mains  de  l'empereur  la  place, 
devenue  vacante  par  la  mort  de  Boethus,  de  primat  de  Byza- 
cène,  les  évèques  de  sa  province  refusaient  de  le  reconnaître, 
et  dans  un  concile  solennel  condamnaient  sa  lâche  capitula- 
tion*. La  Proconsulaire^  la  Numidie  rompaient  toute  relation 
avec  Primosus,  Tévèque  imposé  de  Carthage,  et  tant  que  Re- 
paratus  vivait,  ne  voyaient  en  son  successeur  qu'un  usurpa- 
teur. Bref  la  province  entière  était  profondément  troublée  ;  et 
il  semblait  qu'on  n'eût  rétabli  la  paix  sur  les  frontières  que 
pour  laisser  plus  libre  cours  aux  discordes  civiles*. 

On  se  décida  à  agir  énergiquement.  Les  châtiments  cor- 
porels, la  prison,  l'exil,  devinrent  entre  les  mains  des  agents 
impériaux  des  moyens  efficaces  de  persuasion'.  En  même 
temps,  on  négociait  adroitement  avec  une  partie  des  prélats, 
et  deux  évèques  parvenaient,  en  justifiant  la  condamnation  de 

1.  Vict.  Tonn.,  a.  552.  Son  nom  manqae  dans  les  souscriptioas  de  Tacte 
final  du  concile. 

2.  Vict.  Tonn.,  a.  557. 

3.  ld„  a.  552. 

4.  Cf.  la  lettre  de  Nlcetius  deTrèTes  à  Jastinien  (Mon,  Germ.  hist.,  EpùL,  UI, 
p.  119)  :  '<  intégra  Africa...  nomen  tuum  cum  deperditione  tua  plorat,  anathe- 
matizat.  » 

5.  Vict.  Tonn.,  a.  552, 556  ;  cf.  la  lettre  du  pape  Pelage  {Mon.  Germ.  hùl.,  EpûL^ 
lUt  p.  443)  :  '<  mori  se  etiam  pro  hac  causa  In  inscientiae  suae  teuebris  voluerunt  *. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTINIEN  447 

Reparaius,  à  décider  la  plupart  de  leurs  collègues  de  Procon- 
sulaire à  renouer  avec  Primosus  les  relations  ecclésiastiques^ 
C'était  en  554.  L*année  suivante,  le  concile  de  Numidie  ve- 
nait à  son  tour  faire  soumission  entre  les  mains  de  Tévêque 
de  Carthage*,  et  pour  assurer  ces  résultats,  on  multipliait  les 
rigueurs  contre  les  dissidents,  et  on  tâchait  de  chasser  d'A- 
frique les  agitateurs  les  plus  redoutables.  Parmi  eux  l'un  des 
plus  actifs  était  Victor,  évèque  de  Tonnenna  en  Proconsulaire, 
auquel  nous  devons  le  récit  d'une  partie  de  ces  événements. 
A  plusieurs  reprises  déjà,  il  avait  fallu  soit  l'emprisonner  au 
monastère  du  Mandrakion,  soit  l'exiler  aux  Baléares*;  tou- 
jours l'incorrigible  défenseur  des  Trois  Chapitres  avait  recom- 
mencé son  opposition.  Cette  fois  pour  en  finir  on  le  rélégua, 
en  même  temps  qu'un  autre  évéque,  au  fond  de  l'Egypte.  11 
n'en  devait  plus  revenir.  En  Byzacène  enfin,  Primasius  faisait 
rude  guerre  aux  dissidents,  multipliant  contre  eux  les  rigueurs 
et  les  confiscations,  et  ternissant,  s'il  en  faut  croire  Victor  de 
Tonnenna^  par  une  basse  et  honteuse  rapacité,  sa  glorieuse 
conduite  d'autrefois\  Grâce  à  ces  mesures  pourtant,  peu  à 
peu  le  calme  se  faisait  ;  sans  doute  de  loin  en  loin  le  feu  cou- 
vant sous  la  cendre  semblait  se  ranimer;  du  fond  de  sa  re- 
traite Facundus  ne  désarmait  pas,  et  il  confondait  dans  une 
commune  haine  et  Vigile  et  Pelage,  son  successeur,  et  Pri- 
masius d'Hadrumète,  le  principal  docteur  des  Acéphales"; 
dans  son  monastère  de  Canope,  le  fanatique  Victor  de  Ton- 
nenna s'agitait  sans  paix  ni  trêve,  et  ses  exhortations  rallu- 
maient encore  des  résistances  en  Afrique.  En  564  il  fut  avec 
son  compagnon  d'exil,  Théodore,  et  quatre  prélats  africains, 
cité  à  Constantinople  devant  le  patriarche  et  l'empereur;  et 
comme  tous  six  refusaient  de  céder,  on  les  enferma  dans  di- 


1.  Vict.  Tono.,  a.  554. 

2.  /rf.,  a.  555. 

3.  W.,  a.  555. 

4.  1d.,  a.  552. 

5.  P.  L.,  LXVII,  869,  873-874. 


448  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AJ-RIQUE 

vers  monastères  de  la  capitale  ^  Au  fond  ce  n'étaient  plus  là 
que  des  manifestations  sans  conséquence;  dès  avant  560  le 
pape  Pelage  pouvait  déclarer  que  «l'Afrique,  llllyrie,  rOrienl 
avaient  condamné  les  Trois  Chapitres  »  et  que  «  c'était  folie 
de  s'écarter  d'une  telle  sentence  pour  suivre  quelques  colpor- 
teurs de  fausses  nouvelles  »  '.  Aussi  bien  les  principaux  acteurs 
que  l'Afrique  avait  fournis  à  ce  grand  drame  disparaissaient 
l'un  après  l'autre  :  en  557,  l'abbé  Félix  mourait  dans  sa  prison 
de  Sinope';  en  558,  Primasius  d'Hadrumète  périssait  misé- 
rablement^ ;  en  563,  Reparatus  finissait  à  Euchaïta  ses  jours 
dans  Texil  *  ;  en  565  les  derniers  défenseurs  des  Trois  Chapi- 
tres suivaient  de  près  dans  la  tombe  Justinien,  leur  persé- 
cuteur \  Après  avoir  pris  à  cette  tragique  lutte  une  part  émi- 
nente,  fourni  à  la  cause  de  l'orthodoxie  quelques-uns  de  ses 
plus  vigoureux  défenseurs  ;  après  avoir,  pour  garder  sa  foi, 
résisté  aux  persécutions  impériales  et  affronté  même  sans  hé- 
siter une  douloureuse  rupture  avec  Rome,  l'Afrique  retrou- 
vait enfin  à  l'aurore  du  nouveau  règne  le  calme  intérieur.  L'é- 
dit  de  Justin  II,  en  proclamant  la  pacification  religieuse,  en 
recommandant  aux  évoques  d'éviter  toute  nouveauté  \  rendait 
l'Église  africaine  à  sa  véritable  vocation  :  pendant  plus  de 
quatre-vingts  ans  elle  allait  avoir  pour  principal  souci  d'é- 
tendre dans  l'Afrique  byzantine  le  domaine  du  christianisme. 
Traitée  d'ailleurs  avec  une  extrême  faveur  parles  successeurs 
de  Justinien,  protégée  par  leurs  édits  contre  toute  ingérence 
abusive  des  administrateurs  civils  et  militaires*»  investie  du 
droit  de  porter  directement  aux  pieds  du  prince  ses  réclama- 
tions et  ses  conseils*  ;  sûre  de  voir  ses  privilèges  respectés  et 

i.  Vict.  Tonn.,  a.  565. 

2.  Mon,  Germ,  hist.,  Episi.,  lU,  p.  443-444. 

3.  Vict.  ToQD.,  a.  557. 

4.  Id.,  a.  552;  Morcelli,  III,  p.  318. 

5.  /d.,  a.  563,  p.  205. 

6.  Id.,  a.  563,  p.  206. 

1.  Evagrius,  Hiat.eccl.,\\  4. 

8.  Zachariae,  Jus  gr.  rom.^  111,  p.  10. 

9.  Id.,  p.  10. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTINIEN  449 

ses  demandes  exaucées',  TËglise  sentait  croître  dans  les  pro- 
vinces son  influence  puissante;  le  moment  était  proche  où, 
par  son  sévère  et  incessant  contrôle,  elle  allait  conquérir  jus- 
que dans  l'administration  publique  une  place  chaque  jour  plus 
éminente. 

Quoi  qn*il  en  soit^  un  fait  important  ressort  du  récit  que 
nous  venons  de  faire.  Pour  que,  pendant  sept  ou  huit  années, 
de  548  à  556,  l'Afrique  ait  pu  s'engager  avec  tant  de  passion 
dans  la  querelle  des  Trois  Chapitres;  pour  que,  durant  cette 
période,  les  évêques  aient  pu  se  concerter  sans  peine,  et  des 
conciles  se  réunir  à  plusieurs  reprises  sans  aucune  difficulté  ; 
pour  que  de  nombreux  prélats,  pour  que  les  chefs  mêmes  de 
l'Église  africaine  n'aient  éprouvé  nulle  répugnance  à  aban- 
donner pour  un  temps  assez  long  leurs  diocèses;  pour  que 
Tadministration  publique  enfin  ait  trouvé  le  loisir  de  se  mêler 
activement  à  la  lutte  et  d'employer  ses  forces  à  la  répression 
des  dissidences  religieuses,  il  faut  évidemment  que  l'Afrique 
ait  été  d'autre  part  pleinement  tranquille  et  pacifiée.  Ainsi  les 
victoires  de  Jean  Troglita  avaient  été  efficaces  autant  et  plus 
que  celles  du  patrice  Solomon;  grâce  à  elles,  pendant  quinze 
années,  TAfrique  paraît  avoir  joui  d'un  calme  et  d'une  pros- 
périté que  ne  vint  troubler  aucun  événement  extérieur;  il 
fallut  le  relâchement  général  qui  marque  la  fin  du  règne  de 
Justinien;  il  fallut  les  dangereuses  imprudences  du  gouverne- 
ment impérial  pour  ébranler  cette  situation  heureuse,  et  rejeter 
encore  une  fois,  et  pour  plus  de  trente  ans,  l'Afrique  dans  une 
succession  de  difficultés,  de  troubles  et  de  guerres. 

1.  Zacbariae,  Jus  gr,  rom,,  III,  p.  10  (a.  568;,  p.  30  (a.  582). 


29 


LIVRE  IV 

L'KXARCHAT  D'AFRIQUE 


LIVRE  IV 

T/EXARCHAT  D'AFRIQUE 


PREMIÈRE    PARTIE 
LA  CRÉATION  DE  L'EXARCHAT 


CHAPITRE  PREMIER 

LES  GUERRES  d'aFRIQUE   SOUS  LES  RÈGNES  DE   JUSTIN  II  ET  DE  TIBÈRE 
CONSTANTIN  (565-582) 


Les  dernières  années  du  gouvernement  de  Justinien,  ainsi 
qu'il  arrive  d*ordinaire  au  terme  d'un  trop  long  règne,  sem- 
blent avoir  été  marquées  par  un  relâchement  profond  de  tons 
les  ressorts  de  l'administration  publique.  L'empereur,  vieillis- 
sant, affaibli,  avait  perdu  cette  énergique  activité,  qui  jadis 
le  poussait  à  conquérir  l'Afrique  ou  l'Italie;  au  lieu  de  cet  im- 
périal orgueil  qui  jadis  inspirait  ses  résolutions,  au  lieu  de  cet 
amo'irde  la  gloire  qui  Tavait  conduit  et  soutenu  dans  les  plus 
difficiles  entreprises,  maintenant  le  prince  n'apportait  plus 
dans  le  soin  des  afTaires  qu'une  molle  indifl'érence,  qu'une 
incurie  chaque  jour  croissante':  et,  en  l'absence  de  toute  di- 

i.  Ménandre  (éd.  Bodd),  p.  283;  Corippue,  In  laudem  Justini,  11,  260-268. 


454         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

rection  vigoureuse,  Tœuvre  que  Justinien  avait  rêvée  s'écrou- 
lait leotement  de  toutes  parts.  Sous  les  apparences  de  grandeur 
et  de  gloire,  les  faiblesses  et  les  misères  apparaissaient  ;  le 
trésor  appauvri  par  l'excès  des  dépenses,  parles  frais  coûteux 
des  guerres  lointaines,  des  constructions  multipliées,  des  sub- 
ventions maladroitement  prodiguées  aux  barbares^  par  les 
folies  d'un  luxe  inouï,  était,  suivant  les  expressions  d'un  do- 
cument officiel,  «  réduit  au  dernier  degré  de  la  pauvreté  »^ 
Malgré  les  rigueurs  de  l'administration,  les  impôts,  dont  le 
poids  devenait  toujours  plus  lourd,  rentraient  avec  une  peine 
extrême;  et  la  cupidité  des  fonctionnaires,  qui,  sans  scrupule, 
exploitaient  les  provinces,  augmentait,  sans  profit  pour  l'em- 
pire, la  misère  des  sujets'.  L*armée  était  en  pleine  décadence; 
les  effectifs,  laissés  volontairement  incomplets   par^  raison 
d'économie,  diminuaient  d'une  manière  scandaleuse  ;  au  lieu 
de  six  cent  quarante- cinq  mille  hommes  qu'ils  auraient  dû 
comprendre,  à  peine  en  comptaient-ils  cent  cinquante  mille, 
dispersés  sur  toutes  les  frontières*.  Encore  la  rapacité  de 
l'administration  entretenait  ces  troupes  sur  un  pied  déplorable: 
la  solde,  toujours  en  retard,  souvent  même  n'était  point  payée  ; 
les  fournitures  d'équipement  et  de  vivres  étaient  faites  avec 
une  rare  irrégularité  ;  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie  mili- 
taire, le  vol  était  organisé;  et  les  soldats,  dénués  de  tout,  par- 
fois obligés  de  mendier  pour  vivre,  désertaient  à  l'envi  les 
drapeaux\  Aux  portes  mêmes  de  la  capitale»  les  places  fortes 
de  la  Thrace,  mal  entretenues,  montraient  leurs  murailles 
ouvertes  par  mille  brèches;  aucune  garnison  ne  les  occupait 
plus,  aucune  machine  ne  couronnait  plus  leurs  courtines  :  «  on 
n'y  entendait  pas  même,  dit  brutalement  Agathias,  comme 
dans  un  parc  à  bestiaux,  l'aboiement  d*un  chien  de  garde  »*. 
Sur  la  frontière  de  Perse,  si  menacée  pourtant^  on  avait  pro- 

i.Nov,  148,  praef. 

2.  Evagrius,  Hisl.  eccL,  IV,  30. 

3.  Agathias  (éd.  Bonn.)»  p.  305-306. 

4.  W.,  p.  306-307;  cf.  Proc,  Hisl,  arc,,  p.  132-138. 

5.  Agathias,  p.  305;  cf.  p.  308. 


LES  GUERRES  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTIN  II  43S 

fité  de  la  première  apparence  de  paix  pour  licencier  les  corps 
de  limiianei*;  tout  prétexte  élait  bon  pour  diminuer  les  dé- 
penses militaires  ;  et  le  résultat  de  cette  incurie,  c'est  que 
Tempire  était  ouvert  à  toutes  les  attaques.  Et  qu'on  ne  soup- 
çonne point  Procope  d'avoir  à  dessein,  par  haine  de  Justinien, 
chargé  les  traits  de  la  description  :  ce  qu'affirme,  à  la  date 
de  559",  l'auteur  de  l'Histoire  secrète,  Agathias  le  répète  en 
termes  presque  identiques,  et  les  Novelles  impériales  elles^ 
mêmes  le  confirment  avec  une  lamentable  précision.  «  En  Tab- 
sence  de  toutes  les  choses  nécessaires,  dit  un  document  officiel, 
l'armée  était  si  complètement  dissoute,  que  l'État  était  exposé 
aux  invasions  incessantes  et  aux  insultes  des  barbares*.  »  On 
juge  par  ce  tableau  delà  situation  où  pouvaient  se  trouver  des 
provinces,  telles  que  l'Afrique,  plus  éloignées  du  centre  de  la 
monarchie.  Les  faibles  troupes  qu'on  y  entretenait  étaient  in- 
suffisantes pour  assurer  la  défense  *  ;  les  citadelles,  délabrées  ou 
abandonnées,  ne  protégeaient  plus  le  pays  ;  au  lieu  du  prestige 
de  la  force,  c'estparladiplomatie  seule  qu'on  essayait  d'assurer 
la  tranquillité.  Aussi  bien  était-ce,  à  ce  moment,  sur  toutes  les 
frontières,  la  règle  de  conduite  prescrite  par  l'empereur  :  semer 
la  division  parmi  les  barbares  et  les  ruiner  les  uns  par  les 
autres^  maintenir  leurs  tribus  en  repos  à  grand  renfort  d'ar- 
gent et  de  cadeaux,  acheter,  quand  il  fallait,  très  chèrement 
leur  retraite,  telle  semblait  être,  en  cette  fin  de  règne,  l'habi- 
leté suprême^.  Le  jour  était  proche  pourtant  où,  sur  toutes 
les  frontières,  allait  éclater  l'insuffisance  profonde  de  cette  po- 
litique négligente  et  de  cette  déplorable  organisation. 


1.  Proc,  BisL  arc.y  p.  135. 

2.  Cette  date  ressort  du  passage  de  YHisl.  arc,  p.  137. 

3.  Nou.  148,  praef.;  cf.  les  Strategika,  qui  déclarent  que  Tart  militaire  «  est 
tombé,  pour  ainsi  parler,  en  absolu  oubli  »  {Stralegika^  p.  i-2). 

4.  Jean  d'Antioche  (Fragm.  hist.  gr,,  t.  IV),  fr.  218. 

5.  Agathias,  p.  306. 


456  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


I 

En  Tannée  563,  l'Afrique  avait  pour  gouverneur  Jean  Ro- 
gathinos'  :  par  une  maladresse  qui  semble  assez  inexplicable, 
ce  personnage  alluma  dans  la  province,  qui  depuis  quinze  ans 
demeurait  tranquille,  une  nouvelle  insurrection.  Parmi  les 
vassaux  africains  de  Byzance,  figurait  encore  Goutsina,  Tallié 
fidèle  de  Solomon  et  de  Jean  Troglila;  et,  conformément  aux 
principes  de  la  politique  byzantine  à  l'égard  des  Berbères,  on 
servait  annuellement  une  pension  au  vieux  chef.  Pour  des 
raisons  que  nous  ignorons,  le  gouverneur  crut  devoir  rompre 
avec  ce  vassal  dévoué  de  Tempire;  et  comme  Goutsina,  selon 
l'usage,  était  venu  àGarthage  pour  toucher  la  subvention  pro- 
mise^ il  le  fit  traîtreusement  assassiner'.  Jadis,  en  544,  le  guet- 
apens  de  Leptis  Magna  et  l'exécution  du  frère  d'Antalas  avaient 
suffi  à  provoquer  un  soulèvement  formidable  ;  la  trahison  de 
563  entraîna  naturellement  de  semblables  conséquences.  Pour 
venger  leur  père,  les  fils  de  la  victime  prirent  les  armes,  et  de 
nouveau  l'Afrique  connut  les  horreurs  du  pillage  et  du  mas- 
sacre. Toutefois  il  semble  bien  qu'une  partie  seulement  de  la 
province^  —  sans  doute  la  Numidie,où  étaient  cantonnées  les 
tribus  de  Goutsina  —  devint  la  proie  de  Tinsurrection  :  il  ne 
paraît  pas  non  plus  quele  mouvement  se  soilétendu  aux  autres 
populations  berbères,  puisque  seuls  les  fils  de  Goutsina  sont 
nommés  à  la  tète  des  révoltés.  Pourtant,  après  tant  d'années 
de  paix,  l'alerte  fut  vive,  probablement  accrue  encore  par  la 
faiblesse  des  ressources  militaires  dont  on  disposait  :  en  tout 

1.  Malalas,  p.  495-496;  De  Boor  (Théophane,  ladex,  p.  633)  croit  à  tort  qu'il 
8*agit  de  Jean  Troglita.  Quant  à  la  situation  du  personnage,  elle  est  incertaine. 
Les  textes  l'appellent  âp^cov.  Il  est  probable  qu'il  était  fnagisier  mililum^ 
car,  à  cette  date  même,  il  semble  qu'Aréobinde  était  préfet  du  prétoire  d*Afriqoe 
{Justiniani  novellae,  éd.  Zachariae,  Nov.  173)  ;  cf.  pourtant  les  réserves  que 
Zachariae  fait  dans  son  Appendix,  p.  31. 

2.  Malalas,  p.  495-496;  Théophane,  p.  238-239. 

3.  (iéoT)  Ttva,  dit  à  deux  reprises  Tbéophane,  /.  c. 


LES  GUERKES  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTIN  11  457 

cas  il  fallut  envoyerlout  exprès  d'Orient  une  armée  en  Afrique*, 
et  le  commandement  en  fut  confié  au  propre  neveu  de  l'empe- 
reur, Marcîen'.  Ce  grand  effort  ne  demeura  pas  inutile  :  le 
nouveau  général  réussit  à  obtenir  —  nous  ne  savons  si  ce  fut 
par  la  diplomatie  ou  les  armes  —  la  soumission  des  Maures, 
et  de  nouveau  la  paix  fut  rétablie  dans  la  province^  :  mais 
pendant  les  quelques  mois  qu'avaient  exigés  les  préparatifs 
de  rexpédition,lepays  en  proie  aux  ravages  avait  cruellement 
souffert.  Alafin  durëgne  de  Justinien,  la  misère  était  grande 
en  Afrique*,  et  d'autre  part,  cette  reprise  des  hostilités,  quel 
qu'en  eût  été  le  résultat,  était  pour  l'avenir  le  présage  de 
graves  complications. 

Pourtant  on  put  croire  un  moment  que  Tévénement  serait 
sans  conséquences.  La  mort  de  Justinien  (nov.  565)  avait  amené 
au  trftne  l'actif  et  énergique  Justin  II,  et  le  nouvel  empereur 
semblait  disposé  à  rompre  à  la  fois  avec  toutes  les  traditions 
politiques  du  précédent  règne*  :  en  même  temps  qu'il  reprenait 
au  dehors  une  attitnde  plus  fiëre  à  Tégard  des  barbares,  quïl 
tentait  un  vigoureux  effort  pour  restaurer  les  finances  et  réta- 
blir Tarmée  *,  qu*il  s'appliquait  à  effacer  les  dernières  traces 
des  luttes  religieuses  \  sa  généreuse  sollicitude  était  émue  par 
les  misères  des  sujets.  L'Afrique  en  particulier  parait  avoir 
été  l'objet  de  son  attention  ;  à  ce  moment,  en  effet,  la  province 
avait  à  Constantinople  un  protecteur  puissant  dans  la  personne 
d'un  des  ministres  du  prince,  le  questeur  du  palais  Anastase  *; 
grâce  à  l'influence  de  ce  personnage,  Justin  II  s'occupa  active- 

1.  Théophane,  L  c, 

2.  Sur  ce  personnage,  qni  fut  pins  tard  crcpaTtiybc  tôv  *E(owv,  cf.  Evagrius, 
V,  8;  Jean  d'Epiphanie  {Fr,  hisL  graec.^  IV,  p.  274). 

3.  Théophane,  /.  c,  p.  239. 

4.  Corippu0,  In  laud.  Anaat.y  37;  In  laud.Jusi,,  I,  19. 

5.  Grob,  Gesch,  des  Ostroem,  Kaisers  Justins  II,  p.  45-49,  61-67. 

6.  Nov.  148  (a.  566);  Zachariae,  Jus  gr.  rom.,  111,  p.  3.  C'est  de  cette  époque 
environ  que  dateut  les  Strategika  attribués  k  Maurice  (Zachariae,  dans  la  Byz. 
ZeiUchr,,  Uf,  p.  441). 

7.  Evagrius,  V,  1,  4. 

8.  Corippus,  In  laud,  AnasL,  36-40.  Sur  ce  personnage,  cf.  Jean  d'Ë phase 
(éd.  Schœnfelder;,  II,  29. 


458         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

ment  de  réparer  les  désastres  de  la  contrée.  Sous  radmiaisira- 
tion  d'un  nouveau  gouverneur,  le  préfet  d'Afrique  Thomas^  la 
paix  fut  assurée  par  d'habiles  négociations  avec  les  chefs  ber- 
bères et,  suivant  l'expression  de  Corippus,  «  l'Afrique  épuisée 
retrouva  un  espoir  de  vie  »  \  Par  ses  soins,  le  système  de  la 
défense  fut  réorganisé,  complété;  de  nouvelles  citadelles  s'éle- 
vèrent, en  particulier  à  Tendroit  où  les  routes  de  Théveste  et 
de  Cirta  se  réunissaient  pour  déboucher  dans  la  vallée  de  la 
Medjerda;  sur  ce  point,  des  places  fortes  furent  établies  à 
Thubursicum  Bure  (Teboursouk)  ',  à  Agbia  (Aïn-Hedja)  *,  à 
Thignica  (Aïn-Tounga)  \  Au  delà  des  frontières  reconstituées 
et  protégées,  l'influence  byzantine  s'étendit^  à  la  faveur  de  la 
propagande  chrétienne,  jusque  chez  les  Garamantes  du  Fezzan, 
jusque  chez  les  Berbères  de  la  Maurétanie  Césarienne* ,  c<  triom- 
phant par  conseil  9  suivant  l'expression  de  Gorippus,  des 
peuples  que  personne  n'avait  vaincus  par  les  armes  »  *.  A  l'in- 
térieur du  pays,  l'administration  des  finances  réorganisées 
s'efforçait,  par  une  meilleure  perception  de  l'impôt,  d'assurer 
les  rentrées  nécessaires  aux  dépenses^;  pour  réprimer  la  cu- 
pidité des  fonctionnaires,  on  remettait  en  honneur  les  vieilles 
règles  relatives  &  l'obtention  gratuite  des  magistratures';  pour 
arrêter  leurs  insolences,  on  rappelait  à  tous  les  agents,  civils 
et  militaires,  le  respect  du  aux  privilèges  de  l'Église  et  à  la 
personne  des  évéques,  et  officiellement  on  invitait  les  prélats 
à  adresser  au  prince  toutes  les  observations  qui  leur  semble- 
raient utiles,  «  afin,  dit  le  rescrit  impérial,  que,  connaissant 
la  vérité,  nous  décidions  ce  qu'il  convient  de  faire  »  •.  Bref, 

1.  CorippuB,  In  laud,  Just,,  1,  18-21.  Sur  le  préfet  Thomas,  cf.  C.  /.  t.,  VIII, 
1434. 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  1434. 

3.  Diebl,  Rapport,  p.  433. 

4.  SaladiD,  H,  p.  545. 

5.  Jean  de  Biclar,  a.  569  (p.  212). 

6.  Gorippus,  In  iaud,  Jusl,,  I,  21  : 

a  Vicit  coDsiliis,  quos  uullus  vicerat  armis  ». 

7.  Nov.  149,  2  (a.  569). 

8.  Nov.  149. 

9.  Zachariae,  /.  c,  lll,  p.  9-10  (a.  568). 


LES  GUERRES  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DÉ  JUSTIN  U         459 

l'aurore  du  nouveau  règne  semblait  pleine  de  promesses  pour 
l'Afrique,  et  on  conçoit  que  l'Africain  Corippus  entreprit  en 
l'honneur  de  Justin  II  un  panégyrique  extraordinaire,  pendant 
que  Carthage  reconnaissante  élevait  des  statues  à  l'empe- 
reur *. 

Malheureusement  cette  prospérité  dura  peu.  Quand  les 
Avares,  un  moment  effrayés  par  la  courageuse  fierté  du  nou- 
veau prince,  revinrent  donner  l'assaut  à  Tempire,  quand  les 
Lombards  pénétrèrent  en  Italie,  quand  de  graves  difficultés 
diplomatiques  annoncèrent  l'imminente  reprise  de  la  redou- 
table guerre  perse*,  l'Afrique,  quoiqu'on  en  eût,  passa  au 
second  plan  des  préoccupations  impériales;  probablement, 
pour  résister  aux  envahisseurs  qui  menaçaient  l'Orient  et 
ritalie,  on  la  dégarnit  d'une  portion  des  faibles  troupes  ^  qui 
l'occupaient:  en  tout  cas  elle  devint  le  théâtre  de  nouvelles 
guerres,  et  quoique  nous  possédions  sur  cette  période  des  ren- 
seignements infiniment  sommaires,  pourtant  nous  entrevoyons 
combien  elle  fut  désastreuse.  En  569,  Théodore,  préfet  d'A- 
frique, est  tué  par  les  Maures*;  en  870,  Théoctistos,  magister 
militum  de  la  province  d'Afrique,  est  battu  par  les  Maures  et 
tué*;  en  571,  Amabilis,  magister  militum  d'Afrique,  est  tué 
par  les  Maures  *.  Dans  quelle  partie  delà  province  se  passèrent 
ces  événements,  dont  la  sèche  mention  revient,  comme  un  lu- 
gubre refrain,  sous  la  plume  du  chroniqueur  Jean  de  Biclar? 
Sont-ils  le  résultat  de  quelque  soulèvement  parmi  les  tribus 
soumises  à  l'empire,  ou  plutôt  la  conséquence  de  quelque  atta- 
que venue  des  populations  indépendantes  de  la  Maurétanie  ? 
Sont-ils  l'effet  d'une  invasion  berbère  dans  le  pays  byzantin, 
ou  bien  d'une  conquête  tentée  par  les  impériaux,  comme  pour- 
rait le  faire  croire  l'extension  que  l'influence  grecque  semble 

1.  C.  I.  L.,  m,  1020. 

2.  Groh,  l.  c,  p.  75-104;  Bury,  /.  c,  II,  p.  95-97. 

3.  Cela  ressort  de  Corippus,  In  laud.Just,,  I,  20  :  «  Bellum  sine  milile  prdesit  ». 

4.  Jean  de  Biclar,  a.  569. 

5.  W.,  a.  570. 

6.  W.,  a.  571. 


460  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

vers  cette  date  avoir  prise  vers  l'ouest?  Il  faut  nous  résoudre 
à  l'ignorer  *.  Tout  ce  que  nous  pouvons  entrevoir,  c'est  que  le 
vainqueur  des  trois  généraux  byzantins,  le  roi  Garmul  *,  parait 
avoir  fondé,  à  la  suite  de  ces  événements,  un  puissant  état  in- 
digène; ce  que  nous  savons  assurément,  c'est  que  la  province 
souffrit  cruellement  de  ces  luttes.  De  nouveau,  comme  en  546, 
les  populations  s'enfuient  au  delà  des  mers,  par  crainte  des 
violences  des  barbares,  et  vont  chercher  en  Espagne  un  plus 
paisible  asile  ^  ;  de  nouveau ,  dans  le  pays  désolé,  les  campagnes 
demeurent  désertes  \  En  même  temps  toutes  les  bonnes  in- 
tentions de  l'empereur  restent  sans  résultat  ;  malgré  les  édits, 
les  fonctionnaires  continuent  à  acheter  leurs  charges,  et  se  rem- 
boursent de  leurs  dépenses  en  exploitant  les  sujets '';  la  rentrée 
des  impôts  devient  chaque  année  plus  difficile;  en  vain  le 
prince  déclare  que  «  sans  argent  il  est  impossible  de  rien  faire 
de  prospère  »  %  en  vain  il  affirme  que  «  sans  argent  la  répu- 
blique ne  peut  être  sauvée  »  \  la  fréquence  même  des  édits  sur 
la  matière  prouve  leur  inutilité  *.  En  conséquence  l'armée  n'est 
plus  payée,  et  par  suite  elle  résiste  mal  aux  attaques  des  bar- 
bares *  ;  et  dans  la  contrée  dévastée,  où  les  colons  ne  veulent 

1.  J^incline  à  croire  pourtant  qu'il  faut  placer  dans  la  Césarienne  les  Maures 
qui  battirent  les  généraux  byzantins,  et  cela  pour  les  ralFons  suivantes.  Vers 
569,  il  est  incontestable  que  l'influence  grecque  s'étendait  dans  cette  région; 
la  conversion  des  Maccuritae  en  est  un  sûr  garant.  Or,  pendant  les  années  sui- 
vantes, cette  influence  semble  avoir  subi  quelque  arrêt.  On  voit  en  effet  ces 
mêmes  Maccuriiae,  convertis  en  569,  venir,  en  513,  renouveler  leur  soumis- 
sion à  l'empire.  Ce  fait  semble  indiquer  qu'entre  ces  deux  dates  ce  peuple 
participa  à  quelque  soulèvement  :  il  est  permis  de  supposer  que  ce  fat  celui 
de  Garmul.  Il  paraît  donc  vraisemblable  que  ce  roi  était  un  grand  chef  mau- 
rétanien  qui  s'opposa  aux  progrès  des  Grecs  vers  l'ouest. 

2.  Jean  de  Biclar,  a.  578  (p.  215). 

3.  Morcelli,  111,  p.  325,  328  ;  Vitae  Patr,  EmeriteMium,  c.  3  (P.  £..,  LXXX,  126)  ; 
Hildefonsus,  De  vir.  t/Z.,  c.  4  (P.  £..,  XCVÏ,  200). 

4    Const.,  111  (a.  570)  ;  Zacbariae,  /.  c,  Hl,  p.  13-14. 

5.  En  574,  on  renouvelle  les  mesureâ  de  569,  «  quae  devicta  paulatini  obli- 
vioni  tradita  suot  »  {Nov,  161). 

6.  Const.  m  (a.  570);  Zacbariae,  III^  p.  14. 

7.  Nov.  149,  2  (a.  569). 

8.  Éditde  574  (i\ov.  161,  4). 

9.  Nov.  149,  2. 


LES  GUERRES  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  DE  JUSTIN  11  461 

plus  rester  attachés  à  la  terre,  Fagriculture  est  complètement 
ruinée  *.  Dans  ce  cercle  vicieux  —  car  ce  pays  sans  ressources, 
est  incapable  de  rien  payer  —  vainement  la  bonne  volonté  de 
l'empereur  se  débat  pour  trouver  un  remède  ;  vainement  il 
essaie,  par  des  mesures  sévères^  de  fixer  au  sol  le  cultivateur, 
de  satisfaire  les  propriétaires  de  la  province  d'Afrique  ;  vaine- 
ment, comme  le  dit  un  rescrit,  «  il  veille  attentivement,  jour 
et  nuit,  aux  intérêts  de  la  république^  se  hâtant  de  réformer 
tout  ce  qui  est  nécessaire  »  '.  Les  événements  étaient  plus  forts 
que  la  volonté  du  prince  :  aussi,  découragé,  malade,  sentant 
d'ailleurs  sa  raison  lui  échapper  *,  en  574,  Justin  II  se  décida  à 
associer  comme  régent  à  l'empire  le  comte  des  excubiteurs, 
Tibère  Constantin. 


II 


'  Au  moment  où  le  nouveau  basileus  montait  sur  le  trône 
de  Byzance,  la  situation  de  l'Afrique  semble  avoir  été  un  peu 
moins  désastreuse.  En  Tannée  573,  la  puissante  tribu  des 
Maccuritae^  Tune  des  principales  peuplades  de  la  Maurétanie 
Césarienne,  avait  par  une  solennelle  ambassade  renouvelé  sa 
soumission  k  Tempire^.  Sans  doute  Garmul,  le  grand  chef 
indigène,  demeurait  toujours  redoutable^  :  mais  à  cette  date, 
s'il  en  faut  croire  du  moins  un  renseignement  que  fournit 
le  chroniqueur  Marins  d'Avenches,  les  préoccupations  des 
Maures  se  détournaient  de  l'Afrique  grecque  et,  attirés  vers 
la  mer,  ils  portaient  leurs  ravages  sur  les  côtes  de  Provence'. 
En  tout  cas,  le  pays  byzantin  parait  avoir  été  épargné  pendant 
quelques  années,  et  l'empereur^  désireux  de  pousser  énergi- 

1.  Const.  ni  (a.  5-10). 

2.  Ibid. 

3.  Groh,  /.  c,  p.  54-59  ;  Bui y,  II,  p.  76  79. 

4.  Jeao  de  Biclar,  a.  573. 

5.  Id.y  a.  578  :  «  fortiasimua  rex  ». 

6.  Marins  d'Avenches,  a.  574  (éd.  Moaiina  ti,  p.  239). 


462         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

quement  la  guerre  contre  les  Perses',  put  en  Afrique  comme 
en  Italie  se  dispenser  d'intervenir  par  les  armes*.  Il  se  con- 
tenta probablement  d'envoyer  abondamment  à  Carthage,  ainsi 
qu'il  faisait  à  Bome,  les  subsides  nécessaires  pour  assurer  la 
fidélité  des  rois  berbères  ou  pour  gagner  leur  dévouement  *  ; 
sans  doute  aussi,  comme  ea Italie,  il  fit  construire  quelques 
places  fortes  destinées  à  compléter  le  système  de  la  défense*  ; 
surtout  il  se  préoccupa  de  mettre  à  la  tète  de  la  province  des 
administrateurs  d*une  compétence  éprouvée.  A  la  tète  du 
service  civil  il  replaça  le  préfet  Thomas,  qui  quelques  années 
auparavant  avait  si  habilement  gouverné  l'Afrique  •;  au  com- 

1.  Evagrias,  V,  14,  note  l'activité  que  mit  Tibère  a  reconstituer  dans  ce  but 
Tarmée  byzantine. 

2.  Cf.  Méoandre,  p.  328-331. 

3.  Ménandre,  p.  327-328,  332. 

4.  C.  7.  L,,  VIII,  10498  (Macomades  minores)  :  la  date  se  place  entre  574  et  518. 

5.  Ce  fait  ressort  nettement  de  l'inscription  de  Mascula  (C.  /.  £..,  Vlil,  2245), 
telle  que  Ta  complétée  une  découverte  récente  {Bull,  des  Anliquaires^  1895, 
p.  171  ;  Mél,  de  Rome^  XV,  336).  Dans  le  préfet  Thomas  nommé  dans  ce  texte, 
on  a  justement  reconnu  le  personnage  dont  parlent  Corippus  (Inlaudem  Jtis- 
am,I,  18-21)  et  rinscription  des  murs  deTeboursoak  (C.  /.  £..,  VHl,  1434):  mais 
on  ne  s'est  point  suffisamment  préoccupé  d'établir  la  chronologie  de  ces  docu- 
ments. Or,  les  trois  premiers  livres  du  panégyrique  de  Justin  furent  publiés  par 
Corippus  avant  la  fin  de  l'année  566  (Partsch,  Praef.,  p.  xlvi);  dès  ce  mo- 
ment donc,  le  préfet  Thomas  administrait  TÂfrique.  L'inscription  de  Tebour- 
souk,  où  figurent  les  noms  de  l'empereur  Justin  et  de  l'impératrice  Suphie, 
mais  où  manqne  le  nom  de  Tibère,  est,  pour  ce  motif,  antérieure  à  574,  et  se 
place  entre  565  et  574.  L'inscription  de  Mascula  enfin,  où  le  seul  Tibère 
est  nommé,  et  avec  le  titre  d'empereur^  est  postérieure  à  578.  A  première 
vue,  on  sera  tenté  de  conclure  que  les  souverains  qui  se  succédèrent  sur  le 
trône,  reconnaissant  les  services  du  préfet  Thomas,  le  maintinrent  sans  inter- 
ruption à  la  préfecture  d'Afrique  depuis  566  jusqu'à  578  au  moins  :  mais 
un  rescrit  impérial,  adressé  eu  570  par  Justin  au  préfet  d'Afrique  Théodore 
vZachariae,  Jus  graeco-romanum^  III,  Coll.  I,  Nov,  6)  ne  permet  point  d'accep- 
ter cette  conclusion.  11  faut  donc  admettre  que  Thomas  a,  à  deux  reprises, 
rempli  la  charge  de  préfet  :  une  première  fois,  entre  565  et  570,  et  c'est  àce  pre- 
mier gouvernement  que  j'ai  rapporté  Tinscription  des  murs  de  Tebonrsouk; 
une  seconde  fois,  postérieurement  à  570,  et  antérieurement  à  582,  date  à  la- 
quelle unenovellede  Tibère  est  adressée  au  préfet  Théodore  (Zachariae,  /.  c, 
Nov.  13).  On  ne  saurait  préciser  absolument  l'époque  de  ce  second  gouverne- 
ment :  il  se  pourrait,  en  effet,  si  l'on  rapporte  ici  l'inscriptiou  de  Tebonrsouk, 
que  Justin,  après  avoir  rappelé  Thomas,  Tait  renvoyé  en  Afrique  dès  avant 
574.  Il  parait  plus  probable  pourtant  que  Tibère,  soit  comme  César,  soit  plu- 


LES  GUERRES  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTIN  11  463 

mandement  de  Tarmée,  il  nomma,  comme  magister  miliium, 
un  officier  énergique^  Gennadius.  Le  résultat  de  ces  h*eureux 
chois  ne  se  fit  pas  attendre;  vers  578  ou  579,  Gennadius  atta- 
qua audacieusementlesMaures,battitGarmul,et  de  sa  propre 
main  tua  le  chef  berbère  ^  C'était  après  les  désastres  des  der- 
nières années  un  succès  important,  et  qui  semble  avoir  été 
décisif  :  Gennadius  et  le  préfet  Thomas  s'efforcèrent  de  l'as- 
surer en  occupant  fortement  un  certain  nombre  de  points  stra- 
tégiques qui  renforçaient  utilement  la  défense  delà  frontière*; 
et  on  effet  la  paix  parait  avoir  été  rétablie  en  Afrique  par  leurs 
soins.  Ajout  le  moins  l'empereur  Tibère^  qui  dès  574  s'était 
préoccupé  de  réformer  l'administration  de  la  province,  pou- 
vait-il en  582  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  y  restaurer 
Tagriculture*,  ce  qui  indique  une  pacification  assez  complète 
du  pays  :  et  deux  ans  plus  tard,  à  la  date  de  584,  Théophy- 
lacte  Simocatta  rapporte  que  la  puissance  des  Maures  dimi- 
nuait de  jour  en  jour,  et  qu'effrayés  par  les  exploits  des  soldats 
de  Byzance,  ils  ne  songeaient  plus  qu'à  déposer  humblement 
les  armes  et  à  vivre  tranquilles,  soumis  à  l'autorité  du  basileus^. 
Si  Ton  essaie  de  résumer  les  traits  essentiels  de  cette  période 
malheureusement  assez  mal  connue,  de  dégager  d'un  petit 
nombre  de  textes  obscurs  et  incomplets  les  faits  vraiment  ca- 


tôt  comme  empereur,  en  même  temps  qu'il  nommait  Gennadius  au  poste  de 
magister  militum,  fit  appel  à  rexpérience  du  préfet  Thomas  :  on  compren- 
drait mieux  encore,  dans  cette  hypothèse,  pourquoi  le  préfet  donna,  en  l'hon- 
neur de  son  protecteur,  le  nom  de  Tiberia  k  Mascula  reconstruite.  En  consé- 
quence j'incline  à  placer  entre  574  et  582  le  second  gouvernement  de  notre 
personnage. 

1.  Jean  de  Biclar,  a.  578  (p.  215). 

2.  C.  /.  L.,  VIll,  2245  (Mascula)  ;  la  date  se  place  sous  le  gouvernement  de 
Gennadius  (a.  578-582.^J;  949  (Ain-Tubernok,  date:  578-58if);  4354  (Âla-Ksar, 
date  :  579-582,  sous  le  gouvernement  de  Vitalius,  magister  militum  Africae).  Au 
lieu  de  la  restitution  Vitalius^  M.  Gsell  croit  que  dans  ce  texte,  conservé 
par  une  médiocre  copie,  il  faut  lire  le  nom  de  Gennadius  {Bull,  des  Anti- 
quaires,  1895,  p.  171). 

3.  Const.  IV  (a.  582):  Zachariae,  UI,  p.  30. 

4.  Theoph.  Simocatta,  III,  4,  9.  Sur  la  date,  cf.  Ewald,  dans  l'édilion  de 
Grégoire  le  Grund,  I,  p.  82. 


464  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

ractéristiques,  il  semble  d'abord  que  TAfrique  de  Justin  II  et 
de  Tibère  ressemble  fort  à  celle  de  Justinien.  C'est  la  même 
organisation  administrative,  où  les  pouvoirs  civils  sont  en 
général  distincts  de  Tautorité  militaire;  c'est  le  même  sys- 
tème de  défense,  s'appuyant  sur  un  réseau  de  places  fortes 
savamment  disposées;  c'est  la  même  politique  à  l'égard  des 
indigènes,  assurant  l'influence  byzantine  tout  ensemble  par  les 
subsides  pécuniaires  et  par  la  propagande  religieuse  ;  ce  sont 
les  mêmes  guerres  enfin,  fécondes  en  pillages  et  même  en  désas- 
treux revers,  mais  où  la  solidité  des  troupes  byzantines  finit 
toujours  par  avoir  le  dernier  mot.  Pourtant,  en  observant  plus 
attentivement  les  choses,  de  graves  différences  apparaissent. 
Malgré  la  réelle  sollicitude  que  Justin  et  Tibère  témoignèrent 
à  l'Afrique»  Tétat  de  I9  province  parait  moins  prospère  qu'au- 
trefois :  au  dedans  l'administration  publique  se  désorganise,  et 
les  édits  impériaux  sont  impuissants  à  la  reconstituer;  la 
misère  du  pays  augmente,  et  les  rescrits  du  prince  ne  peuvent 
y  porter  un  remède  efficace.  La  défense  de  la  frontière  est 
moins  solide,  et  moins  assurée  la  tranquillité  de  la  contrée  ; 
ce  n'est  plus  seulement  le  long  du  limes^  ou  sur  quelques 
points  stratégiques  de  la  seconde  ligne  qu'on  établit  les  for- 
teresses ;  c'est  l'intérieur  de  la  région  même  qui  se  hérisse 
de  citadelles,  et  —  chose  plus  significative  encore  —  pour  la 
première  fois  les  populations  sont  contraintes  de  veiller  elles- 
mêmes  à  leur  sécurité,  et  de  construire  à  leurs  frais,  à  côté 
des  places  fortes  impériales,  des  redoutes  où  elles  trouveront 
un  refuge  ^  Au  dehors,  les  attaques  sont  plus  fréquentes  et^ 
malgré  les  succès  de  la  propagande  chrétienne,  de  grands  états 
indigènes  se  forment,  qui  demeurent  soustraits  ou  hostiles  à 
l'influence  byzantine.  Sans  doute  la  victoire  de  Gennadius  ré- 
tablit pour  quelques  années  la  paix  en  Afrique  et  y  remit  la 
domination  grecque  sur  un  pied  égal,  supérieur  même,  à 


1.  C.  /.  I ,  Vill,  4354;  le  caslrum  est  construit  par  les  «  conseotientes  sibi 
cives  istius  loci...  de  suis  propriis  laboribus  ».  Sous  Us  règnes  s uivaots,  le  fait 
sera  plus  fréqueut  cucore  (C.  /.  L.,  Vlll,  10681,  12U35). 


LES  GUERRES  D'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DE  JUSTIN  II         465 

celui  qu'elle  avait  tenu  sous  Justinien.  Néanmoins  les  mêmes 
dangers  subsistaient,  et  d'autant  plus  menaçants  que  désor- 
mais les  guerres  d'Orient  empêchaient  d'entretenir  dans  la 
province  une  armée  d'occupation  bien  considérable  ;  et  en  con- 
séquence, dans  les  préoccupations  de  l'administration  impé- 
riale, le  soin  de  la  défense  tendait  nécessairement  à  prendre  de 
plus  en  plus  la  première  place.  De  ces  diverses  causes  devait 
naturellement  sortir  une  importante  réforme  administrative^ 
déjà  préparée  d'ailleurs  par  une  longue  suite  de  circons- 
tances :  sous  le  règne  du  succcesseur  de  Tibère,  de  l'éner- 
gique et  intelligent  Maurice,  les  provinces  occidentales  de  la 
monarchie  allaient  recevoir  une  organisation  nouvelle;  en 
même  temps  que  l'Italie  se  transformait  pour  résister  à  l'inva- 
sion lombarde,  pour  les  mêmes  raisons  et  de  la  même  ma- 
nière l'exarchat  d'Afrique  naissait. 


30 


CHAPITRE  II 


LES  TRANSFORMATIONS  ADMINISTRATIVES   DE   LA   PROVINCE  D  AFRIOUE 
ET  LA  CRÉATION  DB    L*EXARCHAT 


Le  règne  de  l'empereur  Maurice  (582-602)  semble  avoir  été 
pour  TAfrique  byzantine  une  époque  de  grandes  transforma- 
tions. Au  point  de  vue  géographique,  des  changements  impor- 
tants apparaissent  dans  la  province  à  la  fin  du  vi*  siècle,  et  on 
y  constate  un  groupement  nouveau  des  territoires^  assez  dif- 
férent de  celui  que  Justinien  avait  établi  cinquante  ans  aupa- 
ravant. Au  point  de  vue  administratif,  une  évolution  plus  con- 
sidérable encore  s'accomplit,  et  des  institutions  nouvelles 
naissent  et  lentement  grandissent,  qui  viennent  profondément 
modifier  les  règles  du  système  de  gouvernement  romain.  Il 
est  donc  essentiel  d'examiner  avec  soin  cette  double  réforme, 
d'en  rechercher  la  date  et  les  causes,  d'en  fixer  le  caractère  et 
la  portée  :  en  effet  elle  ne  constitue  pas  seulement  un  épisode 
—  d'ailleurs  considérable  —  de  l'histoire  africaine  :  dans 
Tétude  qu'on  en  fera,  on  trouvera  quelque  chose  de  plus,  je 
veux  dire  une  application  particulièrement  significative  des 
principes  généraux  qui,  vers  ce  moment  même,  tendaient  à 
modifier  l'organisation  administrative  de  Tempire  grec  tout 
entier. 


I 

La  liste  géographique  de  Georges  de  Chypre,  longtemps 


Lk  CREATION  DE  L'EXARCHAT  467 

égarée  et  comme  noyée  dans  la  série  des  notices  épiscopales 
byzantines,  a  repris  récemment,  grâce  à  la  pénétrante  étude 
de  Gelzer,  sa  valeur  et  son  caractère  véritable  *.  Composée  dans 
les  premières  années  du  vu®  siècle,  elle  nous  offre  la  descrip- 
tion de  l'empire  romain  tel  qu'il  était  constitué  sous  le  règne 
de  Maurice*,  et  grâce  à  elle  nous  pouvons  retrouver  avec  pré- 
cision les  divisions  territoriales  entre  lesquelles  l'Afrique  se 
partageait  à  la  fin  du  vi*  siècle.  De  grands  changements  s'y 
étaient  à  ce  moment  accomplis.  D'une  part  la  ïripolitaine  en 
avait  été  détachée  pour  faire  désormais,  comme  laCyrénaïque 
sa  voisine,  partie  du  diocèse  d'Egypte^;  d'autre  part  la  Mau- 
rétanie  Césarienne,  maintenue  par  l'orgueil  de  Justinien  sur 
la  liste  officielle  des  possessions  byzantines^  en  avait  été  défi- 
nitivement rayée^  et  les  quelques  places,  d'ailleurs  peu  nom- 
breuses, que  l'empire  conservait  sur  cette  portion  du  littoral, 
avaient  été  réunies  à  la  Sitifienne  pour  former  avec  elle  la 
province  unique  de  Maurétanie  première^.  En  revanche,  à 
l'extrémité  occidentale  de  l'Afrique,  l'importante  citadelle  de 
Septem,  qui  jadis  dépendait  de  la  Césarienne,  était  devenue  la 
capitale  d'ungouvernement  nouveau.  Pour  compenser  la  dimi- 
nution territoriale  produite  du  côté  de  Test  par  l'abandon  de 
la  Tripolitaine,  pour  donner  aussi  aux  possessions  byzantines 
dispersées  dans  l'extrême  ouest  une  organisation  plus  solide  et 
plus  rationnelle,  une  province  avait  été  formée  avec  Septem,  les 
lies  Baléares,  les  territoires  que  Tempire  conservait  en  Espagne 
et  sous  le  nom  de  Maurétanie  seconde,  elle  avait  été  placée 


1.  Georgii  Cyprii  Descriptio  orbis  Romani,  éd.  Gelzer,  p.  vi-xai. 

2.  Id.,  p.  xv-zvi  :  tt  repraeseotat  hic  liber  fiomanum  imperium  Mauricio 
auctore  solidatum  n. 

3.  /d.,  p.  Li  et  LXLV. 

4.  Id.,  p.  34.  A  la  vérité,  Sétif  est  mis  par  Tauteur  en  Namidie  et  Rusuccuru 
seul  figure  en  Maurétanie  première.  Mais  la  Maurétanie  première  étant  au 
temps  de  Procope  identique  à  la  Sitifienne,  et  Sétif  étant  resté  byzantin,  il 
serait  étrange  que  ce  nom  eût  été  entièrement  détourné  de  sa  signification 
primitive  pour  être  uniquement  appliquée  aux  débris  de  la  Césarienne.  Il 
vaut  donc  mieux,  avec  Gelzer  (p.  xxxi),  admettre  une  transposition  dans  le 
manuscrit. 


468  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

SOUS  rautorité  suprême  du  préfet  d'Afrique '.  Ainsi^  en  appa- 
rence tout  au  moins,  rien  n'était  changé  dans  la  liste  des  pro- 
vinces telle  que  Justinien  l'avait  jadis  établie  :  comme  en  534, 
on  y  voyait  figurer  encore,  à  côté  de  la  Proconsulaire,  de  la 
Byzacëne,  de  la  Numidie,  deux  gouvernements  de  Mauréta- 
nie;  et  de  cette  sorte,  aux  yeux  des  basileis  si  soucieux  de  ne 
sembler  consentir  aucun  abandon  de  territoire,  l'honneur  pou- 
vait paraître  sauf.  Mais  en  fait,  ce  n'était  là  qu'une  trompeuse 
équivoque  :  en  fait  la  Césarienne  était  si  complètement  perdue 
que  sa  capitale  même,  Gaesarea  avait  échappé  aux  mains  de 
Byzance';  en  réalité,  malgré  la  similitude  des  noms,  c'était 
une  Afrique  nouvelle  qui  se  constituait.  Les  empereurs  de  la 
fin  du  vi^'  siècle  avaient  perdu  tout  espoir  de  réaliser  jamais 
les  rêves  ambitieux  de  Justinien  ;  ils  ne  pensaient  plus  réussir 
à  occuper,  au  moins  directement,  toute  l'immense  étendue  de 
l'ancienne  Afrique  romaine  :  une  répartition  nouvelle  des  ter- 
ritoires devait  être  la  conséquence  nécessaire  de  cette  modes- 
tie de  sentiment.  En  Italie,  à  peu  près  vers  la  même  époque, 
l'invasion  lombarde,  en  brisant  violemment  les  anciens  cadres 
des  provinces,  en  avait  rapproché  les  débris  en  des  groupe- 
ments nouveaux,  pour  la  protection  desquels  le  gouverne- 
ment impérial  avait  dû  prendre  des  mesures  énergiques*  :  en 
Afrique  des  nécessités  assez  analogues  produisirent  de  sem- 
blables résultats.  Puisqu'on  n^avait  pu  parvenir  à  entamer  sé- 
rieusement la  Césarienne,  ne  valait-il  par  mieux,  au  lieu  de 
conserver  à  tout  prix  à  cette  province  une  existence  illusoire, 
en  rattacher  les  lambeaux  au  gouvernement  plus  effectif  et 
plus  solide  de  Sitifienne?  Puisque  aux  extrémités  de  l'Occident, 
un  groupe  de  territoires  subsistait,  isolés  du  reste  du  pays  by- 


1.  Georg.  Cypr.,  p.  34.  Cf.  t6td.,  p.  xxxi-xxxii.  De  là  vient  peut-être  le  nom 
de  Maurétanie  Gaditane,  qae  TAnonyme  de  Ravenne  (p.  162)  applique  a  cette 
région. 

2.  Du  moins  elle  manque  dans  la  notice.  Cf.  p.  xxzi.  Quant  à  l'extension  du 
pays  byzantin  da  côté  de  la  Maurétànie  (p.  xxx),  j*ai  déjà  discuté  ailleurs  Thy- 
pothëse  de  Gelzer. 

3.  Cf.  Diehl,  Exarchat  de  Ravenne^  p.  12-14. 


LA  CREATION  DE  L'EXARCHAT  469 

zantin,  mais  capables  de  constituer  parleur  union  un  centre 
d'administration  et  de  résistance,  ne  valait-il  pas  mieux,  au 
lieu  de  maintenir  la  lointaine  Septem  dans  la  dépendance 
d'une  Maurétanie  Césarienne  hypothétique,  rassembler  autour 
d'elle  toutes  les  possessions  byzantines  de  Touest,  et  lui  as- 
surer ainsi  de  plus  sérieuses  chances  d'existence^?  En  un  mot, 
ne  valait-il  pas  mieux,  au  lieu  de  nourrir  d'ambitieuses  illu- 
sions, accommoder  sa  politique  aux  circonstances  présentes,  et 
puisqu'il  fallait  décidément  renoncer  à  reconquérir  toute 
l'Afrique,  tâcher  du  moins  de  conserver  ce  qu*onen  avait  con- 
quis ?  Ce  fut  en  Italie  comme  en  Afrique,  la  politique  de  l'em- 
pereur Maurice  ;  et  on  ne  saurait  nier  que  sa  prudente  sagesse 
n'ait  donné  par  là  à  ces  provinces  plus  de  cohésion  et  d'éner- 
gie pour  la  défense. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  remarques,  à  la  fin  du  vi"*  siècle, 
l'Afrique  byzantine  comprenait  les  territoires  suivants  : 

4"*  La  province  Proconsulaire*; 

2^  La  Byzacène  ; 

3*  La  Numidie; 

4^  La  Maurétanie  première  (Sitifienne  et  débris  de  la  Césa- 
rienne) ; 

5*  La  Maurétanie  seconde  (Septem,  Baléares,  villes  grec- 
ques d'Espagne)  ; 

6""  La  Sardaigne,  à  laquelle  il  faut  sans  doute  rattacher  la 
Corse,  omise  par  Georges  de  Chypre,  mais  qui  dépendait  in- 
contestablement, à  la  fin  du  vi«  siècle,  du  gouvernement  d'A- 
frique*. 

Si  incomplets  que  soient  sur  certaines  de  ces  provinces  les 
renseignements  de  notre  géographe  — la  liste  des  villes  de  la 
Proconsulaire  en  particulier  a  absolument  disparu^  —  pour- 

1.  C'est  en  effet  ce  qui  anÎTa,  comme  on  le  verra  plus  lo)n.  Cf.  Gelzer, 

p.  ZLUl-XUV. 

2.  Le  nom  se  rencontre  dans  un  rescrit  de  582  (Zachariae,  Jtu  gr.  rom  , 
III,  p.  30). 

3.  Cf.  Greg.,  Epist.,  7,  3;  Gelzer  (p.  xLiv)y  met  à', tort  un  duc:  on  n'y  trouve 
qu'un  tribun. 

4    Cf.  Gelzer,  p.  xxix. 


470  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BTZANTINB  EN  AFRIQUE 

tant  ils  suffisent  pour  faire  apprécier  d'une  manière  générale 
rétendue  du  pays  byzantin.  DanslaByzacène,  les  limites  delà 
province  étaient  demeurées  ce  qu'elles  étaient  au  temps  de 
Justinien  :  si,  parmi  les  villes  énumérées  par  Georges  de 
Chypre,  nous  cherchons  les  plus  méridionales,  nous  trouvons 
en  effet,  sur  la  côte,  lunca,  dans  Tintérieur  du  pays,  Madar- 
suma,  Capsa  et  Thélepte,  et  versTouest,  Gillium;  en  seconde 
ligne^  c'est,  sur  le  littoral,  Thapsus  et  Hadrumète,  dans  Tin- 
térieur,  Kouloulis,  Mamma,  Sufetula  et  Sufes,  qui  déjà  porte 
son  nom  actuel  de  Sbiba^  La  Numidie  aussi  avait  sensible- 
ment la  nvéme  extension  qu'autrefois  :  au  pied  de  TAurës, 
les  Byzantins  occupent  toujours  Théveste,  Bagai,  et  d'autres 
témoignages  nous  permettent  d'ajouter  à  ces  villes  celles  de 
Thamugadi,  de  Lambèse  et  de  Diana';  à  Tintérieur,  ils  tien- 
nent, comme  jadis,  la  seconde  ligne  que  formaient  Laribus', 
Tigisis,  Calama;  du  côté  de  l'ouest,  ils  possèdent  Mileu  et 
Gonstactine^.  La  Maurétanie  première  parait  avoir  été  plus 
sérieusement  diminuée  :  on  y  rencontre  seulement  Sitifis  et 
Rusuccuru,  cette  dernière  place  provenant  de  l'ancienne  Cé- 
sarienne *  ;  la  région  du  Hodna,  si  du  moins  il  n'y  a  ici  nulle 
lacune  dans  la  liste,  semble  à  ce  moment  avoir  été  abandon- 
née. Enfin,  dans  la  Maurétanie  seconde,  la  notice  place  Septem, 
les  îles  de  Majorque  et  de  Minorque,  et  les  villes  que  les  im- 
périaux conservaient  en  Espagne  à  la  fin  du  vi«  siècle  :  c'étaient 
depuis  que  le  roi  Léovigild  avait  définitivement  reconquis 
Gorduba^  les  cités  de  Garlhago  Spartaria  (Carthagène),  Ma- 
laca,  Assidona  et  Sagontia  (Gisgonza)\  il  reste  à  nommer  en 
Sardaigne  les  villes  de  Garalis,  métropole  de  File,  de  Turris, 

1.  Georg.  Cypr.,  p.  33. 

2.  Cf.  C.  /.  I.,  VllI,  2389;  Fournel,  I,  p.  166-167. 

3.  Gelzer,  note  606,  hésite  à  reconnaître  cette  ville,  parce  que  la  liste  la  place  en 
Numidie.  Procope  fait  de  même  dans  un  passage,  encore  inédit,  du  De  Aedif,, 
VI,  ch.  7. 

4.  Georg.  Cypr.,  p.  33-34. 

5.  Georg.  Cypr.,  p.  34. 

6.  Sur  ces  possessions  et  leur  histoire,  Gelzer,  p.  xxxii-xuii  et  surtout  xxxnr- 

IXXTI. 


Lti  CRÉATION  DE  L'EXARCHAT  kli 

Fausiana,  Sulci,  Chrysopolis,  Orîstanum,  Tharros  *  ;  en  Corse, 
la  correspondance  de  saint  Grégoire  mentionne  Aleria,  Saona, 
Adjacium*. 


Il 


A  côté  de  ces  remaniements  territoriaux,  une  réforme  plus 
considérable  encore  modifiait  vers  le  même  temps  Torganisa- 
tion  administrative  de  l'Afrique. 

Dès  le  règne  de  Justinien,  pour  mieux  assurer  la  défense 
de  Tempire,  on  avait,  dans  certaines  provinces  voisines  de  la 
frontière,  réuni  entre  les  mains  d'un  même  gouverneur  les 
pouvoirs  civils  et  militaires;  et,  afin  de  fortifier,  dans  certai- 
nes circonscriptions  difficiles  à  gouverner^  l'action  de  Tautorité 
publique,  afin  de  donner  à  Tadministration  une  direction  plus 
régulière  et  plus  cohérente,  on  avait  institué  des  magistrats 
nouveaux,  appelés  praetores  ou  (jrpaTrjYol,  dont  Justinien  lui- 
même  a  pris  soin  de  définir  le  double  caractère^.  Quoique 
en  principe  cette  réforme  se  fût  limitée  aux  parties  orientales 
de  la  monarchie,  quoique,  dans  TOccident  reconquis.  Tempe- 
reur  eût  d'abord  pris  à  tâche  de  rétablir  l'antique  séparation 
des  attributions,  sur  laquelle  se  fondait  l'organisation  romaine, 
de  bonne  heure  pourtant,  on  Ta  vu,  les  nécessités  de  la  situa- 
tion et  les  périls  de  la  province  avaient  amené  en  Afrique  une 
concentration  momentanée  des  pouvoirs  entre  les  mêmes 
mains.  A  deux  reprises,  le  patrice  Solomon  avait,  à  ranlorité 
militaire  du  magister  militum,  uni  la  compétence  civile  du 
préfet  du  prétoire;  le  patrice  Germanos  avait  été  investi  par 
la  confiance  du  prince  d'un  pouvoir  extraordinaire  qui  faisait 
de  lui  le  supérieur  hiérarchique  du  préfet  du  prétoire  et  du 
magister  militum\  plus  récemment  encore,  le  préfet  Théodore^ 


1.  Georg.  Cypr.,  p.  35. 

2.  Greg.,  Epi9t.,  1,  76-77;  U,  77. 

Z.Nov.  25»  praef.  Cf.  Diehi,  Exarchat,  p.  84-82. 


472  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tué  à  rennemi,  joignait  incontestablement  à  la  direction  de 
son  département  civil  le  commandement  des  armées.  D'au- 
tres phénomènes,  non  moins  significatifs^  se  produisaient 
vers  le  même  temps  et  prouvaient  l'importance  croissante  que 
devait  prendre,  sous  la  pression  des  circonstances,  l'élément 
militaire  dans  l'Afrique  menacée.  Dès  546,  on  sentait  la  né- 
cessité, pour  tenir  tète  aux  invasions  berbères^  d'augmenter 
sur  la  frontière  le  nombre  des  commandements  militaires  : 
en  Byzacène,  la  garde  du  limes ^  que  Justlnien  avait  cru  pou- 
voir confier  à  un  seul  officier  général,  était  partagée  entre 
deux  duces  \  dont  l'un  résidait  à  Hadrumète  et  protégeait  la 
région  du  littoral,  tandis  que  Tautre,  sans  doute  établi  comme 
jadis  à  Thélepte  ou  à  Capsa,  surveillait  l'intérieur  du  pays. 
Ainsi  de  toutes  parts,  et  par  la  force  même  des  choses,  l'ad- 
ministration militaire,  à  laquelle  étaient  remis  les  intérêts 
essentiels  du  pays,  tendait  à  accroître  son  autorité  et  à  pren- 
dre la  première  place;  ainsi  s'annonçait,  dès  le  milieu  du 
VI*  siècle,  la  grande  transformation  qui,  réduisant  peu  à  peu 
en  gouvernement  militaire  les  anciennes  provinces  romai- 
nes, aboutira  au  vu^  siècle  au  régime  des  thèmes.  Les  circons- 
tances particulières  où  se  trouvaient  placées  les  possessions 
grecques  d'Occident  ne  pouvaient  qu'y  hâter  encore  l'évolu- 
tion qui,  vers  le  même  temps,  se  préparait  dans  tout  l'empire; 
ce  fut  l'origine  de  l'importante  réforme  qui,  sous  le  règne  de 
l'empereur  Maurice^  modifia  l'organisation  administrative  de 
l'Afrique,  comme  elle  modifiait  celle  de  l'Italie. 

Assurément,  à  la  fin  du  vi*  siècle  comme  aux  premiers  jours 
de  la  conquète^byzantine,  on  rencontre  à  Carthage  un  préfet 
du  prétoire,  et  on  l'y  rencontrera  jusqu'aux  derniers  jours  de 
la  domination  grecque  en  Afrique  *.  Sans  doute  il  est,  comme 

1.  Joh,,  VI,  49.  Cf.  ParUch,  p.  vii-viii. 

2.  Georg.  Cjpr.,  p.  33  ;  Greg.,  4,  32  (juill.  594);  10,  37,  38  (juill.  6(K>;  Jaflé- 
1785-1786);  11,  5  (oct.  600);  P.  L..  LXXX,  478  (a.  627);  P.  G.,  XQ,  364,  583 
(a.  641).  C'est  dooc  à  tort  que  Bury  (II,  347)  dit  qu'en  Afrique  le  préfet  disparut 
bientôt.  11  se  trompe  non  moins  gravement  lorsqu'il  affirme  qu'à  l'époque  de 
Justlnien  les  préfets  étaient  investis  de  l'autorité  militaire  (II,  34). 


LA  CRÉATION  DE  L'EXARCHAT  473 

jadis,  un  personnage  fort  considérable  :  on  le  salue  des  titres 
pompeux  d'Excellence  et  d'Éminence;  il  est,  sous  le  règne 
même  de  Maurice,  le  chef  incontesté  de  l'administration  civile^ 
et  sa  surveillance  s'exerce  attentivement  sur  les  actes  des 
gouverneurs  de  province  ;  le]soin  de  l'administration  financière 
lui  est  non  moins  certainement  dévolu  :  pourtant  sa  situation 
est  dès  ce  moment  singulièrement  amoindrie.  Dans  la  pensée 
de  Justinien,  le  préfet  du  prétoire  d'Afrique  devait  être  le  pre- 
mier magistrat  du  diocèse,  et  les  ducs  eux-mêmes,  chargés  de 
la  défense  des  frontières,  devaient,  dans  Tintention  primitive 
du  prince,  relever  de  son  autorité  *.  Or,  vers  la  fin  du  vi*  siècle, 
un  autre  personnage  apparaît  à  côté  de  lui  :  ce  n'est  plus  seu- 
lement, comme  autrefois,  le  magister  militum  Africae^  com- 
mandant le  corps  d'occupation,  dirigeant  Tadministration  mi- 
litaire comme  le  préfet  préside  à  l'administration  civile.  C'est 
un  magistrat  nouveau,  l'exarque,  placé  dans  la  hiérarchie 
officielle  au-dessus  du  préfet  *.  Or,  cet  exarque,  quel  rôle, 
quelles  attributions  a-t-il  dans  la  province  ?  A  l'origine,  ce 
semble,  il  a  été  tout  simplement,  comme  le  veut  ]\lommsen,  le 
successeur  de  l'ancien  magister  militumy  le  gouverneur  mili- 
taire de  l'Afrique  byzantine  ',  et  si,  pour  désigner  ses  fonctions, 
un  terme  nouveau  a  été  inventé  ^  c'est  ou  bien  que  le  nom  de 
magister  militum^  trop  prodigué  dans  les  grades  inférieurs, 
ne  suffit  plus  à  caractériser  le  chef  suprême  de  l'armée*,  ou 
bien  —  chose  plus  vraisemblable  encore  •  —  que  pour  désigner 
les  pouvoirs  extraordinaires  conférés  par  mandat  spécial  à  ce 

1.  Il  se  peut  même  que  primitivement  Jastinien  n'ait  point  pensé  à  instituer 
en  Afrique  un  magister  militum  à  côté  du  préfet.  En  tous  cas,  il  n'en  est  point 
question  dans  les  rescrits  de  534. 

2.  Greg.,5,  H;  C.  /.  L.,  VIII,  12035. 

3.  fitUM  Archiv,  XV,  p.  186. 

4.  Sur  le  nom  d'exarque,  Dielil,  Exarchat,  p.  15-16. 

5.  Neues  Archiv,  XV,  p!  185. 

6.  Il  est  certain  que  les  exarques  d'Italie  et  d'Afrique  furent  institués  dès 
Je  début  du  règne  de  Maurice.  Or,  en  589-590  le  commandant  en  chef  de  l'ar- 
mée d'Espagne  s'appelle  encore  magister  militum  Spaniae  (C.  /.  L.,  II,  3420). 
Si  donc  Texplication  de  Mommsen  était  la  vraie,  on  verrait  mal  pourquoi  ce 
personnage  aussi  ne  s'appelle  point  exarque. 


474  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

personnage,  un  titre  plus  relevé  a  para  indispensable  ^  En  tout 
cas,  àTorigine,  le  caractère  essentiellement  militaire  deTexar- 
que  parait  indéniable  ;  l'administration  civile,  théoriquement 
du  moins,  demeure  absolument  en  dehors  de  sa  compétence. 
Mais,  en  fait,  à  Tépoque  où  nous  sommes,  l'intervention  de 
l'autorité  militaire  dans  les  affaires  civiles  devient,  pour  les 
raisons  que  nous  avons  dites,  de  jour  en  jour  plus  inévitable*  ; 
etsidans  l'institution  primitive  n'apparaît  point,  officiellement, 
la  combinaison  des  deux  pouvoirs,  en  fait,  par  son  rang  hié- 
rarchiquement supérieur,  par  l'importance  croissante  qui  s'at- 
tache à  ses  attributions,  Texarque  arrive  bien  vite  à  exercer 
un  contrôle  effectif  sur  l'administration  civile  *,  et  il  finira  par 
considérer  le  préfet  «  moins  comme  un  collègue  que  comme 
un  subordonné  »  \  En  fait,  quel  qu'ait  été  le  point  de  départ, 
le  résultat  final  est  certain  :  en  Afrique  comme  en  Italie,  l'exar- 
que est  devenu  très  rapidement  le  représentant  suprême  de 
l'autorité  impériale,  le  gouverneur  général  de  la  province,  un 
véritable  vice-empereur*. 

Voilà,  dans  le  régime  administratif  établi  par  Justinien, 
un  premier  et  grave  changement.  Regardons,  un  degré  plus 
bas,  ce  qu'il  est  advenu  de  Tadministration  provinciale.  Sans 
doute,  ici  encore,  comme  dans  Torganisation  du  gouverne- 
ment central,  nous  rencontrons,  à  côté  des  administrateurs 
militaires,  des  fonctionnaires  civils  *.  La  Notice  de  Georges  de 
Chypre  montre  l'Afrique  partagée,  sous  la  haute  autorité  du 
préfet  du  prétoire,  en  éparchies  ou  gouvernements  civils^;  à 
la  tète  de  ces  circonscriptions,  la  correspondance  de  Grégoire 
le  Grand  mentionne  à  plusieurs  reprises  des  judices*;  et  si  ce 

1.  Hartmano,  Unlersuch.  z,  Gesch.  derbyz.  VerwalL  in  Italien,p.  9, 28;Diehl, 
Exarchat,  p.  17-18. 

2.  Mommseii,  /.  c,  XV,  p.  186. 

3.  HartmaiiD,  /.  c,  p.  32. 

4.  Mommseii^  /.  c,  XV,  p.  186. 

5.  Hartmann,  p.  30;  Diehl,  p.  172-175;  Bury  (U,  p.  34)  se  trompe  en  disant 
que  c'est  le  préfet  qai  prit  le  nom  d'exarque. 

6.  Zachariae,  III,  p.  10  (a.  568)  :  «  jndices  civiles  ant  militares  «. 

7.  Georg.  Cypr.,  p.  33-34. 

8.  Greg.,  1,  74;  4,  24,  26;  5,  38;  U,  5. 


Lk  CRÉATION  DE  L*EXARCHAT  415 

terme,  d'une  signification  un  peu  vague,  peut,  dans  certains 
cas,  laisser  place  à  l'incertitude  ^  il  est  incontestable  pourtant 
que,  dans  Tune  au  moins  des  provinces  du  diocèse  africain, 
en  Sardaigne,  le  praeseSy  représentant  de  l'autorité  civile,  a 
jusqu'à  l'année  627  au  moins,  subsisté  à  côté  du  dux  investi 
des  pouvoirs  militaires  ^  Donc  l'administration  civile  a  duré 
en  Afrique  de  même  que  le  préfet  qui  en  était  le  chef:  mais  si 
nous  examinons  d'autre  part,  dans  cette  même  Sardaigne, 
quels  sont  les  rapports  et  les  attributions  respectives  du  praeses 
et  du  duc,  nous  constatons  ici  une  situation  assez  analogue  à 
celle  où  le  préfet  se  trouve  vis-à-vis  de  l'exarque.  Non  seule- 
ment les  magistri  militum  qui  remplissent  les  fonctions  de  duc 
de  Sardaigne  dirigent,  ainsi,  qu'il  est  naturel,  tout  ce  qui  con- 
cerne la  guerre  ou  la  diplomatie  •,  mais  encore  ils  intervien- 
nent dans  l'administration  ordinaire  de  la  justice  et  jusque 
dans  les  affaires  de  finance.  S'agit-il  d'un  testament  dont  on 
conteste  la  validité,  c'est  au  duc,  non  dMpraeses^  que  le  pape 
recommande  la  cause,  lui  demandant  de  veillera  faire  respecter 
le  bon  droit*.  C'est  le  duc  qu'on  voit  mêlé  aux  procès  concer- 
nant les  personnes  ou  les  biens  d'Église';  et  quoique  l'admi- 
nistration civile  semble  avoir  gardé  parmi  ses  attributions  le 
soin  de  répartir  les  impôts',  le  duc  pourtant  parait  avoir  qua- 
lité pour  déterminer  les  redevances  et  corvées  des  sujets,  puis- 
qu'on lui  reproche,  précisément  en  celte  matière,  de  mal  tenir 
compte  des  intentions  bienveillantes  de  l'empereur'.  Sans 
doute,  on  peut  croire  que  dans  les  agissements  du  duc  deSar- 
daigne  il  y  a  plus  souvent  usurpation  de  pouvoir  qu'exercice 
légal  d'une  compétence  administrative  :  Grégoire  le  Grand  lui- 
même  constate  que  certains  actes  de  ce  personnage  sont  «  con- 


1.  Sur  le  sens  de  judex,  Diehl,  /.  c,  135-137. 

2.  Greg.,  9, 195;  il,  5î2;  P.  L.,  LXXX,  478. 

3.  Id.,  4,  25;  1,  46. 
4. /d.,  1,46. 

5.  /d.,  1,  59. 

6.  /d.,  11,  5,  où  la  plainte  est  adressée  au  préfet. 

7.  W.,  1,  47. 


476  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

traires  à  la  disciplina  de  Tétat  ')^  Mais  c'est  déjà  un  fait  bien 
significatif,  qu'en  présence  Axxpraeses,  ces  usurpations  puissent 
être  aussi  fréquentes.  Un  autre,  qui  ne  Test  guère  moins,  c'est 
le  rôle  effacé  du  gouverneur  civil.  Deux  fois  seulement  il  est 
question  de  lui  dans  les  lettres  de  saint  Grégoire,  et  les  cir- 
constances où  il  apparaît  ne  laissent  pas  d'être  assez  remar- 
quables. Une  fois,  nous  apprenons  en  effet  que  ce  magistrat  a 
écrit  au  pape  au  sujet  d'un  incident  qui  s'était  produit  à  Ca* 
ralis  :  or  on  observera  qu'en  même  temps  le  duc  faisait  sur  la 
même  affaire  un  rapport  au  pontife*.  Dans  l'autre  lettre  où 
«figure  le  praeses,  Grégoire  exhorte  cet  administrateur  à  tra- 
vailler à  la  conversion  des  païens  de  sa  province;  or  le  duc, 
dans  un  autre  texte,  nous  est  représenté  comme  veillant  avec 
sollicitude  aux  intérêts  de  la  foi,  et  le  pape  lui  adresse  des 
conseils  tout  semblables  '.  On  conclura  de  là  avec  quelque 
vraisemblance  qu'à  la  fin  du  vi*  siècle  les  attributions  des  deux 
pouvoirs  n'étaient  plus,  au  moins  sur  certains  points,  fort 
nettement  distinguées;  que  la  compétence  des  ducs  tendait, 
soit  par  usurpation,  soit  autrement  %  à  dépasser  le  cercle  des 
affaires  purement  militaires;  que  le  magister  miltlum^  parla 
force  des  choses,  et  peut-être  même  officiellement^,  prenait 
rang  au-dessus  du  gouverneur  civil.  Grégoire  le  Grand,  parlant 
quelque  part  des  personnages  chargés  d'administrer  la  Sar- 
daigne,  ne  pense  qu'aux  seuls  ducs  qui  successivement  ont 
gouverné  l'île*  :  tant  en  fait  le  praeses  tenait  peu  de  place,  tant 
le  pouvoir  militaire  prenait  une  importance  croissante  dans 
l'administration  des  provinces  africaines  \ 

Descendons  un  degré  encore.  Au-dessous  des  ducs,  nous 
trouvons  les  tribuns  placés  à  la  tête  des  détachements  qui 

1.  Greg.,  1,  59. 

2.  Id,,  9,  195. 

3.  Id.,  11,  22;  4,  25. 

4.  /d.,  1,  46,  où  le  pape  parie  de  Yadminislratio  da  duc. 

5.  Id.,  ^,  195  :  le  duc  est  nommé  avant  le  praeses, 

6.  W.,  1,  47. 

7.  Cf.  sur  le  développement  de  l'autorité  militaire  aux  dépens  du  pouvoir 
civil,  Harlmann,  p.  47-48,  60-61,  105;  Diehl,  p.  86-92. 


LA  CRÉATION  DE  L'EXARCHAT  477 

tiennent  garnison  dans  les  villes  :  eux  aussi  interviennent  en 
mainte  circonstance  dans  Tadministration  civile  des  cités, 
dont  ils  ont  le  commandement  militaire.  Des  exemples  em- 
pruntés à  ritalie  byzantine  suffiraient  à  montrer  ces  officiers 
intimement  mêlés  aux  affaires  de  justice  et  de  finances^  ;  le 
diocèse  africain,  dans  un  cas  tout  au  moins,  présente  une  situa- 
tion analogue.  Le  tribun  chargé  de  la  défense  de  la  Corse  n'est 
point  seulement  le  chef  des  troupes;  il  semble  également  in« 
vesti  de  Tautorité  civile;  en  effet  les  habitants  du  pays  re- 
grettent sa  bonne  administration  et  constatent  qu'en  aucune 
circonstance  il  n'a  opprimé  la  province*. 

Assurément  —  et  c'est  ce  qu'il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue 
—  en  théorie  l'institution  justinienne  subsiste  presque  tout  en- 
tière :  à  la  fin  du  vi®  siècle,  comme  en  534,  on  rencontre  dans 
l'Afrique  byzantine  une  hiérarchie  d'administrateurs  civils,  un 
préfet  du  prétoire  à  Carthage,  des  praesides  dans  les  provinces. 
Mais  dans  ces  provinces  les  commandants  militaires  usurpent 
perpétuellement  sur  les  attributions  des  autorités  civiles,  et  à 
Carthage,  un  gouverneur  général,  l'exarque,  est  le  supérieur 
incontesté  du  préfet.  Assurément  —  et  ceci  encore  doit  être 
retenu  —  il  n'y  a  point  eu  ici,  comme  dans  les  provinces  asia- 
tiques réorganisées  jadis  par  Justinien,  une  réforme  formelle 
et  régulière,  fixant  par  édit,  à  une  date  donnée,  la  compétence 
des  différents  pouvoirs.  Les  circonstances  plus  que  la  loi  ont 
accru  l'importance  des  chefs  militaires;  mais,  pour  n'être  point 
pleinement  légale,  la  transformation  n'est  pas  moins  considé- 
rable :  en  Afrique  comme  en  Italie,  la  subordination  progres- 
sive de  l'autorité  civile  à  l'armée  est  un  des  traits  caractéris- 
tiques du  régime  auquel  fut  soumis  l'Occident  byzantin*. 

Quelle  qu'ait  pu  être  d'ailleurs  la  lenteur  de  cette  évolution, 
la  création  du  titre  d'exarque  en  marque  une  étape  particu- 
lièrement importante.  Il  n'est  donc  point  inutile  de  rechercher 


1.  Diehl,  p.  H5-116. 

2.  Greg..  7,  3. 

3.  Cf.  Diehl,  /.  c,  p.  86-91. 


478         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

à  quelle  date  et  dans  quelles  circonstances  la  magistrature 
nouvelle  fut  instituée  dans  l'Afrique  grecque. 

En  Italie,  on  le  sait,  le  premier  texte  où  se  rencontre  le  nom 
d'exarque  est  la  lettre,  en  date  du  4  octobre  584,  que  le  pape 
Pelage  II  adressait  au  diacre  Grégoire  ^  C'est  quelques  années 
plus  tard  qu'apparaît,  en  juillet  591,  la  première  mention 
d'un  exarque  d'Afrique'.  Geunadius,  qui  à  ce  moment  était 
revêtu  de  ces  hautes  fonctions,  en  était-il  le  premier  titulaire? 
On  ne  sait.  Une  seule  chose  est  certaine,  c*est  qu'en  Afrique 
tout  au  moins  la  création  de  l'exarchat  date  du  règne  de  l'em- 
pereur xMaurice.  Sous  Justin  II  en  effet  et  sous  Tibère  les  tex- 
tes mentionnent  encore,  à  la  tête  de  l'armée  d'occupation,  un 
magister  militum  in  Africa^^  et  le  rescrit  adressé  en  août  582 
au  préfet  du  prétoire  Théodore  montre  qu'à  ce  moment  ce 
personnage  était,  dans  la  province,  le  chef  suprême  de  l'admi- 
nistration*; il  y  a  donc  toute  raison  de  placer  entre  582  et  591 
l'institution  de  la  nouvelle  magistrature  et  d*en  faire  hon- 
neur à  l'empereur  Maurice.  Les  circonstances  d*ailleurs  justi- 
fiaient amplement  cette  mesure.  Outre  la  tendance  générale 
que  nous  avons  signalée,  et  qui  depuis  de  longues  années 
acheminait  vers  une  réforme  de  cette  sorte  la  politique  impé- 
riale, les  conditions  particulières  où  se  trouvait  la  province 
réclamaient  de  vigoureuses  résolutions  ^  On  a  vu  de  quels 
périls  l'Afrique  avait  été  menacée  sous  Justin  et  Tibère,  de 
quels  désastres  elle  avait  souffert  :  malgré  la  victoire  de  Gen- 
nadius  sur  le  roi  Garmul,  le  pays  restait  profondément  trou- 
blé. Sans  aucun  doute,  en  Afrique  comme  enSardaigne,  sub- 
sistaient encore,  au  milieu  même  des  régions  pacifiées,  des 
ilôts  nombreux  de  populations  païennes  mal  soumises,  dont 


1.  p.  L.,  LXXII,  p.  703. 

2.  Greg.»  1,   59. 

3.  Jean  de  Biclar,a.  518;  CI.  L.,  VIII,  4354. 

4.  Zachariae,  l.  c,  III,  p.  30  (a.  582). 

5/ Lampe,  Qui  fuerint  Gregorii  Magni  temporibus.,.  exarehi,p,  3-4,  fait  une 
objection  singulière.  Il  est  fort  évident  qull  n'y  a  pas  de  Lombards  en  Afrique  : 
mais  la  situation  est  analogue  et  aussi  dangereuse. 


LA  CRÉATION  DE  L'EXARCHAT  479 

les  mouvements  exigeaient  une  surveillance  conslante  ^  Sans 
cesse,  sur  la  frontière,  des  invasions  nouvelles  étaient  à  redou- 
ter, et  en  effet  le  chroniqueur  Théophanerapporte  qu'à  la  date 
de  587  les  nations  des  Maures  firent  de  grands  troubles  en 
Afrique  '.  Il  était  donc  indispensable  d'organiser  fortement 
la  défense  du  pays  :  pour  cela,  comme  tou3  ses  prédécesseurs, 
Maurice  renforça  de  quelques  citadelles  la  ligne  des  places 
fortes  africaines,  et  en  particulier  il  fit  occuper  les  débouchés 
septentrionaux  de  la  grande  voie  de  communication  qui  tra- 
verse le  col  d'Ël-Kantaras.  En  même  temps,  il  tâchait,  on  Ta 
vuy  en  remaniant  les  circonscriptions  administratives,  de  don- 
ner plus  de  cohésion  et  de  force  défensive  aux  groupements  nou- 
veaux qu'il  constituait.  La  création  de  l'exarchat  était  le  com- 
plément naturel  de  ces  décisions.  En  nommant  un  comman- 
dant d'armée  investi  de  pouvoirs  extraordinaires,  l'empereur 
marquait  nettement  la  sollicitude  que  lui  inspiraient  les  néces- 
sités militaires  de  la  province  ;  et  un  gage  non  moins  assuré 
des  intentions  du  prince  apparaît  dans  le  choix  qu*il  fit  du 
patrice  Gennadius  pour  être  l'un  des  premiers  titulaires  du 
nouvel  emploi.  Le  vainqueur  de  Garmul  avait,  en  578,  donné 
glorieusement  en  Afrique  la  mesure  de  ses  talents  et  de  son 
énergie;  il  avait  par  ses  victoires  su  imposer  aux  indigènes  le 
respect  de  son  nom,  il  connaissait  à  merveille  le  pays  qu'il 
allait  administrer  et  défendre  ;  il  était  plus  qualifié  que  per- 
sonne pour  en  être  le  gouverneur  général.  On  conçoit  donc 
qu'après  les  désordres  de  587  Maurice  ait  fait  appel  à  cet  offi- 
cier vigoureux  et  habile;  on  voudrait  même  croire,  si  ce 
n'était  une  hypothèse  indémontrable,  que  c'est  à  ce  moment  et 
pour  lui  que  la  dignité  d'exarque  fut  créée. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  magistrature  nouvelle  n'eut 
en  aucune  façon  le  caractère  d'une  institution  extraordinaire 
et  transitoire.  Lorsque,  après  huit  ans  au  moins  de  gouver- 


1.  Cf.  Greg..  4,  25,  27;  9,  123;  Bell,  Vand,,  p.  468-469;  Cod.  Juat.,  I,  27,  2. 

2.  Théophaoe,  p.  261. 

3.  C.  /.  L,  VIU,  2525. 


480  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

nementS  Gennadius  abandonna  ses  fonctions,  Maurice  lui 
donna  pour  successeur  un  des  meilleurs  généraux  de  l'empire, 
Héraclius'y  et  les  textes  grecs  désignent  ce  personnage  par  le 
titre  absolument  militaire  de  patrice  et  stratège  d'Afrique'  : 
bien  plus,  Héraclius  est  assisté  dans  sa  charge  par  un  admi- 
nistrateur également  militaire,  le  patrice  et  hypostratège  Gré- 
goire^; et  les  documents,  nous  le  verrons  plus  tard,  montrent 
nettement  qu'entre  les  mains  de  ces  deux  hommes,  était  remis 
tout  le  gouvernement  de  la  province '.  L'exarchat  était  créé 
et  jusqu'aux  derniers  jours  de  la  domination  grecque,  TAfrique 
byzantine  garda  le  régime  administratif  que  l'empereur  Mau- 
rice lui  avait  donné . 

A  la  vérité,  le  temps  manqua  pour  que  l'évolution  com- 
mencée s'achevât*  Tandis  que  ritalie,  s'assimilant  aux  autres 
provinces  de  l'empire  d'Orient,  pouvait,  sauf  le  nom,  être  au 
milieu  du  vu*  siècle  considérée  comme  un  véritable  thème*, 
en  Afrique  les  principes  qui  avaient  donné  naissance  à  la 
transformation  n'atteignirent  point  leur  entier  développe- 
ment :  dans  l'exarchat  d'Afrique,  l'administration  civile  parait 
avoir  gardé  une  plus  grande  place  que  dans  Texarchat  de  Ra- 
venue  :  mais  dans  les  deux  gouvernements  les  causes  de  la 
réforme  étaient  identiques;  dans  l'un  et  l'autre,  on  trouve  un 
frappant  exemple  de  la  lente  transformation  d'où  sortit  le 
régime  des  thèmes  byzantins;  dans  l'un  et  l'autre  enfin,  les 
mêmes  institutions  produisirent  les  mêmes  conséquences.  En 
Afrique  comme  en  Italie,  l'éloignement  du  pouvoir  central 
rendit  ladministration  impériale  de  jour  en  jour  plus  indépen- 

i.  La  première  mention  est  de  juillet  591  (Greg.,  1,  59);  la  dernière  d*oct. 
598  (Greg.,  9,  9  et  11). 

2.  Nicéph.,  p.  3.  On  ne  saurait  dire  si  Héraclius  fut  le  successeur  immédiat 
de  Gennadius;  en  tout  cas,  nommé  par  Maurice,  il  vint  en  Afrique  avant  602. 

3.  Théophane,  p.  295,297;  Bury  (H,  p.  345)  croit  À  tort  que  ce  fat  là  une 
nouveauté  :  il  montre  bien  pourtant  rimportance  du  terme  de  orparriyuc. 

4.  Tliéophane,  ibid.  Cf.  sur  cet  adjoint  ordinaire  du  stratège,  Théophane, 
p.  256,284;  Théoph.  Simocatta,  p.  293. 

5.  Nicéph.,  p.  3-4. 

6.  Diehl,  p.  31-32;  Hartmann,  p.  72-73. 


L\  CREATION  DE  L'EXARCHAT  481 

dante';  en  Afrique,  comme  en  Italie,  les  exarques,  après 
s'être  élevés  du  rang  de  généraux  à  la  situation  de  vice-empe- 
reurs, finirent,  de  vice-empereurs  qu'ils  étaient,  par  devenir 
des  usurpateurs  2. 


III 


Toutefois  les  résultats  immédiats  de  la  réforme  furent  heu- 
reux pour  les  provinces  africaines.  Les  exarques  que  choisit 
l'empereur  Maurice  et  qu'il  eut  la  sagesse  de  maintenir  en  fonc- 
tions pendant  de  longuesannées,gouvernèrentle  pays  avecha- 
bileté  et  le  défendirent  avec  une  énergique  et  heureuse  activité. 
JeandeNikiou  mentionne  plusieurs  victoires  remportées,  sous 
le  règne  de  Maurice,  sur  les  Maurétaniens  et  les  Maures*; 
grâce àelles,  Gennadius,  en  particulier,  eut  la  bonne  fortune 
de  pacifier  une  nouvelle  fois  l'Afrique  et  d'étendre  au  loin,  avec 
le  prestige  de  ses  armes,  l'influence  de  la  religion  chrétienne. 
En  S91,  Grégoire  le  Grand  félicite  Texarque  de  l'éclat  de  ses 
victoires*,  du  succès  de  ses  opérations  militaires  %  de  la  sou- 
mission de  ses  ennemis  %  des  tentatives  qu'il  a  faites  pour  pro- 
pager la  foi  catholique  parmi  les  nations  voisines,  des  guerres 
heureuses  qu'il  entreprend  moins  pour  conquérir  que  pour 
convertir^  :  en  593,  il  le  loue  d'assurer  par  ses  triomphes  la 
sécurité  de  la  province  dont  il  a  la  garde  *  :  et  en  effet,  grâce 
aux  efforts  du  patrice,  l'Afrique  pendant  plusieurs  années 
parait  avoir  été  en  paix  et  en  tranquiIlité^  Sans  doute,  de  la 
part  des  Berbères,  des  retours  offensifs  étaient  toujours  à 

i.  Cf.  Diehl,  Z.c,  p.  291-293,  339-340. 

2.  Hartmann,  p.  105. 

3.  Jean  de  Nikiou  (éd.  Zotenberg),  p.  524. 

4.  Greg.,  1,  72. 

5.  id.,  1,  73. 

6.  irf.,  1,  59. 

7.  7d..  1,  73. 

8.  yrf.,  4,  7. 

9.  Cf:  id.,  2,  52;  6,  61. 

I.  31 


482       Histoire  de  la  domination  bVzantine  en  Afrique 

craindre;  et  les  soucis  que  donnaient  en  Orient  les  conti- 
nuelles hostilités  poursuivies  contre  les  Avares  et  les  Slaves, 
semblent  n'avoir  point  toujours  permis  d'entretenir  des  forces 
suffisantes  en  Afrique.  Aussi,  malgré  les  précautions  prises, 
de  graves  incidents  se  produisaient  parfois  :  en  595  ou  596 
un  nouveau  soulèvement  des  indigènes  vint  porter  la  terreur 
jusque  dans  Carlhage*.  L'exarque,  trop  faible  pour  résister  à 
la  multitude  dès  insurgés,  eut  recours  à  la  ruse;  il  entra  en 
négociations  avec  les  rebelles,  feignit  de  consentir  à  toutes 
leurs  exigences,  et  comme  les  Berbères,  enorgueillis  de  ce 
facile  triomphe,  croyant  la  paix  assurée,  célébraient  leur  vic- 
toire par  des  réjouissances,  Gennadius  se  jeta  sur  eux  au 
moment  où  les  fumées  du  festin  les  livraient  sans  défense  aux 
coups  des  Byzantins  :  un  butin  considérable  fut  pour  les 
Grecs  le  prix  de  la  victoire,  et  de  nouveau  grâce  au  sanglant 
écrasement  des  rebelles,  l'Afrique  se  trouva  pacifiée".  Aussi 
bien,  sous  tant  de  défaites,  Ténergie  des  Berbères  faiblissait. 
Jadis  la  peste  de  543,  en  dépeuplant  les  provinces  africaines, 
avait  été  pour  les  indigènes  l'occasion  d'un  formidable  soulè- 
vement; en  août  599  une  grave  épidémie  put  éclater  en  Afri- 
que et  pendant  toute  une  année  ravager  cruellement  la  pro- 
vince*, sans  que  les  Berbères  fissent  aucune  tentative  pour 
profiter  de  ce  désastre  :  bien  plus,  l'Afrique  était  à  ce  moment 
si  tranquille  qu'on  pouvait  songer  à  préparer  une  expédition 
pour  défendre  la  Sardaigne  contre  les  Lombards*.  En  fait,  le 
soulèvement  de  595  a  été  le  dernier  effort  tenté,  à  notre  con- 
naissance, par  les  indigènes  contre  l'autorité  byzantine  :  à  cet 
égard,  du  moins,  la  création  de  l'exarchat  avait  porté  ses 
fruits. 

i.  Théoph.  Simocatta,  7,  6,  p.  2o5. 

2.  Ibid.  :  ovTo)  pikv  ouv  xaià  Tr,v  AiSJ/jv  e5  xai  jxaXa  xxAtb;  ôieTÎO&TO  toÎ;  *Pwïi3tîoi;. 

3.  Greg.,  9,  232  ;  10,  63. 

4.  Greg.,  10,37. 


DEUXIÈME    PARTIE 
L'EXARCHAT  D'AFRIQUE  A  LA  FIN  DU  VI«  SIÈCLE 


CHAPITRE  PREMIER 


L  ADMINISTRATION  DE  L  AFRIQUE  BYZANTINE 


Si  nous  connaissons  assez  bien,  dans  ses  traits  généraux, 
Forganisalion  administrative  de  Texarchat  d'Afrique,  nous 
rencontrons  en  revanche,  dès  qu'il  s*agit  de  saisir  le  détail  des 
choses,  de  sérieuses  difficultés.  On  sait  de  combien  d'obscu- 
rités, malgré  l'abondance  relative  des  informations,  s'enve- 
loppe, vers  cette  époque,  Tétude  des  institutions  de  Tltalie  by- 
zantine; pour  TAfrique,  où  les  textes  sont  beaucoup  moins 
nombreux  encore,  à  plus  forte  raison,  les  recherches  demeu- 
rent délicates  et  compliquées;  et  au  vrai,  à  moins  de  remédier 
par  d*aventureuses  hypothèses  au  silence  des  documents,  il 
faut  se  résoudre  à  ignorer  bien  des  faits,  à  laisser  bien  des 
problèmes  sans  solution.  A  la  pénurie  des  renseignements 
s'ajoute  encore  l'embarras  qu'on  éprouve  parfois  à  interpréter 
ceux  qui  nous  restent.  Entre  l'exercice  régulier  d'une  compé- 
tence légale  et  les  usurpations  tyranniques  d'une  administra- 
tion mal  surveillée,  il  est  difficile  parfois  de  faire  exactement 
le  départ;  entre  les  attributions  ordinaires  du  fonctionnaire  et 
le  rôle  exceptionnel  que  lui  impose  la  nécessité  des  circons- 


484  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tances,  il  est  malaisé  souvent  de  tracer  la  limite  précise.  Il 
faut  donc  se  contenter,  sans  vouloir  trop  serrer  les  détails  de 
cette  organisation,  de  mettre  en  lumière  les  traits  vraiment 
caractéristiques  du  régime  :  c'est  d'une  part  la  prépondérance 
chaque  jour  croissante  de  Tautorilé  militaire  en  face  des  gou- 
verneurs civils;  c'est,  de  rautre,la  place  chaque  jour  plus  im- 
portante que  prend  TÉglise  dans  la  hiérarchie  administrative 
et  le  droit  de  contrôle  qu'elle  s'arroge  sur  les  actes  des  pou- 
voirs publics. 

I 
V exarque  â^ Afrique, 

Parmi  les  différents  représentants  de  l'autorité  impériale  en 
Afrique,  la  première  place  appartient  incontestablement  à 
l'exarque.  Seul,  entre  tous  les  fonctionnaires  de  la  province', 
il  est  revêtu  de  la  haute  dignité  de  patrice,  et  ce  titre  est  si 
bien  devenu  l'inséparable  privilège  de  sa  charge,  queTusage 
courant  désigne  fréquemment  Texarque par  la  simple  appella- 
tion de  patricius'.  La  chancellerie  officielle  le  salue  des  noms 
d'Excellence  et  d'Éminence  ^;  la  hiérarchie  lui  donne  le  pas 
sur  tous  les  autres  personnages  administratifs  et  jusque  sur 
le  préfet  du  prétoire*.  Il  habite  à  Carthage  l'ancien  palais  des 
rois  vandales,  et  à  en  juger  par  les  honneurs  rendus  à  l'exar- 

1.  Gregorii  Magni  Episiolae,  1,  59,  72,  73];  4,  7;  6,  59;  7,  3;  9,  9.  Pour  les 
neuf  premierd  livres  je  cite  Tédition  des  Monumenta;  pour  les  cinq  derniers, 
celle  de  la  Patrologie  laline,  t.  LXXVII. 

2.  Greg.,  6,  59;  7,  3;  C.  /.  L.,  VUI,  2389,  10965,  12035;  P.  G,,  XCl,  287,  354; 
Théophane,  p.  343. 

3.  Greg.,  i,  59,  72,  73.  Quelquefois  on  trouve  aussi  le  terme  de  gloria  {id., 
1,  59,  73;  6,  61). 

4.  Greg.,  5,  11;  C.  /.  I.,  VIII,  12035.  Plus  tard  le  gouverneur  d'Afrique 
s'appellera  TcatTpixtoç  xa\  (rcpoLxr^foi  (P.  G.,  XC,  l!l;  Théophane,  p.  295,  297)^ 
titre  dont  la  forme  rappelle  exactement  celui  de  patricius  et  exarchus  et  dont 
la  valeur  est  identiqne  (Hartmann,  Untersuchungen^  p.  29-30;  Rambaud, 
VEmpire  grec  au  x«  siècle,  p.  187-188). 


L'ADMINISTRATION    DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  485 

que  dltalie*,  une  pompe  presque  royale  l'environne.  Repré- 
sentant suprême  de  Tautorité  impériale,  recevant  directement 
les  instructions  du  prince  et  responsable  devant  lui  seul  des 
actes  de  son  administration",  il  règle  souverainement  toutes 
choses  dans  l'étendue  de  san  gouvernement  et  sa  compétence 
s'étend  aux  objets  les  plus  variés. 

Tout  d'abord,  il  commande  en  chef  les  forces  militaires 
cantonnées  dans  la  province,  aussi  bien  l'armée  mobile  char- 
gée des  grandes  expéditions  de  guerre  que  les  corps  de 
limitaiiei  préposés  à  la  garde  des  frontières.  Pour  assurer  la 
sécurité  du  pays  qui  lui  est  confiée,  il  prend  sans  contrôle 
toutes  les  mesures  nécessaires  à  la  dépense  '*  :  c'est  lui  qui  fixe 
l'emplacement  des  garnisons  et  les  change  quand  il  le  juge 
utile,  lui  qui  nomme  et  déplace  tous  les  officiers  rangés  sous 
ses  ordres,  lui  qui  ordonne  les  préparatifs  que  réclame  une 
entrée  en  campagne.  En  temps  de  guerre,  il  conduit  lui-même 
les  opérations  importantes,  et  ilsemble  avoir  pleine  liberté  de 
diriger  où  il  veut  l'effort  de  ses  armes*.  S'il  n'a  point  peut- 
être  un  droit  absolu  de  signer  sans  la  ratification  impériale  une 
paix  définitive  *,  pourtant  c'est  à  sa  diplomatie  qu'est  remis  le 
soin  de  régler  les  affaires  indigènes.  C'est  lui  qui  se  préoccupe 
d'assigner  aux  tribus  soumises  les  cantonnements  qu'elles 
devront  cultiver*,  lui  qui  s'applique  à  faire  pénétrer  parmi  les 
peuplades  vaincues  la  propagande  chrétienne  qui  achèvera 
Tœuvre  des  armées  \ 

Par  cette  portion  de  ses  attributions,  l'exarque  n'est  guère 
autre  chose,  on  le  voit,  que  l'héritier  du  magister  militum 
Africae  auquel  il  a  succédé.  Mais  voici  d'autres  points  où  sa 
compétence  dépasse  singulièrement  celle  de  son  prédécesseur. 


\,  Diehl,  Exarchat  de  EavennSt  p.  174-175. 

2.  Greg.,  6,  61. 

3.  /d.,4,  7;  7,  3;  9, 11. 

4.  /d.,  1,  59,  72,  73. 

5.  Cf.  Hartmann,  l.  c,  p.  30. 

6.  Greg.,  1,73. 

7.  id.,  1,  73. 


486  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Dans  une  monarchie  chrétienne  telle  qu'est  l'empire  de  By- 
zancojdes  liens  étroits  unissent  TÉglise  à  l'État,  et  les  affaires 
religieuses  se  confondent  sans  cesse  avecles  affaires  politiques. 
L'autorité  impériale  ne  saurait  donc  se  désintéresser  des  be- 
soins de  la  religion  et  des  démêlés  de  ses  ministres  :  or,X5'est 
Texarque,  représentant  suprême  du  prince  au  dedans  comme 
au  dehors,  qui  est  chargé  d'exercer  sur  le  clergé  la  surveillance 
des  pouvoirs  publics.  Jadis,  dans  l'Afrique  byzantine, le  préfet 
du  prétoire  avait  le  soin  des  relations  ecclésiastiques,  et  c'est 
lui  qui,  dans  la  querelle  des  Trois  Chapitres,  s'était  fait  Texé- 
culeur  des  ordres  et  l'instrument  des  vengeances  de  Juslinien  ; 
maintenant  cette  charge  revient  entièrement  au  palrice.  C'est 
lui  qui  intervient  dans  les  luttes  intestines  des  églises  pour 
rétablir  parmi  elles,  la  concorde  et  la  paix  '  ;  lui  qui  protège  la 
foi  orthodoxe  contre  les  assauts  des  dissidents*;  lui  qui  met  au 
service  de  la  religion  les  forces  de  l'autorité  publique  pour 
punir  les  hérétiques  ou  provoquer  les  nouvelles  conversions  », 
Non  seulement,  gardien  fidèle  du  dogme,  il  veille  à  faire  res- 
pecter les  canons  des  conciles*  et  parfois  même  préside  aux 
discussions  religieuses';  son  autorité  absolue  s*étend  égale- 
ment sur  les  personnes  :  sans  son  consentement,  les  évèques 
ne  peuvent,  même  pour  se  rendre  à  Rome,  quitter  leur  dio- 
cèse® ;  et  pour  faire  prévaloir  sa  volonté,  plus  d'une  fois,  il  lui 
arrive  d'employer  la  force.  S'il  n'intervient  point  directeinent 
dans  l'élection  des  évéques,  du  moins  il  surveille  attentivement 
les  choix  que  font  les  conciles  •  et  le  pape  lui-même  lui  recon- 
naît le  droit  de  se  mêler  des  affaires  ecclésiastiques  *.  De  même 
qu'à  côté  des  pasteurs  chargés  de  veiller  aux  intérêts  spiri- 
tuels de  l'Église,  l'empereur  se  jugeait  appelé  par  Dieu  à  être 

1.  Greg.,  l,  72. 

2.  W.,  1,  72. 

3.  /cf.,  4,  7.  ' 
4.W.J,  72;  4,  7. 

5.  P.  G.,  XCl,  287,  35*. 

6.  Greg.,  1,  72;  6,  59. 

7.  Id.y  1,  72. 

8.  /rf.,  4,  7. 


L'ADMINISTRATION   DE   L'AFRIQUE  BYZANTINE  487 

Tévêque  du  dehors,  ainsi  Texarque,  représentant  du  basileus, 
se  considérait  comme  le  conseiller  naturel,  comme  le  juge, 
presque  comme  le  supérieur  des  prélats.  Gennadius  trouve 
tout  simple  de  se  substituer  au  primat  de  Byzacène  pour  faire 
rapport  au  pape  d'un  incident  strictement  ecclésiastique*;  il 
tient  pour  fort  légitime  d'accuser  un  évêque  et  de  le  retenir 
par  violence,  au  mépris  des  ordres  du  pontife".  Il  entend  exer- 
cer sans  restriction,  à  Tégard  de  l'Église,  ses  droits  de  protec- 
teur aussi  bien  que  ses  devoirs  :  et  si,  dans  ses  actes,  la  limite 
est  parfois  incertaine  entre  la  légalité  et  Tabus  de  la  force,  en 
tout  cas,  ses  prétentions  mêmes  sontsignificflitîves  de  son  au- 
torité. 

Par  bien  d'autres  points  encore,  la  compétence  de  l'exarque 
empiète  sur  les  pouvoirs  autrefois  réservés  au  préfet.  Il  reçoit, 
en  même  temps  que  lui,  communication  des  édils  impériaux 
et  s'inquiète,  aussi  bien  que  lui,  d'en  assurer  l'exécution  '.  Il 
se  préoccupe,  comme  le  préfet  autrefois  était  appelé  à  le  faire, 
de  prendre,  en  faveur  de  l'agriculture,  les  mesures  protec- 
trices dont  elle  a  besoin  *  et  il  dirige  souverainement  l'admi- 
nistration des  domaines  impériaux  *.  Bien  plus,  il  exerce 
un  droit  de  contrôle  sur  l'ensemble  de  l'administration  civile  \ 
Non  seulement,  il  nomme  les  chefs  militaires  des  provinces, 
ducs  et  tribuns,  leur  transmet  ses  instructions,  surveille  les 
actes  de  leur  gouvernement  ^  :  c'est  là  chose  naturelle,  puis- 
que originairement  ces  officiers  ont  un  rôle  exclusivement 
militaire  :  mais  dans  un  temps  où  constamment  ils  sont  amenés 
à  se  mêler  des  affaires  civiles,  forcément  la  compétence  de 
l'exarque  s'accroît  avec  l'extension  de  leurs  attributions  ;  et  en 

i.  Greg.,  6,  59. 

2.  /rf.,  6,  61. 

3.  7rf.,  4,32  et  6,  59;  5,  3;  6,  61. 

4.  Id.,  1,  73. 

5.  Ibid.  et  l'ioterp  ré  talion  que  Mommsea  donne  du  mot  daticia  {Die 
Bewirthschaftung  des  Kirchengutes  unter  Papsi  G'^egor  1.  {Zeischr,  f.  social 
und  Wirthschaflsgesch.,  1893,  p.  49,  n,  25). 

6.  Cf.  Hartmann,  p.  30. 

7.  Greg.,  7,  3;  1,59- 


488  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

effet  le  patrice  tient  la  main  à  la  bonne  administration  de  la 
justice,  à  la  répartition  régulière  et  correcte  des  impôts  et  des 
corvées  *.  Ce  n'est  point  sans  raison  que  le  pape  l'invite  à  faire 
«  fleurir  dans  les  provinces  qui  lui  sont  confiées,  la  justice 
avec  la  liberté  *  »  et  l'engage  à  étendre  à  la  Corse  les  bienfaits 
du  bon  gouvernement  qu'il  assure  à  l'Afrique*.  L'exarque 
exerce  en  effet  une  autorité  judiciaire,  soit  qu'il  révise  les 
jugements  rendus,  soit  qu'il  cite  directement  à  son  tribunal 
les  personnes  coupables*  ;  il  prend  également  sa  part  du  soin 
des  finances,  soit  qu'il  surveille  les  actes  du  préfet,  soit  qu'il 
ordonnance  directement  les  dépenses  nécessaires  pour  l'armée. 
A  Carthage,  comme  à  Ravenne^  il  y  a  une  caisse  militaire, 
dont  le  maniement  est  confié  à  un  sacellarius  dépendant  de 
l'exarque  %  et  quoique  nous  connaissions  beaucoup  trop  im- 
parfaitement Vofficitim  de  Texarque  d'Afrique  pour  en  pou- 
voir rien  conclure  sur  les  attributions  de  ce  personnage,  à  tout 
le  moins  nous  y  constatons  la  présence  d'un  cancellarius  •  qui 
semble  avoir  qualité  pour  traiter  les  affaires  de  justice.  Il  est 
certain  du  reste  que,  pour  exercer  son  grand  commandement, 
l'exarque  était  entouré  d'un  personnel  fort  considérable,  dont 
on  peut  prendre  quelque  idée  à  l'aide  des  documents  qui 
nous  font  connaître  Vofficiumde  l'exarque  d'Italie  \  En  outre, 
comme  jadis  le  magister  militum  per  Africam,,\\  avait  auprès 
de  lui,  pour  l'assister  dans  le  soin  des  affaires  militaires  et  la 
direction  des  opérations  de  guerre,  un  lieutenant  remplissant 
les  fonctions  de  chef  d'état-major  et  assez  analogue  à  l'officier 
qu'on  appellera  plus  tard  le  domestique  du  thème  *.  En  Afri- 
que, à  la  fin  du  vi*"  siècle,  ce  personnage  portait  le  nom 

1.  Greg.,  1,  59. 

2.  Id.,  i,  59:  «  quateaus  in  paitibus  vobis  commiesis  posait  florere  cum 
libertate  justitia  ». 

3.  /rf.,  7,  3. 

4.  /d.,  7,  3. 

5.  P.  G.,  XC,  ill,  114. 

6.  Greg.,  7,  2. 

7.  Diehl,  Exarchat,  p.  181-183. 

8.  Rambaud,  /.  c,  p.  204, 


L'ADMINISTllATION   DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  489 

d'hypostratège  *,  et  comme  Texarque  il  était  revêtu  de  la  haute 
dignité  de  patrice  '  ;  on  voit,  par  ce  seul  fait,  quel  était  dans  la 
province  le  haut  rang  des  autorités  militaires  ;  on  prévoit 
combien,  en  face  d'elles,  l'administration  civile  était  de  plus 
en  plus  condamnée  à  s'effacer. 


II 


Le  préfet  (T Afrique, 

A  côté  de  l'exarque,  véritable  gouverneur  général  de  TAfri- 
que  byzantine,  le  préfet  du  prétoire  a  naturellement  perdu 
beaucoup  de  son  ancienne  importance.  Sans  doute,  on  le 
salue  encore  des  titres  d'Excellenceetd'Éminence'  ;  en  fait, il 
a  cessé  d'être  le  premier  personnage  de  la  province  et  ses  at- 
tributions sont  singulièrement  diminuées.  Jadis  —  et  jus- 
qu'en 582  —  il  était  dans  le  diocèse  le  représentant  le  plus 
élevé  de  l'autorité  publique  *  ;  c'est  par  son  intermédiaire  que 
les  sujets  faisaient  parvenir  à  Constantinople  les  requêtes 
qu'ils  adressaient  au  prince  *  ;  c'est  avec  son  consentement 
qu'ils  envoyaient,  pour  porter  leurs  plaintes,  des  ambassa- 
deurs à  la  cour  impériale®.  Jadis  —  et  jusqu'en  582  —  le 
préfet,  investi  du  droit  de  correspondre  directement  avec  le 
basileus^  recevait  communication  de  toutes  les  lois  et  déci- 
sions souveraines  et  se  chargeait  par  ses  edicta  d'en  assurer 
la  publicité  \  Maintenant,  sur  tous  ces  points,  l'exarque  est 
investi  des  mêmes  privilèges  :  et  c'est  par  le  concours  des 
deux  pouvoirs  que  sont  promulguées  les  ordonnances  impé- 

1.  Théophaoe,  p.*295,297. 

2.  Ibid.,  p.  295. 

3.  Greg.,  4,  32;  10,  37,  38  ;  II,  5. 

4.  Zachariae,  Jus  gr,  rom.,  III,  p.  13  14,  30-31. 

5.  Ibid,,  p.  14. 

6.  Ibid.y  p.  10. 

7.  Zachariae,  Z.  c,  p.  14,  31. 


490  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

riales  \  Du  moins  le  préfet  est  demeuré  le  chef  suprême  de 
Tadministralion  civile  '  ;  c'est  lui  qui  surveille  la  conduite  des 
gouverneurs  de  province,  attentif  à  proléger  les  faibles  contre 
toute  vexation  tyranniquc,  à  faire  rendre  partout  bonnejuslîce, 
à  empêcher  toute  perception  illégale  d'impôt ^  et  on  peut 
croire  que  les  praesides  dont  il  contrôle  les  actes  ne  sont  point 
nommés  sans  qu'il  intervienne  dans  leur  choix.  C'est  lui  qui 
est  chargé  de  maintenir  Tordre  public  et  de  faire  appliquer  les 
lois  *  ;  ses  attributions  judiciaires  sont  incontestables^  ;  le  rôle 
qu^il  joue  dans  l'administration  des  finances  est  d'une  impor- 
tance toute  particulière.  Tout  ce  qui  regarde  la  perception  et 
la  répartition  de  l'impôt  relève  de  sa  compétence  ;  Grégoire 
le  Grand,  se  plaignant  au  préfet  Innocent  des  impositions  ex- 
cessives que  les  gouverneurs  provinciaux  exigent  des  contri- 
buables, lui  écrit  «  que  le  remède  à  porter  au  mal  rentre  tout 
spécialement  dans  les  attributions  de  sa  charge  *.  »  Faut-il 
croire  aussi  que,  comme  jadis,  il  fait  rapport  au  prince  sur 
toutes  les  mesures  qui  peuvent  être  utiles  au  relèvement  ma- 
tériel du  pays  '?  à  tout  le  moins,  on  le  voit  activement  occupé 
de  protéger  et  remettre  en  valeur  les  domaines  de  l'Église  '. 
Faut-il  croire  que,  comme  autrefois,  le  soin  des  constructions 
militaires  dépend  encore  de  son  département  •  ?  la  chose  est 
d'autant  plus  probable  qu'on  le  trouve  chargé  d'équiper  les 
escadres  qui  iront  croiser  sur  les  côtes  de  Corse  et  de  Sar- 
daigne,  et  que  le  pape  l'informe  des  circonstances  qui  pour- 
ront réclamer  de  nouveaux  armements  *^  Comme  jadis,  il  a 

1.  Jusqu'à  la  date  de  641  le  préfet  garde  en  effet  le  droit  de  correspondre 
directement  avec  Fempereur  et  il  reçoit  directement  les  rescrits  impériaux 
{P.  G.,  XCl,  464.  Cf.  ibid.,  p.  587). 

2.  Georg.  Cypr.,  p.  33. 

3.  Greg.,  10,  38;  H,  5  ;  P.  L.,  LXXX,  478. 

4.  Greg.,  4,  32.  Cf.  Zachariae,  Z.  c  ,  p.  14. 

5.  P.  L.,  LXXX,  478-479. 

6.  Greg.,  11,  5. 

7.  Zachariae,  Z. c.,p.  14. 

8.  Greg.,  10,  37. 

9.  C.  /.  I.,Vm,  1434,  10498, 

10.  Greg.,  10,  37. 


L'ADMINISTRATION   DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  491 

dans  ses  attributions  le  règlement  de  la  police  des  cultes,  et 
il  S'inquiète  de  faire  exécuter  les  édits  portés  contre  les  dona- 
tistcs  *.  Mais  de  nouveau,  sur  tous  ces  points,  il  rencontre  ou 
le  contrôle  ou  la  collaboration  de  Texarque  :  dans  l'administra- 
tion provinciale,  constamment  ses  agents  s'effacent  devant  les 
usurpations  des  autorités  militaires,  et  par  là  l'exarque  est 
sans  cesse  amené  à  y  mettre  la  main,  ne  fût-ce  que  pour  ré- 
primer les  excès  de  ses  officiers  ;  dans  les  affaires  religieuses, 
le  patrice  intervient  autant  et  plus  que  lui  ;  pour  tout  ce  qui 
touche,  de  près  ou  de  loin,  aux  armements  et  aux  travaux  de 
défense,  le  contrôle  du  commandant  en  chef  est  inévitable  au- 
tant que  légitime.  Même  dans  l'administration  des  finances 
qui  semble  être  devenue  l'essentiel  des  attributions  du  préfet, 
le  gouverneur  général  exerce  un  droit  de  surveillance.  Ce- 
pendant, en  théorie  du  moins,  le  préfet  du  prétoire  est  demeuré 
le  chef  du  gouvernement  civil;  au  vu®  siècle  encore,  c'est  de- 
vant lui  que  les  praesides  sont  responsables  de  leurs  actes, 
c'est  à  lui  que  remontent  toutes  les  plaintes  qu'excite  la 
conduite  des  fonctionnaires  provinciaux. 

Quant  aux  nombreux  auxiliaires  qui  jadis  assistaient  le  pré- 
fet du  prétoire,  il  n'en  existe  presque  nulle  trace  dans  les  do- 
cuments de  la  fin  du  vi®  siècle.  En  570  seulement,  un  rescrit 
impérial  fait  mention  de  Xofficium  de  la  préfecture  *  :  un  autre 
témoignage  atteste  que  cet  officmm  existait  encore  dans  le 
premier  tiers  du  vu®  siècle^.  Pourtant,  on  en  conclurait  à 
tort  que  tout  ce  système  de  bureaux  a  disparu  ;  tout  au  plus, 
la  remise  de  certains  services  entre  les  mains  de  l'exarque 
avait-elle  diminué  un  peu  le  nombre  des  employés  de  la  pré- 
fecture. Mais  si  dans  l'Italie  byzantine,  où  pourtant  le  préfet 
du  prétoire  semble  avoir,  plus  qu'en  Afrique,  perdu  son  im- 


1.  Grcg.,  4,  32;  P.  G.,XCI,  460. 

2.  Zachariae,  /.  c,  p.  14. 

3.  An^yTjmç  •j'wx^^ÇsXii;,  dans  Combcfis,  Bibl.  graec.  pair,  auctarium  novissi- 
mum^  I,  p.  324,  où  il  est  fait  mention,  entre  619  et  629,  d'un  Toe^ecoTT); .  .  .  sy 

TÎù    ITpaiTCOplO). 


492        HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

portance  passée  \  nous  rencontrons  encore  autour  de  lui  un 
nombreux  état-major  de  fonctionnaires,  à  plus  forte  raison, 
des  scrinia  subsistaient  à  Carthage,  et  le  soin  de  Tadministra- 
tion  financière  les  rendait  d'ailleurs  absolument  indispensables. 
Mais  ici,  il  faut  se  résigner  à  ignorer  le  détail  des  choses  ;  on 
ne  saurait  suppléer  au  silence  absolu  des  documents. 


III 

U administration  provinciale. 

A  la  fin  du  vi*  siècle,  on  Ta  vu,  le  diocèse  d'Afrique,  en  y 
comprenant  la  Sardaigne,  était,  au  point  de  vue  civil,  partagé 
en  six  parties.  A  la  tète  de  chacune  d'elles  était  placé  un 
praeseSy  souvent  appelé  aussi  jitdex  provinciae;  et  quoique 
nous  trouvions  en  Sardaigne  seulement  la  preuve  formelle  de 
l'existence  de  ce  fonctionnaire',  il  y  a  toute  raison  de  croire 
qu'on  le  rencontrait  de  même  dans  les  autres  provinces.  Au 
moment  ofi  Justinien  réorganisait  Tltalie  byzantine  il  avait 
ordonné,  par  la  pragmatique  sanction  de  554,  que  les  judices 
provincianim  seraient  désormais  élus  par  les  évoques  et  la 
noblesse  de  chaque  province,  et  simplement  confirmés  par  le 
pouvoir  central  %  et  par  une  constitution  de  569,  Justin  II  avait 
étendu  cette  mesure  à  tout  Tempire*. 

On  peut  se  demander  si  ce  droit  de  présentation  trouvait  son 
application  dans  l'Afrique  byzantine  :  au  vrai,  on  n'en  rencon- 
tre nulle  trace,  et  les  fonctionnaires  civils  dépendaient  étroi- 
tement du  préfet.  En  fait,  c'est  de  Tautorité  centrale  qu'ils  te- 
naient toujours  leur  investiture  et  on  sait  de  reste  par  quel 

1.  Cf.  Diehl,  Exarchat,  p.  157-161,  165-167. 

2.  Ibid,,  p.  162-164. 

3.  Greg.,  9.  195  ;  U,  22  ;  P.  L  ,  LXXX,  478.  —  On  trouve  le  terme  de  judex 
employé  en  Sardaigne,  Greg.,  4,  24,  26;  5,  38;  U,  5. 

4.  Pragmatique,  12;  Nov,  (édit.  Schoell),  App.  VII. 

5.  Zachariae,  /.  c,  p.  10. 


L'ADMINISTRATION   DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  493 

moyen  on  obtenait  les  nominations.  En  vain  Justinien  et  Jus- 
tin Il  avaient  prescrit  ut  judices  absque  sttffragio  fiant^  :  le 
mal  n'avait  pu  être  enrayé.  Les  fonctionnaires  continuaient  à 
acheter  leurs  charges  et,  comme  pour  se  rembourser  de  leurs 
dépenses,  ils  pressuraient  les  provinciaux*,  les  conséquences 
du  système  étaient  déplorables  pour  la  bonne  administration 
du  pays. 

En  théorie,  lesgouverneurs  provinciaux  conservaient,  sous 
la  haute  autorité  du  préfet  du  prétoire,  toutes  les  attributions 
de  Tadminislration  civile.  Revêtus  du  titre  de  magnitudo*^  ils 
étaient  chargés  dans  leur  circonscription  de  maintenir  Tordre 
public  et  de  faire  exécuter  des  lois  impériales*;  ils  devaient 
protéger  leurs  administrés  contre  toute  violence,  et  si  des  po- 
pulations païennes  se  trouvaient  établies  sur  leur  territoire, 
déterminer  les  conditions  dans  lesquelles  elles  seraient  admi- 
ses à  y  demeurer*.  Ils  étaient  investis  de  pouvoirs  judiciaires 
et  citaient  à  leur  tribunal  toutes  les  personnes  que  ne  proté- 
geait aucun  privilège'  ;  le  soin  de  répartir  et  de  lever  des  im- 
pôts leur  était  confié^;  enfin  ils  se  mêlaient  des  affaires  reli- 
gieuses, exécutant  les  lois  contre  les  dissidents',  mettant  leur 
influence  au  service  des  missionnaires®,  surveillant  les  agisse- 
ments des  personnes  ecclésiastiques^'^,  et  ils  ne  craignaient  pas 
même  d'usurper  parfois  en  ces  matières  et  de  faire  durement 
sentir  aux  prêtres  ou  aux  établissements  religieux  le  poids  de 
leur  autorité**.  Il  semble  donc  qu'ils  exerçaient  comme  jadis 
dans  toute  leur  plénitude,  les  pouvoirs  de   Taduiinistration 


1.  Nov,  8;  Zachariae,  l,  c,  p.  11-12. 

2.  Greg.,  5,  38. 

3. /d.,  9,195;  11,  22. 

4.  Id.,  9,  195. 

5.  /d.,5,  38. 

6.  Id.y  H,  5;  4,24. 

7.  W.,  5,  38;  H,  5. 

8.  W.,  9, 195. 

9.  W.,  11,22. 

10.  W.,  9,  195. 

11.  W.,  4,  24,  26;  P.  L.,  LXXX,  478. 


494         rtlSTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

civile;  mais  en  réalité,  comme  le  préfet  leur  chef,  sans  cesse 
ils  rencontraient  en  face  d'eux  d'autres  puissances  dont  Tac- 
tion  venait  limiter  leur  compétence.  Le  développement  de  la 
juridiction  épiscopale  enlevait  à  leur  tribunal  un  grand  nombre 
de  causes  *  ;  les  usurpations  des  gouverneurs  militaires  enta- 
maient sur  bien  des  points  leurs  attributions.  Il  n'est  peut-être 
pas  une  affaire,  légalement  réservée  aux  magistrats  civils,  sur 
laquelle  le  duc  ou  le  tribun  ne  vienne  à  Toccasion  mettre  la 
main;  de  cette  sorte,  quoique  le  praeses  subsiste  dans  la  pro- 
vince comme  représentant  de  l'autorité  civile,  en  fait,  il  est 
constamment  soumis  au  contrôle  du  chef  militaire*. 

En  effet,  à  côté  des  éparchies,  d'autres  circonscriptions  ad- 
ministratives se  rencontrent  dans  Texarchat  d'Afrique  :  ce  sont 
les  gouvernements  militaires  ou  duchés*.  A  l'exception  de  la 
Proconsulaire  qui,  plus  éloignée  des  frontières,  ne  compor- 
tait point  un  régime  de  cette  sorte,  et  dont  Texarquc,  résidant 
à  Carthage,  avait  pu  d'ailleurs  se  réserver  l'administration  di- 
recte*, toutes  les  autres  provinces  étaient,  pour  assurer  la  dé- 
fense du  territoire,  organisées  en  confins  militaires.  Deux 
ducs  étaient  chargés  de  défendre  la  Byzacène*,  et  résidaient, 
l'unàBadrumète,  l'autre  à  Capsaou  à  Thélepte  :  enNumidie, 
un  autre  duc  commandait  le  corps  d'occupation,  mais  il  n'était 
plus  comme  jadis  fixé  à  Constantine  :  du  moins,  au  milieu  du 
vu*  siècle,  il  semble  avoir  été  établi  à  ïigisis,  au  centre  de  la 
seconde  ligne  de  défense  de  la  province  :  son  autorité  conti- 
nuait, au  reste,  à  ce  moment,  à  s'étendre  jusqu'aux  citadelles 
qui  bordent  le  flanc  septentrional  de  ^Aurès^  En  Sardaigae 


i.  Bethmann-IIoUweg,  Civi/procesSy  p.  111,  122  seq.  ;  Zacharia<*,  Gesch. 
des  gr,  rdm.  Rechts.,  p.  35S.  . 

2.  Cf.  Hartmann,  /.  c,  p.  41-43. 

3.  Le  terme  se  trouve  dans  Greg.,  1,  47. 

4.  Cf.  une  situation  analogue  en  Italie  (Diehl,  Exarchat,  p.  24-25). 

5.  Joh  ,  VI,  49.  Le  magister  militum  Théodore,  qu'une  lettre  de  Grégoire 
(9,  27)  nomme  en  Byzacène  à  la  date  d'octobre  598,  parait  être  un  duc  pro- 
vinciaL 

6.C./  L.,  VIII,  2389.  Inscr. de Kiienchela(Ow//.  rf€5/ln/«9ttflt;'e.s  1895,  p.  171). 


L'ADMINISTRATION  DE   L'AFRIQUE  BYZANTINE  49S 

égalemeat,  un  duc  est  nommé  à  côté  àapraeses\  Aucun  ren- 
seignement tout  à  fait  précis  ne  nous  renseigne  sur  la  condi- 
tion des  Maurétanies.  II  est  probable  qu'au  moment  où  les 
débris  de  la  Césarienne  furent  réunis  à  la  Sitifienne,  le  duc 
autrefois  placé  par  Justinîen  à  Caesarea  transporta  à  Sitifis  le 
siège  de  son  commandement.  Quant  à  la  Maurétanie  seconde, 
devenue  une  province  très  importante,  elle  reçut  sans  doute  un 
commandant  militaire  d*un  grade  supérieur  au  tribun,  jadis 
chargé  par  Juslinien  de  défendre  Septem.  Dans  la  partie  espa- 
gnole de  la  province,  on  trouve  à  Malaca,  à  la  date  de  603,  un 
certain  Comitiolus,  auquel  Grégoire  le  Grand  donne  Tépithète 
de  (/loriosus^y  généralement  réservée  à  cette  époque  aux  ducs 
et  aux  magistri  milituni^  et  qui  est  incontestablement  un  offi- 
cier de  l'administration  byzantine.  Ce  personnage  était-il  in- 
vesti du  commandement  militaire  de  toute  la  province?  la 
chose  est  possible,  encore  qu'aucune  preuve  formelle  n'en 
puisse  être  fournie.  Plus  tard,  après  que  Malaca  fut  tombée  aux 
mains  des  rois  wisigoths,  Septem  à  son  tour  devient  la  rési- 
dence d'un  officier  de  grade  assez  élevé.  Il  porte  le  titre  de  comte, 
le  qualificatif  de  gloriosus*^  et  il  est  vraisemblable  que  ses 
fonctions  étaient  analogues  à  celles  du  duc.  En  tous  cas,  on 
peut  admettre  a  priori  qu'en  constituant  dans  l'ouest  africain 
la  nouvelle  et  vaste  circonscription  administrative  de  Mauré- 
tanie seconde,  si  éloignée  du  gros  des  possessions  byzantines, 
on  lui  donna  nécessairement  les  chefs,  civil  et  militaire,  qu'on 
trouve  vers  le  même  temps  dans  les  autres  provinces  de  l'exar- 
chat. 

Avant  d'essayer  de  définir  les  attributions  des  ducs,  une 
difficulté  reste  à  résoudre.  Dans  une  lettre  de  Grégoire  le 


i.  Greg.,  1,  47  (Edanlias  en  S89j  ;  1,  46,  47,  o9  (Théodore  en  591)  ;  4,  25 
(Zabardas  en  594)  ;  9,  70,  195  (Eupaterius  eu  598). 

2.  Greg.,  13,  45. 

3.  P.  L.,  XGVI,  416.  Cf.  Duchesne,  Bibl.  de  VÉcole  des  Chartes^  1891,  p.  19, 
qui  voit  dans  ce  personnage  un  officier  byzantin.  Cf.  Isidore  Pacensis,  c.  40,  et 
P.  L.,  XCH)  427,  où  l'on  voit  que  Septem  est  le  siège  d'un  grand  comman- 
dement militaire. 


496  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Grand,  en  date  d*août  591,  il  est  fait  mention  d'un  personnage 
portant  le  titre  de  magister  militum  Africae^  et  Ton  a  supposé 
avec  quelque  vraisemblance  que  cet  officier  était,  sous  la 
haute  autorité  de  Texarque,  chargé  de  la  direction  des  choses 
militaires,  comme  le  préfet  du  prétoire  avait,  sous  le  contrôle 
du  patrice,  le  soin  de  l'administration  civile*;  il  correspon- 
drait assez  exactement,  dans  ce  cas,  à  VbT^Qtr.goLvr^hq  que,  dix 
ans  plus  tard,  on  trouve  adjoint  au  stratège*.  Incontestable- 
ment, rhypothèse  est  séduisante,  et  elle  jetterait  un  jour  cu- 
rieux sur  Tinstitution  de  Texarchat;  au  lieu  d'être  simple- 
ment le  successeur  du  magister  militum  per  Africam,  l'exar- 
que serait  vraiment  alors  un  magistrat  nouveau,  investi  de 
pouvoirs  extraordinaires,  et  auquel  furent  subordonnés  les 
anciens  chefs  de  l'administration  africaine,  conservés  tous 
deux  à  un  rang  inférieur  dans  le  régime  nouveau.  Malheureu- 
rement  la  lettre  de  Grégoire  le  Grand  laisse  quelque  place  au 
doute.  Tout  d'abord,  on  se  demandera  si  le  personnage  oc- 
cupe vraiment  une  fonction  publique  :  Gaudiosus  est  donné 
en  effet  comme  un  habitant  de  la  province,  homme  de  sens  et 
de  loyauté,  toujours  prêt  à  mettre  son  influence  personnelle 
au  service  de  ses  concitoyens,  et  à  offrir  le  secours  de  ses  con- 
seils aux  judices  qui  viennent  gouverner  l'Afrique.  Fort 
estimé  des  représentants  de  l'autorité,  qui  sont  heureux  de 
diriger  d'après  ses  avis  les  actes  de  leur  administration,  pour- 
tant il  ne  semble  prendre  aucune  part  directe  au  gouverne- 
ment du  pays  :  en  somme  il  apparaît  comme  un  grand  pro- 
priétaire, ayant  servi  jadis  dans  les  rangs  de  l'armée  impériale, 
et  conservant,  dans  sa  retraite,  une  situation  due  tout  ensem- 
ble à  son  expérience  et  à  ses  services  passés.  En  tout  cas, 
même  en  écartant  cette  explication,  il  demeure  difficile  de 
voir  en  lui  le  supérieur  hiérarchique  des  autres  officiers  de 
l'armée  d'Afrique  :  il  reçoit  seulement  en  effet  le  titre  de  glo- 
ria,  auquel  ont  droit  tous  les  autres  magistri  militum  et  ducs 


1.  Greg.,  1,  74  et  l'hypothèse  d'Ewald  dans  réditioQ  des  Monumenta,  p.  94. 

2.  ThéophaDe,  p.  295,  297. 


L'ADMINISTRATION  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  491 

de  la  province  :  s'il  était  leur  chef,  il  serait  honoré  assurément 
d'une  épîthète  plus  retentissante  *• 

Entre  Texarque  et  les  ducs,  il  n'existe  donc,  suivant  nous, 
aucun  degré  intermédiaire.  Directement  nommés  par  le  pa- 
trice,  et  pouvant  être  par  lui  relevés  de  leurs  fonctions,  res- 
ponsables devant  lui  seul  des  actes  de  leur  administration', 
les  ducs,  qui  généralement  ont  dans  Tarmée  le  grade  de  ma- 
gister  militum  %  réunissent  comme  leur  chef  des  attributions 
fort  diverses.  Avant  toute  chose,  ils  ont  comme  autrefois  le 
commandement  des  troupes  cantonnées  dans  leur  province, 
la  direction  de  toutes  les  opérations  militaires  qu'exige  la 
défense  du  pays;  ils  sont  autorisés  à  régler,  sans  doute  sous 
réserve  de  la  ratification  de  l'exarque  ou  de  l'empereur,  les 
conditions  auxquelles  se  fera  la  soumission  des  populations 
vaincues,  et  chargés  de  surveiller  la  conduite  des  tribus  éta- 
blies sur  leur  territoire*.  Naturellement  ils  ont  le  droit  de 
juridiction  sur  les  soldats  placéssous  leurs  ordres,  surles  per- 
sonnes attachées  à  leur  offichim^,  sur  tous  ceux  qui  de  près  ou 
de  loin  appartiennent  à  Tarmée,  sur  toutes  les  causes  mêmes 
où  Tune  des  parties  est  de  condition  militaire*.  Mais  en  fait, 
sinon  en  droit,  ils  étendent  constamment  au  delà  de  leurs 
attributions  régulières  leur  action  dans  le  domaine  des  fonc- 
tionnaires civils.  Placés  au-dessus  d'eux  dans  la  hiérarchie 
officielle  "^^  revêtus  du  titre  de  vir  gloriosus^^  tandis  que  les  jorûe- 
sides  ne  portent  que  celui  de  vir  magnificvs^y  ils  sont  incontes- 
tablement les  premiers  personnages  de  la  province,  et  Timpor- 


1.  On  pourrait  à  la  rigueur  supposer  que  Gaudiosus  a  été  magistermilitum 
Africae  avant  l'institution  de  l'exarchat,  mais  c'est  peu  vraisemblable. 

2.  Greg.,  1,59. 

3.  id.,  i,  47,  59.  Cf.  Hartmann,  /.  c,  p.  56-57. 

4.  Greg.,  4,  25. 

5.  Id.,  1,  46. 

6.  Diehl,  Exarchat,  p.  143  ;  Hartmann,  p.  60. 

7.  Greg.,  9,  193. 

8.  M.,  1,  46,47,  59:  4,  25  ;  9,  195. 

9.  ld,y  9,  195;  11,  22.  Or  les  tribuns  sont  également  magnifici  {id.,  9,  112, 
174,  205). 

I.  32 


498  HISTOIRE  DE  LA  DOVIINATION  BYZWTINE  ES  AFRIQUE 

lance  de  leur  situation  facilite  singulièrement  leurs  excès  de 
pouvoir.  Aussi  les  voit-on  s'associer  aapraeses  pour  mainte- 
nir Tordre  public  et  faire  exécuter  les  lois  impériales  *  ;  ils 
évoquent  à  leur  tribunal  des  causes  purement  civiles*,  ils  s'oc- 
cupent même  des  affaires  de  finance,  et  c'est  à  eux  que  l'em- 
pereur confie  parfois  le  soin  d'opérer  les  dégrèvements  d'im- 
pôts et  de  régler  les  diminutions  de  corvées'.  Il  n'est  pas 
rare  que  de  leur  autorité  propre  ils  imposent  aux  provinciaux 
des  contributions  extraordinaires'.  Enfin  ils  se  mêlent  aux 
affaires  religieuses,  protégeant  les  missionnaires*,  combattant 
les  dissidents,  surveillant  la  conduite  des  évêques**,  interve- 
nant, pour  en  décider  au  gré  de  leur  caprice  ou  de  leur  intérêt, 
dans  les  conflits  des  autorités  ecclésiastiques \  A  chaque  pas, 
ils  entravent,  on  le  voit,  l'action  des  praesides  placés  à  coté 
d'eux,  et  la  fréquence  des  plaintes  relatives  à  leurs  empiéle- 
ments  prouve,  mieux  que  tout  autre  fait,  le  développement 
croissant  de  leur  prépondérance*. 

Pour  Taider  dans  ses  fonctions,  le  duc  avait,  auprès  de  lui, 
un  certain  nombre  d'of/iciales  *  dont  malheureusement  nous 
ignorons  les  attributions  précises.  En  tout  cas,  ces  employés, 
relevant  uniquement  du  magistrat  auquel  ils  étaient  attachés, 
n'ayant  que  lui  pour  juge  abusaient  sans  scrupule  de  la  part 
d'autorité  qui  leur  était  déléguée  :  et  leurs  excès  de  pouvoir 
attestent,  au  moins  autant  que  ceux  de  leurs  chefs,  le  rôle  que 
tenaient  dans  les  provinces  les  représentants  de  l'autorité  mi- 
litaire. 

Au-dessous  des  ducs,  d'autres  officiers,  les  tribuns,  tendaient 
également  à  devenir  des  administrateurs.  Investis  générale- 


1. 

Greg., 

9,  195. 

2^ 

W.,  1, 

46. 

3. 

/d.,  1, 

47. 

4. 

irf.,  1, 

47,  59. 

5. 

W.,  4, 

25. 

6. 

/d.,9 

195. 

7. 

W.,  9, 

27. 

8. 

Cf.  Diehl,  Exarchat,  p. 

143-146. 

9. 

Greg. 

1,46. 

L'ADMINISTRATION  DE   L'AFRIQUE  BYZANTINE  499 

ment  du  commaadement  militaire  d'uae  ville  ou  d'une  cita- 
delle, parfois  même  chargés  de  la  défense  d'une  portion  plus 
étendue  de  la  province*,  ils  arrivent  naturellement  à  exercer 
tous  les  pouvoirs  en  des  points  où  ils  sont  souvent  les  seuls 
représentants  du  gouvernement  impérial  *.  Placés  d'ordinaire 
sous  Tautorité  du  duc,  ils  semblent,  quand  leur  commande- 
ment est  de  quelque  importance,  relever  directement  de  Texar- 
que;  c'est  le  cas  en  particulier  pour  le  tribun  chargé  du  gou- 
vernement de  la  Corse  '.  Malheureusement  nous  ne  rencontrons 
point,  dans  le  diocèse  d'Afrique,  d'autres  exemples  qui  nous 
montrent  rextension  de  la  compétence  de  ces  officiers  :  mais 
les  textes  relatifs  à  Tltalie  byzantine*  permettent  de  supposer 
que  la  transformation  constatée  dans  Tadministration  provin- 
ciale s'accomplit  vers  le  même  temps  dans  l'organisation 
municipale. 


IV 
Les  autres  officiers  de  [administration  byzantine. 

Si  nous  connaissons  à  peu  près  exaclement  les  chefs  des 
différents  services  administratifs,  il  faut  nous  résigner  à  ignorer 
presque  complètement  la  série  des  employés  subalternes  qui 
les  assistaient  dans  leurs  fonctions  :  tout  au  plus  peut-on,  au 
moyen  de  quelques  indications  sommaires,  entrevoir  le  mé- 
canisme de  Tadministration  des  finances  et  le  rôle  de  quelques- 
uns  des  fonctionnaires  qui  y  étaient  attachés. 

En  Afrique  comme  en  Italie,  le  domaine,  on  le  sait,  possédait 
des  propriétés  considérables  *;  il  fallait  donc  que  la  res  privata 
eût  en  Afrique  ses  représentants.  A  l'époque  de  Justinien,  on 

i.  Greg.,  7, 3.  Cf.  la  môme  chose  eu  Apulie  et  en  Calabre  {id.j  ^\  112,  174,  20«). 

2.  Hartmann,  Z.  c,  p.  37-58,  60. 

3.  Greg.,  7,  3. 

4.  Diehlj  Exarchat,  p.  115-116. 

5.  Cf.  Hartmann,  p/,74-76  et  Greg-^  1,73  {dalicia.) 


500  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Ta  VU,  la  domus  divina  avait  des  agents  dans  la  province  *  ;  plus 
tard,  à  la  fin  du  vi"  siècle,  on  trouve  en  Italie  des  employés  du 
fisc,  désignés  par  les  noms  de  cornes  privatarum  ei  de palatirii 
privatarum* \  il  est  probable  que  des  fonctionnaires  du  même 
ordre  étaient  chargés,  dans  Texarchat  d'Afrique,  d'administrer, 
sous  la  haute  autorité  de  Texarque,  les  domaines  impériaux*. 

L'administration  du  trésor  public  réclamait  un  personnel 
plus  considérable.  On  sait  avec  quelle  insistance  les  constitu- 
tions impériales  recommandent  de  faire  rentrer  exactement 
les  impôts,  et  les  plaintes  fréquentes  que  soulève  la  rigoureuse 
perception  des  contributions  attestent  que  ces  instructions 
étaient  attentivement  obéies  *•  Pour  percevoir  le  tributiim  levé 
sur  la  propriété  foncière  '*  et  qu'aggravait  encore  pour  les  pos- 
sessores  le  poids  de  la  coempiio,  de  l'èTuiôcX-r;,  des  corvées 
{angàriae)  de  toute  sorte  ®,  pour  faire  acquitter  les  taxes  qui 
frappaient  l'industrie  et  le  commerce,  par  exemple  l'impôt  sur 
la  navigation  [nauticatioY ,  dont  parlent  quelquefois  les  docu- 
ments, il  fallait  de  nombreux  fonctionnaires.  En  Italie,  on  ren- 
contre, employés  à  ces  divers  offices,  des  palatini  sacrarum 
largitionurrij  des  susceptores  et  des  collectarii,  un  erogator  '  :  on 
peut  croire  que  l'administration  des  finances  comportait  en 
Afrique  des  agents  de  même  sorte  ;  mais  les  seuls  qui  nous 
soient  connus  d'une  manière  certaine  sont  les  commerciaires. 

Depuis  la  fin  du  vi"  siècle,  on  trouve,  dans  chaque  province 
de  l'empire,  des  fonctionnaires  chargés  de  percevoir  les  droits 
de  douane,  et  d'une  manière  générale  les  impôts  divers  qui, 
sous  le  nom  de  xo{jL;ji.epy.t5v,  étaient  prélevés  en  argent  ou  en 
nature  sur  l'agriculture  et  sur  le  commerce  :  ces  commer- 

1.  C. /.  L.,VUl.  14329. 

2.  Diehl,  Exarchat,  p.  159-160  ;  Hartmann,  p.  77-78. 

3.  Cf.  la  Novelle  de  Tibère  de  divinis  domibus  (Zachariae,  /.  c,  III,  p.  24), 
et  Mommsen,  Die  Bewirthschaftung  (/.  c). 

4.  Greg.,  5,  38;  11,  5. 

5.  Cf.  Zachariae^  l,  c,  p.  14. 

6.  Greg.,  1,  59. 

7.  Lib,  pontif.,  p.  344.  Cf.  Greg.,  12,  26. 

8.  Cf.  Diehl,  Exarchat^  p.  159-160,  163-164;  Hartmann,  p.  95-100. 


L'ADMINISTRATION  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE  501 

ciaires  étaient  établis  dans  tous  les  ports  importants,  dans 
toutes  les  villes  où  se  faisait  un  trafic  notable,  et  partout  où 
se  tenait  un  marché  fréquenté  :  outre  la  perception  des  impôts, 
ils  étaient  chargés  de  l'administration  des  magasins  et  entre- 
pôts publics  (aTucÔT^^xai),  où  étaient  centralisés  les  produits  de 
ces  contributions  *.  A  la  tête  du  service  était  placé,  dans  chaque 
province,  un  commerciaire  en  chef,  résidant  dans  la  capitale 
de  la  circonscription  administrative.  On  voit  quel  était  dans 
le  système  financier  de  Tempire  le  rôle  considérable  attribué 
à  ces  personnages;  au  reste,  les  titres  dont  ils  sont  revêtus  sur 
leurs  sceaux  disent  assez  leur  importance  :  ce  sont  le  plus 
souvent  d'anciens  préfets  (àxo  èxipxwv)  ou  d'anciens  consuls 

Le  Musée  de  Saint  Louis  de  Carthage  possède  un  certain  nom- 
bre de  sceaux  ayant  appartenu  à  des  commerciaires  d'Afrique*  ; 
tous  portent,  sur  une  de  leurs  faces,  Teffigie  du  prince  sous  le 
règne  duquel  ils  furent  frappés  ;  c'est  tantôt  celle  de  Cons- 
tant II  ',  plus  souvent  celle  de  deux  empereurs,  où  il  faut  re- 
connaître sans  doute,  pour  les  plus    anciens,   Justin  II  et 
Tibère*,  et  pour  les  plus  récentsdeux  souverains  du  vu»  siècle, 
soit  Héraclius  II  et  Héracléonas,  soit  Constantin  Pogonatet 
son  fils.  Les  uns  portent  des  légendes  latines,  et  le  titre  de 
commerciarius  Africae  ^  ;  les  autres  ont  des  inscriptions  grec- 
ques et  joignent  à  l'indication  de  la  fonction  la  dignité  d'airà 
ÛTraTwv  ou  d'iro  exap^wv*.  Dans  la  disette  extrême  d'informations 
où  nous  sommes  réduits  pour  Tétude  de  l'administrationbyzan- 
tine  en  Afrique,  ces  monuments  offrent  un  très  vif  intérêt  ;  ils 


1.  Schlumberger,  Sigillographie  byzanline,  p.  470-471. 

2.  Delhitre,  Plombs  byzantins  de  Carthage  {Missions  catholiques^  1887,  p.  524), 
Il  faut  lire  commerciarius  Africae  et  non  pas  cornes  Africae. 

3.  Cf.  Schlumberger,  l.  c  ,  p.  317-318. 

4.  Jbid.,  p.  197-198, 195,  296. 

5.  Delattre,  l,  c.,p.  524  et  BuiL  de  l'Académie  d'Hippone,  1893. 

6.  On  trouve  en  Afrique  d'autres  personnages  portant  les  litres  de  àith  eirap- 
-^(0v  ou  d*ex-consuls,  mais  sans  indication  de  fonctions  administratives  (De- 
lattre,  /.  c.,p.  508,  525). 


502  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

montrent  en  effet  comment,  jusque  dans  radminislration 
financière,  qui  lui  était  spécialement  réservée,  le  préfet  du 
prétoire  vit,  au  vii^  siècle,  diminuer  l'étendue  de  ses  attribu- 
tions; de  plus  en  plus,  par  Timportance  croissante  des  autorités 
militaires  autant  que  par  la  transformation  des  autres  institu- 
tions, l'Afrique  tendait  à  devenir  un  véritable  thème. 


CHAPITRE  II 


l'église  d'afrioue  et  l'administration  byzantine 


I 

La  sollicitude  de  Tempereur  Maurice  ne  paraît  point  s'être 
seulement  appliquée  à  assurer  par  une  décisive  réforme  la 
défense  des  provinces  africaines.  En  même  temps  qu*il  créait 
Texarchat,  en  môme  temps  qu'il  s'efforçait,  par  d'énergiques 
mesures,  d'arrêter  la  diminution  croissante  des  effectifs  mili- 
taires *,  il  se  préoccupait,  à  l'intérieur  de  l'empire,  d'améliorer 
le  sort  des  sujets.  Il  s'appliquait  à  alléger  les  lourdes  charges 
que  l'impôt  faisait  peser  sur  les  propriétaires  et  les  habitants 
du  diocèse  d'Afrique  •  ;  il  surveillait  attentivement  Tadminis- 
tration  des  fonctionnaires,  et  exigeait  d'eux,  au  sortir  de 
charge,  des  comptes  scrupuleusement  rendus';  il  adoucissait 
pour  les  dissidents  la  rigueur  des  lois  de  Justinien  ;  sous  son 
règne,  les  juifs  demeurèrent  paisiblement  en  possession  de 
leurs  synagogues,  et  il  fut  rigoureusement  interdit  de  chercher 
par  violence  à  les  convertir*.  Les  donatistes  profitèrent  de  la 
même  tolérance  ;  on  leur  permit  d'avoir  leurs  églises,  leurs 
évêques,  sous  la  seule  réserve  que  ces  prélats  n'ambitionne- 
raient point  le  titre  de  primat  et  la  direction  religieuse  de  la 

1.  Greg.  Magni  Epist.,  3,  6î,  64.  On  voit,  8, 10,  que  la  loi  concerne  aussi  l'Afri- 
que. 

2.  7d.,  1,  47. 

3.  /rf.,  3,  61,  64;  8,10. 

4.  /d.,  9,  195.  Cf.  8,  25;  9,  38. 


504  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

province  *,  et  grâce  à  la  bienveillance  non  dissimulée  del'ad- 
minislration  impériale  *,  Thérésie  donaliste  eut  en  Numidie 
un  regain  de  prospérité.  C'est  qu'en  face  des  périls  qui  de 
toutes  parts  menaçaient  l'empire  au  dehors,  Maurice  sentait 
profondément  la  nécessité  de  maintenir  la  paix  intérieure  ;  et 
de  même  qu'il  tâchait  d'étouffer  en  germe  les  questions  im- 
portunes qui  pouvaient  provoquer  un  scandale  ou  un  trouble, 
ainsi  il  s'efforçait  d'apaiser  les  dissidences,  de  calmer  les  mé- 
contentements, d'attacher  fortement  les  sujets  à  cette  mo- 
narchie byzantine  qui,  sous  l'œil  des  barbares,  avait  plus  que 
jamais  besoin  d*union  pour  la  défense  '. 

Malheureusement  ces  bonnes  intentions  ne  furent  qu'im- 
parfaitement réalisées.  Assurément  Grégoire  le  Grand  vante 
la  prospérité  que  l'Afrique  connut  sous  la  bonne  administra- 
tion de  Gennadius*,  et,  en  effet,  parmi  les  plaintes  innombra- 
bles qui  de  toutes  les  provinces  viennent  dénoncer  à  Rome 
les  abus  des  gouverneurs,  bien  peu  se  rapportent  aux  actes 
des  fonctionnaires  de  l'Afrique  propre*.  Mais  d'une  part  les 
besoins  de  la  guerre  et  la  disette  lamentable  du  trésor  public 
obligeaient,  quoi  qu'on  en  eût,  à  exiger  les  impôts  avec  la 
dernière  rigueur;  d'autre  part,  dans  ces  provinces  byzantines 
d'Occident,  soustraites  par  leur  éloignement  au  contrôle  in- 
cessant du  pouvoir  central,  la  discipline  administrative  se 
relâchait  gravement.  L'exarque  et  le  préfet  négligeaient  plus 
d'une  fois  de  faire  exécuter  les  édits  qui  leur  étaient  transmis 
de  Constantinople*,  et,  à  l'exemple  de  leurs  chefs,  les  ducs,  les 
praesideSy  surtout  lorsqu'ils  administraient  quelque  district 
écarté  comme  la  Sardaigne  ou  la  Corse,  en  prenaient  fort  à 


1.  Greg.,  1,73. 

2.  /d.,  6,  59,  61.  Cf.  4,  32. 

3.  Sur  cette  politique  des  empereurs,  cf.  Diehl,  Exarchat,  p.  389-398.  Cf. 
Greg.,  5,  39  ;  7,  30. 

4.  Greg.,  7,  3  :  «  bonum  vestrum  quod  testatur  Africa.  » 

5.  J'entends  parler  ici  seulement  des  plaintes  relatives  à  des  actes  pure- 
ment administratifs. 
6.  Greg.,  6,  61. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  ET  L'ADMINISTRATION  BYZANTINE  505 

Taise  avec  les  ordres  du  prince,  et  y  contrevenaient  ouverte- 
ment*. De  là  naissaient  pour  les  sujets  des  exactions  innom- 
brables. Pour  suffire  aux  demandes  d'argent  qui  venaient  du 
trésor,  on  faisait  rentrer  les  impôts  avec  une  exactitude  si 
cruelle,  qu'en  Corse  les  contribuables  étaient  réduits  à  vendre 
leurs  fils  comme  esclaves,  et  que  les  propriétaires  désespérés 
abandonnaient  leurs  domaines  pour  s'enfuir  chez  les  barbares*. 
Pour  satisfaire  leur  avidité,  les  fonctionnaires  étaient  plus 
oppressifs  encore,  et  leur  imagination  inventive  trouvait  mille 
prétextes  aux  vexations.  Tantôt  le  montant  des  impôts  était 
illégalement  augmenté,  ou  plus  simplement  encore,  on  récla- 
mait le  tribut  deux  fois  de  suite  *  ;  tantôt  on  exigeait  des  popu- 
lations païennes  une  taxe  pour  tolérer  leur  idolâtrie,  et  après 
qu'elles  s'étaient  converties,  on  continuait  à  percevoir  la  même 
redevance  4  ;  ailleurs,  on  mettait  la  main  sans  scrupule  sur 
les  biens  des  établissements  ecclésiastiques,  on  pillait  les  pro- 
priétés qui  appartenaient  aux  institutions  de  charité  *.  Contre 
les  faibles,  contre  les  pauvres,  on  multipliait  les  violences  :  le 
duc  de  Sardaigne  laisse  ses  hommes  battre  et  emprisonner 
des  clercs  ;  lui-même  écrase  TÉglise  d'impôts  et  de  corvées  et 
empêche  révoque  d'exercer  la  juridiction'quelaloilui  confère  **  ; 
les  fonctionnaires  civils  permettent  de  dépouiller  les  petits,  et 
eux-mêmes  les  traitent  avec  la  plus  criante  injustice  '.  Au 
contraire,  pour  les  grands,  pour  les  riches,  les  administrateurs 
ont  d'infinies  tolérances,  et  pourvu  qu'on  mette  le  prix  à 
acheter  leur  bienveillance,  ils  n'hésitent  pas  à  désobéir,  même 
aux  ordres  de  l'empereur  *  :  pour  leurs  amis,  les  donatistes  par 
exemple,  ils  auront  d'inépuisables  indulgences  ;  sans  inter- 
venir, ils  les  laisseront  persécuter  les  évoques  catholiques  ; 

1.  Greg.,  1,47;  9,27;  11,  5. 

2.  W.,  5,  38. 

3.  /d.,  11,  5. 

4.  Id„  5,  38. 

5.  id.,  4,  24. 

6.  id.,  1,  59.  Cf.  4,26. 

7.  /d.,  10,  38;  11,5. 

8.  /d.,  9,  27;  6,  61. 


500  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

malgré  les  inslruclions  formelles  du  prince,  malgré  les  objur- 
gations pressantes  du  pape,  ils  traîneront  des  années  entières 
avant  d'accorder  satisfaction  aux  victimes,  ils  s'efforceront 
d'étouffer  leurs  plaintes  sous  les  accusations  et  les  calomnies  ; 
bref,  suivant  l'expression  de  saint  Grégoire,  ils  vendront  ouver- 
tement la  foi  catholique  *.  Indiscipline,  rapacité,  corruption, 
tels  sont  quelques-uns  des  traits  caractéristiques  deTadminis- 
tralion  byzantine  à  la  fin  du  vi*  siècle  %  et  Grégoire  le  Grand 
n'a  pas  de  mots  assez  forts  pour  flétrir  «  la  perversité  des 
judices  »  '.  Or,  contre  les  scandaleux  abus  de  ces  avides  et 
tout-puissants  gouverneurs,  oii  les  populations  pouvaient-elles 
trouver  un  recours?  L'empereur  était  trop  loin  pour  que  les 
plaintes  pussent  lui  parvenir*,  le  contrôle  qu'il  exerçait  est 
trop  intermittent  pour  être  vraiment  efficace  '  ;  TÉglise  était 
plus  proche,  la  loi  même  lui  faisait  un  devoir  de  surveiller  la 
conduite  des  fonctionnaires  publics  ;  naturellement  les  peuples 
allèrent  vers  elle  chercher  l'appui  dont  ils  avaient  besoin. 
Ainsi,  en  même  temps  qu'apparaissaient  dans  l'Occident  byzan- 
tin, avec  les  velléités  d'indépendance  des  gouverneurs,  les 
premiers  symptômes  d'une  profonde  désorganisation  admi- 
nistrative, un  autre  fait  se  produisait,  d'une  gravité  plus 
grande  encore  ;  l'influence  de  l'Église  se  substituait  lentement 
à  l'autorité  du  pouvoir  impérial,  et  par  leur  constante  inter- 
vention dans  les  affaires  civiles,  le  pape  et  au-dessous  de  lui 
les  évêques  grandissaient,  dans  la  vénération  des  peuples  et 
jusqu'aux  yeux  des  gouverneurs,  de  tout  le  prestige  que  per- 
dait le  basileus  impuissant  et  lointain. 

1.  Greg.,  6,  61.  Cf.  6,  59. 

2.  11  faut  Doter  pourtant  que  la  plupart  des  cas  cités  se  rapporteDt  à  la 
Sardaigne,  plus  isolée  et  moins  surveillée.  Mais  ritalie  offre  bien  des  exemples 
semblables  (Diehl,  Exarchat,  p.  353-354). 

3.  Greg.  8,2.  Cf.  5,40,42. 

4.  /d.,  5,  38. 

5.  Diehl,  l.  c,  p.  188-190. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  ET  L'ADMINISTRATION  BYZANTINE  507 


II 


A  la  fin  du  vi«  siècle,  les  raisons  ne  manquaient  point  pour 
justifier  en  Afrique  l'intervention  du  souverain  pontife  :  les 
intérêts  mêmes  de  la  religion  lui  commandaient  d'exercer  dans 
la  province  un  perpétuel  et  attentif  contrôle.  Bien  qu'à  cette 
date,  l'Église  africaine  fût  encore  organisée  comme  au  temps 
de  Juslinien  *,  bien  que  des  conciles  fréquents  attestent  Tacti- 
vilé  de  la  vie  religieuse',  des  causes  de  troubles  assez  graves 
travaillaient  les  chrétientés  africaines  et  réclamaient  la  solli- 
citude de  Rome.  La  discipline  ecclésiastique  se  relâchait,  les 
évêques  donnaient  de  fréquents  exemples  de  désobéissance, 
d'immoralité  ou  de  corruption.  Les  prélats  de  Byzacène  résis- 
taient aux  ordres  de  leurprimat';  d'autres  semaient  le  désordre 
dans  les  monastères  en  soutenant  les  moines  contre  leur 
abbé*.  En  Numidie,  d'interminables  conflits  éclataient  entre 
les  chefs  des  diocèses  pour  quelques  paroisses  enlevées  ou 
quelques  redevances  indûment  perçues»;  ailleurs,  les  évoques 
ne  craignaient  point  d'infliger  à  leurs  clercs  des  châtiments 
corporels®.  La  simonie  surtout  et  la  corruption  faisaient  des 
progrès  inquiétants  :  l'évêque  de  Tigisis  vendait  les  charges 
ecclésiastiques  \  celui  de  Lamiggigase  laissait  coiTompre  par 
les  hérétiques';  le  primat  de  Byzacène  faisait  mieux  encore: 
pour  se  soustraire  à  la  condamnation  qui  le   menaçait,   il 

1.  Pour  le  primat  de  Numidie,  Greg.,  1,  72;  3,  4S.  Pour  celui  de  Byzacène, 
4,  13;  9,  24,  27;  12,  12.  Pour  le  métropolitain  de  Carthage,  2,  52. 

2.  Conciles  en  Numidie  en  591  (Greg.,  1,72,  82),  592  (2,  46),  593  (3,  47,  48), 
602  (12,  29);  à  Carthage  en  594  (5,  3);  en  Byzacène  en  602  (12,  32);  en  Sar- 
daigne,  deux  fois  par  an  (4,  9). 

3.  Greg.,  9,  24. 

4.  /d.,  7,  32. 

5.  /rf.,  8,  14. 

6.  /d.,  12,  28,  29. 

7.  /d.,  12,  28,  29.  Cf.  3,  47,  48. 

8.  /d.,  1,  82.  Cf.  2,46. 


508  HISTOIRE  Dfi  L\  DOMINATION  BÏZANTINE  EN  AFRIQUE 

achetait  moyennant  dix  livres  d'or  la  protection  du  gouverneur 
delà  province*.  Ce  n'est  pas  tout.  En  Numidie  Thérésie  dona- 
tiste  relevait  la  tête*  :  grâce  à  la  tolérance  du  gouvernement, 
les  dissidents,  on  Ta  vu,  avaient  conservé  leurs  églises,  leurs 
évêques;  maintenant  ils  se  flattaient  d'ébranler  le  catholicisme 
lui-même  Des  diocèses  où  ils  dominaient,  violemment  ils 
expulsaient  le  clergé  orthodoxe*;  dans  les  autres,  ils  tâchaient 
de  s'insinuer  en  se  ménageant  à  prix  d'or  la  bienveillance  des 
évêques*,  et,  devenus  de  la  sorte  maîtres  de  positions  impor- 
tantes, ils  en  profitaient  pour  faire  parmi  les  fidèles  une  active 
et  souvent  heureuse  propagande.  Beaucoup  de  gens,  séduits 
par  leurs  promesses,  consentaient  à  se  faire  rebaptiser, 
selon  le  rite  donatiste'  ;  les  hautes  classes  de  la  société  elles- 
mêmes  étaient  gagnées  par  la  contagion,  et  de  grands  pro- 
priétaires, non  contents  de  passer  avec  toute  leur  famille  au 
parti  de  Thérésie,  usaient  de  leur  influence  pour  entraînera 
leur  suite  les  personnes  qui  dépendaient  de  leur  autorité  *. 
Pendant  six  années  entières,  de  591  à  896,  sans  cesse,  il  est 
question,  dans  la  correspondance  de  Grégoire  le  Grand,  de 
Taudace  croissante  des  donatistes  :  devant  leurs  progrès  et 
leurs  intrigues,  les  conciles  eux-mêmes  hésitaient  et  laissaient 
fléchir  la  rigueur  du  dogme'.  Vainement,en  594.  un  édit  impé- 
rial essayait  d'enrayer  le  mal^;  grâce  à  la  tolérance  ou  à  la 
complicité  de  l'administration',  les  ordres  du  prince  demeu- 
raient lettre  morte  ;  et  les  évêques  qui  tentaient,  de  faire  leur 
devoir  se  voyaient  exposés  à  la  fois  aux  persécutions  de  leurs 
adversaires,  aux  calomnies  et  aux  rigueurs  de  l'autorité  ". 

i,  Greg.,  9,  27. 

2.  id.,  1,  72. 

3.  W.,  4,  32,  35. 

4.  /d.,1,82;  2,46. 

5.  id.,  2,  46;  4,  32,35. 

6.  Id.,  4,  41  ;  6,  34. 

7.  /d.,  4,  7. 

8.  Id,,  5,  3  ;  6,  61 . 

9.  W.,  4,  32;  6,  61. 

10.  Id.,  4,32;  6,  59,  61;  8,  13. 


L'ÉGLIiŒ  D*AFR1QUE  ET  L'ADMINISTRATION  BYZANTINE  509 

Enfin  dans  certaines  portions  de  Texarchat  d'Afrique,  Tœuvre 
de  la  conversion  demeurait  stationnaire  ;  en  Corse,  beaucoup 
de  diocèses  restaient  sans  évèques  pendant  plusieurs  années 
de  suite  et  retournaient  lentement  à  la  barbarie  *.  En  Sardai- 
gne^en  Afrique  même,  beaucoup  de  prélats  étaient  négligents 
on  indifférents*  :  et  malgré  les  louables  efforts  que  faisait  sur 
ce  point  Tadministration  impériale,  toujours  prête  à  imposer 
par  les  armes  la  religion  orthodoxe  ^,  beaucoup  de  païens  con- 
tinuaient à  adorer  les  arbres  et  les  pierres*  et  jusque  sur  les 
domaines  des  propriétaires  chrétiens,  jusque  dans  les  patri- 
moines de  l'Église,  subsistaient  un  grand  nombre  de  cultiva- 
teurs idolâtres*. 

Pour  rétablir  la  discipline  ébranlée,  pour  soutenir  contre 
l'assaut  des  hérétiques  la  résistance  des  évêques  catholiques, 
pour  stimuler  à  l'œuvre  de  la  propagande  le  zèle  affaibli  des 
prélats,  il  fallait  que  le  pontife  romain  exerçât  sur  TÉglise 
africaine  une  exacte  surveillance.  Grégoire  le  Grand  ne  man- 
qua point  à  la  tâche.  Le  notaire  Hilarus,  chargé  d'administrer 
en  Afrique  les  patrimoines  de  TÉglise  romaine,  devint  dans  la 
province  un  véritable  légat  pontifical,  chargé  de  surveiller  la 
conduite  des  prélats,  de  faire  sur  leurs  actes  les  enquêtes  né- 
cessaires, de  réprimander  leurs  fautes,  de  leur  transmettre  les 
instructions  du  pape,  de  provoquer  pour  les  juger  la  réunion 
des  conciles  \  A  côté  de  lui,  deux  évêques  méritèrent  égale- 
ment la  confiance  toute  particulière  du  pontife  :  c'était  Domi- 
nique, métropolitain  de  Garthage,  qui  pendant  neuf  ans  reçut 
de  Grégoire  les  témoignages  de  l'amitié  la  plus  tendre  et  les 
mérita  par  la  ferveur  de  sa  foi  et  sa  déférence  pour  l'Église 
romaine?;  c'était  surtout  Columbus,  un  évêque  de  Numidie, 

1.  Greg.,  1,  76,  77;  11,  77;  8,  1. 

2.  Id,,  1,72;  4,  26. 

3.  /d.,  1,72;  4,  25;  11,  22. 

4.  id.,  4,  23,  27;  8,  1. 

5.  Id,,  4,  23,  26,   et  en  général,   pour  la   Sardaigne,  4,  25,  27,  29;   5,   38; 
9,  204;  H,  22;  pour  la  Corse,  8,  1;  pour  l'Afrique,  1,  72. 

6.  id.,  1,  82;  2,  46;  12,  28. 

7.  Id.y  2,  52  (juUl.  592)  à  12,  1  (sept.  601),  6,  19,  60;  8,  31  ;  12,  1. 


510        Histoire  de  la  dominatioin  byzantine  en  Afrique 

auquel  la  faveur  du  pape  fit  dans  sa  province  une  situation 
tout  exceptionnelle.  Pendant  dix  ans  *,  il  fut  le  conseiller  tou- 
jours écouté  du  pontife,  Texécuteur  fidèle  de  ses  volontés; 
c'est  à  lui  que  Grégoire  remit  le  soin  d'examiner  et  de  régler 
toutes  les  questions  importantes,  s*adressant  à  Columbus, 
plutôt  même  qu'au  primat  de  la  province,  et  invitant  celui-ci 
en  toutes  circonstances  à  prendre  les  avis  et  à  demander  le 
concours  du  prélat  favoris  II  est  certain  que  la  vive  sympa- 
thie dont  il  était  l'objet  à  Rome  valut  à  Tévèque  bien  des  jalou- 
sies et  des  haines  ^  :  il  n'en  continua  pas  moins  énergiquemenl 
l'œuvre  qui  lui  était  commise.  Par  ces  hommes,  Grégoire 
rétablit  en  Afrique  l'unité,  la  concorde,  la  discipline  ecclésias- 
tique :  tandis  que,  en  S94,  dans  la  Proconsulaire,  le  concile 
de  Carthage  combattait  vigoureusement  l'hérésie  donatiste  et 
menaçait  même  de  la  déposition  les  évèques  qui  négligeraient 
de  poursuivre  les  dissidents  \  en  Numidie,  grâce  aux  exhor- 
tations du  pontife,  on  engageait  contre  les  ennemis  de  l'Église 
une  lutte  courageuse,  où  les  efforts  de  la  prédication  se 
mêlèrent  aux  condamnations  conciliaires  pour  ramener  les 
schismatiques  repentants^  pour  punir  les  obstinés  et  les  cou- 
pables*. Aussi  bien^  de  toutes  parts,  les  églises  d'Afrique  se 
tournaient  vers  Rome;  entre  les  évê.iues  du  diocèse  africain 
et  la  cour  pontificale,  c'était  un  constant  échange  de  lettres  et 
de  mandataires  :  c'est  au  pape  que  s'adressait  quiconque 
avait  une  plainte  à  faire,  une  injustice  à  dénoncer*;  c'est  à 
son  tribunal  qu'étaient  cités  les  évèques  accusés  ou  coupa- 
bles' :  bref,  aucune  décision  importante  ne  se  prenait  sans  son 
assentiment,  et  Grégoire  félicitait  à  juste  titre  Dominique  de 


1.  Greg.,2,  i6  (jaill.  592)  à  12,  28  (mars  602).  Cf.  3,  47,  48;  1,  2;  8,  14.  lô: 
12,  8,  28. 

2.  id.,  3,  47,  48;  12,  2S,  29. 

3.  ld,y    7,    2. 

4.  id.,  5,  3.  Grégoire  d'ailleurs  blàinalt  cet  excès  de  zèle. 

5.  Id.,  1,  75;  2,  46;  4,  33. 

6.  /d.,  1,  82;  2,  46;  8,  14;  4,  13. 

7.  W.,  4,  32;  6,  59;  9,  27. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  ET  LADMlNISfRATIOiN  BYZANTLNE  -ill 

Carlhage  du  soin  qu'il  apportait  en  toute  circonstance  à  cou- 
sulter  respectueusement  le  Siège  apostolique*. 


III 


Les  relations  fréquentes  que  le  souverain  pontife  entrete- 
nait avec  rÉglise  africaine  le  mettaient  en  rapport  nécessaire 
avec  les  représentants  de  l'autorité  impériale.  Aux  yeux  de 
Grégoire  le  Grand,  en  effet,  exercer  une  charge  publique 
était  chose  grave",  qui  imposait  des  devoirs  envers  TÉglise, 
tout  autant  qu'envers  TEtat;  pour  bien  remplir  ses  fonctions, 
il  ne  suffisait  pas  à  ses  yeux  de  «  s'acquitter  envers  la  républi- 
que de  ses  obligations  terrestres  »,  il  fallait  surtout  «  ne  pas 
oublier  de  rendre  au  Dieu  tout-puissant  Thommage  qu'on 
doit  à  la  patrie  céleste  »^.  Aussi  Texarque  doit-il  avoir  pour 
premier  souci  de  vivre  sans  cesse  dans  la  crainte  du  Sei- 
gneur* :  il  est  le  protecteur  né  de  la  religion,  chargé  d^étendre 
au  dehors  son  domaine  par  les  armes,  de  la  défendre  au 
dedans  contre  l'audace  des  hérétiques*^;  s'il  veut  réussir  dans 
les  affaires  du  monde,  assurer  à  ses  soldats  de  glorieuses  vic- 
toires, avant  toute  chose,  il  doit  pieusement;  sincèrement,  se 
faire  le  champion  de  Dieu^;  il  suffit  pour  cela  qu'il  mette  au 
service  de  l'Eglise  Tautorité  publique,  qu'il  prêle  nrain  forte 
en  toute  circonstance  aux  prélats  et  aux  missionnaires,  qu'il 
corrige  sans  tarder  les  abus  qui  font  tort  aux  personnes  ecclé- 
siastiques, qu'il  combatte  vigoureusement  quiconque  trouble 
la  paix  intérieure  de  là  chrétienté,  qu'il  se  préoccupe  avant 
tout  de  respecter  les  droits  de  l'Église,  la  personne  de  ses  mi- 

1.  Greg.,  8,  31. 

2.  W.,  12,  27. 

3.  W.,  4,  23. 

4.  Id,,  1,  59. 

5.  W.,  1.  12. 

6.  /rf.,  9,  154;  4,7. 


J 


512  HISTOIRE  DE  LA.  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

nistres  et  les  intérêts  des  pauvres*.  En  conséquence,  Grégoire 
se  montre  implacable  pour  quiconque  manque  à  ces  devoirs 
essentiels.  Fort  de  l'autorité  que  la  loi  lui  confère  et  du  pres- 
tige qui  s'attache  à  son  caractère  sacré,  il  maintient  haute- 
ment contre  toute  usurpation  des  pouvoirs  publics  les  droits 
et  privilèges  de  saint  Pierre  ^  Il  n'admet  point  qu'on  impose 
aux  biens  du  clergé  des  charges  ou  des  corvées  extraordi- 
naires, qu'on  moleste  injustement  les  personnes  ecclésiaati- 
quess,  et  il  recommande  aux  évêques  de  ne  jamais,  pour  com- 
plaire aux  puissants  de  la  terre,  consentir  à  sacrifier  la  justice 
et  la  vérité  \  Quand  un  prélat  est  mis  en  cause,  son  attitude 
est  plus  hardie  encore  :  entre  Texarque  et  l'homme  d'Église, 
le  pape  se  constitue  seul  juge;  entre  le  témoignage  des  deux 
personnages,  &  peine  songe-t-il  à  hésitera 

Quand  Tévêque  Paul  de  Numidie,  persécuté  par  les  dona- 
tistes^  injustement  accusé  par  le  patrice  Gennadius,  demande 
justice  au  pape  contre  ses  persécuteurs,  aussitôt  Grégoire 
évoque  TafiFaire  à  Rome.  Vainement,  pendant  deux  ans,  l'exar- 
que retient  le  prélat  en  Afrique;  vainement,  un  peu  plus  tard, 
il  refuse  d'accepter  le  débat  devant  le  tribunal  du  pontife;  Gré- 
goire ne  cède  point.  Au  rapport  administratif  il  oppose  l'en- 
quête ecclésiastique,  faite  sur  ses  ordres  par  les  soins  de  Co- 
lumbus  :  énergiquement  il  affirme  qu'il  a  droit  d'examiner  et 
de  juger  l'affaire;  il  porte  jusqu'aux  pieds  de  l'empereur  le 
conflit  soulevé  par  le  patrice,  et  finalement  il  renvoie  en  Afri- 
que, recommandé,  protégé  par  l'autorité  apostolique,  Tévêque, 
qui,  à  ses  yeux  ,  n'a  commis  d'autre  faute  que  de  défendre  sa 
foi  au  lieu  de  céder  à  la  volonté  des  hommes  ^. 


1.  Greg.,  4,  7;  1,  59,  72;  11,  22.  Cf.  7,  8. 

2.  W.,  10,  38.  Cf.  P.  /..,  LXXX,  479  :  «  Jura  et  privilégias.  Pétri...  immu- 
tilata  intentione...  defendere.  » 

3.  Greg.,  1,  59;  H,  5.  Cf.  Diehl,  l.  c,  p.  325-326. 

4.  Greg.,  8,  15. 

5.  Id,,  6,  59,  61;  7,  2. 

6.  Cf.  sur  cette  affaire  qui  dura  quatre  ans  :  Greg.,  4,  32  rjuiil.  594);  6,  59, 
61  ;  7,  2  (août  et  oct.  596)  ;  8,  13,  15  (févr.  598). 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  ET  L'ADMINISTRATION  BYZANTINE         513 

Mais  ce  n'est  point  aux  seules  affaires  d'église  que  se  bor- 
naient les  rapports  du  pape  avec  les  pouvoirs  publics.  Depuis 
que  Justinien  avait  fait  aux  évêques  une  place  officielle  dans 
Tadministration  des  villes  et  des  provinces  *,  les  prélats  étaient 
devenus  les  protecteurs  naturels  des  sujets,  et  au  nom  des  pri- 
vilèges mêmes  que  lui  conférait  la  loi  civile,  l'autorité  ecclé- 
siastique intervenait  pour  surveiller  et  contrôler  la  conduite 
des  gouverneurs.  Encouragés  par  le  pape  autant  que  par  l'em- 
pereur à  dénoncer  tout  ce  qui  pourrait  être  contraire  à  la  jus- 
tice*, les  évêques  se  constituaient  les  défenseurs  de  tous  les 
humbles,  de  tous  les  opprimés  :  mais  ce  n'était  point  dans  la 
lointaine  Byzance  qu'ils  allaient  porter  leurs  plaintes  ;  c'est  à 
Tévêque  de  Rome,  plus  proche  et  plus  puissant  peut-être,  qu'ils 
adressaient  leurs  doléances.  Le  moindre  abus  de  pouvoir  était 
aussitôt  signalé  au  pontife  '  ;  et,  sans  tarder,  Grégoire  agissait. 
Tantôt  il  réprimandait  directement  le  gouverneur  coupable*; 
plus  souvent  il  s'adressait  au  chef  hiérarchique  du  person- 
nage, se  plaignant  des  praeszdes  au  préfet*,  des  ducs  à  l'exar- 
que %  de  tous  à  l'empereur  '.  Parlant  tout  ensemble  au  nom  de 
la  loi  et  de  la  religion,  il  distribuait,  suivant  les  cas,  Téloge  ou 
le  blâme,  promettant  au  duc  de  Sardaigne  de  rendre  à  Cons- 
tantinople  bon  témoignage  de  sa  conduite  ^  dénonçant  au  prince 
les  calomnies  du  patrice  Gennadius  •.  De  ce  droit  de  contrôle 
à  une  intervention  directe  dans  les  affaires  proprement  admi- 
nistratives, il  n'y  avait  qu'un  pas;  les  nécessités  d'une  époque 
pleine  de  troubles  amenèrent  souvent  Grégoire  à  le  franchir. 
Pour  sauver  ce  peuple  chrétien  dont  le  salut  spirituel  et  tem- 
porel lui  est  commis,  le  pape  avertit  l'exarque  des  dangers  qui 

i.  Cf.  Diehl,  /.  c,  p.  319-321. 

2.  Zachariae,  Jus  gr.  rom.y  III,  p.  10  ;  Greg.,  1,  60,  61,  62. 

3.  Greg,,  10,  38;  1,47. 

4.  W.,  1,  46. 

5.  Id,,  11,  5;  P.  r,.,  LXXX,  478. 

6.  Id.,  1,  59. 

7.  7d.,  1,  47;  6,  61. 

8.  7d.,  4,  25. 

9.  W.,  6,  61. 

II.  33 


514  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

menacent  ses  provinces,  et  lui  suggère  les  mesures  —  même 
celles  d'ordre  militaire —  qui  pourront  écarter  le  péril  *.  Par  ses 
ordres.  Tévêque  de  Caralis  veille  à  Tapprovisionnement  de  la 
ville,  à  Tentretien  des  murailles,  à  la  garde  des  remparts  •  : 
ainsi  TÉglise  pénètre  dans  Tadministration  et  parfois  même  se 
substitue  à  elle. 

Or  —  et  ceci  est  très  grave  —  les  gouverneurs  impériaux, 
obligés  parla  loi  d'accepter  les  conseils  des  évêques,  entraînés 
par  le  respect  de  la  religion  à  ménager  un  prélat  qui  parlait 
au  nom  de  Dieu  \  prenaient  insensiblement  l'habitude  d'écouter 
les  avis  du  pontife,  se  disant  qu'après  tout,  c'était  souvent, 
comme  l'affirmait  Grégoire,  un  moyen  assuré  de  plaire  à  la  fois 
aux  princes  de  la  terre  et  au  roi  du  ciel*.  L'exarque  Gennadius 
s'efforçait  de  mériter  les  félicitations  du  pontife,  en  répandant 
parmi  les  nations  vaincues  le  divin  nom  du  Christ  *;  il  veillait 
pour  lui  complaire  à  protéger  et  à  mettre  en  valeur  les  patri- 
moines de  l'Église  romaine  en  Afrique  *  ;  il  faisait  bon  accueil 
aux  personnes  que  lui  recommandaitl'évêque'^;  et  malgré  quel- 
ques résistances  passagères,  il  semble  avoir  inspiré  assez  de 
confiance  à  Grégoire  pour  mériter  d'être,  même  en  matière  re- 
ligieuse, l'exécuteur  de  ses  volontés  :  «  Nous  avons,  lui  écri- 
vait le  pape,  d'autant  plus  de  plaisir  à  vous  confier  la  surveil- 
lance des  affaires  ecclésiastiques  que  nous  connaissons  pleine- 
ment les  pieuses  dispositions  de  votre  cœur  »  •  ;  et,  entre  autres 
choses,  il  invitait  le  patrice  à  rappeler  aux  évêques  numides 
les  règles  canoniques  qui  devaient  être  observées  dans  l'élec- 
tion du  primat  provincial  '.  Le  préfet  Innocent  est  encore  plus 
complètement  dévoué  à  Grégoire;  le  pape  lui  écrit  cpmme  à 

1.  (Jreg.,  9,  11;  7,  3. 

2.  W.,  9,  11,  195;  cf.  Diehl,  /.  c,  p.  329-331. 

3.  Cf.  Greg.,  2,  30. 

4.  W.,  4,  25. 

5.  Id.,  i,  72. 

6.  /rf.,  1,  73. 

7.  W.,  7,  3;  9,9. 

8.  /rf.,  4,  7. 

9.  /d.,  1,  72. 


L'ÉGLISE  D'AFRIQUE  ET  L'ADMINISTRATION  BYZANTINE  :il5 

un  ami  véritable,  comme  à  un  fils  bien-aimé*,  et,  en  effet,  le 
préfet  a  non  seulement  pour  les  biens  d'Eglise  une  sollicitude 
attentive',  mais  encore  il  s'empresse  de  faire  rapport  au  pape 
des  exactions  que  commettent  en  Sardaigne  les  fonctionnaires 
publics  ";  Tévêque  de  Carthage  lui-même  n'aurait  pas  fait 
mieux.  Les  gouverneurs  des  provinces  ne  sont  pas  moins  sou- 
cieux d'être  agréables  au  pontife  ;  comme  leurs  chefs,  ils  font 
marcher  la  conversion  du  même  pas  que  la  conquête  *  et  s'ef- 
forcent de  mériter  ses  bonnes  grâces.  On  juge  combien  ces 
relations  amicales  accroissaient  Tinfluence  de  TÉglise  dans 
l'administration  publique,  combien,  entre  l'empereur  lointain 
et  Tévèque  tout-puissant,  les  fonctionnaires  étaient  tentés 
d'obéir  aux  conseils  qui  venaient  de  Rome  **. 

Les  populations  plus  ouvertement  encore  mettaient  leur  es- 
poir dans  rÉglise.  Contre  les  vexations  des  gouverneurs,  elles 
ne  connaissaient  point  de  plus  sûrs  défenseurs  que  leurs  évéques^ 
et  parmi  eux  que  le  pontife  romain.  Elles  comprenaient  que 
seule,  rÉglise  élait  assez  puissante  pour  contre-balancer  le 
despotisme  impérial,  pour  mettre  un  frein  à  la  tyrannie  admi- 
nistrative ;  et  sûres  d'être  écoutées,  elles  portaient  leurs 
plaintes  à  Rome  ou  demandaient  aux  représentants  du  pape 
de  prendre  la  défense  de  leurs  intérêts  \  Or  ceci  encore  était 
singulièrement  grave  :  insensiblement  les  peuples  se  déta- 
chaient de  Tempire  et  se  préparaient  pour  d'autres  destinées. 

Et  si  nous  essayons,  pour  finir,  de  résumer  les  traits  caracté- 
ristiques du  tableau  que  présente  l'Afrique  à  1  a  fin  du  vi'  siècle, 
nous  constatons,  dans  la  province,  les  redoutables  symptômes 
d'une  profonde  désorganisation  administrative.  A  tous  les 
degrés  de  la  hiérarchie,  les  fonctionnaires  byzantins  tendent  à 
s'affranchir  de  Tautorité  impériale  trop  lointaine;  les  popula- 

1.  Greg.,  10,  37  :  u  dulcissimus  ûlius  >•• 

2.  /rf.,  iO,  37. 

3.  /d.,  10,  38. 

i.  Id.j  4,  25.  Cf.  'J,  158,  160. 

0.  Cf.  Diehl,  l.  c,  p.  321-323,  333-334. 

6.  (Jreg.,  14,  2.  Cf.  Diehl,  /.  c,  p.  334-33.i. 


516  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

tiens,  cruellement  opprimées  par  une  administration  souvent 
vexatoire,  cessent  de  prendre  intérêt  à  l'empire  qui  les  ruine 
pour  s'attacher  à  l'Église  qui  leur  assure  quelque  protection; 
et  cette  Église  enfin,  qui,  de  plus  en  plus,  se  range  sous  Tobé- 
dience  romaine,  substitue  lentement  dans  Tadministration  son 
influence  à  celle  du  pouvoir  central  et  achève  ainsi  de  fausser 
les  ressorts  de  la  machine  gouvernementale,  déjà  si  ébranlée. 
Qu'on  attende  quelques  années  encore,  et  ces  germes  de  dis- 
solution porteront  leurs  fruits.  Les  insurrections  des  gouver- 
neurs, la  désaffection  des  peuples,  les  conflits  religieux  aggra- 
vant le  divorce  politique,  ruineront,  en  Afrique  comme  en 
Italie,  la  domination  byzantine  ;  et  dans  l'exarchat  d'Afrique, 
affaibli  par  tant  de  misères,  l'invasion  arabe  trouvera  une  proie 
facile,  dont  les  indigènes  plus  que  les  Grecs  essaieront  de  lui 
disputer  la  possession. 


TROISIÈME    PARTIE 
L'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  D'HËRACLIUS  (610-641) 


En  l'année  608,  TAfrique  byzantine  avait  pour  gouverneur 
le  palrice  Héraclius  '.   C'était  un  homme   d'un  âge    assez 
avancé  déjà  —  il  touchait  au  moins  à  la  soixantaine  ■,  —  issu 
d'une  grande  et  riche  famille  de  l'aristocratie  arménienne  ^. 
Sous  le  règne  de  Maurice,  il  avait^  dans  les  campagnes  de 
Perse,  fait  une  glorieuse  carrière  militaire  et,  soit  comme 
lieutenant  du  stratège  Phiiippicus,  soit  comme  général  en 
chef,  ii  s'était  signalé  par  sa  magnifique  bravoure,  autant  que 
par  son  énergique  fermeté    à  maintenir  la   discipline  des 
troupes  ^.  En  récompense  de  ses  brillants  services,  l'empe- 
reur lui  avait,  sans  doute  après  la  mort  ou  le  rappel  de  Texar- 
que  Gennadius,  confié  l'important  gouvernement  d'Afrique  *; 
et  en  même  temps,  pour  mieux  marquer  au  nouveau  stratège 
sa  faveur  et  sa  confiance,  il  lui  avait  donné  pour  lieutenant  et 
pour  collaborateur  le  patrice  Grégoire,  propre  frère  d'Héra- 
clius*.  Lorsque  la  révolution  de  novembre  602  fit  monter 


1.  Nicéphore,  p.  3;  Théophane,  p.  295,  297. 

2.  Héraclius  Fempereur  est  Dé  eu  575.  Le  père  est  donc  né  au  moins  en  550. 

3.  Théoph.  Simocatta,  3,  1,  1.  Cf.  Constantin  Manassès,  3664,  qui  en  fait  à 
tort  un  Cappadocien. 

4.  Théoph.  Simocatta,  2,  3,  5-7,  9-10,  18;  surtout  2,  18,  26;  3,  6,  2. 

5.  Nicéph.,  p.  3. 

6.  Nicéph,,  p.  3;  Théophane^p.  295,  297-298,  qui  l'appelle  Grégoras. 


518  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Phocas  sur  le  trône  de  Byzance,  le  nouveau  prince  n'osa  point 
tenter  en  Afrique  ce  qu'il  paraît  avoir  fait  en  Italie  *  :  sentant 
probablement  le  besoin  de  ménageries  puissants  personnages 
qui  commandaient  à  Carthage,  craignant,  par  une  destitution 
brutale,  de  provoquer  dans  la  lointaine  province  un  soulève- 
ment dont  le  premier  effet  serait  de  couper  les  vivres  à  la  ca- 
pitale, Phocas  maintint  dans  leurs  fonctions  l'exarque  et  son 
frère;  pourtant  il  ne  réussit  point  à  se  concilier  ainsi  leur  dé- 
vouement. A  l'égard  du  nouveau  régime,  Iléraclius  paraît  en 
tout  temps  avoir  gardé  une  réserve  extrême  ;  et  bientôt,  à 
mesure  que  la  tyrannie  de  Phocas  devenait  plus  sanglante, 
son  attitude  se  fit  plus  nettement  hostile.  Il  ne  pouvait,  pas 
plus  que  son  frère,  oublier  le  cruel  assassinat  de  cet  empereur 
Maurice  auquel  il  devait  tout  ce  qu'il  était,  ni  le  meurtre  inu- 
tile de  toute  la  famille  de  son  bienfaiteur,  ni  tant  d'autres 
atrocités  ■;  l'éloignement  de  sa  province  l'engageait,  d'autre 
pari, à  braver  plus  ouvertement  le  basileus*  ;  aussi  finit-il  par 
en  venir  à  une  rupture  presque  déclarée:  en  608,  il  retint  à 
Carthage  les  vaisseaux  qui  annuellement  portaient  à  Cons- 
tantinople  les  blés  de  la  province  *  .  Dès  lors,  pour  tous 
les  adversaires  du  tyran,  l'exarque  apparut  comme  le  sauveur 
de  l'empire  ;  de  toutes  parts  on  lui  adressa  les  sollicitations  les 
plus  pressantes;  les  mécontents  d'Egypte  tournèrent  les  yeux 
vers  lui  *;  le  sénat  de  la  capitale  le  supplia  secrètement  d'in- 
tervenir®; le  gendre  même  de  Phocas,  Priscus,  comte  des 
excubiteurs  et  préfet  de  la  ville,  écrivit  au  patrice  pour  lui 
demander  de  mettre  un  terme  aux  sanglantes  fureurs  du  basi- 
leus  \  A  la  vérité,  pour  tenter  cette  redoutable  aventure,  le 
stratège  se  sentait  bien  fatigué  et  vieilli;  mais,  à  côté  de  lui, 

1.  Hartmann,  /.  c,  p.  12;  Diehl,  Exarchat,  p.  185. 

2.  Nlcéph.,  p.  3,  5. 

3.  id.,  p.  3. 

4.  Théophane,  p.  296. 

5.  Jean  de  Nikiou  (éd.  Zotenberg,  dans  Notices  et  extraits  des  mw.,  .XXIV. 
!'•  partie),  p.  541-542. 

6.  Théophane,  p.  297. 

7.  /d.,  p.  295;  Nicéphore,  p. 4. 


I/AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  D'IIÉRACLIUS  (610-641)  niO 

pour  soutenir  son  courage,  il  avait  son  fils  Héraclius,  son 
neveu  Nicétas,  tous  deux  désireux  de  porter  secours  à  l'empire 
en  détresse,  tous  deux  profondément  émus  par  les  terribles 
nouvelles  qui  arrivaient  de  Byzance,  par  les  désastres  qui 
coup  sur  coup  frappaient  la  monarchie  et  amenaient  jusqu'à 
Chalcédoine  les  armées  victorieuses  de  Chosroès  *  ;  sous  la 
main  il  avait  une  belle  flotte  de  guerre,  une  armée  dévouée, 
une  province  toute  prête  à  lui  fournir  les  levées  nécessaires 
pour  grossir  le  chiffre  de  ses  soldats.  Pourtant,  tout  en  accueil- 
lant les  ouvertures  faites,  tout  en  encourageant  les  méconten- 
tements ■,  l'exarque  hésitait  à  prendre  parti  ;  pendant  plus 
d'une  année,  il  se  contenta  de  faire  de  menaçants  préparatifs, 
lorsqu'un  dernier  incident  acheva  de  précipiter  ses  résolu- 
tions. La  femme  du  patrice,  Epiphania,  se  trouvait  à  ce  mo- 
ment à  Byzance,  accompagnée  d'Eudocie^  la  fiancée  de  son 
fils;  Phocas,  espérant  ainsi  s'assurer  de  précieux  otages,  crut 
habile  de  faire  arrêter  les  deux  femmes  et  de  les  faire  empri- 
sonner dans  un  monastère  *.  Tout  au  contraire,  cet  acte  de  vio- 
lence hâta  le  dénouement.  Aussi  bien  les  circonstances  étaient 
singulièrement  favorables.  Ace  moment  même,  Alexandrie  se 
soulevait, et  bientôt  toute  l'Egypte,  travaillée  de  longue  main 
par  l^s  émissaires  de  l'exarque,  suivait  l'exemple  de  la  capi- 
tale *;  la  Tripolitaine  et  la  Pentapole  s'agitaient,  prêtes  à  se 
donner  à  l'insurrection  ;  les  tribus  berbères,  gagnées  par  de 
larges  subsides,  se  prononçaient  ouvertement  pour  Héraclius*  ; 
les  gouverneurs  impériaux  eux-mêmes  n'attendaient  qu'un 
signal  pour  abandonner  Phocas  •.  L'exarque  se  décida  à  agir 
par  les  armes.  Une  forte  avant-garde  alla  prendre  possession 
de  la  Pentapole  ';  et,  à  sa  suite,  Nicétas,  le  fils  de  Grégoire, 


1.  Chron.  patchale  (éd.  Bonn),  p.  708. 

2.  Jeao  de  Nikioa,  p.  54t-542. 

3.  Théophane,  p.  298.  Cf.  Isidore  PaceoBis  (Pair.,  lat,,  XCVI,  1253). 

4.  Jean  de  Nikiou,  p.  543-544  ;  Chron.  pasc,  p.  699. 

5.  Jean  de  Nikiou,  p.  541. 

6.  W.,  p.  551. 

7.  id.,  p.  541. 


520         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

avec  une  nombreuse  armée  que  venaient  grossir  en  foule  les 
contingents  indigènes,  pénétra  en  Egypte  et  s'y  maintint 
malgré  toutes  les  attaques  des  généraux  de  l'empereur  '.  Puis, 
tandis  que  Nicétas,  suivant  la  route  de  terre,  miarchait  à  travers 
la  Syrie  et  l'Asie  Mineure  sur  Constantinople  ■,  Héraclius,le 
fils  du  patrice,  s'embarquait  avec  le  reste  des  troupes  sur  l'es- 
cadre de  guerre  rassemblée  à  Carthage,  et^  attachant  au  màt 
de  ses  vaisseaux,  comme  un  gage  de  victoire,  Timage  vénérée 
de  la  Théotokos,  il  mettait  à  la  voile  pour  l'Orient  »•  On  sait 
la  suite  des  événements.  La  tyrannie  de  Phocas  l'avait  rendu 
si  universellement  odieux  qu'il  suffit  de  la  seule  approche 
d'Héraclius  pour  provoquer  une  révolution  dans  la  capitale; 
les  victimes  de  tant  de  cruautés  impériales  attendaient  impa- 
tiemment leur  libérateur;  Priscus  était  tout  prêt  à  trahir, 
avec  les  troupes  qu'il  commandait;  aussi  le  basileus  se  dé- 
fendit-il à  peine.  Fait  prisonnier,  traîné  devant  le  vainqueur, 
il  fut,  avec  les  principaux  de  ses  partisans,  abandonné  à  la 
fureur  du  peuple.  Le  trône  était  vacant;  malgré  la  convention 
conclue  au  départ  de  Carthage,  et  qui  réservait  l'empire  à 
celui  des  deux  cousins  qui  serait  assez  heureux  pour  renverser 
Phocas*,  Héraclius  semble  avoir  éprouvé  quelque  répugnance 
à  accepter  le  pouvoir;  il  essaya  de  se  dérober,  déclarant 
qu'ayant  vengé  Maurice  et  délivré  ses  proches,  il  n'aspirait 
qu'à  retourner  en  Afrique  auprès  de  son  père  ';  finalement  il 
dut  céder  aux  instances  du  sénat  et  du  peuple,  et,  le  5  octobre 
610,  il  reçut,  dans  l'église  de  Saint-Etienne,  la  couronne  impé- 
riale des  mains  du  patriarche  Sergius. 

n 

L'Afrique  venait  de  faire  un  empereur;  non  seulement  elle 

1.  Jean  de  Nikiou,  p.  541,  545-547,  550. 

2.  Théophane,  p.  298  ;  Nicéphore,  p.  3-4. 

3.  Ibid.;  Jean  de  Nikiou,  p.  551. 

4.  Théophane,  p.  297. 

5.  Chron.  pose,  p.  708;  Nicéph.,  p.  5. 


L'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  D*HËRACLIUS  (610-641)  521 

avait  pris  Tinitiative  da  mouvement  insarrectionnel,  mais  ses 
habitants  s'étaient  àl'envi  enrôlés  sous  les  drapeaux  d'Héra- 
clius  ;  non  seulement  la  population  des  villes  lui  avait  avec 
empressement  fourni  des  soldats^,  mais  àTappelde  l'exarque 
les  tribus  indigènes  elles-mêmes  avaient  envoyé  leurs  contin- 
gents pour  servir  sur  la  flotte  et  dans  Tarmée  '  ;  et,  après  la 
victoire,  la  province,  légitimement  fière  d'avoir  donné  un  sou- 
verain à  Byzance,  multipliait  à  Tégard  de  la  dynastie  nouvelle 
les  marques  de  son  dévouement  >.  A  ce  titre  déjà,  l'Afrique 
eût  mérité  la  reconnaissance  toute  particulière  et  la  faveur  du 
nouveau  prince  ;  d'autres  raisons  par  surcroît  la  recomman- 
daient tout  spécialement  à  sou  affection:  c'est  à Garthage  qu'il 
avait  passé  les  plus  belles  années  de  sa  jeunesse,  s'instruisant, 
sous  la  direction  de  son  père,  au  métier  d'homme  de  guerre  et 
d'administrateur;  c'est  en  Afrique  qu'il  avait  rencontré  et 
aimé  Eudocîe,  la  fille  de  Rogatus,  dont  la  captivité,  on  Ta  vu, 
n'avait  pas  peu  contribué  à  précipiter  le  soulèvement,  et  dont, 
au  lendemain  de  sa  victoire,  il  fit  en  un  même  jour  sa  femme 
et  l'impératrice  de  Byzance  *;  et  quoique  la  jeune  souveraine 
soit  morte  après  deux  années  seulement  de  mariage,  quoique 
Héraclius  semble  s'être  assez  vite  consolé  de  sa  perte,  pour- 
tant il  garda  toujours  un  réel  attachement  au  pays  qui  avait 
été  le  berceau  de  ses  premières  ambitions  et  de  ses  premiers 
rêves.  On  en  trouve  une  preuve  fort  curieuse  dans  la  résolu- 
tion que  l'empereur  manqua  prendre  en  619. 

La  situation  de  l'empire  en  Orient  semblait  à  ce  moment 
presque  désespérée.  Coup  sur  coup,  les  Perses,  venaient  de 
conquérir  la  Syrie,  la  Palestine,  l'Egypte'*;  de  nouveau  les 

1.  On  peat  voir  dans  Jean  de  Nikiou,  p.  553,  une  preuve  de  l'intérêt  pas- 
sionné que  l'Afrique  prenait  à  Texpédition  d'fléraclius. 

2.  Théophane,  p.  298;  Nicéph.,p.  3:  Ix  tûv  ''Açpciïv  xat  Mavpou(T{(Dv  ;  Jean  de 
Nikiou,  p.  541,  551. 

3.  Quand  Héraclius  parvint  à  rempire>  les  gens  d'Afrique,  dit  Jean  de 
Nikiou,  proclamaient  ses  mérites  en  disant  :  Cet  empereur  Héraclius  sera 
comme  Auguste  »  (Jean  de  Nikiou,  p.  552). 

4.  Théophane,  p.  298  :  tt|v  OuyaTépa  ToyS  xoO  ''Açpou,  et  iàid.,  299. 

5.  id.,p.  301;  Nicéph.,p.  9.  Sur  la  date  de  ces  événements,  cf.  Gelzer,  Chai' 


522  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

soldats  deChosroès  campaient  en  face  de  Gonstantinople,  sous 
les  murs  de  Chalcédoine  *  ;  et  comme  si  ce  n'était  pas  assez 
de  ces  cruels  désastres,  d^autres  misères  s'abattaient  sur  By- 
zance  :  les  blés  d'Egypte  manquant,  la  famine  se  déclarait 
dans  la  capitale;  bientôt  la  peste  venait  y  ajouter  ses  rava- 
ges ■  ;  il  semblait  vraiment  que  Dieu,  qui  avait  permis  que, 
dans  le  sac  de  Jérusalem,  la  sainte  croix  tombât  aux  mains 
des  infidèles,  se  fût  pour  toujours  détourné  de  son  peuple. 
Héraclius,  profondément  abattu  par  tant  de  catastrophes,  ne 
sachant  où  trouver  les  ressources  nécessaires  pour  sauver 
Tempire,  songea  un  moment  à  abandonner  pour  toujours  cet 
Orient  qu'il  ne  pouvait  plus  défendre  ;  et  se  souvenant  dans 
cette  crise  décisive  du  dévouement  que  l'Afrique  gardait  à  sa 
famille,  il  pensa  à  transporter  à  Carthage  la  capitale  de  la 
monarchie  '.  Secrètement,  il  fit  embarquer  à  destination  de 
l'Occident  les  richesses  du  trésor  impérial  ;  un  ouragan  en- 
gloutit les  navires,  comme  si  Dieu  même  se  prononçait  contre 

kedon  oder  Karchedon  {Rhein.  Muséum,  1893),  p.  171,  173,  et  pour  la  prise 
d'Alexandrie,  Thomas  presbyter  (Land,  Ânecdota  Syriaca,  1, 115). 

1.  Théophaoe,  301.  De  Boor  lit  Kap^YiSùv  au  lieu  de  KaXxT,dcdv  et  Bary 
(H,  p.  216,  n.  3;  se  demande  si  vraiment  il  ne  s'agit  pas  de  Carthage,  à  caase 
du  mot  Ai6uY]  qui  figure  dans  ce  passage  de  Théophane,  et  s*il  n*y  a  pas 
quelque  rapport  entre  ce  fait  et  le  dessein  d'HéracIius  d'émigrer  à  Carthage. 
Mais  Nicéphore  (p.  9)  parle  nettement  de  Chalcédoine  et  la  Chronique  pascale 
(p.  706)  précise  en  écrivant  :  «  à  Chalcédoine  et  aux  environs  de  Chrysopolis  ». 
Sur  cette  discussion,  cf.  de  Boor,  Zur  Chronographie  des  Theophanes  {Her- 
mès, 1890,  t.  XXV,  p.  301),  qui  admet  Texpédition  des  Perses  sur  Carthage,  et 
Gelzer,  Chalkedon  oder  Karchedon  (Rhein.  Muséum,  1893,  p.  163)  qui  dé- 
montre qu'il  s'agit  de  Chalcédoine  dans  le  texte  de  Théophane.  On  peut  citer 
en  faveur  de  celte  opinion  le  passage  de  Tabari  (Nôldeke,  p.  291-292)  où  il 
est  dit  que  les  Perses  occupèrent  «  l'Egypte,  Alexandrie  et  la  Nubie  »,  sans 
qu'il  soit  question  de  l'Afrique.  Toutefois,  à  un  autre  endroit,  Tabari  em- 
prunte à  Hisam  ben  Mohammed  el-Kelbi  (mort  en  820),  celte  information,  que  «  la 
cavalerie  de  Chosroès  II  parvint  jusqu'à  Constantin opie  et  enlfrikiya  »  (Nôl- 
deke, p.  352). 

2.  Nicéphore,  p.  12. 

3.  Morcelli,  III,  p.  358,  croit  que,  dès  615,  Héraclias  pensa  à  envoyer  ses 
enfants  en  Afrique  près  de  son  père  et  à  abdiquer.  Cette  erreur  vient  de  ce 
qu'on  a  mal  compris  le  passage  de  la  Chronique  pascale  (p.  708)  ;  il  s'agit 
évidemment  dans  ce  texte  de  l'hésitation  qu'Héraclias  eut  en  610  à  accepter 
l'empire. 


L'AFRÎQUE  SOUS  LE  RÈGNE  D'HÉRACLIUS  (610-641)  523 

les  desseins  du  basileus.  Néanmoins  Héraclius  s'obstinait  à 
partir:  mais  quand  le  peuple  de  Constanlinople  apprit  cette 
résolution,  ce  fut  dans  la  ville  une  consternation  générale; 
solennellement  le  patriarche  Sergius  vint  rappeler  au  prince 
les  devoirs  qu'il  semblait  près  d'oublier,  et  dans  Sainte-Sophie, 
au  pied  des  autels,  il  exigea  de  l'empereur  le  serment  de  ne 
jamais  abandonner  sa  capitale.  Héraclius  céda,  quoique  à 
regret,  aux  désirs  de  ses  sujets  et  à  l'énergique  volonté  de 
Sergius  *  :  il  en  devait  être  récompensé  par  un  regain  de 
gloire.  Pendant  quelques  années,  la  fièvre  religieuse  allait 
faire  de  lui  le  sauveur  du  christianisme  et  de  l'empire,  et, 
suivant  l'expression  d'un  de  ses  panégyristes,  le  champion  et 
le  «  lieutenant  de  Dieu  »  •. 

Après  cet  épisode  significatif,  il  n'est  plus  fait  mention  de 
l'Afrique  dans  aucun  des  historiens  du  règne  d'Héraclius. 
Pourtant  quelques  indices  épars  attestent  Timportance  qu'eut 
toujours  la  province  aux  yeux  de  l'empereur,  et  sa  sollicitude 
se  manifeste  en  particulier  dans  le  choix  des  personnages 
qu'il  appela  à  la  gouverner.  Au  lendemain  de  la  révolution  de 
610,  le  père  de  l'empereur,  le  vieil  Héraclius,  conserva  la 
charge  d'exarque  qu'il  remplissait  depuis  tant  d'années,  et  il 
demeura  en  fonctions  jusqu'à  sa  mort.  Jean  de  Nikiou  raconte 
en  effet  que,  peu  de  temps  après  le  couronnement  de  son  fils, 
«  Héraclius  tomba  malade  et  mourut  au  siège  même  de  son 
gouvernement  »  *.  Faut-il  croire,  comme  on  l'a  affirmé,  qu'a- 
pfès  la  mort  du  patrice  Héraclius  *,  on  plaça  à  la  tête  de 
l'exarchat  Grégoire,  son  frère  et  son  ancien  lieutenant,  et 
qu'on  nomma,  dans  ce  gouvernement  de  l'Occident  lointain, 
le  propre  oncle  de    l'empereur  ^  ?  Bien   qu'aucun  texte  ne 


1.  Nicéph.,  p.  12. 

2.  Cf.  Bury,  H,  p.  218-219;  Drapeyron,  Héraclius,  p.  107-110  et  114-118. 

3.  Jean  de  Nikiou,  p.  553.  Cf.  Drapeyron,  /.  c,  p.  15. 

4.  1!  était  mort  avant  617.  A  cette  date  la  Chronique  pascale  (p.  708)  lai 
donne  l'épithète  d*dee((jivr)<TToç.  Jean  de  Nikiou  (p.  553)  permet  de  croire 
qu'il  mourut  Ters  611. 

5.  Drapeyron,  p.  15»  108.  Cf.  Tauxier  {Revue  africaine,  1883,  p.  242). 


524  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

vienne  ici  confirmer  cette  assertion,  l'hypothèse  n'est  pas  in- 
vraisemblable.  Toutefois  Grégoire  ne  resta  point  fort  long- 
temps à  Carthage  :  il  semble  bien  qu'aux  environs  de  Tan- 
née 617,  l'Afrique  avait  pour  gouverneur  le  patrice  GaesariusV 
Mais  en  tout  cas,  il  est  certain  que,  quelques  années  plus  tard, 
de  nouveau  la  province  fut  confiée  à  un  prince  de  la  famille 
impériale.  C* était  Nicétas,  le  Sis  de  Grégoire  et  le  cousin  du 
basileus,  celui-là  même  qui  avait  si  puissamment  aidé  Héra- 
clius  à  renverser  Phocas.  Investi,  en  récompense  de  ses  ser- 
vices, de  la  haute  dignité  de  comte  des  excubiteurs*,  chargé 
pendant  plusieurs  années  du  commandement  des  troupes  sur 
la  frontière  perses,  il  avait  reçu  en  outre  l'important  gouver- 
nement d'Egypte*;  traité  par  l'empereur  comme  un  véritable 
frère  *,  il  jouissait  à  la  cour  d'une  faveur  sans  égale*,  et  par 
les  fiançailles  de  sa  fille  Gregoriaavec  Théritier  présomptif  de 
l'empire',  il  était  vraiment  sur  les  marches  du  trône.  G'estce 
grand  personnage  qu'Héraclius  ne  jugea  point  inutile  de  nom- 
mer au  gouvernement  de  l'Afrique  *.  L'Egypte  venait  d'être 
envahie  par  les  Perses  (619)  ;  de  sérieux  périls  menaçaient 
l'Occident  byzantin  ;  cela  seul  eût  suffi  à  expliquer  le  choix 
du  prince.  Mais  en  outre  c'était  devenu  une  tradition  de  la 


1.  C'est  une  hypothèse  de  Gelzer  (Georg.  Cypr.,  p.  xui).  On  trouve  en  615 
un  patrice  Caesarins  négociant  avec  Sisebuth  pour  terminer  la  guerre  en 
Espagne  (Mon.  Germ,  hist.j  Epist.^  UI,  662  sqq.),  et  on  peut  se  demander,  les 
possessions  byzantines  d'Afrique  étant  rattachées  àlaMauritanie  seconde,  si  ce 
patrice  n'est  point  l'exarque  d'Afrique.  11  n'y  a  dans  ces  lettres  aucun  passage 
vraiment  décisif.  On  lit  seulement,  p.  664  :  «  etsi  in  exleris  degeam  finibus»; 
et  à  la  p.  667,  le  roi  transmet  directement  aux  judices  grecs  le  texte  delà  con- 
vention préliminaire  conclue  entre  lui  et  le  patrice  :  ce  qui  semble  indiquer 
que  celui-ci  est  éloigné  des  places  d'Espagne.  Mais  la  question  reste  doateuse. 

2.  Nicéph.,  p.  6. 

3.  Chron,  pose,  p.  703,  705. 

4.  Léontius  de  Néapolis,  Fie  de  Jean  V Aumônier  (éd.  Gelzer),  ch.  12  (p.  23), 
14  (p.  28),  15  (p.  30),  44  (p.  90,  91,  92)  et  la  note  de  Gelzer,  p.  129-130. 

5.  Nicéph.,  p.  6. 

6.  Jean  Moschus^  dans  Gelzer,  l,  c,  p.  110. 

7.  Nicéph.,  p.  9. 

8.  AiTJYYjffiç  tÎA>xw96Î^^?  (Combefis,  /.  c,  I,  324).  Cf.  Gelzer,  l.  c,  p.  130- 
131. 


L'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  D'HÉRAGLIUS  (610-641)  525 

politique  impériale  de  confier  aux  parents  du  basileus  les 
charges  les  plus  importantes  du  gouvernement.  Maurice  et 
Phocas  Tavaient  fait  pour  leurs  proches  *.  Héraclius,  de  même, 
éleva  son  frère  Théodore  à  la  dignité  de  curopalate,  et  lui 
coufia  à  plusieurs  reprises  le  soin  de  combattre  les  Perses  et 
les  Arabes';  à  son  neveu  Théodore  il  donna  le  titre  fort  con- 
sidérable de  magistros^\  à  son  cousin  Nicétas,  fait  comte  des 
cxcubiteurs,il  avait  confié  TÉgypte  pendant  de  longues  années. 
Quoi  d'étonnant  à  ce  qu'il  ait  voulu  placer  en  des  mains  sûres 
le  gouvernement  de  la  lointaine  Afrique?  C'est  entre  619,  date 
où  Nicétas  quitta  TÉgypte*  et  629,  date  où  nous  savons  qu'il 
était  mort  •,  qu'il  faut  placer  Tadministration  du  patrice  Nicé- 
tas. 

Plus  tard,  un  autre  prince  encore,  apparenté  à  la  maison 
souveraine,  gouverna  l'exarchat  d'Afrique,  si  du  moins  on 
accepte  la  séduisante  conjecture  qui  reconnaît  dans  le  patrice 
Grégoire  le  propre  fils  de  Nicétas •.  Au  vrai,  l'hypothèse  est 
des  plus  vraisemblables.  Certes  on  ne  saurait  tirer  des  con- 
clusions certaines  du  nom  que  porte  le  personnage;  il  faut 
bien  remarquer  pourtant  que  le  père  de  Nicétas  s'appelait  Gré- 
goire et  sa  fille  Gregoria'.  Un  autre  témoignage  atteste  que 
cette  branche  de  la  famille  impériale,  établie  en  Afrique  de- 
puis deux  générations,  resta  assez  intimement  attachée  à  la 


1.  Bury,  U,  p.  210. 

2.  Nicéph.,  p.  7;Théophane,  p.  315,  327,  337. 

3.  Nicéph.,  p.  25. 

4.  Geizer, /.  c,  p.  130. 

5.  Nicéph.,  p.  21. 

6.  Bury,  H,  p.  287  ;  Tauzier,  Le  patrice  Grégorius  (Revite  africaine,  1885, 
p.  284);Gelzer,  /.  c,  p.  131. 

7.  Je  ne  sais  où  Ton  pread  un  Gregorias  frère  d'Héraclius  (Bury,  II,  p.  v; 
Tauzier,  l.  c,  p.  SOO-301).  De  Boor  se  trompe  eu  effet  à  ce  sujet  dans  l'index 
de  Nicéphore  (p.  240).  On  connaît  seulement  par  Théophane  un  Grégoire, 
neveu  d*Hèraclius,  qui  mourut,  en  651-52  à  Héliopolis,  prisonnier  des  Arabes 
(Théophane,  p.  345).  Tauxier,  /.  c,  veut  identifler  ce  personnage  avec  le  pa- 
trice d'Afrique,  qui  serait,  selon  lui,  tombé  en  647  aux  mains  des  musulman^  : 
il  faut  plutôt  y  reconnaître,  ce  semble,  le  Grégoire,  fils  de  Théodore,  qui  en 
649-50  fnt  remis  comme  otage  aux  mains  de  Moaviah. 


526  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

province  :  lorsque,  en  628  ou  629,  on  célébra  le  mariage  de 
Gregoria  avec  le  jeune  empereur  Héraclius  Constantin,  la 
fiancée,  quoique  son  père  fût  déjà  mort  à  cette  date,  vivait 
dans  la  province  de  Pentapole*  ;  ce  qui  semble  peu  explicable, 
à  moins  d'admettre  que  la  famille  de  Gregoria  possédait  des 
propriétés  dans  cette  région,  ou  qu'un  de  ses  membres  y  rem- 
plissait une  charge  administrative.  Enfin  il  est  naturel  qu'Hé- 
raclius  ait  reporté  sur  le  fils  de  Nice  tas  la  faveur  dont  il  avait 
comblé  le  père,  et  qu'à  ce  personnage,  beau-frère  de  Théritier 
du  trône,  il  ait  remis  en  toute  confiance  l'important  gouverne- 
ment d'Afrique,  devenu  en  quelque  sorte  héréditaire  dans  sa 
famille  :  cela  surtout  en  un  moment  où  Tinvasion  arabe  sem- 
blait de  plus  en  plus  menacer  cette  province,  et  où  le  pays,  on 
le  verra,  tendait  par  surcroît  à  s'affranchir  de  l'autorité  de 
l'empereur.  J'ajoute  que,  dans  cette  hypothèse,  on  comprend 
mieux  bien  des  détails  du  soulèvement  que  Grégoire  tenta  en 
646,  et  l'appui  universel  qu'il  trouva  dans  un  pays  dévoué  de 
longue  date  à  sa  race  ',  et  la  sympathie  qu'il  rencontra  dans 
tout  rOccident,  hostile  à  la  descendance  directe  d'Héraclius', 
et  désireux  pourtant  de  ne  point  se  détacher  de  l'empire,  et 
enfin  les  motifs  mêmes  qui  décidèrent  l'exarque  à  se  proclamer 
empereur. 

Ce  sont  là,  je  le  sais,  de  simples  conjectures  ;  pourtant  la 
présence  certaine  d'Héraclius  l'ancien  et  de  Nicétas  àla  tète  de 
l'administration  africaine  leur  donne  une  grande  probabilité  ; 
elles  ne  tirent  pas  moins  de  vraisemblance  de  ce  fait,  que  TAfri- 
quesemble  avoir  été,  sousle  règne  d'Héraclius,  une  des  parties 
les  plus  prospères  de  la  monarchie,  qu'elle  fut  visiblement  aussi 
Tune  de  celles  pour  qui  l'empereur  témoigna  la  plus  attentive 
sollicitude.  Vers  le  milieu  du  vu*  siècle,  l'Occident  semblait 
vraiment  le  plus  sur  boulevard  de  Tempire;  en  619,  on  l'a  vu, 
Héraclius  songeait  à  se  retirer  à  Carthage;  en  662,  son  pelil- 


i.Nicéph.,p.  21. 

2.  Théophaue,  p.  343. 

3.  P.   G.,  XC,  p.  111. 


L'AFKIQUE  sous  le  règne  D*HÉRAGLUJS  (610-641)  527 

fils,  Constant  II,  pensait  à  rétablir  à  Rome  la  ca^pitale  de  la 
monarchie,  et,  en  fait,  il  transportait  pour  six  ans  en  Sicile  le 
siège  de  l'autorité  impériale  *. 

Et  en  effet,  des  rares  événements  qui  nous  font  entrevoiries 
destinées  de  TAfrique  byzantine  dans  la  première  moitié  du 
vu®  siècle,  on  peut  conclure  que  jamais  la  province  ne  fut  plus 
tranquille  et  plus  florissante*.  Pour  qu'en  610  Texarque  Héra- 
clius  n*ait  point  hésité  à  dégarnir  TAfrique  des  forces  nom- 
breuses qu'il  confia  à  son  fils  et  à  son  neveu,  il  faut  évidem- 
ment que  le  pays  ait  été  parfaitement  calme  ;  et  la  facilité  avec 
laquelle  le  gouverneur  révolté  recruta  des  soldats  parmi  les 
indigènes  atteste  qu'à  cette  date  les  tribus  berbères  étaient 
entièrement  soumises.  Pour  qu'en  619  l'empereur  Héraclius, 
qui  connaissait  par  un  long  séjour  la  situation  des  provinces 
africaines,  ait  songé  à  transporter  à  Carthage  le  siège  de  la 
monarchie,  il  faut  qu'à  ce  moment  le  pays  ait  été  complète- 
ment pacifié  et  singulièrement  prospère  ;  on  ne  comprendrait 
point  sans  cela  que  le  prince  eût  pensé  à  chercher  dans  TOcci- 
dent  un  sûr  et  tranquille  asile,  qu'il  eût  espéré  y  trouver  les 
éléments  d'une  sérieuse  et  durable  résistance.  Et,  de  fait,  nous 
constatons  qu'à  cette  date  l'influence  byzantine  semble  s'é- 
tendre au  loin  à  travers  TAfrique.  Grâce  à  l'active  propagande 
des  missionnaires,  de  toutes  parts  les  conversions  se  sont 
multipliées.  Dans  le  sud  de  la  Byzacène,  de  nombreuses  po- 
pulations chrétiennes  habitent  les  oasis  du  Djerid  ^;  lareligion 
catholique  pénètre  parmi  les  tribus  de  l'Aurès  et  du  Zab  '"  ; 
dans  laMaurétanie  Césarienne,  les  Zenata  qui  peuplent  la  ré- 
gion au  sud  de  Tlemcen  professent  le  christianisme  ^  ;  la  puis- 
sante confédération  desAuraba  est  convertie  à  l'orthodoxie  *; 
un  grand  état  indigène  et  catholique  existe  aux  environs  de 


1.  Cf.  Bury,  11,  p.  297-299. 

2.  Cf.  Bury,  U,  p.  203,  212,  219. 

3.  U)n  Khaldoun,  Rist.  des  Berbères,  I,  p.  231. 

4.  Ibid.,  in,  p.  191  ;  Recueil  de  ConsL,  1873-74,  p.  226. 
:i.  IbQ  Khaldoun,  I,  p.  212  ;  IH,  p.  191. 

6.  Ibid.,  I,  p.  211. 


528  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Tiaret  *.  Et  non  seulement  des  chrétientés  se  rencontrent  dans 
rintérieur  de  la  Maurétanie  Césarienne  et  de  la  Tingitane  ; 
mais  —  et  voilà  qui  est  vraiment  significatif  —  les  évoques 
de  ces  diocèses  lointains  viennent  assister  aux  conciles  de 
Carthage  ■.  Or  ce  fait  demeure  inexplicable,  si  Ton  n'admet 
deux  choses:  d'une  part,  qu'une  paix  profonde,  sans  laquelle 
les  communications  eussent  été  proprement  impossibles, 
régnait  alors  en  Afrique  ;  de  Tautre,  qu'entre  les  princes  ber- 
bères de  la  Césarienne  et  l'autorité  impériale  existaient  des 
relations  cordiales^  sans  lesquelles  les  évèques  n'auraient  pu 
entretenir  nul  rapport  avec  les  prélats  du  pays  byzantin  *. 

On  peut  croire  également  qu'au  point  de  vue  matériel,  ia  pro- 
vince était  riche  et  prospère.  D'activés  relations  de  commerce 
existaient  entre  l'Afrique  et  l'Egypte*,  entre  l'Afrique  et  la 
Sicile*  :  les  vaisseaux  de  Carthage  portaient,  on  l'a  vu, 
chaque  année  à  Byzance  une  partie  des  blés  nécessaires  à 
Talimentation  de  la  capitale;  et  l'état  où  se  trouvait  l'A- 
frique, au  moment  de  l'invasion  arabe,  atteste  qu'elle  avait 
complètement  réparé  les  désastres  de  l'époque  de  Justinien. 
Les  écrivains  musulmans  parlent  avec  enthousiasme  de  la 
luxuriante  végétation  de  l'Afrique,  de  la  richesse  de  ses  villes, 
du  butin  prodigieux  qu'y  trouvèrent  les  soldats  du  khaUfe, 
des  rançons  immenses  dont  les  populations  achetèrent  la 
retraite  des  envahisseurs.  «  Depuis  Tripoli  jusqu'à  Tanger, 
dit  En-Noveiri,  tout  le  pays  n'était  qu'un  seul  bocage  et  une 
succession  continuelle  de  villages  »  *  ;  et  Ibn  Abd-el-Hakem 
raconte  cette  anecdote  caractéristique  :  «  Voyant  les  pièces 
monnayées  qu'on  avait  mises  en  tas  devant  lui^  Abdallah 

1.  Fournel,  1,  p.  167-168. 

2.  Byz.  Zeitschr.,  II,  p.  26  et  30-34. 

3.  Sur  ces  relations,  qui  semblent  avoir  parfois  abouti  à  une  véritable  suze- 
raineté byzantine,  voiries  textes  précédemment  cités  dlbn  Rhaldoun  (I,  p.  208; 
III,  p.  191-192)  parlant  d'un  impôt  payé  par  les  tribus  au  gouvernement  impé- 
rial. 

4.  Vie  de  Jean  rAumônier  (éd.  Gelzer),  p.  23,  40,  54-55. 

5.  Vie  de  Grégoire  d'Agrigente  {P.  G.,  XCVUI)  ch.  7-8  (p.  559),  19  (p.  579). 

6.  £n-Noveiri  (Joum.  osiaL,  1841),  p.  559. 


L'AFRIQUE  SOUS  LE  RÉGNE  D'HÉRACLIUS  (610-64«)  529 

ibn  Saad  demanda  aux  Africains  d'où  cet  argent  leur  était 
venu;  et  Tun  d'entre  eux  se  mit  à  aller  de  côté  et  d'autre, 
comme  s'il  cherchait  quelque  chose,  et,  ayant  trouvé  un^  olive, 
il  l'apporta  à  Abdallah.  «  Les  Grecs,  répondit  cet  homme, 
n'ont  pas  d'olives  chez  eux,  et  ils  viennent  chez  nous  acheter 
de  l'huile  avec  ces  pièces  de  monnaie  *.  »  Certes  il  y  aurait 
quelque  naïveté  à  prendre  entièrement  à  la  lettre  les  merveil- 
leux récits  des  historiens  arabes  ;  cependant,  il  est  permis  de 
croire  qu'il  y  a  ici,  dans  leurs  affirmations,  un  fonds  de  vérité. 
Dans  les  steppes  aujourd'hui  désertes  qui  s'étendent  au 
sud  de  Kairouan,  dans  les  vastes  plaines  abandonnées  qui 
bordent  les  versants  septentrionaux  de  l'Aurès,  dans  la  région 
montagneuse  qui  couvre  le  centre  de  la  Tunisie,  à  chaque  pas, 
on  rencontre  les  ruines  de  villes,  petites  ou  grandes,  de  gros 
villages,  de  vastes  et  nombreuses  exploitations  agricoles  ;  or, 
nous  avons  la  preuve  que,  malgré  la  guerre  et  les  ravages  des 
nomades,  la  plupart  de  ces  points  étaient  occupés  encore  vers 
le  milieu  du  vn«  siècle  :  c'est  de  celte  époque  en  effet  que 
datent  en  grande  partie  les  fortins  qui  s'élèvent  au  centre  ou 
à  proximité  de  chacune  de  ces  ruines.  Toute  cetle  vaste  ré- 
gion, où  l'on  ne  rencontre  plus  guère  de  nos  jours  que  des 
campements  de  nomades,  était  alors,  en  grande  partie^  habi- 
tée d^une  manière  permanente  et  mise  en  culture  par  de  labo- 
rieuses populations  :  au  xi^  siècle  encore,  dans  les  environs 
de  Gafsa,  on  comptait  «  plus  de  deux  cents  bourgades  floris- 
santes et  bien  peuplées  »  *  ;  à  Sbiba  «r  les  eaux  abondaient 
ainsi  que  les  fruits  »;  dans  la  vaste  plaine  déserte  qui  envi- 
ronne Kairouan,  le  pays  était  admirablement  fertile*;  de 
Kairouan  jusqu'à  Ebba,  c'était  une  succession  continuelle  de 
«  villages  et  de  lieux  habités  »^;  à  Djeloula,  à  Lorbeus,  où 
aujourd'hui  il  ne  reste  rien,  on  voyait  de  magnifiques  jardins 

1.  Ibn  Abd-el-Hakem  {Journ.  asial.y  1844),  p.  363  30 i. 

2.  El-BekrJ  (Journ.  asiat.,  1858),  p.  529-530. 

8.  /d.,  1859,  p.  59,  396;  Ibu  Ilaukai  {Journ,  asiuL,  1842),  p.  214-215. 

4.  El-Bekri,  1858,  p.  473,  419. 

5.  Id.,  1859,  p.  69. 

I.  3i 


530  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

et  une  végétation  luxuriante  ^  Je  ne  parle  point  de  la  riche 
vallée  de  la  Medjerda,  où  Badja  était  encore  «  le  grenier  de 
rifrikiya  »  '  ;  mais  sur  le  haut  plateau  numide,  à  Tébessa^  à 
Bagai,  «  les  environs,  arrosés  par  des  ruisseaux,  étaient  cou- 
verts d'arbres  fruitiers,  de  champs  cultivés  et  de  pâturages  »  *; 
la  grande  plaine  du  Bellezma  était  «  couverte  de  villages  et  de 
champs  cultivés  »*  ;  dans  TAurës  «  les  eaux  abondaient  et  l'a- 
griculture était  florissante  »  ^  ;  et  au  sud  même  du  massif  mon- 
tagneux, sur  la  lisière  actuelle  du  désert^  Badis  montrait 
«  des  champs  magnifiques  en  plein  rapport  »  qui,  comme  au 
temps  de  Corippus,  produisaient  deux  récoltes  par  an  *. 
Certes,  je  ne  prétends  point  que  des  témoignages  d'El-Bekri 
ou  d'Ibn  Haukal  il  faille  rien  conclure  sur  l'état  de  l'Afrique 
au  temps  d'Héraclius;  pourtant,  si  après  tant  de  guerres 
intestines,  d'invasions,  de  désastres,  elle  offrait  encore,  au 
xi«  siècle,  cet  aspect  florissant  dans  les  régions  mêmes  que 
nous  voyons,  au  vii^  siècle,  occupées  par  les  populations 
soumises  à  Byzance,  ne  pouvons-nous  croire  que  dans  le 
même  pays,  dans  des  conditions  assez  analogues,  ces  popula- 
tions aussi  connurent  une  semblable  prospérité?  £n  tout  cas, 
ce  qui  est  certain,  c'est  qu'au  milieu  du  vn**  siècle  encore  on 
trouvait  dans  l'Afrique  byzantine  du  loisir  pour  éleverquelques 
édifices,  et  cela  jusque  dans  les  villes  situées,  bien  loin  de 
la  côte,  dans  les  parties  les  plus  méridionales  du  haut  pla- 
teau numide.  Les  deux  seules  inscriptions  sûrement  datées 
que  nous  possédions  de  cette  époque  proviennent.  Tune  de  la 
banlieue  de  Tébessa,  l'autre  des  ruines  de  Timgad  ^;  toutes 
deux  rappellent  la  construction  de  quelques  monuments,  et 
ces  monuments  ne  sont  point,  comme  on  pourrait  croire,  des 


1.  EUBekri,  1858,  p.  489-490,  527-S28. 

2.  ld„  1869,  p.  76.  Cf.  Ibn  Haukal,  l.  c,  p.  180. 

3.  El-Bekri,  1859.  p.  60;  ïbû  Haukal,  p.  216-217  ;  EI-Bekri,  !859,  p.  60,  396. 

4.  Êl-Bekri,  1859,  p.  61-62. 

5.  IbQ  Haukal,  p.  217. 

6.  El-BekTi,  1859,  p.  131. 

7.  C.  /.  £.,  Vin,  10681,  2389. 


L'AFRIQUE  SOUS  LE  RÈGNE  DHÊRACLIUS  {610-641}  331 

ouvrages  de  fortificalion  ;  à  la  veille  même  de  rinvasion 
arabe^  un  fonctionnaire  byzantin  trouvait  le  temps  de  réparer 
une  église  dans  la  cité  de  Thamugadi. 


III 

Pourtant  quelques  ombres  attristaient  cette  prospérité  et 
faisaient  pressentir  la  décadence  prochaine.  Dans  Fextrème 
Occident,  Texarchat  perdait  la  plus  grande  partie  des  posses- 
sions d'Espagne  qui,  depuis  la  fin  du  vi«  siècle,  faisaient  par- 
tie de  la  Maurétanie  seconde.  Vers  615,  le  roi  des  Wisigoths, 
Sisebuth,  profilait  des  embarras  pressants  que  causaient  à 
l'empire  les  attaques  des  Avares  et  l'invasion  encore  plus 
menaçante  des  Perses  ;  en  deux  sanglantes  batailles,  il  écra- 
sait les  troupes  impériales,  il  emportait  d'assaut  plusieurs  des 
villes  grecques,  bloquait  par  terre  et  par  mer  celles  qui  étaient 
situées  sur  la  côte  *  et  obligeait  le  palrice  Caesarius  à  implo- 
rer la  paix*.  Elle  fut,  vers  616,  ratifiée  à  Constantinople:  Hé- 
raclius  se  résignait  à  abandonner  une  grande  partie  du  terri- 
toire jadis  conquis  par  Justinien  *.  Un  peu  plus  tard,  sous  le 
règne  de  Svinthila  (621-631  ),  ce  furent  de  nouveaux  désastres  ; 
les  officiers  grecs  qui  commandaient  en  Espagne  se  laissèrent 
battre  ou  gagner  par  leur  énergique  et  habile  adversaire;  les 
villes  demeurées  sous  Tautorité  impériale  tombèrent  presque 
toutes  aux  mains  des  Wisigoths*.  Bientôt,  du  côté  de  Test,  un 
nouveau  péril  s'approcha  des  frontières  de  l'Afrique  ;  en  640, 


1.  Isidore  de  Séville,  Chronique  {éd.  Mommscu,  p.  479);  UisL  regumOotk, 
(ibid.,  p.  291,  295). 

2.  Cf.  les  lettres  eatre  Caesarius  et  Sisebath  (Mon.  Germ.  hist,^  EpisL,  III, 
662  sqq.). 

3.  Cf.  Dahn,  Die  Kànige  der  Germanen,  V,  p.  178-179. 

4.  Isid.  de  Séville,  Chronique,  p.  480  et  Hisloria  [l.  c,  p.  292);  Dahn,  /.  c,  V, 
p.  185.  Pourtant  toutes  les  places  grecques  ne  furent  pas  conquises.  A  la  fin 
du  v]i«  siècle,  il  existe  encore  un  territoire  byzantin  en  Espagne  (P.  G.,  XCVIll, 
686,  698;  Jaffé,  2121  et  Duchesne,  Bibl.  de  VÈcole  des  Charles,  1891,  p.  19). 


532  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

les  Arabes  envahissaient  TÉgypte,  et  le  contre-coup  de  ce 
grave  événement  se  faisait  sentir  jusque  dans  l'exarchat*.  Faut- 
il  croire  qu'à  cette  date  laTripolitaine,  devenue  ainsi,  contre 
rinvasion  musulmane  menaçante,  le  boulevard  avancé  de  la 
province,  fut,  comme  au  temps  de  JusLtinien,  replacée  sous 
l'autorité  suprême  du  patrice  qui  résidait  à  Garthage?  Les  bis* 
toriens  arabes  affirment  que  l'autorité  de  Texarque  Grégoire 
s'étendait  de  Tripoli  jusqu'à  Tanger  ■,  et  il  semble  assez  vrai- 
semblable qu'on  ait,  à  ce  moment,  concentré  entre  les  mêmes 
mains  toutes  les  forces  byzantines  cantonnées  dans  le  nord 
de  TAfrique.  Mais  contre  le  danger  pressant,  Texarchat  était- 
il  vraiment  capable  de  faire  une' sérieuse  résistance?  En 
apparence,  la  province  était  prospère:  la  domination,  ou  tout 
au  moins l'iniluence  byzantine, s'étendait  au  loin  dans  le  pays; 
l'administration  demeurait  constituée  selon  les  principes  fixés 
à  la  fin  du  vi^  siècle  '.  En  fait,  des  causes  internes  de  désor- 
ganisation préparaient  lentement  en  Afrique  la  ruine  de  l'au- 
torité impériale,  et  elles  devaient  avoir  pour  effet  de  livrer  la 
province  presque  sans  défense  à  la  première  attaque  des  mu- 
sulmans. 

\.  p.  G.,  xc,  ill. 

2.  Ibo  Abd-el-Uakein  (Joura.    asial.,   1844),    p.   360;    EUBeladori,  ibid., 
p.  353. 

3.  P.  L.,  LXXX,  478 


LIVRE  V 

LA  CHUTE  DE  U  DOMINATION  BYZANTINE 
EN  AFRIQUE 

(641-709) 


LIVRE  V 

LA  CHUTE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

(641-709) 


CHAPITRE  PREMIER 

LES  G\USES  INTERNES  DE  LA  DÉCADENCE 

Vers  le  milieu  du  w\^  siècle,  la  dominalion  byzantine  s'é- 
tendait encore,  au  moins  en  apparence,  sur  la  plus  grande 
partie  des  territoires  qui,  cent  ans  auparavant,  reconnais- 
saient Tautorité  impériale.  En  Tripolitaine,  les  garnisons 
grecques  occupaient  les  villes  du  littoral,  Tripoli,  Sabrata, 
Gabës';  les  frontières  de  la  Byzacène  atteignaient,  comme 
autrefois^  le  bord  septentrional  des  Ghotts,  et  parmi  les  villes 
importantes  de  la  province  on  citait,  sur  la  côte,  lunca,  The- 
nae,  Ruspae,  Leptis,  Hadrumète',  et,  dans  Tintérieur  des 
terres,  Thysdrus,  Autenti,  Sufetula,  Thélepte,  Capsa*.  En 
Numidie,  les  Byzantins  possédaient  toujours  les  puissantes 
citadelles  construites  au  vi®  siècle  au  pied  des  massifs  de 


1.    Ibo  Abd-el-Hakem  (Joum.  anal.,  1844,  p.  357-359);  En-Noveiri  (Jourtu 
asiat.f  1841,  p.  102)  ;  Fooroel,  Uê  Berbera,  I,  p.  18  et  22  Dote  e. 
S.  Labbe,  VI,  138-139. 
S.  7(2.,  VI,  138-139;  Eo-Noyeiri,  l.  c,  p.  109. 


532  HISTOIRE  DE  L\  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

les  Arabes  envahissaient  TÉgypte,  et  le  contre-coup  de  ce 
grave  événement  se  faisait  sentir  jusque  dans  l'exarchat*.  Faut- 
il  croire  qu'à  cette  date  la  Tripolitaine,  devenue  ainsi,  contre 
rinvasion  musulmane  menaçante,  le  boulevard  avancé  de  la 
province,  fut,  comme  au  temps  de  Ju^tinien,  replacée  sous 
l'autorité  suprême  du  patrice  qui  résidait  à  Carthage?  Les  his- 
toriens arabes  affirment  que  l'autorité  de  Texarque  Grégoire 
s'étendait  de  Tripoli  jusqu'à  Tanger  ',  et  il  semble  assez  vrai- 
semblable qu'on  ait,  à  ce  moment,  concentré  entre  les  mêmes 
mains  toutes  les  forces  byzantines  cantonnées  dans  le  nord 
de  l'Afrique.  Mais  contre  le  danger  pressant,  Texarchat  était- 
il  vraiment  capable  de  faire  une' sérieuse  résistance?  En 
apparence,  la  province  était  prospère:  la  domination,  ou  tout 
au  moins rintluence  byzantine, s'étendait  au  loin  dans  le  pays; 
l'administration  demeurait  constituée  selon  les  principes  flxés 
à  la  fin  du  vi*  siècle  *.  En  fait,  des  causes  internes  de  désor- 
ganisation préparaient  lentement  en  Afrique  la  ruine  de  l'au- 
torité impériale,  et  elles  devaient  avoir  pour  effet  de  livrer  la 
province  presque  sans  défense  à  la  première  attaque  des  mu- 
sulmans. 


4.  P.  G.,  XC,  ill. 

2.  Iba  Abd-el-Hakem  (Journ,    asial.,   1844),    p.  360;    EUBeladori,  ibid., 
p.  353. 

3.  P.  L.,  LX\X,  478 


LIVRE  V 

LA  CHUTE  DE  lA  DOMINATION  BYZANTINE 
EN  AFRIQUE 

(641-709) 


/ 
y 


540  HISTOIRE  DE  Lk  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

berbère  *  ;  et  en  effet  elle  groupait  autour  d'elle  toute  une  confé- 
dération de  peuplades  indigènes.  Plus  à  l'ouest,  les  tribus  des 
Zenata  couvraient  les  hauts  plateaux  de  la  Maurétanie  Césa- 
rienne ;  et  parmi  elles,  les  Berghouata  tenaient  le  premier 
rang  dans  le  Maghreb-el-Aksa  *.  Or,  si  la  plupart  de  ces  popu- 
lations pratiquent  le  christianisme,  beaucoup  pourtant  sont 
juives  ou  idolâtres  *  ;  si  plusieurs  d'entre  elles  se  piquent  de 
rester  fidèles  àTalliance  byzantine,  déjà  la  plupart  ne  suivent 
que  leurs  intérêts  particuliers,  et  sans  résistance  elles  accep- 
teront, pourvu  qu'elles  y  trouvent  avantage,  la  religion  et  la 
domination  musulmanes  ^.  Sans  doute  elles  ne  sont  point 
encore  affranchies  de  tout  lien  avec  Byzance  ;  mais  Ibn 
Khaldoun  constate  que  vers  la  fin  du  règne  d'Héraclius  les  in- 
digènes cessèrent  de  payer  l'impôt  au  gouvernement  grec  ' 
et  arrachèrent  à  sa  faiblesse  toutes  sortes  de  privilèges  ;  vers 
le  même  temps^  l'historien  arabe  montre  les  Byzantins  reculant 
insensiblement  devant  les  indigènes,  repliant  leurs  garnisons 
dans  les  grandes  villes  de  la  province,  abandonnant  aux  Ber- 
bères les  campagnes  et  le  plat  pays,  et  se  contentant  d'une 
suzeraineté  plus  ou  moins  incertaine  sur  leurs  anciens  sujets 
devenus  presque  indépendants  *.  Évidemment  le  moment  est 


1.  Ibo  RhaldouD,  1,  p.  286. 

2.  Ibid  ,  II,  p.  124. 

3.  El-B^kri,  cité  par  Ibn  Khaldoun,  I,  p.  177;  Ibn  Rhaldouo,  I.  p.  208-209; 
Hl,  p.  19i-i92;  I,  p.  211.  D'après  Ibn  KbaMoan,  étaient  juifa  les  Djeraoua  de 
rAurès,  les  Nefouça  de  la  Tripolitatne,  plusieurs  tribus  de  la  Maurétanie 
(I,  p.  208-209). 

4.  Cestce  que  montrera  plus  loin  Thistoire  de  Koçéila  et  de  la  Rahéna. 

5.  Ibn  Khaldoun,  I,  p.  208.  On  remarquera  pourtant  que,  dans  un  autre 
passage  cité  plus  haut,  Ibn  Khaldoun  (III,  p.  191-192)  contredit  partiellement 
cette  affirmation. 

6.  On  a  voulu  reculer  à  uue  date  beaucoup  plus  ancienne  le  changement 
qui  parait  s'être  produit  au  vu*  siècle  dans  la  situaUon  des  Berbères  ▼is-à-^is 
des  Byzantins.  Interprétant  un  passage  d'El-Bekri  cité  par  Ibn  Khaldoun 
(I.  p.  177),  Tauxier  affirme  que,  dès  Tépoque  de  Justin  II,  un  arrangement 
fut  conclu  entre  Grecs  et  indigènes,  en  vertu  duquel  les  impériaux  demeu- 
rèrent en  possession  des  villes,  tandis  que  les  campagnes  étaient  entièrement 
abandonnées  aux  Berbères  {Revue  africaine,  1880,  p.  379-380,  384-385).  H  est 
certain  que  les  historieus  arabes  s'accordent  à  montrer  les  Byzantins  reçu- 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DECADENCE  541 

proche  où  les  grands  chefs  traiteront  d'égal  à  égal  avec  l'au- 
torité impériale,  où  les  vassaux  d'autrefois  se  transformeront 
en  de  libres  alliés.  Faut-il  aller  plus  loin  encore,  croire  qu*à 
côté  des  princes  indigènes  il  y  eut  place,  dans  l'Afrique  du 
VII®  siècle,  pour  «  de  petits  barons  féodaux  d'origine  ro- 
maine» ^  grands  propriétairesjouant  sur  leurs  vastes  domaines 
lerôle  de  chefs  de  tribus  etgroupant  autour  d'eux  et  sous  leur 
protection  les  habitants  chrétiens  de  la  région  ?  Faut-il  croire 
que  l'administration  byzantine,  se  contentant  de  recueillir  les 
impôts,  laissa  «  les  propriétaires  d'origine  romaine  et  les 
chefs  des  tribus  indigènes  s'administrer  comme  ils  l'enten. 
daient  ■  ?  »  Ce  sont  là  d'ingénieuses  conjectures,  que  Mas- 
queray  s'est  complu  à  déduire  des  traditions  berbères  de 
l'Aurès  oriental  ;  on  avouera  pourtant  qu'il  est  difficile  de 
faire  beaucoup  de  fond  sur  les  contes  très  légendaires  de  la 
tribu  des  Amamra.  D'ailleurs,  Masqueray  lui-même  n'est 
point  pleinement  assuré  que  «  les  sultans  romains  »,  dont 
l'imagination  populaire  a  gardé  la  mémoire,  ne  soient  point 
tout  simplement  des  princes  indigènes  ^  ;  aussi,  quelque  sédui- 
sante que  soit  l'hypothèse,  quelque  curiosité  qu'il  y  ait  à  re- 
trouver dans  les  récits  berbères  des  souvenirs  historiques 
étrangement  déformés  *,  on  n'acceptera  qu'avec  une  extrême 
réserve  les  assertions  précédemment  exposées.  Aussi  bien,  un 


lant  devaot  Télémeat  indigène  (Abd-el-Hakem,  ffist.  des  Berh.^  I,  p.  301  ; 
£i-Bekri,  /.  c;  Iba  Khaldoun,  I,  p.  207-208;  ill,  p.  191-192);  maid  leurs  in- 
formations semblent  bien  plulAt  se  rapporter  au  moment  de  la  première 
invasion  arabe.  U  est  impossible,  d'autre  part,  de  tirer  dn  texte  d'El-Bekri  les 
conclusions  qu'on  en  yeut  déduire  :  du  reste  l'histoire  de  TAfrique  byzantine 
tout  entière  à  la  fin  du  vi«  siècle  et  au  commencement  du  vu*  vient  démentir 
ces  assertions.  Enfin  Corippus  n'a  jamais  fait,  comme  le  déclare  Tauxier, 
nulle  allusion  à  ce  prétendu  traité,  et  d'ailleurs  les  historiens  arabes  eux- 
mêmes  montrent,  au  vii«  encore,  la  suzeraineté  byzantine  s'exerçant  sur  les 
tribus  berbères  (Ibn  Khaldoun,  1,  p.  209  ;  III,  p.  192). 

1.  Masqueray,  Bull,  de  Corr.  afr.,  111,  p.  107-109. 

2.  Id.,  L  c  ,  p.  109. 

3.  Id  ,  Formation  des  cités   chez  les  populations  sédentaires  de  l'Algérie, 
p. 170. 

4.  Id  ,  Bull.de  Corr.  afr  ,  III,  p.  100-101. 


542  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

seul  fait  suffit  pour  attester  la  profonde  désorganisation  de 
l'Afrique  byzantine  au  milieu  du  vn»  siècle  ;  c'est  la  reconsti- 
tution —  celle-là  incontestable  —  de  la  nationalité  berbère, 
se  groupant  en  de  puissants  États  presque  indépendants  de 
Tempereur. 


II 


D'autres  causes  encore,  et  plus  graves,  préparaient  dans 
Tei^archatla  chute  de  la  domination  grecque. 

La  querelle  du  monothélisme»  qui  depuis  plusieurs  années 
troublait  profondément  Tempire  byzantin,  avait  eu,  en  Afrique 
comme  en  Italie,  un  retentisSipmcnt  considérable.  L'Occident 
tout  entier  s'était  ému  et  scandalisé  de  VEcthesis  publiée  par 
Héraclius,  des  lettres  par  lesquelles  le  patriarche  Pyrrhus 
essayait  de  conquérir  des  adhérents  à  la  doctrine  nouvelle  '  ; 
et  les  populations  africaines,  qui^  suivant  l'expression  d'un 
contemporain,  <(  ne  pouvaient  pas  même  supporter  d'entendre 
le  nom  de  Thérésie*  »,  avaient  accueilli  avec  indignation  les 
innovations  que  l'empereur  tentait  en  matière  de  foi.  Les 
évoques  de  la  province  déclaraient,  non  sans  quelque  dédain, 
«  que  toutes  ces  nouveautés  naissaient  d'un  amour  malsain  de 
la  gloire,  et  que  leurs  auteurs  les  imaginaient  uniquement 
pour  paraître  plus  subtils,  plus  perspicaces,  plus  sages  que  le 
commun  de  leurs  frères  *  »  ;  pour  eux,  fermement  attachés 
aux  traditions  de  l'orthodoxie,  ils  se  piquaient  de  suivre  en 
toutes  choses  les  instructions  du  Siège  apostolique  ^  ;  et 
groupés  autour  de  leurs  pasteurs,  non  moins  attentifs  qu'eux 
à  écouter  les  conseils  qui  venaient  de  Rome,  les  fidèles  étaient 
prêts  à  résister  contre  toute  entreprise  faite  sur  leur  foi.  fia- 


i,  p.  L.,  LXXX,  603,  606. 

2.  p.  G.,  XGI,  464, 

3.  Labbe,  VI.  129. 

4.  !d.,  VI,  128.  156;  P.  G  ,  XCl,  141. 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DÉCADENCE  «43 

bitués  de  long^ue  date  à  regarder  vers  Rome  plutôt  que  vers 
Byzance,  ils  se  sentaient  maintenant  plus  éloignés  encore  d'un 
empire  qui  blessait  leurs  convictions  religieuses  les  plus 
chères  ;  étroitement  attachés  à  l'Église  par  Tardeur  de  leurs 
croyances  et  l'enthousiasme  d'une  résistance  commune,  sans 
trouble  ils  voyaient  se  relâcher  les  liens  qui  les  rattachaient  à 
la  monarchie  ;  pour  défendre  la  pureté  de  l'orthodoxie,  ils 
étaient  disposés  à  tout,  même  à  une  rupture  ouverte,  et 
d*avance  tout  acquis  à  quiconque  les  sauverait  de  Thérésie. 
Dans  ces  conditions,  les  moindres  incidents  pouvaient  devenir 
graves  et  entraîner  pour  la  domination  byzantine  en  Afrique 
des  conséquences  irréparables. 

Or,  vers  640,  les  progrès  de  l'invasion  arabe  eurent  pour 
effet  —  assez  inattendu  —  d'engager  à  fond  la  province  dans 
la  lutte. religieuse.  La  conquête  de  la  Syrie  et  de  l'Egypte  par 
les  musulmans  faisait  à  ce  moment  refluer  vers  l'Afrique  une 
masse  de  populations  chrétiennes,  fuyant  devant  l'épée  des  / 

envahisseurs  :  en  particulier  un  grand  nombre  de  prêtres,  de 
moines,  de  religieuses  venaient  demander  à  Carthage  un 
asile  et  des  secours  V  Le  préfet  Georges,  qui  à  ce  moment  di- 
rigeait l'administration  civile  de  la  province  %  était  un  homme 

1.  Migoe,  P.  G.,  XCr,  459,  466,  462.  La  lettre  de  Tabhé  Maximo,  à  laquelle 
D0U3  empruntons  les  détails  qui  vont  suivre,  se  rapportai  de  toute  évidence  à 
TAfrique  et  à  la  date  de  641.  Les  faits  que  raconte  le  moine  se  sont  passés  en 
novembre  de  la  XV*  indiction  :  cette  date  convient  également  à  641  et  à  626  ; 
mais  si  l'on  accepte  626,  les  événements  deviennent  peu  iutellifj[ibles,  et 
Maxime  k  ce  moment  n'était  d'ailleurs  point  encore  en  Afrique.  Mais  tout  cet 
épisode  uc  doit-il  point  se  placer  à  Alexandrie  ?  c'est  fort  douteux.  Outre  que 
le  préfet  Georges  est  nettement  nommé  ëicapxo;  'Açpix9î;  (P.  G.,  XCl,  364) 
Tabbé  parle  expressément  dans  sa  lettre  :  1»  des  gens  qui  habitent  TauTY]v  ty)v 
*A9p(i>v  */(i>p2v,  et  ces  termes  désignent  d'ordinaire  l'Afrique  propre  (cf.  Labbe, 
VI,  127,131,  131,  139);  2<'  des  fugitifs  àicb  'AXs^avSpstaç,  ce  qui  place  bien  les 
événements  eu  Afrique.  Enfin  nous  connaissons  fort  exactement  les  noms  des 
préfets  d'Egypte  pendant  les  années  640  et  641.  En  640  le  titulaire  de  la  pré- 
fecture se  nommait  Anastase  (Jean  de  Nikiou,  p.  535,  574);  ce  personnage 
fut  rappelé  par  Constantin  III  (entre  février  et  mai  641)  et  remplacé  par  Théo- 
dore (t6td.,  p.  564,  573,  576),  qui  était  encore  en  fonctions  en  642.  Jean  de 
Nikiou  nomme  à  la  vérité  an  préfet  Georges  en  640  (p.  559),  mais  c'est  le 
gouverneur  de  la  ville  d'Héliopolis. 

2.  Il  portait,  11  semble,  le  surnom  de  Glykas  {P.  G  ,  XCI,  p.  392).  Ma.^ime 


544  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  APRIQUE 

charitable  et  bon,  plein  de  bienveillance  pour  les  pauvres,  les 
faibles,  les  misérables,  protégeant  de  toussesefTorlsIesinslitu* 
tions  de  bienfaisance,  et  que  sa  vive  piélé  intéressait  tout  par- 
ticulièrement aux  infortunes  de  rÉglise  \  Véritable  «  flambeau 
de  vertu  »,  comme  le  dit  un  écrivain  contemporain',  toujours 
prêt  à  donner  libéralement,  surtout  lorsqu'il  s'agissait  du  bien 
de  la  religion  et  des  monastères,  ce  personnage  fit  le  meilleur 
accueil  aux  exilés  ;  et  sans  compter  il  leur  assura  des  abris  et 
le  moyen  de  vivre,  reconstituant  les  congrégations  dispersées, 
dotant  largement  les  fondations  nouvelles,  comblant  les  reli- 
gieux de  ses  bienfaits  3.  Malheureusement,  à  côté  des  nom- 
breux moines  orthodoxes  ainsi  reçus  dans  la  province,  beau- 
coup de  Syriens,  beaucoup  d'Égyptiens  venus  d'Alexandrie  et 
des  couvents  de  la  Libye  professaient  Thérésie  monophysite, 
fort  répandue  dans  ces  régions  :  ils  se  mirent  sans  tarder  à  faire 
une  active  propagande  en  Afrique,  et  les  femmes  surtout  s'y 
employèrent  avec  un  zèle  tout  particulier.  Bientôt  des  scan- 
dales éclatèrent  :  on  parla  de  jeunes  filles  converties  contre  le 
gré  de  leurs  familles  et  soustraites  ensuite  à  toutes  les  re- 
cherches de  leurs  parents  ;  on  parla  de  baptêmes  sacrilèges,  de 
cérémonies  expiatoires,  si  bien  que  le  préfet  dut  intervenir  \ 
d'ailleurs  sans  obtenir  aucun  résultat.  Bientôt,  dans  Tortho- 
doxe  Afrique,  le  peuple  commença  à  murmurer  contre  les 
agissements  des  novateurs,  et  le  zèle  religieux  s'exaspéra  à 
ce  point  qu'on  put  craindre  de  voir  une  émeute  éclater  contre 
les  hérétiques.  Le  préfet,  d'accord  avec  l'archevêque  de  Car- 
thage,  se  décida  à  faire  un  rapport  à  l'empereur  ;  en  même 
temps  il  mettait  au  courant  de  l'affaire  le  patriarche  de  Cons- 
lantinople    et  —  chose   plus    remarquable  —  Tévêque  de 

joue  YoloDtiers  sur  les  Doms  propres  {ibid.^  512,  534),  mais  le  seul  oom  Je 
Georges  lui  eût  fourni  d'autres  jeux  d'esprit  (cf.  ibid.,  626)  ;  il  faut  donc 
attacher   quelque    valeur  au    teste  :  tov  ovtck);    yXuxuv    xat   ôpcoiuvov  «at 

1.  P.  G.,XCI,  6i6-648.  Cf.  ibid.,  371-374. 

2.  Ibid.y  648. 

3.  y^irf.,  464,  391. 

4.  Jbid.,  460-464. 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DÉCADENCE  545 

Rome  *.  A  ce  moment  Héraclius  était  mort,  et  son  Hls  Cons- 
tantin III  était  franchement  orthodoxe  *  ;  aussi  Tordre  vint-il 
de  Byzance  d'expulser  tous  hérétiques  qui  persévéreraient 
dans  leur  erreur,  de  répartir  dans  des  monastères  catholiques 
les  religieux  qui  refuseraient  de  rentrer  au  giron  de  TÉglise, 
de  confisquer  les  biens  des  congrégations  récalcitrantes  '  ;  et 
conformément  au  rescrit  impérial,  de  gré  ou  de  force  on  obtint 
la  soumission  plus  ou  moins  sincère  des  ecclésiastiques  \ 
Mais  malgré  cette  apparente  conversion,  duc  principalement 
au  désir  de  rentrer  en  possession  de  leurs  couvents,  bientôt 
les  monophysites  causèrent  de  nouveaux  troubles  dans  le 
pays  ;  de  nouveau  le  préfet  dut  sévir,  confisquer  les  propriétés 
données  par  lui  aux  congrégations,  menacer  les  dissidents  de 
toutes  les  sévérités  impériales  *.  Mais,  entre  temps,  de  grands 
changements  s'étaient  accomplis  à  Byzance  :  Constantin  III 
était  mort  à  la  fin  de  mai  641,  et  sous  le  règne  d'Héraclonas, 
grâce  à  Tinfluence  toute  puissante  de  l'impératrice  douairière 
Martine,  le  monothélisme  était  en  pleine  faveur.  On  le  vit  bien 
lorsqu'en  novembre  644  ordre  fut  donné  au  préfet  d'aban- 
donner toute  poursuite  contre  les  religieuses  incriminées  *. 
Aussitôt,  forts  de  la  protection  impériale,  enhardis  par  le  bon 
accueil  que  trouvaient  à  la  cour  les  évèques  monothélites,  les 
hérétiques  syriens  et  alexandrins  commencèrent  à  relever  la 
tête  '  ;  mais  c'est  ici  que  l'affaire  prend  un  tour  vraiment 
caractéristique.  Lorsqu'on  eut  connaissance  des  lettres  arrivées 
de  Byzance,  ce  fut  dans  la  province  une  agitation  extrême  et 
un  véritable  scandale  ^  ;  le  peuple,  comme  l'Église,  ne  mena- 


4.  p.  G.,  XGÏ,  464. 

2.  Zonaras,  11),  p.  313  (éd.  Dindorfj. 

3.  P,  G.,  XCI,  464-465. 

4.  Jbid.,  465. 

5.  Jbid.y  587,  590. 

6.  Jbid.,  460.  11  semble  bien,  malgré  rétrangelé  du  titre,  que  la  Oeo^uXdcxTo; 
icsTpixsa  soit  rimpératrice  Martine  ;  il  est  en  effet  question  des  apxovTs;  en- 
voyés par  elle  pour  administrer  l'Afrique  (lA/rf,,  460j. 

7.76îd,,461. 

8.  Ibid.,  460-461.  Cf.,  sur  ces  sentiments  d'hostilité,  Jean  deNikiou,  p.  573 
I.  35 


K46  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

geait  guère  rimpéralrice  hérétique,  et  bientôt  le  trouble  fui 
tel  que,  pour  éviter  de  plus  graves  événements,  le  préfet, 
serviteur  dévoué  de  Tempire  \  se  résolut  à  déclarer  que  les 
lettres  étaient  apocryphes*.  En  même  temps,  il  produisait  des 
témoins  qui  déclarèrent  solennellement  que  la  souveraine 
était  «  pure  de  toute  hérésie,  fidèle  à  Dieu,  digne  de  toute 
estime  »  '  ;  et  pour  achever  de  calmer  le  mécontentement  gé- 
néral, prenant  hardiment  le  contre-pied  de  ses  instructions,  il 
fit  arrêter  ou  battre  de  verges  les  dissidents  sur  qui  on  put 
mettre  la  main  \  Peu  de  temps  après,  probablement  à  la  suite 
de  cet  incident,  le  préfet  fut  invité  à  venir  expliquer  sa  con- 
duite à  Constantinople  ;  et  il  partit,  non  sans  inquiétude,  se 
sentant  menacé  d'une  destitution  fort  probable  *.  Or,  ici  encore, 
les  sentiments  des  populations  africaines  se  manifestèrent  par 
des  détails  significatifs  ;  le  préfet  paraît  avoir  été  de  tous 
points  un  excellent  administrateur,  plein  de  douceur  et  de 
bienveillance  ;  mais  surtout  il  était  Tami  des  églises,  des  mo- 
nastères, le  protecteur  de  tous  ceux  «  qui  aiment  Dieu  »  *  ;  il 
était  —  «  chose  plus  précieuse  que  toutes  »,  dit  un  contem- 
porain —  «  le  défenseur  très  zélé  de  la  vraie  foi  apostoli- 
que »  \  et  il  venait  d'en  donner  des  preuves  assez  décisives. 
Aussi,  quand  il  s'embarqua  pour  Byzance.ce  fut  parmi  les  pro- 
vinciaux une  désolation  générale  ;  on  se  pressait  autour  du 
préfet,  on  s'écrasait  pour  le  voir  une  dernière  fois,  on  se  répan- 
dait en  pleurs  et  en  gémissements,  on  essayait  presque  de  lui 
fermer  le  passage  vers  le  navire  qui  devait  l'emporter  *.  Les 
plus  saints  personnages  s'employèrent  en  sa  faveur  pour  lai 


i.  P,  G.y  XCI,  648. 

2.  Jbid  ,  460.  On  conseillait  ouvertement  du  reste  aux  gouveroeurs 
d*Arriqae  de  désobéir  aax  ordres  de  Mirtine  et  de  son  fils  (Jean  de  Ni- 
kiou,  p.  573). 

3.  Jbid.,  462. 

4.  làid.,  460-461. 

5.  Ibid.,  646,  366,  310. 

6.  Ibid.y  370. 

7.  Ibid.,  646,  650. 

8.  Ibid,,  646. 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DÉCADENCE  547 

ménager  un  bon  accueil  à  la  cour;  Tabbé  Maxime  suppliait 
un  familier  de  Timpéralrice  de  mettre  en  jeu  toute  son  iu- 
fluence  pour  qu'on  renvoyai  le  préfet  en  Afrique  *  :  d*après  lui, 
c'était  plaire  à  Dieu  et  rendre  à  l'empereur  un  service  émi- 
nent,  de  faire  réintégrer  dans  ses  fonctions  «  ce  serviteur 
dévoué  de  la  monarchie  »  *.  On  a  vu  où  s'arrêtait  au  jusle 
cette  fidélité  si  vantée,  et  c'était  assurément  chose  grave  que 
le  principal  tilre  du  préfet  à  la  sympathie  de  l'Afrique  fût  pré- 
cisément sa  résistance  aux  ordres  d'un  empereur  suspect 
d'hérésie. 

Dans  l'aventure  que  nous  venons  de  raconter,  un  des  plus 
fermes  soutiens  de  l'orthodoxie  avait  été  un  moine  venu 
depuis  quelque  temps  d'Orient  en  Afrique,  le  fameux  abbé 
Maxime,quidevait,  dansla querelle  du  monothélisme,jouerun 
rôle  si  considérable.  Né  en  580  à  Byzance  ^,  il  avait  d'abord 
été  attaché  à  la  chancellerie  impériale,  et  avait  tenu  une  assez 
grande  place  à  la  cour  d*Héraclius;  puis,  à  une  date  que  nous 
ignorons,  mais  qui  parait  antérieure  à  626  \  il  avait  embrassé 
la  vie  monastique;  et  depuis  lors  on  l'avait,  dans  tout  l'Orient, 
trouvé  partout  où  il  y  avait  une  hérésie  à  combattre  ^  Il 
était  à  Alexandrie  avec  l'abbé  Sophronius  au  moment  où  le 
patriarche  Cyrus  s'efforçait,  par  la  formule  monothélite,  de 
rétablir  l'union  en  Egypte  ;  et,  comme  son  fougueux  ami,  il  s'é- 
tait nettement  prononcé  contre  les  auteurs  de  ces  nouveautés 
perverses/.  Plus  tard,  voyant  le  progrès  que  faisait  dans  tout 
l'Orient  la  funeste  doctrine,  il  s'était  transporté  en  Occident, 


1.  p.  G.,  642,  648. 
2   Ibid,,  648. 

3.  11  avait  soixante-quinze  ans  en  655  (P.  0.,  XG,  127).  Cf.  Vita(ibid.,  70). 

4.  Il  semble  en  effet  que  les  allusions  qu'il  fait  à  sa  fuite  devant  Tinvasion 
ennemie  se  rapportent  au  moment  où  les  Perses  vinrent  assiéger  Constanti- 
nople  en  626  (P.  G.,  XCI,  446,  622).  Elles  n'ont  de  sens  qu'à  ce  moment,  et 
Combefis  s'est  trompé  en  y  cherchant  l'explication  du  séjour  de  Maxime  en 
Afrique  (F.  G.,  XC,  224-223).  tlles  datent  du  moment  où  il  avait  quitté  le 
couvent  de  Chrysopolis  pour  se  retirer  en  Egypte. 

5.  P.  (;.,  XCI,  50,  142. 

6.  Ibid.,  142. 


548  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

OÙ  l'Italie,  l'Afrique  et  les  îles,  demeurées  fidèles  à  la  foi, 
semblaient  offrir  à  Torthodoxie  un  terrain  de  sérieuse  résis- 
tance, et  où  l'appui  de  la  papauté  permettait  de  lutter  sans 
désavantage  contre  les  regrettables  théories  des  Sergius  et  des 
Cyrus  *.  Quoiqu'il  soit  impossible  de  déterminer  avec  certitude 
la  date  de  son  arrivée  en  Afrique,  on  peut  affirmer  que,  dès  le 
commencement  de  640,  il  se  trouvait  dans  cette  province  ". 
Dans  ce  pays  tout  dévoué  à  l'orthodoxie,  il  rencontra  naturel- 
lement un  excellent  accueil;  bien  vile  il  devint  Tami  du  saint 
abbé  Thalassius,  l'une  des  gloires  du  monachisme  africain, 
dont  les  vertus^  la  science,  les  miracles  étaient  célèbres  dans 
toute  la  province*.  Les  fonctionnaires  impériaux  ne  le  reçu- 
rent pas  moins  favorablement  :  le  préfet  Georges  combla  de  ses 
bienfaits  l'abbé  et  les  fidèles,  moines  qui  raccompagnaient  \ 
et  Maxime  fut  bientôt  auprès  de  lui  en  assez  grande  faveur 
pour  devenir  dans  toutes  les  affaires  religieuses  son  conseiller 
de  prédilection  ^  En  même  temps,  par  ses  prédications 
ardentes,  il  relevait  le  courage  des  évèques  africains;  il  leur 
faisait  comprendre  la  gravité  du  problème  soulevé,  et  en  les 
initiant  aux  souples  ressources  de  sa  dialectique,  il  armait 
pour  la  lutte  ces  prélats  un  peu  rudes  et  simples,  mal  rompus 
et  assez  indifférents  aux  subtilités  de  la  théologie  byzantine  *. 
Enfin,  par  sa  fougueuse  éloquence,  il  enflammait  toutes  les 

1.  Viia,  c.  7,  14,  (P.  G  ,  XC,  75,  82). 

2.  Viia,  c.  14  [P.  G.,  XC,  83).  L'arrivée  de  Maxime  est  aolérieure  à  la  mort 
du  pape  Jean  IV.  Cr.  Théophane,  p.  331. 

3.  Dans  la  AiriYyjai;  <{'ux<i>?eXi^;  (Combefis,  l.  r.,  p.  325),  il  est  a«sez  loo^ue- 
méat  question  de  ce  personnage,  qoi  gouvernait  un  monastère  voisin  de  Car- 
thage.  Dès  cette  époque  (entre  619  et  629)  il  était  en  grand  renom  de  sainteté. 
Le  texte  l'appelle  6  iiéya;  0aXao-aioc  ô  Osôo-oçoCf  et  dit  qu'il  était  «  rornemeDt 
de  toute  l'Afrique  »  (n&aav  ttjv  'Açpixriv  xaTaxoajitjiyavTdi).  Plus  lard,  Max'me  fut 
en  étroites  relations  avec  lui  :  plusieurs  de  ses  lettres  sont  adr.-ssées  à  Tha- 
lassius, pt  c'est  à  la  demande  dn  moine  qu'il  composa  ses  Q uae» lianes  in  Scrip- 
turam^  dans  la  dédicace  desquelles  il  déclare  que  rhigoumène  est.  «  sel>>n  la 
parole  du  Seigucor,  le  sel  de  la  terre  et  la  lumière  du  mojide,  par  l'éclat  de 
ses  vertus  et  Tahondance  de  sa  science  »  (P.  G.,  \G,  247). 

4.  P.  G.,  XCI,  391. 

5.  P.  G.,  XCI,  5S3.  Cf.  ih^d.,  461  et  391. 

6.  VUa.c,  14  ^P.  G.,  XC,  82-83). 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DÉCADENCE  549 

résistances  et  devenait  vraiment  en  Occidenl  le  champion  de 
Torlhodoxie.  «  Non  seulement,  dit  son  biographe,  les  clercs  et 
les  évftques,  mais  encore  le  peuple  et  les  magistrats  étaient 
suspendus  à  ses  lèvres  et  s'attachaient  au  saint  comme  le  fer 
s'attache  à  Taimant,  ou  comme  les  navigateurs  se  laissent 
entraîner  aux  chants  des  sirènes  de  la  fable  ^  »  Les  efforts 
même  que  le  palriarche  Pyrrhus  faisait  pour  gagner  au 
monothélisme  ce  redoutable  adversaire  augmentaient  dans 
tout  l'Occident  le  renom  de  Maxime  '.  On  juge  quelle 
influence  un  tel  homme  devait  acquérir  dans  la  province, 
quelle  agilalion  aussi  il  y  entretenait.  Parmi  les  paroles  en 
eiïet  que  prononçait  le  moine,  quelques-unes  étaient  singuliè- 
rement  graves  :  non  seulement  il  déclarait  nettement  aux 
familiers  du  prince  qu'il  connaissait  à  Byzance,  que  protéger 
ou  même  tolérer  Thérésie  était  un  scandale  véritable  et  une 
oiTense  à  Dieu';  mais  il  lui  arrivait  de  dire  que,  tant  que  régne- 
raient Héraclius  et  sa  race,  le  Seigneur  demeurerait  hostile  à 
Tempire  romain  *,  et  on  l'accusait  d'user  de  son  influence  pour 
déiourner  de  leur  devoir  d'obéissance  les  fonctionnaires  pu- 
blics En  tout  cas,  il  entretenait  en  Afrique  le  mécontentement 
qu'avait  créé  le  conflit  religieux,  et  il  exaspérait  les  tendances 
déjà  trop  manifestes  à  résister  au  despotisme  impérial. 

La  venue  du  patriarche  Pyrrhus  en  Afrique  et  les  circons- 
tances qui  accompagnèrent  son  séjour  aggravèrent  encore  la 
situation.  Au  mois  d'octobre  641,  à  la  suite  des  événements 
politiques  qui  amenèrent  au  trône  Constant  II,  petit-flls  d'Sé- 
raclius,  Pyrrhus  avait  donné  sa  démission  et  quitté  peu  de 
temps  après  la  capitale  ^  Un  ordre  impérial,  à  ce  qu'il 
semble,  Texila  en  Afrique  •  :  en  tout  cas,   il  se  trouvait  à 

1.  Vila,  c.  14. 

2.  P.  G.,  XCI,  130-132  et  589  sqq. 

3.  Ibid.,  464. 

4.  ibid.,  XC,  lli. 

5.  Nicéphore,  p.  31. 

6.  Jeaa  de  Nikiou,  doot  le  récit  reuferme  au  reste  plus  d'une  erreur, 
affirme  cependaut  avec  beaucoup  de  précisioa  que  Pyrrhus  fut  exilé  en 
Afrique  peu  après  Favëneiueut  de  Coustant  II  (p.  580.  Cf.  p.  564  et  5'72). 


530  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Carthage  au  mois  de  juillet  645  ^  Maxime  qui,  à  cette  date^ 
habitait  encore  la  province,  jugea  l'occasion  favorable  pour 
ménager  à  Torlhodoxie  un  triomphe  éclatant,  et  il  provoqua 
le  patriarche  déchu  à  un  débat  solennel  sur  la  doctrine  mo- 
nothélitc.  Depuis  longtemps  le  moine  avait  le  désir  de  se  me- 
surer en  une  luUe  théologique  avec  un  des  plus  redoutables 
fauteurs  de  Thérésie  '  ;  il  appréciait  hautement  l'intelligence, 
Térudition  profonde  d'un  tel  adversaire;  il  sentait  vivement 
la  gloire  qu'il  y  aurait  à  ramener  l'illustre  hérésiarque, 
humble,  repentant  et  soumis,  dans  la  communion  de  TÉglise 
romaine  '.  Pyrrhus,  qui  semble  avoir  été  directement  recom- 
mandé à  Maxime  ^  ne  se  refusa  pas  à  la  controverse  ;  et  en 
juillet  645,  en  présence  du  palrice  Grégoire,  exarque  d'Afrique, 
des  évèques  et  des  principaux  personnages  de  la  province, 
une  solennelle  discussion  s'engagea  entre  les  deux  théolo- 
giens: sous  toutes  ses  faces,  la  doctrine  monolhélite  fut  expo- 
sée, examinée,  réfutée,  et  à  la  fin  de  la  conférence,  Pyrrhus, 
s'avouant  vaincu,  promit  d'aller  faire  pénitence  au  tombeau 
des  apôtres,  et  de  remettre  au  pape  une  déclaration  où  il  abju- 
rait ses  erreurs  *. 

C'était  pour  l'orthodoxie  une  victoire  considérable  :  le  zèle 
religieux  des  évèques  d'Afrique  ne  s'arrêta  pas  là  '.  Émus 
des  progrès  croissants  de  l'hérésie,  du  trouble  des  églises, 
des  plaintes  des  fidèles  "^y  jugeant,  avec  quelque  naïveté 
peut-être,  que  la  rétractation  de  Pyrrhus  ne  pouvait  man- 
quer d'entraîner  la  prompte  soumission  du  patriarche  Paul  •, 
excités  sans  doute  aussi  par  Maxime,  qui  croyait   le  mo- 


i.  P.  G,,  XCI,  287. 

2.  Ibid.,  141. 

3.  Ibid.,  132,  141,  589  sqq. 

4.  Ibid,,  140. 

5.  Ibid,,  2S1  à  354.    Cf.  Théophan*^.  p.  33!  ;  Nicéph.,  p.    31  :  Lib.  pontif., 
p.  332. 

6.  Le  pape  Martio  louait»  zeliim  purissimum  ac  siocertssifnuoi  fldei  »  des 
évèques  africaias.  Labbe,  VI,  132. 

7.  Labbe.  VI,  153. 

8.  Ibid.,  VI,  128-129. 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DECADENCE  551 

ment   venu  de   prendre    des  résolutions  énergiques  ^   les 
évèques  de  Numidie,  de  Byzacène  et  de  Maurélanie  se  réuni- 
rent, au  commencement  de  646,  en  trois  synodes  provinciaux*. 
Dans  la  Proconsulaire,  où  le  siège  de  Garthage  se  trouvait 
alors  vacant,  il  fallut  un  peu  plus  de  temps  pour  convoquer  le 
concile  :  pourtant,  avant  même  qu'on  eût  pourvu  à  l'élection 
du  nouveau  métropolitain,  l'assemblée  se  réunit  et  s'associa 
par  ses  résolutions  aux  décisions  géntSrales  de  l'épiscopat 
africain  '.  Unanimement,  les  prélats  se  déclarèrent  hostiles  à 
toutes  ces  nouveautés  inutiles  et  dangereuses,  imaginées  à 
Conslantinople  ;  unanimement,  ils  protestèrent  qu'ils  voulaient 
conserver  intacte,  «  sans  accroissement  ni  diminution  »,  la  foi 
orthodoxe  que  leur  avaient  transmise  leurs  {deux*;  unanime- 
ment, ils  condamnèrent  les  doctrines  hérétiques  et  prononcè- 
rent Fanathème  contre  quiconque  oserait  toucher  au  dogme 
fixé  par  les  pères  et  les  conciles*.  En  même  temps,  ils  prépa- 
raient deux  lettres,  Tune  adressée  au  patriarche  Paul,  l'autre 
à  l'empereur  Constant  II.  Dans  la  première,  ils  suppliaient  Té- 
vêque  de  Constantinople  d'abandonner  une  hérésie  dont  Tau- 
teur  lui-même  venait  de  se  rétracter,  et  que  condamnaient 
nettement  tous  les  conciles  et  tous  les  écrits  des  pères  '.  Dans 
la  seconde  ils  demandaient  au  basileus,  défenseur  naturel  de 
la  foi  orthodoxe,  de  faire  cesser  le  scandale  qui  troublait 
rÉglise  et  de  contraindre,  par  son  autorité  souveraine,  le  pa- 
triarche à  rentrer  dans  la  communion  des  vrais  catholiques  \ 
Quarante-trois  évèques  de  Byzacène,  soixante-neuf  évêques 
de  Proconsulaire  avaient  mis  leur  signature  au  bas  de  ces 
documents;  nous  ne  connaissons  point  le  nombre  des  prélats 
qui  représentèrent  les  églises  de  Numidie  et  de  Maurétanie. 

1.  Labbe,  VI,  128, 133;  Vita,  c.  14. 

2.  Labbe,  Vf,  i28  ;  Théophane,  p.  331,  où  la  date  est  peu  exacte.  Cf.  Labbe, 
V,  1697-1698,  1835-1836. 

3.  Labbe,  VI,  137.  Cf.  Hefele,  Hist.  des  conciles,  IV,  p.  80. 

4.  Labbe,  VI,  128-129,  133. 

5.  Ibid.y  VI,  140. 

6.  Ibid.,  VI,  128-129,  1.37  sqq. 

7.  /ôid.,  Vl,133. 


552  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Dans  la  lettre  qu'ils  écrivaient  à  l'empereur,  les  évêques 
s'intitulaient  humblement  «  le  clergé  de  votre  province  d'A- 
frique »  *,  et  ils  terminaient  par  des  vœux  chaleureux  pour  la 
prospérité  du  prince  et  la  longue  durée  de  son  règne;  mais 
tout  en  gardant,  au  moins  en  apparence,  —  car  dès  ce  mo- 
ment, on  le  verra,  les  événements  démentaient  quelque  peu 
leurs  paroles  —  une  complète  et  sincère  fidélité  au  basileus^ 
les  évoques  n'étaient  pas  moins  préoccupés  de  prouver  au 
Siège  apostolique  leur  respect  et  leur  dévouement.  Les  pri- 
mats de  Byzacène,  de  Numidie  et  de  Maurétanie  s'empres- 
saient,  au  lendemain  des  conciles  qu'ils  avaient  présidés,  de 
faire  connaître  au  pape  Théodore  les  résolutions  prises  par 
ces  assemblées,  et  ils  lui  demandaient,  si  le  patriarche  Paul 
s'obstinait  dans  Thérésie,  d'user  de  son  autorité  pontificale 
pour  «  retrancher  le  membre  malade  du  corps  sain  et  vigou- 
reux de  rÉglise  '.  »  Mais  surtout  ils  proclamaient  hautement 
leur  soumission  au  Siège  apostolique,  où  toutes  les  Églises, 
disaient-ils,  sont  venues  puiser,  «  comme  à  la  source  natale  », 
les  principes  du  dogme,  et  qui  entretient  dans  le  monde  entier 
la  pureté  de  la  foi  ^.  De  même  Tévèque  de  Carthage,  lorsque 
quelques  mois  plus  tard  il  annonçait  son  élection  au  pontife, 
après  avoir  protesté  de  son  ferme  attachement  à  la  doctrine 
des  deux  volontés^  déclarait  qu'il  voulait  être  étroitement  uni 
à  la  papauté,  «  pour  défendre  courageusement  en  toute  cir- 
constance la  vraie  foi  et  la  religion  catholique  »  \ 

Ainsi,  la  querelle  du  monothélisme  avait  pour  principal 
effet  de  créer  en  Afrique  une  agitation  grosse  de  conséquences: 
par  son  imprudente  intervention  dans  les  matières  de  foi,  le 
gouvernement  impérial  n'avait  réussi  qu'à  resserrer  les  liens 
déjà  si  forts  qui  unissaient  la  province  à  Rome;  par  la  faveur 
qu'il  marquait  à  l'hérésie,  il  avait  profondément  inquiété  et 
blessé  les  populations  orthodoxes  et  provoqué  parmi  elles  un 

i.  Labbe,  VI,  133  :  a  Cuocti  yestrae  Africae  domini  sacerdotes  m. 

2.  laid,,  VI,  128-129. 

3.  Mid.,  128. 

4.  Ibid,,  156. 


LES  CAUSES  INTF.RNES  DE  LA  DÉCADENCE  553 

mécontentemeDt  général.  Or,  dans  un  pays  où  bien  des  causes 
déjà  ébranlaient  l'autorité  du  prince,  où  chaque  jour  se  relâ- 
chaient davantage  les  ressorts  de  Tadministration  publique, 
en  face  de  gouverneurs  trop  enclins  à  méconnaître  les  ordres 
du  pouvoir  central,  et  de  tribus  berbères  trop  disposées  à  se 
détacher  de  Byzance,  il  y  avait  peu  de  sagesse  peut-être  à 
semer  de  nouveaux  germes  de  divisions  et  de  troubles,  à 
contraindre  les  peuples  à  choisir  entre  leur  fidélité  politique 
et  leurs  convictions  religieuses.  Vers  ce  lemps  même,  l'exem- 
ple de  rÉgypte  montrait  quelles  redoutables  conséquences  les 
querelles  théologiques  pouvaient  entraîner  pour  l'empire.  Au 
moment  où  le  péril  arabe  menaçait  si  gravement  la  province, 
les  chrétiens  de  la  vallée  du  Nil  ne  songeaient  qu'à  disputer  sur 
les  matières  de  foi  ;  les  orthodoxes  ou  melkites  persécutaient 
cruellement  les  populations  copies  attachées  à  l'hérésie  mo- 
nophysite  ;  si  bien  qu'entre  Byzance  qui  les  opprimait  et  les 
musulmans  qui  semblaient  leur  apporter  la  délivrance,  ces 
dernières  n'hésitèrent  pas  à  se  prononcer  *.  Quand,  en  640, 
Amrou  envahit  l'Egypte,  les  Coptes  embrassèrent  presque  sans 
résister  le  parti  de  l'envahisseur  et  assurèrent  par  leur  défec- 
tion la  victoire  des  musulmans".  Pourvu  que  la  religion  fût 
sauve,  sans  scrupules,  en  Egypte- comme  en  Afrique,  on  se 
désintéressait  de  l'empire;  et  comment  d'ailleurs  en  eût-on 
pris  souci,  alors  que  dans  toutes  ses  provinces  l'autorité 
publique  s'abandonnait  elle-même?.  Vers  635,  en  Egypte,  le 
patriarche  Cyrus  prenait  sur  lui  d'engager  des  négociations 
avec  les  Arabes;  pour  protéger  la  province,  il  oflFrait  de  leur 
payer  annuellement  un  tribut  considérable;  bien  plus,  il  rêvait 


\.  Weil,  Gesch.  der  Khalifen.l,  p.  105.  Jeaa  de  Nikioa,  p.  562-563,  570  et 
surtout  p.  584  :  «  tout  le  moude  disait  que  l'expulsion  des  KomaîDs  et  la  vic- 
toire des  musulmans  avaient  été  amenées  par  la  tyrannie  de  l'empereur  Héra- 
clius  et  par  les  vexations  qu'il  avait  fait  subir  aux  orthodoxes.  » 

2.  Weil,  /.  c,  p.  409-110;  Drapeyron,  /.  c,  p.  400-401  ;  Bury,  II,  p.  269- 
271.  Cf.,  sur  ces  événements,  Amélioeau,  dans  le  Journal  asialigue,  1888, 
p.  389  sqq.  ;  Karabacek,  Miliheilungen  aus  der  Sammlung  der  Papyi*us  Erzh. 
Rainer^  fasc.  1-2,  p.  11. 


554  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  faire  épouser  à  Âmrou  uDe  fille  d'HéracIius  et  de  converlir 
au  christianisme  le  général  musulman  '.  Assurément  c'étaient 
là  les  principes  ordinaires  de  lapolitique  byzantine  à  Tégard  des 
barbares  ;  mais  ce  qui  était  singulièrement  grave,  c'est  que 
Tévêque  agissait  sans  l'aveu  de  l'empereur,  et  ^u'en  une  ma- 
tière si  importante  l'Église  se  substituait  à  l'Etat.  Ainsi,  en 
face  du  péril  musulman,  la  monarchie  était  sans  forces;  par- 
tout régnaient  l'indiscipline  et  le  désordre,  partout  les  divi- 
sions intestines,  nées  des  querelles  religieuses,  énervaient 
d'avance  toute  résistance.  Sous  ces  maux,  TÉgypte  avait 
succombé;  l'Afrique  allait  périr  de  même,  en  ajoutant  par 
surcroît  à  toutes  ces  misères  les  troubles  d'une  révolution 
intérieure. 


ni 


En  646,  l'Afrique  avait  pour  gouverneur  général  le  patrice 
Grégoire,  qui  sans  doute  administrait  déjà  la  province  depuis 
plusieurs  années  '.  A  ce  moment  le  trône  de  Byzance  était 
occupé  par  le  jeune  Constant  II,  âgé  de  quinze  ans  à  peine,  et 
sous  sa  faible  main,  l'empire,  assailli  à  l'extérieur  par  les  fu- 
rieuses attaques  des  Arabes,  semblait  au  dedans  en  pleine  dé- 
composition. En  642,  un  soulèvement  avait  éclaté  à  Rome 
contre  l'autorité  impériale  et  l'exarque  Isaac  avait  dii  agir 
vigoureusement  pour  réprimer  la  révolte  ';  en  644  un  usur- 
pateur avait  pris  la  pourpre  en  Orient,  et  sa  tentative,  bien 
qu'avortée,  attestait  éloquemment  le  désarroi  de  la  monar- 

i.  Théophaoe,  p.  338;  Nicéphore,  p.  24-25|  26-27. 

2.  Morcelli,  lU,  p.  370,  croit  qu'il  était  en  fonctions  depuis  639  :  mais  rien 
ne  le  prouve.  Ibn  Abd-el-Hakeua  (/.  c,  p.  360)  dit  bien  qu'il  avait  d'abord 
administré  le  pays  «  comme  lieutenant  d'Héraclius  »,  mais  le  texte  est  peu 
décisif,  les  historiens  arabes  se  trompant  souvent  sur  les  noms  des  empereurs. 
Il  éteit  en  charge  en  juillet  645  (P.  G.,  XCI,  287)  :  les  autres  textes  (C.  /.  L., 
VIII,  2389,  10965;  Théophane,  p.  343)  ne  donnent  aucune  date  précise. 

3.  Lib,  pontif.,  p.  33f-332. 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DECADENCE  555 

chîe  ^  En  moins  de  six  ans,  les  musulmans  avaient  conquis  la 
Syrie,  la  Palestine,  TÉgypIe,  la  Cyrénaïque,  la  Tripolitaine,  et 
les  Byzantins  avaient  fait  d'inutiles  efforts  pour  reprendre  leurs 
possessions  perdues  '.  Dans  ces  conditions,  la  tentation  était 
grande  pour  le  puissant  gouverneur  d'Afrique  de  se  séparer 
du  faible  et  lointain  empire  qui  semblait  incapable  de  dé- 
fendre ses  sujets  ;  tout  Ty  encourageait  à  la  fois,  et  les 
velléités  d'indépendance  manifestées  tant  de  fois  avec  impu- 
nité par  ses  prédécesseurs,  et  la  certitude  de  trouver  aisément 
parmi  les  populations  indigènes  des  alliés  prêts  à  servir  qui- 
conque saurait  les  acheter,  et  le  mécontentement  profond  que 
les  luttes  religieuses  avaient  soulevé  dans  la  province  contre 
l'autorité  du  basileus.  Grégoire,  au  contraire,  était  un  cham- 
pion fervent  de  l'orthodoxie;  il  avait  protégé  l'abbé  Maxime 
et  soutenu  ses  efforts  pour  amener  le  patriarche  Pyrrhus  à  se 
rétracter  ',  il  était  à  ce  titre  fort  aimé  des  populations  et  de 
rÉglise  africaines,  et  à  Rome  même,  le  pape  Théodore  lui 
manifestait  quelque  sympathie  *.  S'il  est  vrai  enfin  qu'il  fût 
apparenté  à  la  famille  impériale,  cette  illustre  origine  devait 
achever  d'exciter  son  ambition  :  dans  cette  hypothèse,  on  peut 
croire  quïl  n'avait  point  vu  avec  indifférence  la  mort  de 
Constantin  III,  son  beau-frère,  probablement  empoisonné  par 
les  ordres  de  l'impératrice  Martine,  et  que  son  hostilité  s'en 
était  accrue  contre  le  parti  monothélite  qui  maintenant  domi- 
nait à  la  cour  *.  On  peut  croire  aussi  que  sa  haine  avait  été 
entretenue  avec  soin  par  les  amis  et  les  conseillers  du  prince 
défunt,  dont  le  fidèle  confident  Philagrius  avait  été,  après  la 


i.  Théophane,  p.  343;  Jean  de  Nikiou,  p.  382. 

2.  Eq  64)  ils  avaient  éproaré  un  échec  en  Egypte  (Weil,  /.  c,  p.  i58-i59). 

3.  P.  G.,  XCI,  354. 
4. /6irf.,XC,  m. 

5.  Il  est  certain  que  Tempereur  Héraclonas  était  dans  beaucoup  de  pro- 
vinces considéré  comme  un  souverain  illégitime,  étant  né  «d'une  union  réprou- 
vée »  (Jean  de  Nikiou,  p.  573)  et  qu'on  intriguait  contre  lui.  il  est  certain  que 
ces  intrigues  8*élendirent  jusqu'à  TA friq ne  et  qu'on  y  conseillait  onvertement, 
dès  641,  de  désobéir  aux  ordres  de  Martine  et  de  son  fils  (t6td.,  p.  573). 


556  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

mort  de  son  maître,  envoyé  en  exil  à  Septem  *.  Sans  doute  de- 
puis ces  événements,  une  révolution  nouvelle  avait  renversé 
Martine  et  son  fils  Héraclonas,  et  placé  sur  le  trône  Constant  II, 
le  fils  de  Constantin;  mais  vers  646, Constant II  penchait  vers 
le  monothélisme,  au  moment  même  où  l'Afrique  se  prononçait 
avec  éclat  pour  Torthodoxie.  Grégoire  n'hésita  plus  à  profi- 
ter des  circonstances,  et  résolument  il  se  proclama  empereur. 
On  racontait  plus  tard  à  Byzance  que  le  pape  Théodore 
n'avait  point  été  étranger  à  la  décision  du  patrice  '.  Il  avait,  à 
ce  qu'on  affirmait,  fait  avertir  Texarque  qu'il  pouvait  sans 
crainte  se  soulever  contre  le  basileiiSy  que  Dieu  lui-même 
approuvait  sa  révolte  et  en  garantissait  le  succès.  L'abbé 
Maxime,  en  effet,  avait  fait  un  rêve  significatif;  il  avait  vu  des 
chœurs  d'anges  planant  dans  le  ciel,  du  côté  de  l'Orient  et  du 
côté  de  l'Occident;  les  premiers  criaient:  «  Victoire  à  Cons- 
tantin Auguste  »;  les  autres  répondaient:  «  Victoire  à  Gré- 
goire Auguste  »,  et  peu  à  peu  les  voix  de  l'Orient  s'étaient 
tues,  et  le  moine  n'avait  plus  entendu  retentir  que  les  accla- 
mations triomphales  en  l'honneur  du  patrice.  Quoi  qu'il  en 
soit  de  cette  anecdote,  elle  prouve  en  tout  cas  qu'on  sentait  à 
Constantinople  quelque  lien  secret  entre  les  questions  reli- 
gieuses qui  s'agitaient  et  le  soulèvement  de  l'exarque,  etqu'on 
soupçonnait  l'Église  de  n'être  point  indifférente  à  ce  mouve- 
ment. A  la  vérité  les  prélats  africains,  au  début  tout  au  moins, 
semblent  avoir  été  plus  inquiets  que  satisfaits  de  la  rupture 
des  relations  avec  Byzance.  Dans  la  lettre  qu'ils  écrivaient  au 
pape  en  646,  ils  parlent  en  termes  assez  embarrassés  et  vagues 
des  «  nécessités  inattendues  »,  qui  les  empêchent  de  corres- 
pondre directement  avec  le  patriarche  Paul  ^,  et  des  mauvais 
bruits  qui  ont  rendu  suspecte  dans  la  capitale  la  province  d'A- 
frique *.  L'évêque  de  Carthage  se  plaint  également  que  de 

i.  Nicéphore,  29;  Jean  de  Nikiou,  p.  573. 

2.  P.  G.,  xc,  m. 

3.  Labbe,  VI,  129. 

4.  Ifnd,y  129  :  «  quia  vero  in  qaaiiidam  suspectionem  oostra  ÂfHcana  a  loali- 
guis  hominibus  apud  regiam  civitatem  recilata  est  provincia.  •> 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DÉCADENCE-  557 

méchantes  gens  accusent  faussement  les  Africains  «  de  nour- 
rir certains  mauvais  desseins^  qui  ne  sont  point  fondés  en 
vérité  *  ».  Il  se  peut  en  effet  que  le  clergé  ait  vu  avec  quelque 
appréhension,  en  face  du  péril  arabe  croissant  chaque  jour,  un 
soulèvement  qui  énervait  la  résistance,  qu'il  n'ait  point,  mal- 
gré Tacuité  des  luttes  religieuses,  envisagé  sans  quelque 
regret  la  perspective  d'une  rupture  avec  Tempire  chrétien.  En 
tout  cas,  les  populations  semblent  s'être  jetées  avec  empresse- 
ment dans  la  révolte,  et  non  seulement  les  Africains  romanisés 
paraissent  avoir  soutenu  lepatrice  ;  les  tribus  berbères  aussi  em- 
brassèrent le  parti  de  l'exarque*,  et  c'est  peut-être  pour  se  rap- 
procher de  ces  alliés  que  Grégoire,  quittant  Carlhage,  alla  fixer 
sa  résidence  à  l'intérieur  des  terres  dans  la  grande  et  riche  ville 
de  Sufetula  *.  Aussi  bien  était-ce  là  une  admirable  position 
stratégique  pour  défendre  sa  souveraineté  toute  fraîche  contre 
l'ennemi  qui  déjà  la  menaçait. 

En  effet, pendant  que  Grégoire  se  proclamait  empereur,  pen- 
dant qu'enorgueilli  de  sa  grandeur  nouvelle,  il  faisait,  en  signe 
de  son  indépendance,  substituer  sur  ses  monnaies  son  effigie  à 
celle  du  basileus  ^,  un  danger  redoutable  s'approchait  de 
l'Afrique.  Du  jour  où  les  Arabes  avaient  conquis  l'Egypte,  ils 
avaient  pensé  à  continuer  leur  marche  victorieuse  vers  l'Oc- 
cident; en  642  ils  avaient  occupé  Barca  et  la  Cyrénaïque, 
l'année  suivante  ils  avaient  soumis  la  portion  orientale  de  la 
Tripolitaine,  emporté  Tripoli  d'assaut,  pillé  Sabrata  *,  et  peut- 
être  poussé  leurs  ravages,  jusqu'à  la  partie  orientale  du  Fez- 

1.  Labbe,  VI,  15B  :  «  inalorum...  falsislocutioaibus  dictuin  fuisse  nostram  Afri- 
caDam  provinciampo&se  aliqua,  quae  ia  vero  dou  consistuiit,  mala  peragere .  » 

2.  ThéophaQe,p.343,  dit  qae  Grégoire  se  souleva  aùv  xol;  ''A^poi;.  De  Boor  a 
compris  à  tort  qu'il  s'agissait  d'une  révolte  contre  les  Arabes  (Théopli.,  Index^ 
vis  «Açpoi  et  rpYjyépioç).  Cf.  Ibn  Khaldoun,  I,  p.  209;  111,  p.  191. 

3.  Cf.  FourDelJ,  p.  112-113.  Je  ne  saisoùMcrcinr  (/.  c  ,  l.p.  196)prend  qu'uu 
exarque  envoyé  de  Constanliuople  viut  dès  646  occuper  Carthage.  Ou  trouve 
la  même  erreur  dans  les  plus  récents  manuels  (Lavisse  et  (lambaud,  Histoire 
générale^  I,  474).  DeSlane  {HisL  des  Berb.^  Introd.,  I,  p.  xix)  croit  également 
que  Carthage  et  la  Zengitane  demeurërenl  fidèles  à  l'empire. 

4.  Ibn  Abd-el-IlHkem  {l.  c.,p.  360). 
0   Weil, /.  c.,p.  123-124. 


558         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

zaos  sans  que  d'ailleurs  l'exarque  d'Afrique,  dès  ce  moment  à 
demi-brouillé  avec  Gonstantinople,  paraisse  avoir  fait  aucun 
effort  sérieux  pour  repousser  les  envahisseurs  '  ;  sauf  à  Tri- 
poli, c'étaient  les  tribus  berbères  des  Louala  et  des  Nefouça 
qui  seules  avaient  supporté  le  choc  des  musulmans  ^  Aussi 
dès  643  Amrou  songeait  à  pousser  plus  loin  ses  avantages,  et 
il  fallut  l'ordre  formel  du  khalife  Omar  pour  empêcher  le 
général  vainqueur  de  s'engager  dans  «  le  lointain  et  perfide 
Maghreb  »  ^.  Mais  après  la  mort  d'Omar  (644),  son  successeur 
Olhman  ne  crut  point  nécessaire  d'avoir  tant  de  sagesse;  eh 
647  il  autorisa  Abdallah  ibn  Saad^  qui  gouvernait  l'Egypte,  à 
aller  avec  une  armée  de  20,000  hommes  attaquer  l'Afrique 
byzantine. 

Les  historiens  arabes  ont,  suivant  leur  habitude,  embelli  de 
nombreux  épisodes  romanesques  le  récit  de  cette  expédi- 
tion ;  et  l'on  trouvera  tout  au  long  dans  En-Noveiri  les 
détails  aussi  pittoresques  que  légendaires,  dont  l'imagination 
arabe  a  paré  Thistoire  de  ces  événements  ^.  Si  l'on  combine 
les  informations  trèssommaireséparsesdans  les  chroniqueurs 
grecs  et  latins*  avec  les  renseignements  que  fournissent  les 
écrivains  arabes  les  plus  anciens,  on  trouvera  un  récit  plus 
simple  et  sans  doute  plus  vraisemblable  des  faits.  A  l'ap- 
proche des  rapides  cavaliers  musulmans,  qui,  laissant  de  côté 


1.  IbQ  Àbd-el-IIakem,  I,  p.  302  ;  cf.  RoUi,  Oqba  ibn  Nafi,  p.  7-8  ;  A.  Mûller, 
Der  Islam,  1,  p.  268-269. 

2.  On  accusait  plus  tard  Maxime  (P,  G.,  XC,  111),  d'avoir  par  ses  ràcbeux 
conseils  Isûssé  perdre  ce  et  Pentapolîm  et  Tripoliin.  n 

3.  Fournel,  /.c.,p.  20-22. 

4.  Ibn  Abd-el-tiakem,  /.  c,  p.  359. 

5.  Le  récit  d'Eu-Noveiri,  suivi  bieo  à  tort  par  Mercier  (A  c,  I,  p.  197- 
199),  se  trouve  daus  le  Journal  asialique,  1841,  p.  103-111.  Il  a  été  fort  juste- 
meut  critiqué  par  de  Slane,  Lettre  à  M,  Hase  {Journal  asiatique^  1844,  p.  329- 
365).  A  ce  roman,  qui  date  d  ailleurs  du  xiv*  siècle,  il  faut  préférer  les  récits 
plus  simples  d'Jbn  Abd-el-Hakem  et  d'El-Beladori,  qui  ëcrivaieut  au  niiliea 
du  ix«  siècle.  Ils  sont  publiés  dans  le  Journal  asiatique,  1844,  p.  354-364  et 
351-354.  Cf.,  aussi.  Fouruel,  I,  p.  110-113  ;  Amari,  Storia  dei  musulmani  di 
Sicilia,  l,  p.  109-111  ;  Weil,  /.  c,  I,  p.  161. 

0    Isidore  Paceusis,  16  (/'.  X..,  XCVl,  1258-1259);  Tbéophaue,  p.  343. 


LES  CAUSES  INTEHNES  DE  LA  DÉGADEiNCG  559 

les  villes  fortes  du  liltoral^  semblent  s'ôtre  jetés  en  pillant  tout 
dansTintérieur  de  la  Byzacëne,  Grégoire,  appelant  à  lui  les 
tribus  berbères,  menacées  autant  que  les  Grecs  par  les  pro- 
grès deTenvabisseur,  se  porla  avec  une  forte  armée  en  avant 
de  Sufetula.  Je  n  ai  pas  besoin  de  dire  avec  quelle  défiance  il 
faut  accueillir  les  chiffres  formidables  de  120,000  ou  même  de 
200^000  hommes  auxquels  les  historiens  arabes  évaluent  les 
forces  du  patrice  ;  je  ne  m'arrêterai  point  davantage  à  refaire 
le  récit,  singulièrement  fantaisiste,  qu'ils  nous  ont  donné  de 
la  grande  et  sanglante  bataille  livrée  dans  la  plaine  de  Sbeitla. 
A  toutes  les  invitations  qui  lui  furent  faites  d*embrasser  Tisla- 
lisme  et  de  payer  tribut  au  khalife^  Grégoire  avait  répondu 
avec  fierté  en  faisant  appel  aux  armes  ^  Pendant  quelques 
jours  les  deux  armées  demeurèrent  en  présence;  enfin  le 
combat  décisif  s^engagea  :  ce  fut  un  désastre  pour  les  Byzan- 
tins. Sous  le  choc  furieux  des  musulmans,  les  troupes  du  pa- 
trice plièrent  et  s'enfuirent;  lui-même,  combattant  en  déses- 
péré, périt,  dit-on,  dans  la  lutte,  peut-être  de  la  main  d'Ab- 
dallah ibn  Zobéir,  qui  fut  en  récompense  chargé  d'aller  à  Mé- 
dine  annoncer  la  victoire  au  khalife  *.  Quant  à  la  fille  de  Gré- 
goire, à  la  belle  et  intrépide  amazone,  qui  combattait  à  côté 
de  son  père,  et  dont  la  main  avait  été  promise,  d'après  la 
légende,  par  l'exarque  à  celui  qui  tuerait  Abdallah  ibn  Saad, 
et  par  le  général  musulman  à  celui  qui  abattrait  le  patrice, 
son  destin,  si  tant  est  qu'elle  ait  existé,  fut  plus  simple,  sinon 
moins  dramatique.  Faite  prisonnière,  et  devenue  l'esclave 
d'un  des  guerriers  vainqueurs,  elle  se  tua  en  se  jetant  à  bas 
du  chameau  où  elle  avait  été  placée  (647)  '. 
La  bataille  de  Sbeitla  et  la  mort  de  Grégoire  livraient  TA- 


i.  En-Noveiri,  /.  c,  p.  103. 

2.  Cf.  Amari,  /.  c,  p.  110-111;  Weil,  /.  c,  p.  161  ;  Tauxier  {Revue  afric,^ 
1885,  p.  30C-301)  croit  au  contraire  que  le  patrice  fut  {tris  et  ridenlifie  avec 
le  (>régotref  neveu  d'Héraciius,  qui  eu  651-652  mourut  à  Héliopolis.  J'ai  dis- 
caté  plus  haut  et  écarté  cette  conjecture. 

3.  ibn  Abd-el-IIakeui,  /.  c,  p.  362-363.  Cf.  Noveiri,  /.  c,  p.  105-109,  et  le 
Kilab-el'Affhani  (Journal  asiatique,  1844,  p.  341-343). 


560  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

frique  byzantine  à  la  discrétion  de  Tenvabisseur.  Sans  tarder, 
les  musulmans  mirent  le  siège  devant  Sufetula,  et  la  ville, 
emportée  d'assaut,  fut  pillée  et  cruellement  dévastée;  en  même 
temps,  les  légers  cavaliers  arabes,  se  répandant  dans  tout  le 
sud  de  la  Byzacène,  portaient  leurs  ravages  jusque  dans  la 
région  de  Gafsa  et  dans  les  fertiles  oasis  du  Djerid  ^  Mais,  du 
côté  du  nord, ils  se  heurtèrent  à  de  plus  sérieux  obstacles;  les 
Grecs  s'étaient  retirés  et  retranchés  dans  les  places  fortes  qui 
formaient  la  seconde  ligne  de  défense  de  la  province  et  sem- 
blaient prêts  à  y  opposer  une  solide  résistance.  Or  les  Arabes, 
comme  les  Berbères,  étaient  peu  experts  dans  l'art  des  sièges; 
satisfaits  d'ailleurs  du  butin  énorme  qu'ils  avaient  ramassé, 
ils  ne  songeaient  qu'à  mettre  en  sûreté  leurs  richesses;  quand 
donc  les  Byzantins  firent  proposer  à  Abdallah  ibn  Saad  d'a- 
cheter sa  retraite  à  prix  d'or^  le  général  musulman  consentit 
volontiers  à  entrer  en  négociations  •.  On  lui  paya,  disent  les 
historiens  arabes,  trois  cents  talents  d*or,  suivant  les  uns, 
deux  millions  cinq  cent  mille  dinars,  suivant  les  autres,  en 
tout  cas,  et  quelle  que  soit  l'exagération  de  ces  chiffres,  une 
somme  considérable  '  ;  on  convint  que  ses  soldats  garderaient 
tout  le  butin  qu'ils  avaient  fait  *  :  à  ce  prix,  Abdallah  ibn  Saad 
consentit  à  évacuer  le  pays,  et  s'en  retourna  en  Egypte, 
«  sans  laisser  de  gouverneur,  dit  Abd-el-Hakem,  et  sans  éta- 
blir de  cairewan  »  *.  C'était  une  simple  razzia  que  les  mu- 
sulmans étaient  venus  faire  en  Afrique  ;  ils  ne  songeaient 
point  encore  à  ce  moment  à  sMnstaller  en  maîtres  dans  le 
pays. 

Cependant  cette  première  expédition  était  grosse  de  périls 
pour  l'avenir.  Ce  n'est  point  impunément  que  les  Arabes 
avaient  fait  connaissance  des  riches  et  fertiles  campagnes  de 


1.  Noveiri,  /.  c. ,  p.  f09;  Ibn  Abd-el-Hakem,  /.  c,  p.  361. 
2.  Ibn  Abd-el-Hakem,  /.  c  ,  p.  361  ;  El-Beladori,  /.c,  p.  353. 

3.  Cf.  Tbéophane,  p.  343. 

4.  Isidore  Pacensis,  16. 

5.  Ibn  Abd-el-Hakem,  U  c,  p.  361;  El  Beladori,  /.  c,  p.  354. 


LES  CAUSES  INTERNES  DE  LA  DÉCADENCE  561 

la  Byzacëne:  les  abondantes  dépouilles  qu'ils  en  avaient  rap- 
portées, les  sommes  énormes  qu*ils  avaient  eu  si  peu  de  peine 
à  obtenir  ne  devaient  que  trop  vite  les  encourager  à  revenir. 
Pour  le  présent  même,  la  situation  de  la  province  était  singu- 
lièrement désastreuse  et  critique.  L'invasion  musulmane 
avait  cruellement  ravagé  et  appauvri  le  pays;  et  dès  mainte- 
nant commençaient  ces  lamentables  exodes  de  populations 
fuyant  devant  Tépée  des  envahisseurs  et  quittant  leurs  vil- 
lages et  leurs  terres  pour  aller  au  delà  des  mers,  dans  les  îles 
et  jusqu'en  Italie,  chercher  un  plus  sûr  asile  \  Sans  doute  la 
mort  du  palrice  Grégoire  mettait  fin  à  la  rupture  qui  avait 
éclaté  entre  Constantinople  et  Carthage:  mais  la  disparition 
de  Texarque  laissait  pour  le  moment  la  province  sans  gouver- 
neur, et  prête  pour  toules  les  dissensions  intestines,  et  d'autre 
part  le  désastre  de  Sbeitia  avait  pour  l'attitude  des  tribus  ber- 
bères de  graves  conséquences.  Sans  admettre  que  dès  ce  mo- 
ment une  portion  d'entre  elles  ait  accepté  la  suzeraineté  du 
khalife,  et  sollicité  de  lui  pour  ses  chefs  une  espèce  d'investi- 
ture', il  semble  bien  pourtant  que  les  populations  indigènes 
profitèrent  des  événements  pour  se  rendre  plus  pleinement 
indépendantes  encore,  et  que  tout  le  sud  de  la  Byzacëne 
échappa  aux  Byzantins.  Sans  doute,  après  l'invasion  de  647,  la 
domination  grecque  s'est  pendant  cinquante  ans  encore  main- 
tenue dans  l'Afrique  du  Nord  ;  pourtant  c'est  à  ce  moment 
qu'elle  recul  le  premier  coup  véritablement  sérieux  qui  Tait 
ébranlée,  et  Ton  conçoit  que  les  chroniqueurs  byzantins,  assez 
peu  préoccupés  d'ordinaire  de  se  qui  se  passait  dans  TOcci- 
dent  lointain,  aient  enregistré  avec  soin  la  mention  de  là 
grande  défaite  de  Sbeitia  et  que  le  bruit  en  soit  venu  jus- 
qu'aux annalistes  obscurs  de  l'Espagne  et  de  la  Gaule  *.  Ils 


1.  Ei-Bekri  {Journal  asiat.,  1858,  p.  525);  Fournel,  I,  p.Ul.  Amari,  /.  c,  p.  IH- 
112,  croit  qae  ces  ^véiiemeuts  fc  placent  plutôt  en  6G9.  Cependant  dès  649  ou 
trouve  des  moioes  africains  téfugiéâ  à  Rome  (Labbe,  VI,  112-113). 

2.  Cf.  Ibn  KbaldouD,  dans  Fournel,  p.  112-113. 

3.  Isidore  Pacencis,  c.  16;  Frédrgaire,  c.  81. 


662         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN    AFRIQUE 

comprenaient  l'importance  extrême  de  celle  première  attaque 
des  Arabes  sur  TOccidenl  et  sentaient  que  le  jour  où  Texar- 
que  Grégoire  était  tombé  sous  les  murs  de  Sufelula  avait 
marqué  la  fin,  plus  ou  moins  prochaine,  mais  inévitable,  de  la 
domination  byzantine  en  Afrique. 


CHAPITRE  II 


LK  coNQUÈre  DE  l'afriquis  par  Les  arabes 

L'hisloire  de  TAfrique  byzantine,  si  incomplètement  con- 
nue pour  la  première  moitié  du  vu®  siècle,  devient  plus 
obscure  et  plus  incertaine  encore  après  la  première  invasion 
arabe.  Ce  n'est  point  toutefois  que^  pour  cette  période,  les 
renseignements  fassent  défaut;  au  contraire  ils  abondent,  et  il 
serait  facile  de  faire  un  récit  circonstancié,  brillant,  pittores- 
que de  la  conquête  de  TAfrique  par  les  musulmans.  Malheu- 
reusement les  historiens  qui  en  fourniraient  la  matière  sont 
des  informateurs  fort  suspects  :  quelques-uns  de  ceux  que  Ton 
cite  le  plus  volontiers,  En-Noveiri  par  exemple  et  Ibn  Khal- 
doun,  ont  composé  leurs  ouvrages  près  de  sept  siècles  après 
les  événements  qu'ils  racontent  ;  et  les  plus  anciens  même 
d'entre  ces  chroniqueurs,  tels  qu'Ibn  Abd-el-Hakem,  El-Bela- 
dori  ou  Ibn  Koteiba,  sont  encore  éloignés  par  un  intervalle  de 
deux  siècles  environ  des  faits  dont  ils  nous  ont  laissé  le  récit. 
Ce  qui  est  plus  grave,  c'est  que  dans  la  plupart  de  ces  écri- 
vains, les  traditions  purement  légendaires  se  mêlent  cons- 
tamment et  se  substituent  à  l'histoire  ;  pour  rehausser  le  pres- 
tige des  héros  de  llslam,  des  Sidi  Okba,  des  Hassan,  des 
Mouça,  on  entasse  les  anecdotes  merveilleuses,  on  accumule 
les  miracles,  on  se  complaît  en  des  aventures  dignes  des  Mille 
et  une  Nuits  :  et  les  auteurs  anciens  eux-mêmes,  bien  qu'en 
général  leur  exposé  soit  plus  simple  et  moins  fleuri  d'épisodes, 
n'échappent  pas  entièrement  à  ces  fâcheuses  tendances.  Sans 
doute,  à  les  en  croire,  tous  peuvent,  par  une  série  de  tradi- 
tions orales,  remonter  jusqu'au  témoin  oculaire  dont  ils  rc- 


364         HISTOIRE  DE  LA.  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

produisent  le  récit  ;  mais  outre  que  Timaginatioa  orientale 
est  peu  propre  à  assurer  rexactitudë  de  la  transmission^  plus 
d'une  fois  les  traditionistes  qu'on  nous  cite  pour  garants  ont 
été  inventés  de  toutes  pièces  par  l'historien  :  et  en  tout  cas, 
comme  les  arabisants  se  sont  peu  préoccupés  jusqu'ici  d'étu- 
dier au  point  de  vue  critique  les  chroniqueurs  qu*ils  ont 
édités,  il  faut  nous  résoudre  à  ignorer  si,  parmi  ces  récils, 
quelques-uns  reposent  sur  des  sources  vraiment  authentiques 
et  anciennes  ^  Dans  ces  conditions,  on  le  comprend,  il  faut 
une  singulière  prudence  dans  l'emploi  qu'on  fera  de  ces 
documents  ;  et  quelque  séduisant  qu'il  pût  être  de  parer  cette 
histoire  de  romanesques  broderies,  on  suivra  de  préf  érence  la 
sage  réserve  que  Weil  a  apportée  dans  son  Histoire  des  kha- 
lifes. On  ne  retiendra  que  les  faits  essentiels  et  à  peu  près 
sûrement  attestés  ;  on  s'attachera  le  plus  volontiers  aux  récits 
des  chroniqueurs  les  plus  anciens  et  les  plus  simples  ;  on 
s'efforcera,  dans  la  mesure  fort  restreinte  où  la  chose  est  pos- 
sible, de  contrôler  leurs  informations  à  Taide  des  rares  rensei- 
gnements épars  dans  les  écrivains  grecs  ou  latins.  Sans  doute 
le  tableau  y  perdra  en  éclat  pittoresque  ;  peut-être  y  gagnera- 
t-il  en  vérité  ;  à  tout  le  moins  il  suffira  à  mettre  en  lumière 
les  traits  caractéristiques  qui  ont  marqué  en  Afrique  les  der- 
niers jours  de  la  domination  grecque. 


1.  Sur  le  degré  de  confiaoce  qu'il  faut  accorder  aux  historiens  arabes  et  les 
procédés  qu'ils  emploieot,  cf.  de  Slsiae,  Journal asiat.,  18U,  p.  349-351  ;  Aoiari, 
StoriadeimusulmanidiSiciliay  I,  p.  82-84;  Bury,  /.  c,  II,  p.  263,272;  Roth,  Oqfta 
ibn  Nafi,  p.  19-21,  et  surtout  Dozy,  Rech,  sur  Vhùil.  et  la  litt.  de  C Espagne^  I, 
p.  32-38  et  41-43,  où  Ton  voit  que  Ibn  Abd-el-Hakem  même  est  singulièrement 
sujet  à  caution.  Cf.  ce  que  dit  Abou  U-Mahacin  de  Tépoque  tardive  où  This- 
toire  écrite  remplaça  chez  les  Arabes  la  tradition  orale  (Foumel,  I,  p.  178, 
n.  6) .  Il  faut  en  conséquence,  pour  toute  la  période  qui  va  nous  occuper,  ne 
jamais  oublier  la  déclaration  formelle  que  fait  de  Slane:«  Pour  ce  qui  regarde 
TAfrique  septentrionale,  i*exposition  des  événements  qui  eurent  lieu  pendant 
cette  époque  ne  peut  soutenir  nu  examen  critique  »  (//f«^  des  Berb.t  IV,  p.  565). 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  565 


Après  riovasloQ  de  647,  les  querelles  intérieures  qui  trou- 
blèrent Tenapire  des  khalifes  laissèrent  à  l'Afrique  byzantine 
près  de  quinze  années  de  répit.  Certes  le  péril  arabe  n'é- 
tait point  pour  cela  conjuré;  et  durant  cette  période  même, 
plus  d'une  fois  des  incidents  graves  vinrent  rappeler  à  l'Occi- 
dent les  dangers  dont  le  menaçait  Tlslam  :  dès  6S2  les  musul- 
mans tentaient  une  descente  en  Sicile  %  et  Abd-el-Hakem 
raconte  qu'en  654  ils  poussèrent  jusqu'aux  frontières  de  la 
Byzacène  une  nouvelle  expédition  '.  Cependant,  en  fait,  aussi 
longtemps  que  durèrent  les  guerres  civiles  soulevées  entre  Ali 
et  Moaviah,  les  Arabes  n'eurent  guère  le  loisir  d'entreprendre 
rien  de  sérieux  au  dehors.  Ce  n'est  que  vers  659,  lorsque  le 
khalife  eut  renvoyé  Amrou  dans  cette  Egypte  jadis  conquise 
par  ses  armes,  que  les  hostilités  se  rouvrirent  d'une  manière 
décisive  ;  le  vieux  général  n'avait  point  oublié  en  effet  cette 
Afrique  oii  Tordre  formel  d'Omar  l'avait  empêché  autrefois 
de  porter  sa  course  ;  et  aussitôt  qu'il  eut  solidement  établi 
dans  sou  gouvernement  Tautorité  des  Omméiades,  il  tourua 
ses  regards  vers  l'Occident.  C'était  en  661. 

Le  gouvernement  byzantin  avait-il  du  moins  mis  à  profit 
ces  quelques  années  de  tranquillité  pour  pacifier  la  province 
et  la  mettre  en  état  d'opposer  à  l'invasion  une  sérieuse  résis- 
tance ?  Il  semble  tout  d'abord  que  malgré  la  disparition  de 
l'usurpateur  Grégoire,  l'empereur  eut  quelque  peine  à  rétablir 
en  Afrique  son  autorité.  Les  écrivains  arabes  racontent  en 
effet  que  le  patrice  eut  pour  successeur  un  certain  Habakiah 
ou  Djenaha,  dont  on  ne  peut  retrouver  avec  certitude  le  nom 


1.  Lib.  pont.,  p.  339;  Amari,  I,  p.  82-90. 

2.  Well,  /.  c,  I,  p.  461-162,  admet  cette  expédition.  Pourtant  la  chose  est 
assez  sorpreoante,  et  il  se  peut  qu'il  y  ait  une  erreur  dans  le  manuscrit  d'Abd-ei- 
Hakem  (Fournel,  1,  p.  141,  n.  8). 


566         HISTOIBE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

grec  dissimulé  sous  celle  forme  orientale  *,  et  il  semble  que 
pendant  quelque  temps,  ce  personnage  se  maintint  indépen- 
dant de  Byzance*.  La  chose  paraîtra  assez  vraisemblable,  si 
Ton  songe  que  vers  le  même  temps  Texarque  dltalie  Olym- 
pius  se  proclamait  empereur,  et  qu'il  fut  durant  deux  années 
entières  (650-652)  le  maître  absolu  de  la  péninsule,  sans  que 
le  hasileus  tentât  nul  effort  pour  briser  ses  ambitieux  des- 
seins^. Il  est  évident  que  vers  le  milieu  du  vu*  siècle  une 
crise  redoutable  troublait  les  provinces  grecques  d*Occident  ; 
la  promulgation  du  Type^wc  Tempereur  Constant  II,  en  don- 
nant au  conflit  religieux  une  âpreté  nouvelle,  avait  jelé 
rÉglise  romaine  dans  une  irréconciliable  opposition,  et  tendu 
à  Textrême  les  relations  entre  l'Italie  et  la  capitale  *.  Les  po- 
pulations, passionnément  attachées  à  l'orthodoxie  et  au  pontife 
qui  s'en  faisait  le  défenseur,  envisageaient  sans  trembler  la 
perspective  d'une  rupture,  et  Ton  soupçonnait  la  papauté 
même  d'encourager  ces  espérances*.  Or  l'Afrique,  on  le  sait, 
était  profondément  dévouée  au  Siège  apostolique  :  ses  évêques 
s'associaient  avec  empressement  aux  efforts  que  faisait 
Martin  I"  pour  défendre  la  foi  catholique  ;  plusieurs  d^entreeux 
siégèrent  au  concile  de  Latran,  et  mirent  leurs  noms  au  bas 
delà  lettre  qui  sommait  l'empereur  d'abjurer  l'hérésie  *;  tous 
ratifièrent  Tanathème  solennel  que  les  Pères  de  649  lancèrent 
contre  les  fauteurs  du  monothélisme,  contre  VEcthesis  d'Hé- 
raclius^  contre  le  Type  de  Constant  II  ;  tous  méritèrent  d'être 
proclamés  par  le  pape  «  les  hérauts  de  la  vérité  »  et  les  gar- 
diens fidèles  de  l'orthodoxie  \  Il  est  certain  aussi  que  l'Afrique 

1.  Tauxier  (Revue  afr,^  1885,  p.  294)  retrouve  avec  quelque  vraUemblaoce 
dans  Tarabe  Djeuaha  le  grec  Genuadius. 

2.  Ibn  Adzari)  Baian  (Fonroel,  I,  p.  140);  Noveiri  (Journal  asialt,  1841, 
p.  111-112),  qui  d^allieors  se  contredit  sur  la  qualité  du  personnage.  Il  est  im- 
possible en  tout  cas  d'y  voir  (Mercier,  1,  p.  199)  un  représentant  du  khalifat. 

3.  Diehl,  Exarchat,  p.  341-342. 

4.  Ibid.,p.  405-406. 

5.  P.  L,  LXXXVn,  112-113. 

6.  Labbe,  M,  78,  19,  97,  362. 

7.  P.  I.,  LXXXVII^147, 150. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  567 

suivit  avec  im  intérêt  passionné  les  procès  politiques  que, 
quelques  années  plus  tard,  on  fit  au  pape  Martin  et  à  Tabbé 
Maxime,  et  qu'elle  voulut  connaître  dans  tous  leurs  détails 
les  tourments  infligés  au  pieux  confesseur  et  la  «  passion  » 
souiïerte  par  le  saint  pontife  ^  :  tant  elle  avait  pris  ardemment 
sa  part  de  leurs  efforts,  de  leurs  luttes  et  de  leurs  espérances. 
Si  l'on  tient  compte  de  lagitation  profonde  qu'attestent  ces 
sentiments,  si  l'on  songe  d'autre  part  au  désarroi  extrême  où 
se  trouvait  vers  le  milieu  du  vu*  siècle  la  monarchie  byzantine, 
on  admettra  sans  peine  que  la  province  révoltée  en  646  ait 
accueilli  volontiers,  après  la  mort  de  Grégoire,  un  autre  usur- 
pateur, et  que  pendant  quelques  années  l'empereur  ait  été  in- 
capable d'y  rétablir  son  autorité.  Ne  reprochait-on  point,  un 
peu  plus  tard,  au  pape  Martin  d'avoir,  par  ses  intrigues, 
détaché  de  Byzance  «  l'Occident  tout  entier*  ?  » 

Ce  n'est  pas  tout.  Lorsque  enfin  Constant  II  —  nous  igno- 
rons à  quelle  date  et  de  quelle  manière  —  réussit  à  reprendre 
possession  de  l'Afrique,  il  ne  recouvra  que  fort  incomplète- 
ment les  territoires  qui  jadis  composaient  l'exarchat.  Assuré- 
ment il  y  aurait  quelque  naïveté  à  croire,  comme  l'affirment 
les  historiens  arabes,  que  dès  ce  moment  l'Islam  avait  fait 
parmi  les  tribus  berbères  de  nombreux  prosélytes  •  :  il  est 
certain  pourtant  que,  converties  ou  non,  beaucoup  de  popula- 
tions indigènes  avaient  mis  les  circonstances  à  profit  pour  se 
soustraire  à  la  domination  grecque.  Dès  l'année  665,  tout  le 
sud  de  la  Byzacène  échappait,  ce  semble,  à  l'autorité  du  basi- 
leus  :  du  moins  El-Bekri  raconte  que  vers  668  Okba  ibn  Nafi 
conquit  le  pays  de  Kastilia,  c'est-à-dire  la  région  de  Nefta  et 
de  Tozeur,  et  s'empara  de  Gafsa,  sans  que  les  Grecs  paraissent 
le  moins  du  monde  s'être  préoccupés  de  ces  événements*.  Fait 

1.  p.  L.,  LXXXVII,  111.  La  lettre  sur  la  passio  du  pape  est  adressée  aux 
évêques  qui  <f  suntin  Occidente  seuRomae  et  in  Aftica».  CF.  P.  G.,  XC,  13i,  la 
lettre  d'Anastase,  disciple  de  Maxime,  aux  moines  de  Calaris. 

2.  P.  I.jLXXXVn,  112, 113  :«  subvertitetperdidit  uoiversum  Ocddentem.  » 

3.  Cf.  Fournel,  I,  113,  112. 

4.  Ibn  Abd-el-Hakem  (Hist.  des  Berbères^  I,p.  311);  El-Bekri  (Jouirai  asiaL, 
1858,  p.  448);  Fournel,  I,  147-150. 


568  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN   AFRIQUE 

plus  significatif  encore,  lorsque  en  665  Moaviah  ibn  Hodaïdj 
envahit  l'Afrique,  il  pénétra  du  premier  coup,  et  sans  rencon- 
trer aucune  résistance,  jusque  dans  la  région  où  s'élèvera 
Kairouan,  et  il  établira  son  camp  au  pied  du  Djebel  Ousselet, 
à  une  journée  de  marche  de  Sbiba'.  11  est  évident,  si  ces  dé- 
tails sont  exacts,  que  les  Byzantins  avaient  cessé  d^occuper  la 
plupart  des  forteresses  qui  formaient  jadis  la  première  ligne 
de  défense  de  la  Byzacène  ;  et  en  effet,  si  l'on  cherche  quelles 
places  fortes  firent,  à  cette  date  de  665,  résistance  à  l'invasion 
arabe,  on  trouve  qu'elles  appartiennent  toutes  au  système  des 
citadelles  qui  protégeaient  les  abords  de  la  Tunisie  centrale 
d'aujourd'hui  :  les  historiens  nomment  Hadrumète  '  (Sousa) 
et  Djeloula  (peut-être  Kouloulis)  '  ;  à  une  date  un  peu  posté- 
rieure, il  est  fait  mention  de  la  ville  de  Mams  (Mamma)  \  Il 
semble  donc  bien  que  les  possessions  grecques  diminuaient. 
Bientôt,  au  centre  même  de  la  Byzacène,  les  Arabes  pourront 
sans  peine  s'établir  à  Kairouan.  D'autre  part,  les  états  indi- 
gènes prennent  une  importance  chaque  jour  croissante.  Sans 
doute,  pour  repousser  les  musulmans,  ils  uniront  avec  une 
énergique  fidélité  leurs  efforts  à  ceux  des  Grecs  ;  mais  —  et 
ce  trait  est  caractéristique  —  au  lieu  d'employer  les  services 
des  Berbères  et  de  diriger  leurs  contingents,  les  Byzantins 
apparaissent  au  contraire  comme  les  auxiliaires  des  princes 
indigènes'  ;  et  tandis  que  les  historiens  mentionnent  à  peine 
les  noms  des  gouverneurs  impériaux,  c'est  Koçéila,  c'est  la 
Kahena  qui  sont  les  chefs  de  la  résistance,  et  qui  semblent 
avoir  hérité  de  toute  l'autorité  du  basileus. 

Pour  restaurer  en  Afrique  la  domination  grecque  ébranlée 
et  presque  compromise,  il  eût  suffi  pourtant  d'un  peu  de  vi- 


\.  Fournel,  I,  p.  142-144;  Ibn  Abd-el-Hakem,  I,  p.  307-308. 

2.  7rf.,  p.  144-145. 

3.  /d.,  p.  146. 

4.  /d.,  p.  195. 

5.  Ibn  Rhaldoan,  Risl,  des  Berbères,  ],  p.  286-287,  et  III,  p.  192  :  «  chacune 
des  tribus  combattit  sur  son  propre  territoire,  en  se  faisant  aider  par  un  déta- 
chement de  Francs  ». 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  569 

gueur  et  d'habileté.  Il  était  facile  de  mettre  à  profit  les  dispo- 
sitions favorables  qu'inspirait  aux  Berbères  la  communauté 
du  péril;  on  pouvait  avec  quelque  bonne  volonté  calmer  l'a- 
gitation religieuse  qui  persistait  en  Afrique^  et  apaiser  les 
mécontentements  qu'elle  avait  fait  naître.  Malheureusement 
l'empereur  Constant  II  ne  paraît  point  s'en  être  inquiété.  Assu- 
rément il  comprit  l'importance  qu'il  y  avait  à  rattacher  forte- 
ment à  l'empire  les  provinces  occidentales  de  la  monarchie,  et 
les  ressources  qu'on  y  pouvait  trouver  pour  lutter  efficacement 
contre  l'Islam*;  on  peut  croire  que  de  sérieuses  raisons  le  dé- 
cidèrent à  transporter  en  Sicile  sa  résidence,  et  il  est  certain 
qu'il  fit  quelques  efforts  pour  organiser  dans  l'exarchat  de 
Garthage  une  plus  solide  défense  militaire'.  Mais  ces  grands 
desseins  coûtaient  cher,  et  l'argent  manquait  ;  pour  s'en  pro- 
curer, l'empereur  écrasa  d'impôts  la  Calabre,  la  Sicile,  la 
Sardaigne  et  l'Afrique  :  par  des  remaniements  du  cadastre  et 
des  recensements  nouveaux  destinés  à  multiplier  les  unités 
imposables,  il  frappa  de  lourdes  charges  les  propriétaires  fon- 
ciers; en  même  temps  il  augmentait  les  taxes  qui  pesaient  sur 
le  commerce  maritime,  il  confisquait  jusqu'aux  biens  d'église, 
et  ses  agents  apportaient  dans  l'exécution  de  ses  ordres  la 
plus  rigoureuse  sévérité^  Cette  cruelle  tyrannie  acheva  de 
troubler  profondément  les  provinces  africaines  :  les  historiens 
arabes  racontent  qu'un  soulèvement  éclata  à  Carthage;  on 
chassa  le  patrice  impérial  chargé  de  lever  les  nouveaux  impôts, 
et  à  sa  place  on  proclama  comme  gouverneur  un  certain  Êleu- 


i.  Cf.  Labbe,  VI,  905,  où  l'on  voit  qae  les  moines  d'Afriqae  contiDuaient  à 
défendre  les  opinions  de  Tabbé  Maxime  et  qu'entre  enx  et  le  clergé  d'Orient  de 
véritables  polémiques  étalent  parfois  soulevées. 

2.  Bury,  11,  p.  297-299. 

3.  On  trouve  en  668  Ja  mention  d'un  exercilus  Africae  {Lib.  ponl.j  p.  346); 
et  en  665  une  armée  fut  envoyée  de  Sicile  au  secours  de  l'exarchat  (Fournel,  I, 
p.  144).  Pourtant  rien  n'oblige  à  croire  que  l'empereur  rattacha  l'Afrique  à  la 
Sicile  (Bury,  II,  302),  et  je  ne  sais  où  Bury  a  pris  que  Constant  II  dut  recon- 
quérir Garthage  sur  les  Arabes  (ibid.^  II,  p.  302). 

4.  Ub.  pantif.,  p.  344. 


570  IIISrOÎRK  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

therius*.  Or,  à  ce  moment  même,  alors  que  le  pays  était  ab- 
solument désorganisé,  peut-être  même  en  pleine  révolte  contre 
le  basileus,  une  armée  musulmane  s'approchait  des  frontières 
de  la  Byzacène.  Déjà  on  647  les  Arabes  avaient  su  tirer  parti 
des  troubles  intérieursqui  agitaient  la  province;  on  peut  croire 
qu'en  665  ils  n'ignoraient  point  la  situation  de  l'Afrique  et  les 
avantages  qu'elle  offrait  pour  une  heureuse  et  profitable  inva- 
sion. 


II 


Depuis  plusieurs  années,  les  gouverneurs  arabes  de  l'Egypte 
songeaient  à  entreprendre  cette  grande  expédition,  et  il  se 
peut  que,  dès  avant  665, ils  aient, par  quelques  courses  rapides, 
reconnu  le  terrain  de  la  future  campagne*.  A  ce  moment,  les 
circonstances  semblaient  favorables.  Moaviahibnllodaîdj  reçut 
du  khalife  Tordre  d'entrer  en  Byzacfene.  Sans  peine  il  pénétra 
dans  rintérieur  des  terres,  jusqu'aux  environs  de  Sbiba,  et  il 
s'occupailà  ravager  le  pays  en  tout  sens,  lorsqu'il  apprit  qu'une 
armée  byzantine  forte  de  30,000  hommes  et  commandée  par  un 
patrice  du  nom  de  Nicéphore,  venait  de  débarquer  à  Hadru- 
mète.  C'était  Tempereur  Constant  II  qui,  de  Sicile,  avait  en- 
voyé cette  expédition  en  Afrique,  soit  pour  dompter  la  révolte 
de  la  province,  soit  pour  la  défendre  contre  Tinvasion  des 
musulmans.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  troupes  grecques  furent  bat- 
tues, obligées  de  reprendre  la  mer  en  hftte^  :  la  Byzacëne  se 
trouvait  livrée  à  tous  les  ravages  du  vainqueur.  Audacieuse- 
ment  Moaviah  alla  mettre  le  siège  devant  la  forte  place  de  Dje- 


!.  Fouroel,  p.  141;  Noveiri,  /.  r.,  p.  H1-H2. 

2.  Abd-el-HaJccm  mentionne  une  expédition  en66i  (Fournel,  I,  p.  139),  et 
Weil  (l.  c,  1,  p.  283)  admet  le  fait.  Il  se  peut  fort  bien  que  les  trois  expédit'-oos 
de  654,  661,  665,  conduites  par  Moaviah  ibn  Hodaîd],  se  ramènent  à  une  seule. 
En  tout  cas  les  deux  dernières  semblent  se  confondre.  Roth  n*admet  que  celle 
de  665  (p.  25-27).  Cf.  A.  MQller,  Der  Islam,  I,  p.  352. 

3.  Fournel,  1,  p.  i44-145;  Ibn  Khaldoun,  I,  211. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  5"ïl 

lonla,  qui,  barrant  les  défilés  du  Djebel  Ousselet,  fermait  la 
grande  route  qui  de  la  plaine  côtiëre  conduit  vers  Tintérieur  du 
massif  central:  un  accident  qui,  s'il  est  exactement  rapporté, 
atteste  que  les  murailles  des  citadelles  byzantines  étaient  assez 
mal  entretenues,  livra  la  ville  aux  agresseurs^  :  elle  fut  pillée 
et  saccagée  de  fond  en  comblCi  Puis,  chargés  de  butin,  arrêtés 
peut-être  par  l'obstacle  que  leur  opposaient  les  diverses  for- 
teresses de  cette  région,  les  musulmans  évacuèrent  le  pays  : 
cette  fois  encore,  comme  en  647,  ils  s'étaient  contentés  de 
faire  une  incursion  rapide  et  de  rançonner  les  populations 
africaines. 

Mais  dès  ce  moment  le  succès  de  leurs  premières  expéditions 
suggérait  aux  Arabes  l'idée  d*un  établissement  plus  durable, 
et  le  khalife  Moaviah  décidait  d'entreprendre  sérieusement  la 
conquête  de  l'Afrique'.  11  trouva  dans  Okba  ibn  Na.fi  le  fidèle 
instrunient  de  ses  desseins.  Sous  la  conduite  de  l'enthousiaste 
et  fanatique  général,  les  musulmans,  à  peine  revenus  de  la 
campagne  de  66S,  reprirent  bien  vite  le  chemin  de  l'Occident. 
Pendant  qu'un  de  leurs  chefs  s'établissait  à  demeure  dans  la 
Tripolitaine  et  poussait  jusque  dans  Tile  de  Djerba  les  armes 
de  ses  soldats,  Okba  soumettait  successivement,  dans  une  pre- 
mière campagne,  les  oasis  de  Ouaddan,  du  Fezzan,  de  Kaouar, 
et  après  avoir  imposé  l'Islam  aux  habitants  de  ces  régions,  il 
revenait  attendre  à  Barca  les  ordres  du  khalife'.  C'était  en 
668.  A  ce  moment  même,  la  mort  de  Constant  11^  assassiné  à 
Syracuse,  semblait  livrer  l'empire  à  toutes  les  attaques  des 
musulmans.  En  Orient,  un  usurpateur  se  soulevait  en  Asie 
Mineure,  et,  appelant  à  son  aide  les  Arabes,  leur  permettait 


1.  Fonrnel,  I,  p.  145-146.  Ibn  Abd-el-Hakem,  ï,  307-308.  Cf.  sur  des  acci- 
dents de  cette  sorte,  Bell.  Vand,,  p.  330-331. 

2.  Oq  en  trouve  une  preuve  dans  ce  fait  qu'en  667  Masiema  ibn  Mucballedi 
émir  d'Egypte,  joignit  officiellement  pour  la  première  fois  le  gouvernoment 
du  Mighreb  à  celui  de  sa  province  (Abd-el-Hakem  cilé  par  Roth,  p.  31  et  51). 

3.  Fournel,  I,  p.  147-148;  Abd-el-IInkem,  I,p.  309-310.  Pour  la  date  j'ai  suivi 
Weil,  l.  c,  I,  p.  283-286.  Sur  les  difOcultés  delacbronologie,cf.  ibid.,  p.  283* 
n.  6. 


572         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

de  s'ouvrir  un  chemin  jusqu^à  Ghalcédoine,  en  face  de  Cons- 
ianlinople;  en  Occident,  un  autre  prétendant  se  proclamait 
empereur  en  Sicile,  et  pour  réprimer  cette  révolte,  le  nouveau 
basileus  Constantin  Pogonat,  venu  de  sa  personne  dans  Tile, 
était  obligé  de  faire  appel  à  toutes  les  forces  disponibles  dans 
cette  portion  de  la  monarcbie  *  :  et  par  là  l'Afrique  se  trouvait 
dégarnie  de  troupes.  L'occasion  était  favorable  pour  attaquer 
la  province  sans  défense  :  par  surcroît  de  précaution,  et  pour 
empêcher  qu'une  flotte  ne  vînt,  comme  en  665,  apporter  des 
renforts  de  Sicile,  Moaviah  fit  faire  en  669  une  descente  à  Sy- 
racuse* ;  en  même  temps  il  lançait  Okba  sur  l'exarchat  de  Car- 
thage,  et  pour  bien  marquer  le  but  de  l'expédition  nouvelle,  il 
constituait  en  un  gouvernement  indépendant  de  FÉgyple 
l'ifrikiya  à  conquérir  et  confiait  à  Okba  radministration  de  la 
province*. 

Le  général  arabe  avait  sous  ses  ordres  10,000  cavaliers 
d'élite  :  sans  peine  il  grossit  son  armée,  dans  les  oasis  de  la 
Tripolitaine,  des  Berbères  fraîchement  convertis  qu'il  entraîna 
à  sa  suite \  Rapidement  il  soumit  le  pays  des  Mezata  au  sud 
de  Tripoli,  et  les  oasis  de  Ghadamès;  puis,  se  jetant  sur  le  pays 
de  Kastilia,  il  le  conquit;  parla  prise  de  Gafsa,  il  força  Tentrée 
de  laByzacène,et  sans  rencontrer  aucune  résistance,  il  parvint 
dansia  région  où  s'élève  aujourd'hui  Kairouan*.  Toute  sa  route 
avait  été  marquée  par  d^épouvantables  ravages  :  les  chroni- 
queurs byzantins,  qui  ontcompris  toute  l'importance  de  Fin- 
vasion  de  669,  racontent  que  les  Arabes  firent  en  Afrique 
80,000  prisonniers  ^  En  même  temps  —  et  ceci  était  plus  grave 
encore  —  Okba  prenait  définitivement  possession  de  la  Byza- 

1.  Théophane,  p.  352;  Lib.pontif,,  p.  346. 

2.  Panl  Diacre,  5, 13  ;  Amari,  1,  p.  98 . 

3.  Noveiri,  /.  c,  p.  110.  Rolh,  p.  57,  estime  au  contraire  que  JDdqu'en  682 
au  moiDs  TAfirique  dépendit  de  TÉgypte,  et  reporte  au  second  gouvemement 
d'Okba  le  fait  que  nous  indiquons. 

4.  Noveiri,  p.  116-in. 

5.  Weil,  I,  p.  286-287;  Abd-el-Hakem,  I,  p.  310-311.  Sar  les  MexaU,  branche 
des  Louata,  cf.  Hisi,  des  Berbères,  I,  p.  371. 

6.  Théophane,  p.  352. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  573 

cène,  en  établissant  aa  centre  même  du  pays  une  place  d*armes 
pour  ses  soldats.  «  Quand  un  imam,  disait-il,  entre  en  Afrique, 
les  habitants  de  ce  pays  mettent  leurs  vies  et  leurs  biens  à  Tabri 
du  danger  en  faisant  profession  de  Tislamisme,  mais  aussitôt 
que  rimam  se  retire,  ces  gens-là  se  rejettent  dans  l'infidélité.  Il 
faut  donc  fonder  une  ville  qui  puisse  servir  de  camp  et  d'appui  à 
Tislamisme  jusqu'à  la  fin  des  temps  ^  »  Cette  ville,  Okba  la  bâtit 
au  centre  d*une  vaste  plaine  marécageuse  et  déserte,  à  une  jour- 
née de  marche  d'Hadrumète  et  du  littoral,  à  peu  de  distance 
des  citadelles  qui  protégeaient,  sur  les  revers  du  massif  cen- 
tral, la  frontière  byzantine,  et  il  lui  donna  le  nom  de  «  place 
d'armes  »  ou  Kairouan*.  Sans  se  laisser  décourager  par  les 
difficultés  du  terrain,  ni  par  les  objections  de  ses  compagnons 
d'armes,  pendant  cinq  ans  sans  relâche  il  s'appliqua  à  la  cons- 
truction de  la  cité.  En  675  elle  était  terminée,  et  sa  grande 
mosquée,  dont  Okba  lui-même  avait  déterminé  remplacement, 
attestait  par  un  signe  visible  là  victoire  décisive  de  Flslam. 

Chose  remarquable,  ni  pendant  l'invasion  de 669,  ni  pendant 
les  années  suivantes,  les  Byzantins  ne  paraissent  avoir  fait 
aucun  effort  pour  arrêter  Tenvahisseur.  Ils  laissèrent  ravager 
la  Byzacène,  massacrer  ou  traîner  en  esclavage  les  populations 
chrétiennes,  ils  virent  s'élever  au  cœur  du  pays  la  citadelle  de 
Kairouan,  sans  qu  il  soit  question  d'aucune  bataille  livrée, 
d'aucune  forteresse  défendue'.  Il  semble  que  les  troupes  by- 
zantines,peu  nombreuses,  aientassisté  impassibles  au  désastre, 
retranchées  dans  leurs  places  fortes,  qu'Okba  n'osa  point  atta- 
quer, et  que  durant  les  années  suivantes,  tandis  que  sous  les 
murailles  de  Constantinople  se  jouait  la  partie  suprême,  elles 
aient  été  trop  faibles  pour  risquer  aucune  entreprise  sérieuse  \ 


1.  Noveiri,  l.  c,  p.  H7. 

2.  Abd-el-Hakem,L  p.  311-312.  Cf.  Fourael,  p.  152-157;  Amari,  1,  p.  113-115  et 
sur  la  discusMOu  des  traditious  relatives  à  la  foudatioa  de  Kairouau,  Roth, 
p.  39-47. 

3.  Cf.  Fournel,  p.  157-158  :  mais  le  traité  est  invraisemblable. 

4.  C'est  rexpUcatioii  que  fourait  ibu  Klialdoun,  1,  p.  211  :  «  Les  Fraacs,  dont 
la  «ii.^corde  avait  aiTaibUla  puissince,  se  réfugiër>^Dt  dausleur:^  places  Tortes.  » 


574  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Quant  aux  Berbères,  Okba  avait  compris  que,  pour  les  vaincre, 
il  fallait  frapper  fortement  leur  imagination  superstitieuse; 
il  avait  en  face  d'eux  joué  le  rôle  d'un  sorcier,  d'un  marabout, 
multiplié  les  miracles  et  les  incidents  surnaturels;  et  les  indi- 
gènes, convaincus  qu'il  était  impossible  de  résister  à  un  tel 
homme,  avaient  déposé  les  armes  pour  se  convertir  en  foule 
à  ^Islam^  Et  cependant  la  fondation  de  Kairouan  était  pour 
les  destinées  futures  de  TÂfrique  byzantine  un  événement 
d'une  portée  incalculable.  Jadis,  quand  les  expéditions  mu- 
sulmanes partaient  de  l'Egypte  ou  de  Barca,  leurs  ravages  si 
cruels  qu'ils  pussent  être  étaient  toujours  de  courte  durée,  et 
entre  le  pays  byzantin  proprement  dit  et  l'épée  des  envahis- 
seurs, les  populations  berbères  de  la  Tripolitaine  et  de  la  By- 
zacène  formaient  un  tampon  qui  brisait  en  partie  Télan  des 
assaillants.  Maintenant,  sur  les  frontières  même  de  la  Pro- 
consulaire, s'élevait  une  citadelle  occupée  par  une  garnison 
nombreuse  :  de  là  partiront  désormais  des  attaques  incessantes 
contre  les  forteresses  qui  gardent  le  limes^  de  là  des  ravages 
continuels,  ôtant  toute  sécurité  à  la  province  ;  là,  chaque  expé- 
dition trouvera  un  lieu  sûr  pour  abriter  son  butin;  là,  chaque 
tentative  manquée  aura  le  moyen  de  réparer  ses  forces'  :  et 
tandis  que  sous  cet  effort  constant,  lentement  la  province  byzan- 
tine s'acheminera  vers  sa  chute,  l'Islam  se  répandra  de  Kairouan 
à  travers  toute  l'Afrique,  et  la  propagande  religieuse  achèvera 
et  consolidera  Tœuvre  des  armes.  Sans  doute,  pendant  près 
de  trente  ans  encore,  les  Byzantins  pourront  lutter  avec  cou- 
rage, et  parfois  avec  succès  :  pourtant  —  et  plus  encore  que 
la  défaite  de  Sbeitla, —  la  fondation  de  Kairouan  marque  une 
étape  décisive  de  la  ruine  de  l'Afrique  grecque. 


1.  Dozy,  HisL  des  musulmans  d*Espagne,  1,  p.  236-237. 

2.  Cf.  sur  ce  système  d'attaque,  Amari,  I,  p.  112.  Sur  le  caractère  eaaeaUelle- 
ment  militaire  de  la  foDdatioa  de  Kairouan,  cf.  Rolh,  p.  48-4d. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  575 


III 


Toutefois,  peadant  quelques  années,  les  Arabes,  peu  expé- 
rimentés dans  Tart  des  sièges,  semblent  n'avoir  point  osé 
attaquer  les  redoutables  citadelles  échelonaées  tout  le  long 
du  pays  byzantin  :  et  d'autre  part,  le  brusque  rappel  d'Okba 
et  la  jalousie  que  son  successeur  Abou-Mohadjir  semble 
avoir  conçue  contre  Tœuvre  du  glorieux  général  donnèrent 
aux  impériaux  quelques  moments  de  répit*.  En-Noveiri  et 
Ibn  Khaldoun  racontent  même  que  le  nouveau  gouverneur 
détruisit  en  partie  et  abandonna  Kairouan  *  ;  à  la  vérité,  ces 
renseignements  sont  fort  sujets  à  caution,  et  de  même  on  ne 
se  fiera  guère  aux  autres  informations  relatives  à  la  période 
qui  sépare  les  deux  gouvernements  d'Okba  ibn  Nafi.  Il  se 
peut  que  le  départ  d'Okba,  en  rendant  courage  aux  Berbères, 
ait  provoqué  une  prise  d'armes  dans  la  grande  tribu  des  Au- 
raba;  il  se  peut  que  Koçéila,  le  chef  des  indigènes,  vaincu 
dans  la  lutte  et  fait  prisonnier,  ait,  pour  sauver  sa  vie,  feint 
d'embrasser  rislam  3  ;  il  semble  douteux  pourtant  qu' Abou- 
Mohadjir  ait  poussé  jusqu'aux  environs  de  Tlemcen  ses  armes 
victorieuses,  et  Tautorité  dlbn  Rakik,  sur  laquelle  s'appuie 
Ibn  Khaldoun,  est  trop  peu  sûre  pour  mériter  grande  con- 
fiance \  Il  est  plus  difficile  encore  d'admettre  que  les  Byzan- 
tins aient  à  cette  date  volontairement  cédé  aux  Arabes  la  vaste 
presqu'île  de  la  Djazira,  c'est-à-dire  toute  la  région  qui  s'étend 
depuis  Sousse  jusqu'aux  environs  de  Tunis  et  de  là  jusqu'au 
cap  Bon  :  Aboul  Mehacin,  qui  rapporte  le  fait,  est  un  histo-  , 

1.  Cf.  Fouruel,  p.  162.  Sur  la  date  du  rappel  d'Okba,  que  Hotb  place  eu 
615,  cf.  Roth,  p.  55-57. 

2.  Noveiri,  p.  121;  ibn  Khaldoun,  I,  p.  330. 

3.  Fournel,  I,  p.  160-161. 

4.  Surlbu  Rakik,  cf.  de  Slane,  /.  c,  p.  348.  Weil  n'admet  rien  de  tous  ces 
faits.  Il  faut  noter  pourtant  qu' Abou-Mohadjir  fut  le  premier  gouverneur 
arabe  qui  resta  eu  permanence  eu  Afrique  (Abd-ei-llakem  cité  par  Roth, 
p.  52). 


516  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  APRIQUE 

rien  du  xv«  siècle,  et  aucun  des  écrivains  plus  anciens  n^a 
parlé  de  ces  événements*.  Tout  au  plus  peut-on  croire  que 
les  musulmans  tentèrent  une  course  de  pillage  dans  la  direc- 
tion de  Carthage,  et  cela  d'ailleurs  sans  grand  succès.  Lors- 
que^ en  eflfet,  en  681,  Okba,  rentré  en  grâce,  vint  reprendre 
possession  de  son  gouvernement  d^Afrique,  ce  n*est  point  de 
ce  côté  qu'il  porta  Teffort  de  ses  armes  :  c'est  sur  les  confins 
méridionaux  du  pays  byzantin,  c'est  dans  TOccident  lointain, 
où  les  tribus  berbères  seules  lui  feraient  résistance,  que  le 
fougueux  apôtre  de  Tislam  conduisit  ses  fanatiques  soldats. 
La  glorieuse  défense  que  Constantin  Pogonat  avait  durant 
cinq  années  faite  dans  sa  capitale  assiégée  (672-677)  avait 
relevé,  à  ce  quil  semble,  le  courage  des  impériaux;  et  la  paix 
de  trente  années  que  Moaviah  avait  dû  signer  après  ce  désas- 
tre permettait  à  Tempereur  de  renforcer  ses  garnisons  d'Occi- 
dent*. D'autre  part,  le  concile  œcuménique  de  680,  en  termi- 
nant les  luttes  religieuses  nées  de  la  querelle  du  monothélisme, 
avait  rétabli  la  paix  dans  la  monarchie  et  rallié  les  ortho- 
doxes à  l'empire.  L'Afrique  grecque  semble  avoir  éprouvé  le 
contre-coup  de  ces  heureux  événements.  Pour  lutter  contre 
l'invasion  arabe,  les  Byzantins  paraissent  avoir  fait  un  suprême 
eBort:  de  nouveau,  comme  au  temps  de  Justinien,  leur  diplo- 
matie réussit  h  s'assurer  l'alliance  des  Berbères,  et  de  toute 
l'Afrique,  les  grands  chefs  indigènes  vinrent  unir  leurs  contin- 
gents aux  troupes  impériales  ou  solliciter  l'appui  des  soldats 
du  basileus.  Les  tribus  de  TAurès  reçurent  des  garnisons 
grecques  dans  leurs  citadelles  de  Badis  et  de  Tehouda'  ;  les 
populations  du  Zab  demandèrent  et  obtinrent  les  secours  du 
patrice  de  Garthage  ^  ;  et  jusque  dans  la  lointaine  Maurétanie, 
quelques  détachements  semblent  avoir  aidé  les  Berbères  à 
défendre  Tiaret  contre^^Okba  *.  En  même  temps,  on  négociait 

1.  Cf.  Kournel,  I,  p.  163-164. 

2.  Weil,  1.  p.  294. 

3.  Noveiri,  /.  c,  p.  127. 

4.  IbD  KhaldoQD,  p.  286-287;  Noveiri,  p.  123-124. 
0.  Ibid. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  571 

SOUS  main  avecEoçéila,  qui  avait  cruellement  à  se  plaindre 
du  nouveau  gouverneur,  et  n'aspirait  qu'à  se  venger  *. 

Lorsque  donc  en  683  Okba,  laissant  une  partie  de  ses 
troupes  à  la  garde  de  Kairouan,  prit  la  route  de  TOccident 
pour  conquérir  toute  l'Afrique  àTlslam,  partout  les  Berbères 
et  les  Grecs  —  les  Roum,  comme  les  nomment  les  historiens 
arabes  —  s'accordèrent  pour  lui  opposer  une  énergique  résis- 
tance '.  Après  avoir  traversé,  de  l'est  à  Touest,  les  grandes 
plaines  de  la  Byzacène,  le  général  musulman  avait  pris  sa 
route  le  long  du  versant  septentrional  de  TAurès.  Là,  les  cita- 
delles byzantines  de  la  Numidie  offraient  à  la  défense  un 
appui  formidable  :  Okba  ne  tarda  point  à  s'en  apercevoir.  En 
avant  de  Bagai,  sous  Tabri  de  ses  murailles,  il  trouva  une 
armée  disposée  à  lui  barrer  le  passage  ;  et  quoiqu'il  réussit, 
après  une  lutte  opiniâtre,  à  rejeter  dans  la  forteresse  les  Ber- 
bères et  les  Roum,  il  n'osa  pas  se  risquer  à  entreprendre  le 
siège  de  la  place  *.  Continuant  sa  marche,  il  parut  devant  Lam- 
bèse  :  les  populations  des  environs  s'étaient  réfugiées  en 
masse  dans  la  ville  ;  à  l'approche  des  Arabes,  elles  les  atta- 
quèrent avec  tant  de  vigueur  qu'un  moment  Okba  se  crut 
perdu  :  il  parvint  cependant  à  se  dégager,  mais  la  citadelle 
byzantine  était  trop  forte  pour  qu'il  pût  espérer  l'emporter  *• 

l.Cf.  Fournel,  1,  p.  115. 

2.  Sur  cette  expédition,  doot  Abd-el-Haketn  fait  uq  récit  beaucoup  plus  bref 
que  les  chroniqueurs  postérieurs  (il  est  publié  dans  Roth,  p.  61-63.  Cf.  Weil, 
1,  p.  288,  n.  2),  voir  Weil,  p.  288-290  ;  Fournel,  p.  166-179,  qui  admet  sans  beau- 
coup de  critique  la  version  traditionnelle,  et  surtout  Roth,  p.  61-68,  qui  a 
fort  bleu  marqué  le  caractère  romanesque  du  récit  de  Noveiri  (p.  67-68), 
vraisemblablement  emprunté  par  cet  écrivain  au  chroniqueur  ibn  er-Rakik. 
Roth  admet  pourtant  qu'il  doit  y  avoir  quelques  faits  historiques  dans  l'ex- 
posé de  Noveiri.  Cf.  A.  MUller,  /.  c,  l,  p.  353,  qui  n'admet  le  récit  arabe  qu'avec 
de  grandes  réserves. 

3.  El-Bekri,  Journal  asial.,  1859,  p.  394;  Ibn  Khaldoun,  I,  211  ;  Roth, p.  67-68, 
Cherbonneau  a  publié  {Revue  afr.,  1869,  p.  225)  une  «  Rplation  de  la  prise  de 
Tébessa  par  farmée  arabe  en  Van  45  de  V hégire,  traduite  du  Fotoh  Ifrikia  ». 
C'est  un  récit  purement  légendaire,  où  il  n'y  a  à  noter  que  la  mention  du 
palriee  (p.  237),  gouverneur  d'Afrique,  et  du  légat  qui  commandait  à  Constan- 
tine  (p.  238). 

4.  Noveiri,  p.  123.  Cf.  Roth,  p.  67-68. 

1.  37 


578  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Il  recula  devant  ces  remparts  comme  il  avait  fait  devaat  ceux 
de  Bagaî  et  descendit  vers  le  Zab.  Là  encore^  la  lutte  fut  rude 
et  difficile:  retranchés  dans  leurs  forteresses,  appuyés  par  des 
troupes  grecques,  les  habitants  de  la  région  se  défendirent  : 
et  quoique  les  Arabes  aient  fini  par  prendre  les  principales 
villes  de  la  contrée,  ce  succès  chèrement  acheté  n'assurait 
nullement  la  soumission  du  pays  '.  Cependant  Okba  voulut 
pousser  plus  avant  sa  course:  sans  laisser  derrière  lui  aucune 
garnison,  sans  s'inquiéter  des  obstacles  qui  demeuraient  de- 
bout après  son  passage,  il  s'engagea  dans  la  Maurétanie  et 
vint  attaquer  Tiaret.  Une  grande  armée  berbère,  soutenue  par 
quelques  détachements  byzantins,  était  rassemblée  en  avant 
de  la  ville  :  dans  une  sanglante  bataille,  les  Arabes  enfoncèrent 
leurs  adversaires*  ;  puis,  sans  perdre  le  temps  à  un  siège 
difficile,  ils  pénétrèrent  dans  la  Tingitane  et  ne  s'arrêtèrent, 
dit-on,  qu'au  rivage  de  TAtlantique'.  Mais,  pendant  ce  temps, 
derrière  Okba,  se  formait  un  redoutable  orage.  Les  Byzantins, 
rappelant  leurs  troupes  de  Tiaret  et  du  Zab,  concentraient  en 
Numidie  toutes  leurs  forces  disponibles  ;  les  Berbères,  que 
l'orgueil  d'Okba  traitait  maintenant  en  vaincus,  n'attendaient 
pour  se  soulever  qu'un  signal  de  Koçéila;  et  le  chef  indigène, 
que  les  Arabes  traînaient  à  leur  suite  depuis  le  commence- 
ment de  la  campagne  *,  brûlant  d'un  désir  ardent  de  venger 
ses  humiliations^  s'entendait  secrètement  avec  les  Byzantins 
pour  couper  la  retraite  au  vainqueur.  Okba  ne  se  doutait  de 
rien  :  plein  de  mépris  pour  ces  populations  qu'il  croyait  sou- 
mises, il  reprenait  la  route  de  Kairouan,  ne  gardant  avec  lui 
qu'un  petit  corps  de  cavalerie.  Parvenu  dans  le  Zab,  il  se  dé- 

1.  Fournel,  I,  p.  167. 

2.  Noveiri,  p.  124;  Ibn  Khaldoun,  I,  p.  286-287. 

3.  Weil  ii*adinet  point  qa'Okba  se  soit  avancé  jusqu'à  Tanger  (I,  288,  n.  2J. 
Cf.  Fournel,  p.  169-172.  Il  est  d'ailleurs  peu  probable  que  le  comte  Julien 
ait  dès  cette  époque  commandé  à  Septem  ;  en  682  on  trouve  un  comte  Simpli- 
cius  à  la  tête  du  territoire  byzantin  d*Ëspagne  {P.  L.,  XCVl,  416),  et  il  est 
probable  que  co  personnage  résidait  à  Ceuta.  Sur  le  pays  de  Sous,  où  Abd- 
el-Hakem  conduit  Okba,  cf.  Holb,  p.  63-65. 

4.  Roth,  p.  67-68,  juge  ce  fait  purement  légendaire. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  519 

cida,  peut-être  par  prudence,  à  longer  le  flanc  méridional  de 
TAurès  pour  rentrer  dans  la  Byzacëne.  Koçéilane  lui  en  laissa 
pas  le  temps  :  avec  de  nombreuses  bandes  berbères,  grossies 
de  quelques  troupes  grecques,  il  occupait  les  places  qui  jalon- 
naient la  route  :  quand  Okba  parut  devant  Tehouda,  Tancienne 
Thabudeos,  il  se  trouva  cerné  par  ses  adversaires.  On  sait 
comment  le  vaillant  général,  dédaignant  de  fuir,  voulut,  sui- 
vant son  expression,  «  gagner  le  martyre  »  *,  et  comment  il 
succomba  héroïquement  avec  la  plupart  de  ses  compa- 
gnons* (683).  Le  premier  il  avait  compris  l'importance  d'as- 
surer par  un  établissement  durable  la  domination  musulmane 
en  Afrique  ;  par  sa  téméraire  valeur  et  l'intempérante  ardeur 
de  son  fanatisme,  il  devait  iui-mème,  malheureusement  pour 
rislam,  compromettre  pour  quelques  années  les  résultats  ob- 
tenus. 

La  mort  d'Okba  en  effet  était  pour  les  Arabes  un  désastre 
fort  grave  :  devant  le  soulèvement  général  des  populations 
berbères,  la  garnison  de  Kairouan,  découragée^  n'essaya 
même  point  de  défendre  la  ville,  et  évacuant  entièrement 
l'Afrique,  elle  alla  se  retirer  à  Barca  ».  Sans  coup  férir, 
Koçéila  prit  possession  de  la  cité  abandonnée  par  ses  défen- 
seurs, et,  s'il  en  faut  croire  les  historiens  arabes,  «  il  se  rendit 
maître  de  la  province  d'Afrique  »  *.  Sans  prendre  à  la  lettre 
ces  paroles,  il  semble  pourtant  qu'un  grand  état  berbère  se 
constitua  sous  l'autorité  du  prince  victorieux  :  on  peut  croire 
qu'il  vécut  en  bonnes  relations  avec  le  gouvernement  impérial, 
dont  il  avait  sollicité  l'alliance  pour  combattre  Okba,  et  dont 
les  soldats  n'avaient  pas  peu  contribué  au  succès  final.  Toute- 
fois il  ne  parait  point  que  la  domination  byzantine  se  soit  de 
nouveau,  au  moins  directement,  étendue  sur  la  Byzacène. 
Les  écrivains  arabes  qui  nous  ont  laissé  le  récit  de  ces  événe- 

1.  Noveîri,  p.  130. 

2.  Fouroel,  p.  176-178;  Amari,  I,  p.  116-117;  Weil,  I,  p.  290.  Abd-el-Hakem 
atteste  expressément  que  Koçéila  commaDdait  «  les  Grecs  et  les  Berbères  ». 

3.  Noveiri,  p.  131. 

4.  Ibid. 


580  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

menls  si  obscurs,  semblent  considérer  les  Roum  comme  de 
simples  auxiliaires  des  Berbères,  et  ne  connaissent  dans  le 
pays  d'autre  chef  que  le  prince  indigène  ^  En  fait,  les  impé- 
riaux continuaient  à  occuper  fortement  toute  la  Proconsulaire, 
la  lisière  septentrionale  de  la  Byzacène,  et  la  plus  grande 
partie  de  la  Numidie  ;  à  la  fin  du  vu'*  siècle  encore,  ils  tenaient 
non  seulement  tontes  les  places  fortes  de  la  côte,  Hadrumëte, 
Carthage,  Hippone  Diarrhyte  (Bizerte),  Hippone  (Bône)  ; 
mais  ils  possédaient  dans  Tintérieur  du  pays  un  grand  nombre 
de  citadelles  *  :  la  seconde  ligne  de  défense  de  la  province 
n'avait  été  encore  entamée  par  aucune  attaque  ;  en  Numidie, 
des  garnisons  étaient  installées  jusque  dans  les  forteresses  qui 
bordaient  l'Aurès  ;  et  on  peut  admettre  même  qu'un  lien, 
assez  lâche  sans  doute,  de  vassalité  rattachait  à  ce  qui  restait 
de  l'exarchat  le  royaume  berbère  de  Koçéila;  en  tout  cas  une 
étroite  alliance  liait  le  prince  indigène  à  Tempire  byzantin. 


IV 

La  chute  de  Kairouan  procura  h  TAfrique  byzantine  an 
répit  de  dix  années*.  De  nouveau  les  guerres  civiles 
troublaient  profondément  la  monarchie  des  Omméiades  et 
empêchaient  les  khalifes  de  venger  le  désastre  de  Sidi  Okba. 
  la  vérité^  les  historiens  arabes  du  xm^  et  du  xiv*  siècle  affir- 
ment qu'en  688,  Zohéiribn  Kaïs,  qui  était  resté  cantonné  à 
Barca,  reçut  d*Abd-el-Melik  Tordre  de  reprendre  Toffensive, 
pour  délivrer  l'Afrique  «  du  joug  de  Koçéila  le  maudit  »  *.  On 
raconte  que,  dans  une  grande  bataille  livrée  dans  les  plaines 
de  Mams,  le  chef  berbère,  auquel  les  Byzantins  avaient  fourni 
d'importants  secours,  trouva  la  mort  en  combattant,  et  que 
ses  tribus  dispersées  durent  aller  chercher  asile  dans  TAurès 

1.  Cf.  Foarael,  p.  181. 

2.  Nicéphore,  p.  39;  Tbéophane,  p.  370.  Cf.  Fourael,  1,  p.  181. 

3.  Weil,  1,  p.  473. 

4.  Ibn  Adzari  (Fournel,  I,  p.  194). 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  581 

et  jusque  dans  le  Zab  '  ;  on  dit  que  le  général  arabe  reprit  pos- 
session de  Kairouan,  mais  qu'ensuite,  effrayé  des  difficultés 
de  sa  tâche,  pris  d'un  subit  et  religieux  dégoût  pour  les  choses 
terrestres,  il  évacua  la  province  reconquise,  sans  même  y  lais- 
ser un  de  ses  lieutenants';  on  ajoute  que  pendant  ce  temps, 
une  flotte  byzantine,  venue  de  Sicile,  avait  jeté  en  Cyrénaîque 
un  corps  de  débarquement,  et  que  Zohéir,  revenu  à  Barca,  fut 
tué  en  essayant  de  repousser  les  envahisseurs^.  S'il  faut 
ajouter  foi  à  ces  détails^,  dont  quelques-uns  sont  rapportés 
par  El-Beladori,  dont  la  plus  grande  partie  semble  pourtant 
singulièrement  suspecte,  on  considérera  comme  une  simple 
course  de  pillage  Tentreprise  de  Zohéir,  et  on  en  retiendra  ce 
fait  seulement,  que  le  gouvernement  impérial,  ayant  renou- 
velé en  Orient  la  paix  avec  le  khalife  %  se  préoccupait  atten- 
tivement de  défendre  ses  provinces  occidentales  '.  En  tout 
cas,  après  cet  épisode,  de  nouveau  la  guerre  civile  obligea 
Abd-el-Melik  à  négliger  «  les  affaires  de  Kairouan  »  '  :  c'est 
seulement  en  693  que  Hassan  ibn  Noman  vint  donner  un  nou- 
vel et  décisif  assaut  aux  possessions  grecques  d'Afrique. 

La  mort  de  Koçéila  avait  eu  pour  effet  de  rompre  la  grande 
confédération  indigène  qui  s'était  groupée  sous  l'autorité  de 
ce  chef.  '<  La  désunion,  dit  Ibn  Khaldoun,  se  mit  alors 
parmi  les  Berbères,  chacun  de  leurs  cheiks  se  regardant 
comme  prince  indépendant  '.  »  Les  Byzantins  semblent  avoir 
profité  de  ces  troubles  pour  restaurer  un  peu  plus  solidement 
leur  autorité  dans  la  Byzacène.  Le  Liber  pontificalis  rapporte 
que,  vers  685,  «  la  province  d'Afrique  tout  entière  fut  de  nou- 


1.  Foarael,  I,  p.  495. 

2.  /d.,  p.  196. 

3.  W.,  p.  197. 

4.  Weil  ne  les  admet  absolument  pas.  CF.  A.  Mflller,  l.  c,  I,  p.  419. 

5.  Well.  I,  p.  396,  468. 

6.  A  la  fin  du  vu*  siècle  encore  les  empereurs  songeaient  à  reconquérir  les 
possessions  byzantines  d'Espagne  (Isidor.  Pac*,  38).  Cf.,  pour  l'Afrique,  Lih. 
pont,  p.  366. 

7.  Noveiri,  p.  133. 

8.  Ibn  Khaldoun,  I,  p.  213. 


582         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

veau  soumise  à  Tempire  romain  »  «;  et  En-Noveiri  ajoute 
qu'au  moment  oii  Hassan  envahit  l'Afrique,  le  prince  le  plus 
puissant  de  tout  le  pays  était  «  le  commandant  de  Kartha- 
djinna*»  (Carlhage).  D'autre  part,  les  Grecs  étaient  entrésen 
relations  avec  la  célèbre  reine  de  TAurès  qui  réunissait  vers 
ce  temps  sous  son  autorité  toutes  les  tribus  du  massif  monta- 
gneux, et  que  les  historiens  arabes  appellent  la  Kahena, 
c'est-à-dire  la  prophélesse^.  Déjà,  en  683,  elle  avait,  dit-on^ 
pris  une  part  active  au  soulèvement  qui,  devant  Tehouda, 
brisa  la  fortune  de  Sidi  Okba*;  la  chute  de  Koçéiia  avait  de- 
puis lors  accru  encore  ses  forces  et  son  prestige  ;  non  seule- 
ment les  populations  berbères,  toujours  éprises  de  merveil- 
leux, obéissaient  aveuglément  aux  ordres  inspirés  de  la  sou- 
veraine, mais  son  pouvoir  semble  s'être  étendu  jusque  sur  les 
agglomérations  chrétiennes  de  la  Numidie  méridionale  '. 
Lorsque  donc,  avec  40,000  hommes,  —  la  plus  forte  armée 
que  les  khalifes  eussent  encore  envoyée  en  Occident  — 
Hassan  envahit  laByzacène,  l'Afrique  offrait  de  nouveau  les 
éléments  d'une  sérieuse  résistance  •. 

Négligeant  pour  le  moment  les  indigènes  de  l'Aurès,  le  gé- 
néral musulman  suivit  la  roule  du  littoral^  et  emportant  suc- 

4.  Lia,  ponl»t  p.  366  :  «  et  proviocia  Africa  pubjugata  est  RomaDO  imperio 
atque  restaurata.  »  Le  texte  se  troave  dans  la  Vie  de  Jean  V  (682-686)  et  Tise 
sans  doute  les  éTénements  qui  suivirent  la  paix  conclue  en  685  avec  le  khalife. 

2.  Noveiii,  p.  134. 

3.  Cf.  Fournel,  I,  p.  215-218;  Rec,  de  ConsL,  1882-83,  p.  232  sqq.,  et  surtout 
254-255. 

4.  Ibn  Khaldoun,  III,  p.  193. 

3.  Baian  (Fournel,  I,  p.  215j  et  iind.,  ï,  p.  218.  Cf.  Masquera;,  Fottnalion  des 
ciiéSy  p.  no. 

6.  M  On  ignore,  dit  Ibn  Adzori,  les  véritables  dates  des  expéditions  de  Hassan, 
de  la  prise  de  Carthage,  de  Tunis,  du  combat  où  la  Rahena  trouva  la  mort  a 
(dté  par  Fournel,  I,  p.  215,  n.  3).  Cf.  sur  celte  incertitude,  de  Slane,  Bisi,  des 
Berb.,  I,  p.  339;  Rotb,  p.  25  sqq.  J*ai  suivi  en  général  la  chronologie  adoptée 
par  Amari  (I,  p.  119-121).  Elle  s'accorde  avec  celle  de  Weil  pour  la  première 
campagne  du  général  arabe  (I,  p.  473-414);  elle  en  diffère  avec  raison  pour  la 
suite  (Weil,  p.  475-477);  celle  de  Fournel  (I,  p.  211  sqq.),  suivie  par  Mercier  (I, 
p.  212-217),  qui  place  en  696  seulement  Texpédition  de  Hassan,  semble  peu 
satisfaisante. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  583 

cessivement  les  places  qu'il  rencontra,  il  parut,  sans  doute 
vers  695,  sous  les  murs  de  Carlhage.  \ainement  l'exarque 
tenta  de  livrer  bataille  en  avant  de  la  ville  :  il  fut  rejeté  dans 
la  place,  et^  après  un  assaut  furieux,  la  capitale  de  l'Afrique 
byzantine  tomba  aux  mains  des  musulmans  \  Une  partie  de 
la  population  eut  le  temps  de  s*embarquer,  et  elle  alla  chercher 
asile  dans  les  îles  voisines  de  la  côte,  en  Sicile  et  jusque  dans 
les  possessions  que  l'empire  conservait  encore  dans  l'Extrème- 
Occident;  le  reste  fut  passé  parles  armes  ou  réduit  en  escla- 
vage. Quant  aux  débris  des  troupes  grecques,  ils  se  concen- 
trèrent au  nord  et  à  l'ouest  de  Carthage,  dans  la  région  de 
Bizerte  et  à  Tabri  des  fortes  murailles  de  Vaga*.  Pour  Hassan, 
après  avoir  mis  garnison  dans  sa  conquête,  il  se  retourna  du 
côté  des  Berbères. 

Quand  la  nouvelle  de  la  chute  de  Carthage  parvint  à 
Byzance,  l'émotion  fut  grande  dans  la  capitale.  Le  nouvel 
empereur  Léontius,  qui  venait  de  renverser  Justinien  II  (695), 
comprit  qu'on  ne  pouvait  sans  lâcheté  abandonner  une  des 
plus  importantes  provinces  de  Tempire,  et  qu'un  effort  éner- 
gique devait  êlre  tenté  pour  la  recouvrer.  On  arma  tous  les 
vaisseaux  de  guerre  que  possédait  la  monarchie,  et  à  la  tète 
de  l'armée  qui  s'embarqua  sur  cette  flotte  considérable,  on 
plaça  le  patrice  Jean,  un  des  meilleurs  généraux  de  l'empire. 
En  697  ce  grand  armement  parut  devant  Carthage  ;  de  vive 
force  le  général  grec  força  l'entrée  du  port,  chassa  la  garnison 
arabe,  réoccupa  la  ville.  C'était  un  beau  succès  :  le  patrice 
réussit  à  faire  mieux  encore  :  «  il  arracha  aux  mains  des  infi- 
dèles,, dit  le  patriarche  Nicéphore,  toutes  les  forteresses  du 
pays,  il  y  installa  pour  les  défendre  des  garnisons  nom- 
breuses »,  et  ayant  ainsi  délivré  l'Afrique,  il  revint  passer 
rhiver  à  Carthage». 

i.  Nicéph.,  p.  39  ;  Théoph.,  p.  370;  EI-Bekri,  Journal  asiat.^  1858,  p.  506-508. 

2.  Fournel,!,  242-213. 

3.  Nicéph.,  p.  39;  Théoph.,  p.  370.  La  date  de  697  est  certaine.  Foornel  se 
trompe  en  disant  que  les  historiens  arabes  ont  dissimulé  cet  échec  (I,  p.  213); 
cf.  El-Bekri  (Journal  asiat.,  1858,  p.  508). 


584  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

Les  Arabes  n'avaient  rien  pu  tenter  pour  arrêter  la  marche 
victorieuse  des  Byzantins.  Hassan  avait  en  effet  complètement 
échoué  dans  Texpédition  qu'il  tentait  contre  TAurès.  A  l'ap- 
proche des  musulmans,  la  Kahena  descendant  de  ses  monta- 
gnes avait  audacicusement  pris  position  dans  la  plaine  de 
Bagai^  avec  une  énorme  armée  où  toutes  les  populations 
chrétiennes  de  la  région  étaient  venues  grossir  les  contingents 
berbères  ;  la  bataille  se  donna  sur  les  bords  d'une  petite  ri- 
vière, rOued  Nini,  qui  verse  ses  eaux  dans  la  grande  lagune 
du  Guorah-el-Tarf  ;  elle  fut  désastreuse  pour  les  Arabes. 
Malgré  des  prodiges  de  valeur,  ils  furent  mis  en  pleine  dé- 
route, rejetés  de  Numidie  en  Byzacène,  poursuivis  Tépée  dans 
les  reins  jusqu'aux  environs  de  Gabès  :  et  au  moment  même 
où  la  flotte  grecque  paraissait  devant  Carthage,  Hassan,  inca- 
pable de  se  maintenir  en  Afrique  en  face  du  soulèvement 
général  des  indigènes,  évacuait  la  province  et  reprenait  tris- 
tement la  route  de  Barca'. 

Il  n'y  demeura  point  fort  longtemps  :  dès  698,  le  général 
musulman  rentrait  en  Byzacène,  et  bientôt  il  reparaissait 
sous  les  murs  de  Carthage,  en  même  temps  qu'une  flotte  consi- 
dérable attaquait  la  place  du  côté  de  la  mer'.  L'escadre  byzan- 
tine, battue  par  des  forces  supérieures,  menacée  jusque  dans 
le  port  où  elle  avait  cherché  refuge,  dut  se  résoudre  à  repren- 
dre le  large  ;  ainsi  abandonnée,  la  ville,  vigoureusement 
assaillie  du  côté  de  la  terre,  tomba  bien  vite  aux  mains  des 
infidèles.  Désespéré  de  ce  grand  désastre,  qu'il  avait  été  inca- 
pable d'empêcher,  le  patrice  Jean  repartit  pour  TOrient  avec 
les  débris  de  son  armée  et  de  sa  flotte  •.  II  espérait  bien  qu'un 
avenir  prochain  lui  permettrait  de  revenir  avec  des  forces 
nouvelles  réparer  sa  défaite  *  ;  les  événements  se  chargèrent 

1.  Fournel,  I,  p.  218-220;  Weil,  p.  474. 

2  Théoph.,  p.  370.  Weil  n'admet  point  non  plus  que  Hassan  resta  pendant 
cinq  ans  immobile  à  Barca  (cf.  Fournel,  l,  p.  222-223),  mais  il  croit  que  la  Kahéna 
fut  battue  avant  la  reprise  de  Carthage  par  les  Arabes,  et  il  fait  honneur  de  ce 
succès  à  Mouça  (Weil,  I,  p.  476-477,  513).  Cf.  A.  Mûller,  /.  c,  p.  419-420. 

3.  Théoph,,  p.  370;  Nicéph.,  p.  39. 

4.  Ibid.  Ici  aussi  la  date  de  698  est  certaine. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  585 

bientôt  de  dissiper  cette  illusion.  Jamais  plus  les  escadres 
byzantines  ne  devaient  revoir  les  rivages  de  Carthage(698). 

Cette  fois  c'en  était  fait  de  la  domination  grecque  en  Afri- 
que :  devant  Tépée  victorieuse  des  musulmans,  les  populations 
fuyaient  éperdues,  s'embarquant  en  toute  hâte  pour  chercher 
un  refuge  dans  les  îles  de  la  Méditerranée  *,  ou  demandant 
un  asile  aux  citadelles  de  la  Proconsulaire,  où  de  rares  gar- 
nisons impériales  se  défendaient  encore  *.  Successivement 
Hassan  emporta  toutes  ces  forteresses,  et  sans  résistance  ses 
soldats  ravagèrent  et  pillèrent  tout  le  pays.  Toutefois,  si  la 
province  était  définitivement  perdue  pour  Byzance,  elle  était 
loin  d'être  pleinement  soumise  :  dans  TAurès,  et  dans  toute 
la  région  qui  avoisinaitla  montagne,  les  tribus  de  la  Kahena 
étaient  en  armes,  et  autour  de  la  prophétesse  se  groupaient 
toutes  les  populations  chrétiennes  qui  refusaient  de  faire  leur 
soumission  aux  vainqueurs.  Pour  défendre  leur  indépendance, 
les  indigènes  n'avaieitt  pas  reculé  devant  les  partis  les  plus 
extrêmes  :  sur  Tordre  de  la  Kahena,  les  villes  avaient  été  dé- 
truites, les  arbres  coupés,  les  cultures  incendiées  ;  tout  le 
pays  qui,  disent  les  historiens  arabes,  «  depuis  Tripoli  jusqu'à 
Tanger  n'était  qu'un  seul  bocage  »,  avait  été  complètement 
ruiné  '.  A  la  vérité^  ces  sacrifices  ne  s'étaient  point  accomplis 
sans  mécontenter  une  grande  partie  des  populations  africaines; 
et  les  habitants  des  villes  en  particulier  en  étaient  profondé- 
ment irrités  *.  Lorsque  Hassan  parut,  bien  des  défections  se 
produisirent  ;  et  après  une  bataille  longue  et  acharnée  la  reine 
berbère  périt  glorieusement*.  Longtemps  encore  son  souve- 
nir vécut  dans  Timagination  des  indigènes  :  pour  eux,  Tam- 
phithéàtre  romain  d'El-Djem  devint  le  château  de  la  Kahena, 
qu'un  souterrain  long  de  six  lieues  mettait  en  communication 


1.  Amari,  I,  p.  165-166;  Tissot,  II,  p.  136. 

2.  Nicéph.,  p.  39 

3.  Fouroel,  1,  p.  221. 

4.  NoTeiri,  /.  c,  p.  559. 

5.  Pournel,  1,  p.  223-224;  A.  MaUer,  l.  c,  p.  421,  qui  place  ces  événements 
vers  703. 


586  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

avec  le  littoral*  ;  et  depuis  i' Au rès  jusqu'à  Tabarka%  en  vingt 
endroits,  on  montra  la  place  où  avait  péri  le  dernier  défenseur 
de  rindépendance  berbère. 


Des  provinces  orientales  de  Texarchat  d'Afrique,  l'empire 
grec,  au  commencement  du  viu*  siècle,  ne  conservait  donc 
plus  même  un  lambeau:  tout  près  de  l'endroit  où  comman- 
dait jadis  le  patrice  de  Carthage,  on  trouvait  maintenant,  au 
fond  du  lac  de  Tunis,  un  grand  port  de  guerre,  d'où  les  flottes 
sarrasînes  allaient  s'élancer  pour  porter  le  pillage  à  travers  la 
Méditerranée  «  ;  avec  la  même  facilité  qu'ils  avaient  accepté  le 
christianisme,  les  Berbères  maintenant  se  convertissaient  à 
rislam  et  servaient  sous  Tétcndard  du  Prophète  aussi  fidèle- 
ment qu'ils  avaient  combattu  sous  les  drapeaux  du  basileus^  ; 
et  les  populations  catholiques,  diminuées  par  Témigration, 
cruellement  éprouvées  par  les  conséquences  de  tant  de 
guerres,  ne  marchandaient  plus  guère  leur  soumission  au 
vainqueur.  Toutefois,  et  malgré  tant  de  désastres,  la  province 
byzantine  d'Afrique  n'avait  point  totalement  disparu.  Non  seu- 
lement la  Sardaigne  continuait  à  appartenir  aux  impériaux, 
mais  aux  extrémités  de  l'Occident,  ils  conservaient  un  inex- 
pugnable boulevard,  qui  permettait  à  la  vanité  du  prince  de 
faire,  comme  jadis,  figurer  l'exarchat  d'Afrique  sur  la  liste 
officielle  des  provinces  de  la  monarchie.  Autour  de  la  forte 

1.  El-fiekri,  Joumal  osiaLy  1858,  p.  463,  487    488. 

2.  IbQ  Khaldoun,  I,  p.  214;  El-Bekri,  Journal  asiat.,  1859,  p.  78. 

3.  Ibn  Koteiba  (publié  daos  Gayaoï^os,  History  of  Ihe  Mohammedian  dynas- 
ties inSpain,  t.  I,  Appendice  E),  p.  lxvi;  Amari^  I,  p.  166-168. 

4.  Ibo  KbaldouD,  I,  p.  212  (ZeDataetMaghraoua),  p.  214  (Djeraoua).  Toutefois 
une  portion  des  Berbères  demeura  d'abord  chrétienne  {ibid.  I,  p.  215)  et  la 
conversion  des  autres  fut  longtemps  assez  incertaine.  «  Les  Berbères,  dit  Ibn 
Abi  Yezid,  apostasiërent  jusqu'à  douze  fois  tant  en  Ifrikia  qu'au  Maghreb  et 
ils  n'adoptèrent  définitivement  l'islamisme  que  sous  le  gouvernement  de 
Mouça  ibn  Noceir  »  (Ibn  Khaldoun,  I,  p.  198  et  215). 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  587 

citadelle  de  Ceuta  (Seplem)  se  groupaient,  comme  à  la  fin 
du  VI*  siècle,  les  débris  de  la  Maurétanie  seconde,  quelques 
territoires  conservés  dans  la  Tingitane,  quelques  places  gar- 
dées ou  reconquises  sur  les  côtes  d'Espagne  *,  et  enfin  les  îles 
de  Majorque  et  de  Minorque.  Au  commencement  du  vin®  siècle, 
ce  gouvernement  était  considéré  à  Byzance  comme  un  véri- 
table thème,  et  à  côté  des  thèmes  de  TOpsikion,  des  Anato- 
liques,  des  Thracésiens  et  des  Arméniaques,  la  chancellerie 
impériale  faisait  officiellement  place  à  celui  de  Septem,  qu'on 
dénommait  plus  pompeusement  encore  YAfricanus  exerci- 
tus*.  Il  semble  même,  suivant  l'ingénieuse  conjecture  de  Dozy, 
qu'après  la  chute  de  Carthage  le  gouverneur  de  Septem 
reçut  le  titre  d'exarque,  et  que  sous  ce  nom  il  administra 
toutes  les  possessions  africaines  échappées  à  la  conquête  mu- 
sulmanes. Sans  doute,  «  entouré  de  barbares  et  séparé  par  de 
vastes  pays  d'avec  les  autres  provinces  de  Tempire  byzantin, 
l'exarque  de  Ceuta  devait,  parla  force  des  choses,  se  rappro- 
cher du  roi  wisigoth,  le  seul  prince  chrétien  qui  se  trouvât 
dans  son  voisinage  »  *  ;  et  c'est  pour  cela  que  la  tradition 
arabe  a  fait  du  comte  Julien  un  gouverneur  de  Ceuta  pour  le 
roi  d'Espagne.  En  fait,  ce  personnage  fut  le  dernier  représen- 
tant en  Afrique  de  Tautorîté  du  basileus,  et  il  prolongea  de 
dix  ans  en  Occident  la  durée  de  la  domination  grecque. 

Depuis  que  Mouça  ibn  Noseir  avait  remplacé  Hassan  à  Kai- 
rouan  (704)  »  l'Islam  aspirait  à  conquérir  toute  TAfrique.  La 
prise  de  Carthage  et  la  défaite  de  la  Kahena  n'avaient  guère 


4.  Od  a  vu  les  eiTorts  faits  de  ce  côté  sous  Constantin  Pogonat  et  Josti- 
nien  11  (Fsid.  Pac,  38  ;  P.  L.,  XCVÏ,  1264).  Il  semble  qu'il  y  avait  encore  une 
Espagne  byzantine  (P.  G.,  XCVIIl,  685,  697). 

2.  P.  L,,  XCII,  427.  Cf.  Geizer,  Georg.  Gypr.,  p.  xuii. 

3.  Isid.  Pac,  40,  et  la  correction  de  Dozy,  Recherches^  I,  p.  64-70.  Ibn  Ko- 
teiba,  /.  c,  p.  lxix,  parle  également  d'une  ville  des  Roura,  qui  était  gou- 
vernée par  un  patrice. 

4.  Dozy,  id.,  p.  70. 

5.  Ibn  Roteiba,  L  c,  p.  lvi,  place  en  698  déjà  rarrivée  de  Mouça  en 
Afrique,  et  date  les  événements  suivants  en  conformité  de  ce  point  de  départ. 
Weil  a  admis  cette  chronologie  (p.  477-478).  Cf.  Mûller,  /.  c,  p.  422-423. 


588         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

livré  aux  Arabes  que  les  anciennes  provinces  byzantines  de 
Byzacène,  de  Proconsulaire  et  de  Numidie  ;  les  Maurétanies, 
où  depuis  la  rapide  expédition  de  Sidi  Okba  les  musulmans 
n'avaient  point  reparu,  demeuraient  pleinement  indépen- 
dantes, et  de  grands  états  indigènes  peuplaient  la  vaste  région 
que  les  historiens  orientaux  appellent  le  Maghreb*.  Ce  fut 
Tœuvre  de  Mouça  d^étendre  jusqu'à  TAtlan tique  la  domination 
du  khalife.  Après  avoir  rapidement  réprimé  le  soulèvement 
que  le  rappel  de  Hassan  avait  suffi  à  provoquer  dans  la  Pro- 
consulaire ',  l'audacieux  général  se  lança  résolument  vers 
rUccident,  brisant  sur  sa  route  toutes  les  résistances  berbères, 
et  traînant  à  sa  suite  des  milliers  de  captifs.  Successivement  il 
vainquit  et  décima  cruellement  la  puissante  tribu  des  Auraba, 
écrasa  sur  la  Moulouia  une  grande  armée  indigène  *;  puis  il 
envahit  la  Tingitane  et  vers  706  il  parut  sous  les  murs  de 
Septem.  L'ofKcier  byzantin  qui  y  commandait  au  nom  de  Jus- 
tinien  II  était  le  comte  Julien,  dont  les  historiens  arabes  ra- 
content, d'ailleurs  avec  peu  de  vraisemblance,  qu'il  avait, 
vingt-quatre  ans  auparavant,  été  en  relations  avec  Okba  *. 
Contre  Tattaque  des  musulmans,  les  Grecs  se  défendirent 
énergiquement,  et  Mouça  éprouva  bien  vite  «  que  les  sujets 
de  Julien  étaient,  comme  le  dit  un  historien,  plus  forts  et  plus 
braves  que  les  peuples  qu'il  avait  combattus  jusque-là  »  ^. 
Soutenus  par  les  renforts  qu*ils  recevaient  d'Espagne,  les  im- 
périaux réussirent  même  à  faire  lever  le  siège  de  la  ville  ; 
Mouça,  abandonnant  le  littoral,  se  jeta  dans  l'intérieur  du 
Maroc,  qu'il  ravagea  jusqu'aux  oasis  de  Sidjilmessa*  ;  puis, 
revenant  vers  la  côte,  il  emporta  Tanger,  où  il  mit  une  forte 


4.  Fournel,  p.  233;  Weil,  I,  p.  513;  Amari,  T,  p.  122-i23. 

2.  Ibn  Koteiba,  /.  c,  p.  lvi-lvii.  Cf.  Fournel,  p.  230-231. 

3.  Ibn  Koteiba,  /.  c,  p.  lx-lxiii. 

4.  Foarnel,  p.  169-170. 

5.  Akhbar  Madjmoua,  dans  Dozy,  Rech,,  1,  p.  45-46.  Cf.  Ihn  Koteiba,  {.  c, 

p.   LXIX. 

6.  Fournel,  p.  233-236. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  58d 

garnison  '  ;  et  ayant  ramassé  un  butin  énorme,  propagé  l'Is- 
lam jusqu'aux  extrémités  de  l'Occident,  il  rentra  vers  708 
ou  709  à  Kairouan. 

On  sait  comment,  peu  de  temps  après,  le  dernier  gouverneur 
byzantin  d'Afrique  livra  Septem  aux  infidèles  (709).  Intime- 
ment mêlé  à  toutes  les  luttes  intérieures  du  royaume  wisigoth, 
le  comte  Julien  avait  pris  contre  l'usurpateur  Roderic  le  parti 
des  fils  de  Witiza  dépossédés  ;  pour  donner  à  ses  amis  politi- 
ques Tappui  dont  ils  avaient  besoin,  il  n*hésita  point  à  faire 
appel  aux  Arabes.  Il  ouvrit  les  portes  de  sa  forteresse  à  Tarik, 
qui  commandait  à  Tanger  pour  Mouça,  il  lui  montra  l'Espa- 
gne sans  défense  contre  les  razzias  des  musulmans,  il  lui 
fournit  même  les  navires  nécessaires  pour  franchir  le  dé- 
troit'. A  quelles  conditions  Julien  livra-t-il  ses  citadelles  ?  il 
est  probable  qu'il  s'y  réserva  certains  droits  de  souveraineté 
pour  lui  et  sa  famille  *.  Il  ne  semble  point  d'ailleurs  que  cet 
événement^  qui  consommait  en  Afrique  la  chute  de  la  domi- 
nation grecque,  ait  eu  en  Orient  aucun  retentissement:  seuls, 
quelques  chroniqueurs  occidentaux  notèrent  la  prise  de  Sep- 
tem par  les  Arabes  *.  C'est  qu'aussi  bien  ils  pouvaient,  mieux 
que  les  Byzantins,  en  sentir  toute  la  gravité.  Déjà,  à  plusieurs 
reprises,  dans  les  dernières  années,  les  escadres  sarrasinés, 
sorties  des  ports  de  Tunis,  étaient  venues  ravager  la  Sicile,  la 
Sardaigne,  les  Baléares  *  ;  maintenant  le  continent  européen 
même  s'ouvrait  aux  infidèles,  et  en  quelques  années  les  mu- 
sulmans allaient  atteindre,  bientôt  franchir  les  Pyrénées  et 
pousser  leur  marche  victorieuse  jusqu'au  jour  où  Charles 
Martel  l'arrêtera  dans  les  plaines  de  Poitiers. 

1.  Weil,  1,  p.  514-515.  Sar  tous  ces  événements,  cf.  Mûller,  l.  c,  p.  422-423, 
qui  les  place  de  706  à  709. 

2.  Ibn  Koteiba,  /.  c,  p.  lxx-xxi;  Fournel,  p.  239-241;  Weil,  1,  p.  517. 

3.  Cf.  Ibn  Khaldoun,  11,  p.  136;  Dozy,  l.c,  p.  65,  et  sur  la  conquête,  Dozy, 
Hist,  des  musulmans  d'Espagne,  II,  31-38.  L'histoire  de  la  fille  du  comte  Julien 
se  trouve  déjà  dans  Âbd-eUHakem  (Weil,  p.  515,  n.  2). 

4.  Lib,  pOHtif,f  p.  401. 

5.  Ibn  Koteiba,  l,  c,  p.  lxvi-lxvhi.  Cf.  Âmari,  I,  p.  168-169  (Sicile,  704  et 
705),  169-171  (Sardaigne,  710). 


590  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

On  peut  se  demander,  au  terme  de  ce  chapitre,  ce  que  la 
conquête  arabe  épargna  de  Toeuvre  accomplie  en  Afrique  par 
Byzance.  Sous  Taulorilé  des  empereurs,  la  province  avait, 
malgré  les  troubles  et  les  guerres,  connu  pourtant  une  réelle 
prospérité  :  maintenant,  grâce  à  la  cruauté  des  envahisseurs, 
grâce  aussi  à  la  sauvage  résistance  des  indigènes,  le  pays 
était  dépeuplé  et  ruiné.  Des  milliers  de  captifs  avaient  été 
emmenés  en  esclavage  pour  être  vendus  sur  les  nfiarchés 
d'Orient;  des  populations  entières  avaient  été  massacrées  ou 
avaient  quitté  le  pays  pour  échapper  à  la  rage  du  vainqueur. 
«  La  plupart  des  villes  de  Tlfrikia,  dit  un  historien,  étaient  dé- 
sertes, par  suite  de  la  résistance  qu'opposèrent  les  Berbères  »  ^  ; 
les  campagnes  étaient  abandonnées,  les  établissements  agri- 
coles incendiés^  les  travaux  d'eau  détruits  ;  aujourd'hui  encore, 
dans  les  cités  mortes  de  la  Tunisie,  demeurées  pour  la  plupart 
en  l'état  où  les  mit  l'invasion  arabe,  on  retrouve  à  chaque  pas 
les  traces  de  ces  terribles  ravages. 

Sous  la  domination  des  basileis^  le  christianisme  s'était,  de 
concert  avec  la  civilisation,  propagé  parmi  les  tribus  berbères. 
Bien  peu  d'années  suffirent  à  faire  passer  les  indigènes  à 
l'Islam.  Sans  doute  on  peut  croire  qu'au  début  beaucoup 
de  ces  conversions  furent  obtenues  par  la  force  ;  les  procédés 
durs  et  hautains  d'un  Okba  ou  d'un  Hassan  n'étaient  point 
pour  provoquer  des  enthousiasmes  bien  sincères  '.  Pourtant 
de  très  bonne  heure,  l'imagination  superstitieuse  des  Ber- 
bères fut  profondément  frappée  par  les  prestiges  des  con- 
quérants arabes  ^,  et  dès  le  temps  de  Mouça  ibn  Noseir,  la 
plus  grande  partie  des  tribus  étaient  devenues  familières 
avec  le  Coran  et  les  rites  de  l'Islam  *.  «  La  nouvelle  pro- 
fession de  foi,  dit  Amari,  était  facile  à  faire  ;  la  participation 
au  butin  était  un  point  que  comprenaient  vite  les  nouveaux 

1.  Ibn  Adzari  (Fournei,  I,  p.  233).  Sur  la  masse  des  prisonniers,  Amari,  1, 
p.  124. 

2.  Masqneray,  Formation  des  cités,  p.  183-184. 

3.  Dozy,  Hisl,  des  musulmans  d'Espagne^  l,  p.  236-237. 

4.  IbD  KhaldouD,  I,  p.  198  el  215. 


LA  CONQUÊTE  DE  L'AFRIQUE  PAR  LES  ARABES  591 

convertis  ;  les  armes  étaient  toujours  prêtes  pour  punir  les 
apostats  ))i.  Dès  719  l'œuvre  de  la  propagande  arabe  avait 
fait  de  tels  progrès,  '<  le  Maghreb,  suivant  l'expression 
d*El-Beladori,  avait  vu  un  nombre  si  considérable  de  conver- 
sions*», que  lorsque,  peu  d'années  après,  les  indigènes  se 
révoltèrent  contre  la  domination  des  khalifes,  c'est  une  hé- 
résie musulmane^  celle  des  Kharedjites,  qui  donna  au  sou- 
lèvement son  unité  et  sa  force*.  11  est  certain  d'ailleurs  que, 
dès  le  lendemain  de  la  conquête,  les  Berbères  ne  firent 
point  difficulté  à  combattre  pour  leurs  nouveaux  maîtres  :  ce 
sont  leurs  contingents  qui,  presque  seuls,  sous  les  ordres  de 
chefs  de  leur  race,  ont  renversé  le  royaume  wisigoth  et 
soumis  TËspagne  à  Tlslam. 

Enfin,  sous  le  gouvernement  des  souverains  de  Gonstanti- 
nople,  rÉglise  catholique  avait  été  florissante  dans  la  pro- 
vince; pour  elle  aussi  la  décadence  fut  prompte.  Tout  d'a- 
bord les  vainqueurs  avaient  permis  aux  populations  chré- 
tiennes de  continuer  à  pratiquer  leur  culte,  sous  condition 
de  payer  une  taxe  déterminée^;  et  pourtant,  dès  ce  mo- 
ment, soit  pour  conserver  la  possession  de  leurs  biens, 
soit  pour  échapper  aux  mauvais  traitements,  beaucoup  de 
fidèles  avaient  embrassé  l'islamisme,  et,  comme  le  dit  un 
historien,  a  une  masse  d'églises  avaient  été  transformées  en 
mosquées'*  ».  Vers  717^  le  khalife  Omar  II  relira  aux  catholi- 
ques leurs  privilèges  ;  ils  durent  se  convertir  ou  quitter  le 
pays*.  Beaucoup  émigrèrent,  s'en  allèrent  en  Italie,  en  Gaule, 
jusqu'au  fond  de  la  Germanie  ^  ;  un  plus  grand  nombre  encore 
abjura;  et  moins  d'un  demi-siècle  après  la  conquête,  l'Église 

1.  Amari,  I,  p.  123. 

2.  Fournel,  p.  270. 

3.  Masqueray,  /.  c,  p.  184-191  ;  Amari,  I,  p.  127-129;  Mercier,  1,  p.  229-231. 

4.  Ibn  KhaldouD,  I,  p.  215. 

5.  Mercier,  I,  p.  225. 

6.  Mon.  Germ.  hisL,  Epist.  111,  267. 

7.  Amari,  I,  p.  157.  Pourtant  des  Ilots  chrétiens  subsistèrent  :  auziv«  siècle, 
dans  les  villages  des  Nefzaoua,  on  rencontrait  quelques  communautés  cliré- 
tiennes,  qui  s'étaient  maintenues  depuis  la  conquête  (Ibn  Kbaldoun,  I,  p.  231). 


892         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

d'Afrique,  jadis  si  illustre,  était  pour  ainsi  dire  réduite  à  rien. 
Pendant  près  de  deux  siècles  Tempire  byzantin  avait,  dans 
ces  contrées,  recueilli,  non  sans  gloire,  le  lourd  héritage  de 
Rome  ;  pendant  près  de  deux  siècles,  il  avait,  à  Tabri  de  ses 
forteresses,  assuré  au  pays  une  grande  et  incontestable  pros- 
périté ;  pendant  près  de  deux  siècles,  il  avait,  dans  une  partie 
de  l'Afrique  du  nord,  maintenu  les  traditions  de  la  civilisation 
antique  et  initié  par  sa  propagande  religieuse  les  Berbères  à 
une  culture  plus  haute  :  en  cinquante  ans  la  conquête  arabe 
ruina  tous  ces  résultats. 


CONCLUSION 


Parmi  les  écrivains  qui  ont  raconté  l'histoire  de  l'empire 
grec  d'Orient,  plus  d'un  s'est  demandé  si  la  reprise  de  l'Afri- 
que par  Justinien  n'a  point  été,  malgré  le  glorieux  succès  de 
cette  expédition  audacieuse,  une  cause  de  faiblesse  pour  la 
monarchie.  Et  en  effet  il  faut  avouer  que  le  souci,  si  inter- 
mittent qu'il  ait  été,  des  affaires  d'Occident  a  plus  d'une  fois 
amené  les  basileis  à  négliger  les  périls  plus  pressants  qui  les 
menaçaient,  et  que  l'orgueilleuse  prétention  de  recueillir  tout 
entier  l'héritage  de  la  vieille  Rome  a  eu  pour  conséquence  une 
dispersion  excessive  des  forces  vitales  de  l'empire.  L'histoire 
de  la  domination  byzantine  en  Afrique  mérite  cependant, 
malgré  cette  réserve  fondamentale,  un  sérieux  intérêt  :  pen- 
dant les  deux  siècles  que  les  Grecs  ont  possédé  cette  province, 
de  curieux  événements  s'y  sont  accomplis,  également  impor- 
tants pour  l'étude  générale  des  institutions  de  l'empire  et 
pour  celle  des  destinées  particulières  de  l'Afrique  du  Nord. 

Au  moment  où  Justinien  rentra  en  possession  de  Carthage, 
tout  en  Afrique  était  à  reconstituer.  Malgré  les  difficultés  de 
cette  tâche  prodigieuse,  l'empereur  et  ses  lieutenants  suffirent 
à  tout  :  et  dans  la  manière  dont  ils  organisèrent  leur  conquête, 
ils  se  montrèrent  les  dignes  successeurs  de  cette  Rome  dont 
ils  retrouvaient  à  chaque  pas  le  souvenir  et  les  traditions.  Ils 
surent  en  particulier  créer  en  Afrique  un  vaste  système  de 
défense,  dont  les  citadelles  démantelées  excitent  aujourd'hui 
encore  notre  admiration  ;  ils  surent  vaincre  d'abord,  et  sur- 
tout faire  après  la  victoire  entrer  les  Berbères  dans  la  clientèle 
de  l'empire  ;  et  dès  le  début,  ils  surent  tracer  les  règles  d'une 

1.  38 


594  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

politique  qui  durant  deux  siècles  servit  de  guide  à  la  domina- 
tion africaine  de  leurs  successeurs. 

Plus  lard,  l'Afrique  comme  Tllalie  sentit  le  contre-coup  de 
la  grande  réforme  administrative  qui  commençait  à  trans- 
former la  monarchie  byzantine  ;  Thistoire  de  l'exarchat  de 
Garlhago  éclaire,  comme  celle  de  Texarchat  de  Ravenne,  le 
caractère  et  la  portée  de  la  réforme  d'où  sortit  le  régime  dos 
thèmes. 

Enfin,  lorsque  vint  la  décadence,  les  mêmes  causes  qui  rui- 
naient dans  tout  l'Occident  Téditice  du  pouvoir  impérial 
agirent  en  Afrique  avec  une  rare  efficacité.  Dans  Tadminisl ra- 
tion, les  mêmes  faiblesses  et  les  mêmes  vices,  dans  la  politique, 
les  mêmes  imprudences  et  les  mêmes  maladresses  produisi- 
rent les  mêmes  résultats  et  livrèrent  la  province  presque  sans 
défense  aux  furieuses  attaques  de  Tlslam. 

Par  là  une  étude,  assez  limitée  en  apparence,  peut  jeter  de 
vives  clartés  sur  l'histoire  générale  de  l'administration  et  du 
gouvernement  byzantin  durant  le  vi®  et  le  vii«  siècle.  Ce  n  est 
pas  tout.  Pour  l'Afrique,  les  deux  siècles  de  la  domination 
byzantine  n'ont  point  été  sans  conséquences.  Pendant  deux 
siècles,  les  basileis  ont  entretenu  dans  ces  provinces  un  der- 
nier reflet  de  la  civilisation  romaine  ;  sans  Justinien,  le 
royaume  vandale,  si  faible,  eût  bien  vite  cédé  la  place  à  la 
sauvagerie  berbère  :  les  empereurs  ont  retardé  de  deux  siècles 
la  catastrophe  qui  a  fait  disparaître  les  derniers  vestiges  de  la 
culture  romaine  *. 

Ce  ne  sont  point  là  de  médiocres  services.  Sans  doute  on 
peut  juger  sévèrement  les  vices  de  l'administration  byzantine, 
sa  corruption,  sa  rapacité,  ses  impolitiques  rigueurs  :  il  faut 


(1)  Je  ne  saurais  en  effet  accepter  les  conclusions  d'Hodgkin,  qai  estime  que 
le  royaume  vandale  eût  été  capable  de  tenir  en  échec  et  de  ciYiliser  les  Ber- 
bères et  plus  tard  de  briser  Télan  de  l'iovasion  arabe,  et  qui  déclare  en  con- 
séquence que  «  les  conquêtes  de  Justinien  ont  en  réalité  ouvert  le  chemin  aux 
barbares  »  {Italy  and  lier  invaders,  IV,  27,  cf.  liF,  695).  J'ai  suffisamment  mon- 
tré la  désorganisation  profonde  de  l'état  vandale  pour  n*avoir  pas  à  discuter 
en  détail  cette  opiuiou. 


CONCLUSION  393 

reconnaître  pourtant  que  les  Byzantins  ont  donné  en  Afrique 
une  grande  et  remarquable  preuve  de  vitalité.  Ils  y  ont  ac- 
compli une  œuvre  militaire  qui  tient  du  prodige,  ils  y  ont 
poursuivi  une  œuvre  religieuse,  qui  n'a  pas  été  sans  succès 
et  sans  gloire.  Assurément  Tlslam  a  effacé  jusqu'au  souvenir 
du  christianisme,  et  les  forteresses  ont  été  finalement  impuis- 
santes à  arrêter  les  soldats  du  khalife.  Néanmoins  le  passage 
des  Byzantins  en  Afrique  n*a  été  ni  inutile  ni  stérile  :  ils  y  ont 
pendant  deux  siècles  continué  et  en  quelque  sorte  prolongé 
l'œuvre  de  Rome  ;  et  cela  seul  suffirait  à  leur  mériter  quelque 
estime.  Us  ont  su,  dans  des  circonstances  singulièrement 
difficiles,  fonder  et  conserver  leur  autorité  sur  cette  portion  de 
rOccident  ;  ils  s'y  sont  montrés  capables  d'efforts  persévé- 
rants, de  courage  militaire,  d'intelligence  politique  et  diplo- 
matique ;  surtout  ils  ont  su  vivre  et  durer.  Un  des  généraux 
musulmans  qui  les  combattirent  disait  des  Byzantins  qu'ils 
étaient  n  des  lions  dans  leurs  forteresses  et  des  aigles  à 
cheval  »*  :  un  tel  hommage  montre  qu'ils  ne  furent  ni  des  ad- 
versaires ni  des  maîtres  méprisables.  Sous  leur  autorité, 
l'Afrique,  solidement  défendue,  fut  en  somme  prospère  et 
florissante.  Il  est  d'usage  d'exalter  —  et  fort  légitimement  — 
les  grands  services  que  Rome  a  rendus  à  l'Afrique,  les  mer- 
veilleuses qualités  qu'elle  y  a  développées  :  on  doit  à  quelque 
égard  semblable  justice  à  ces  Byzantins  qui  se  vantaient 
d'être  encore  des  Romains  ;  en  faisant  rentrer  l'Afrique  au 
sein  de  l'empire,  ils  ont  renoué  la  tradition  interrompue  par 
la  conquête  vandale,  et  été,  non  seulement  de  nom,  mais  de 
fait,  les  héritiers  et  les  continuatieurs  dos  Césars. 

1.  Iba  Koteiba,  L  c,  p.  lxxxviii. 


APPENDICE 


PRÉFETS  DU-  PRÉTOIRB    ET   GOUVERNEURS    MILITAIRES    D  AFRIQUE 

A  l'époque  byzantine* 


Nous  pouvons,  à  l'aide  des  textes^  reconstituer  d*uno  ma- 
nière assez  complète  la  liste  des  préfets  du  prétoire  d'Afrique 
et  des  magistin  miliium,  remplacés  plus  tard  par  les  exarques, 
qui  exercèrent  dans  la  province  l'autorité  militaire.  Nous  avons 
dressé  cette  liste  sur  deux  colonnes  parallèles,  indiquant  par 
des  italiques  les  personnages  qui  ont  réuni  entre  leurs  mains 
les  deux  fonctions  ;  nous  avons  réservé  pour  les  notes  mises 
à  la  suite  de  cette  liste  les  références  qui  justifient  notre  classi- 
fication et  les  discussions  que  soulèvent  quelques-uns  des 
documents  que  nous  avons  employés. 

Préfets  du  prétoire  d'Afrique.  Magistri  militum  Africae. 

Archélaos  (avril  534) i.  fiélisaire,  chargé,  comme  magisUr 

militum  per  Orientem^  de  la  réor- 
ganisation militaire  de  1* Afrique  *<. 

Solomon  (!•' janvier  535)».  So/omon  (sept.  534)23. 

Symmaque  (fin  536)3.  Germanos  (fin  536)  m. 

Solomon  (539)  «.  Solomon  (539) S5. 

Sergiu8(544)M. 

Athanase  (fin  545)  %  encore  mentionné      Aréobiode  (fin  545)^7. 
en  Afrique  en  548. 

ArUbane(mai546}». 

(1)  Nous  notons,  a  côté  de  ciiaque  nom,  la  date  où  pour  la  première  fois  il 
est  mentionné  comme  titulaire  de  sa  charge.  Quand  une  lacune  existera  dans 
la  lidte,  nous  intercalerons  des  lignes  de  points. 


APPENDICE  597 

Paul  (sept.  552) •.  Jean  Troglita  (fin  546)  2*,  encore  men- 
tionné en  Afrique  en  552. 

Boétius  (entre  555  et  560)7.  

Jean  (oct.  558)  8. 

Aréobinde  (janv.  563)9?  Jean  Rogathinos  (déc.562]30. 

Marcien  (563)31. 

Thomas  (563)iO.  

Théodore  (569)  h.  Théodore  (569)  32. 

Théodore  (mars  570)  i£.  Théoctistos  (570)33. 

Lucius  Map...  (entre  565  et  574)^3  Amabilis  (571)34. 

...  praefectus  (entre  574  et  578)  i*.  

Thomas  (entre  578  et  582)  is.  Gennadius  (578)35. 

Théodore  (août  582)  i«.  Vitalins  (entre  578  et  582)  36 . 


Préfets  du  prétoire  d'Afrique. 


Ezarqnet  d'Afriqne. 


Jean  (date  incertaine,  mais  contem- 
poraine de  Gennadius)  17. 

PanUléonUumet594)i3. 

Innocent  (juillet  600)1*,  encore  men- 
tionné en  oct.  600. 


Grégoire  (juin  627)  îo. 

Georges^i  (commencement  de  641). 


Gennadius  (juillet  591)  37,  encore 
mentionné  en  Afrique  en  octobre 
598. 


Héraciius  (avant  602)^3.  encore  men- 
tionné en  Afrique  en  610  ;  meurt  vers 
611  à  Cartbage. 

Caesarius  (vers  615)3»? 

Nicétas  (entre  619  et  620)  *o. 

Pierre  (633)  *i. 

Grégoire42  (juillet  645). 


1.  Archélaoa.  Cod.  Just.,  I,  27,  1. 

2.  Solomon.  Nov,  36,  37. 

3.  Symmaque.  Proc  ,  BelL  Vand,,  p.  482. 

4.  Solomon,  C.  l.  L.,  VIII,  4799.  Dans  une  novelle  d'avril  538  (iVoo.  66,  i), 
il  est  fait  mention  de  Solomon,  préfet  du  prétoire  d'Afrique  :  il  ne  faudrait 
pourtant  point  conclure  de  ce  texte  qu'à  cette  date  Solomon  remplissait  cette 
charge.  Dans  le.  passage  en  question,  Justinien  rappelle  en  effet  une  consti- 
tution adressée  à  ce  personnage  antérieurement  à  538  ;  l'acte  est  perdu,  mais 
sa  date  précise  nous  est  donnée  par  la  constitution  grecque  à  laquelle  le  même 
passage  fait  allusion,  et  qui  n'est  antre  que  la  novelle  18.  Or,  cette  novelle  est 
datée  de  536  :  l'acte  dont  il  est  fait  mention  se  rapporte  donc  à  la  première 
préfecture  de  Solomon. 

5.  Athanase,  Proc,  Bell,  Vand.,  p.  513.  Partsch,  Préf.  à  Corîppus,  n.  194. 
Ç.  PçiuL  Nov,  160  (éd.  Zacbariae).  Dans  la  lettre  des  clercs  italiens,  datée  du 


598  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFUIQUE 

commeucement  de  552  (Won.  Germ.  hisl.^  Epistolae^  lll,  440),  il  est  ques- 
tion d'uQ  praefeclus  Africae  dont  on  ne  dit  pas  le  nom.  Il  se  peut  que  ce  soit 
déjà  le  préfet  Paul. 

7.  Boélius.  Migae,  P.  L,,  LXIX,  411.  Comme  ce  texte  est  un  fragment  noa 
daté  d'une  lettre  de  Pelage  l^^,  il  se  peut  qu'il  faille  placer  Boétius  après  Jean. 

8.  Jean.  Nov.  169  (éd.  Zachariae). 

9.  Aréobinde.  Nov.  173  (éd.  Zachariae),  Zachariae  suppose  que  ce  person- 
nage était  à  cette  date  préfet  d'Afrique  (t.  II,  p.  403)  et  il  est  incontestable 
que,  si  la  date  de  cette  constitution  est  exactement  fixée  (t6id.,  I,  p.  iv),  la 
chose  est  possible.  Si  en  effet  en  553  Aréobinde  était  préfet  du  prétoire  d'Orient 
{Nov.  163,  éd.  Zachariae),  il  avait  été  en  555  remplacé  dans  ces  fonctions  par 
le  préfet  Pierre  (Nov.  165)  qui  les  occupait  encore  en  559  [Nov,  182).  LanoYelle 
d'ailleurs  étant  écrite  en  latin,  il  semble  vraisemblable  qu'elle  était  destinée  a 
rOccident.  Toutefois  Zachariae  lui-même  a  douté  plus  tard  de  son  hypothèse, 
et  se  demande  {Appendix,  p.  31)  si  cette  constitution  n*a  point  été  adressée 
à  Léon,  préfet  d'Italie.  Il  subsiste  donc  un  doute. 

10.  Thomas.  C.  I.  L.,  Vlll,  1434. 

11.  Théodore.  Jean  de  Biclar,  ad  a.  569. 

12.  Théodore.  Novellae  conslilutiones,  VI  (ZachariaB,  Ju$  graeeo-romanum^ 
\U,  p.  13-14).  Cf.  Nov.  XIU  {ibid.,  p.  30j.  H  se  peut,  si  la  chronologie  de  Jean  de 
Biclar  n'est  pas  tout  à  fait  exacte  (cf.  Mommsen,  p.  208-210  de  Tédition),  que 
ce  personnage  doive  se  confondre  avec  le  précédent.  Dans  ce  cas  il  faudrait 
reculer  d'une  année  la  date  des  magistri  milUum  Théoctistos  et  Amabilis. 

13.  Lucius  Map...  C.  1.  L.,  VIII,  1020.  La  restitution  du  Corpus  donne 
P(roc.)  P.  (A..),  proconsul p7'ovinciae  Africae,  J'inclinerais  plutôt  à  lire  P{raef.] 
F{raet)f  praefeclus praetorio, 

14.  C.  /.  L.,  VIII,  10498.  Je  ne  sais  pourquoi  le  Corpus  restitue  Zosimianus. 

15.  Thomas.  C.  I.  L.,  VIII,  2245  et  Bull,  des  Antiquaires,  1895,  p.  171.  Cf. 
notre  discussion  à  la  p.  462,  note  5. 

16.  Théodore.  Novellae  consl.,  XIII  (Zachariae,  /.  c,  p.  30-31). 

17.  Jean.  C.  /.  L.,  Vlll,  12035.  Ce  personnage  est  nommé  dans  rinscriptioo 
avec  le  patrice  Genoadius  :  mais  il  peut,  en  l'absence  d'indication  plus  pré- 
cise, se  placer  également  après  Pantaléon. 

18.  Pantaléon.  Greg.  M.  Epist.,  4,  32. 

19.  Innocent.  Greg.  M.  Epist.,  10,  37;  11,  5. 

20.  Grégoire.  Migne,  P.  L.,  LXXX,  478;  Jaffé,  2015. 

21.  Georges.  Migue,  P.  L.,  XCI,  364,  583.  On  voit  par  la  lettre  (XCI,  460) 
qu'eu  novembre  641  ce  personnage  était  depuis  quelque  temps  déjà  en  Afrique. 

22.  Bélisaire.  Cod.  Just.,  I,  27,  2. 

23.  Solomon.  Proc,  Bell.  Vand.,  p.  444;  C.  I.  £..,  4677,  1863,  1864. 

24.  Germanos.  Proc,  Bell.  Vand.,  p.  482.  On  a  noté  déjà  que  ce  personnage, 
neveu  de  l'empereur,  fut  investi  de  pouvoirs  extraordinaires  et  lut  le  supé- 
rieur du  préfet. 

25.  Solomon.  Proc,  Bell.  Vand.,  p.  493;  C.  /.  L.,  Vlll,  4799. 

26.  Sergius.  Proc,  Bell.  Vand.y  p.  506;  Marcellinus  cornes,  ad  a.  541;  Victor 
Tonnenn.,  ad  a.  560. 

27.  Aréobinde.  Proc,  Bell.  Vand.,  p.  513;  Jfon.  Germ.  hist.,  Epist.,  111,  439. 

28.  Artabane.  Proc,  Bell.  Vand.,  p.  533. 


APPENDICE  599 

29.  Jean  Trogliia.  Proc,  Bell.  Vand,,  p.  533;  Bell,  Golh,,  p.  590-591. 

30.  Jean  Rogalhinos.  Malalas,  p.  495;  Théophane,  p.  238  239.  Les  textes  le 
Dominent  simplement  apyoïv  'ÂçptxT);  :  mais  le  fait  à  propos  duquel  sou  nom 
est  rapporté  semble  bien  être  de  Ja  compétence  du  magisler  mililum;  et 
d'autre  part  la  préfecture  à  cette  date  semble  gérée  par  Aréobinde. 

31.  Marcien.  Malalas,  p.  495;  Théophane,  p.  238-239. 

32.  Théodore,  Cf.  note  11.  Jean  de  Biclar  l'appelle  praefeclus^  mais  moûlre 
qu'en  même  temps  il  commandait  les  troupes;  comme  Solomon  sans  donte  il 
réunissait  les  deux  pouvoirs. 

33.  Théoclistos,  Jean  de  Biclar,  ad  a.  570. 

34.  Amahilis,  Jeau  de  Biclar,  ad  a.  571. 

35.  Gennadius,  Jean  de  Biclar,  ad  a.  578;  C.  /.  L.,  VIIT,  2245. 

36.  Viialius,  C.  1,  L.,  Viil,  4354.  Ce  personnage  fut  magisler  militum  sous 
le  règne  de  Tibère  il,  mais  comme  Gennadius  se  trouve  en  Afrique  en  578,  on 
doit  supposer  qu'il  lui  succéda.  Toutefois  j'ai  noté  ailleurs  que  la  lecture  Vita- 
lins  est  douteuse,  et  que  M.  Gsell  restitue  Gennadius  {Bull,  des  Antiquaires^ 
1895,  p.  171). 

37.  Gennadius  exarque  et  patrice.  Greg.  M.  EpisL,  1,  59,  72,  73;  9,  9,  H. 

38.  Héraclius,  stratège  et  patrice.  Nicéphore  pair.,  p.  3;  Tbéophane,  p.  295, 
297.  Il  fut  nommé  par  l'empereur  Maurice,  c'est-à-dire  avant  602  :  il  resta  en 
charge  jusqu'à  sa  mort,  ver»  611  (Jean  de  Nikioo,  p.  553). 

39.  Caesarius.  Mon,  Germ.  hisLy  Epistol.,  111,662  sqq.  Gelzer  (Georgii  Cyprii 
descripiiOf  p.  xlii)  s'est  demandé  si  ce  personnage,  revêtu  du  titre  de  patrice,  et 
que  l'on  trouve  vers  615  en  correspondance  avec  le  roi  dos  Wisigotbs  Sisebut, 
n'est  point  un  gouverneur  de  l'Afrique  byzantine.  La  chose  est  possible,  car 
il  est  assurément  singulier  de  trouver  un  patrice  à  la  tête  des  faibles  posses- 
sions que  les  Byzantins  gardaient  en  Espagne,  et  qui  d'ailleurs,  depuis  la  lin 
du  vi«  siècle,  étaient  administrât! vement  rattachées  à  l'exarchat  d'Afrique. 
Pourtant  rien  dans  la  correspondance  échangée  entre  Caesarius  et  le  roi  oc 
fournit  une  preuve  décisive. 

40.  Nicétas,  patrice.  An^y^'^iÇ  «i^u/wçsXin;  (Gombefls,  Bibl.  graec.  pair,  auc- 
tarium  novissimum,  1,  p.  324).  Cf.  Gelzer  dans  l'édition  de  la  Vie  de  saint 
Jean  V Aumônier ^  p.  130-131. 

41.  Pierre,  stratège  et  patrice.  Migne,  P.  G.,  XC,  111-112. 

42.  Grégoire,  patrice.  Migne,  P.  G.,XC,  111  ;  XC,287,  354;  Théophane,  p.  343. 


Des  sceaux  conservés  au  Musée  de  Saint-Louis  de  Cartha^e 
portent  le  nom  de  deux  anciens  préfets  (âTuos-ap^wv),  sans  au- 
cune autre  indication  de  fonction  administrative.  L'un  s'appelle 
Paul,  Tautre  Georges'  ;  sur  les  deux  sceaux,  les  légendes  sont 
grecques,  et  sur  le  second,  Tune  des  faces  porte  à  gauche  Tef- 
figie  d'un  empereur.  Au  Musée   du  Bardo,   un  autre  sceau 

1.  DtilsLiiTe, Plombs  byzantins  de  Car thage,  Missions calholiguef,  \%%1,  p.  508. 


600  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

porte  le  nom  du  ffrpa-nQXdcTYjç  Jean  ;  et  un  personnage  du  même 
nom  se  rencontre  sur  une  bulle  du  Musée  de  Carlhage,  avec 
les  litres  de  cubiculaire,  spathaire  impérial  et  a^pa-nikirriÇ*. 
Ces  deux  sceaux,  où  les  légendes  renferment  un  mélange  de 
lettres  grecques  et  latines,  datent  de  la  fin  du  vi«  siècle.  Peut- 
être  faut-il  les  rapporter  Siumagistermilùum  Jean  Troglita. 

1.  Delattre, /.  c.  p.  508. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


Page  35,  ligne  25,  au  Heu  de  Roummel^  lire  Rummel, 

P.  39,  note  5,  au  lieu  de  nouvelle^  lire  novelle. 

P.  71,  note  1,  au  lieu  de  Parstch^  lire  Partsch. 

P.  146,  note?,  et  148,  1.  1518.  On  trouve  en  Afrique  quelques 
exemples  d'une  disposition  un  peu  différente.  A  Fedj-Souioud  (Vatari), 
dans  le  Djebel-Terraguelt,  et  à  Gaga,  à  l'ouest  de  Youks,  les  mu- 
railles sont  construites  de  la  façon  suivante  :  derrière  un  mur  exté- 
rieur en  pierres  de  taille,  doublé  d'une  rangée  de  moellons,  s'élève, 
à  une  distance  variant  de  3"%60  à  2",60,  un  second  mur  beaucoup 
moins  épais  (0",50  à  0",60),  et  simplement  construit  en  moellons  : 
l'intervalle  des  deux  remparts  était  rempli  par  une  terrasse  en  terre 
appliquée  contre  le  mur  extérieur  et  soutenue  par  le  mur  intérieur. 
(Communication  de  M.  Gsell.) 

P.  171,  1.  13;  p.  261, 1.  8  9;  p  267,  1.  2  et  19,  au  MewdeSepium, 
lire  Septem, 

P.  178,  1.  2-5.  Comme  exemple  de  ces  constructions  hâtives,  on 
peut  signaler  en  particulier  la  façon  dont  sont  bâtis  les  remparts  de 
Gadiaufala.  e:  Les  assises,  m'écrit  M.  Gsell,  forment  en  général  des 
lignes  irrégulières  ;  les  vides  ont  été  grossièrement  bouchés  avec  de 
petites  pierres.  A  certains  endroits  môme,  les  murs  ne  consistent 
guère  qu'en  un  entassement  de  pierres  de  taille  superposées  sans  au- 
cun ordre.  »  Pourtant  il  s'agit  ici  d*une  forteresse  élevée  par  les  soins 
du  patriceSolomon. 

P.  180, 1.  6-8,  et  p.  205,  I.  11-12.  M.  Gsell,  qui  a  étudié  après  moi 


602  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

le  plan  de  la  citadelle  de  Madaure,  ne  pense  point  que  la  partie  en 
forme  d'hémicycle  représente  les  fondations  ou  les  ruines  d'un  édi- 
fice antérieur  :  il  estime  au  contraire  que  cette  portion  de  l'enceinte, 
disposée  d'une  façon  très  irrégulière,  appartient  à  une  reconstruction 
hâtive,  faîte  avec  des  matériaux  provenant  du  fort  byzantin.  Il  croit 
aussi  que  ce  fort  primitif  s'étendait  plus  loin  dans  la  direction  du 
nord-ouest,  et  avait  une  forme  plus  régulière  que  le  tracé  actuel. 

P.  184,1. 1.  M.  Gsell  me  signale  pourtant  quelques  exemples  d'en- 
ceintes fortifiées  enveloppant  à  une  distance  plus  ou  moins  grande 
une  citadelle,  et  délimitant  un  quartier  ainsi  placé  sous  la  protection 
immédiate  de  la  forteresse.  Des  dispositions  de  ce  genre  se  rencon- 
trent à  Gadiaufala,  à  Madaure,  à  Mons  :  mais  elles  semblent  en  gé- 
néral d'une  époque  plus  récente  que  la  construction  même  de  la  cita- 
delle qu'elles  entourent. 

P.  185, 1.  6.  La  même  réduction  du  périmètre  de  la  ville  s'observe 
à  Tigzirt  et  à  Choba  (Djiama). 

P.  193,  1.  1-6.  Ajouter  Mila,  avec  ses  quatorze  toars  et  les  dispo- 
sitions si  intéressantes  de  son  enceinte. 

P.  211,  note  4, 1.  3,  au  lieu  de  II  se  peut  qu'i,  lire  II  se  peut 
qu'il , 

P.  212*213.  Dans  les  refuges  ainsi  construits  par  l'initiative  des 
habitants,  on  a  utilisé  en  général  les  dispositions  naturelles  du  ter- 
rain, et  on  s'est  borné  à  fortifier  les  parties  plus  aisément  accessibles. 
On  en  trouvera  la  preuve  dans  les  plans  de  Ksar-Àtman,  de  Kef-Kher- 
raz,  de  Kef-Bezioun. 

P.  221,  1.  14-16.  On  trouve  de  même  plusieurs  citernes  au  centre 
de  la  forteresse  de  Guelaa-Sidi-Yahia. 

P.  221^  1.  27.  La  même  remarque  s'applique  à  Gadiaufala. 

P.  230, 1.  6,  au  lieu  de  Tillibari,  lire  Tillibaris. 

P.  238,  1.  21.  Je  dois  à  Tobligeance  de  M.  Gsell  les  renseigne- 
ments suivants  sur  la  citadelle  byzantine  de  Gastal.  «  Le  fort,  cons- 
truit sur  un  plan  très  régulier,  mesure  54  mètres  sur  47",50.  Cha- 
cun des  angles  est  occupé  par  une  grosse  tour  ronde,  et  le  milieu 
de  la  face  nord-est  par  une  tour  carrée.  C'était  peut-être  dans  cetle 
dernière  tour^  ou  tout  auprès,  que  s'ouvrait  la  porte.  Les  murs,  assez 
médiocrement  construits,  avec  un  bon  nombre  de  matériaux  plus  an- 
ciens, ont  été  faits  d'après  le  système  byzantin  ;  ils  mesurent  2%25  aux 
courtines,  un  peu  moins  aux  tours.  »  Située  à  Textrémité  septentrio- 
nale du  Djebel-Dyr,  et  à  proximité  d'une  source  très  abondante,  cette 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  60;i 

forteresse  commandait  une  route  venant  d'Ammaedera,   et  qui  se 


Fig.  72.  —  Citadelle  byzantine  de  Gastal  (d'après  le  plan  de  M.  Gsell). 


poursuivait  peut-être  dans  la  direction  du  nord-ouest,  vers  Morsot. 
Non  loin  de  là  débouchait  une  autre  voie  venant  de  Théveste. 

P.  258^  1.  SS3.  M.  Gsell  me  communique  les  indications  suivantes  : 
€  Au  point  de  vue  de  Têtu  de  des  fortiûcations  byzantines,  Mila  est 
un  des  lieux  les  plus  intéressants  de  l'Algérie.  L'enceinte  de  la  ville 
arabe  n'est  en  effet  que  l'enceinte  byzantine  remaniée,  sur  bien  des 
points,  mais  parfaitement  reconnaissable  dans  toutes  ses  parties.  Le 
développement  total  de  cette  enceinte  est  d'environ  1,200  mètres.  La 
construction  est  faite  d*après  le  système  byzantin  ordinaire,  avec  em- 
ploi de  matériaux  d'époque  antérieure.  Elle  est  soignée  ;  les  assises 
sont  régulières.  Les  courtines  mesurent  en  moyenne  2^,50  d'épais- 
seur, les  tours  1"*,50;  les  tours  en  saillie  ont7™,50  à  9™,60  de  front. 
En  B,  au  sud-ouest,  entre  les  tours  K  et  L,  il  y  avait  une  porte  large 
de  1™,55,  surmontée  d'un  arc  de  décharge  dont  le  vide  a  été  rempli 
ensuite.  La  porte  principale  A  s'ouvrait  au  nord  entre  deux  tours  rec- 


604  HISTOIRE  DE  LA  DOMUNATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

langulaires  de  7",10  de  front,  de  5",60  de  saillie.  Elle  est  large  de 


Fig.  73.  —  EDceinte  byzantine  de  Mila  (d'après  le  plan  de  Deiamare). 


3°*,90^  profonde  de  2",50et  Tarcade  qui  la  surmontait  est  encore  bien 
conservée. 

«  La  ville  de  Mila  occupaitune  position  stratégique  importante.  Située 
sur  la  route  de  Cirta  à  Sétif  dans  un  pays  montagneux,  elle  surveil- 
lait au  nord  la  région  très  accidentée  et  couverte  de  forêts  qui  s'étend 
dans  la  direction  de  Djidjelli  et  de  CoUo,  au  sud  les  massifs  montagneux 
qui  la  séparent  du  cours  supérieur  de  rOued-Rummel.  »  Un  passage 
inédit  de  Procope  atteste  que  cette  citadelle  était  une  création  officielle 
du  pouvoir  impérial  et  qu'elle  remonte  au  r^gne  de  Justinien. 

P.  258,  1.  23.  Il  faut  ajouter  à  ces  places  la  citadelle  de  Mons,  au 
débouché  oriental  d'un  long  défilé  par  lequel  passait  la  route  venant 
de  Sétif  et  se  dirigeant  sur  Djemila,  Mila  et  Constantine.  Sur  un  es- 
carpement rocheux,  que  horde  le  lit  profond  de  TOued-Safsaf,  était 
bâtie  la  ville  romaine  :  à  une  basse  époque,  un  fort  fut  construit  au 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  605 

poiat  le  plus  élevé  de  la  cité.  Il  est  aujourd'hui  en  fort  mauvais  état; 
mais  il  était  beaucoup  mieux  conservé  au  temps  où  Delamare  Ta 
éludié  (pi.  92,  ùg.  1).  Il  mesure  46n>,40  de  long  sur  34  de  large, 
les  murs  ont  de  1™,60  à  1",90  aux  courtines,  l^^SO  environ  aux 
tours.  La  porte,  large  de  2*0,70,  était  à  l'ouest.  Du  côté  opposé  s'éle- 
vait une  sorte  de  donjon  dont  les  murs  atteignent  encore  une  hau- 
teur de  plusieurs  mètres. 

Ce  fort  était  jÊkcé  au  milieu  d'une  enceinte  distante  de  50  à 
60  mètres,  et  qui  limitait  un  quartier  placé  sous  la  protection  du  fort. 
(Communication  de  M.  Gsell) 

P.  259, 1.5.  Choba  est  situé  sur  un  plateau  qui  s'abaisse  vers  la 
mer  et  que  flanquent  deux  petites  baies.  A  l'époque  byzantine,  on 
réduisit  ici,  comme  à  Tigzirt,  l'enceinte  romaine  jugée  trop  vaste, 
et  on  en  construisit  une  autre  beaucoup  plus  rapprochée  du  rivage. 
Il  en  reste  quelques  vestiges  :  le  mur,  épais  de  2<^,80,  est  construit 
avec  des  matériaux  plus  anciens;  il  était  flanqué  de  tours  qui  avaient 
1"* ,50  de  saillie  et  4  mètres  de  front.  (Communication  de  M.  Gsell.) 

P.  281,  1.  14,  au  lieu  de  Djalouta,  lire  Djeloula. 

P.  286,  l.  17.  M.  Gsell  me  communique  sur  Tagoura  les  informa- 
tions suivantes  :  ^  La  forteresse  construite  par  Justinien  est  de  forme 
presque  trapézoïdale,  longue  de  100  mètres  en  moyenne,  large  de  70. 
Elle  était  placée  sur  la  partie  occidentale  d'une  colline  isolée.  A  Test, 
les  pentes  de  cette  colline  sont  assez  douces;  elles  sont  très  raides  au 
sud  et  à  louest,  enûn  le  nord-ouest  et  le  nord  sont  presque  à  pic. 
C'était  donc  le  front  oriental  de  la  citadelle  qui  se  trouvait  le  plus  ex- 
posé. Aus.si  présente- t-el le  de  ce  côté  deux  grandes  tours  A  et  B;  il  y 
en  avait  sans  doute  une  troisième  C  à  l'extrémité  nord-est.  Ailleurs, 
on  ne  trouve  qu'un  simple  rempart,  qui  s'interrompait  peut-être 
même  au  nord-ouest,  où  il  n'était  pas  nécessaire.  La  face  orientale 
est  encore  assez  bien  conservée;  près  de  la  tour  A,  le  mur  s'élève  à 
une  hauteur  de  6  mètres.  Des  autres  faces,  il  ne  reste  au  contraire 
que  quelques  vestiges.  La  construction  est  bonne  ;  les  assises  sont  ré- 
gulières. Les  courtines  ont  une  épaisseur  de  2"',20.  Selon  l'usage,  des 
matériaux  d'époque  antérieure  ont  été  employés,  en  particulier  des 
fragments  d'architecture.  A  Tintérieur,  le  terrain  s'élève  dans  la  di- 
rection du  nord,  et  au  point  culminant,  en  D,  on  distingue  les  traces 
d'une  construction  rectangulaire  qui  a  peut-être  été  un  donjon. 

c  L'emplacement  de  cette  citadelle,  facile  à  défendre,  était  bien  choisi. 
Elle  occupait  en  outre  une  position  stratégique  importante.  Au  sud- 


606  HISTOIKE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

ouest^  la  vue  s'étendait  sur  une  plaine  fertile  que  parcourait  la  route 
conduisant  à  Tipasa;  au  nord,  au  sud  et  à  Test  s'élevaient  des  mon- 
tagnes boisées,  mais  entre,  ces  montagnes  s'ouvrent  deux  vallées, 


Fig.  74.  —  Citadelle  byzantine  de  Tagoura  (d'dprès  le  plan  de  M.  Gsell). 

l'une  menant  vers  Thagaste,  l'autre  servant  de  passage  à  la  route  de 
Carthage,  qui  prenait  ensuite  la  direction  du  nord-est  pour  se  rendre 
à  Naraggara.  > 

P.  287,  1.  4.  La  forteresse  de  Guelaa-Sidi-Yahia  est  située, 
m'écrit  M.  Gsell^  c  dans  un  pays  très  accidenté  et  fertile,  sur  un  ma- 
melon isolé  que  bordent  au  nord  et  au  sud  deux  branches  de  TOued- 
Aar.  Ces  deux  côtés  sont  à  pic  et  s'élèvent  de  60 à  70  mètres  environ. 


ADDITIONS  ET  GORRECnONS  607 

A  Touest,  la  pente  est  très  rapide;  elle  est  forte,  mais  accessible,  du 
côté  de  Test.  »  C'est  une  position  stratégique  fort  importante,  domi- 
nant les  routes  qui  viennent  à  TOued-Cherf  et  traversent  Je  massif 
,  du  Nador  :  elle  gardait  en  particulier  la  voie  de  Thibilis  à  Tipasa. 
«  La  citadelle  était  établie  sur  le  sommet  renflé  du  mamelon.  Elle 
mesurait  environ  150  mètres  de  long  (de  Test  à  Touest)  sur  70  de 
large.  Elle  est  relativement  bien  conservée.  Les  murs,  assez  bien 
construits,  ont  In^jTO  à  l'^^SO  d'épaisseur;  les  assises  sont  toutes  de 
0°*,35  à  0",50.  A  Test,  on  compte  quatre  tours  en  saillie  de  8",80; 
trois  d'entre  elles  présentent  un  front  de  près  de  10  mètres;  la  qua- 
trième, au  nord-est,  a  un  front  d'une  longueur  triple.  Cette  face  a  une 
longueur  totale  de  90  mètres  environ.  La  face  occidentale  moins 
étendue  (environ  55  mètres)  ne  présente  que  deux  tours  de  largeur 
inégale.  La  face  nord  oifre  une  série  de  cinq  fronts  droits  paral- 
lèles, en  retrait  les  uns  sur  les  autres  et  reliés  deux  à  deux  par  des 
murs  perpendiculaires.  La  face  méridionale  est  en  très  mauvais  état. 
L'entrée  de  la  place  parait  avoir  été  au  sud-est.  A  l'intérieur^  on  dis- 
tingue très  nettement,  au  point  Culminant,  le  plan  d'une  sorte  de 
vaste  donjon,  distinct  de  la  face  occidentale  de  50  mètres;  ce  bâti- 
ment mesure  22  mètres  sur  19.  Le  sous-sol  de  la  partie  méridionale 
est  occupé  par  des  citernes  parallèles,  au  nombre  de  dix  au  moins  : 
elles  communiquent  entre  elles. 

cLa  disposition  très  régulière  de  cette  place  forte  et  l'importance  de 
la  position  stratégique  qu'elle  occupe  nous  amènent  à  la  regarder 
comme  une  œuvre  de  l'autorité  impériale  plutôt  que  comme  un  vaste 
refuge  construit  par  l'initiative  de^  habitants  de  la  contrée,  j» 

Un  plan  détaillé  de  cette  citadelle  se  trouve  dans  le  t.  XXX  (1895) 
du  Recueil  de  Constantine. 

P.  287,  l.  6.  M.  Gsell  me  communique  sur  Gadiaufala  les  infor- 
mations suivantes  :  m  Ksar-Sbéhi  se  trouve  à  l'extrémité  méridionale 
d'un  petit  plateau  de  900  mètres  d'altitude,  dans  une  très  belle  posi- 
tion stratégique.  Dominant  au  sud  l'immense  plaine  des  Haracta, 
fermant  au  nord  le  passage  qui  mène  vers  la  vallée  de  l'Oued-Cherf, 
elle  est  à  la  limite  de  deux  régions  nettement  distinctes.  Abondam- 
ment fournie  d'eau,  environnée  de  terres  fertiles,  placée  au  croise- 
ment de  plusieurs  routes  importantes,  Gadiaufala  était  dès  l'époque 
romaine  une  ville  étendue;  une  grande  forteresse  s'y  élevait,  sur  la 
croupe  étroite  qui  domine  le  col  à  l'est.  Les  Byzantins  à  leur  tour  oc- 
cupèrent cette  position  :  toutefois  ils  préférèrent  s'établir  dans  le  col 


608         HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

même,  où  la  vue  était  moins  dégagée;  mais  le  passage  était  ainsi  tout 
à  fait  barré.  En  outre,  il  y  avait  là  une  source.  La  route  venant  delà 


Fig.  75.  —  Citadelle  byzantine  de  Gadiaufala  (d'après  le  plan  de  M.  GselJ). 


plaine  et  se  dirigeant  vers  le  nord  devait  passer  contre  le  fort  byzan- 
tin, à  l'ouest. 

c  Le  plan  de  cette  forteresse  est  parfaitement  reconnaissable,  et  en 
certains  endroits  les  murs  s'élèvent  encore  à  une  bauteur  de  plu- 
sieurs mètres.  La  citadelle  est  à  peu  près  carrée  (47<°  X^^);  ^l^^  ^^ 
flanquée  aux  angles  de  tours  rectangulaires.  Une  grande  tour  cens- 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  609 

titue  un  réduit  sur  le  milieu  de  la  face  orientale.  Les  murs  sont 
construits  selon  la  méthode  ordinaire,  avec  des  matériaux  provenant 
de  monuments  antérieurs;  ils  mesurent  2"^, 60  aux  courtines  et 
2  mètres  seulement  aux  tours,  sauf  cependant  à  la  grande  tour,  dont 
les  murs  ont  aussi  2'^,60.  Je  n*ai  distingué  qu'une  seule  porte  assez 
étroite  (largeur  1°>,45)  sur  le  côté  sud.  Au  sud-ouest^  presque  contre 
la  tour  d'angle,  naît  une  source. 

dL  La  construction  de  ce  fort  est  mauvaise.  Les  tours  seules  sont  un 
peu  plus  soignées.  On  peut  admettre  quelques  restaurations  barbares 
faites  çà  et  là,  mais  il  est  bien  certain  que,  dès  l'origine,  le  travail  a 
été  exécuté  avec  beaucoup  de  négligence  et  de  précipitation. 

«  Tout  autour  de  la  forteresse,  à  une  dislance  de  20  ou  30  mètres, 
s'élevait  une  enceinte  qui  suit  les  irrégularités  du  terrain  :  le  mur,  qui 
mesure  1™,50  de  large,  est  fort  médiocrement  construit.  Cette  fortifi- 
cation limitait  un  quartier  placé  sous  la  protection  de  la  citadelle.  i> 

P.  288, 1.  21-23,  et  p.  295,  1.  22-23.  A  ces  redoutes  détachées  il 
faut  ajouter,  d'après  les  indications  que  me  communique  M.  Gsell, 
une  grande  forteresse  byzantine,  dont  la  longueur  maxima  est  de 
85  mètres,  la  largeur  maxima  de  66.  L'enceinte,  assez  régulièrement 
construite,  consiste  en  un  mur  double  d'un  mètre  d'épaisseur  ;  on  y 
a  fait  entrer  un  arc  de  triomphe  antique  à  trois  portes,  dont  on  a 
muré  les  baies  latérales,  la  baie  centrale  servant  de  porte  à  la  cita- 
delle. A  rintérieur  de  l'enceinte,  sur  un  petit  ftiamelon,  se  trouve  un 
réduit  rectangulaire  de  31  mètres  sur  17;  les  murs  ont  1™,60;  la 
porte  était  protégée  par  deux  tours  de  2  mètres  de  front. 

c  Cette  citadelle  ne  semble  pas  avoir  été  élevée  par  les  soins  du 
gouvernement  impérial  :  elle  se  distingue  des  ouvrages  officiels  par 
l'absence  de  tours  et  le  peu  d'épaisseur  du  rempart.  C'était  sans 
doute  un  vaste  refuge  pour  les  habitants  de  Khamissa.  :» 

P.  288, 1.  24-25,  et  p.  289,  1. 1.  «  La  place  forte  byzantine  de  Kef- 
Bezioun  était  construite  sur  un  escarpement  rocheux,  à  pic  à  l'est  et 
au  sud-est,  et  avec  des  pentes  raides  au  nord.  Le  coté  ouest  seul  est 
facilement  accessible  :  c'était  naturellement  ce  côté  qui  avait  été  le 
plus  fortifié.  Le  rempart,  large  de  1°,80  à  2  mètres,  présentait  des 
tours  carrées  de  5  mètres  de  front  (épaisseur  du  mur,  1  mètre).  Le 
rempart  se  continuait  sur  les  faces  septentrionale  et  méridionale; 
à  l'est  il  était  inutile.  La  construction  est  mauvaise.  A  200  mètres  au 
sud -ouest  de  renc<;inte  coule  une  source  assez  abondante. 

a  Celle  place  forte  a  dû  surtout  être  élevée  pour  les  besoins  de  la 
I.  39 


610 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


défense  locale;  cependant  elle  occupait  une  position  stratégique 
importante.  De  là,  des  routes  conduisaient  d'une  part  à  Tipasa,  par  la 


Fig.  76.  —  Citadelle  byzantine  de  Kef-Bezioun  (d*aprè8  le  plan  de  M.  GseU). 


Guelaa-Sidi-Yahia,  de  l'autre  à  Thagaste,  à  Hippone,  à  Galama.  t 
(Communication  de  M.  GseU.) 

P.  295,  1. 14.  Ajouter  à  ces  ouvrages  destinés  à  la  défense  locale  la 
redoute  de  Henchir-Kissa,  à  10  kilomètres  au  nord  de  Tébessa,  sur 
les  dernières  pentes  du  Dyr.  Près  d'un  gros  boui^  antique,  sur  une 
butte  dominant  toute  la  plaine  de  Tébessa,  s'élève  un  fortin  carré,  de 
18  mètres  de  côté,  auquel  se  soude  une  enceinte  plus  étendue  et  sans 
doute  plus  récente  :  une  porte  monumentale  de  l'époque  romaine  a 
été  incorporée  dans  cette  seconde  construction.  (Communication  de 
M.  Gsell.) 

P.  295,  1.  19-20.  Ajouter  la  citadelle  de  Fedj-Souioud,  magnifique 
position  stratégique  au  point  de  bifurcation  de  cinq  routes  menant  à 
Carthage,  Hippone,  Cirta,  Lambëse  et  Théveste  :  c'est  probablement 
Vatari.  c  De  Fedj-Souioud,  m'écrit  M.  Gsell^  les  communications 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  611 

sont  faciles  dans  toutes  les  directions,  au  nord-ouest  vers  Ksar-Sbéhi, 
que  Ton  distingue  au  loin,  au  sud -ouest  vers  Âïn-Béida,  au  nord-est 
vers  Tifech,  à  travers  la  plaine  d'Aïn-Snob,  à  Test  vers  la  Tunisie,  par 
l'Oued-Mellègue,  au  sud-est  vers  Tébessa.  »  Sur  ce  point,  en  avant 
d'un  col  qui  mène  dans  la  plaine  de  l'Oued-Mellègue,  s'élève  un  fort 
mesurant  95  mètres  de  long  sur  42  de  large.  J'ai  déjà  signalé  le  sys- 
tème de  construction  du  rempart  (terrasse  de  terre  entre  deux  murs)  ; 
la  porte,  très  étroite^  se  trouve  au  sud-est  ;  elle  se  fermait  par  un 
grand  disque  de  pierre  glissant  dans  une  rainure  et  encore  en  place. 
(Communication  de  M.  Gsell.) 

P„  296,  1.  2.  Dans  cette  même  région  située  entre  Guelma  au 
nord,  Ksar-Sbéhi  au  sud-ouest,  la  plaine  de  Sedrata  au  sud-est, 
M.  Gsell  me  signale  plusieurs  places  de  refuge  fort  intéressantes. 
«  Généralement  construites  sur  des  escarpements  difficilement  acces- 
sibles, établies  dans  des  lieux  découverts  d'où  les  signaux  pouvaient 
s'échanger  avec  les  forts  voisins,  elles  offraient  un  abri  aux  popula- 
tions des  vallées  et  tenaient  leur  place  en  même  temps  dans  le  sys- 
tème général  de  la  défense.  >  Plusieurs  d'entre  elles  fournissent  d'in- 
téressants exemples  de  ce  genre  de  constructions. 

Kmr-Atman, —  Sur  une  colline  commandant  la  route  de  Thibilis  à 
Tipasa,  et  que  l'Oued-Sebt  longe  au  sud,  tout  auprès  d'une  source 
assez  abondante,  s'élevait  cette  citadelle.  La  colline  est  à  pic  à  l'ouest 
(50  à  80  mètres  de  hauteur)  et  au  sud  (100  mètres  environ)  et  présente 
des  pentes  très  raides  au  nord.  La  défense  était  donc  aisée,  l'attaque 
ne  pouvant  guère  venir  que  du  nord-est  et  surtout  de  l'est.  Aussi, 
tandis  qu'au  nord  le  rempart  est  formé  par  un  mur  continu  de  1"^,40 
à  1",60  d'épaisseur,  le  système  de  défense  est  plus  compliqué  à  l'est. 
Trois  tours  flanquent  la  courtine,  celle  du  milieu  protégeant  la  porte 
d'entrée.  En  arrière  de  cette  première  ligne  de  défense,  une  tour  E 
défendait  l'intérieur  du  refuge.  Enfin,  vers  l'extrémité  occidentale  de 
la  colline,  se  trouvait  le  réduit  de  la  place  forte  :  d'énormes  rochers 
Tencombrent  au  sud,  et  entre  eux,  là  où  se  trouvent  des  solutions  de 
continuité,  des  murailles  renforcent  la  défense.  La  construction  est 
hâtive,  mais  l'abri  est  sûr.  (Communication  de  M.  Gsell.  Cf.  BulL  Corn., 
1892,  p.  504.) 

Gueiaat'bou-Atfan.  —  A  la  sortie  des  gorges  étroites  de  l'Oued - 
Cheniour,  deux  fortins  défendent  le  centre  agricole  qui  se  trouvait 
en  ce  point  (cf.  Bull,  Com,,  1892,  p.  517).  Un  autre  poste  se  ren- 
contre dans  la  même  région  à  Henchir-bou-Azza,  vers  le  milieu  du 


612 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


613 


cours  de  TOued-Cheniour.  Mais  le  plus  remarquable  de  ces  refuges 
est  celui  de  Kef-Kherraz. 

Kef-'Kheivraz,  —  Le  plan  de  cette  place  forte  est  encore  très  nel.  Éta- 
blie sur  un  escarpement  rocheux,  dont  les  bords  sont  à  pic  au  sud, 
au  sud-est  et  à  l'ouest,  elle  n'avait  besoin  de  défense  que  sur  le  front 


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Fig.  78.  ~  Citadelle  byzantine  de  Ref-Rlierraz  (d'après  le  plan  de  M.  Gsell). 


nord-ouest.  Sur  cette  face  on  a  construit  un  rempart,  large  de  1"^,80, 
flanqué  de  plusieurs  tours.  Une  porte  se  trouve  en  B;  une  deuxième 
porte  double  s'ouvre  dans  la  tour  D.  Sur  les  autres  fronts,  il  n'y  a 
pas  de  remparts,  tout  accès  étant  impossible.  Ce  refuge  domine  au 
nord  la  vallée  de  l'Oued  Nil,  affluent  de  TOued-Cherf;  au  sud,  la  vue 
s'étend  sur  la  plaine  des  Harakta.  (Communication  de  M.  Gsell.  Cf. 
Bull.  Corn.,  1892,  p.  519.) 

P.  296, 1.  23,  et  297, 1.  2,  au  lieu  de  Tabarca,  lire  Tabarka, 

P.  345, 1.  27,  au  lieu  de  Tripoliianie^  lire  Tripolitaine. 

P.  392,  note  3,  l.  2,  au  lieu  de  point,  lire  point. 

P.  416,  1.  18,  au  lieu  de  Curubi^  lire  Cunibis. 


614  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

P.  424,  1.  6,  au  Heu  de  Dal-el-Kous,  lire  Dar-el-Kous. 

P.  463,  note  2,  1.  2,  au  lieu  de  Aïn-Tubemok^  lire  Aïn-Teber- 
nouk. 

P.  543,  note  1 .  Ajouter  à  la  fin  de  la  note  :  Dans  la  Vie  du 
patriarche  copte  haac,  publiée  par  Amélineau  [Publications  de 
V École  des  lettres  d'Alger^  fasc.  II),  il  est  fait  mention,  p.  5  et  9, 
d'un  personnage  nommé  Greorges,  auquel  le  texte  donne  le  titre 
d'  <r  épargne  du  pays  d^Égypte  »,  ou  de  c  préfet  ».  Il  s'agit  incontesta- 
blement là  du  préfet  augustal  et  non  d'un  administrateur  de  province. 
Mais  on  ne  saurait  le  confondre  avec  le  personnage  dont  parle 
Maxime  :  d'une  part,  en  effet,  il  remplit  sa  charge  antérieurement  à 
640,  probablement  entre  6115  et  638  (cf.  Amélineau,  /.  c. ,  Introduction^ 
p.  xi-xni)  ;  en  outre^  il  mourut  à  Alexandrie,  dans  Texercice  de  ses 
fonctions,  ce  qui  ne  convient  en  aucune  façon  au  préfet  Georges  dont 
il  est  question  dans  nos  documents. 


TABLE  DES  GRAVURES  INSÉRÉES  DANS  LE  TEXTE 


Pages. 

1.  Kasr-Maizhra.  Appareil  du  mur.  Vue  extérieure.    .......  149 

2.  Kasr-Maizhra.  Appareil  du  mur.  Vue  iotérieure 149 

3.  Aïn-Hedja.  Forteresse  byzantine.  Tour  de  l'angle  sud -ouest  et  esca- 

lier de  la  courtine  ouest 150 

4.  Mdaourouch.  Forteresse  byzantine.  Tour  de  i'aagle  sud-est    ...  151 

5.  Rsar-Bagai.  Tour  de  l'angle  nord 152 

6.  Haïdra.  Citadelle  byzantine.  Tour  ronde  du  front  est 153 

7.  Bordj-Hallal.  Forteresse  byzantine.  Plan  d'une  tour  de  l'enceinte    .  154 

8.  Bordj-Hallal.  Coupe  de  la  tour  suivant  EF 155 

9.  Teboursouk.  Enceinte  byzantine.  Archère  dans  une  tour    ....  156 

10.  Béja.  Enceinte  byzantine.  Tour  maîtresse  de  la  casba 157 

il.  Ksar-Bellezma.  Porte  du  front  ouest., 158 

12.  Ain-Tounga.  Forteresse  byzantine.  Porte  du  front  sud 159 

13.  Aïn-Tounga.  Porte  ouest  de  la  tour  du  front  sud 160 

14.  Mdaourouch.  Citadelle  byzantine.  Porte  principale 161 

15.  Mdaourouch.  Citadelle  byzantine.  Porte  principale 162 

16.  Guelma.  Poterne  de  l'enceinte  byzantine 165 

17.  Antioche,  Portion  de  l'enceinte  byzantine    .........  166 

18.  Guelma.  Portion  de  l'enceinte  byzantine,  porte  et  tour 173 

19.  Aïn-Tounga.  Citadelle  byzantine.  Tour  de  l'angle  sud-est  ....  175 

20.  Teboursouk.  Appareil  du  mur  byzantin 176 

21.  Tifech.  Appareil  du  mur  byzantin 177 

22.  Teboursouk.  Porte  antique  murée  dans  l'enceinte  byzantine.    .    .  178 

23.  Henchir-Sidi-Amara.  Monument  antique  transformé  en  redoute  by- 

zantine   179 

24.  Zana.  Arc  de  triomphe  transformé  en  redoute  byzantine.     ...  180 

25.  Plan  du  temple  de  Dougga  formant  réduit  de  l'enceinte  byzHutiue.  181 

26.  Guelma.  Citadelle  byzantine 183 

27.  Tébessa.  Enceinte  de  la  ville  byzantine 186 

28.  Tébessa.  Portion  de  l'enceinte  byzantine,  face  intérieure  ....  187. 

29.  Thélepte.  Enceinte  de  la  ville  byzantine 189 

30.  Thélepte.  Enceinte  byzantine.  Tours  de  l'angle  nord-est  et  de  l'an- 
gle sud-est 191 

31.  Rsar-Bagai.  Enceinte  de  la  ville  byzantine 192 

32.  Rsar-Bagai.  Réduit  de  la  citadelle  byzantine 193 


616  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

33.  Haïdra.  Plan  général 194 

34.  Haïdra.  Plan  de  la  citadelle  byzantine 193 

35.  Haïdra.  Citadelle  byzantine.  Vue  intérieure  de  la  porte  sur  loued.  197 

36.  Haïdra.  Citadelle  byzantine.  Escalier  de  la  courtine   ......  199 

37.  Timgad.  Plan  de  la  forteresse  byzantine 200 

38   Timgad.  Forteresse  byzantine.  Vue  extérieure  du  front  ouest    .    .  201 

39.  Timgad.  Forteresse  byzantine.  Tour  de  langle  sud- ouest.    .    .    .  202 

40.  Timgad.  Forteresse  byzantine.  Port?  du  front  nord 203 

41.  Mdaourouch.  Plan  de  la  forteresse  byzantine 204 

42.  Lemsa.  Citadelle  byzantine.  Vue  générale 206 

43.  Lemsa.  Plan  du  château  byzantin *    .    .  208 

4^.  Lemsa.  Château  byzantin.  Tours  des  angles  sud -ouest  et  sud-est.  209 

45.  Aïn-Zaga.  Redoute  byzantine 212 

46.  Bordj-Hallal.  Citadelle  byzantine.     . 213 

47.  Bordj-Hallal,  Citadelle  byzantine.  Tours  du  front  nord-ouest.    .    .  214 

48.  Tobna.  Plan  de  la  forteresse  byzantine 216 

49.  Tifecb.  Plan  de  Tenceinte  byzantine 21 S 

50.  Aïn-el-Bordj  (Tigisis).  Citadelle  byzantine. 219 

51.  Guessès.  Enceinte  de  la  ville  byzantine 244 

52.  Ksar-Bellezma.  Plan  de  la  forteresse  byzantine 251 

53.  Plan  de  Zraia. 252 

54.  Zana.  Forteresse  byzantine 253 

55.  Ras-el-Oued  (Thamalla).  Citadelle  byzantine 253 

56.  Sélif.  Plan  de  renceinle  byzantine 256 

57.  Sétif.  L'enceinte  byzantine  en  1844 257 

58.  Laribus.  Plan  de  la  citadelle  byzantine 273 

59.  Aïn-Hedja.  Forteresse  byzantine 274 

60.  Plan  de  Teboursouk 273 

61.  Aïn-Tounga.  Plan  de  la  citadelle  byzantine 276 

62.  Sbéitla.  Plan  général 278 

63.  Sblba.  Plan  de  Tenceinte  byzantine 280 

64.  Kessera.  Forteresse  byzantine 282 

65.  Henchir-Sguidan.  Forteresse  byzantine 283 

66.  Sbéitla.  Fortin  byzantin 293 

67.  Chapiteaux  byzantins  à  la  grande  mosquée  de  Kairouan.    ...  421 

68.  Plan  du  Dar-el-Kous,  au  Kef.    .    .    • 403 

69.  Le  Dar-el-Kous,  au  Kef 424 

70.  Façade  restituée  de  l'église  de  Dar-el-Kous 425 

71.  Restitution  d'une  des  églises  de  Haïdra 428 

72.  Citadelle  byzantine  de  Gastal 603 

73.  Enceinte  byzantine  de  Mila 504 

74.  Citadelle  byzantine  de  Tagoura e06 

75.  Citadelle  byzantine  de  Gadiaufala çog 

76.  Citadelle  byzantine  de  Kef-Bezioun 610 

77.  Citadelle  byzantine  de  Ksar-Atman 612 

78.  Citadelle  byzantine  de  Kef-Kherraz.    . 613 


TABLE  DES  PLANCHES  HORS  TEXTE  ET  DES  CARTES 


PLANCHES 

Pages. 

I.  Haidra.  Citadelle  byzantine.  Tour    de  l'angle  sud-est   et    courtine  sud 

(héliogravure) Frontispice 

II.  Vue  restituée  de  la  citadelle  byzantine  de  Haîdra 164 

III.  Aln-Tounga.  Citadelle  byzantine.  Tour  de  l'angle  sud-est    ....  176 

IV.  Tébessa.  Porte  Solomon 188 

V.  Haîdra.  Citadelle  byzantine.  Vue  intérieure  du  front  est  .    .    *    .    .  196 

VI.  Haîdra.  Citadelle  byzantine.  Vue  extérieure  du  front  est 196 

VII.  Mdaourouch.  Citadelle  byzantine.  Entrée  de  la  tour  est 205 

VIII.  Lemsa.  Citadelle  byzantine.  Vue  du  front  sud-ouest 207 

IX.  Lemsa.  Citadelle  byzantine.  Vue  intérieure. 207 

X.  Béja.  Tours  de  l'enceinte  byzantine * 220 

XI.  Plan  et  vue  générale  du  monastère  byzantin  de  Tébessa 430 

CARTES 

Carte  de  l'occupation  militaire  de  la  Numidie  par  les  Byzantins    ...  240 

Carte  de  l'occupation  militaire  de  la  Tunisie  centrale  par  les  Byzantins.  272 


INDEX  ALPHABÉTIQUE  DES  PLANCHES 


AiN-EL-BoRDj  (TiQisrs).  Plan  de  la  ci- 
tadelle, 219. 

Ain-Hema  (Agbia).  Plan  de  la  cita- 
delle, 274.  Tour  et  escalier  (coupe), 
150. 

AiN-TouROA  (Thignica).  Plan  delà  ci- 
tadelle, 276.  Plan  de  la  porte  prin- 
cipale, 159.  Vue  de  la  porte,  160. 
Tour  de  Tangle  sud-est,  175.  Vue 
du  front  est,  176  (pi.  UI). 

Ain-Zaoa.  Redoute  byzantine,  212. 

AimocHB.  Vue  de  l'enceinte,  166. 

BijA  (Vaga).  Plan  de  la  tour  maîtresse 
de  la  casba,  157.  Tours  de  l'enceinte 
byzantine,  220  (pi.  X). 

Bordj-Hallal.  Plan  de  la  citadelle, 
213.  Plan  des  tours  du  front  nord- 
ouest,  214.  Plan  d'une  tour,  154. 
Coupe  d'une  tour,  15S. 

DaR'Bl-Kous  (basilique  de).  Plan  de 
l'église,  423.  Plan  restitué,  424.  Res- 
titution de  la  façade,  425. 

Douoqa  (Tucca).  Plan  du  temple  trans- 
formé en  réduit  fortifié,  181. 

Gastal.  Plan  de  la  citadelle,  603. 

Gublha  (Galama)  .  Plan  de  la  citadelle, 
183.  Vue  d'une  [portion  de  l'en- 
ceinte, 173.   Poterne,  165. 

GoBssès.  Plan  de  la  citadelle,  244. 

Haidra  (Au h abdbha). Plan  général,  194. 
Plan  de  la  citadelle,  195.  Vue  d'une 
toHr  du  front  est,  153.  Vue  exté- 
rieure du  front  est,  frontispice  (pi.  1). 
Vue  intérieure  du  front  est,  196 
(pi.  V).  Vue  extérieure  de  la  porte 
sur  l'oued,  196  (pi.  VI).  Vue  inté- 


rieure de  la  porte,  197.  Escalier  de 

la  courtine,  199.  Vue  restituée  de 

la  citadelle,  164  (pi.  II).  Restitution 

d'une  des  églises,  428. 
HB'tCHiR-SooiDAN.  Plan  de  la  citadelle, 

283. 
Hb?icbir-Sidi-Amara  (Aooar).  Plan  de 

la  redoute,  179. 
Kairouan.  Chapiteaux  byzantins  delà 

grande  mosquée,  421. 
Ksar-Atman.  Plan  de  la  citadelle,  612. 
Ksar-Bagai  (Baoai)  .  Plan  de  l'enceinte, 

192.  Plan  du  réduit  de  la  citadelle, 

193.  Plan  d'une  tour,  153. 
Ksar-Bbllbzma.  Plan   de  la  citadelle, 

251.  Plan  de  la  porte,  158. 

Ksar-Maizhra.  Appareil  du  mur,  149. 

Rsar-Sbéhi  (Gadiadfala).  Plan  de  la 
citadelle,  608. 

Kbp-Bbziocm  (Zattara).  Plan  de  la  ci- 
tadelle, 610. 

Kbf-Rhbrraz.  Plan  de  la  citadelle,  613. 

K.BSSBRA  (Ghusira).  Plan  de  la  cita- 
delle, 282. 

LoRBBUs  (Laribos).  Plan  de  la  cita- 
delle, 273. 

LEusA.Plande  la  forteresse,  208.  Plan 
des  tours,  209.  Vue  générale,  206. 
Vue  du  front  sud-ouest,  207  (pi. 
VIII).  Vue  intérieure,  207  (pi.  IX). 

MDAouRoncH  (Madaurb).  Plan  de  la 
forteresse,  204.  Plan  d'une  I  tour, 
151.  Plan  de  la  porte,  161.  Vue  de 
la  porte,  162.  Entrée  de  la  tour  est, 
205  (pi.  Vil). 

MiLA  (MiLBu).  Plau  de  Penceinte,  604 . 


620 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Ra8-bl-0ukd  (Th%]|alla).  Plan  de  la 
citadelle,  255. 

SsâiTLA  (Sufbtula).  Plan  général,  278, 
Plan  d'un  fortin,  293. 

Sbiba  (Sufss).  Plan  deFenceinte,  280. 

SéTiP  (SiTiFis).  Plan  de  l'enceinte,  256. 
Vue  de  l'enceinte  en  1844,  257. 

Taoura  (Taoodra).  Plan  de  la  citadelle, 
606. 

TÉBB88A  (Thévestb).  Plan  de  l'enceinte, 
186.  Porte  Solomon,  188  (pi.  IV).  Vue 
intérieure  d'une  portion  de  l'en- 
ceinte, 187.  Vue  de  la  basilique,  430 
(pi.  XI). 

Tbboorsouk  (Thubursicuh  Bdrb).  Plan 
de  la  citadelle,  275.  Tour  avec  ar- 
chère,  156.  Appareil  du  mur,  176. 


Porte  antique  murée  dans  Tenceiote, 
178. 

Thélbptb.  Plan  de  l'enceinte,  189.  Plan 
des  tours,  191. 

TiPBGii  (Tipasa).  Plan  de  l'enceinte, 
218.  Appareil  du  mur,  177. 

Tihqad  (Thahdoaoi).  Plan  de  la  forte- 
resse, 200.  Plan  d'une  tour,  202. 
Plan  de  la  porte,  203.  Vue  exté- 
rieore  du  front  ouest,  201. 

Tobna  (Tobunab).  Plan  de  la  forteresse, 
216. 

Zana  (Diana  Vbtbranoruh).  Plan  de  la 
forteresse,  253.  Plan  de  la  redoate 
construite  aatour  de  l'arc  de  triom- 
phe, 180. 

Zraia  (Zarai).  Plan  général,  252. 


TABLE  ANALYTIQUE 
DES  MiTlÊRES,  DBS  NOMS  DE  LIEUX  ET  DE  PERSONNES 


Nota.  —  Les  noms  géographiques  soat  en  pritis  capitales»  ceax  de  personnes  en  italique. 


Ab  actis.  V.  Administration  civile  (of- 
ficium),  p.  112,  130. 

Abbia-Major,  p.  416. 

Abdallah  ibn  Saad,  p.  529;  attaque 
l'Afrique  byzantine,  p.  558;  bat  Gré- 
goire àSbéitla,  p.  559;  évacue  l'A- 
frique, p.  560. 

Abdallah  ibn  Zobéir,  p.  559. 

Abd-el-Melik,  p.  580,  581. 

Abigas,  p.  89,  241,  405. 

Abitina,  p.  416. 

Abou-Mohadjiry  p.  675. 

Aboul-Mehacirif  p.  515. 

Acéphales,  p.  441. 

Acholla,  p.  415. 

Ad  Cbntbnarium,  p.  35,  74,  253. 

Adjacium,  p.  471. 

Adjutor,  p.  111. 

ADMINISTRATION  CIVILE  :  1»  Sous  Jus- 
tinien. 

Le  préfet  du  prétoire,    p.    98-101. 
Ses  consiliarii,  p.  102. 
—  cancellarii^  p.  103. 
Son  offîcinm,  p.  103-105. 
Ses  scholae,  p.  105-107. 
Les  provinces  :  leur  nombre,  p.  107- 

111. 
Les  gonveroeurs,  p.  111-112. 


Les  gouverneurs  :  leur  traitement 
p. 112-113. 

—  ils  exploitent  les  pro- 

vinces, p.  113-114. 

—  Juslinien  veut  y  re- 

médier, p.  114-115. 

—  Ses  intentions  inté- 

ressées, p.  115. 

Cette  organisation  modifiée,  p.  116- 
118. 

Ce  qu'elle  coûte,  p.  385. 

20  Sous  Justin  II  et  Tibère,  p.  464. 

30  Sous  Maurice. 

Elle  est  modifiée,  p.  466. 

Nombre  des  provinces,  p.  467-471. 

Les  pouvoirs  civils  et  militaires  réu- 
nis :  l'exarque  et  le  préfet,  p.  471- 
474. 

Création  de  l'exarchat,  p.  478. 

L'administration  provinciale,  épar- 
chies,  judlces,  praesides,  ducs, 
tribuns,  p.  474-478. 

Difficulté  de  connaître  le  détail^ 
p.  483. 

L'exarque  :  honneurs,  p.  484. 

Attributions  militaires,  p.  485. 

—  religieuses,  p.  486. 

—  civiles,  p.  487. 

—  judiciaires,  p.  488. 

—  financières,  p.  488. 


622  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Ses  auxiliairoSf  p.  488. 

Le  préfet  :  honoeurs  et  attributions, 

p.  489-491. 
Ses  auxiliaires,  p.  491-492. 
L'administration  provinciale  : 
Le  praeses  ou  judex,  p.  492. 
Investiture,  p.  492-49:^. 
Attributions,  p.  493-494. 
Les  duchés  et  les  ducs,  p.  494-495. 
Attributions  et  auxiliaires,   p.  497- 

499. 
Les  employés  subalternes,  p.  499. 
Comes  et  palatini  privatarum,  p.500. 
Employés  de  finances,  p.  500,  fSOl. 
Fonctionnement  de  cette  adminis- 
tration, p.  503-507. 
Ses  relations  avec  TÉglise,  p.  507- 

p.  516. 
(<>  Sous  Héraclius. 
Relâchement  de  la  discipline,  p.  537- 

538. 
Pénurie  du  trésor,  p.  538. 
ADMINISTRATION  MIUTAIRK. 
Son  but,  p.  119. 
Bélisaire  ea  o.st  chargé,  p.  119. 
Haute  direction  de  Justinien,  p.  120. 
Ck>mpo8ition  do  l'armée,  p.  121. 
Le  magister  militura  Africae,  p.  122. 
Sa  maison  militaire,  p.  123. 
Le  domesticus,  p.  124. 
Le  magister  peditum,    les  tribuui 

et  les  comités,  p.  124. 
lyes  sous-officiers,  p.  125. 
L'^mée  mobile  :  composition,  p.  125. 
Rôle,  p.  125-126. 
Les  divisions  militaires  de  l'Afrique 

(les  limites},  p.  126-127. 
Les  ducs  attributions,  p.  127-128. 

—  maison  militaire,  p.  128. 

—  privilèges,  p.  129. 

—  auxiliaires,  p.  129. 

—  officium,  p.  130. 

Les  ducs  du  vi«  siècle,  p.  131-133. 
Les  limitanei,  p.  133-135. 
Pourquoi  établis,  p.  136-137. 
Le  système  défeusif  africain,  p.  138- 
226. 


L'occupation  militaire,  p.  226-298, 
334. 

Les  Trais  de  cette  administration, 
p.  385. 

Ck>mment  modifiée  soos   Maurice, 
p.  471-481. 
Ad  Majorks,  p.  2Ki,  247. 
AdMbdias,  p.  245. 
Ad  Phabcisum,  p.  427. 
Adscriptitii,  p.  395,  396.  397. 
Ad  Turrbs,  p    245. 
Aerarium.    Cf.    Préfet    du  prétoire, 

p.  100. 
Africanus  exercitus,  p.  587. 
AoAOïR,  p.  267. 
Agapet,  p.  40. 
Agaldhnus  mons,  p.  303. 
Agaihias,  p.  381,454,  455. 
Agbia,   p.  150,    152  n.,  178,  210,  217, 

220,  222,  277,  285,  458. 
Aooar,  p.  179,  182,  205  n.,  281. 
Agriculture,  p.  393,  406. 
Ain  Beida,  p.  241,  287,  295,  422. 
A[N-Bou-Dris,   p.   169,   211,  2il,  234, 

238,  272. 
Ain-Djoukar.  Cf.  Zucchara. 
Am-EL-BoRDJ.  Cf.  Tioisis. 

AlN-BL-KsAR.  Cf.  TaDCTTI. 
Al.vGUBTTAR,  p.  286. 

Ain-Ghorab,  p.  240,  422 

AlxN-GuiBBR,  p.  240. 
AiN-HbDJA.  Cf.  AOBIA. 

Ain-Mdeker.  Cf.  Mbdicbrra. 
Ain-Saboun,  p.  240. 
Ain-Skqgar,  p.  240,  422. 
ArN-SoLTAN,  p.  422. 
Ain-Taki,  p.  295. 
Ain-Tasseha,  p.  254. 
Ain-Tbbbknouk.  Cf.  Tobbrnuc. 
Aln-Tbhouchbnt.  Cf.  Sa  far. 
Am-TiLiDJB.N,  p  .240. 
Am-TouMBLLA,  p.  234. 
Am-TounoA.  Cf.  Thionica. 
Ain-Zaoa,  p.  212. 
AiN-ZouzA,  p.  294. 
Aioun-Bbssbh,  p.  261. 
Albru,  p.  471. 


TABLE  ANALYTIQUE 


623 


Aloésiras,  p.  536. 

Ali-Bbn-Sabor  (Monts),  p.  252. 

Altava,  p.  43,  263,  264,  265,  327. 

Althibdros,  p.  269,  281,  il7. 

AmabiliSj  magister  militum  d'Afrique, 
p.  459,  597. 

Amalasonthey  p.  15. 

Amamra  (Tribu  des),  p.  241,  541. 

Ammaedera,  p.  150  D.,  151  n.,  152  n., 
153, 161  n.,  164  n.,  169, 174, 180, 182, 
185,  194,  195,  19d,  205,  217,  220  n., 
221,  235,  238,  271,  277,  291,  293,  421, 
423,  428. 

Amrou,  eoYahit  TÉgypte,  p.  553,  558, 
565. 

Anacutasur  (Tribu  des),  p.  303. 

Anastase,  questeur  du  palais,  p.  457. 

Anatoliques  (Thème  des),  p.  587. 

Anazarbb,  p.  164. 

Annona,  p.  321,  324. 

Announa.  Cf.  Thibius. 

Anonyme  (Tactique  de  T),  p.  29,  55, 
143,  147,  148,  149,  152,  163,  174. 

Antalasj  chef  maure,  p.  42,  65,  304, 
312,  315,  317,  321,  324,  325,  330,  341, 
342,  34i,  345,  348,  351,  353,  356,  357, 
360, 366,  368,  369,  372,  376,  377,  379. 

Antioghe,  p.  164,  166,  185. 

Antonin  (Itinéraire  d'),  p.  235. 

Antonine,  p.  340. 

Aphrodisiom,  p.  182  n.,  270,  295,  401. 

APTUifGi,  p.  416. 

Aquab  Rbgub,  p.  269,  272,  279. 

Aquae  Sirbnses,  p.  263* 

Aquae  Thibilitinae,  p.  417. 

Arabes,  envahissent  l'Egypte,  p.  532, 
543, 553,  555  ;  en  Tripolitaine,  p.  557, 
en  Byzacène,  p.  558, 560  ;  leurs  histo- 
riens, 563;  pénètrent  en  Byzacène 
sans  résistance,  567,  568;  songent  à 
un  établissement  durable,  p.  571; 
appelés  par  un  usurpateur,  arrivent 
à  Chalcédoine,  572  ;  constituent  l'A- 
frique en  gouvernement,  p.  572. 

Arabie,  p.  112. 

Archélaos,  p.  98,  596. 

Aréobinde,  magister  militum  d'Afri- 


que, p.  117,  122,  338,  348,  350,  351, 
352,  354.  Sa  mort,  p.  355,  440,  596, 
597. 

ARiféR  BYZANTINE,  p.  12,  16-17;  indis- 
cipline, p.  27,  30,  44,  76,  82,  336; 
mécontentement,  p.  45  ;  armement, 
p.  53;  tactique,  p.  54-58,  140;  ef- 
fectifs, p.  67  ;  révoltée  contre  So- 
lomon,  p. 75-87  '«nouvelle armée  en- 
voyée en  539,  p.  87;  épurée  par  So- 
lomon,  p.  88;  solde,  p.  100;  sub- 
sistances, p.  100,  335.  L'armée  d'oc- 
cupation. Cf.  Administration  mili- 
taire ,  p.  119-122, 125-126,  334-335 ; 
réduite,  p .  350, 360  ;  forte  surtout  en 
cavalerie,  p.  367,  460. 

Arméniaques  (Thème  des),  p.  587. 

Arménie,  p.  139. 

Arsuris,  p.  377. 

ArtcU>an€f  magister  militum  d'Afrique, 
p.  356  ;  renverse  Guntarith,  p.  357  ; 
ses  dignités,  p.  358,  359,  360,  597. 

Assessor,  p.  111;  du  duc,  p.  130. 

ASSIDONA,  p.  470. 

Assuras,  p.  235,  272,  279,  280,  281, 
285,  294,  377,  417. 

Asirices  (Tribu  des),  p.  230,  231,  319, 
374. 

Alhanase,  préfet  du  prétoire  d'Afrique, 
p.  117,  357,  358,  376,  380,  596. 

AuBuzzA,  p.  272. 

AuoARMi,  p.231,  232. 

AuoiLA.p.  302,324,  326. 

AUMALE,  p.  261. 
AONOBARIS,  p.   275. 

Auraba  (Tribu  des),  p.  527,  539,  575, 
588. 

AuRÈs,  p.  11,  43,  44,  64,  66,  71,73,  8S, 
90,  91,  170,  226,  237,  238,  240,  242, 
247,  286,  305,  308, 329,  852,  470,  494, 
527,  529,  576,  577,  579,  580,  585. 

Austures  (Tribu  des),  p.  301,  364,  368. 

Adtbnti,  p.  363,  415,  535. 

Auxiliaires  berbères,  p.  72,  73 . 

Avares,  p.  459,  482,  531. 

AviTTA-BlBBA,  p.  294. 
AZEFFOON.  Cf.   RUSIPPISIR. 


624  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Babdr  (Massif  du),  p.  258,  259,  307. 

Baggbnsb  (Monastbridm),  p.  427. 

Badias,  p.  245,  246,  247,  248,  305,  530, 
576. 

Badis.  Cf.  Badias. 

Badja.  Cf.  Vaga. 

Bagai,  p.  88, 132,  163  n.,  170,  185,192, 
193,  194,  217,  220,  221,  223,  241,  243, 
247,  249,  291,  4ii2,  470,  530,  535,  577, 
584. 

Baoavaliana,  p.  415. 

Baoradas,  p.  43,  170,  214,  284,  304. 

Bahi&bt-bl-Abnbb,  p.  240. 

Bahibbt-et-Touila,  p.  222,  287. 

Bahiret-Mbgubntbl,  p.  240. 

Baléarbs  (Iles),  p.  36,  110,  261,  447, 
467,  469,  536. 

Barbari  Transtagnenses^  p.  307. 

Barca,  p.  571,  579,  580,581,  584. 

Barcéensy  p.  301. 

Bargou  (Le),  p.  277,  294. 

Batna,  p.  242,  245,  251,  293. 

Bb  (fleuve),  p.  301. 

Beccaria  (Col  de),  p.  234,  238. 

BéjA.  Cf.  Vaga. 

Bélisaire,  p.  17, 18,  19,  22,  23,  24,  25, 
27;  son  imprudence,  p.  30-32;  me- 
sures qu'il  prend  au  lendemain  de 
la  conquête,  p.  37,  47,  49,  50,  67; 
en  Sicile,  80  ;  rappelé  à  Carlhage  par 
la  révolte  des  soldats,  p.  80  ;  sauve  la 
ville,  id.  ;  bat  Stotzas,  p.  80  ;  retour 
en  Sicile  p.  81,  87;  chargé  d'orga- 
niser militairement  l'Afrique,  p.  119, 
120,  124,  184, 313,  317,  338,  355,  363, 
371,  380,  383,  596. 
Bbllbzma,  p.  149  n.,  160  n.,161  n.,  111, 

184,  210,  217,  220,  223,  252,  530. 
Bbllota  (Lb),  p.  277,  281. 

Bbni-Salah  (Monts  des)  p.  289. 
Berbères.  Cf.  Maures, 

Berghouata  (Tribu  des),  p.  540. 
Bbsgbra,  p.  238,  245. 
Bbsseriaiii.  Cf.  Ad  Majores. 
fiiarchus.  Cf.  Administration  militaire, 


(sous-officiers)   (officium   du  duc), 

p.  130. 
BiBAifs  (Défilés  des),  p.  258. 
Bir-bl-Hbc8Gh,  p.  182  n.,  294. 
Bir-Odh-Ali,  p.  234. 
Bir-Tbr8AS,  p.  275,  285. 
BisiCA,  p.  416. 

B[8KRA.  Cf.  BeSGBRA. 

Bizbrtb.  Cf.  HiPPONB  Diarrhttb. 

Boethus,  p.  440,  446. 

Boétius,  magister    militum  Africae, 

p.  597. 
Bon  (Cap),  p.  270,  297,  304,  406,  409. 

BONE.  Cf.    HiPPONB. 

Bordj-bod-Arkbridj.  Cf.  Tamanuiiiia. 

Bordj-Hallal,  p.  154, 155  n.,  170,  £13, 
214,  220,  284. 

Bordj-Mess.aoudi.  Cf.  Thacia. 

Bordj-R'dir,  p.  235. 

BoTRiA,  p.  283,  295. 

Bou-Chbbka,  p.  234,  406. 

BOD-DjBLtOA,  p.  294. 

Bou-Ficha,  p.  422. 

Bougie.  Cf.  Saldab. 

Bou-Mbrzoug,  p.  281 

PouSaada,  p.  254. 

Buccinaîor.  Cf.  Administration  mili- 
taire (duc,  maison  militaire),  p.  128. 

BUI.LA  Regta,  p.  32, 79, 170, 214, 284, 416. 

Borgaon  (Mont,  Bataille  du),  p.  69. 

Byrsa,  p.  3S9. 

Byzac^nb,  p.  11,  23,  35,  40,  43,  47,  65, 
66,  67,  69  ;  fortifiée  par  Solomon, 
p.  74, 107, 109,110,  lll;Ume8p.  126, 
132, 169, 170,226, 229,231  ;  frontière, 
p.  232-237,  246,  249,  261,  263,  268, 
271,  218,  282,  302,  303,  304,  305,  306 
312,313,  314,  315,  321,323,330,341, 
342,  343,  345,  349,  352,  353,  366,  372, 
376,  378,  379,  385, 387, 399,  400,  401, 
403,410,  412  ;lesévêchét,  p.  414,419: 
les  couvents,  p.  427,468,469,470;  le 
limes  divisé,  p.  472, 49  4, 507, 527, 535, 
551  ;  envahie  par  les  Arabes,  p.  558- 
560;  le  sud  échappe  à  Bjzance, 
p.  561,  565,  567,  568  ;  définitivement 
conquise,  p.  572,  577,  579,  580, 588. 


TABLE  ANALYTIQUE 


625 


Cassarba,  p.  36,  43,  108,  110, 126,  171, 

260,  262,  307,  468,  495. 
Caesariua,  patrice,  p.  524,    53t,  597. 
Galama,  p.  161  D.,  165,  171,  173,  179, 

183, 185,  193,  220,  287,  288,  289,  297, 

417,  422,  470. 
Cancellarii.  Cf.  AdmiDietration  civile, 

p.  103,  lU;  du  duc,  130. 
Ganopb  (Monastèrb  de),  p.  447. 
Gappadogb,  p.  113. 
Gapraria,  p.  289. 
CAP8A,  p.  35,  126,  169,  226,  232,  233, 

234,  236,  237,  277,  279,  291,  303,  388, 

391,  416.  470,  472,  494,  529,  535,  560, 

572. 

CaPCT-VADA    (PROMONTOIRB    DB),  p.    18, 

30,  169,  269,  388,  401. 

Garalib,  p.  470. 

Cat^casan^  chef  maure,  p.  371,  377, 
379. 

Carpi,  p.  416. 

Cartbnna,  p.  263. 

CARTHAGB,p.  20,  22,  23,  28, 35;  concile, 
p.  40,  48;  surnommée  Justinianaj 
p.  40,  46,  66,  67, 68,  73  ;  insurrection 
militaire,  p.  75-8i  ;  capitale  du  dio- 
cèse d'Afrique,  p.  98  ;  99,  108,  109, 
167,  169, 170,  182,  237,  238,  268,  269, 
271,272.284,  286,  289,  291,  297,  317, 
335,  346,  353,  354,  355,  3G6,  369, 
376,  388,  389,  391,  392,  401,  406, 
409,  410,  412,  418,  420,  429,  459, 
462,  482,  492,  510.  543,  551,  569, 
572,  576,  580,  583,  587. 

Carthaoo  Spartaria,  p.  470. 

Gasàe,  p«  224,  295. 

Casab  miorab,  p.  417. 

Cassiodore,  p.  393. 

Castra  Sbvbruna,  p.  264. 

Cannes  {Tribu  des),  p.  304. 

Cbbar,  p.  283,  346. 

Gbbarsussa  p.  415. 

Gbdta,  p.  241. 

Celiani  (Tribu  des) y  p.  303. 

Cbllab.  p.  252. 


Gbllas-Vatari  (Bataille  de),  p.  84,  87, 
363. 

CentenariuB.  Cf.  Administration  mili- 
taire (sous-officiers),  (oCficium  du 
duc),  p.  12i,  130. 

Cbnturub,  p.  287. 

GiSARÉB  DB  CaPPADOCB,  p.    185. 
CéSARlBNNB.  Cf.  MaURÉTANIB. 

Cbuta.  Cf.  Sbptbm. 

CHALCéDOiNE,  p.  434,  522,  572, 

Champs  db  Caton,  p.  378. 

Ghartularii.  Cr.  Administration  civile 
(scholae),  p.  105, 111, 112.  Cf.  Admi- 
nistration militaire  (sous-offlciers), 
p.  125. 

GlIBMTOU.  Cf.   SlMirTHU. 
CllBRGHBL.  Cf.  CaBSARBA. 

Chbria,  p.  240. 

Chilmi,  p.  427. 

Choba,  p.  259,  296,  605. 

Chosroès,  p.  364,  519,  522. 

Ghotts  (Région  des),  p.  91,  226,  228, 
232,  243,  247,  255,  373,  535. 

Chottrl-Fbdjedj.  p.  230,  233. 

Chott-bl-Fraini,  p.  252. 

Chott-bl-Gharsa,  p.  233,  245. 

Ghrybopolis,  p.  i71. 

Cbubira,  p.  170,  217,  277,  281,  422. 

Cilibia,  p.  270. 

CiLLiUM,  p.  234,  238,  277,  279,  293, 
343,  352,  370,  416,  421,  42o,  429, 
470. 

Circitores.  Cf.  Administration  mili- 
taire (officium  du  duc),  p.  130. 

GiRTA.  Cf.   CONSTANTIMB. 

Citadelle  byzantine  (La),  p.    145-167. 
CiviTAS  Nattabdtuii.  p.  295. 
CLYPEA.p.  297,  416. 
Cohortales.  Cf.  Administration  civile 

(scholae),  p.  104. 
Collectarii,  p.  500. 
Goloni,  p.  395,  396. 
Coiumbus,  évèque  de  Nnmidie,  p.  509. 
Gomes  privatarnm,  p.  500. 
Comités.  Cf.  Administration  militaire, 

p.  124. 
Comitiolus,  p.  495. 

40 


G2G  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Commeutariensié.  Cf.  AduimistratioD 

civile  (officium),  p.  404,  111. 
Commerce,  p.  406. 
Commerciaires,  p.  500,501. 
Comte   (de  Paphlagonie),  p.  113. 
Consiliarii.  Cf.  Admioisiration  civile, 

p.  102,  111,  112,  130. 
Co/i*/a7i^i/,  empereur,  p.  501,  527,549, 

551,  554,  556;  promulgue  le  Type,  p. 

566  ;  reprend  une  partie  de  l'Afrique, 

p.  567  ;  ea  lyranuie  financière,  p.  569  ; 

transporte  sa  résidence   en  Sicile, 

p.  569;  envoie   une   expédition  en 

Afrique,  p.  570;  assassiné,  p.  571. 
Constantin  lll,  empereur,  p.  545,  555. 
Constantin  Pogonat^^.  501,  empereur, 

p.  572;  défend  Byzauce  contre   les 

Arabes,  p.  576. 
CoNSTANTiNB,  p.  35  ;  résidence  du  duc 

de  Numidie,  p.  36,73,  126,  170,171, 

237,241,  244,  272,  273,  284,  286,  288, 

289,  417,  458,  470,  494. 
Construction  militaire  byzantine  [prin- 
cipes généraux). 

La  ville  forte,  p.  145-148. 

Le  mur,  p.  148-150. 

Le  chemin  de  ronde,  p.  150-152. 

Les  tours,  p.  152-159. 

Les  portes  et  poternes,  p.  159-163. 

Le  réduit  fortifié,  p.  163. 

Les  réservoirs,    magasins,  écuries, 
p.  164. 

Un  type  :  Antioche,  p.  164-167. 

Les  villes  fortes   d'Afrique,  p.  ^167- 
172. 

Comment  les  principes  de  la  cons- 
truction sontappliqués,  p.  172-185. 

Les  types  de  forteresses  africaines, 
p.   185-215. 

Forme,  dimensions,  situation,  p.  215- 
226,  334. 
Cousulares.  Cf.  Administration  civile, 

p. 107,  110,  111-113. 
Coptes,  p.  553. 
COKDUBA,  p.  470. 
CORBVA,  p.  277,285. 
Corippus,  p.  61,  92,  131,  231,235,  248, 


301,308,  319,  324,  330,  359,  364,  366, 
383,  386,  393,  400,  401,  402,  458. 

CORSB,  p.  36,  110,  380,  469,  499,  504, 
509,  536. 

Coutsina,  chef  maure,  p.  42,  65,  66, 
305,  315,  316,318,324,  330,  342,351, 
352,  353,  361.  367,  372,  376,  456. 

GiJrcuL,  p.  258,  290,  297,  417,  444. 

Cursores.  Cf.  Administration  civile 
(scholae),  p.  105. 

CcRUBis,  p.  297,  304,  416. 

Cyrénaique,  p.  226,  228,  301,  339,  467, 
581. 

Cyrus,  patriarche,  p.  339,  547  ;  négo- 
cie avec  les  Arabes,  p   5r»3. 

D 

Dakhla  des  Oulbo-bou-Salbh,  p.   284. 
Damous-bl-Karita   (Basilique  de),  p. 

391,  420. 
Dar-el-Rous   (Basilique   de),  p.    422 

423. 
Dara,   p.  145  n,  147,  158,  164,  364. 
Decihum,  p.  13,  21,  22,  30,  32. 
Diana   VfiTBRANORUM,  p.   43,    182,  168. 

217,  251,  253,  470. 

DlODIGA,  p.   301. 

Djama.  Cf.  Zama  Major. 

Djazika  (Presqa^lle  de  la),  p.  575. 

DjEBBL-AaHERODBL,  p.  252. 

Djebbl-Amran,  p.  242. 
Djbbel-Arbbt.  Cf.  Agalumnus  Mons. 
Djbbbl-Arip,  p.  243. 
Djebbl-Bod-Talkb,  p.  254. 
Djbbel-Chaubi,  p.  238. 
Djbbbl-Dbbab,  p.  289. 
Djbbel-Dbrnaia,  p.  234. 
Djbbbl-Dir,  p.  238. 
Djbbbl-Fbdjouoj,  p.  243. 
Djebbi.-Mbssaooda,  p.  252. 
Djebel- .M EST AOUA,  p.  251. 
DjEBEL-MOUASSA,  p.  252. 

Djbbel-Mrilah,  p.  281. 
Djbbel-Nbfouça,  p.  228. 
Djebbl-Seffan,  p.  243. 
Djbbel-Sbjiiiana,  p.  238. 


TABLE  ANALYTIQUE 


627 


Djebel-Serdj,  p.  281. 
Djbbel-Touogouh,  p.  250. 

DJBBBL-YOUHBS.  Cf.  MaGDBIUS. 

Djbbibina,  p.  217,  277,  282,  283. 

Djbdar,  p.  266,328. 

Djrloula,  p.  163  n.,  170, 193, 194,  235, 

236,  281.  529,  568,  571. 
Djbmila.  Cf.  Gcicul. 
Djenaha.  Cf.  Habakiah. 
Djeraoua  (Tribu  des),  p.  539. 
Djbrba.  Cf.  Mbninx. 
Djrrid  (Oiisis  du),  p.  527,  539,  560. 
Djbzza.  Cf.  Aubuzza. 

DjIDJELLI.   Cf.  lOILGILIS. 

Domesticus.  Cf.  Administration  mili- 
taire, p.  124. 

Dominique ,  évoque  de  Carthage , 
p.  509. 

Domus  divina.  Cf.  Préfet  du  prétoire, 
p.  100. 

Donati8te8,p.  328,  408,  503,508. 

AopU9&poi,  p.  123,  133. 

DOUOGA.  Cf.  TUCCA. 

Draconarii.  Cf.  Administration  civile 
(scholae),  p.  105. 

Dréa  (Plaine  de),  p.  74,  222. 

Drubiliana,  p.  273. 

Ducenarius .  Cf.  Admistration  militaire 
(Bous-officiers)  (ofôcium  du  duc], 
p.  124,  130. 

Ducs,  p.  100.  Cf.  Administration  mi- 
litaire (ducs),  p.  127-129,  322,  475, 
494-498;  de  MauréUnie,  p.  110;  de 
Numidie,  p.  132.  290;  de  Byzacène, 
p.  132,  472;  de  Tripolitaine,  p.  131. 

Ddpbrrâ.  Cf.  Oppidum  Novum. 

E 

Ebba.  Cf.  Obba. 

Ectbésis  (d'Héraclius),  p.  542,  566. 

ÉDKSSE,  p.  158. 

Eoouou  (Massif  de  T),  p.  296. 

Église  arienne,  p.  38,  40,  48,  328,  408. 

Église  catholique,  p.  10,  38,  40,  101, 
264,  326  ;  son  intolérance,  p.  386, 393, 
394,  395,  398,  407  ;  son  état  précaire 


I  avant  Justinien,  p.  408,  409;  son  or- 
ganisation sous  Justinien,  p.  410- 
418;  la  protection  impériale,  p.  418, 
419;  les  constructions  religieuses, 
églises,  p.  420-427  ;  monastères, 
p  .  427-430  ;  couvents  fortifiés , 
p.  430;  les  prélats,  p.  431,  432; 
le  despotisme  impérial,  p.  433;  la 
querelle  des  Trois  Chapitres,  p.  434- 
449;  protectrice  des  sujets  oppri- 
més, p.  502,  506;  relâchement  de  la 
discipline,  conflits,  p.  507-509;  Gré- 
goire le  Grand  y  remédie,  p.  509-511; 
rapports  de  la  papauté  et  de  l'Église 
avec  l'administration,  p.  5H-516;  la 
querelle  du  monothéiiame,  p.  542- 
552;  le  Type  de  Constant  II,  p.  566; 
fin  de  la  querelle  du  monothélisme, 
p.  576;  décadence  sous  la  domina- 
tion arabe,  p.  591. 

El- A  lia.  Cf.  AcHOLLA. 

El-Aouara,  p.  289. 

El-Attaba,  p.  238. 

El-Bekriy  p.  221,  248,  265,  567. 

El-Ueladori,  p.  563,  581. 

ElDjbm.  Cf.  Thysdrus. 

Eleuthérius,  p.  570. 

EL-Fiiw,  p.  241. 

El-Hassi,  p.  422. 

El-Kantara,  p.  245,  250,  479. 

El-Kenèis  (Monastère  d'),  p.  427. 

EL-Ksoun,  p.  245,  248. 

Ellez,  p.  294. 

El-Madbr.  Cf.  Casab. 

En-Noveiri,  p.  528,  558,  563,  575,  582. 

Éparchies,  p.  474,  492.   Cf.   Adminis- 
tration  civile,    p.  107-111,  467-471. 

Epiphania,  p.  519. 

Erg,  p.  373. 

Erogator,  p.  500. 

Esdilasa,  chef  maure,  p.  42,  66. 

Espagne,  diocèse,  p.  109;  villes  grec- 
ques, p.  469-470. 

ËTiBNNK  (Saujt)  (MonasïBhb  de),  p.  429. 

EucHAiTA,  p.  440,  445. 

Eudocie,  p.  519,  521. 

Evagrius,  p.  387. 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Exarque,  p.  473;  quand  créé,  p.  478; 
coDséquences,  p.  481,  482.  Cf.  Admi- 
nistration civile,  p.  484-488. 

Exceptores.  Cf.  Administration  cÏTiie 
(scholae),  p.  105,  111. 

Excubiteurs.  Cf.  Administration  mili- 
taire (armée  mobile),  p.  123. 


Facundusy  évoque  d'Heroûane,  p.  432 
436,  437,  438,  439,  441,  447. 

Fahs,  p.  282,  283,  294. 

FausIana,  p.  471. 

Fbdj-Rbttala,  p.  233. 

Fedj-Sila,  p.  287. 

Fbdj-Souioud.  Cf.  Vatari. 

Félicien,  p.  432. 

Félix,  abbé,  p.  437,  438,  448. 

Fbriana.  Cf.  Thâleptb. 

Ferrand,  p.  432,  435. 

Fezzan,  p.  302,  327,  557,  571. 

Firmus,  p.  439,  440,  444,  446. 

Flissa  (Tribu  des),  p.  307. 

Flotte  byzantine,  p.  17,  22,  36. 

Foederati,  p.  28,  29.  Cf.  Administra- 
tion militaire  (armée  mobile),  p.  125, 
132,  133,  323. 

FossALA,  p.  171,  296,  417. 

FouçANA  (Plaine  du),  p.  234,  238,  271, 
279,  293. 

Fouu-bl-Afrit,  p.  281. 

FOUM-BL-GUEFBL,  p.  281. 

Foum-bl-Guei88,  p.  242. 
Foum-el-Hallik,  p.  287. 
Fouh-el-Mallbo,  p.  240. 
FOUM-KOSANTINA,  p.  242,  244. 
FouM  Tatauouinb,  p.  232. 
Frechich.  Cf.  Frexes. 
Frbnoa,  p.  43,  264,  328. 
Frexes  {Tribu  des),  p.  42,  303,  312. 
Fulgence  (Saint),  p.  427,  432. 
FuRiii,  p.  416. 


GABÈs.Cf.  Tacape. 
Gadabitani  (Tribu  rfes), 


p.  301,  326. 


Gadès,  p.  43,  110,  307,  343. 

Gadiaupala,  35,  82,  171,  210  n.,  287, 
288,  289,  601,  607-609. 

Gafsa.  Cf.  Capsa. 

Galuca.  Cf.  Marta. 

Garamantes  (Tribu  des),  p.  302,  327, 
372,  458. 

Garmul,  roi  maure,  p.  460,  461,  463. 

Gastal,  p.  210, 217, 220 n,, 238,602-603. 

ôélimer,  roi  des  Vandales,  p.  5,  6, 14, 
18,21,  24,  33, 17,  50,  86,  97,  393,  409. 

Gbjibllab,  p.  233. 

Gennadius,  exarque,  p.  328,  462  n., 
463,  478,  479,  481,  487,  504,  512,  513, 
514,  597. 

Genséric,  roi  des  Vandales,  p.  41,  43, 
46,  394. 

Gentiles.  Cf.  Administration  militaire 
(armée  mobile),  p.  125, 323,  324. 

Georges  de  Chypre,  p.  109,  110,  246, 
248,  260,  267,  466. 

Georges,  préfet  d'Afrique,  p.  537, 
543,  548,  597,  614. 

Gerois,  p.  229,  303. 

Germanos,  magister  militum  d'Afri- 
que; sa  politique  à  l'égard  des  révo- 
ltés, p.  83,  84;  des  chefs  indigènes, 
p.  84;  bat  Stotzas,  p.  84-86;  réta- 
blit l'ordre,  p.  86;  rappelé  &  By- 
zance,  p.  87;  gouverneur  général 
d'Afrique,  p.  117,  122,  123,317,  347; 
magister  militum  et  préfet,  p.  471, 
596. 

Grahamès,  p.  302,  326. 

Gaudiosus,  p.  496. 

Gibba,  p.  295. 

GiLLiTANUM  (Monasterium),  p.  429. 

Girba,  p.  229,  414. 

GiSOONZA.  Cf.  Sagortia. 

GiDF,  p.  416. 

Goums,  p.  300,  323. 

Gourata.  Cf.  Gusiuous. 

Grammatici,  p.  106. 

Grasse,  p.  401. 

Gratiana,  p.  415. 

Grégoire,  officier  byzantin,  p.  337, 
366,  402. 


TABLE  ANALYTIQUE 


629 


Grégoire,  patrice,  p.  517,  523,  524, 
532,  54C,  550,  554  ;  se  proclame  em- 
pereur, p.  555,  556;  laisse  les  Ara- 
bes prendre  la  Tripolitaiue,  p.  557, 
558;  battu  et  tué,  p.  559,  561,   597. 

Grégoire  (Saiut),  p.  328,  476,  481,  490, 
496, 504;  réforme  l'Église  d'Afrique, 
p.  508-510;  ses  idées  sur  la  respon- 
sabilité administrative ,  p.  511  ; 
intervient  dans  l'administration  , 
p.  512-516. 

Gregoriùy  p.  524,  526. 

Grouubalia,  p.  271. 

Guarizila,  chef  maure,  p.  341. 

Guela4-Sidi-Yah[a,  p.  287,  606-607. 

Guilaat-bod-Atfan,  p.  611. 

GOBLHA.  Cf.  GaLAMA. 

Guenfan,  chef  maure,  p.  42,  312,  325. 
Gobrah-rl-Tarp,  p.  241,  243. 
Gdbssès,  p.  i5?n.,159  n.,  163  n.,  194 

n.,  221,  243,  291. 
Gubst,  p.  240. 
GuNUGDS,  p.  262. 
Gunlarithf   officier  byzantin,  p.   88, 

132,  133;  révolté,  p.    352,  358,   440. 
Gurzil^  dieu  maure,  p.  325,  370. 

H 

Habakiah,  gouverneur  de  l'Afrique, 
p.  565. 

Haivibb-bl-Aioun,  p.  422,  426. 

Hadromètb,  p.  132,  169,  224  n.,  269, 
277,  279,  282,  283,  345,  346,  347,  356, 
369,  388,  391,  401,  415,  420,  421,427, 
431,  470,  472,  494,  535,  568,  580. 

Haidra.  Cf.  Ahmabdbra. 

Hammav-bbl-Hanbpia.  Cf.  Aquak  Si- 

RENSE8. 

Hammam-Darradji.  Cf.  Bulla  BForA. 
Hamuauet,  p.  270. 
Hammam- LiF,  p.  270. 
Hammam-Zshiba,  p.  295. 
Hammam-Zoukra.  Cf.  Trigibba. 
Haouch-Khima-hta-Darrouia,  p  .    212, 

292. 
Hassan  ibn  Noman,  p.  563,  581,  584, 

585,  587. 


Hbnchir-Adjedj,  p.  240. 
Hbnchir-Batria.  Cf.  Botria. 
Hbnchir-Bksra.  Cf    Mozuc. 
Hencuir-Bez.  Cf.  Vazis  Sakra. 
Henchir-rou-Aouîa,  p    295. 
IIenchir  bod-Azza,  p.  611. 
Hknchir-bod-Ftis.  Cf.  Avitta  Bibba. 

flBNCaiR-BOD-LARÊS.   Cf     0.1EI.LABA. 

Hbnchir-Bouraoui,  p.  240. 
Henchir-bou-Sebaa,  p.  238. 
Henchir-Cheraorag,  p  .  295. 
Hbnchir-Dbrmoulya.  Cf.  Corbva. 
îIbnchir-Douahis.  Cf.  U«:i  Maji:s. 
Uenchir-bl-Bvroud,  p.  293. 
Hbnchir-bl-Hammam,  p.  238,279,295,29(). 

HBNCHfR-BL-KsOUB,  p     295. 

Hbnciiir-Fragha.  Cf.  Uppbnna. 
Hbnchir-Halloufa,  p.  242. 
Hbnciiih-Kacuoun.  Cf    Mozuc. 
FIbnchir-Kasbat.  Cf.  Thuburgo  Majcs. 
Hbnchir-Kblbia.  Cf.  Cilibia. 
Henghir-Kbrn-bl-Kbbch.  Cf.  Aunobaris. 
Hbnchir-Ke8hbta,  p.  210  n  ,  295. 
Hbnchir-Rbadbm,  p.  293. 
Henchir-Rhahor,  p.  292. 
Hbuchir-Khattbb,  p.  295. 

HbNCHIR  >Kl88A,   p.  610. 

Hbnchir-Kokbgh,  p.  272. 
Hbnchir-Rouchbatia.  Cf.  Thimidum  Burb. 
Hbnghir-Kodki,  p.  294. 
Henchir-Krakbr,  p.  295. 
Hekciiir-Maatria.  Cf.  Numlulis. 
Hbnchtr-Maizra,  p.  279,  293. 
Henchir-Mahra,  p.  242. 

HBNCHIR-MliKTIUBS,  p.   2i0. 

Hexciiir  Mlîya,  p.  242. 
Henchir-Mzira,  p.  233,  292. 
Hbnchib-Nboachîa,  p.  170,  296. 
Henchir-Oghab,  p.  281. 
Henchih-Ouled-Assan,  p.  295. 
Hbmcbir-Oum-el-Abouab.   Cf.    Sbressi. 
Hbnciiir-Oum-Kif.  Cf.  Crdia. 
Hr.nchir-Sbaraoout,  p.  243. 
Hewchir-Sbffa.n,  p.  243 
Hbnchir-Seheli,  p.  294. 
Hbnchir-Souidah,  p.  210  n.,  217, 220  n. 
283. 


630  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Hencbih-Sidi-Ali-Bel-Kassem.  Cf.  Thu- 

fiURMCA. 

Hbnchir-Sidi-Amara.  Cf.  Aggar. 

Hbnchir-Sidi-Khalipa.  Cf.  Aphrodisiuii. 

Henchiii-SidiKhalipat,  p.  295. 

Hbschik-Taoount,  p.  295. 

Hencuir-Tebroubi,  p.  241. 

Hbnchir-Zaoa,  p.  211,  297. 

Hbnchir-Zaktoun.  Cf.  Thaca. 

HBNCHip.-ZonABi,  p.  296. 

HéracliuSf  exarque,  p.  337,  480,  517, 
523,  527,  597. 

IléracliiiSf  fils  du  précédent,  p.  519; 
empereur,  p.  520;  sou  attachement 
pour  l'Afrique,  p.  521  ;  veut  y  transfé- 
rer l'empire,  p.  522;  sa  sollicitude 
pour  la  province,  p.  523,  531;  doit  en 
abandonner  une  partie,  p.  531  ;  relâ- 
chement de  la  discipline  administra- 
tive, p.  537-540;  son  Ecthésis,  p.  542. 

Héraclius  H  Constantin^  empereur, 
p.  501,  526. 

HéraclonaSj  p.  501  ;  empereur,  p.  545. 

HeRGLA.  Cf.  HORREA   Caeua. 

Hkrmè3  (Promontoire  d'),  p.  22. 
Hermiane,  p.  415,  432. 
HilaruSy  notaire  apostolique,   p.  509. 
HUdériCj  roi  des  Vandales,   p.   4,   5, 

213,  408. 
Himérius,  duc  de   Byzacène,  p.   132, 

346. 
HiPPOKE,  p.  46,  167,  171,  284,  286,  287, 

288,  289,  296,  297,  417,  580. 
HiPPONE  DiARUHYTR,  p.  416,  580. 
HoDNA,  p.  11,  43,  64,   71,  90,  91,  138, 

171,  227,  237,  245,  250,  254,  258,  307, 

404,  470,  536. 
Hoouara  (Tr*ibu  des)^  p.  539. 
Horrba  Caelia,  p.  270,  41S. 
HuNtRiG,  roi  des  Vandales,  p.  10,  il. 


labdas,  chef  maure,  p.  43,  64.  65,  70, 
71,  72,  79,  84,  89,  90,  246,  260,  305, 
307,  310,  316,  317,324,  330,  351,  352, 
360,  361,  365,  366,  367,376. 


Ibn  Abd-el-Hakem,  p.  246,  402,    563, 

565. 
Ibn  Khaldoun,  p.  266,  563,  573,  581. 
Ibn  Koteiba,  p.  563. 
Ibn  Rakik,  p.  575. 

/e?*na,chef  maare,  p.  302, 325,  368,  T70. 
Ifisdaias,  chef  maure,  p.  306,  324,  367, 

372,  376. 
Ipi-en  {Tribu  des),  p.  539. 
Ifuraces  {Tnbu    des),    301,  330,  368, 

371. 
loiLGiLis,  p.  36,  108,  259,  296. 
llaguas  (Tribu  des).  Cf.  Levathes. 
lldiger,  officier  byzantin,  p.  82. 
Illyricom,  p.  97,  98,  397. 
Imaclas.  Cf.  Mecales. 
Impôts.  Cf.  Préfet  du  prétoire,  p.  500. 
Innocent,  préfet  d'Afrique,  p.  490,  514, 

597. 
louphrout,  chef  maure,  p.  66. 
Isaac,  exarque  d'Italie,  p.  554. 
Isaflenses  {Tribu  des),  p.  307. 
ISAURIB,  p.  112. 

Italie  (Expédition  d'),  p.  82,  87. 
luNCA,    p.    169,  235,    268,    277,    279, 
375,  377,  415,  432,  470,  535. 


Jean,  fils  de  Sisinniolus,  p.  345,  346, 

348,  349;  sa  mort,  p.  350. 
Jean  de  Biclar,  p.  459. 
Jean  de  Nikiou,  p.  481,  523. 
Jean,  patrice,  p.  583,  584. 
Jean  Rogathinos,  gouveraear  d*AIH- 

que,  p.  456,  597. 
Jean  Troglita,  magister  militam  d*A- 

frique,  p.   123,   124, 131,   231,  235, 

272,  306,  328  n.  ;  majçister  d'Afrique, 

p.  363;  sou  gouvernement,  p.  363- 

381,  449,  597. 
Johannide.  Cf.  Corippus. 
Judices.    Cf.    Administratioii    civile, 

p.  474,  492. 
Juifs,  p.  328,  329,  503. 
Julien  (Le  comte),  p.  587,  588,  589. 
Justin  //,  p.  269,  277,398,  448;  empe- 


TABLE  ANALYTIQUE 


631 


reur,  p.  457  ;  organisation  de  l'Afri- 
que, p.  464,  478,  501. 

JUSTINIANOPOLIS,   p.   169,  269. 

Juslinien,  empereur.  Ses  ambitions, 
p.  4, 7, 28, 87  ;  ses  illusions  sur  la  con- 
quête, p.  34, 36,  74, 75  ;  sa  politique 
religieuse,  p.  39,  40,  41,  48,386,  409, 
418,  433;  son  rôle  dans  la  querelle 
des  Trois  Chapitres,  p.  434,449;  ses 
recommandations  à  l*armée,  p.  44  ;  il 
organise  la  conquête,  p.  49, 50  ;  en- 
voie Germanos  en  Afrique,  p.  82  ;  ré- 
organise l'Afrique,  p.  97  ;  civilement, 
p.  98-118  ;  militairement,  p.  119-138  ; 
la  fortification  des  frontières,  p.  138, 
139,  167,  184,  233,  246,  260,  269,  325, 
337,  344,  348,  366, 382, 384  ;  relève  et 
embellit  les  villes  d'Afrique,  p.  387- 
392;  y  fonde  des  écoles,  p.  393  ;  sa 
politique  économique,  p.  394-398; 
les  dernières  années  de  son  gouver- 
nement, p.  453-456;  sa  mort,  p.  437. 

Justinien  IJ,  empereur,  p.  583. 


Rabylib  (Grande),  p.  261,307. 

Kabylib  'Petite)  p.  258. 

Kakena  (La),  reine  de  l'Aurès,  p.  56S, 

582,  584,  585. 
Kairouan,  p.  236,  277,  281,  282,  377, 

391,  426,  529,  568,572,  578,  581. 
Kaodar  (Oasis  de),  p.  571. 
Rasr-bou-Fatha,  p.  294. 
Rasr-bl-Foul,  p.  234. 
Kasr-Ellous,  p.  270. 
Kasr-Maizbra,  p.  149. 
Kasr-Mbdjbr,  p.  270. 

KaSRIN.  Cf.  ClLLIUM. 

Kastilia  (Pays  de),  p.  567,  572. 
KaTaXoyoi,  p.  125. 
KbF.  Cf.  SiCCA  Ve^ibria. 

Kep-Bbzioon.  Cf.  Zattara. 
Kef-Keikrraz,  p.  613. 
Kbssera  (La).  Cf.  Chosira. 
Keiamissa.  Cf.  Thubursicuh  Numidarum. 
Khanoubt-bou-Haya,  p.  234. 
Khangubt-kl-Aich,  p.  233. 


Khangubt-Mazouch,  p.  238,  271. 
Khanouet-Ogubpf,  p.  234. 

KlIANaUET-Ouai-EL-OUAHAD,  p.  238. 

Khrnciibla.  Cf.  Masgula. 
Kuerbbt-Bagbrou,  p.  252. 
Khbrbbt-Tauarit,  p.  253. 
Kubrbbt-Zembia.  Cf.  Lbmbllep. 
Kherbitt-Zerga.  Cf.  Cbllab. 

K.LIBIA.  Cf.  ClYPEA. 

Kobber-el-Ghoul,  p.  294. 

Koçéila,  p.  247;  résiste  aux  Arabes, 

p.   568,   575,   577.  578;    bat   Okbi, 

p.  579. 
KouLOULis,  p.  4! 6,  470. 

KOCRBA.  Cf.   CURUBtS. 

Krib,  p.  295. 
Ksar-Atman,  p.  611,  612. 
Rsar-Bblkassbu,  p.  240. 
Ksar-Bellezma.  Cr  Bellbzma. 
Rsar-Chedoi^  p.  251. 
RsarDbbobba,  p.  293. 
RSAR-EL-ACH0UII,  p.  211,  297. 
RsAR-GouiîAi,  p.  238,  271. 
Rsar-kl-Amar,  p.  283. 
Rsar-el-Kflb.  Cf.  Vegesala. 
Xsar-Ralaba.  Cf.  Gibba. 

KSAR-ROUTIN.  Cf.  AUGARMI. 

Rsah-Medoodja,  p.  294. 
Ksar-Sbbhi.  Cf.  Gadiaijpala. 
RsooR  (Plaine  de),  p.  273. 
Rsour-el-Rraib,  p.  233. 


Labdia,  p.  264,  327. 

Lamasba,  p.  251. 

Lambèsb,  p.  43,  71,  140,  238,  244,  245, 

247,  249,  2.i)0,  288,  291,  303,  470,  535, 

577. 
Laubiridi,  p.  250. 
Laupoda,  p.  170. 
Lamiggiga,  p.  224,  295,  417,  507. 
Lamoricièrb.  Cf.  Altava. 
LAMTA.Cf.  LbptisMinor. 
Lartbus   ou  Lakbs,  p.  159  n.,   163  n., 

170,   194  n.,  215,    220  n.,  221,  23^, 
'  272,    277,   279,   285,   291,  293,  344, 

376,  417,  422,  470,  529. 


632 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


Lariscub,  p.  378. 

Latran  (Concile  de),  p.  566. 

Lbbda,  p.  229. 

Lehna,  p.  297. 

Lemrllbp,  p.  254. 

Lbmsa,  p.  149  n.,  151  n.,  154  u.,  155 
n.,  156,  158  n.,  205,  209,  210,  214, 
217,  220,  221,  282. 

Léontiusj  empereur,  p.  583. 

Léovigild,  p.  470. 

Lbptis  Maona,  p.  126,  131,  169,  185, 
228,  229,  230,  301,  302,  340  ;  res- 
taurée par  Justinieu,  p.  388,  414, 
420,  535. 

Lbptis  Minor,  p.  269,  391,  392,  415,  420| 
427. 

Levatkes  {Tribu  des),  p.  42,  131,  301, 
325,  330,  340,  344,  349,  363,  366, 
368,  539,  558. 

Libelli.  Cf.  Administration  civile  (of- 
ficium),  p.  104. 

LiberahtSy  p.  432,  445. 

Limes,  p.  121.  Cf.  Administration 
militaire  (limites),  p.  126-127,  132, 
133, 134;  limes  Tabunensis,  p.  254; 
Zabensis,  p.  254,  258,  322. 

Limitanei.  Cf.  Administration  mili- 
taire, p.  133-137,  323,  335,  396,  455, 
4.85. 

Lixus,  p.  267. 

Lombards,  p.  459,  482. 

Louata  (Tribu  des).  Cf.  Levatkes. 

LORBBUS.  Cf.  Laribus. 

Lucius  Map,,,,  préfet  d'Afrique,  p.  597. 

Lycaonie,  p.  112,  113. 

M 

Macares  {Tribu  des),  p.  304,  406. 
Maccuritae  (Tribu  des),  p.  327,  460, 

n;  461. 
Macomades  minores,  p.  235,  269. 
Macubids  (Chaîne  du),  p.  303. 
Madarsuma,  p.  236,  269,  277,  279,  293, 

377. 
Madauri,  p.  35,  74,  150  n.,  151, 152  n., 

154  n.,  161,  162,  163,  171,  174,  178, 


180,  185,    196,  202,   204,  205,    220, 

286,  470,  601-602. 
Mafouna  (La),  p.  251. 
Magister  militum  Arricae,p.  117,120. 

Cf.  Administration  militaire,  p.  122- 

124, 128, 471-473, 475, 476,478,485,496. 
Magister  peditum.  Cf.  Administration 

militaire,  p.  124. 
Magraoua  (Tribu  des),  p.  539. 
Mahoa-Hassan,  p.  229. 
Mahbdia,  p.  420. 
Mahoona,  p.  289. 
Majorque,  p.  470,  587. 
MaxxoOpai.  Cf.  Maccuritae. 
Mactaris,  p.  277,  280,  281,  294,  415. 
Mauaca,  p.  470,  495. 
Mamma,  p.  67,  74,  170,  194  n.,  235,  236. 

281,  377,  470,  56S,  580. 
Mahs.  Cf.  Makma. 
Mandrakion  (Couvent  du),  p.  170,  S7i, 

354,  429,  447. 
Mansoukah,  p.  294. 
Marceltus,  duc  de  Numidie,  p.  133. 
Marcentius,  duc  de  Byxacène,  p.  132, 

356,  357,  366,  369. 
Marcien,  p.  457,  597. 
.Marbt.  Cf.  Marta. 
Marius  d'Avenches,  p.  461. 
Marta,  p.  231,  235,  303,  374. 
Martin  I,  pape,  p.  566,  567. 
Martine,  impératrice,  p.  545,  555. 
Marttropous,  p.  148. 
Mascola,  p.  71,  238,  239,  241,  242,  243, 

291;  rinscription,  p.  462. 
Masinissenses  {Tribu  des),  p.  307. 
Massonas,  chef  maure,  p.  43,  64,  71, 

264,  305,  318,  330. 
Mastigas,  chef  maure,  p.  43,  260, 307. 
Mastiman,  dieu  maure,  p.  325. 
Masuna.  Cf.  Massonas. 
Matbub,  p.  296. 
Matmata,  p.  228,  230,  374. 
Maures,  p.  11,  23,  26,  41  ;  les  tnbus  et 

leurs  chefs,  p.  42-44,  52;  armement 

et  tactique,  p.  58-61,  62;  dissensions 

intestines,  p.  64;  révoltés  en  534, 

battus,  par  Solomon  en  Byzaeène, 


TABLE  ANALYTIQUE 


633 


p.65-71;ea  Numidie,p.  7i,15,  85,  87, 
88,  90,  91,  229,  235,  236,247;  leur  si- 
tuation géographique,  p.  301-308; 
leurs  mœurs,  p. 308-31 2;  leurs  chefs, 
p.  312-319;  leurs  relations  politiques, 
militaires,  religieuses  avec  l'empire, 
p.  319-330,  338;  soulevés  contre 
ByzQDce,  p.  339,  362,  382;  nouveau 
soulèvement,  p.  456,  479,481  ;  se  re- 
constituent en  nationalités,  p.  541  ; 
résistent  aux  Arabes,  p.  568  ;  se  con- 
vertissent à  rislam,  p.  574;  s'unis- 
sentaux  Byzantins  contre  les  Arabes, 
p.  576,  577,  581,  588,  590. 
MAunÉTAMBS,  p.  11,  23,  43,  71,  86,  90, 
108,  109, 126, 127,  141,  223.  226,  227, 
246,  261,  299,  306,  327,  330,  343, 413, 
459,  495,  551,  576,  577,  588. 

—  SiTiFiBNNB  :  p.  36,  91,  108,  109,  110, 

171,  250;  la  frontière,  p.  254-260, 
267, 307,  327, 410,  413;  ses  évôchés, 
p.  418;  agrandie  et  subsistant 
seule,  p.  467,  469. 

—  GftsARiENNB  :  p.  36,  43,  91,  108,  109, 

110;lespostes  fortifiés,  p. 260-266, 
307,  327,  410,  413,  417,  438,  460  n., 
461  ;  supprimée,  p.  467,  468,  469, 
527,  536,  539. 

—  TuioiTAnB  :  p.  36,  107, 109  ;  les  pos- 

tes fortifiés,  p.  266-267,  411,  412, 
417,  528,  578,  587,588, 

—  Première  :  p.  467,  468,  495. 

—  Seconde  :  p.  467,  468,  495,  531,  587. 

—  GADrTANB,  p.  468,  n. 

Maurice j  empereur,  p.  245,  465  ;  mo- 
difie les  divisions  territoriales  de 
TAfrique,  p.  467-471  ;  la  réorga- 
nise, p.  471-481  ;  son  zèle,  p.  504. 

Maxime,  abbé,  p.  537,  647,  549,  550, 
556,  567. 

Maximiara,  p,  415,  427. 

Mazaranaf,  p.  415. 

Mazaces  {Tribu  deé),  p.  306.  n.  5. 

Mdaoorouch.  Cf.  Madaiirb. 

Mecales  {Tribu  des)^  p.  330 

MéDdA.  Cf.  Labdia. 

Mbdbina.  Cf.  Althibdros. 


Medbnine,  p.  232,  303. 

Medesinissa,  chef  maure,  p.  42, 66, 310, 

MEDICCBRA,p.  295. 

Meojana,  p.  254,  258,  259. 

Medjerda,  p.  80,  170,  214,  269,   271, 

273,   282,  284,  286,   289,   291,  295, 

296,  416,  458,  530. 
Medjbz-bl-Bab.  Cf.  Mbmbrbsba. 
Membrbssa,  p.  80,  416. 
Menas,  p.  436,  441. 
Mbnbphbse,  p.  346. 
Mbninx,  p.  229,  571. 
Méphanias^  chef  maure,  p.  316. 
Mbrcurb  (Promomtoibe  db),  p.  304. 
Mbrouana  (La),  p.  251. 
MermeroèSj  p.  364. 
Metavbur,  p.  303. 
MiDiDi,  p.  427. 

MlLA.  Cf.   MiLBU. 

MiLBïT,  p.  171,  25S,  290,  417,  444,  470, 
603-604. 

Milites  comitatenses,  p.  121.  Cf.  Ad- 
ministration militaire  (armée  mo- 
bile), p.  127,  128,  132,  133. 

Militeslimitanei,  p.  47,  121.  Cf.  Li- 
mitanei. 

Milites  phlatini,  p.  121. 

Milites  ripenses,  p.  121. 

MiNOKQUB,  p.  470,  587. 

MtssuA,  p.  79,  297. 

Mittendarii.  Cf.  Administration  civile 
(8cholae),p.  105,  112. 

Mlouia  (LaV  p.  266,  588. 

Moaviah,  p.  566. 

Moaviah  iîni  Hodaïdj\  p.  568  :  entre  en 
Byzacène,  p.  570,  572,  576. 

Mocianus,  p.  441,  443. 

MoNASTiR,  p.  420,  429. 

Monothélisme  (Querelle  du),  p.  542; 
sa  fin,  p.  576. 

MoNS,  p.  602,  604-605. 

Mouça  ibn  Noséir,  p.  563,  587,  588, 

MsiLA,  p.  91,  254,  258,  259. 

Msisna  {Tribu  des),  p.  307. 

Muctuniani  {Tribu  des),  p.  30!. 

MuHTi,  p.  417. 

Muzuc,  p.  281,  294. 


634 


HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


N 

Naffur  {Tribu  des),  p.  304,  313. 

Nara,  p.  235. 

Naraggara,  p.  417. 

Nasamons  {Peuple  des),  p.  301,302, 372. 

Nbafolis,  p.  416. 

Nefouça  {Tribu  des),  539,  558. 

îiefzaoua{Tribudes),  p.  539. 

NEFTA,p.  567. 

Nbmemchas  (Plateau  des),  p.  170,  238, 
240. 

NiGÉB,  p.  158,  164. 

Nicéphore,  patrice,  p.  570. 

Nicétas,  exarque,  p.  519,  524,  597. 

Nisiers  (Bataille  de),  p.  364. 

Nomenclatores.  Cf.  Administration 
civile  (scholae),  p.  105. 

Nova  Sparsa,  p.  253. 

Numerarius.  Cf.  Administration  ci- 
vile, p.  104,  111. 

Numerus,  p.  124,  125,  132,  133. 

Ndmidib,  23,  26,  35,  36,  40,  47,  65,  66, 
67,  69,  71  ;  fortifiée  par  Solomou, 
73,  80,  81  ;  révolte  du  corps  d'occu- 
pation, p.  82-87  ;  soumise  par  Solo- 
mon,  p.  90,  107,  109,  110,  111; 
limes,  126, 132,  169,  170,  214,  226; 
frontière,  237-234,261,  285,  287,  290, 
305,  306,  315,328,  330,  342,  349,  351, 
353,  367-410,  412;  ses  évôciiés,  417, 
419,  456,  468,469,  494,  504,  507,508, 
510,  535,  539,  551,  577,  580,  588. 

Numlulis,  p.  295,  416,  422. 


Obba,  p.  273,  417,  524. 

Oea,  p.  229,  301,  414. 

Officium.  Cf.  Administration  civile, 
p.  102-105.  111,  H2.  Cf.  Administra- 
tion militaire  (duc), p.  130;  deTexar- 
qae,  p.  488;  du  préfet,  p.  491  ;  du 
duc,  p.  498. 

Oixta,  p.  123. 

Okba  ibn  Nafi,  p.  246,  247,  265,  563, 
567, 571,  572  ;  fonde  Kairouan,  p.  572; 
rappelé,  p.  575;  rentre  en  grâce, 


p.  576;  reprend -la  conquête*  p.  377  ; 
sa  mort,  p.  579. 

Okkous,  p.  240. 

Olympius,  exarque  d'Italie,  p.  566. 

Omar,  p.  538. 

Omar  II,  p.  591. 

Onellaba,  p.  297. 

Oppidum  Novdh,  p.  264,  327. 

Opsikion  (Thème  de  T),  p.  587. 

Optiones.  Cf.    Administration    mili- 
taire (sou  s -officiers),  p.  125. 

Oristanom,  p.  471. 

Ouled'Ayar,  p.  277. 

Orlhaias,  chef  maure,  p.   43,   61.  71 
79,  84,  90,  307,  330. 

OuADDAïf  (Oasis  de),  p.  571. 

Othman,  p.  558. 

OUARNdENIS,    p.  328. 

Odbd-Abdi,  p.  243. 
Ooed-Baroou,  p.  281,  282. 
Oubd-Bahika,  p.  2.50. 
OUED-BITAM,  p.  230. 
Oubo-bou-Bedjbr,  p.  240. 

OUED-BOU-DoUKAÎf  ,  p.  240. 

Oued-bou-Haya,  p.  233,  234. 
OuED-BOo-.MourA,  p.  288. 
Ooed-boo-Merzodo,  p.  286. 

OUED-BOU-ROUGAL.    Cf.  AbIGAS. 

Oubd-bou-Sbllam,  p.  258,  259. 

OCED-CUEMORRA,   p.   243. 

Oued-Cherp,  p.  287,  289. 
Oued-Djedi,  p.  226. 
Odro-bl-Abiod,  p.  243. 
Odbd-bl-Arab,  p.  71,  240. 
Oitbd-bl-Hambiam,  p.  263. 
Oded-el-Hatob,  p.  237,  277,  279,  293. 
Ooed-bl-Kbbir,  p.  240,  259,  2%,  297. 
Oubd-bl-Ma,  p.  238. 
Odbd-Fekka,  p.  279,  292. 
Oueo-Godbbdl,  p.  233. 
Oubd-Hallel,  p.  238,  239. 
Odbd-Khalled,  p.  275. 

OUBD  LOBBBDS,   p.  272. 

Oded-Mahroup,  p.  277,  281,  294. 
Oded-Mblian,  p.  294. 
Oobo-Mellâgce,  p.  285,  286,  417. 
Oded-Mbroubllil,  p.  277,  281. 


J 


TABLE  ANALYTIQUE 


635 


Oubd-MbskianAi  p.  241. 
Ooed-Nbbhanb,  p.  281. 
OUBD-Nim,  p.  584. 
OuBD-OuM-BL-KsoB,  p.    233,   234,  255, 

259. 
Oobd-R'dïh,  p.  255. 
Oded-Rohia,  p.  281. 
Oubd-Sahbl,  p    259. 

O0ED-TAOUni.\LRNT,  p.  252. 

Oubd-Tbssa,  p.  417. 
OcBO-TiLiDjEN,  p.  238,  239,  210. 
Oued-Zeroud,  p.  236,  277,  281. 

OOM-GUKRRICHECH.    Cf.    CiViTAS    NaTTA- 
BUTUH. 

OU88BLBT  (L'),  p.  277,  281,  568. 


Palatini  privalarum,   p.    500;  sacra- 

rum  largitionum,  p.  500. 
Pantaléon,  préfet  a'Afrîqae,  p.  597. 
Paphlagonie,  p.  112,  113. 
Pappoa  (Mont),  p.  26,  32,  44,  306. 
Patrice,  p.  484. 

Paul,  évoque  de  Numidie,  p.  512. 
Paul,  préfet  d'Afrique,  p.  597. 
Paul  (Le  prêtre),  p.  347. 
Paul,  patriarche,  p.  550,  551,  5S2. 
Pelage,  pape,  p.  447,  448. 
Pentapolb,  p.  519,  537. 
Philagrius,  p.  555. 

PbUIPPBVILLE.   Cf.  RUSICADB. 

Phillppicus,  p.  517. 

Phocas,  empereur,  p.  518,  520. 

Pierre  (Monastère  de  i'abbé),  p.  427. 

Pierre,  exarque,  p.  537,  S97. 

PlSlDIE,  p.  112,  113. 

PoMARiOM,  p.  263,  265,  327,  575. 

Ponlianus,  p.  434. 

Populations  romaines,  p.  6,  39,   40, 

394,  398. 
Possessores,  p.  393-398,  500. 
Praecones.  Cf.  Administration  civile 

(scholae),  p.  105. 
Praefectus,  p.  324. 
Praesides.  Cf.   Administration  civile, 


p.  107,  HO,  111,  113,  475,  476,  490, 
491,  492-494,  497. 
Prbcisu  (Monastère  de).  Cf.  Ad  Prae- 

CISUM. 

Préfet  du  prétoire.  Cf.  Administration 
civile,  p.  98-101,  117,  473,    489-492. 

Préjecia,  p.  348,  355,  357,  358. 

Préteurs  de  Pisidie,  Lycaonie,  Thrace, 
p.  113;  avec  attributions  civiles  et 
militaires,  p.  471. 

Primasius,  év.  d'Hadrumète,  p.  431, 
440,  441,  445,  446,447,  448. 

Prime  (Sainte-,  Basilique  de),  p.  420. 

Primiscrinius.  Cf.  Admiuistration  ci- 
vile (officium),  p.  104.  Administra- 
tion militaire  (id.  du  duc),  p.   130. 

Primosus,  p.  441,  444,  4i6,  447. 

Pinscus,  cornes  excubitorum,  p.  518. 

Proconsul  (de  Gappadoce),  p.  113. 

Proconsulairb  (La),  p.  35,  40,  107- 
109,  110,  111,  170,  263,  268-285, 
289.  406,  409,  410,  411  ;  les  évêchés, 
p.  416,  468,  469,  494,  580,  588. 

Procope,  p.  8,  20,  22,  27,  29,  33,  68, 
70,  79,  80,  90,  91,  108, 110,  131, 132, 
138,  143,  145,  148.  166,  169,  171,  185, 
213,  229,  248,  260,  309,  310,  311,  317, 
320,  348,  355,  379,  380,  382,  384,  385, 
386;  394,  400,  455. 
POPPDT,  p.  416. 

Pyrrhus,  patriarche,  p.  542,  549, 
550. 


Q 


Quinquege^iianei,  p.  307. 

R 

RabDimas.  Cf.  Thapsus. 
Ras-bl-Ain.  Cf.  Talalati. 
Ras-el-Oubd.  Cf.  Thamalla. 
Recinarius,  p.  124,  367. 
Reparalus,     évôqne     de     Cartbage, 
p.  354,  435,  439,  448. 


'  Rodericip.  589. 


636 


HISTOIRE  DE  LA  DOMLNATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


RoDMHBL  (Vallée  du),  p.  35,  288,  289, 
291. 

Royaume  vandale  :  Situation  en  533, 
p.  3-10;  Tarmée,  p.  12;  ia  marine, 
p.  43;  sachule,  p.  16-33;  comment 
traité,  quant  aux  personnes,  p.  SI; 
à  la  propriété,  p.  38;  TÉglise, 
p.  39,  40;  révolte  de  534,  p.  51. 

Rufintts,  p.  131. 

Rdsaddir,  p.  266. 

ROSOUNIAB,  p.  262. 

RusiCADB,  p.  296. 

RusippisiR,  p.  261. 

RusPAB,  p.  415,  42'î,535 

RuspiNA,  p.  429. 

Rusticus,  p.  438,  445. 

RuBuccuRRU,  p.  182  n.,  261,  467  n., 
470. 


S 

Sabas  (Saint,  Monastèrb  de),  p.  429. 
Sabrata,  p.   169,   229,   327,  388,   414, 

420,  535,  557. 
Sadjar,  p.  287. 
Safar,  p.  43,  264. 
Saoontia,  p.  478. 
Salsa  (Sainte,  Basilique  de),  p.  262, 

423. 
Saldab,  p.  36,  108,  259,  296. 
Saona,  p.  471. 
Sardaionb,  p.  13,  14,  36,  73,  108,  110, 

113,  328  n.,  380,  469,  475,  482,  494, 

504,  509,  536,  537,  586. 
Sbbitla.  Cf.  Sdfetula. 

SBIBA.  Cf.  SOFBS. 

Sbikha,  p.  241. 

Scholae.     Cf.    Administration  civile, 

p.  105-107. 
Scrinia,  Scriniarii.  Cf.  Administration 

civile  (officium),  p.  103-105. 
Scrinium    arcae.   Cf.  Administration 

civile  (officium),  p.  104. 
Scrinium  operum.  Cf.  Administration 

civile  (officium),  p.  104. 
Sébastien,  p.  438. 

SbLBKTA.  Cf.   SULLBCTUM. 


Seli  {Tribu  des),  p.  301 . 

Semissales.  Cf.  Administration  mili- 
taire (officium  du  duc),  p.  130. 

Septbm,  p.  36,  108,  109,  110,  126,  171, 
261,  343,  344,  420;  capitale  d'un 
gouvernement,  p.  467,  469,470,  536, 
587,  588,  589. 

Sbhessi,  p.  294. 

Sergius,  duc  de  Tripolitaine,  puia 
gouverneur  civil  et  militaire  d'Afri- 
que, p.  117,  131,  338,  339,  340,  341, 
344,  345,  347,  348,  349,  350,  596. 

Sergius,  patriarche,  p.   520,  523,  548. 

Sériana.  Cf.  Lamiogiga. 

Sers  (Plaine  du),  p.  277,  285. 

Sbrsou  (Plateau  du),  p.  264. 

Servi  rustici,  p.  395,  396,  398. 

SÉTIF.    Cf.    SlTIFlS. 

Sexlilianus,  p.  444. 

Sbybousb  (La),  p.  286,  289,  291. 

Sfax,  p.  391,  420. 

SiccA  Venbria,   p.  35.   170,  272,  281 

283,  286.  291,304,  349,401,  417,422, 

423. 
SrciLB,  p.  565. 

Sidi-Abdallah-Mblliti,  p.  422. 
Sidi-Amara.  Cf.    Henchir-Sidi-Amaba. 
Sidi-Bellaoui,  p.  285. 
Sidi-Khalif,  p.  293. 
Sidi-Khalifa.  V.  Aphrodisium. 
SiDi -Rhalifat,  p.  295. 
SlDI-lUCHBD,  p.  289. 
Sidjilmessa,  p.  588. 
SiGUS,  p.  287,  288. 
Sila,  p.  287. 

SiLiANA  (La),  p.  276,  283,  294. 
Silcadenit  {Tribu  des),  p.  304,  406. 
Silvacae  {Tribu  des),  p.  304. 
Silvaizan  (Tribu  des),  p.  304,  406. 
Silzaclae  {Tribu  des),  p.  304. 
SiMiTTHU,p.  215,  295,  304,  416. 
Singularii.  Cf.  Administration  civile 

(scholae),  p.  112. 
Sinifere,  dieu  maure,  p.  325. 
Sisebulh,  roi  wisigoth,  p.  33t. 
SisinnioluSt  p.  345. 

SXTIFIBNNB.  Cf.  MaORÂTAN». 


TABLE  ANALYTIQUE 


63T 


SiTiPis,p.9i,  161  n.,  ni,  1T5, 185,  i9S, 
205  n.,  216,  220,  230,  232,  253,  238, 
288,  290,  291,  418,  467  n.,   470,  495. 

SoLACHon,  p.  48. 

Solomon,^^,  17,48,49,  67,68;  réprime  la 
révolte  de  534,  p.  65-75  ;  patrice,  p  74  ; 
peu  aimé  des  soldats,  p.  75;  sa  vie 
menacée,  p.  76-78  ;  sort  de  Carthage, 
p.  79  ;  va  cliercher  Bélisaire  en  Sicile, 
p.  80  ;  éloigné  par  Bélisaire,  p.  81, 83, 
86;  renvoyé  en  Afrique,  p.  88;  épure 
l'armée,  id.  ;  expédition  dans  TAurès, 
p.  88-90;  soumet  toute  la  province, 
p.  90-93  ;  préfet  du  prétoire  d'Afrique 
et  magister  militum,  p.  117, 122,  123, 
471  ;  domesticus  de  Bélisaire,  p.  124, 
133  ;  fortifle  PAfrique,  p.  168-172, 234, 
235,  238,  249,  254,  264,  283,  289,  306, 
310,315,  318,  330,  333,  338,  339,  341, 
342  ;  sa  mort,  p.  343  ;  363, 380, 429, 449, 
596. 

Sophronius,  abbé,  p.  547. 
Sophistae  oratores,  p.  106. 

SODKARRHAS.  Cf.  ThAGASTB. 

SoussB.  Cf.  Hadruhètb. 

Spatharlus.  Cf.  Administration  mili- 
taire (duc,  maison  milit.),  p.  128. 

Specolom,  p.  245. 

Slotzas^  chef  des  soldats  révoltés,  p.  79, 
80;  battu  par  Bélisaire,  80,  82,  84; 
battu  par  Germanos,  p.  84-86,  87; 
90,  260,  337,  345,  348,  350. 

Stoudion,  p.  445. 

Stratores.  Cf.  Administration  civile 
(scholae),  p.  106. 

Sua,  p.  416. 

Subzdar.  Cf.  Sadjar. 

SuFETULA,  p.  182,  234,  235,  237,  238, 
269,  272,  277,  279,  280,  293,  369, 377, 
415,  428,  470,  535,  557,559,560,  56t. 

SUFES,  p.  196,  202,  205  n.,  217,  220, 
235,  236,  279,  280,  377,  416,  470, 
529,  568. 

SuLCi,  p.  471. 

SuLLECTUM,  p.  224  n  ,  269,  415. 

SuvxaOedpoc,  p.  130. 

Susceptores,  p.  500. 


Svinthilat  roi  des  Wlsigoths,  p.  531. 
Symmaque,  préfet  d'Afrique,  p.  596. 
Syrie  (Grande),  p.  301,  372,  406,  412. 
Syrtb  (PeUte),  p.  230,  302,  406,  412. 


Tabalta,  p.  236,  377. 

Tabarka.  Cf.  Thabraca. 

Tacape,  p.  226,228,  229,230,  231,  232, 

233,  268,  291,  374,  414,  535,  584. 
Taddert.  Cf.  Ad  Médias. 
TADOTTi,p.  224,  242,  295. 
Tafna  (La),  p.  263,  307. 
Tafrent,  p.  241,  242. 
Taooora,  p.  35,  73,  171,  194  n.,  220, 

221,  28Ô,  605-606. 
Talalati,  p.  230,  232,  303, 
Tamanunna,  p.  254. 
Tamatmat,  p.  286. 
Tamesmida,  p.  234. 
Tarik,  p.  589. 
Tanger.  Cf.  Tinoi. 
Tarf  (Plateau  dn),  p.  223,  241. 
Tazodgart,  p.  241. 
Tébessa.  Cf.  Thévbstb. 
TKBonRsouK.  Cf.   Thuborsicum     Bore. 
Tehouda.  Cf.  Thabcdeos. 
Tell,  p.  43,  71,  74,  171,  233,  287,  288, 

289,  295,  305,  307,  328. 
Telmiv,  p.  230,  415. 
Tenès.  Cf.  Cartbnna. 
Tenibt-el-Kbbch,  p.  243. 
Tenookla  (Coldb),  p.  234,  238,  240. 
Testour,  p.  276,  422. 
Thabraca,  p.  296,  297,  392,  422. 
Thabudbos,  p.  24.J,  246,  247.  248,  576, 

579. 
Thaca,  p.  299. 
Thacia,  p.  350,  417,  422. 
Thagaste,  p.  237,  288,  304,  417. 
Thala,  p.  281,  303. 
Thalassiiu  (abbé),  p.  548. 
Thamalla,  p.  171,210  n.,  217,  221,  255, 

258,259,  291. 
Thamugadi,  p.  43,  71,  149  n.,  155  n., 
137  n.,  158  n.,161  n.,  170, 174,  179, 


638  HISTOIRE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 


184,  185,  196,  200,  202,  205,  n.  211, 
220,221,  238,242,  243,  244,  249,  291, 
305,  389,  422,  470,  530,  535. 

TuAPSUS,  p.  269,  416,  470. 

Tharros,  p.  471. 

Théleptb,  p.  35,  126,  152  n.,  154  n., 
164  n.,  169,  184,  185,  190,  191,  194 
D.,  215,  220,  «33,  234,  236,  237,  238, 
272,  277,  279, 292,  303,  406,  415,  421, 

470,  472,  494,  535. 

Thèmes  (Régime  des),  p.  472,  480, 502. 

Thknab,  p.  279,  415,  535. 

Théoctislos,  mag.    mil.   d'Afrique,  p. 

459,  597. 
Théodora,  p.  340,  358. 
Théodore  AskidaSyip.  434,  441, 442,447. 
Théodore^  curopalate,  p.  525. 
Théodore  de  Cappadoce,  lieutenaot  de 

Solomon,  p.  78,  79,  80,  82. 
Théodore,  pape,  p.  552,  555,  556. 
Théodore,   préfet   d'Afrique,  p.   459, 

471,  697. 

Théodoriadb,  p.  284.  Cf.  Vaoa. 

Théodose,  familier  de  Bélisaire,  p. 
384. 

Thêodosiopous,  p.  145  n  ,  364. 

Théophane,  p.  538. 

ThéophylacU  Simocatla,  p.  463. 

Thévbstb,  p.  74,  140,  149  u.,  150  n., 
151  o.,  154  n.,  155  n.,  156  n.,  160 
n.,  169,  172,  179,  180,  185,  186,  187, 
189, 194,  215,  221,  223,  226,  233,  234, 
237,238,  239,  240,  241,  250,  251,269, 
271,  272,  273,  279,  285,  286,  288, 
291,  303,  342,  344,  406,428,  430,  458, 
470,  530. 

Thibims,  p.  287,  288,  289,  422. 

TuioiBBA,  p.  294. 

Thignica,  p.  154  n.,  156  d.,  158  u., 
159,  160,  161  n.,  174,  185,  220,  221, 
276,  277,  285,  458. 

TniiiBURB,417. 

Thimiduh  Burb,  p.  295. 

Thisiduo,  p.  416. 

Thomas,  préfet  d'Afrique,  p.  458, 
462,  597. 

Thracb,  p.  112,  113. 


TuHAGBsiBNs  (Thème  des),  p.  587. 

Thubukbo  Majus,    p.  269,  294,  416. 

Thdburnica,  p.  284.  416. 

Thubursicdn  Bdrb,  p.  151  n  ,  155  n., 
156,  176,  178,  185.  194  n.,  220,  222, 
275,277,  285,295,416,458. 

Thubursicuu  Ngmidarum,  p.  287,  288, 
295,  304,  609. 

Thysdrus,  p.  269,  415,  335,  585. 

TiARirr,  p.  43,  264,  265,  328,  528,  576, 
578. 

Tibère  Constantin^  empereur,  p.  271, 
398,  461,  463;  orgaai^atioD  de  l'A- 
frique, p.  464,  478,  501. 

TlCHILLA,  p.  416. 

Tu>Di8,  p.  297. 

TiFECH.  V.  TlPASA  DB  NUHIDIE. 

Tioisis,  p.  35,  74,  154  n.,  160  d  ,  171, 
193,  194  û.,  217,  219,  220,  221,  222, 
287,  417,  470,  494,  507. 

TioziRT.  Cf.  Rdsuccdru. 

TlKLAT.  Cf.   TUPUSUKTU. 

Tilubaris,  p.  230,  303. 
TittGAD.  Cr.  Thauogadi. 
TiMiGi,  p.  264,  327. 
TiNOi,  p.  267,  402,588. 

TlNGlTANB.  Cf.   MaURBTAMB. 

TlPASA  DB  Maurêtanib,  p.  262,  423. 

TlPASA  DE  NuMiDtg,  p.  35,  74,  159  d., 
177,  178,  196,  205  u.,  217,  218,  220, 
221,  222,  286,  288.  289,  417. 

Tlalbt.  Cf.  Talalati. 

Tlbmcen.  Cf.  Pomarium. 

TOBNA.  Cf.  TUPONAE. 

Toloa,  p.  246,  247. 

Totila,  p.  350,  371,  381. 

TozEUR,  p.  567. 

Transamondj  roi  des  Vaudales,  p.  11. 

Tribuni.  Cf.  Administration  militaire, 

p.  124,  477. 
Tricamarum,  p.  13,  25,  30,  31,  32,  86. 

TRIK-BL-KARRbTA,  p.   238,  240. 

TripoliJ  p.  402,  407«  535;  pris  par  les 
Arabes,  p.  557. 

TRiPOLrrAiNB,  p.  10,  11,  42  65,  91,107, 
109,  110,  111;  Urnes,  p.  126, 131,169, 
226;  frontière,  p.  228-232,  267,  301, 


TABLE  ANALYTIQUE 


639 


302,  306,  308,  324,  325,  326,  330, 
340,  3i5,  363,  366,  371,  372,  379, 
410;  les  évêchés,  p.  414;  détachée 
de  l'Afrique,  p.  467;  soulevée  contre 
Phocas,  p.  519;  menacée  par  les 
Arabes,  p.  332,  535,  539  ;  conquise 
par  les  Arabes,  p.  557. 

Trois  Chapitres  (Querelle  des),  p.  432, 
433,  434-449. 

Trozza,  p.  277,  281. 

TOBERNOC,  p.  270,  271. 

TuBU.iAB,  p.  91,  171,  184,  185,  196, 
202,  203  n.,  216,  220  n.,  221,  250, 
254,  291. 

TUGGADOK,  p.  416. 

TiirxA,  p.  170,  181,  182  n.,    238,  274, 

280,  285,  295,  296,  418. 
TopusOKTO,  p.  259. 
Type  (Le,  de  Constant  llj,  p.  566. 

V 

Uci  Majos,  p.  285,  417. 

UcuBi,  p.  417. 

Université  (de  Carthage),   p.  99,  106. 

Tica<nci<Ttat,  p.  123. 

Uppenna,  p.  270. 

r«o<TTpaTYjY6ç,  p.  123,  489,  496. 

Urceliani  (Tribu  des),  p.  303. 

UsiLLA,  p.  415. 

Utiqoe,  p.  416. 

UzAPPA,  p.  281,  416 


Vadis.  Cf.  Badias. 

Vaga,  p.  157,  159  n.,  170,  192,  194  n., 

220,  221,  222,  234,  296,  2^7,  416,  530, 

583. 
ValerianuSj  p.  44i. 
Valtfrien,  p.  133. 
Vallis,  p.  416. 
Vandales,  p.  74;  preuueiit  part  à  la 


révolte  des  soldats,  p.  79,  88,  317, 

345,  382,  394. 
Vandali  Jusliniani^  p.  37. 
Vatari,  p.  601,  610-611. 
Vazis-Sarra,  p.  294. 
Vbossala,  p.  241. 
Verecundus,  p.  432,  440,  441. 
Victor  de  Sinnaj  p.  444. 
Viclor  de  Tonnenna,  p.  432,  447. 
ViGTOniAKA,  p.  415,  444. 
Vicus  Haterianus,  p.  416  n. 
Vigile,  pape,  p.  435,  436,  437,438,  441, 

447. 
Ville  fortifiée  byzantine  (La),  p.  145. 
VitaliuSf  mag.  mil.  d'Afrique,  p.  597. 
Volubilis,  p.  267. 

W 

Wisigoths,  p.  36,  343,  344. 


Z4B,  p.  90,  245,  527,  536.  576,  578,  581. 
Zabi  Jcstiniana,  p.  91,  171,  254,  235, 

291,388. 
Zaghouan,  p.  282. 
Zàma  Major,  p.  281,  294,  416. 
Zana.  Cf.  DuNA  Vbtbranorum. 
Zanpour.  Cf.  Assuras. 
Zarai,  p.  171,  217,  222,  250,  252,  253, 

258. 
Zattara,    p.  287,   288,  293,  417,  444, 

609-610. 
Zenata  (Tribu  des),  p.  527,  540. 
Zbrbdla  (Forteresse  de),  p.  89. 
Zersilis.  Cf.  Gbrois. 
Zbugitane,  p.  108,  399,  401,  403. 
ZiAXA.  Cf.  Choba. 
ZiBAN  (Indigènes  des),  p.  11. 
Zohéir  ibn  Kaïs,  p.  580,  581. 
Zraia.  Cf.  Zarai. 
ZUCCHARA,  p.  283,  2^5. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 
Ihtroductiow r 

LiATB  DBS  PRINCIPAUX  DOCUKKMTS  ClTÉfl  DANS  CE  LIVRE VII 

LiSTB  DBS  PRINCIPAUX  OUVRAGES  OU  ARTICLES  CONSULTÉS XI 

Liste  dbs  principales  abréviations  employées  dans  lbs  notes   ....  xv 

LIVRE  I 

LA  REPRISE  DE  L'AFRIQUE  PAR  L  EMPIRE  B7ZANTIN  (533-539) 

CHAPITRE  1 

La  GHurB  DU  rotaumb  vandale  (533-534).  3 

CHAPITRE  II 

L'ApRIQUB  AU  LENDEMAIN  de  I^  CONQUÊTE  byzantine 34 

CHAPITRE  III 

La  PACIFICATIOlf  DE  L*APRIQUE  PAR  SOLOMON  (534-539) 51 

LIVRE  II 
LA  RÉORGANISATION  DE  L'AFRIQUE  BYZANTINE 
PREMIÈRE  PARTIE 

L'administration  civile 97 

DEiiXIÈxUE  PARTIE 

La  réorganisation  militaire  de  rAfrique  byxantine 119 

CHAPITRE  l 

L'armée  d'occupation  KT  l'administration  MILITAIRE    ........  119 

CHAPITRE  11 

Les  principes  du  système  dépensif  dans  l'Afrique  byzantine 138 

I.  Les  principes  généraux  du  système  défeosif  byzantin 139 

H.  Les  principes  généraux  de  la  construction  militiiire  byzantine  .  143 

I.  41 


/^-., 


642  HISTOIKE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AFRIQUE 

m.  CommeDt furent  appliqués  dans  l'Afrique  byzantine  les  principes 

généraux  de  la  défense  et  de  la  construction 161 

IV.  Des  divers  types  de  constructions  militaires  africaines.    ...  185 

V.  Forme,  dimensions,  situation  des  citadelles  byzantines  d'Afrique.  215 

CHAPITRE  m 

L'OCCOPATrON  HILITAIHB  DE  l'AfRIQUB  BYZANTINB 2S6 

I.  Les  forteresses  de  la  frontière 228 

Frontière  de  Tripolitaine 228 

Frontière  de  Byzacène 232 

Frontière  de  Numîdie. 237 

Frontière  de  Maurétanie  Sitifienne 254 

Les  postes  de  la  Maurétanie  Césarienne 260 

Les  postes  de  la  Maurétanie  Tingitane 266 

II.  Les  forteresses  de  l'intétieur 269 

A.  L'occupation  de  la  Byzacène  et  de  la  Proconsulaire    ....  269 

La  route  du  littoral 269 

La  route  de  Théveste  à  Carthage 271 

La  défense  du  massif  central 277 

La  vallée  de  la  Medjerda 284 

B.  L'occupation  de  la  Numidie 285 

La  ligne  septentrionale  des  hauts  plateaux 285 

Le  Tell  de  la  province  de  Constantine 288 

III.  La  défense  du  plat  pays 291 

.TROISIÈME  PARTIE 

Le  gouvernement  byzantin  et  les  populations  indigènes    ....  299 


LIVRE  III 
L'AFRIQUE  BTZANTINE  VERS  LE  MILIEU  OU  VI'  SIÈCLE 

PREMIÈRE  PARTIE 

La  fin  du  régne  de  Justinien  (544-565) 333 

CHAPITRE  l 
La  crise  ubs  annkes  545-546 333 

CHAPITRE  II 
Lb  oodvbrnembnt  de  Jeaw  Troglita 363 

DEUXIÈME  PARTIE 

La  condition  de  l'Afrique  sous  le  régne  de  Justinien 382 

CHAPITRE  1 
L'état  matériel  de  l'Afrique  byzantine 3f'2 


TABLE  DES  MATIERES  643 

Page?. 
CHAPITRE  H 
L'ÉousK  d'Afriqur  sous  le  kèoivb  de  Justiniek 408 

LIVRE  IV 
L'EXARCHAT    D  AFRIQUE 

PREMIÈRE  PARTIE 

La  création  de  Texarehat  .    : 4r>3 

CHAPITRE  I 

LbS  GUERRB9    d'ÂFRIQUB   800S  LB8   UÈQNBS   DE  JuSTlN  II  ET  DR  TlB^RE  CONS- 
TANTIN (565-582) 453 

CHAPITRE  II 
Lks  tkansformations  administratives  dk  la  province  d'Afrique  et  la 

CRÉATION  DE    l'kXARCHAT 466 

■  ^ 

DEUXIÈME  PARTIE. 

L'exarchat  d'Afrique  à  la  fin  du  VI«  siècle 483 

CHAPITRE  I 
•  L'administration  de  l'Afrique  byzantine 483 

I.  L'exarque  d'Afrique v.  •    •     •         *8^ 

II.  Le  préret  d'Afrique 489 

m.  L'administration  provinciale 492 

IV.  Les  autres  officiers  de  l'administration  byzantine 499 

CHAPITRE  H 
L'ÊoLisB  d'Afrique  bt  l'administration  byzantine  .     .* 503 

TROISIÈME  PARTIE 

L'Afrique  sous  le  règne  d'H6racIiu8  (610-641) 517 

LIVRE  V 
LA  CHUTE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  (641-709). 

CHAPITRE  I 

'^BS  CAUSK8  internes    DR  LA   DÉCADE^CB 535 

,     CHAPITRE  II 

La  CONQUÊTE  DE  L'AfRIQUB  PAR  LBS  AraBRH 563 

CONCLUSION 593 

APPENDICE.  —  Cbronologib  dbs  préfets  du  prétoire  et  dks  gouver- 
neurs MILITAIRES  DE  l'AfRIQUE  BYZANTINE 596 


ttU*'      HISTOIKE  DE  LA  DOMINATION  BYZANTINE  EN  AKHIQUE 

ADDITIONS  ET  CORRECriONS Oui 

TABLE  DES  GRAVURES  INSÉRÉES  DANS  LE  TEXTE 615 

TABLE  DES  PLANCHES  HORS  TEXTE  ET  DES  CARTES 6(7 

INDEX  ALPHABÉTIQUE  DES  PLANCHES 619 

TABLE  ANALYTIQUE   DES   MATIÈRES,  DES  NOMS  DE  LIEUX  ET 

DE   PERSONNES v;    .     -    .    .  621 

TABLE  DES  MATIÈRES «.H 


A.NUKits,  raiPRivcRiB  DU  A.  BURor.1,  4,  auB  oarmkh. 


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JUL   1  9    1940